PREMIER SERMON DE L'HIstoire
de Melchisedec : auquel est aussi traittée la
deliurance de Lot, faite par Abram.
13. QVelqu'vn qui estoit eschappé
le dit à Abram Ebrieu qui habitoit
vers les chesnes de Mãré,
lesquel estoit Amorréen, frere d'Escol &
frere d'Aner, qui auoyent alliance auec
Abram.
14. Abram ayant ouy que son parẽt
estoit pris , tira de sa maison trois cens
& dixhuit seruiteurs, enseignez souz sa
main , & poursuyuit les ennemis iusques
en Dan.
15. Et s'estant diuisé luy & ses seruiteurs
de nuict, frappa les ennemis, les
poursuyuant iusques en Hobah , qui est
à la gauche de Damas.
16. Et ramena toute la sustance, &c.
NOVS auons à poursuyure l'histoire
qui fut hier commencée
de la deliurance de Lot. Et en
premier lieu nous voyons cõme
Dieu a declairé sa bonté &
faueur enuers Abram, quand il luy a donné
moyen d'aller à la recousse. Et voyla pourquoy
Moyse dit notamment, (QV'VN QVI
ESTOIT ESCHAPPE EST VENV VERS
ABRAM EBRIEV.) Il est vray que ce mot
n'est point mis par ignominie: car la lignée
d'Eber a eu ce nom-la : & Eber estoit descendu
de Sem ( comme nous auons declairé
cy dessus ) tellement qu'Abram estoit desia
comme separé de Dieu, pour n'estre point
polu parmi les Chananeẽs. Mais quoy qu'il
en soit, Moyse luy attribue ce nom, comme
s'il disoit qu'il estoit estrãger, & qu'il estoit
venu habiter en pais lointain en ceste terre
de Canaan. Or nous sauons qu'il pouoit
estre mesprisé, d'autant qu'il n'auoit là ne
parens ny amis:tant y a qu'encores Dieu luy
fait ceste grace & priuilege, qu'en temps &
en lieu il est aduerti du mal qui est auenu à
son neueu pour y secourir. Or Moyse aiouste,
qu'il estoit allié auec ses voysins. Par cy
deuant nous auons veu qu'il luy a falu tracasser
ça ou là , pource qu'il n'estoit pas
gueres humainement receu : quelque part
qu'il vint,on le chassoit. Vray est que Dieu
luy a bien commandé de circuir la terre au
long & au large,pour l'exercer:mais au parauant
desia il y auoit esté contrainct par necessité.
Il n'y a dõc nulle doute que ses vertus
ne luy ayẽt acquis quelque authorité,en sorte
qu'on l'a receu , & que ceux qui estoyent
[comme]
comme chefs de ce pais-la, l'ont tenu pour
leur amy, & ont fait alliance ensemble pour
se maintenir l'vn l'autre. Il est vray que toutes
les vertus du monde n'apporteront pas
souuent vn tel bien : mais il y a deux choses
conioinctes : l'vne est que ceux qui se portẽt
droitement & en integrité , tascheront en
premier lieu de conformer leur vie à la volonté
de Dieu,mais en seruãt Dieu,ils monstreront
aussi vne affection humaine enuers
leurs prochains, & ceux-la racheteront souuent
la paix , & rompront la malice de ceux
qui autremẽt estoyẽt prests à les fascher. Et
de fait S. Pierre aussi demene cest argument-
1. Pier. 2.19, & 20.
la, quand il exhorte les seruiteurs à bien faire,
& à seruir à ceux qu'ils deuront:il dit que
par ce moyen ils pourront obtenir qu'on ne
les picques point,& qu'on ne se rue point sur
eux,Mais(dit-il) quoy qu'il en soit,s'il vous
faut endurer en biẽ faisant, vous auez à glorifier
Dieu en cela , que vostre conscience ne
vous redargue point. Voila donc ce que
nous auons à noter. Or le second est, que
Dieu benit ceux qui cheminẽt en telle droiture,
& amollit les cœurs des hõmes. Quand
donc il est ici recité qu'Abram a esté allié, il
est certain qu'on l'a veu tel,que son amitié a
esté desiree par ceux mesmes qui luy pouuoyent
porter inimitié au parauant,ou bien qui
l'eussent voulu gourmander & piller : ceux
la ont esté enclins à se ioindre auec luy. Mais
ç'a esté vne alliãce pour vn tẽps tãt seulemẽt.
Car il est certain qu'Abram ne s'est iamais
meslé parmi ceux que Dieu auoit desia condamnez ,
combien qu'il en differast l'execution:
& cela aussi eust contreuenu à la promesse.
Tellement qu'Abrã s'est tousiours retenu
en son entier,à fin de ne rien amoindrir
de la benediction qui luy estoit promise.
