TROISIESME SERMON,
QVI EST TOVCHANT
LA CHEVTE DE
l'Apostre S. Pierre, fait en l'Eglise
de Metz le 18.Ianuier,
1612.
Et ayans allumé du feu au milieu de la cour,
& s'estans assis ensemble, Pierre aussi
s'assit au milieu d'eux, &c.
iusques au vers. 60.
NOus vous auons autresfois mis en auant
vn exemple fort remarquable de
la misericorde de Dieu enuers les pauures
pecheurs qui se repentent à bon escient de
leurs pechez, en la persõne de Manassé Roy
de Iuda, selon que l'histoire en est escrite au
33. chap. du 2. liure des Chroniques.
Maintenant nous vous en proposerons
vn autre, tiré du nouueau Testament, en la
personne de l'Apostre S. Pierre. Et pour
mieux cognoistre & considerer la grandeur
de la grace que Dieu lui a faite : deuant que
de venir à l'histoire de sa repentance, nous
parlerons premierement de son peché. Car
comme on cognoit beaucoup mieux la grãdeur
de la puissance & bonté de Dieu enuers
vn homme auquel il a renuoyé sa santé,
quand on sçait combien grieuement il a esté
malade : ainsi aussi tant plus nous entendons
qu'vn homme a grieuement offensé
Dieu, tant plus cognoissons nous la grande
grace que Dieu lui a faite de lui auoir pardonné
les offenses qu'il a commises.
Toutesfois ce n'est pas nostre intention
de nous arrester sur l'histoire de la cheute
d'icelui, laquelle nous auons assez amplement
deduit en exposant S. Matthieu : mais
seulement de mettre en auant les doctrines
& instructions que nous en deuons tirer.
Car s'il y a histoire en toute l'Escriture saincte,
qui merite d'estre attentiuement considerée,
c'este ci le merite : y ayant en icelle vn
exemple tresremarquable, tant de l'infirmité
de l'hõme, que de la misericorde de Dieu ;
lequel comme il permet que ses Eleus tombent
quelquesfois bien lourdement, afin
qu'ils apprennent à se cognoistre eux mesmes,
& afin que d'autres apprennent à leur
exemple, que l'homme n'a de soy-mesme
aucunes forces pour perseuerer au biẽ, ainsi
aussi sçait il bien trouuer les moyens de les
releuer, afin que tant plus leur cheute a esté
dangereuse, tant plus clairement reluise sa
Rom. 5. misericorde enuers eux, comme S. Paul dit
que là où le peché a abõdé, la a encore plus
[abondé]
abondé la grace de Dieu : de sorte que la
consideration de ceste histoire seruira d'aduertissemẽt
à ceux qui par la faueur de Dieu
sont iusqu'à present demeurez constans en
la foy & en la pieté, afin que selon l'exhortation
de S. Paul, Philip. 2. ils s'employent à
leur salut auec crainte & tremblement, & à
ceux qui sont tombez, elle leur seruira à ce
qu'ils esperent certainement qu'ils obtiendront
remission de leurs pechez, par la misericorde
de Dieu, pourueu que sans hypocrisie
ils se repentent & se conuertissent à
bon escient à lui.
En ce peché donc de S. Pierre nous deuõs
premierement contempler comme en vn
miroir l'infirmité de nous tous, voire que
nous ne sommes rien, que nous ne pouuons
rien quand Dieu nous laisse à nous mesmes,
c'est à dire, quand il nous soustrait sa grace,
quand il ne nous fortifie pas incessamment
par l'assistance de son S. Esprit : que nous n'auons
pas le pouuoir de faire aucun bien,
mais que nous ne pouuons faire autre chose
que de pecher, que nous ne pouuons demeurer
fermes contre les tentations : mais
que nous y succombons incontinent, si ce
n'est que Dieu nous fortifie par son S. Esprit.
S. Paul dit,
Philip. 4. ie puis toutes choses
en Christ qui me fortifie : & le mesme Apostre
parlant des tribulations dit,
Rom. 8. En toutes ces choses nous sommes plus que
vainqueurs par celui qui nous a aimez, à
l'opposite nous deuons dire, en toutes ces
choses nous sommes incontinent vaincus &
surmontez, si celui qui nous a aimez ne nous
donne force pour y resister.
