SERMON SECOND.
   
 De la plenitude de Jesus-Christ, qui 
nous a merité le salut. 
    
1. Le Pere pouuoit punir 
le peché sans le pardonner, 
mais ne pouuoit pardonner 
sans satisfaction.
  
2. A cause dequoy ç'a 
esté son bon plaisir de nous 
donner son Fils pour mediateur,
  
& de luy donner 
pour ceste fin toute plenitude.
  
3. Difference entre la plenitude 
de Christ, & celle des  
saincts Anges, & d'Adam deuant 
sa cheute.
      
4. Et premierement, il y 
a en luy toute plenitude de 
Deïté corporellement.
  
5. Secondement, en luy 
il y a toute plenitude d'humanité, 
comme estant vray 
homme de nostre nature, 
mais sans peché.
  
6. Ce qu'il a esté sans 
peché, n'est point venu de 
la pureté de sa mere, mais de 
l'operation du S. Esprit.
  
7. Tiercement, il y a eu 
en luy toute plenitude de 
graces.
  
8. La nature Diuine & 
humaine du Seigneur sont 
vnies en vne personne.
  
9. Ceste vnion bien 
qu'incomprehensible est representee 
par deux similitudes.
  
10. Trois vnions merueilleuses.
  
11. Pourquoy il a falu 
que nostre plege fut Dieu.
  
12. Et Fils de Dieu.
  
13. Pourquoy il a falu 
qu'il fut homme de nostre 
nature.
  
14. Pourquoy il a falu 
qu'il fut Dieu & homme 
sans peché en vne personne.
  
15. De l'vnion personnelle 
vient la communication 
des idiomes, par laquelle
  
plusieurs choses sont dites 
de Christ au regard des 
deux natures ensemble.
  
16 D'autres sont dites 
de luy, qui ne luy competẽt 
qu'au regard de sa Diuinité.
  
17. Et d'autres, qui ne 
luy appartiẽnent qu'au regard 
de sa nature humaine.
  
18. Quelquesfois aussi ce 
qui est propre à l'vne des 
natures est attribué à l'autre.
  
19. De ce que Iesus-Christ 
n'eust peu satisfaire à Dieu 
s'il n'eust esté Dieu, il s'ensuit 
que nulle creature simplement 
telle, ne peut meriter 
de Dieu.
  
20. Iesus-Christ est nostre 
Mediateur par la vocation 
& don de Dieu.
  
21. D'où il s'ensuit que 
les Anges & Saincts ne peuuent 
estre nos Mediateurs 
ni en tout, ni en partie.
  
22. Grand amour de 
Dieu en l'enuoy de son Fils 
au monde.
  
23. Grande grace de Dieu 
en l'vnion de nostre nature 
auec celle de Dieu : D'où 
il s'ensuit que nostre salut est 
purement gratuit.
  
24 Nostre deuoir enuers 
Dieu pour son amour & 
pour sa grace.
     COLOSSIENS I. 
19.  Car le bon plaisir du Pere a esté que 
toute plenitude habitast en luy.  
    
I. LE PERE eust peu, s'il eust voulu, 
ne pardonner point le peché à 
aucun des hommes, ains nous abismer tous iusques aux manoirs 
tenebreux des enfers, comme il a fait les 
Diables : En quoy il n'eust rien fait que ce qui 
est iuste, & nous n'eussions rien souffert que ce 
que nous auions merité.
  
Mais puis que ç'a esté son bon plaisir de nous 
pardonner le peché, & de nous deliurer de la 
peine d'iceluy, ie dy, qu'il ne l'a peu faire sans 
qu'au prealable sa iustice fut pleinemẽt & entierement 
satisfaite. Car sa iustice est vne volonté 
cõstante, immuable eternelle de recõpenser les 
bons, & punir les pecheurs ; Elle luy est si naturelle 
& essentielle qu'elle est ce qu'il est : Et il la 
pourra relascher, quand il se pourra renier soy- 
mesme, & cesser d'estre Dieu, comme ie diray 
plus amplement cy apres.
    
                             
                                Sous serm. 3. 
sect. 11. & 
12. 
                         Il n'exige point ceste satisfaction pour sa 
commodité & interest particulier, comme font 
ceux qui sergentent leurs debiteurs : Ni par haine 
& desir de vengeance, comme font les hommes 
mauuais, qui ne peuuent s'appaiser, iusqu'à 
ce qu'ils ayent sacrifié à la cruauté de leur passiõ 
la vie de leurs ennemis, mais par l'amour qu'il 
porte à sa iustice, & à la manutẽtion de ses loix, 
lesquelles il a données aux hommes, pource 
qu'elles sont en elles-mesmes tressainctes & 
tres-iustes, & viues images de la iustice qui est  
en luy.
   
II. Qui doute que l'homme qui auoit peché 
ne deust luy-mesme faire ceste satisfaction à 
Dieu ? Mais autre chose est ce qu'il deuoit, autre 
  
chose ce qu'il pouuoit. Il ne pouuoit satisfaire 
à Dieu que par vne nouuelle & tres parfaicte 
obeïssance ou en portant la peine de sa 
desobeïssance : l'vn & l'autre luy estoit egalement 
impossible.
  
Car quand il eust peu par amandement de 
vie recommencer vne nouuelle course, & se 
comporter en sorte qu'il gardast parfaitement 
les commandemens de son Dieu sans retomber 
en transgression, qu'eust il fait à quoy il ne fust 
tenu lors qu'il le feroit, non pour expier ses fautes 
passees, mais pour acquitter ses nouuelles 
debtes. Tu ne peux faire auiourd'huy aucun 
seruice à Dieu, auquel tu ne sois tenu auiourd'huy. 
Comment cuides-tu en payant auiourd'huy 
ce que tu dois à Dieu auiourd'huy, & ne 
pouuant payer autre chose, canceler tant de 
sommes que tu as par le passé entassees les vnes 
sur les autres ? Tout ce que tu peux faire pour 
Dieu, & qu'il demãde de toy, est que tu l'aimes 
de tout ton cœur, & ton prochain comme toy- 
mesme : Trouue-moy, nomme-moy, si tu peux, 
vn iour auquel tu ne dois point cela à Dieu, & 
ie diray que pour les œuures de ce iour là, tu as 
satisfait pour les iours precedẽs. Mais si chasque 
iour adiouste vn nouueau & vn grãd item à ton 
obligation, & si le soir du present iour est venu 
deuant que tu ayes acheué de payer la debte 
qu'il porte auec soy, di-moy Papiste, qui crois 
tant de choses estranges & ridicules des satisfactions, 
di-moy comment tu peux par le payement 
de la debte presente, rayer & biffer tant 
de debtes passees.
  
Mais tant s'en faut que nous payons nos debtes 
 
d'hier & de deuant hier, que nous en laissons 
courre les arrerages, & accumulons de iour à 
autre les nouuelles debtes, pour lesquelles nous 
crions tous les iours au Ciel, Quitte nous noz 
debtes. Et donc ce ne sera point nostre obeyssance 
presente, qui satisfera à Dieu pour nostre 
des-obeïssance passée.
  
Nous verrons au troisiesme Sermon qu'aussi 
peu luy pourrons-nous satisfaire en portant la 
peine de nos rebellions. Car 1. puis que c'est 
Dieu qui est eternel en essence, & infiny en majesté 
qui en est offensé, il faut que la peine en 
soit infinie & eternelle, sinon en temps, au 
moins en grandeur & en prix. 2. Il est necessaire 
que celuy qui prendra ceste peine sur soy les 
surmonte par vne victoire glorieuse, & ainsi retourne 
en grace auec Dieu, & se remette au 
mesme estat auquel il estoit deuant sa transgression. 
L'hõme qui est pecheur, foible, & fini, entreprendra- 
il de mettre ses espaules tant foibles 
sous vn fardeau tant pesant ? & quand il 
l'entreprendroit n'en seroit-il point accablé ? 
Certes les Anges de Paradis bien que puissans 
en vertu, quand ils voudroyent prendre ceste 
place, & entreprendre de nous pleiger, ne seroient 
que paille & chaume deuant ce feu consumant.
  
Et c'est pourquoy Dieu ne trouuãt ni au Ciel, ni 
en la terre aucune creature qui fust à l'espreuue 
de son indignation, a cerché & trouué en soy- 
mesme celuy qui pouuoit commencer & mener 
à chef ceste œuure tãt necessaire & importante, 
& a tiré de son sein propre le Redẽpteur, 
qui en portant nostre peine, & non pas nostre 
[coulpe,] 
 
coulpe, nous a affranchis & de la peine & de la 
coulpe. Ce Redempteur est son Fils bien-aimé, 
lequel il a enuoyé au monde, & rendu capable 
de faire tant & de si grandes choses pour nous.
  III. 
 Car son bon plaisir a esté que toute plenitude 
habitast en luy. L'Apostre ne se contente pas de 
dire, qu'il y a 
plenitude en Christ, mais pour le tirer 
du pair, & l'esleuer au dessus de toutes les 
creatures les plus excellẽtes, il dit qu'il y a TOVTE 
plenitude en luy. Il y a plenitude és Saincts 
Anges, mais leur plenitude peut croistre. Car 
S. Pierre parlant des hauts & incomprehensibles 
mysteres de nostre redemption, dit qu'
 ils   
                                1. Pier. 1. v. 12 
                             
 desirent regarder en ces choses iusqu'au fonds   : Il y a 
plenitude de grace & de gloire és esprits des 
saincts iustifiés, & recueillis au Ciel. Car ils voyent 
la face de Dieu, & 
sa   face est vn rassasiement  
                                 
                                    Pseau. 6. v. 
11. 
                             
 de ioye . Mais ceste plenitude n'est pas comble, 
ains receura vn grand accroissement en la resurrection, 
de laquelle Dauid disoit, 
 Mais moy  
                                 
                                    Pseau. 17. v. 15 
                             
 ie verray ta face en iustice, & seray rassasié de ta 
ressemblance quand ie seray resueillé. Et lors encore 
nostre plenitude sera dependante de celle du 
Sauueur, & ne sera que comme vn petit ruisseau 
deriué de ce grand fleuue, ou comme la 
plenitude d'vn petit vaisseau qui se remplira lors 
dans ce grand Ocean. Car 
 de la plenitude d'iceluy  
                                1. Iea. 1. v. 16 
                             
 nous auons tous receu, & grace pour grace. Nous 
n'auons point receu sa plenitude, mais de sa plenitude. 
L'Apostre dit encore, que le bon 
plaisir du Pere a esté que toute plenitude 
habitast en luy, c'est à dire, demeurast en luy 
sans separation, sans diminution, sans alteration. 
Car en l'Escriture 
habiter signifie 
  vne demeure ordinaire & perpetuelle ; comme  
 
                            1. Timo. 6. 
v. 16. 
                          seiourner signifie vne demeure à temps. 
 Dieu 
habite en vne lumiere inacceßible, Iesus-Christ habite  
  
                                 
                                    Eph. 3. v. 17. 
                             en nos cœurs par foy , Dieu dit qu'
 il habitera au  
  
                                2. Cor. 6. v. 
16. 
                             milieu de nous , qui est en substance ce qu'il dit  
 
                             
                                Deut. 31. v. 8 
                         ailleurs, 
 Ie ne te delaisseray point, ni ne t'abandonneray  
  
                                 
                                    Heb. 13. v. 5. 
                             point . Les exemples sont infinis à ce propos.
   
