SERMON II.
Des banquets qu'a fait Assuerus, depuis le troisieme
verset iusques au 10.
3 L'an troisieme de son regne, il fit vn
festin à tous les principaux Seigneurs de
ses pais, & à tous ses seruiteurs, tellement
que la puissance de Perse & de Mede, assauoir
les plus grands seigneurs & gouuerneurs
des prouinces estoyent deuant lui.
4 Pour monstrer les richesses de la
gloire de son royaume, & la splendeur de
l'excellence de sa grandeur, & ce par plusieurs
iours, assauoir cent quatrevingt
iours.
5 Et quand ces iours là furent finis, le
Roy fit vn festin par sept iours au paruis
du iardin du palais Royal, à tout le peuple
qui se trouua en Susan ville capitale,
depuis le plus grãd iusques au plus petit.
6 Les tapisseries de blãc, de verd & de
[pourpre]
pourpre tenoyent auec des cordes de fin
lin & d'escarlate à des aneaux d'argent, &
des piliers de marbre : les licts estoyent
d'or & d'argent sur vn pauement de porphyre,
de marbre, d'albastre & de marbre tacheté.
7 Et on bailloit à boire en vaisselle
d'or, qui estoit de diuerses façons, & y auoit
du vin Royal en abondance selon la
puissance du Roy.
8 Et la façon de boire fut telle qu'on
auoit ordonné, on ne contraignoit personne.
Car le Roy auoit ainsi expressément
commãdé à tous ses maistres d'hostel,
qu'ils fissent selon la volonté d'vn
chacun.
9 Pareillement Vasçti la Royne fit le
festin des femmes en la maison1 Royale
qui estoit au Roy Assuerus.
Nous auons ici le recit de tres-somptueux festins,
soit qu'on regarde la personne de celui qui les
fait, soit le nombre des cõuiez, soit du temps qu'ils
durent, soit de tout l'appareil, où il n'y a que magnificence
Royale. La fin de ce recit n'est pas pour
nous amuser à regarder ceste somptuosité & despẽse
excessiue d'vn oisif, mais pour nous mõstrer
l'occasion, par laquelle Vasçti a esté repudiée,
& Ester poure fille captiue mise en sa place, Dieu
se preparant l'instrument duquel il s'est serui, pour
secourir son Eglise deuant qu'elle fust en danger. Il
est parlé de trois sortes de festins. Le premier fait
pour tous les grãds seigneurs de l'empire qui dure
demi an, l'autre où sont aussi conuiez tous les habitans
de Susan, qui dure sept iours, le tiers que faisoit
Vasçti de son costé aux femmes. Surquoi nous
auons en premier lieu à cõsiderer l'appareil, & puis
la fin de toute ceste sumptuosité, & au troisieme
lieu remarquer quelque chose sur chacun de ces
festins.
L'appareil est descrit dés la fin du 5. verset iusques
au 9. Et premierement le lieu où le Roy donnoit
le festin aux seigneurs de tout le royaume &
à tout le peuple de Susan : c'estoit au paruis du iardin
de la maison Royale. Il falloit que ce paruis fust
grand & ample, pour receuoir & festoyer si grande
compagnie. Dont on peut recueillir en quelle saison
de l'année commença le festin, assauoir, à l'entrée
du Printemps, puis qu'on banquetoit dehors,
& c'estoit en l'an troisieme du regne d'Assuerus.
Le paué de ce paruis estoit beau & riche à merueilles
estant fait & bien compassé de marbre, de porphyre,
d'albastre, de marbre tacheté. Porphyre &
albastre sont especes de marbre exquis. La tente &
tapisserie n'estoit moins riche & precieuse, soit
pour l'esgard de la matiere, soit pour l'esgard de diuerses
couleurs de blanc, de vert, de pourpre ou
hyacinte. Car puis que les cordes estoyent de fin
lin, qui estoit plus precieux que nulle soye attachée
à aneaux d'argent és piliers de marbre, il est à presumer
que la matiere des tentes & tapisseries, n'estoit
qu'or & broderie de choses les plus exquises.