Il ne faut point de grand combat pour
rompre les forces de l'homme, c'est bien
tost faict de luy, quand Dieu ne luy assiste
pas par son Esprit. Bref nous deuons apprendre
par l'exemple de S. Pierre, que la victoire
contre les tentations n'est pas en nostre
puissance, que la constance ou perseuerance
au bien n'est pas de nous, mais qu'il nous
faut prier Dieu qu'il nous conforme au bien,
& qu'il nous garde du mal : qu'il nous faut
dire incessamment ne nous ind'huy point en
tentation. Veillez & priez auoit dit nostre
Seigneur, que vous n'entriez en tentation.
S. Pierre auoit bien ouy cela, mais il n'auoit
pas bien obtẽperé à c'este exhortation là que
nostre Seigneur auoit faict à luy & à ses
compagnons. Pourtant n'a il pas seulement
esté tenté, mais il a succombé sous le fardeau
de la tentation. Nous auons si peu de force
de nous-mesmes, que nous perdons courage
quand nous voyons seulement l'ombre
d'vn combat, tant s'en faut que nous ayons
assez de force pour soustenir vn grand combat,
& repousser vn rude assaut. Pourtant
deuons nous apprendre par c'est exemple à
demander à Dieu force & constance, &
[n'estre]
n'estre point presomptueux à cause d'aucunes
forces que nous ayons. Car autrement
ce qui est aduenu à l'Apostre S. Pierre pour
punition de sa presomption, cela nous peut
aussi aduenir : lors que nous nous ioignons
à l'Eglise reformée nous faisons de fort belles
promesses. Nous promettons de ne nous
iamais departir de la profession de la doctrine
de l'Euangile, nous promettons de
mettre peine de viure selon icelle, & de nous
garder de donner scandale à nos prochains.
Mais il n'y a rien de tout cela qui soit en
nostre puissance : pourtant faut-il demander
à Dieu la grace de son S. Esprit, afin que ce
que nous auons promis par son mouuemẽt
& inspiration, nous le puissions effectuer &
accomplir par son assistance. S. Pierre n'auoit
pas moins de volonté d'accomplir ce
qu'il auoit promis à nostre Seigneur, que
nous en auons d'accomplir ce que nous promettons
quand nous nous rangeons à l'Eglise :
& cependant nous voyons combien
vilainement & lourdement il est tombé.
Pourtant dit S. Paul
1. Cor. 10. que
celui qui
1. Cor. 10.
cuide estre debout regarde qu'il ne tombe.
Cependant ce que nous disons ne tẽd pas
à reuoquer en doubte la perseuerance des
saincts, c'est à dire, nous ne voulons pas contredire
aux passages de l'Escriture saincte, esquels
il est promis que Dieu donnera à ses
fideles la force de perseuerer : comme entre
autres nous en auons vne fort belle promesse,
Ier.
34.40 Ieremie 32. où Dieu dit,
ie traiterai auec
eux vne alliance eternelle, ie ne me retirerai
point arriere d'eux, afin que ie leur
face du bien, ains ie mettrai la crainte de
moy en leur cœur, afin qu'ils ne se destournent
point arriere de moy. Mais ces choses
sont dites pour diuerses consideratiõs, quãd
les fideles considerent combien certaines
sont les promesses de Dieu, alors ils doiuent
estre certains qu'il acheuera en eux la
bonne œuure qu'il y a commẽcé, mais s'ils
viennent à considerer leur infirmité & indignité,
alors ils doiuent auoir crainte, à celle
fin que c'este crainte là les incite à prier
Dieu, & soit cause qu'ils se donnent garde
de pecher, & qu'ils ne tombent point en vne
securité charnele. Au reste au lieu que S.
Pierre a renié nostre Seigneur en presence
de tous ceux qui estoyẽt en la Cour du Souuerain
sacrificateur, au lieu de cela nous le
deuons confesser en presence de tous ceux
qui nous interroguent de nostre creance.