Il y auoit plenitude de cognoissance, iustice, 
& vraye saincteté en Adam : Mais elle n'habitoit 
point en luy, puis qu'il la perdit. Il y auoit 
aussi plenitude de lumiere és saincts Anges, laquelle 
n'habitoit point en eux par nature, puis 
que quelques vns d'eux se sont precipités de la 
lumiere en tenebres, des cieux en enfer, de la vie 
en la mort. C'est l'aduantage, cest le priuilege, 
c'est la prerogatiue de nostre Seigneur Iesus- 
Christ, qu'en luy seul a tousiours habité toute 
plenitude, que c'est luy, & nõ aucun autre que 
luy, qui est la fontaine qui ne tarit iamais, de laquelle 
nous puisons grace & gloire.
  IV. Et premierement, 
 en luy habite corporellement  
  
                                 
                                    Col. 2. v. 9. 
                             toute plenitude de Deité  . Tous les fideles  
 
                            2. Pier. 1. v. 4 
                          sont faits participans de la nature diuine , c'est à sçauoir 
de toutes bonnes & sainctes qualités, lesquelles 
descendent d'enhaut du Pere des lumieres, 
comme de leur source & origine : Mais  
 
                             
                                Eph. 4. v. 7. 
                         S. Pierre dit que c'est 
 par participation , & S. Paul, 
que 
c'est   selon la mesure du don de Christ . Nostre 
pleige a non seulement à soy la nature diuine, 
ou des qualitez celestes & diuines, mais la Deité 
mesme. Non aucune partie de la Deité, mais 
la plenitude de Deité : La Deité parfaite. Non  
vne plenitude telle quelle ; mais TOVTE 
plenitude de Deité : La mesme plenitude qui est au Pere 
  est en luy : Toute plenitude de Deité est au Pere : 
Toute plenitude de Deité est aussi en luy. 
Plenitude qui ne se peut separer de luy : car elle 
habite en luy : Non par grace, non par assistance 
seulement, comme le sainct Esprit habite en 
en nous : Non aussi typiquement, comme 
 il habitoit  
                                2. Sam. 6 
v. 2. 
                             
 entre les Cherubins  au Temple fait de main : 
mais 
corporellement, c'est à dire, vrayement suyuant 
que l'Apostre parlant de toutes les ceremonies 
de l'ancien Testament, dit qu'
 elles sont   
                                 
                                    Coloss. 2. v. 
17. 
                             
 ombres de celles qui estoyent à venir, mais le corps en 
est en Christ . Où il appelle Christ le corps des 
ombres, d'autãt qu'en luy sont accomplies toutes 
les choses figurées par icelles, & qu'il en est 
la verité mesme : Il est donc, non en ombre, mais 
en verité 
 Dieu sur toutes choses benit eternellement , 
 
                             
                                Rom. 9. v. 5. 
                         puis que 
 Fils propre, & vnique du Pere , eternel, 
 
                             
                                Rom. 8. v. 31. 
                         immuable, tout-puissant, scrutateur des cœurs, 
 
                             
                                Iean 1. v. 14. 
                         par qui toutes choses ont esté faites, qui les soustient 
toutes, qui particulierement nous pardonne 
nos pechés, illumine nos yeux, nous sanctifie 
par son Esprit, & nous donne la vie eternelle : 
Dont aussi il est commandé à tous les Anges 
 
                             
                                Heb. 1. v. 6. 
                         de Dieu de l'adorer, disons donc, celuy qui 
a en soy toutes les proprietez de Dieu, qui fait 
tout ce que Dieu fait, à qui les Anges deferent 
par commandement le mesme honneur & adoration 
qui est deu à Dieu, que peut-il estre autre 
chose que Dieu, Dieu sans rapine egal à Dieu, 
 
                             
                                Phil. 2. v. 6. 
                         & comme Ieremie l'appelle, 
 l'Eternel nostre iustice  ,  
                             
                                Iere. 23. v. 6. 
                         & S. Iean, 
 Alpha & Omega, le premier & le   
                                 
                                    Iean. 1. v. 11. 
                             
 Dernier , en qui habite toute plenitude de Deité ?
   
V. Secondement, en luy habite aussi toute 
plenitude d'humanité. Car quand le temps fut 
 venu pour reueler sous le nouueau Testament 
la grace qui estoit couuerte & comme cachée 
sous les ombres de l'Ancien, le Fils de Dieu est 
descendu du Ciel, lequel il n'a iamais delaissé, 
& par œconomie & dispensation temporelle 
s'est fait homme, non par aucun changement  
 
                             
                                August. de 
Eclces. 
                                dogmatib. 
cap. 2. 
                         de la Diuinité en l'humanité, cõme disoit 
Apollinaris : 
Non aussi par le meslinge des deux natures 
en vne, comme Dogmatizoit 
Entyche  ; mais 
par l'assumption de la nature humaine : & ce 
non en apparence seulement, qui fut la resuerie 
phantastique de 
Valentin ; mais en verité : Non 
venuë du Ciel, comme affirmoit l'heretique  
 
                             
                                Gene. 3. v. 15 
                         Marcion : mais faite en la terre de 
 la semence de  
   
                                 
                                    Math. 1. v. 1. 
                             la femme, d'Abraham, & de Dauid selon la chair   :  
 
                             
                                Rom. 1. v. 3. 
                         Et toutesfois non en corps seulement sans 
ame, & n'ayant pour ame que la Diuinité qui 
inspiroit le corps, ainsi qu'enseignoit 
Eunomius : 
mais en corps & en ame ensemble : En ame, dy- 
ie, vraye ame, & en ame, non seulement vegetante, 
mais aussi ayant sentiment & raison, & 
toute telle que sont les ames des autres hommes, 
afin qu'il peust estre 
Fils de l'homme, ainsi 
qu'il s'appelloit souuent. Et partãt vray homme. 
Non toutesfois par vn homme, non par la 
couche de l'homme auec la femme, cõme osoit 
maintenir le detestable 
Ebion, mais par l'operation 
miraculeuse du S. Esprit, duquel pourtant 
il n'est point le Fils, afin qu'aucun ne pense qu'il 
y ait deux Peres en la Trinité : Et ce d'autant 
que le S. Esprit ne l'a point engendré de sa substance, 
mais l'a formé & façonné de la substance 
de la Vierge Marie, suiuant qu'il est escrit 
qu'  il  
  
                                 
                                    Gal. 4. v. 4. 
                             a esté fait de femme . Et estoit ceste femme descenduë 
  de 
Dauid, & Dauid 
d'Abraham, & Abraham 
de 
Sem, & Sem de 
Seth, & Seth 
d'Adam, pere 
de nous tous, auquel S. Luc monte en la description 
de la Genealogie du Sauueur, afin que 
nous sçachions qu'il est homme de mesme 
nature que nous. 
 Semblable à ses freres  
                                 
                                    Heb. 2. v. 17. 
                             
 en toutes choses , & subject tant en son corps, 
qu'en son ame en toutes nos infirmitez, 
*qui ne sont point vicieuses, & qui sont naturelles 
* * άδιάϐλητα 
                            
παθήματα. 
                         & communes à tous : Pour exemple, 
en son 
corps il a souffert faim, soif, chaleur, froid, lassitude, 
bannissement, persecutiõ, toutes sortes d'opprobres 
& de tourmens, & finalement la mort 
sanglante & ignominieuse de la Croix : 
En son 
ame il a esté 
angoißé, & si fort contristé, qu'il a dit, 
 
                                 
                                    Math. 26. v. 
37. 38. 
                           Mon ame est saisie de toutes parts de tristesse iusqu'à 
la mort. Bref pour ce regard, 
 il a esté tenté de mesme   
                                 
                                    Heb. 4. v. 15. 
                             
 que nous en toutes choses, hormis peché . Car quant 
aux infirmitez qui sont personnelles, qui, di-ie, 
viennent du temperament & indisposition de 
la personne, plustost que de la condition de la 
nature, comme d'estre subject à la pierre, à la 
goutte, à la colique, à telle, ou à telle maladie, il 
ne les a point prises à soy, d'autãt qu'il n'a point 
pris à soy la personne d'aucun homme, ains seulemẽt 
la nature humaine. C'est pourquoy nous 
ne lisons point qu'il ait esté malade : Car les maladies 
sont infirmitez personnelles, & fort diuerses, 
selon la diuerse constitution, temperament, 
& conformation des corps. Mais il n'y a 
rien propre à l'homme, entant qu'homme, dont 
le Seigneur ait esté exẽpt, le peché seul excepté. 
Car 
 il n'a point cognu peché, & fraude aucune n'a   
                                2. Cor 5. v. 21 
                             
 esté trouuée en sa bouche  .   
                             