Quoy qu'il en soit,tant y a qu'il n'a point refusé
de s'allier pour viure en paix,& pour n'estre
point cõme en proye & à l'abandon. Par
cela no9 sommes admonestez, cõme i'ay couché
de conuerser tellement auec les hõmes,
voire encores qu'ils ayẽt comme des aigueillons
pour nous picquer , & que nous ayons
esté outragez d'eux:toutesfois que nous taschions
de nous maintenir en sorte,que s'il y
a quelque malice & dureté en eux, que nous
la flechissions , quand ils cognoistront que
nous ne cercherõs que paix,& que nous procurons
leur bien. Encores qu'ils taschent à
nous mal-faire, & qu'ils ne se portent point
equitablement enuers nous , que toutesfois
nous esperions que Dieu changera leurs
cœurs,qui sont malins & venimeux,ou bien
qu'il les retiendra tellemẽt , que si nous sommes
brebis , nous ne laisserons pas d'estre
gardez & garentis de la main de ce Pasteur
celeste au milieu des loups. Voila donc ce
[que]
que nous auons à retenir. Or la cause de la
guerre est quant & quant notée, en ce qu'Abram,
voyant que son parẽt estoit prisonier,
a pris les armes. Par cy deuant on luy auoit
donné beaucoup d'occasions de s'escarmoucher:
mais tous les dommages , & toutes les
pertes qu'il a receuës, ne l'ont point induit
à faire guerre. Il est patiẽt en tout cela:la seule
captivité de son neueu l'esmeut. Ici on
pourroit demãder, s'il estoit licite à Abram
de prendre les armes:car combiẽ que le sang
ne peut mentir (comme on dit en prouerbe)
& qu'il povoit auoir vne affection telle enuers
son neueu pour le retirer, que cela ne
luy estoit point imputé à faute:si est ce neãtmoins
qu'en general il nous faut auoir ceste
reigle: Qu'il n'est point licite à homme qui
soit de prendre les armes. Il faut que Dieu
seul les donne. C'est luy qui arme( cõme dit
S. Paul)les Rois & les Princes. Et quãd il allegue
qu'ils ont droit & superiorité pour punir
les meschans, il dit,
Voila pourquoy ils
Rom.13.b.5.
portent le glaiue. Ce n'est pas qu'ils l'ayent
vsurpé à leur poste,& qu'ils le tiennẽt à l'appetit
des creatures. Il faut donc que Dieu
en soit l'autheur. Voila pourquoy i'ay dit,
que nul ne peut vser de force & de violence,
sinon qu'il ait authorité acquise de celuy à q͂
elle appartient. Partant il n'y a que les Rois,
les Princes & magistratz qui puissent prendre
les armes , & auec lesquels aussi on se
puisse conioindre. Voila vn article qui nous
doit estre resolu: car que seroit-ce, si chacun
se iettoit ainsi en cãpagne, s'il y auoit quelque
iniure faite? Il y auroit vne horrible cõfusion
par tout. Dauantage sainct Paul pour
nous tenir cõme bridez,& pour nous exhorter
Rom.12.d.19.
à patience, allegue ce qui est dit au Cantique
de Moyse,
C'est à moy que la vengeãce
Deut. 32. c. 35.
appartient,dit le Seigneur. Là dessus il conclud
qu'il nous faut donc donner lieu à ire.
Dieu s'attribue cest office de faire vengeance
s'il y a eu quelque excez & quelque malefice,
cõme c'est l'office de Dieu d'en faire la
punition:maintenãt si chacun s'en veut mesler,
& qu'vn hõme priué s'ingere pour se rebecquer,
il est certain qu'il despouille Dieu
de son honneur & de son droit, cõme s'il l'en
vouloit exclure. Afin donc que no
9 dõnions
lieu à ire:c'est à dire,que Dieu se mõstre nostre
protecteur & qu'il chastie nos ennemis,
qu'il prenne nostre guerre en main, il faut q͂
tous demeuriõs là tout quois. Car celuy qui
s'armera, despouille Dieu, cõme i'ay dit, de
la iuridictiõ laq͂lle il s'attribue pour la deffense
des siens. En somme, les persõnes priuées
ne se doyuent point seulement abstenir
de toute violẽce,mais aussi doyuẽt auoir vn
courage paisible pour souffrir quand il plait
à Dieu de les humilier:& ce pendãt, comme
[sainct] sainct Pierre nous exhorte, doyuent recommãder
1. Pier. 4. d. 19
leurs ames & leurs vies à celuy qui en
est & protecteur & possesseur. Cependant si
voyõs-nous qu'Abram a esté approuué ( car
Melchisedec en le benissant dit que ç'a esté
vne cõduitte de Dieu, que ceste victoire laquelle
luy a esté donnée ) Abram toutesfois
estoit hõme priué, il n'estoit Roy ne Prince:
mesme il habitoit en la terre de Canaan cõme
estranger.Mais nous auons à noter pour
le premier, qu'il estoit desia constitué Seigneur
& maistre de ce pais-la.Et combien q͂
la possession ne luy en fust pas encores donnée,
si est ce que le droit luy en appartenoit.
Car il auoit esté prononcé par la bouche de
Dieu,
Voyci ceste terre qui est tienne & à ta
Sus. 11.b.7, & 13. d. 15.
posterité. Abrã donc ne doit point estre mis
au rang des autres, veu que Dieu luy a testifié
qu'il luy dõnoit la possession de ceste terre-la,
combien qu'il n'en iouit pas.Il y a desia
ceste distinctiõ en Abram. Si on replique
que ce n'est pas assez qu'il eust le droit pour
le temps aduenir : là dessus encores nous auons
à noter que l'exemple, que nous lisons
ici,est sẽblable à celuy de Moyse.Car quand
Exod.2.b.12.
Moyse a tué l'Egyptien, le tẽps de la redemptiõ
du peuple n'estoit pas encores venu. Il
s'en falloit quarãte ans:& toutesfois Moyse
n'a pas laissé de faire vne execution du glaiue,
& ce n'est point de temerité & de folie,
car il en a eu approbation de Dieu. S. Estiẽne
Act.7.c.25.
notammẽt recite que Moyse pensoit que
ses freres cõgnussent que Dieu l'y auoit ordoné,
& que Dieu luy auoit assigné cest office.