Car c'est mal fait renier nostre Seigneur
Iesus Christ deuant vn ou deux, & de le renier
deuant plusieurs c'est encore pis. Car si
ceux la sont infirmes en la foy, nous les scandalizons
grieuement, & blessons leurs consciences
par nostre exemple, voire nous les
destournons de se mettre de la vraye Religion :
que s'ils sont infideles, nous priuons
[nostre]
nostre Seigneur Iesus Christ de l'honneur
que nous sommes tenus de lui rendre par la
confessiõ de sa verité, & sommes cause que
les ennemis de nostre Seigneur Iesus Christ
tiennent moins de compte de sa doctrine,
& la persecutẽt plus grieuemẽt ; par ce qu'ils
se font accroire que nous en auons honte,
veu que nous ne la voulons pas confesser
franchement & rondement. Et à l'opposite
quand ils voyent que nous sommes constãs
en la profession de la doctrine du Fils de
Dieu, toute occasion leur est ostée de la reietter :
principalement quand ils voyent que
nous demeurons constans en la profession
d'icelle iusqu'à la mort, laquelle constance
nous deuons prier Dieu qu'il nous donne à
tous par son S. Esprit, afin que lui estans fideles
Apoc. 2.
10.
iusqu'à la mort, il nous donne la couronne
de vie.
Nous deuons donc bien remarquer ce qui
a esté dict, asçauoir que de nature nous n'auons
aucune force pour resister aux tentations
ou tenir bon à l'encontre d'icelles, afin
de prier Dieu incessamment qu'il nous
donne force pour les surmonter. Secondement
nous deuons apprendre de c'est exemple,
qu'il peut aduenir mesmes aux plus
gens de bien & aux plus zelez de commettre
les crimes les plus enormes, si Dieu ne
les tient en bride par son S. Esprit, & qu'il
n'y a ni la cognoissance de Dieu, ni la profession
de la foy, ny l'ouye de la parole de
Dieu, ni la reception des sacremens, par lesquels
la foy est confermée, qui les puisse
garder de pecher. S. Pierre estoit vn excellent
personnage, car comme les Apostres
ont esté les principaux entre les Chrestiẽs,
aussi S. Pierre a esté non pas voirement le
chef des autres Apostres, ou Princes par
dessus les Apostres, comme ceux de l'Eglise
Romaine parlent, mais il a esté l'vn des
principaux Apostres : comme aussi il est
Gal. 2. compté entre ces trois lesquels S. Paul
appelle colomnes, comme si vous disiez Piliers
de l'Eglise Chrestienne. Nostre Seigneur
luy auoit faict cest honneur de le
laisser entrer auec soy, ensemble Iaques &
Iean, lors qu'il auoit ressuscité la fille de
Iairus, s'çauoit esté l'vn des trois qui auoyent
veu la transfiguration d'iceluy en la
montagne. C'estoit l'vn des trois que nostre
Seigneur auoit voulu estre tesmoins de
ses souffrances, lors qu'il estoit entré au iardin
en la montagne des oliuiers, & ausquels
il auoit dit,
mon ame est saisie de tristesse
Matth.
16.
iusqu'à la mort. S. Pierre auoit dit à nostre
Seigneur,
Tu es le Christ, le fils du Dieu
viuant. Lors que nostre Seigneur luy auoit
dit, en ceste nuict ci,
auant que le coq chante
tu me renieras trois fois, il luy auoit respõdu
Marc 14.
Marc 14. Quand il me faudroit mourir
auec toy, ie ne te renieray point. Et en
[ce 22] ce
22. chap. de S. Luc est recité qu'il auoit dit,
Seigneur ie suis prest d'aller auec toy, &
en prison, & à la mort,
Iean 13. Il auoit dit,
Iean 13.
ie mettrai mon ame, c'est à dire ma vie, pour
toy. S. Pierre auoit receu c'este nuict là la S.
Cene : il auoit ouy tant de belles exhortations
à constance qui sont recitées Iean
13. 14. 15. & 16. nostre Seigneur l'auoit aduerti
particulierement de ce qui luy deuoit arriuer,
& cependant tout cela n'a point empesché
qu'il ne soit lourdement tombé.
Car il y a eu en la faute d'iceluy plusieurs
pechez ensemble. Premierement, la presomption,
qu'il a trop attribué à ses forces.