                                Esa. 53. v. 9. 
                             
VI. Ce qu'il a esté sans peché, n'est point aduenu 
de la pureté de sa Mere, comme enseignẽt  
les Docteurs de l'Eglise Romaine, disans qu'il 
faloit que le vaisseau qui deuoit porter le Redempteur 
fut net, afin qu'il ne fust soüillé de la 
contagion d'iceluy. Sur quoy le Concile de Trente 
a declaré, que la saincte Vierge a esté conceuë 
sans peché, & a approuué la Feste que l'Eglise 
Romaine celebre à la Conception d'icelle.
  
Ce qu'estant autant vray comme il est tres- 
faux, il s'ensuiuroit que le Pere & la Mere de la 
Vierge deuoient estre sans peché, afin que la generation 
& conception d'icelle fut sans tache ; 
que semblablement leurs ancestres deuoient 
estre sans vice, afin que leurs enfans peussent 
naistre semblables à eux. Ainsi en montant iusques 
à Adam, il se trouueroit qu'aucun homme 
n'auroit iamais peché.
  Mais ces gens font semblant d'ignorer que le 
peché est transfus en nous par la generation, 
ainsi que l'Apostre le donne à entendre quand  
 
                             
                                Rom. 5. v 12. 
                         il dit, que 
 par vn seul homme le peché est entré au 
au monde  : D'où il est aduenu que la Vierge pour auoir  
esté de l'homme par l'homme, a esté pecheresse. 
Il n'est pas ainsi de Christ, qui a esté voirement 
de l'homme, & pourtant est vray homme : 
mais n'a point esté par l'homme, c'est à dire 
par la generation charnelle vsitée entre les 
hommes, mais par l'operation miraculeuse du 
S. Esprit, duquel l'Ange dit à la Vierge, 
 le sainct 
Esprit suruiendra en toy, & la vertu du Souuerain  
  
                                 
                                    Luc 1. v 35. 
                             t'enombrera   : Et à Ioseph, 
 Ne crain point de receuoir  
  
                                 
                                    Matth. 1. v. 
20. 
                             Marie pour ta femme : car ce qui est engendré 
d'elle est du S. Esprit   : Conformément à quoy 
   
nous disons au Symbole, qu'il a esté conceu du S. 
Esprit, & né de la Vierge Marie . Ce qu'il ne faut  
pas entendre charnellement, mais spirituellement, 
de l'operation extraordinaire & incomprehensible 
de l'Esprit sanctifiant de nostre 
Dieu, lequel ayant purifié la substance de la 
saincte Vierge, fit d'icelle le corps de nostre Sauueur, 
& y adiousta vne tres-pure & tres-saincte 
ame reuestuë & ornée de toutes bonnes & 
sainctes qualitez pardessus toute perfection qui 
ait iamais esté en homme, ou en Ange, soit en 
nombre, soit en mesure.
  VII. Qui est la troisiesme maniere, selon 
laquelle nous disons que 
 toutes plenitude habite en 
luy   : Car c'est de luy que Dauid disoit, 
 O Dieu, ton   
                                 
                                    Psea. 45. v. 8 
                             
 Dieu t'a oinct d'huile de liesse par dessus tes compagnons ,
  entendant par l'huille les graces du sainct 
Esprit, lequel en l'Escriture est appellé 
l'Onction. 
Car 
 Dieu l'a oinct du S. Esprit & de vertu , & ce 
 
                             
                                Act. 10. v. 38 
                         non en petit nombre de graces, mais abondamment : 
non en nombre égal à ses consors, mais  
par dessus ses compagnons, pardessus tous les Anges, 
& tous les hommes saincts qui ont esté, qui 
sont, ou qui seront. Non aussi en petite mesure, 
ou en mesure égale à ses compagnons, mais outre 
& pardessus toute mesure. 
Car Dieu ne luy a   
                                 
                                    Ieh. 3. v. 34 
                             
 point donné l'Esprit par mesure , comme aux Anges, 
& aux fideles, mais en toute la perfection, 
dont la nature creée peut estre capable. En sa 
conception il receut l'Esprit, afin qu'il fust dés 
le Ventre 
separé des pecheurs : Il le receut derechef 
 
                                 
                                Heb. 7. v. 26 
                         en son Baptesme, auquel 
 le S. Esprit vint sur   
                                 
                                    Matth. 3. v. 
16 
                             
 luy comme vne colombe , & l'oignit de toutes les 
graces necessaires à l'accomplissement de la 
  charge de Moyenneur, le faisant, ainsi que dit S.  
 
                             
                                Act. 3. v. 36 
                         Pierre, 
Seigneur & Christ. Si que nostre nature a   
 
                             
                                Iehã. 1. v. 14 
                         esté en luy 
 pleine de grace & de verité  , & 
 en luy sont 
  
                                 
                                    Coloss. 2. v. 3 
                             cachez tous les thresors de sapience & d'intelligence. 
   VIII. Cest homme estant ainsi creé, la seconde 
personne de la Trinité le print à soy en 
vnion personnelle & eternelle, sans aucune cõfusion 
des deux natures, ou de leurs proprietez. 
Si que lors Christ demeurant ce qu'il estoit, deuint 
ce qu'il n'estoit pas, demeurant Dieu, il deuint 
homme : Et est maintenant l'vn & l'autre 
ensemble, assauoir vray Dieu eternel deuant 
tous les siecles, & vray homme ayant commencement 
d'estre & de vie au siecle. Comme en la  
 
                            S. Bernard 
serm. 3. Vigilis 
Natalis 
                         diuinité qui est singuliere, il y a Trinité és personnes, 
& vnité en la substance : Ainsi en ceste 
vnion speciale par vne contrarieté fort conuenable,  
 
                            Idẽ lib. 5. de 
consideratione. 
                         il y a Trinité és substances, & vnité en la 
personne. Il y a, di-ie, trois substances, & 
vne personne. Et comme là les personnes  
August. de 
Ecclesiast. dogmatib. 
cap. 2 ne font point de diuision en l'vnité, & l'vnité 
ne fait aucune diminution en la Trinité. 
De mesme icy la personne ne confond 
point les substances, & les substãces ne destruisent 
point l'vnité de la personne. La parole, & 
l'ame, & la chair se sont vnies en vne personne, 
& ces trois font vn, & cest vn est trois : nõ par 
la confusion des substances, non aussi par le 
changement de l'vne en l'autre, mais en l'vnion 
inseparable de la personne, qui est telle, que cet 
homme composé de corps & d'ame n'a point 
de subsistence particuliere, comme vn chacun 
de nous a la sienne, mais subsiste en la diuinité.
   
IX. Ne me demandez pas comment cela 
[s'est] 
 s'est fait : Mais croyez ce qui a esté fait. Que si 
vous me demandez raison de ceste œuure, & 
differez de la croire, pource que vous ne la pouuez 
comprendre, ie vous prieray de me dire 
comment vous croyez tant d'autres choses, desquelles 
il n'y a iamais eu homme au monde qui 
en ait sceu rendre la raison. Toutes les œuures 
visibles de Dieu ne seroient-elles pas autant de 
miracles, si par l'accoustumance elles n'estoient 
deuenuës viles & contemptibles ? Combien de 
choses foulons-nous aux pieds, pource qu'elles 
 
                            Augustin. 
Epist. 3. ad 
Volusianũ. Quam multa 
vsitata 
                                calcantur, 
quae considerata 
stupentur. 
                         sont vsitées & communes parmy nous, lesquelles 
nous rauiroient en admiration, si nous arrestions 
nos esprits à les considerer ? Qu'y a-il de 
plus commun que 
le Visc, que vous appellez 
le 
Guy ? C'est vn vray arbre, lequel ne se peut ny 
planter, ny semer, ny croistre en terre : Mais les 
griues esmẽtissent la graine d'iceluy, de laquelle 
elles sont fort friandes, sur quelque arbre, 
cõme sur le chesne, rouure, yeuse, chastaignier, 
pommier, poirier, ou quelqu'autre, laquelle venant 
à se prendre là, y croist, & deuient vn vray 
arbre, n'ayant aucune subsistence en soy, mais 
subsistant en l'arbre qui le porte, duquel il n'est 
pas produit. Si ceste similitude ne vous contente 
pas, entrez en vous mesmes, & rendez raison 
de ce qui s'est fait en vous mesmes, & qui se fait 
tous les iours ? Qui est celuy qui puisse declarer  
commẽt l'ame est vnie auec le corps, pour faire 
vne personne de l'homme ? Ie dy donc que tout 
ainsi que l'ame se sert du corps en l'vnité de la 
personne, afin qu'elle soit homme, ainsi en l'vnité 
de la personne Dieu se sert de l'homme, 
afin qu'il soit Christ. En ceste personne là, il y a 
  
l'vnion de l'ame & du corps : En ceste personne 
cy, il y a vnion de Dieu & de l'homme. La 
personne de l'homme est l'vnion, ou plustost 
procede de l'vnion de l'ame auec le corps, sans 
meslinge, sans confusion de leurs substances, ou 
de leurs proprietez. La personne de Christ est 
l'vnion, ou pour parler plus proprement, procede 
de l'vnion de Dieu & de l'homme ; & en 
ceste vnion il n'y a point de confusion, Dieu 
demeure Dieu, & l'homme demeure homme : 
Comme quand le Soleil est leué sur nostre horison, 
la lumiere se mesle parmy l'air sans se corrompre, 
& sans souffrir aucun changement, ou 
tant soit peu d'alteration.
  