Les licts aussi sur lesquels estoyent rangez de ce
temps là les conuiez pour bãqueter n'estoit qu'or,
le vin tresexquis de toutes sortes, en tresgrande abondance,
& vaisseaux d'or à rechange, & de diuerses
façons pour le boire, dont on peut estimer que
la despense n'estoit pas moindre en tous les mets
[& ser-]
& seruices, soit pour l'esgard des viandes delicieuses,
soit pour la vaisselle où elles estoyent seruies.
Toutes lesquelles choses ne sont à blasmer de
leur nature, car ce sont dõs de Dieu & bõnes creatures,
desquelles on peut bien vser, selon ce que dit
S. Paul. Tout ce que Dieu a creé est bon, & riẽ n'est
1. Tim. 4.
à reietter qui se prend auec action de graces. C'est
l'excez, l'intemperance, l'orgueil, l'ambition & l'ingratitude
qui corrompt le legitime vsage de ces
bonnes choses, desquelles l'homme fidele vsera en
bonne conscience, rendant graces à Dieu de sa liberalité
& largesse, s'esleuant par la veuë des richesses
& delices terriennes en la cõsideration des
celestes & eternelles, & conclura ainsi en soi-mesme.
Si tels sont les biens que Dieu donne si largement
ici bas, mesmes aux infideles, quelle sera l'abondãce
des biens & delices qu'il appreste au ciel
pour ses esleus ? comme il est dit qu'il y a des torrẽs
Pse. 36.
Pse. 31. de plaisirs : & que nul ne peut comprendre les biens
que Dieu a preparez à ceux qui le craignent. Et
ainsi les yeux de l'homme fidele, & ses sens ne seront
point esblouis du lustre de ce qu'il voit, touche,
& gouste ici bas, sachant qu'il y a des biẽs trop
plus grands à la iouissance desquels nous sommes
conuiez. Vrai est qu'au milieu de telles delices &
abondance, la temperance est en grand dãger. Car
il est aisé de passer mesure & s'y esgayer par trop.
Pourtant les fideles doiuent plus estre sur leurs
gardes lors qu'ils sont appellez aux grands banquets.
Mais la loi & reiglement que le Roy donne
& fait expres pour le boire, à ce que nul ne
soit contraint de boire qu'à la soif & à son gré est
bien à louër. Car il n'a voulu que sa maison fust
vn eschole d'intemperance, & que par l'excez
qui se fust fait au boire, tout fust rempli de desordre,
insolence & vomissemẽt, qui sont les effects
de l'yurongnerie. Et ce Roy Payen condamnera
ceux qui se disans Chrestiens, n'ont presques autre
exercice, que de forcer soi & les autres a boire &
yurongner iour & nuict, comme cela se fait en Alemagne,
& en plusieurs lieux de la France. Toutesfois
il appert par ceste ordonnance, que ceste mauuaise
coustume estoit desia en vsage entre les Perses,
qui auoyent esté autresfois si sobres & moderez
en leur boire, & en tout leur viure : tant il est aisé
d'apprendre les mœurs vicieux des autres, & se
plonger en intemperance. Voila quant au lieu &
appareil du festin.
La fin pourquoi le Roy vsoit de telle magnificence,
„ est declarée au verset 4. Pour monstrer les
„ richesses de la gloire de son royaume, & la splendeur
„ de l'excellence de sa grãdeur. En quoi se voit
l'orgueil & folle vanité de ce tant puissant monarque,
qui abusoit des dons de Dieu pour son ambition,
sans lui en faire aucun hommage & recognoissance.