Secõdement, le mespris de ses compagnons,
qui repugne à la charité, qu'il a estimé que
ses compagnons pourroyẽt bien estre scandalizez
en nostre Seigneur, mais non pas
luy. Tiercement l'incredulité, qu'encore que
nostre Seigneur eust affermé qu'il luy aduiendroit
de le renier, il ne l'a pas creu, iusqu'à
ce qu'il en a veu l'experience. Quartement
la securité & temerité, qu'il s'est allé
ietter en vn danger lequel il pouuoit bien
euiter, lors qu'il s'est allé chauffer auec les
seruiteurs des plus grãds ennemis de nostre
Seigneur. 5. au premier reniement il y a eu
du mensonge. 6. en tous les trois il y a eu vne
ingratitude insupportable à l'encontre de
nostre Seigneur Iesus Christ, duquel il a parlé
comme si iamais il ne l'eust cogneu, ou
comme si iamais il n'eust receu aucun bien
faict de luy, comme ainsi soit que nostre Seigneur
luy eust dict vn peu au parauant, i'ay
prié pour toy afin que ta foy ne defaille
point, 7. au deuxiesme reniement il y a eu
vn abus du iuremẽt, & au troisieme vne malediction
contre soy mesme, contre sa propre
conscience, laquelle sans les autres pechez
eust esté suffisante pour le damner, si
Dieu ne lui eust faict misericorde : tous ces
pechez se sont rencontrez par ensemble en
ces reniemens de S. Pierre, si nous les voulons
bien peser & considerer.
En 3. lieu nous voyons par ceste histoire,
que si vne fois nous laschons la bride au peché
nous n'y tenons point de mesure, ains
nous tombons tousiours plus lourdement
& auec plus de danger : car nous voyons ici
que S. Pierre du mensonge ou de la simple
negation de la verité est venu à iurer mal à
propos, & de là à se maudire soy-mesme,
comme aussi nous auons vn exemple de cela
en Dauid, lequel d'adultere est deuenu
meurtrier : dont nous deuons apprendre,
qu'il nous faut euiter les commencemens
des pechez. Car si vne fois nous leur ouurõs
la porte, Satan ne cessera point, s'il peut, iusqu'à
ce qu'il nous embrasse tellement en ses
pieges, que nous aurons beaucoup de peine
de nous en depestrer, cõme aussi nous voyons
en Simeon & Leui, lesquels ayans esté
[meur]
meurtriers des hommes de Sichem, & ayans
tué les innocẽs auec les coupables, sont deuenus
puis apres rauisseurs à l'endroit des
femmes & du bestail d'iceux. Et ainsi les freres
de Ioseph d'enuieux qu'ils ont esté contre
lui sont deuenus plagiaires, c'est à dire
larrons d'hommes, l'ayans vendu à des marchans
pour estre esclaue en Egypte, & peu
s'en est falu qu'ils ne l'ayent mis à mort.
Mais comment est aduenu cela, que sainct
Pierre est tombé en vn tel abysme de pechez ?
cela est aduenu par ce que Dieu a retiré
de lui en ce faict particulier la grace de
son S. Esprit, laquelle eust esté necessaire
pour le fortifier, comme il est dit du Roy
Ezechias que quand les Ambassadeurs des
Princes de Babylon furẽt enuoyez vers lui, 2. Chr. 32.
Dieu le delaissa pour l'esprouuer, afin de cognoistre
tout ce qui estoit en son cœur : ainsi
pouuons nous dire de S. Pierre qu'il est
bien vray qu'il auoit au parauant demonstré
vn zele ardent, & vne grande amour enuers
nostre Seigneur Iesus Christ : mais qu'apres
que sans auoir esgard à l'aduertissement que
nostre Seigneur luy auoit donné, il fut entré
en la Court du Souuerain sacrificateur,
Dieu le delaissa, & permist qu'il succombast
sous la tentation, à celle fin qu'il recogneust
qu'il n'estoit pas si constant qu'il pensoit estre.