De plus, ceste vnion de la nature humaine auec 
la diuine est si estroite, qu'elle a demeuré inseparable, 
lors mesme que par la mort l'ame du 
Seigneur fust separée de son corps. Car ce que 
la parole a vne fois prins à soy, elle ne l'a iamais 
quitté. Si bien que lors que le corps estoit au 
sepulchre, & l'ame en Paradis, la parole, l'ame, 
& la chair estoient vne personne, & vn Christ.
  X. O merueille des merueilles de Dieu ! le 
Pere dit de luy deuant qu'il vint au monde,  
 
                             
                                Pseau. 2. v. 7 
                          C'est toy qui es mon Fils, ie t'ay auiourd'huy engendré. 
Voila qui est admirable. Car quel cœur 
peut comprendre, quelle langue peut dire comment 
celuy qui a esté tousiours au Pere, qui ne 
s'est iamais retiré du Pere, ait peu estre engendré 
de luy ? Estant au monde, & conuersant en 
chair entre les hommes, le Pere luy rendit tesmoignage 
du Ciel, disant, 
 Cestuy-cy est mon Fils  
  
                                 
                                    Matth. 3. v. 
17. 
                             bien aymé, en qui i'ay prins mon bon plaisir   : Appellant 
cest homme que Iean baptisoit 
son Fils, 
  non 
pour la saincteté de la creation, pour laquelle 
les Anges qui ont gardé leur origine sont appellez  
Fils de Dieu : non pour la grace d'adoption, 
 
                             
                                Iob 1. v. 6 
                         pour laquelle tous les fideles, qui de nature 
 
                             
                                Eph. 2. v. 3 
                         sont enfans 
d'ire, sont en luy adoptez, & par 
 
                                 
                                Eph. 1. v. 5 
                         grace & faueur speciale faits 
enfans de Dieu : 
 
                                 
                                Rom. 8. v. 16 
                         mais en vertu de l'vnion personnelle, laquelle 
est si estroite, que 
le Fils de Dieu prenant à soy 
nostre chair, est deuenu 
Fils de l'homme, & par 
consequent Dieu le Pere est deuenu Pere de cest 
homme : & reciproquement ce 
Fils de l'homme est en la personne du Fils, 
Fils de Dieu, & par 
consequent sa Mere à l'instant que par foy elle 
le conceut au ventre est deuenuë 
Mere de Dieu. 
Voila qui est admirable en toutes manieres. 
Que le Fils naturel de Dieu soit le Fils naturel 
d'vne femme : Que Dieu soit le Pere d'vn homme : 
Qu'vne femme soit la Mere de Dieu : Que 
Dieu ayt esté vny à un homme, & en cest homme 
ait souffert toutes sortes d'opprobres, & la 
mort ignominieuse de la Croix en la terre : Que 
l'homme soit vny à Dieu, & en luy iouïsse d'vne 
gloire infinie, diuine, & propre au ciel. C'est la 
gloire de la foy Chrestienne, de croire ces choses. 
La foy ne croit que des merueilles : Toutes 
les œuures de Dieu sont autant de merueilles : 
Mais la generation du Fils deuant les siecles, l'incarnation 
du Fils au siecle est la merueille des 
merueilles de Dieu, pour laquelle le Fils est à 
bon droict appellé 
l'Admirable. 
 
                             
                                Esa. 9. v. 5 
                            Vous y pouuez adiouster deux autres merueilles : 
Car la Majesté toutepuissante, ce dit vn bon  
Pere, a fait trois meslinges (disons plustost trois 
 
                            Bernard. 
serm. 10 
                         vnions) en l'assumption de nostre chair, si merueilleusement 
singulieres, & singulieremẽt merueilleuses, 
  
que telles choses n'ont iamais esté faites 
auparauant, & ne se feront iamais plus sur la 
terre : Car Dieu & l'hõme, la Mere & la Vierge, 
la foy & le cœur humain se sont ioints ensẽble. 
La parole, & l'ame, & la chair se sont assemblez 
en vne personne : Et ces trois sont vn, & cest vn 
est trois, non en la confusion des substãces, mais 
en l'vnité de la personne. Ceste-cy est la premiere 
vnion, & celle qui surpasse les autres deux en 
excellence. La seconde est la Mere & la Vierge, 
laquelle aussi est en toutes façons admirable & 
singuliere. On n'a iamais ouy dire, que celle qui 
a enfanté fust Vierge lors qu'elle enfantoit, & 
que celle-là ait esté mere, qui a demeuré vierge. 
 August. de 
Ciuitate Dei 
lib. 10. c. 29 
Mirabilis 
                            mirabiliter 
natus est.  Certes l'admirable est né d'vne façon admirable. La 
troisiesme est la foy & le cœur de l'homme : Inferieure 
voirement aux autres deux, mais parauenture 
non moins forte : Car il y a dequoy s'esbahir 
comment le cœur de l'hõme a peu adiouster 
foy à ces deux choses, que Dieu est homme : 
Et que celle qui a enfanté en enfantãt fust Vierge. 
C'est toutefois ce en la creãce dequoy nostre 
foy triomphe, detestant & combatant la foy du 
Iuif, du Turc, de tous les Payens & Heretiques.
  
XI. Or iaçoit que ces choses surpassent toutes 
merueilles, si ne sont-elles pas dites afin que no9 
arrestions nos esprits à les admirer seulement, 
ains plustost pour les époinçõner à recercher les 
causes pourquoy Dieu a fait tant de merueilles : 
Car puisqu'il ne fait riẽ en vain, ce n'est pas pour 
neant qu'il a voulu que nostre Moyenneur fust 
Dieu, qu'il fust homme sans peché, qu'il fust 
l'vn & l'autre en vne personne.
  
Et premierement il faloit qu'il fust Dieu. Il 
 deuoit pardonner les pechez, 
 Et qui est-ce qui  
                                 
                                    Marc. 2. v. 7 
                             
 peut pardonner les pechez, sinon vn seul Dieu ? Il 
deuoit en sa mort souffrir pour nous vne peine 
infinie, & la surmonter. Qui eust peu venir à 
bout d'vne telle peine que l'infini ? Il deuoit dõner 
le sainct Esprit qui est l'Esprit de Dieu, pour 
creer en nous au lieu de ceste vie animale, vne 
vie du tout spirituelle : Et qui peut donner l'Esprit 
de Dieu, que Dieu ? Il deuoit deliurer l'Eglise 
de la main de tous ses ennemis, & briser Satan 
sous les pieds d'icelle. A cela il faloit vne 
puissance diuine. Bref, il deuoit couronner l'Eglise 
de gloire & d'honneur, & luy donner la 
vie eternelle : y a-il Ange, Archange, Cherubin, 
Seraphin, Throne, Domination, Principauté, 
ou puissance capable de mener à chef vn tel 
exploict, lequel est l'œuure de la Diuinité, & 
d'icelle seule ? Comme il a dit, c'est moy,  
 c'est moy qui suis l'Eternel, & n'y a point de Sauueur   
                                 
                                    Esa. 43. v. 11 
                             
 fors que moy. Dont S. Iean dit de luy, 
 Iceluy est  
                                1. Iea. 5. v. 20 
                             
 le vray Dieu, & la vie eternelle. 
   XII. Or cõme ainsi soit que la Diuinité soit, 
nõ diuisée, mais distinguée en trois personnes, 
la seconde personne, qui est le Fils, est celle qui 
s'est reuestuë de nostre chair, & en icelle nous 
a reconciliés au Pere. Celuy par qui le Pere a 
fait l'homme, est celuy par qui il l'a voulu refaire : 
Et estoit fort conuenable que celuy qui est  
 l'image de Dieu inuisible , l'image, di-ie, substancielle 
 
                             
                                Col. 1. v. 15. 
                         & increée, reparast en nous l'image de 
Dieu accidentale & creée. Adjoustez, que celuy 
qui de nature est Fils de Dieu a esté misericordieusement 
fait Fils de l'hõme, afin que nous 
qui de nature sommes fils des hõmes, fussions 
  
par grace faits Fils de Dieu. Qui aussi nous pouuoit 
mieux enseigner les choses qui sõt de Dieu, 
que celuy qui est la Parole & la Sapiẽce de Dieu ?  
Et qui estoit plus propre pour nous defendre 
cõtre les principautés & puissãces ennemies de 
Dieu, que celuy qui est la puissance de Dieu ?
  
Certes le Pere ne pouuoit s'vnir à nostre nature. 
Car il faloit estre enuoyé pour cela : Et le 
Pere qui ne procede d'aucun, mais est de par soy 
mesme ne pouuoit estre enuoyé par aucũ. Ioint 
que de l'incarnation du Pere s'en fust ensuiuie 
vne tres grãde absurdité. Car il eust esté Pere de 
celuy qui est Dieu de nature, & Fils d'vne creature 
mortelle,, assauoir d'vne femme.
  
Semblablement le sainct Esprit ne pouuoit 
estre fait homme sans vn pareil inconuenient : 
Car si cela fust aduenu, il y eust eu deux Fils en 
la Trinité : Assauoir la Parole, qui est le Fils eternel 
du Pere eternel : Et le sainct Esprit Fils de 
Marie. Mais en ce grand & admirable mystere 
de l'incarnation du Fils, il n'y a rien qui repugne 
à la nature de Dieu, rien qui soit 
absurd à la raison sãctifiée de l'hõme Chrestien.
  