Moyse donc declaroit qu'il ne s'ingeroit
pas de soy-mesme. Et de fait, quarante ans apres,
Exod. 3. d.11, & 13: & 4. a.1., &c. 10, &
d.13.
quand Dieu l'appelle, il s'excuse, il amene
toutes les raisons & les subterfuges
qu'il est possible pour se retirer de ceste cõmission.
En quoy il monstre qu'il n'auoit
poĩt fait cest acte,d'vne fole audace:& Dieu
en cela declaire qu'il auoit reserué son seruiteur,
en luy faisãt faire cest acte seul, pour
l'employer puis apres en choses plus grandes
quand le temps seroit venu. Ainsi donc
Dieu a peu donner pour vn coup cõgé & liberté
à son seruiteur Abram d'exercer puissance
de glaiue, combien qu'encores il ne
fust pas mis en possessiõ de la terre qu'il luy
auoit
pomise. Et puis il y a à noter aussi, que
Dieu donne souuentesfois à ses seruiteurs
des mouuemens singuliers , lesquels ne se
doyuent pas tirer en consequence. Le liure
des Iuges nous est vn beau miroer de cela:
car autãt que ce liure-la raconte de gens que
Dieu a suscitez pour secourir son peuple, ce
sont autãt de tesmoignages pour nous monstrer
qu'il n'y aura pas tousiours election notoire,
quand quelqu'vn sera armé du glaiue
& d'authorité. Gedeon a-il esté eleu? Il est
[bien] bien certain q͂ non. Samson nõ plus, ne tous
les autres. Il n'en faut point reciter ne trois
ne quatre :car cõme i'ay dit , tous ceux dont
il est là fait mẽtiõ, ont esté choisis de Dieu,
voire sans qu'ils y pensassent. Voila Gedeon
Iug.6.g.37.38.39.40.
qui doute & est en grande perplexité: il faut
que de Dieu luy soit donné signe euident de
sa vocation:il faut qu'il redouble quand il a
obtenu ce qu'il demandoit : encores ne luy
suffist il point. Nous voyons donc qu'il est
plein de timidité : mais Dieu l'a choisi & ordõné
Iug.7.c.7,& f.22.
à ce qu'il deliure son peuple, tellemẽt
qu'auec trois cens hommes il deconfit vne
grãde bande, voire vne grosse armée & puissante.
Tout ce qui nous est là recité n'est pas
pour en faire reigle generale. Ce seroit follement
argué à nous, & ce seroit vne badinerie
quand nous dirions, Voila Dieu qui a racheté
son Eglise de la tyrãnie des meschans
& incredules, par le moyen de Iephthé, par
Iug.11.f.33, & 13.14.15.16, & 7.
le moyen de Samson,par le moyẽ de Gedeõ,
& de leurs semblables : ainsi en sera-il donques
si nous voyons les enfans de Dieu estre
iniustement opprimez, il nous sera licite de
prendre les armes pour les secourir. Or cest
argument-la est trop cornu. Car il faudroit
que nous eussions l'esprit de ceux que nous
pretendons,c'est à dire, que no
9 eussions certitude
que Dieu nous appelle ainsi. Pourquoy?
car, cõme i'ay dit, ils ont eu des mouuemens
particuliers, cõme il y aura des priuileges
d'vne loy¦commune. Ainsi en toutes
choses il nous faut noter que quãd Dieu besongne
outre la reigle cõmune, qui est fondée
en sa parole, c'est vn priuilege qu'il ne
faut pas vsurper. Car il est à vn Roy ou à vn
conseil de donner certain priuilege à quelqu'vn,
& la raison qu'il aura euẽ me sera incognue:
si ie veux faire le semblable q͂ celuy
qui sera priuilegé, c'est comme m'attacher
à celuy qui l'auoit voulu separer du rang cõmun.
Car il faut laisser l'authorité qu'ont les
Rois & les magistratz de faire ce qu'ils cognoissent
estre bon pour la police: & ceste
discretion est raisonnable. Ainsi donc toutes
fois & quãtes que nous voyons que Dieu
a voulu suuenir à son Eglise par ceux qu'il
a ordonnez comme ministres de la redemptiõ
& du salut qu'il auoit appresté,cognoissons
que ce sont des actes singuliers, que la
main de Dieu y a passé, & que ceux-la ont esté
choisis de luy:qu'ils ont esté armez de son
authorité & de sa puissãce. Mais de dire que
chacun s'auance à en faire autant, ce seroit,
comme i'ay dit, vne horrible cõfusion, Voila
donc ce que nous auons à retenir quant
à ce qui est ici recité d'Abram, cest assauoir
que Dieu desia luy a voulu donner quelque
enseigne que ce n'estoit pas en vain qu'il
l'auoit constitué seigneur & maistre du pais
[de Ca-]
de Canaan: & puis en ceste victoire il luy a
dõné aussi quelque petit goust que ses successeurs
deuoyẽt entrer en la terre : & quelq͂
force qui s'y opposast, qu'ils ne seroiẽt point
empeschez d'auoir victoire par tout. Car cõbien
que l'armée de ces Rois dont fut hier
parlé, ne fust pas de trente ou de quarante
mille hõmes,tant y a qu'Abram auoit seulement
ceux de sa maison, trois cens & dixhuit
seruiteurs.Or de dire qu'ils fussent aguerriz,
ce seroit vne mocquerie:d'autant qu'Abram
n'auoit iamais esté en guerre,il ne sauoit que
c'estoit de manier espée ny bouclier. Touchãt
de ceux qui estoyẽt alliez auec luy, tant
s'en faut que cela luy deust dõner plus grande
fiance, que c'estoit pour le faire craindre
dauãtage. Car ils pouuoyẽt alleguer, Cest estrãgier
icy no9 viendra ruiner tous: car voila
quatre Rois q͂ ont esté victorieux, ils ont
pillé Sodome & Gomorrhe & les villes voisines ,
& nous viendrons nous ruer sur eux?
c'est cõme si nous voulions perir à nostre escient.