Car S. Pierre eust mieux faict lors que
nostre Seigneur luy predit qu'il luy aduiendroit
de le renier, s'il l'eust supplié de prier
Dieu pour lui, afin qu'il ne la laissast point
tomber si lourdement que cela, comme Simon
Act. 8.
le magicien disoit à Pierre & à Iean,
vous autres priez pour moy enuers le Seigneur,
afin que rien ne vienne sur moy des
choses que vous auez dites, que de penser
que cela ne lui aduiendroit point, encore
que le fils de Dieu, qui est la verité mesme,
non seulement l'eust predit, mais aussi eust
affermé qu'il lui aduiendroit.
Dirons nous donc que S. Pierre par c'este
cheute ait du tout perdu le S. Esprit ? non.
Car nostre Seigneur luy auoit dict, i'ay prié
pour toy, à fin que ta foy ne defaille point
& nous ne deuons point doubter que la
priere de nostre Seigneur Iesus Christ n'ait
esté exaucée. Que si la foy est demeurée en
S. Pierre, le S. Esprit aussi sans lequel la foy
ne peut estre, est demeurée en luy. Quand
donc nous auõs dit que Dieu a retiré la grace
du S. Esprit de S. Pierre, cela ne se doit
pas entendre comme si S. Pierre n'auoit plus
eu le S. Esprit du tout : mais il luy est aduenu
comme à vn homme yure, lequel semble
n'auoir point de raison, parce que durant
qu'il est ainsi yure, il n'a pas ou il ne monstre
pas qu'il ait l'vsage de la raison : Mais
apres qu'il a cuué son vin, alors on voit
manifestement que la raison n'estoit pas du
tout departie de luy. Le S. Esprit estoit resté
[en S.]
en S. Pierre comme la chaleur naturelle en
vn homme qui deuient tellement froid
par maladie, qu'il semble qu'il soit mort,
comme ainsi soit que la chaleur naturelle est
encore aupres de son cœur, ou comme vn
homme blesme, duquel il semble que le
sang se soit retiré : ainsi le S. Esprit est demeuré
en S. Pierre iusques là, que son cœur
n'a pas pensé ce que sa langue disoit, c'est à
dire sa langue a dit d'vn, & son cœur a pensé
d'autre : mais le S. Esprit n'a pas esté en
luy iusques là, qu'il ait osé confesser de bouche,
ou donner à cognoistre par paroles,
l'amour qu'il portait à nostre Seigneur en
son cœur : ou si nous voulons dire cecy plus
brieuement, le S. Esprit est demeuré au
cœur de S. Pierre, mais il n'a pas monstré sa
vertu, & n'a pas gouuerné en ce fait ici la
langue d'iceluy. C'est en ce sens la que i'ay
dit, que Dieu luy a soustrait l'assistence du S.
Esprit, par ce que le S. Esprit ne luy a point
assisté si auant, que pour luy faire la grace
de dire de sa bouche la mesme chose qu'il auoit
en son cœur.
Et faut noter, que combien que Sainct
Pierre soit fort lourdement tombé, si est-ce
que toutesfois sa cheute lui a serui, à ce qu'apres
auoir cogneu par experience combien
grande estoit son infirmité, il fust puis apres
plus diligent à prier Dieu qu'il le fortifiast,
comme aussi S. Pierre tant plus il s'estoit
monstré craintif en ce faict icy, tant plus
courageux & constant a il esté puis apres,
comme nous voyons en quelques endroicts
des Actes des Apostres, lui qui auoit eu si
peur de la Chambriere du Souuerain sacrificateur,
que parlant à elle il auoit nié qu'il
fust des disciples du Seigneur, n'a pas puis
apres craint le Souuerain sacrificateur mesmes,
ni tous ses assesseurs : ains il leur a dit,
Act. 4. Iugez vous mesmes, s'il est raisonnable
que nous vous obeissions plustost qu'à
Dieu. Car nous ne pouuons que nous ne disions
les choses que nous auons veuës &
ouyes. & au
5. chap.
Il faut plustost obeir
Dieu qu'aux hommes. Ainsi aduient-il quelquesfois
que ceux qui n'estoyẽt pas si diligẽs
qu'ils deuoyent estre à se donner de garde
des tentations, & qui viuoyent en quelque
façon en securité, quand il leur est aduenu
de tomber en quelque grief peché, alors ils
prennent de plus pres garde à eux, & sont
plus diligens au seruice de Dieu, & plus ardens
& zelez à le prier qu'ils n'auoyent esté
au parauant.