XIII. Il a aussi falu que nostre Redempteur 
fust homme de nostre nature, pour la gloire de la 
Justice, & de la Verité de Dieu. Car la iustice de Dieu 
requeroit que la nature qui auoit peché portast 
la peine du peché qu'elle auoit fait. Ce fut nostre 
nature qui auoit peché en Adam ; C'est aussi 
nostre nature qui a souffert la peine de ce peché 
au second Adam, afin que la iustice de 
Dieu demeurast contente & satisfaite. La 
peine que la Iustice de Dieu auoit decernee 
pour l'expiation de nostre peché, estoit la 
 mort, laquelle Dieu denonça à Adam, luy 
disant que dés le iour qu'il mangeroit de 
l'arbre deffendu, 
 il mourroit de mort    : Et 
 
                             
                                Genes. 2. 
v. 17. 
                         les fideles qui dés le commencement espandoyent 
le sang des bestes qu'ils offroyẽt à Dieu 
en sacrifice typique, auoyent appris que ceste 
mort deuoit estre sanglante. C
ar   sans effusion de   
                                 
                                    Heb. 9. v. 
22. 
                             
 sang ne se fait point de remißion . Or Dieu est vn 
esprit eternel, & ne peut mourir : A raison dequoy 
il s'est fait homme, afin qu'estant mortel 
en nostre nature, il souffrist pour nous la mort 
laquelle nous deuions souffrir. Il y en a entre 
les Docteurs Papistes qui enseignent que Iesus- 
 
                            Suarez in 3. 
Thomas 
quaest. 1. art. 1. dist. 4. 
sect. 
                                2. 
                         Christ pouuoit prendre la nature Angelique, 
& nous racheter parfaitement par icelle, en satisfaisant 
a la iustice de Dieu par quelques actes 
internes & spirituels, iaçoit qu'il ne peut mourir. 
Ce qui est dit par eux 
& inutilement, & 
faussement : 
Car à quel propos nous discourent-ils 
de ce que Christ a peu faire autrement qu'il ne 
l'a fait, quand il nous conste de ce qu'il a fait ? 
Et pourquoy aneantissent-ils la justice & 
la verité de Dieu ? Car la iustice de Dieu ne 
pouuoit permettre qu'vne autre nature que 
celle qui auoit peché luy satisfit, & qu'elle luy 
satisfit autrement qu'en mourant : Car 
 c'est ici   
                                 
                                    Rom. 1. v. 
32. 
                             
 le droit de Dieu, que ceux qui commettent telles choses 
sont dignes de mort. Et pourtãt c'est sa iustice qui 
l'a porté à denoncer la mort aux pecheurs, & 
c'est par iustice 
qui les punit de mort. A raison 
de quoy Christ luy-mesme dit, qu'
 il faloit que le   
                                 
                                    Luc 24. v. 
26 
                             
 Christ souffrit ces choses   : C'est ce que l'Apostre 
nous a voulu donner à entendre quand il dit, 
 
                             
                                Heb. 2. v. 
14. 15. 16. 
                         que 
 depuis que les enfans participent à la chair &   
 au sang luy außi semblablemẽt a participé aux mesmes  
choses, afin que par la mort il detruisist celuy qui 
auoit l'empire de la mort, c'est assauoir le Diable, & 
qu'il en deliurast tous ceux qui pour crainte de mort 
estoyent toute leur vie assuiettis à seruitude   : c'est à 
dire, que depuis que ceux que Dieu a predestinez 
en Iesus-Christ pour les faire ses enfans, 
sont hommes ayans chair & sang ; luy aussi s'est 
fait homme, afin que mourant pour eux, il detruisist 
le Diable, & les deliurast de la mort. Car 
certes il n'a nullement prins les Anges, mais a prins 
la semence d'Abraham. S'il eust vestu la nature 
Angelique, il n'eust souffert que pour les Anges, 
& sa mort ne seruiroit que pour les Diables : 
Mais n'ayant point prins les Anges, nous 
sçauons qu'il n'est point mort pour eux : & a. 
ayant prins la semence d'Abraham, descendu 
d'Adam, nous sçauons qu'il a expié les pechez 
des enfans d'Adam, & est mort pour nous.
    
                            August. lib. 
10 : Confession. 
ca. 42. 
                         XIV. Ioinct qu'il a falu, ainsi que dit quelque 
Pere, que le Mediateur entre Dieu & les 
hommes eust quelque chose semblable à 
Dieu, & quelque chose semblable aux hommes, 
afin qu'en ce qu'il auoit semblable aux 
hommes, il peust mourir pour les hommes : Et 
parce qu'il auoit semblable à Dieu, appaiser 
Dieu, & rendre sa mort meritoire. Car s'il eust 
esté en toutes choses semblable aux hommes, il 
eust esté loin de Dieu & n'eust peu l'appaiser 
enuers l'homme : & s'il eust esté en toutes choses 
semblables à Dieu, il eust esté loin des hommes, 
& ne les eust peu ramener vers Dieu. Ainsi 
il n'eust peu estre Moyenneur entre Dieu & 
nous. Selon cela l'Eglise a tousiours creu & enseigné, 
[seigné,]   que la Diuinité sans l'humanité n'est 
Idem de 
                            
Ouibus. ca. 
12. point mediatrice, qu'aussi l'humanité sans la Diuinité 
n'est point mediatrice : mais entre la Diuinité 
seule & l'humanité seule, est mediatrice 
 
                            Chrysost. 
in 1. Timo. 
ca. 2. Hom. 
7. 
                         la Diuine humanité, & l'humaine Diuinité de 
Christ, ou pour parler plus clairement, Christ 
Homme-Dieu & Dieu-Homme est Mediateur 
entre Dieu & l'hõme. Dieu pour parler à Dieu : 
Homme pour estre receu des hommes. Ou cõme 
a dit vn autre Pere, Homme pour estre tenté. 
 
                            Irenæ. lib. 3 
cap. 20. 
                         Dieu 
ponr estre glorifié. La parole se reposoit, 
afin que l'homme peut estre tenté, deshonnoré, 
crucifié & mourir : La parole derechef 
monstroit en luy sa vertu, en ce qu'il 
a soustenu & vaincu la mort, est ressuscité, est 
monté au Ciel, & s'est assis à la dextre de Dieu. 
Si l'homme n'eust vaincu l'ennemy de l'homme, 
il n'eust pas esté iustement vaincu : Et si 
Dieu n'eust dõné le salut, il ne nous seroit point 
ferme & asseuré. C'est ainsi que les Docteurs 
anciẽs ont descrit les causes pour lesquelles il a 
falu que le Moyenneur fust Dieu & Homme 
en vnité de personne. H
omme, pour faire l'œuure 
qui deuoit appaiser Dieu, & meriter le salut.  
Dieu, pour rendre l'œuure meritoire. Car 
nul ne peut meriter de Dieu, c'est à dire, faire 
vne œuure d'vne vertu & dignité infinie, que 
celuy qui est infini. Et qui est tel que Dieu. 
Voila pourquoy on dit és escoles, que 
l'œuure 
qui a merité est de l'humanité du Seigneur, mais le 
merite de l'œuure est de sa Diuinité.
   
Pour ceste mesme raison il a falu que cest hõme 
fust sans peché, & vni personnellement à la 
Diuinité. Car il ne se pouuoit faire que le Fils de 
 Dieu & la nature polluë fussẽt accouplés ensẽble : 
Et faloit que celuy qui deuoit souffrir & 
payer pour les pecheurs, & satisfaire à la iustice  
 
                             
                                Heb. 7. v. 26 
                         vengeresse de Dieu pour eux fust 
 sainct, innocent, 
sans macule, separé des pecheurs, & exalté par dessus 
tous les Cieux . Homme sans peché, & vray Dieu.
   Et ce en vne personne, à fin que tout 
l'œuure procedast d'vn, & que le merite d'iceluy 
decoulast immediatement de la personne 
qui l'auoit fait. Car si vne personne eust fait 
l'œuure, & vne autre eust donné merite à l'œuure, 
nous n'aurions point en vn la reparation 
de la faute qui a esté faicte par vn, & le restablissement 
du salut qui a esté perdu par vn. Ce 
que 
Nestorius n'ayant sceu considerer, il diuisa  
Christ, & d'vn Christ vray 
 Emmanuel, Dieu auec  
  
                                 
                                    Matth. 1. v. 
23. 
                             nous  , vrayement Dieu-Homme, ou Homme- 
Dieu en vne personne, fit deux Christs.
   
XV. Ceste vnion des deux natures en 
Christ est si estroite, qu'à cause d'icelle l'Escriture 
attribue à tout Christ ce qui est propre à 
l'vne des natures en luy, & quelquesfois approprie 
à l'vne des natures ce qui est propre à 
l'autre, quelquesfois aussi dit des choses de luy 
qui ne luy peuuent competer qu'au regard 
des deux natures ensemble : Et ce par des manieres 
de parler que les anciens Docteurs ont appellees 
 La communication des idiomes.
  
Pour commencer par la derniere, apprenez & 
retenez que toutes & quantesfois que l'Escriture 
parlant de Christ luy attribuë les titres qui 
designent ces offices, comme qu'il est Roy, Sacrificateur, 
& Prophete, le Plege de la nouuelle alliance, 
Moyenneur entre Dieu & les hommes : ou les benefices 
qu'il nous en a acquis, tels que sont, qu'il 
 est nostre Iesus, nostre Sapience, Iustice, Sanctification, 
& Redemption, &c. Ces choses 
competent à toute sa personne au regard des 
deux natures vnies en icelle. Car tout ainsi que 
ie vous enseigne maintenant, non comme 
ayãt vne ame seulement, pource que l'ame ne 
parle point à la façon que ie parle maintenant 
à vous, non aussi comme ayant vn corps seulement, 
pource qu'vn corps n'a que les instrumẽs 
de la parole & du discours, lequel il ne sçauroit 
former de soy, mais cõme estant vne personne 
cõposee de corps & d'ame : Cõme, di-ie, 
ce n'est ni mon ame, ni mon corps qui vous instruit 
maintenant, mais c'est moy qui vous instruit, 
& comme à la production de cest œuvre 
ces substances concurrent en moy, & s'vnissent 
ensemble : Tout de mesme Christ est 
appellé & est nostre Roy, nostre Redempteur, 
Moyenneur entre Dieu & nous. Il nous a merité 
le pardon de nos pechez, & nous sauue, nõ 
comme Dieu seulemẽt, pource que Dieu n'eust 
peu souffrir ; non comme homme seulement, 
pource que l'homme n'eust peu meriter, mais 
comme Dieu Homme, & Homme-Dieu en 
vnité de personne. Pourtant quand l'Apostre 
dit, qu'
 il y a vn seul Dieu, & y a vn seul Moyenneur  
                                1. Tim. 2. v. 5 
                             
 entre Dieu & les hommes Jesus-Christ homme , ne 
vous laissez point seduire aux Docteurs Papistes 
qui inferent de ces paroles que Christ est 
Mediateur entant qu'Homme seulement. Croyez 
plustost à vn Docteur ancien, qui les exposãt 
 