Car quelle vanité est-ce, faire monstre des
biẽs que les autres auoyent acquis par leur trauail
& vertu, & qu'il ne prenoit que de la main de ses
suiets ? Ce n'est pas mal-fait aux Roys & aux autres
qui ont des moyens de faire quelque fois de
grands banquets, mais la fin en doit estre autre,
que de faire par ce moyen vne mõstre orgueilleuse
de ses richesses : c'est de tesmoigner sa charité par
vne honneste liberalité, entretenir l'vnion & la
concorde entre plusieurs, attirer par tels bienfaits
l'amitié des hommes, pour mieux s'en seruir, quãd
il sera temps en choses honnestes, & bref pour inciter
les hommes par telle largesse a benir & louer
Dieu, qui est auteur de tous tels biens : & qu'ainsi
nos banquets lui soyent dediez par prieres & actiõs
de graces. C'est poure chose quand vn grand Roy
[ne]
ne sçait autre moyen de faire voir sa grandeur &
magnificence, qu'en faisant des banquets excessifs.
Car il y a beaucoup d'autres choses, où il la
peut mieux faire voir, & auec plus de fruict, tãt pour
soy que pour ses suiets, sçauoir est, en mettant vn
bõ ordre par tout, faisant regner les loix, establissant
bonne iustice, soulageant son peuple de tailles, imposts
& subsides, reiglant bien les gens de guerre, &
vsant de liberalité Royale a propos enuers ceux qui
le meritent. Ici se faut souuenir de ce que dit nostre
Luc 14.
Seigneur : c'est, que quand on veut faire des bãquets,
qui vienent en conte deuant Dieu, il faut appeler
non les riches, mais les poures, car il y a en cela vne
pure liberalité. Et encores se faut il garder, que quelque
leuain d'hypocrisie des Pharisiens, qui font toutes
leurs œuures pour estre veus, ne s'y mesle. Faut
noter au reste, que quand les Roys ont mis grande
peine à leuer grande somme de deniers sur leurs suiets,
qu'ils ne prennent plaisir qu'à les consumer en
despenses vaines & superflues, se donnant quasi plus
de peine à les dissiper & perdre, qu'il n'y a eu à les
recueillir & amasser. Et voila quant à la fin pour laquelle
Assuerus faisoit ses festins. Il a peu auoir
quelques autres egards, mais l'Escriture se contẽte
de remarquer cestui seul qui luy a esté le principal,
& c'est quant au general tant pour l'appareil des festins,
que pour la fin d'iceux.
Voyons ce qui est à remarquer sur vne chacune
sorte de ces festins. Le premier qui continue cent
quatre vingts iours, c'est à dire vn demi an tout entier,
est fait à tous les principaux seigneurs de son
pays & à tous ses seruiteurs, c'est à dire, officiers de
sa couronne, tellement que la puissance de Perse &
de Mede, assauoir, les plus grands seigneurs & gouuerneurs
des prouinces estoyent deuant luy. Ceci
monstre vne profonde paix qui estoit en tout son
empire, car il n'eust ainsi retiré de toutes les prouinces
ses gouuerneurs pour les festoyer, s'il eust eu
guerre en quelque endroit, ou crainte d'aucũ trouble.
Ils ne sont donc point appellez pour consulter
d'affaires, ou pour vuider des difficultés de l'estat,
mais seulement pour s'esgayer, & faire bonne chere.
Et est à estimer qu'en vn tel loisir, qu'ils n'ont
oublié aucune sorte de passetemps pour se donner
du plaisir, comme musique, ieux, tournois, spectacles,
comme auiourd'huy les grands ont leurs masquarades,
mommeries, farces, artifices de feu, le bal
& la danse. Et n'est pas que parmi cela, il n'y eust
beaucoup de desbauches & dissolutions, & qu'à
l'exemple de la Court, les peuples ne s'esgayassent
par les villes & prouinces. Voila donc vn royaume
plein de ris & de ioye, & presque fondu en ses
delices, tant Dieu remplit à souhait les enfans
Pse. 17.