Abram donc se voyant cõme destitué,
deuoit quant à l'opinion commune plustost
se tenir quoy. Et de prime face c'estoit vne
grãde folie à luy,d'armer trois cens dixhuit
seruiteurs:& luy q͂ estoit vn poure vieillard,
faire office de capitaine : luy qui iamais n'auoit
seu que c'estoit de guerre ny de bataille,
cõme nous auons dit,& ne l'auoit voulu
sauoir, & cependant qu'il se iecte à l'abandon.
Mais tant plus deuõs-nous obseruer ce
que i'ay touché,c'est assauoir que Dieu luy a
voulu monstrer par cela, quand il voudroit
mettre en iouissance de la terre ses successeurs,
qu'il n'y auoit nulle difficulté, puis
qu'il luy donnoit vne victoire si notable : ce
qu'on n'eust iamais creu, quand on en eust
voulu iuger selon le sens humain. Voila dõc
en somme ce que nous auons à retenir quant
à ce poinct, où il dit qu'Abram a armé ses seruiteurs.
Nous voyons cõme Dieu luy a dõné
prudence , encores qu'il ne fust exercé aux
armes ny rusé en façon que ce soit: si est-ce
neantmoins qu'il surprend ses ennemis,& se
rue sur eux de nuict, voire alors qu'ils pouuoyent
estre à leurs aises, & apres auoir bien
beu, mangé & gourmãdé:mesmes qu'ils pensoyent
estre bien asseurez, qu'ils auoyent eu
la despouille de Sodome & Gomorrhe. Or
nous sauons qu'en telles victoires il se commet
beaucoup d'intemperances & de dissolutions.
Abram donc a bien ceste astuce de
surprẽdre ses ennemis:& toutesfois si est-ce
qu'il deuoit estre estõné de ce q͂ estoit aduenu,
& de ce qu'il auoit veu les ennemis auoir
telle victoire. Et quand il vient là soudain &
se haste, ces choses-la ne se font par sans tumulte:
mais Dieu le gouuerne par son Saĩct
Esprit. De là cognoissons que Dieu voulut
[besongner]
besongner par luy:& non seulemẽt en faueur
de Lot, mais afin qu'il cognust q͂ la promesse
n'estoit pas vaine ny friuole, quand Dieu
luy auoit dõné la maistrise & superiorité sur
tout le pais de Canaan. Voyla en somme ce
que nous auons à retenir. Il est dit cõsequement,
que (LE ROY DE SODOME est venu
au deuant de luy) qui est pour magnifier la
grace de Dieu enuers Abram. Car desia nous
auons allegué le passage d'Ezechiel,ou il est
16.f.49.
dit que ceux de Sodome estoyent pleins de
fierté,& que ç'a esté la source de toutes les enormitez
qui ont prouoqué la vengeance de
Dieu pour les exterminer du tout. Or quelq͂
orgueil qu'il y ait eu au Roy de Sodome, si
vient-il faire hõmage à Abram, cognoissant
qu'il luy doit toute sa vie & tout sõ pais. En
cela donc voyons-nous cõme Dieu a cõduit
tout cest affaire,& cõme il a benit son seruiteur
Abram. Il est vray qu'il eust beaucoup
mieux aymé ne bouger de sa tente,& de ne se
poĩt mettre en tel peril & hazard: mais Dieu
luy a tendu la main, & a voulu qu'il experimẽtast
sa vertu & son secours au besoin. Cela
par cõsequent a beaucoup profité à Abrã:
car s'il fust demeuré en sa maison sans auoir
cogneu vne telle defense de Dieu, il est certain
qu'il ne pouuoit estre si bien confermé
comme il a esté depuis. Nous voyons donc
quand Dieu nous enuoye quelques afflictions,
combien qu'elles soyent dures & fascheuses
à porter du cõmencement , tant y a
qu'à la fin l'issue no
9 en est vtile & profitable
Rom.5.a.4.
pour nostre salut.
Car patience engẽdre probation,
dit S. Paul. Afin que cognoissons
par effect qu'alors Dieu nous a secouruz : &
quand nous le cognoissons,nous soyons cõfermez
Esa. 49. g. 24.
de plus en plus pour esperer en luy.
L'esperance ne nous fait iamais honte, car
celuy qui a son recours à Dieu ne se trouuera
iamais cõfus. Ainsi dõc nous voyons que
nous ne nous pourrons tenir quois & paisibles,
iusques à tant que Dieu nous monstre
pourquoy il nous a affligez,& que cepẽdant
il nous face sentir que c'est pour nostre bien,
& q͂ par consequent nous auons occasion de
le benir & l'inuoquer auec plus grãde certitude.