                            Chryso. ibi 
Homil. 7. 
                         escrit, qu'il estoit impossible qu'vn homme 
pur & simplement tel, & n'ayant rien de 
cõmun auec Dieu, fust Mediateur entre Dieu 
  
& l'homme. Et tenez pour certain que cest hõme 
est Mediateur, entant qu'il est partipant de 
l'vne & de l'autte nature. C'est ainsi que nostre 
Apostre dit en nostre texte, que  le bon plaisir du  
Pere a esté que toute plenitude habitast en luy, & de 
reconcilier par luy toutes choses à soy . Car cela conuient 
à toute sa personne au regard des deux natures 
coniointement.
  XVI. Semblablement vous voyez que plusieurs 
choses sont dites vrayement de tout 
l'homme, c'est assauoir de la personne de l'homme, 
qui ne sont pas dites vrayement de tout ce 
qui est de l'homme : ains doiuent estre considerees 
distinctement, ou au regard de son corps, 
ou au regard de son ame. Vous parlez proprement 
& clairement quand vous dites 
que l'homme est mortel, & aussi que l'homme 
est immortel ; combien qu'il ne soit mortel 
qu'au regard de son corps, & ne soit immortel 
qu'en son ame. En ceste maniere l'Escriture 
attribuë plusieurs choses à tout Christ, 
qui ne conuiennent pas à tout ce qui est de 
Christ, mais doiuent estre restreintes à l'vne ou 
à l'autre de ses natures distinctement. Pour  
 
                             
                                
Ian. 10. v. 30 
                         exemple, Christ dit de soy fort veritablement,  
 
                             
                                Iean 14. v. 
10. 
                          Moy & le Pere sommes vn : Philippe celuy qui m'a 
veu, il a veu mon Pere, ie suis au Pere, & le Pere en  
  
                                 
                                    Iean 9. v. 58. 
                             moy : deuant qu'Abraham fust ie suis : Voici ie suis  
  
                                 
                                    Matth. 28. v. 
20. 
                             touiours auec vous iusques à la fin du monde . Tous  
 
                             
                                Heb. 2. v. 3. 
                         lesquels passages, & autres semblables doiuent 
estre exposez de luy, entant qu'il est 
 la resplẽdeur 
de la gloire, & la marque engrauee de la personne du 
Pere , c'est assauoir vray Dieu. Les Papistes à faute 
d'auoir apprins ceci, sont tõbés en vn erreur 
  fort grossier. Car pource que Iesus-Christ a 
dit, 
 Voicy ie suis auec vous tousiours iusques à la fin 
du monde , ils croyent que son corps glorifié est 
en autant de lieux qu'est le pain enchanté de la 
Messe, ne considerans pas que le Seigneur parle 
en cest endroit de la presence de son esprit. Car 
il leur auoit dit auparauant ; 
 Il vous est expedient  
                                 
                                    Iean. 16. v. 7. 
                             
 que ie m'en aille : Car si ie ne m'en vay, le Consolateur 
ne viendra point à vous. Et si ie m'en vay, ie le vous 
enuoyeray . Or 
il s'en est allé en portant son corps 
Corpus contulit 
Coelo, 
Maiestatem 
non abstulit 
                            
solo. dans le Ciel : Car la Diuinité qui est infinie, ne 
va ni vient. Et 
il a demeuré auec eux, d'autant qu'il 
n'a point osté sa Majesté de la terre. Pourtant 
S. Pierre dit de luy, qu'
 il faut que le Ciel le contiene   
                                Act. 3. v. 21. 
 iusques au temps du restablissement de toutes les choses 
que Dieu a prononcees par la bouche de tous ses 
Prophetes dés le commencement du monde . Ce qui 
ne luy peut competer au regard de sa Diuinité 
qui est par tout, mais luy conuient tresbien, 
eu esgard à son humanité, 
à laquelle la   
                                August. de 
præsentia 
Dei ad Dardanum. 
Epi. 
57. 
                                    cui profecto 
immortalitatẽ 
dedit gloria 
naturam nõ 
abstulit, 
                                    &c. 
                              gloire, dont elle est reuestuë, 
a donné l'immortalité, 
mais ne luy a point osté sa nature en laquelle 
il n'est point diffus, & n'est point par tout. Et 
se faut bien donner garde de maintenir tellement 
la Diuinité de l'homme, que nous luy 
ostions la verité du corps : Et ne s'ensuit pas 
que ce qui est en Dieu est par tout, comme 
Dieu est partout. Car l'Escriture laquelle est 
tres-veritable dit de nous,  Qu'en luy nous   
                                Act. 17. v. 
28. 
 viuons & mouuons, & sommes : Et toutesfois 
nous ne sommes point par tout comme luy. 
Vray est que cest homme-là est autrement en 
Dieu que nous, pource que Dieu est autrement 
en luy qu'en nous, c'est assauoir en vne 
maniere propre & singuliere.        
                             
                                Ieã 14 v. 28 
                         XVII. Derechef le Seigneur dit, 
 le Pere est  
  
                                 
                                    Ieã 6 v. 28 
                             plus grand que moy .  
   Je delaisse le monde, & m'en   
  
                                 
                                    Ieã 12 v. 8 
                             vay au Pere   :   Vous aurez tousiours les pauures auec  
  
                                 
                                    Ieã 10. v. 7 
                             vous, mais vous ne m'aurez point tousiours.  
 :   Il vous 
est expedient que ie m'en aille , & autres choses 
semblables, lesquelles se disent vrayement de 
luy entant qu'il a prins à soy nostre chair.
   Ce que le meschant 
Arrius a peu, mais n'a 
point voulu apprendre, ne pouuant estre induit 
à confesser qu'il y a deux choses en Christ, l'vne 
par laquelle il est égal au Pere : L'autre par laquelle 
il est moindre que le Pere. Celle-là est la 
Parole : Celle-cy est la Chair : Celle-là est Dieu : 
Celle-cy est vn homme. Mais l'vne & l'autre est 
vn Christ, Dieu & Homme, lequel mesmes est  
 
                            August. de 
Trinit. lib. 
1. cap. 7. 
                         moindre que soy-mesme. Car comment n'auroit 
esté fait moindre que soy-mesme celuy qui 
s'est aneanty soy-mesme, ayant prins forme de 
seruiteur ? Aneanty, dy-ie, non en quittant la 
forme de Dieu, en laquelle il estoit égal au Pere, 
mais en prenant à soy la forme abjecte de seruiteur, 
en laquelle il estoit non seulement moindre 
que le Pere, mais aussi moindre que soy- 
mesme. Gardez bien ceste distinction de la Diuinité 
& de la Chair : Vn mesme Fils de Dieu 
parle en l'vne & l'autre, pource qu'en luy est 
l'vne & l'autre nature. Mais encore que ce soit 
vn mesme qui parle, il ne parle pas en mesme  
 
                            Ambros lib 
2. de fide 
cap. 4. 
                         maniere. Considerez en luy maintenant la gloire 
de Dieu, maintenant les passions de l'homme. 
Escoutez-le parlant tantost comme Dieu 
des choses qui sont Diuines, pource qu'il est la 
parole : tantost aussi comme homme parlant des 
choses qui sont humaines, pource qu'il parloit 
   
en la substance de l'homme.
  XVIII. Escoutez-le aussi, attribuant tantost 
à la nature humaine ce qui est propre à la nature 
diuine : Et reciproquement rapportant à la 
nature diuine ce qui ne conuient qu'à la nature 
humaine. Estant en terre il disoit à Nicodeme,  
 personne n'est monté au ciel, sinon celuy qui est descendu  
                                 
                                    Ieã 3. v. 13 
                             
 du ciel, à sçauoir le Fils de l'homme qui est au 
ciel , attribuãt au Fils de l'homme ce qui est propre 
au Fils de Dieu : pource que le Fils de Dieu 
qui est descendu du ciel, & n'en a iamais bougé, 
est aussi Fils de l'homme. Semblablement 
l'Apostre escrit que 
 Dieu a acquis l'Eglise par son   
                                 
                                    Act. 20 v. 28 
                             
 sang , & que les Iuifs ont 
 crucifié le Seigneur de gloire   : 
 
                            1. Cor. 2. v. 8 
                         Et toute l'Eglise confesse au Symbole, que le 
Fils de Dieu est né de la Vierge Marie, qu'il a 
esté crucifié, mort, enseuely, est descendu aux 
enfers, &c. pource que le Fils de l'homme à qui 
toutes ces choses sont aduenuës, est aussi Fils de 
Dieu, & vray Dieu.
   L'Escriture vous enseigne à faire ces distinctions 
touchant Christ : Parle-elle des proprietez 
d'iceluy ? Donne-elle à l'humanité celles de 
la diuinité, ou à la diuinité celles de l'humanité ? 
dites qu'elle ne parle ainsi qu'à cause de l'vnion 
personnelle : Car ailleurs elle s'expose fort clairement, 
rendant à chaque nature sa proprieté, 
& disant que Christ a esté fait de la semence de 
Dauid 
 selon la chair , & a esté declaré Fils de 
 
                             
                                Rom. 1. v. 3. 4 
                         Dieu en puissance 
  selon l'Esprit de sanctification   : 
Item, 
 qu'il a esté mortifié en chair, mais viuifié par   
                                1. Pier. 3. v. 18 
                             
 l'Esprit , c'est à dire, qu'il est mort entant qu'hõme, 
& s'est ressuscité par sa vertu diuine.
   