de ce monde de ses biens plus delicieux cependant
que l'Eglise est tenue en destresse & captiuité,
voila à quoy tournent en fin toutes les conquestes
& victoires des plus grands Roys, & toute
l'industrie de leurs conseillers, c'est à se plonger
en leurs voluptés & plaisirs, mais encore n'estoyent
ils pas si mal-aduisez, que fut Balsazar le
dernier Roy de la monarchie des Babyloniens, lequel
estant assiegé, s'amusoit à faire banquets : &
comme auiourd'hui plusieurs Roys, lesquels ores
qu'ils voyent tout leur estat aller en desordre, &
prest de choir & tomber en pieces, ne font toutesfois
autre chose que de se veautrer en leurs aises
& passetemps. C'estoit aussi vn mauuais exemple
à tous les suiets de voir ainsi le Roy auec tous
ses seigneurs & conseillers, ne faire autre chose vn
demi an, que rire, gaudir & banqueter. Que pouuoyent
faire cependant les prouinces destituées si
longtemps de la conduite de leurs gouuerneurs, qui
[estoyent]
estoyent les chefs de iustice ? Ce n'est sans cause que
le sage dit,
Malheur à toy terre, de laquelle les Princes
Eccl. 10.
6.
se leuent au matin pour iouer. Isaie prononce
Isai. 5. semblable malediction aux principaux de son temps
qui se leuoyent au matin pour boire. Amos reprend
Amos 6. aussi aigrement l'excez des banquets de ceux de Iuda,
banquetans sur licts d'yuoire. Si la Court du
Prince ne donne exemple de sobrieté & modestie,
tout le royaume aisément se desbordera en insolences
& buuries, selon que les suiets ont de coustume
de se patronner à leurs Roys. Et puis les gouuerneurs
retournans apres si longues desbauches
en leurs prouinces, veulẽt continuer à faire les magnifiques
à la façon des Roys, & se confians en la faueur
que leur a fait le Prince, entreprennent plus
aisement de mal-traiter le peuple. C'est aussi merueilles
comme les grands se lassent si tost à manier
affaires d'importance, & consulter pour le bien de
leur estat & de leur suiets, & ne se lassent point tant
de bãqueter & perdre le tẽps. Car il y en a qui ne bãquetent
point seulement auec leurs courtisans, mais
qui y cõsumẽt toute leur vie. Et que font autre chose
plusieurs particuliers, que de rẽplir ainsi leurs vẽtres
tout le tẽps qu'ils viuent & se donner du plaisir ?
comme il est dit qu'en ceste vie ils ont eu passetẽps,
Pse. 49. & louent ceux qui se donnẽt bon tẽps. Ici faut
appliquer l'histoire du mauuais riche, cõme s'ils ne
Luc. 15. viuoyẽt que pour manger & boire, comme ainsi soit
qu'il nous faut manger
pour viure & vaquer aux œuures
de nostre vocation ; Et sur tout les Roys & leurs officiers,
qui doyuẽt seruir d'œil & addresse à tous leurs
suiets. Et quel conseil y peut il auoir parmi tãt d'excez
& de desbauches ? mais c'est ainsi que le monde
est gouuerné pour la pluspart, par vne iuste vengeance
de Dieu, le peuple se rẽdant indigne de bons
Roys & sages conducteurs.