En 4. lieu nous deuons remarquer sur c'este
Histoire de sainct Pierre, que mesmes
les saincts seruiteurs & esleus de Dieu s'aheurtent
quelquefois plus d'vn coup à vne
mesme peine : car nous voyons que durant
l'espace d'enuiron vne heure & demie S.
Pierre a renié nostre Seigneur par 3. fois.
[Ainsi]
Ainsi a dit Abraham par 2. fois que Sara sa
femme estoit sa sœur, vne fois en Egypte
Genes. 12. & vne autre fois entre les Philistins
Genes. 20. lesquels exemples ne nous
doiuent pas seruir afin que nous ne nous
flattions nous mesmes : mais plustost afin
que nous ne prononcions pas temerairement
sentence de condemnation à l'encontre
de ceux, qui par infirmité humaine ont
commis vne mesme faute deux fois, ou encore
plus, comme s'ils auoyent d'espouillé
toute crainte de Dieu, ou comme si ils ne
pouuoyent plus obtenir aucune remission
de leurs pechez. Il est vray qu'il est dit
Eccles. 7. Ne redouble point les liens de peché :
Car mesmes pour vn seul tu ne seras
point impuni. & au
chap. 12. Ne continue
point le peché en redoublant : car tu ne demeureras
point impuni, n'y en eust-il qu'vn
seul. Mais ces passages-la nous doiuent seruir
d'aduertissement pour estre sur nos gardes,
afin de ne point tomber deux fois en vn
mesme peché : mais c'est exemple de S. Pierre
nous doit seruir de consolation, si desia
il nous est aduenu par infirmité humaine, &
non point par vn malicieux mespris de
Dieu, d'estre tombez deux fois ou plus en
vn mesme peché, afin que nous ne doutions
point de la misericorde de Dieu, pourueu
que nous n'y continuions plus.
En 5. lieu nous deuons remarquer cy dessus,
que combien que les saincts tombent
quelquefois en de tres-lourdes fautes,
toutefois Dieu ne permet point qu'ils pechent
à mort, de peur qu'ils ne tombent en
damnation, mais s'ils sont tombez il les redresse
& les releue, à celle fin qu'il demonstre
sa misericorde en les sauuant,
comme il demonstre sa iustice en damnant
les reprouuez. Vray est que S. Pierre a grieuement
peché : mais tant y a que Dieu n'a
point permis qu'il soit tombé au peché qui
est irremissible. Ainsi ont grieuement peché
Dauid, Manassé, & le Brigand duquel il
est parlé au 23. chap. de c'est Euangile : mais
cependant Dieu les a redressez par repentance,
& n'a point permis qu'ils tombassent
en damnation.
D'icy aussi nous pouuons recueillir en 6.
lieu que Dieu pardonne non seulement les
pechez qui sont commis par ignorance,
mais aussi ceux que l'homme commet sachãt
biẽ qu'il fait mal : pourueu qu'ils ayẽt esté
cõmis par infirmité de la chair, & nõ poĩt
par vne malice deliberee, & que tout peché
que l'homme commet contre sa conscience
n'est pas le peché irremissible contre le
sainct Esprit, voire mesme que toute espece
de reniemẽt ou d'abjuration de la verité cognuë
n'est pas ce peché-là : car c'est chose
certaine que S. Pierre a peché contre sa conscience,
il n'a pas peché par ignorance, comme
[me]
faisoit S. Paul lors qu'il persecutoit l'Euãgile.
Car S. Paul ne sçauoit pas que la doctrine
de l'Euangile fust vne doctrine de
Dieu : mais S. Pierre sçauoit bien que Iesus
estoit le Christ, qu'il parloit mal de dire
qu'il ne le cognoissoit pas, & qu'il n'estoit
pas son disciple. Si S. Pierre fust tombé iusques
en c'este impieté, que de renier par
vne malice volontaire & deliberee, & par
haine qu'il eust conceuë à l'encontre de no-
Seigneur Iesus Christ, la doctrine d'iceluy,
de laquelle il sçauoit bien que c'estoit la verité,
& eust blasphemé à l'encontre d'icelle,
alors il eust commis ce peché contre le S.