Voila la merueille de l'vnion personnelle, selon 
   
                            August. de 
fide ad Petrum 
c. 17 
                         laquelle le Fils ayant vny à la personne eternelle 
de sa diuinité la substance temporelle de la 
chair, n'a point perdu ce qu'il estoit, mais a commencé  
 
                            Idem de 
Tempore 
serm. 125 
                         d'estre ce qu'il n'estoit pas, afin qu'il soit 
parfait en ce qui est sien, & vray en ce qui est du 
nostre. Car celuy qui estoit Dieu a esté fait homme, 
& celuy qui est né homme, œuure comme 
Dieu : & celuy qui œuure comme Dieu, est mort 
comme homme : & celuy qui est mort comme 
homme, s'est ressuscité comme Dieu. Mais c'est 
comme Dieu & homme ensemble, qu'il nous a 
merité grace & gloire. Comme tel, il nous donne 
icy l'vne, & nous donnera l'autre au ciel en 
son temps.
   
XIX. Ceste doctrine a diuers vsages, tant 
pour la refutation des erreurs de ce temps, que 
pour nostre instruction & consolation. Et premierement 
elle est formelle contre les Docteurs 
des merites des hommes pecheurs, qui enseignent 
que Iesus-Christ nous a sauuez, entant 
qu'il a merité par sa mort que chacũ peust meriter 
à soy-mesme le salut par ses propres œuures : 
Ainsi à ce conte il ne seroit point nostre 
Iesus & nostre Sauueur en soy-mesme, & par 
soy-mesme, mais en nous & par nous : Et le Pere 
n'auroit point  reconcilié toutes choses à soy, ayãt 
fait la paix par le sang de la Croix d'iceluy  , ainsi 
que nous verrons és exhortations suiuantes ; 
ains seulement l'auroit donné, afin qu'il nous 
donnast dequoy nous reconcilier nous mesmes, 
& faire nostre propre paix. Ce qui renuerse tous 
les fondemens de la Religion Chrestienne : Car 
il n'estoit point necessaire qu'il se fist homme, 
qu'il fust mis sur la croix, que sur icelle il espandit 
[dit son] 
 
son sang, & subit la mort, à ce qu'il meritast 
pour nous que nous fussions nos propres Sauueurs, 
pouuant sans bouger du ciel nous donner 
la grace & la vertu, par laquelle ces Docteurs 
enseignent que nos œuures sont renduës meritoires.
  Au lieu que l'Escriture nous enseigne qu'il 
deuoit satisfaire pour nous à la Iustice de Dieu, 
comme 
plege de la nouuelle alliance, que pour ces 
 
                                 
                                Heb. 7. v. 22 
                         fins il faloit qu'il se fist homme de nostre nature, 
& en nostre nature souffrist la mort : Qu'il faloit, 
dy-ie, que la vie mourust, afin que sa mort 
fust la mort de la mort, & meritast la vie aux 
mourans. C'est pourquoy l'Escriture dit, 
 qu'il a fait   
                                 
                                    Heb. 1. v. 3. 
                             
 par soy-mesme la purgation de nos pechez , & non 
pas par nous : 
 Que le don de Dieu, c'est la vie   
                                 
                                    Rom. 6. v. 23 
                             
 eternelle par Jesus-Christ nostre Seigneur, que, dy- 
ie, la vie eternelle est le don de Dieu   : Doncques 
n'est pas le salaire de nos merites : Que ce don 
nous aduient 
par Iesus-Christ, & non par nous. 
Et pource que les manieres de parler negatiues 
sont fort expresses, S. Pierre dit, 
 qu'il n'y a point  
                                 
                                    Act. 4. v. 12 
                             
 de salut en aucun autre  qu'en Christ : d'où il 
s'ensuit qu'il n'y a point de salut en nous. Dequoy 
la raison est en la personne du Sauueur, 
qui seul a esté homme pour seruir, Dieu pour 
meriter : Homme pour combattre, & Dieu pour 
vaincre : Homme pour mourir, & Dieu pour 
donner la vie à ceux qui sont morts.
   
Que si le Fils de l'homme iuste & sainct 
qu'il estoit, n'eust peu estre nostre Sauueur, s'il 
n'eust esté aussi Fils de Dieu, comment eust-il 
peu meriter que ceux qui ne sont que Fils des 
 hommes, tous pecheurs comme leurs peres, 
&   
                             
                                Iean 3. v. 6 
                          chair de chair , soient leurs propres Sauueurs ? 
Il a falu que le Sauueur, pour faire des œuures 
meritoires, fust Dieu, Autrement il n'eust peu 
estre Sauueur. Et donc ceux qui sont sauuez, 
ceux qui ne sont que creatures mortelles, ceux 
qui ne sont & ne peuuent estre Dieux, peuuent- 
ils auoir d'autres merites que ceux de 
Dieu qui est leur Sauueur, qui seul a peu faire 
des œuures dignes de soy-mesme, & d'vn prix 
infiny & inestimable ? Parquoy que les idolatres 
se glorifient en eux-mesmes, & sacrifient à 
leur propre filé, nous offrirons sacrifice de 
loüange à Dieu, & chanterons auec celle qui  
 
                             
                                Luc 1 v. 46 
47. 
                         est beniste entre les femmes, 
 Mon ame magnifie 
le Seigneur, & mon esprit s'est esgayé en Dieu qui 
est mon Sauueur .
   XX. Secondement, à quiconque veut faire 
vne charge, deux choses sont necessairement 
requises, 
capacité & authorité : car s'il a 
authorité sans 
capacité, il sera vne nourrice à la poictrine 
ridée sans laict. S'il 
a capacité sans 
authorité, il sera  
 
                             
                                Gen. 16. v. 12. 
                         comme 
 Ismaël, homme asne sauuage : La main 
d'iceluy sera contre vn chacun : & les mains d'vn 
chacun seront contre luy. C'est pourquoy nostre 
Seigneur & Sauueur Iesus-Christ a eu ces deux 
choses en soy. 
La capacité, pource que 
toute plenitude a habité en luy : 
L'authorité, pource que  
le bon plaisir du Pere a esté de reconcilier par luy 
toutes choses à soy. Car tout ainsi que durant  
 
                             
                                Heb. 5. v. 4. 5 
                         la Sacrificature charnelle, 
 Nul ne s'attribuoit cet 
honneur, ains celuy en iouyssoit qui estoit appellé de 
Dieu, comme Aaron : Pareillement außi, dit l'Apostre, 
 Christ ne s'est point glorifié soy-mesme pour    
 estre fait souuerain Sacrificateur, mais celuy l'a glorifié, 
qui luy a dit, C'est toy qui es mon Fils, auiourd'huy 
ie t'ay engendré   : Ce qui estoit necessaire, 
tant à cause de luy, qu'à cause de nous : 
A cause 
de luy, afin qu'il peust faire la charge pour laquelle 
il estoit venu en bonne conscience, & 
s'attendre à la benediction de Dieu sur son labeur, 
sçachant qu'il ne l'entreprenoit pas d'authorité 
priuée, mais par la volonté & ordonnance 
de son Pere. 
A cause de nous, afin que recourans 
à luy pour cercher par luy paix auec 
Dieu, nous soyons asseurez que nous ne serons 
point frustrez de nostre esperance, ains trouuerons 
ce que nous cerchons, puis que 
luy seul est 
entreuenu entre les pecheurs mortels, & le iuste immortel ;  
                                Augustin. 
Confession. 
lib. 10. cap. 
43. 
                              & a esté mortel auec les hommes & pour eux, 
& iuste auec Dieu. Puis aussi que c'est luy seul auquel  
ceste parole a esté adressée, 
 Je t'ay donné   
                                 
                                    Esa. 49. v. 6 
                             
 pour lumiere aux nations, afin que tu sois mon salut 
iusques au bout de la terre   : Est seul appellé, & 
seul est 
 salut de Dieu, le salut que Dieu a preparé   
                                 
                                    Luc 2. v. 30. 
31. 
                             
 deuant la face de tous les peuples    : Le salut qui 
a apporté le salut à tous peuples.
   
XXI. Que donc le Pape de Rome, ses Cardinaux, 
& son Clergé confessent qu'ils ont temerairement 
& sacrilegieusement leué le seau 
dont le grand Dieu a approuué son Fils, pour 
estre nostre seul & vnique Sauueur, pour en 
seeller les Anges & les hommes morts, afin d'en 
faire nos Mediateurs & nos Sauueurs enuers 
Dieu : Comme ainsi soit qu'ils n'ont ny vocation 
de Dieu pour entreprendre vne si grande 
charge, ny capacité pour la faire : Les Anges, la 
Vierge Marie, les Apostres, les Martyrs, les 
 
Saincts du Calendrier Romain sont-ils Dieux ? 
 La Vierge Marie, laquelle ils appellent la Porte 
de Paradis, le Port du salut, la Mere des misericordes, 
leur Esperance, leur Mediatrice, & quoy non ? 
Et à laquelle ils adressent toutes les prieres que 
Dauid adresse à Dieu en ses Pseaumes, est-elle 
Dieu ? Posez le cas qu'estant au monde elle ait 
esté pleine de grace, comme ils la saluent en leur 
 Aué, au lieu que l'Ange luy dit, qu'elle auoit esté 
 receüe en grace : Cela ne suffit pas à ceste charge, 
laquelle ne compete qu'à Dieu. Les Apostres & 
autres Saincts par les merites desquels ils inuoquent 
Dieu, ont-ils esté Dieux ? Tous tout autant 
qu'ils sont, n'ont-ils pas esté pecheurs, 
n'ont-ils pas esté sauuez par les merites du Fils 
de Dieu ? Car pour sauuer les hommes, non seulement 
il faut estre sans peché, comme sont les 
Anges esleuz, & ce qu'homme quelconque n'a 
iamais esté, hormis vn seul : mais aussi il faut 
estre Dieu. Car il n'y a rien de si petit au salut, 
qui ne requiere vne vertu infinie, & ne soit vne 
œuure diuine. Que si ceux-là qui ont esté esleuez 
en saincteté pardessus le reste des mortels, 
n'ont rien contribué, ny peu contribuer au merite 
du salut, comment nous persuaderont ces 
pauures abusez, qu'ils peuuent meriter le salut 
par leurs propres œuures ?
  