L'autre festin où est conuié tout le peuple de
Susan depuis le plus grand iusques au plus petit ne
dure que sept iours : mais encore est-ce beaucoup,
d'occuper toute vne ville à ne faire autre chose que
mãger, boire, & rire par l'espace de sept iours. Ainsi
quand les grands ont commencé à faire leurs excez,
ils y continuent de plus en plus voulant gratifier a
tous. Ce conui de tout le peuple monstre auec la
grandeur Royale, vne humanité & douceur bien
seante aux grands Princes. Ce qui est à priser d'autant
plus qu'on voit que la pluspart des Roys d'auiourd'hui,
qui ne sont rien aupres de ce monarque
tiennent moins de conte de leurs suiets que de poures
esclaues, ou chiens, mesmes estimẽt le plus indigne
de les regarder en face, tellemẽt qu'ils ne veulent
estre veus d'icelui que pour se faire adorer. Il
eust peu toutesfois mieux employer sa liberalité. Car
la grace qu'on fait au ventre, ne dure quasi qu'autãt
qu'il est plein, & ce qui est dõné ainsi sans nul choix
à tous n'oblige persõne, & est plustost tenu pour prodigalité
que pour bienfait. Ce n'est toutesfois chose
indecente à vn Roy de faire ainsi quelques fois acte
de largesse enuers tous ses suiets sans en desdaigner
aucun : car ils sont Roys des petits cõme des grands,
& leur doiuẽt plustost faire sentir les effects de leur
humanité & bien-ueillance, ainsi que le soleil fait
luire sa clarté esgallement aussi bien sur petits que
sur grands. Ainsi les saints Roys de Iuda comme
Dauid, Ezechias & Iosias, se sont eslargis és publiques
solennitez enuers tout le peuple, lequel auoit
accoutumé de se resiouir & faire bõne chere par sept
2. Sam. 6.
19.
iours durant la feste des tabernacles, mais leur ioye
1. Chro.
16. 3.
estoit consacrée à Dieu par vne solennelle commemoration
de ses benefices. Ainsi quand Dieu
donne le repos & le moyen, on peut bien banqueter
plusieurs iours, pourueu que l'insolence
n'y regne, ains que Dieu y soit recognu & loué
comme le chef & auteur de la liesse. Si donc ce
Roy d'ailleurs estoit soigneux de faire administrer
iustice, & maintenir toutes choses en bon ordre,
ceste largesse n'estoit que louable. Si autrement
le peuple estoit foulé d'exactions, ou mal traitté,
c'estoit vn moyen pour addoucir ses maux, & le
rendre tant plus serf & traittable à l'aduenir. Les
Roys auiourd'huy se contentent de donner à leurs
peuples quelques belles paroles qu'ils font publier
par escrit, pour leur faire à croire, qu'ils ne
pensent iour & nuict qu'à leur bien & soulagement,
au lieu que tout leur estude n'est pour
la pluspart que d'aduiser aux moyens de succer
leur bien, & en tirer tout le seruice qu'il leur
plaist. Partant bien heureux sont les peuples, ou
qui ont de bons Roys, ou qui sans Roys peuuent
iouyr de leur liberté : sages aussi & heureux
sont les Roys & gouuerneurs, qui sçauent conduire
& gouuerner leurs peuples en toute droicture
& clemence à l'exemple de Dauid, auquel on
void que ce n'est pas assez a vn Roy de faire bonne
Pse. 101.
chere a ses suiets, mais il est requis qu'ils apportent
vne science de iustice & clemence pour les bien
gouuerner. De telles vertus des bons Roys est aussi
parlé bien au long Pseau. 71. Voila quant au festins
que faisoit le Roy.
Reste à voir le festin que la Royne Vasçti faisoit
aux femmes de son costé, & ce dans le palais Royal,
non comme Assuerus au dehors, estant chose
plus sçeante aux femmes d'estre retirées en la
maison, que de faire leur monstre comme en public.
Ceste Vasçti estoit de grande autorité, pource
qu'elle estoit fille de Cyrus premier monarque
de Perse, sœur de Cambyses nommé en l'Escriture
Artaxerxes, qui fut le second, & mesme
femme de c'est Assuerus qui estoit le troisieme. Et
pourtant son mari luy laissoit pareil droict de festoyer
les femmes, qu'il prenoit à festoyer les hommes.