Esprit, lequel nous disons qu'il n'a pas commis,
& il n'eust point obtenu de pardon
d'vn tel peché, voire mesme Dieu ne lui
eust point fait la grace d'auoir repentance,
comme il appert par le 6. chapitre de
l'Epistre aux Hebrieux. Or nous entendrons
puis apres que Dieu lui a donné repentance :
dont nous concluons certainement
qu'il n'a point commis ce peché irremissible
contre le S. Esprit. Il a renié nostre
Seigneur, nõ pas par malice, mais par crainte
excessiue & demesuree. Il n'a pas dit aussi, ie
ne cognois point ce seducteur-là, ou ce meschant
homme-là, car s'il eust ainsi parlé il
eust blasphemé, mais il a dit simplement ie
ne cognoy point c'est homme. Cecy nous
doit seruir afin que nous ne condamnions
point tous ceux qui par crainte excessiue durant
les persecutions, ont renié ou mesmes
abjuré la verité de Dieu, & que nous ne desesperions
point du salut d'iceux. Il est vray
qu'il faut tousiours condamner le peché, &
dire que c'est mal fait, quiconque ce soit qui
le cõmette : mais il faut prier Dieu pour les
personnes, assauoir pour ceux qui sont tombez
non point par malice ou haine de la verité,
mais par infirmité de la chair. Car Dieu
qui a releué S. Pierre les pourra bien aussi
releuer. Mais aussi d'autre costé, comme
nous ne deuons condamner personne temerairement,
aussi ne faut-il pas que nous
ensuiuions les pecheurs en leurs pechez. Car
comme l'inceste de Lot, ou son enyurement,
l'enyurement aussi de Noé, l'adultere
de Dauid, le peché de Salomon qui est tombé
en Idolatrie, ne nous sont pas recitez afin
que les ensuiuions, mais afin que nous apprenions
que tous ont besoin de recourir à
la grace du benefice de nostre Seigneur
Iesus Christ Redempteur, & aussi que nous
prions Dieu qu'il nous face la grace de n'y
point tomber, ainsi aussi la cheute de S. Pierre
ne nous est point recitée afin que nous
tombions comme lui, ains plustost afin que
nous soyons sur nos gardes, & que nous
prions Dieu diligemment, à ce qu'il nous
conferme en la foy, afin que nous demeurions
constans en la profession de sa verité.
[Comme]
Comme si quelqu'vn disoit, vn tel est tõbé
en la riuiere, peu s'en est falu qu'il ne se soit
noyé : cela ne nous doit pas donner occasion
de nous aller ietter en la riuiere, soubs ombre
que l'autre en est eschappé. Ainsi l'histoire
de la cheute de S. Pierre ne nous est
point recitee, afin que nous renions nostre
Seigneur Iesus Christ, mais plustost afin que
si l'infirmité de la chair nous a portez iusques-
là, que nous nous soyons reuoltez de
son seruice, ou que nous ayons esté espouuantez,
pour ne point faire profession de sa
verité, nous ne cõtinuions pas en c'est horrible
peché-là, mais que nous ensuiuions S.
Pierre en sa repentance, afin qu'auec lui
nous obtenions de Dieu la remission de nos pechez.
En 7. lieu l'exemple de S. Pierre nous
doit seruir de doctrine & d'aduertissement,
afin que pour euiter les pechez nous euitions
les occasions d'iceux, qui nous pourroyent inciter
à les commettre. Il nous doit
enseigner que nous deuons fuir la compagnie
& la frequentation des meschans, qui
nous pourroyent soliciter à offenser Dieu.
Si quelqu'vn a des habits blancs, & il les
veut garder blancs, il ne faut pas qu'il les
frote contre ceux des charbonniers ou contre
les sacs d'iceux, si quelqu'vn a des habits
noirs, & il les veut garder nets, il ne faut pas
qu'il aille au moulin, ou en d'autres lieux esquels
il pourroit tomber de la farine sur iceux,
il ne faut pas qu'auec iceux il aille seruir
les massons. Celui qui veut demeurer
chaste & pudique, il ne faut pas qu'il frequente
les paillards ny les paillardes : celui
qui veut demeurer bon mesnager, il ne faut
pas qu'il frequente les prodigues & les
ioueurs : celui qui veut demeurer loyal & fidelle,
il ne faut pas qu'il frequente les larrons :
celui qui ne veut point s'enyurer, il ne
faut pas qu'il frequente les tauerniers, ni
les compagnies des yurongnes : celui qui
veut demeurer homme de bien, il ne faut
pas qu'il frequente : les voleurs : celui qui ne
veut point apprendre à blasphemer, il ne
faut pas qu'il frequente les blasphemateurs,
celui qui ne veut point renier nostre Seigneur
Iesus Christ, il ne se doit pas legerement
trouuer és lieux, l'à où on ne le peut
confesser sans grands dangers. Car
qui touche
Eccles. 13.