Voila ce que nous auons à obseruer
sur ce poinct.Or Moyse dit que le roy de Sodome
est venu au deuant d'Abram,il adiouste
puis apres, (que MELCHISEDEC ROY
de Salem a aussi offert du pain & du vin.) Et
d'autant qu'il estoit sacrificateur du Dieu
souuerain,qu'il a benit Abram:& qu'Abram
luy a dõné les decimes de toute la depouille.
Voyci vne histoire notable s'il y en a en toute
la saincte Escriture:& non seulement vne
histoire,mais ça esté vne image viue pour representer
nostre Seigneur Iesus Christ, cõme
il en est parlé au
Pseau. 110. Car ce n'est
[point] point sans cause qu'il est là dit que Dieu a
iuré, & qu'il ne s'en repentira point, que le
serment solennel qu'il a fait sera immuable:
c'est assauoir que Iesus Christ est Sacrificateur
selon l'estat de Melchisedec. S'il n'y
auoit que l'histoire, voicy Melchisedec qui
est bien nommé sacrificateur de Dieu: mais
quoyqu'il en soit, si n'est-il point pareil en estat
auec Abrã, il s'en falloit beaucoup. Car
il sera dit ci apres qu'Abram est pere de tous
fideles & de toute l'Eglise , & que tous ceux
qui sont enfans de Dieu, doyuent estre enfans
spirituels de luy. Il falloit dõc que Melchisedec
en vne sorte fust son inferieur. Tãt
y a que Moyse luy attribue dignité par dessus
Abram, comme l'Apostre le traitte & le
Heb.7.a.4.5.6.7.
deduit tresbien, ainsi que nous verrons. Aucuns
ont estimé que ce fust Sem:mais il n'y a
nulle verisimilitude en cela. Et qu'ainsi soit,
Abram eust-il si longuemẽt attẽdu de veoir
le patriarche Sem, dont il estoit descendu?Il
n'y a nulle doute qu'au premier coup il ne se
fust adressé à luy,& que mesme il n'eust habité
en sa compaignie:car il estoit Roy de Salem.
Et Abram se pouoit venir renger sous
son vmbre, mais il a tracassé par toute la terre:
& cependant nulle mention de Melchisedec.
Dauantage ce n'est point sans cause que
l'Apostre note que Melchisedec a esté sans
pere & sans mere,sans origine & sans fin, cõme
vn homme qui seroit descendu du ciel,&
qui seroit immortel.Non pas que Melchisedec
n'aye esté du rang & du nõbre des hommes:
mais l'Apostre veut signifier qu'il est introduit
cõme s'il
nauoit iamais eu naissãce.
On ne sait de quel pere il est engendré, ne de
quelle mere il est descendu: on ne sait rien
de son lignage ny de toute sa vie: & puis il
n'est point parlé de son trepas: & mesmes il
est sacrificateur du Dieu viuãt. Cependãt il
se monstre ,& puis tantost il se cache,& s'enseuelit,
& ne sait-on commẽt & en quel tẽps.
Là dessus l'Apostre mõstre qu'il a esté figure
de nostre Seigneur Iesus Christ, lequel cõbien
qu'il soit Fils eternel de Dieu , toutefois
n'a point de pere à la façon commune,
d'autãt que son essence diuine est spirituelle
& eternelle:& aussi qu'il a esté cõceu miraculeusement
du Sainct
Espit outre l'ordre de
nature. Et cõbien qu'il soit mort,toutefois
si est-ce que sa vie est permanente:& mesmes
il nous a acquis vie à tous,quand il a voulu
mourir pour nous.Il est donc sans cõmencement
& sans fin:sans cõmencement, pource
qu'il est Dieu eternel:& sans fin, d'autant q͂
nous auons eternité en luy, ainsi qu'il est dit
Isaie 53.c.8.
au prophete Isaie, Qui est-ce qui racontera
la lignée qui viendra de luy?L'Eglise est immortelle
en la vertu de nostre Seigneur Ies
9 Christ:luy dõc par plus forte raison est sans
[fin.Mais] fin.Mais cela sera traicté plus au lõg:maintenant
nous le touchons en brief,pour monstrer
q͂ ce n'a point esté Sem. Et voyla pourquoy
aussi notãmẽt Dauid accõpare le Redempteur
Pseau. 110.
qui deuoit venir, à Melchisedec.
Or deuant que passer outre, notõs que ç'a esté
vne grace admirable de Dieu, q͂ Melchisedec
se soit ainsi maintenu en pureté, veu q͂
toute la terre estoit lors pleine d'idolatries:
car la maison du pere d'Abrã estoit vne cauerne
d'idoles, cõme nous l'auons allegué ci
dessus, & que le sainct Esprit le testifie par
Ios.24.a.2.
la bouche de Iosué.Puis dõc que tout estoit
ainsi corrõpu au pais de Chaldée , qui estoit
plus prochain de l'habitation de Noé, où il
auoit tousiours vescu, q͂ là aussi estoit Sem
& ses semblables: puis que desia le diable auoit
peruerti & fouillé le seruice de Dieu de
tant de polutiõs, cõmẽt est-il possible qu'en
la terre de Canaan,là où le peuple est malin,
là où il n'y a qu'impieté & mespris de Dieu
& rebellion,où il n'y a qu'iniquitez, tromperies,
fraudes, cruautez & violences, il y ait
neantmoins vn sacrificateur du Dieu viuãt?