Tout ainsi donc que durant six mois le Roy
festoyoit les seigneurs de sa Court, voire de tout
l'empire, elle aussi festoyoit les Dames qui y estoyẽt
venues de toutes les prouinces auec leurs maris. Et
puis quand par sept iours il festoya les hommes qui
habitoyent en Susan, elle en pareil festoya toutes
les femmes du lieu, ainsi il y auoit pleine ioye de
toutes parts. Car aussi c'eust esté chose qui n'eust
contenté qu'à demi, si en festoyant les hommes, on
n'eust fait conte des femmes. Aussi est-ce chose
peu raisonnable quand les hommes se licentient de
faire grand chere, & se laissent aller à leurs plaisirs,
de requerir que les femmes soyent occupées en trauail
continuel, pour faire l'espargne & le bon mesnage.
Comme donc les hommes ont sceu inuenter
toutes sortes d'esbats pour passer ou plustost perdre
le temps, les femmes aussi n'ont moins este ingenieuses
à cercher ce qui pourroit seruir à les recreer
& contenter, n'estant la femme moins suiette à desirer
son plaisir que l'homme. Mais, dira quelcun,
Pourquoy faisoyẽt elles leur festin à part, veu qu'auiourdhuy
on n'estime aucun festin d'esiouissance, si
les femmes n'y sont conuiées ? & c'est pour leur esgard
bien souuent que le festin se fait, selon que les
mœurs de nostre temps sont plus vicieux & se desbordent
en vne plus grande licence. La response est,
que la coustume de ce temps là estoit plus honneste
& modeste, de sorte qu'és festins publics, les
femmes ne mangeoyent point auec les hommes, &
ce pour euiter beaucoup d'occasions d'impudicité
& paillardise. Car quelle chasteté n'est endommagée
parmi le vin & l'intemperance, parmi les
propos & regards lascifs, & quelque fois attouchemens
[chemens]
peu honnestes ? Pleust à Dieu que ceste
loy eust encores lieu entre les nations qui prennent
tant de licence de boire & manger, danser
& baller auec les femmes. Car quelque honte
est-ce de voir entre quelques peuples les hommes
mener a la tauerne les femmes & filles d'autrui ?
Comment peut és escoles de toute insolence,
comme sont les tauernes, demeurer entiere
la chasteté & pudicité, parmi la licence que chacun
se donne entre le pot & le verre, veu qu'és
lieux les plus saints, plusieurs osent bien ietter
des regards peu chastes aux femmes & filles ?
Et n'est-ce pas le comble du mal, quand apres
estre eschauffez de vin, on vient à la danse, on
n'oit que musique lasciue, on ne voit que mouuemens
attrayans, auec vne licence de dire &
faire quasi tout ce qu'on veut ? Arriere donc toute
telle impudence, apprenons au moins des poures
Payens quelques loix de modestie, sur tout
quand on voit que le mal s'est desbordé sans qu'on
le puisse plus retenir par aucuns liens de remonstrance,
ni reprehension tirée de la parole de Dieu.
Il y a donc des choses louables en ces festins
d'Assuerus, scauoir sa liberalité enuers les grands,
son humanité & douceur enuers tout le peuple
de Susan, la loy qui defendoit de ne presser aucun
de boire outre son gré, & ce que les femmes
par modestie & honnesteté mangoyent ainsi
à part. Mais il y a aussi d'autres choses vicieuses,
comme ceste vaine monstre de sa grandeur
& richesse, trop de temps employé en banquet,
trop de bien ainsi superfluëment despenduec u, ale
mespris de tous affaires qui pouuoyent suruenir en
ceste demie année en vn si grand empire : & sur tout
ce que le vray Dieu n'est la ni recognu ni inuoqué,
& que toute ceste ioye est prophanée sans aucune
marque de sainteté, qui doit reluire entre les fideles :
au moyen dequoy aussi l'issue en a esté fort triste
comme nous verrons. Parquoy si nous voulons que
nostre ioye nous soit continuée & benite de Dieu,
il nous la faut commencer & poursuiure en son nõ,
voire ordonner toute nostre vie a ce qu'elle serue a
sa gloire. Car pour ceste cause sommes nous creés,
afin que l'ayans serui & glorifié en ce monde, nous
nous esiouissions auec luy en toute eternité. Amen.