1.
la poix il sera taché, & qui communique
auec l'orgueilleux deuiendra semblable à lui :
Pseau. 26 & voila pourquoi Dauid dit, Meschantes
compagnies, i'ay tellement hayes, que ne
m'en suis point accointé : & Salomon dit és
Prouerbes chap. 1. Mon fils si les pecheurs
te veullent attraire, ne t'y accorde point,
&c.
mon fils ne te mets point en chemin auec
eux, retire ton pied de leur sentier. Plusieurs
ne pensent pas au peché lequel ils cõmettent
puis apres, ou au malheur auquel
[ils]
ils tombent, quand ils se trouuent en des
lieux dangereux, ou auec des gẽs meschans :
Dina ne pensoit pas à la paillardise quand
elle alla en Sichem, elle ne pensoit guere
qu'elle y deust estre violee, autrement elle
fust demeuree aupres de sa mere en la maison,
mais seulement la curiosité la portoit là
pour aller voir les filles du pays, peut estre
pour voir comment elles estoyẽt habillees
ou coiffees : & cependant nous voyons en
quel inconuenient elle est tombee. Pourtant
faut-il que nous euitions les occasions
de pecher, si nous hayssons le peché, & que
nous fuyons les compagnies des meschans,
auec lesquels nous ne pourrons pas subsister
si nous voulons seruir à Dieu.
Et principalement ceux ausquels Dieu a
donné la cognoissance de l'Euãgile doiuent
apprendre par ceste cheute de S. Pierre de
fuir les Courts des Prelats de l'Eglise Romaine.
Car s'ils se veulent chauffer à leu feu,
c'est à dire estre participans de leur grasse
cuisine, ou auoir par à leur marmite, ils se
mettent en dãger de renier nostre Seigneur
Iesus Christ, ou s'ils le veulent confesser,
leur langage les donnera à cognoistre, & ils
ne seront en seurté en ses Courts là ni
quant à l'ame ni quant au corps.
Nous deuons aussi retenir de ceste Histoire
de la cheute de S. Pierre, qu'il ne nous faut
point perdre esperãce du salut d'aucũ homme
quelque lourdement qu'il soit tõbé, quãd
nous voyons que Dieu lui a donné vraye repentance
pour se releuer de sa cheute : & la
vraye repentance est celle qui se monstre
par ses fruicts : quand l'hõme non seulement
conoit & cõfesse ses pechez, mais aussi qu'il
Prou. 28.
les delaisse, cõme Salomõ dit és Prouerbes,
qui cache ses mesfaits il ne prosperera point,
mais celui qui les confesse & les delaisse obtiendra
misericorde, & qu'il fait le contraire
du mal qu'il auoit fait, comme il est dit
Psea. 34. destourne toi du mal, & fai le bien,
cõme nous auons tantost entendu que tant
plus S. Pierre s'estoit monstré craintif en
reniant nostre Seigneur, tant plus s'est-il
puis apres monstré hardi & courageux à le
confesser : & a monstré qu'il ne se soucioyt
en façon quelconque de toutes les menaces
de ceux qui le vouloyent empescher de
prescher la doctrine du Sainct Euangile, &
qu'ils auoyent beau lui defendre de plus
prescher au nom de Iesus.
Voila les doctrines & instructions que
nous auons à remarquer sur la cheute de S.
Pierre. Celles que nous auons à remarquer
sur la repentance d'icelui seront remises à
vne autre fois moyennant la grace de Dieu,
auquel pour tous ses benefices enuers nous
soit honneur & benediction à iamais. AMEN.