Mais quand bien il y auroit de la suffisance 
és Anges, és Saincts recueillis auec Dieu, 
és hommes combattans contre le peché & 
les malices spirituelles au monde, pour meriter 
le salut, ie dy qu'ils ne pourroient entreprendre 
ceste charge sans vocation, sans mission, 
sans commission de la part de Dieu. Es 
 choses du monde nul n'entreprend aucune 
charge sans y estre appellé : Nul ne peut plaider 
deuant les Parlemens, les Presidiaux, les 
Senechaux, & autres Iuges inferieurs, sans 
estre receu Aduocat, ou Postulant. Apres le 
retour de la captiuité de Babylone, ceux qui 
 
                             
                                Esdr. 2 v. 61. 
62 
                         ne pouuoient monstrer leur genealogie escrite 
au registre, furent deboutez de la Sacrificature : 
Les Roys n'ont point d'Officiers, que 
ceux qu'ils ont eux-mesmes installez : Et nul 
ne iouït des priuileges de la bourgeoisie d'vne 
ville, que ceux qui sont enrollez en la 
matricule des bourgeois : Et encor auec quelle 
difficulté paruient-on à telles charges ? Et 
combien faut-il de ceremonies deuant que d'y 
estre admis ?
   Y-a-il ordre és choses des hommes, n'y en 
aura-il point en celles de Dieu ? L'Apostre voulant 
prouuer l'excellence de Iesus-Christ par- 
dessus les Anges, argumente ainsi, 
 auquel des  
                                 
                                    Heb. 1. v. 5 
                             
 Anges Dieu a-il oncques dit, C'est toy qui es mon 
Fils, ie t'ay auiourd'huy engendré ? Remarquez 
La force de l'argument : Dieu n'a point dit 
aux Anges, 
Tu es mon Fils : Doncques pas 
vn d'eux n'est le Fils de Dieu : Il l'a dit à 
Christ : Doncques il l'est. Si cet argument est 
bon en vne chose importante à salut, il est 
bon en toutes : Et partant ceste raison est inexpugnable 
& sans replique, Dieu n'a point dit 
aux Anges, ny aux Saincts, qu'ils sont nos 
Moyenneurs & nos Sauueurs : doncques ils 
ne le sont point : Il a dit tout cela a Christ & 
de Christ : doncques il l'est. 
S. Pierre, le Chef 
pretendu de l'Eglise Romaine argumente ainsi : 
    
                             
                                Act. 4. v. 12. 
                          Il n'y point, dit-il, de salut en aucun autre : Car außi 
n'y a-il point d'autre Nom sous le Ciel qui soit donné  
aux hommes, par lequel il vous faille estre sauuez. 
Pesez ces paroles : Il y a salut au Nom de Christ : 
Et pourquoy ? Pource que Dieu l'a dõné pour 
sauuer. Il n'y a point de salut en aucun autre 
Nom, pource que Dieu n'a point donné aucun 
autre Nom pour sauuer. Retenez ceste doctrine, 
vous qui croupissez dans les ordures de la 
Papauté, & bannissez desormais de vos cœurs, 
de vos affectiõs, de votre creance ; bãnissez de 
vos bouches, de vos Letanies, de vos Liturgies, 
de vos prieres priuees les noms des Anges, des 
Martyrs, de tous autres saincts : Et puisque vous 
vous dites Chrestiẽs auec nous, retournez auec 
nous à Iesus-Christ, & adherez à luy seul, asseurés 
de trouuer en luy le salut entier & parfait, 
puis que Dieu l'a proposé & appareillé en luy.
   XXII. Et vous, mes tres-chers & bien-aimés 
auditeurs, ramenteuez vous les choses que 
i'ay dites de la personne de nostre Iesus, en qui 
selon le bon plaisir du Pere toute plenitude a 
habité, & habitera és siecles des siecles. Considerez 
quel rang l'homme tient entre toutes les 
creatures de Dieu. Les Anges sont excellens : 
Mais l'homme l'est encore plus. Car l'homme 
a esté si estroitement vni auec Dieu, que maintenant 
Dieu & l'homme ne font qu'vne personne. 
Les Anges admirent ceste gloire en nostre 
nature : Et suiuant que Dieu en l'introduisant 
au monde auoit dit, 
 Et que tous les Anges de  
  
                                 
                                    Pseau. 97. v. 
7. 
                             Dieu l'adorent , les Cherubins, les Seraphins, les  
 
                             
                                Heb. 1. v. 6. 
                         Principautez, les Puissances, les Thrones, les 
Dominations adorent cest homme.
    O amour admirable de Dieu enuers les hõmes ! 
l'homme auoit offensé Dieu, & s'estoit 
esloigné de luy : Dieu s'est approché de l'homme, 
& l'a fait vn auec soy : l'homme viuoit icy 
bas parmy l'ordure & la pourriture en infirmité 
& foiblesse, & maintenant il est assis en haut à 
la dextre de Dieu en gloire & en force. L'homme 
estoit mesprisé des hommes, tourmenté par 
les Diables, exposé aux iniures de toutes les creatures : 
Maintenãt il est adoré des Anges, craint 
des Diables, recognu & serui de toutes creatures, 
qui ployent le genoil deuant luy, comme à 
leur maistre & Seigneur. Pouuons-nous penser 
à ces choses tant merueilleuses, sans en estre 
rauis en admiration, sans recognoistre, sans confesser 
que c'est à bon droit que Dieu s'est appellé  
Amateur des hommes ? Car tout l'amour qu'il 
 
                             
                                Tit. 3. v 4. 
                         porte aux autres creatures, celuy mesme duquel 
il embrasse les Anges esleus n'est rien en 
comparaison de cest amour.
   XXIII. D'où pouuoit venir vn amour si ineffable ? 
D'où que 
de son bon plaisir ? D'où que 
de sa pure grace ? L'homme pouuoit-il meriter 
d'estre vni à Dieu d'vn lien si estroit, qu'il a 
esté aussi tost Dieu qu'homme ? C'est par grace 
que le sainct Esprit l'a conceu, afin qu'il fust 
le 
Sainct des Saincts, ou plustost comme Daniel 
 
                                 
                                Dan. 9. v. 
24. 
                         l'appelle, 
la Saincteté des Sainctetés. C'est par 
plus grande grace que Dieu a vni ce sainct à 
soy, & l'a fait vne personne auec soy-mesme. 
Papistes, oserez-vous nier ceste grace ? Ne confesserez- 
vous point auec nous qu'elle est esmerueillable ?
   
Confessons donc aussi tout autant que nous 
  sommes, que le commencement, le milieu, la 
cõsommatiou de nostre salut, n'est autre chose 
qu'amour & grace. Quel amour est cestuy-cy, 
que l'immortel soit venu aux mortels, l'immuable 
aux muables, le iuste aux meschans, le bien- 
heureux aux miserables, Dieu luy-mesme aux 
hommes ? Quelle grace est ceste-cy, que le Fils 
de l'homme a esté fait Fils de Dieu, le serf a esté 
fait Seigneur, le mortel a esté fait immortel, le 
fini 
iufini ? Tout cela luy est-il aduenu pour 
luy ? Tout le fruict, tout l'vsage n'en est-il pas 
nostre ? Le Seigneur a esté fait serf, afin que 
nous qui sommes serfs soyons faits Seigneurs : 
La vie a subi la mort, afin que nous qui auons 
merité la mort eussions la vie. Et, comme a dit  
 
                            August. En.chirid. 
16. 
                         vn Pere, Christ a esté fait homme sans peché 
par grace, afin que nous sçachions que c'est par 
grace que nous sommes iustifiés de nos pechés. 
Si tout ce qui est en Christ homme est grace, 
nous qui ne sõmes que pauures & chetifs vermisseaux 
pouuons-nous auoir aucun aduantage, 
aucune gloire qui soit autre chose que grace ?  
 
                             
                                Eph. 2. v. 8. 
                         Arriere Papistes auec vos merites : 
 Car nous 
sommes sauuez par grace. 
   XXIV. Adorons & aimons cest amour 
d'vn cœur si entier, d'vn amour si vray & cordial, 
que nous puissions sentir en nos cœurs, 
protester de nos bouches auec S. Paul, que 
 la  
  
                                2. Cor. 5. v. 
14. 
                             charité de Christ nous estreint. Rendons de cœur 
& de bouche graces au Pere, qui par grace a 
voulu que son Fils fust faict homme, & que 
toute plenitude habitast en luy ; au Fils qui a daigné 
par vne grace incomprehensible prendre 
cest homme, & l'a reuestu de tant de graces : Et 
[encore]   encore benissons le Pere qui par le Fils nous a 
fait vne si grãde grace, qu'il l'a fait homme pour 
nous. Le Fils qui s'est vni à nous pour nous acquerir 
la grace de son Pere. Le sainct Esprit qui 
est la dilection du Pere & du Fils, & qui espand 
la dilection du Pere & du Fils, & seelle ceste 
grace inestimable en nos cœurs. Que cest 
amour, que ceste grace soit nostre meditation 
en nos cabinets, nostre discours en nos maisons, 
en la ville, aux champs ; nostre ioye en nos passetemps, 
nostre appuy en nos tentations, nostre argument 
en nos prieres, le sujet & la matiere de 
toutes nos actions de graces. Nous auons commencé 
& poursuiui ce discours par la descriptiõ 
des admirables effects de cest amour, de ceste 
grace admirable. Et pource qu'il n'y a lãgue des 
Anges, non plus que des hommes qui le puisse 
acheuer, rompons le à l'exemple de l'Apostre, 
en esleuant nos voix au Ciel, & crians tous ensemble 
& chacun à part soy d'vn mesme cœur, 
& comme si nous n'estions qu'vne bouche, 
 Ie   
                                 
                                    Rom. 7. v. 25 
                             
 ren graces à Dieu par Jesus-Christ nostre Seigneur. 
Amen.