En cela nous voyons cõme Dieu a quelque
fois son Eglise cachée souz terre,par maniere
de dire,& qu'elle n'est point cognue selon
l'opinion des hõmes:mais c'est assez q͂ Dieu
la cognoist. Nous auons donc tesmoignage
de ceci en Melchisedec. On eust peu estimer
qu'il n'y auoit point alors vn seul hõme qui
adorast Dieu puremẽt & en simplicité: car si
le grãd pere d'Abram & tout son parentage
ont esté adonnez à erreurs diaboliques, &
qu'ils ayent serui les idoles, que pouuoit-ce
estre du reste? On eust dõc iugé que l'Eglise
de Dieu estoit pleinement abolie : mais on
veoit cõme il en a gardé quelq͂ petite semẽce,
quand il a voulu que Melchisedec fust
ainsi sacrificateur, voire en vn pais qui estoit
plus plongé en toutes iniquitez, que les autres.
Or il nous faut appliquer ceci à nostre
vsage:car c'est vne tentatiõ bien perilleuse,
quand nous estimõs que Dieu n'ait plus d'Eglise
au mõde:car il faudroit que sa promesse
fust vaine & frustratoire. Et puis quãd vn
hõme cuide estre seul , il se debauche & s'anonchalit,
iusques à ce qu'il tombe en desespoir:
comme nous voyons qu'Elie en a esté
1. Rois 19. b.10.
prochain quand il alleguoit,
Et que sera-ce
plus? Car ils ont tué tes Prophetes, & ont
dressé leurs idoles partout,& ie suis demouré
moy seul. Il estoit là cõme vn poure homme
effrayé, estãt prest de trebuscher en vn abysme.
Mais quoy? Dieu le cõsole, & luy dit
qu'il en a encores sept mille, c'est à dire vn
1. Rois 19. c. 18.
grand nõbre, lesquels il a reseruez à soy, qui
n'ont point fleschi le genouil deuant Baal.
Ainsi donc, cõme i'ay dit, nostre foy seroit esbranlée,
voire abatue du tout, si nous auions
[cela]
cela persuadé, q͂ Dieu eust tellement delaissé
le monde, qu'il n'y eust plus nulle Eglise,
Partant apprenons de ne point iuger selon
la veuẽ de nos yeux s'il y a Eglise,ou non:
mais plustost renonçons à tous regards, par
ce que no9 sõmes aduertis que Dieu en aura
souuent quelque petite semence cachée:cõme
le grain n'apparoit pas quand il y aura
vn grand monceau de paille, cela couure le
grain qui est en petit nombre. Ainsi donc
quelque fois, il semblera bien que tous les
fideles soyent exterminez d'icy bas : mais
Dieu a des moyens incomprehẽsibles pour
maintenir les siẽs.& faut qu'il soit tousiours
adoré & serui, nõ pas qu'il faille cercher l'Eglise
en grande multitude ny en grand bande,
qu'il y ait ny lustre ny pompe: mais qu'il
nous suffise que Dieu cognoit les siens. Et
ainsi departons-nous de toute iniquité, afin
que nous puissions reclamer son nom, & que
nous soyons conioincts auec ceux qui nous
sont freres, combien qu'ils nous soyent incognus:
car cela depend de l'adoption de
Dieu, quand il nous testifie par le Sainct
Esprit qu'il a grand nombre de fideles , & si
n'est point besoin que no9 les cognoissions.
Pour ceste cause il veut qu'ils soyent dispersez
ça & là, & que mesmes ils n'ayent nulle
reputation deuant les hommes : mais qu'ils
soyent gens contemptibles & mesprisez,
brief,qu'on n'en cognoisse rien,nõ plus que
s'ils estoyent mis sous les pieds. Voila donc
pour vn item:& cependant nous auõs aussi à
recueillir vne exhortatiõ de ce passage, c'est
de ne point suyure la plus grãde cõpaignie.
Car Melchisedec se pouuoit adonner à idolatrie
comme les autres , s'il eust regardé ce
qu'ils faisoyẽt. Tout à l'enuiron il n'y auoit
q͂ polutiõ du seruice de Dieu,tant y a neantmoins
qu'il continue en ce qu'il cognoist estre
bon & droit,selõ que Dieu l'a enseigné.
Il n'auoit nulle loy escrite: mais Dieu luy auoit
donné cognoissance, tant par Noé que
par Sem, de ce q͂ estoit necessaire à salut. Or
si vne instructiõ si petite qu'a peu auoir Melchisedec,
l'a maintenu constãment en la pureté
de la Religion,quelle excuse aurons no9
quãd Dieu se ramẽtoit assiduellement à nos
aureilles, qu'il y a la Loy qui no9 mõstre cõme
il veut estre adoré & serui , qu'il y a les
Prophetes qui no9 en sont expositeurs, qu'il
y a l'Euãgile, qui est vne trompette qui doit
non seulement entrer en nos aureilles, mais
percer toutes nos pẽsées & affections? Quãd
donc Dieu a tant de moyens pour nous retenir
en la pureté de son seruice, si nous en declinons ,
& que les hommes nous trãsportẽt:
& sous vmbre que nous verrons qu'vne telle
coustume a la vogue, qu'en vn tel abus regne,
qu'il est receu & accepté, que nous venions
[nions]
nous mesler parmi les incredules & idolatres:
quelle condãnation sera-ce à nous,
veu que Melchisedec a persisté en telle constance
& fermeté de la foy? Ainsi donc apprenons
d'auoir nos yeux dressez à Dieu,nos aureilles
cõme attachées à sa parole,& tous nos
sens attẽtifs, afin de ne iamais estre destournez,
combien que nous soyons agitez icy bas
cõme en vne mer,& que les vents & tourbillons
soufflent: & quand il y aura vn peuple
qui tiendra vne religiõ, qu'il y aura vn grãd
Roy qui voudra qu'on se gouuerne ainsi &
ainsi,apprenons neãtmoins de tousiours no9
tenir à Dieu seul, & qu'il nous suffise , pour
faire que nous ne declinions iamais du chemin
qu'il nous a monstré par sa parole: & q͂
la clarté de la Loy & de l'Euãgile soit tousiours
deuãt nous,& que nous n'erriõs point,
quand nous saurõs que Dieu est nostre conducteur.
Voila donc ce que nous auons à retenir
quant à l'exemple de Melchisedec. Or
venons maintenant au texte de Moyse: il est
dit que(MELCHISEDEC ROY DE SALEM
a offert pain & vin, & estoit sacrificateur du
Dieu viuãt,& a benit Abram.) Il faut resouldre
ce texte: que Melchisedec,entant qu'il estoit
Roy, a receu Abram,& luy a dõné pain
& vin pour la refection de luy & de sa compaignie:
& en qualité de sacrificateur , qu'il
l'a benit,& qu'Abrã aussi luy a donné les decimes
de toute la despouille. Voici donc
Melchisedec qui nous est mis en auant Roy
& Sacrificateur. Et no
9 faut bien distinguer,
pour prendre les actes diuers selon les offices:
car comme desia nous auons touché,entãt
qu'il estoit Roy: il a exercé liberalité enuers
Abram:il l'a repeu auec sa bande: & entãt
qu'il estoit Sacrificateur il a benit Abrã.
Or c'estoit vne chose assez cõmune entre les
anciens,qu'vn Roy fut sacrificateur:comme
aussi les gens profanes monstrent que cela a
esté en vsage en beaucoup de pais. Car les
Roys ne se contentans pas de leur estat,appetoyent
aussi par ambition d'estre sacrificateurs,
pource qu'il leur sembloit qu'il y auoit
là vne dignité plus sacrée qu'en la maiesté
royale. Et voila pourquoy ils se sont
faits sacrificateurs souuent. Et de fait nous
voyons que cela a esté appeté auec grandes
brigues,& que ceux qui auoyent credit & reputation,
se sont tousiours voulu auãcer en
cest endroit:mais quoy qu'il en soit,si est-ce
que Moyse recite cecy comme singulier, de
Melchisedec. Cependãt si voyons nous que
Dieu a discerné l'vn d'auec l'autre en sa Loy
& n'a point voulu qu'vne seule personne
eust les deux. Moyse a esté aussi excellent en
toute perfectiõ de vertus que iamais il y eut
Exod. 28. a. 1
homme né au mõde: & neantmoins si est-ce
que Dieu ne l'a point voulu auoir pour Sacrificateur,
[crifica-] mais son frere Aaron, d'autant
que Moyse estoit assez empesché au gouuernemẽt
qu'il soustenoit. Et de fait no
9 voyõs
comme Osias a esté puni:car estant Roy il est
2. Chro.26.d.21.
meu de ceste fole arrogance, qu'il veut aussi
vsurper la sacrificature: & seulement pour auoir
fait le perfum à l'autel, il est frappé de
lepre, mis en ignominie, & reclus pour toute
sa vie.Et si semble il qu'il y ait quelque deuotion
bonne, ou pour le moins qu'il fut à
excuser. Voire mais Dieu ne punit point seulement
ce qui apparoit: car il a cognu l'orgueil
du Roy Osias. Et puis il est dit qu'obeissance
1. Sam. 15. c. 22.
vaut mieux que tous sacrifices. Et
d'autant qu'il s'est ingeré contre la deffense
de Dieu,& qu'il a troublé la vocation & l'ordre
qui deuoit estre inuiolable:voila pourquoy
il est puni: & selon qu'il ne s'est point
cõtenté de son degré, il faut qu'il soit rendu
comme infame & detestable, & separé de la
compaignie des hommes. Ainsi nous voyõs
qu'en la Loy ç'ont esté deux choses incompatibles,
q͂ le royaume & la sacrificature. Puis
qu'ainsi est donc,il faut cõclure qu'il y a icy
vn exemple singulier,& qui n'appartiẽt poĩt
à la Loy.Il est vray qu'en ce temps-la la Loy
n'estoit poĩt encores escrite, & la lignée de
Leui n'estoit pas encore au monde,pour auoir
le droit de la dignité sacerdotale:mais
tãt y a que cest exemple ici nous est demonstré
pour instructiõ,afin que la Loy demeure
en sa vigueur,& que l'Eglise en soit edifiée,
cõme il appert par le Pseaume que nous
Pse.110.
auons allegué. Il faut donc conclure qu'il
n'est point parlé ne de Salomon, ne de quelque
autre Roy descendu de la race de Dauid:
car s'ils estoyent Roys, il falloit qu'ils s'abstinsent
de la sacrificature, ou autrement ils
estoyent apostats. Pourtant quand il est dit
q͂ l y aura vn Roy à la figure de Melchisedec,
& selon son ordre & son estat: cela monstre
qu'il n'estoit point parlé de toute la race de
Dauid, qui est descẽdue de luy selõ la chair,
sinon iusques à ce que nous venions au souuerain
Sacrificateur qui est nostre Seigneur
Iesus Christ. Il est bien vray qu'il est fils de
Dauid & de sa semence:mais il y a en luy vn
regard special, voire vniq͂: c'est qu'il met fin
à la sacrificature legale, d'autant qu'il a son
royaume spirituel:c'est aussi pour mettre fin
à cest Empire terrien, qui auoit esté establi
pour vn tẽps, & iusques à sa venue. Or quãd
il est nõmé Perpetuel:c'est qu'il a cõtinué en
la personne du Redempteur. C'est donc ce q͂
nous auons à obseruer sur ces motz de Moyse,
quand il dit que Melchisedec a esté Roy
de Salem, & qu'il a esté quant & quant Sacrificateur.
Voila deux offices qui n'appartiennent
sinon à nostre Seigneur Iesus Christ, selon
que Dieu en a dõné la reigle en sa Loy:
[& ainsi] & ainsi il ne nous faut point douter que ce
n'ayt esté la sacrificature de Iesus Christ,qui
a desia esté monstrée à Abram:afin que sa foy
fust cõme sellée,& qu'elle fust mieux confirmée
par ce moyen. Car cependant q͂ le corps
ne s'est point monstré, il falloit qu'il y eust
quelques vmbrages pour le moins. Ainsi les
Peres ont eu cela pour soustenement de leur
foy,attendant que Iesus Christ apparust. Ils
ont eu(di-ie) des vmbrages & figures. Et cõbien
que cela ne no
9 soit point cõmun auec
eux:toutesfois si nous est-il bien vtile. Car
nous pouons recueillir que Iesus Christ n'a
pas esté enuoyé à la haste, & q͂ Dieu ne s'est
point aduisé pour vne minute de temps de
nous le donner pour Redempteur: car desia
il auoit la verité de Redempteur , combien
qu'il n'eust point vestu nostre nature, & cõbiẽ
qu'il ne fust point encores manifesté, &
que l'Euangile aussi ne fust point publié.
De là no
9 voyons que la foy que nous auons
auiourd'huy s'estend au long & au large. Et
que l'Euãgile a esté de tout temps , en sorte
que les Peres anciens ont esté fondez sur nostre
Seigneur Iesus Christ, & que l'esperãce
de leur salut estoit là:brief c'est vne aide qui
n'est point à mespriser. Mais quand nous ferõs
cõparaison des ombrages auec le corps,
nous verrõs que nostre cõdition est plus desirable
Luc 10. c. 24.
que celle des Peres.Et voila pourquoy
aussi il est dit, q͂ bien-heureux sont les yeux
qui voyent ce que les disciples ont veu:car
plusieurs Rois et Prophetes ont eu vn zele ardent
de iouir d'vne telle vision,& toutesfois
ils n'ont pas obtenu ce qu'ils demandoyent:
mais ils se sont contentez d'auoir vne certaine
fiãce, que la promesse de Dieu s'accompliroit
en temps opportun:comme nous verrõs
Genes. 49.c.18.
puis apres q͂ Iacob en trespassant dit, Ie verray
ton salut Seigneur,& ie m'y confie. Ainsi
donc quand nous faisons vne telle comparaison,
nous auons bien dequoy estre fortifiez,
& despiter tout ce que le diable pourra
mettre en auant, pour nous diuertir de la pureté
de l'Euangile : & nous deuons estre tant plus
incitez à embrasser nostre Seigneur Iesus
Christ , puis qu'il a apporté la pleine & parfaicte
verité de ce qui a esté figuré en la
Loy. Voyla donc comme nous deuons faire
nostre profit de ce passage. Quant au siege
de Melchisedec, il est bien vray semblable
que c'estoit Ierusalem, qui a esté ainsi nommée
depuis: mais il y a eu vn mot composé
Iebusalem, à cause des Iebusiens qui auoyẽt
occupé ce lieu-la. Quoy qu'il en soit, ç'a esté
la ville en laquelle Melchisedec a esté, & la
où Iesus Christ aussi a exercé sa sacrificature
non seulement en preschant l'Euangile,
mais quand il a esté crucifié pour nous, &
qu'il a esté offert en oblation sacrée à Dieu
[son]
son Pere , afin de nous reconcilier à iamais,
& afin de faire purgation de tous nos pechez.
PRIERE.
Or nous nous prosternerons deuãt la maiesté
de nostre bon Dieu,en cognoissance de
nos fautes:le priant de nous receuoir à merci.
Et voyant que nous sommes condamnez
quãt à nous, que par le moyen de celuy qu'il
nous a donné pour Redempteur,nous soyõs
releuez de la malediction, en laquelle nous
serions plongez, sinon qu'il y remediast par
sa bonté infinie:& que comme il nous a tendu
la main pour nous attirer à nostre Seigneur
Iesus Christ , qu'il nous conferme de
plus en plus en telle perseuerãce de foy, que
nous adherions à luy, & que nous n'en soyõs
iamais destournez par nulles tentations de
ce monde. Et que plus tost nous bataillions
cõtre tous les alarmes que Satan nous dresse,
iusques à ce que nous parueniõs à ce Royaume
eternel qui nous a esté appresté deuãt
la creatiõ du monde, & qui nous a esté si cherement
acquis. Que non seulement il nous
face ceste grace,mais à tous peuples,&c.
FIN