SERMON SECOND.
De la plenitude de Jesus-Christ, qui
nous a merité le salut.
1. Le Pere pouuoit punir
le peché sans le pardonner,
mais ne pouuoit pardonner
sans satisfaction.
2. A cause dequoy ç'a
esté son bon plaisir de nous
donner son Fils pour mediateur,
& de luy donner
pour ceste fin toute plenitude.
3. Difference entre la plenitude
de Christ, & celle des
saincts Anges, & d'Adam deuant
sa cheute.
4. Et premierement, il y
a en luy toute plenitude de
Deïté corporellement.
5. Secondement, en luy
il y a toute plenitude d'humanité,
comme estant vray
homme de nostre nature,
mais sans peché.
6. Ce qu'il a esté sans
peché, n'est point venu de
la pureté de sa mere, mais de
l'operation du S. Esprit.
7. Tiercement, il y a eu
en luy toute plenitude de
graces.
8. La nature Diuine &
humaine du Seigneur sont
vnies en vne personne.
9. Ceste vnion bien
qu'incomprehensible est representee
par deux similitudes.
10. Trois vnions merueilleuses.
11. Pourquoy il a falu
que nostre plege fut Dieu.
12. Et Fils de Dieu.
13. Pourquoy il a falu
qu'il fut homme de nostre
nature.
14. Pourquoy il a falu
qu'il fut Dieu & homme
sans peché en vne personne.
15. De l'vnion personnelle
vient la communication
des idiomes, par laquelle
plusieurs choses sont dites
de Christ au regard des
deux natures ensemble.
16 D'autres sont dites
de luy, qui ne luy competẽt
qu'au regard de sa Diuinité.
17. Et d'autres, qui ne
luy appartiẽnent qu'au regard
de sa nature humaine.
18. Quelquesfois aussi ce
qui est propre à l'vne des
natures est attribué à l'autre.
19. De ce que Iesus-Christ
n'eust peu satisfaire à Dieu
s'il n'eust esté Dieu, il s'ensuit
que nulle creature simplement
telle, ne peut meriter
de Dieu.
20. Iesus-Christ est nostre
Mediateur par la vocation
& don de Dieu.
21. D'où il s'ensuit que
les Anges & Saincts ne peuuent
estre nos Mediateurs
ni en tout, ni en partie.
22. Grand amour de
Dieu en l'enuoy de son Fils
au monde.
23. Grande grace de Dieu
en l'vnion de nostre nature
auec celle de Dieu : D'où
il s'ensuit que nostre salut est
purement gratuit.
24 Nostre deuoir enuers
Dieu pour son amour &
pour sa grace.
COLOSSIENS I.
19. Car le bon plaisir du Pere a esté que
toute plenitude habitast en luy.
I. LE PERE eust peu, s'il eust voulu,
ne pardonner point le peché à
aucun des hommes, ains nous abismer tous iusques aux manoirs
tenebreux des enfers, comme il a fait les
Diables : En quoy il n'eust rien fait que ce qui
est iuste, & nous n'eussions rien souffert que ce
que nous auions merité.
Mais puis que ç'a esté son bon plaisir de nous
pardonner le peché, & de nous deliurer de la
peine d'iceluy, ie dy, qu'il ne l'a peu faire sans
qu'au prealable sa iustice fut pleinemẽt & entierement
satisfaite. Car sa iustice est vne volonté
cõstante, immuable eternelle de recõpenser les
bons, & punir les pecheurs ; Elle luy est si naturelle
& essentielle qu'elle est ce qu'il est : Et il la
pourra relascher, quand il se pourra renier soy-
mesme, & cesser d'estre Dieu, comme ie diray
plus amplement cy apres.
Sous serm. 3.
sect. 11. &
12.
Il n'exige point ceste satisfaction pour sa
commodité & interest particulier, comme font
ceux qui sergentent leurs debiteurs : Ni par haine
& desir de vengeance, comme font les hommes
mauuais, qui ne peuuent s'appaiser, iusqu'à
ce qu'ils ayent sacrifié à la cruauté de leur passiõ
la vie de leurs ennemis, mais par l'amour qu'il
porte à sa iustice, & à la manutẽtion de ses loix,
lesquelles il a données aux hommes, pource
qu'elles sont en elles-mesmes tressainctes &
tres-iustes, & viues images de la iustice qui est
en luy.
II. Qui doute que l'homme qui auoit peché
ne deust luy-mesme faire ceste satisfaction à
Dieu ? Mais autre chose est ce qu'il deuoit, autre
chose ce qu'il pouuoit. Il ne pouuoit satisfaire
à Dieu que par vne nouuelle & tres parfaicte
obeïssance ou en portant la peine de sa
desobeïssance : l'vn & l'autre luy estoit egalement
impossible.
Car quand il eust peu par amandement de
vie recommencer vne nouuelle course, & se
comporter en sorte qu'il gardast parfaitement
les commandemens de son Dieu sans retomber
en transgression, qu'eust il fait à quoy il ne fust
tenu lors qu'il le feroit, non pour expier ses fautes
passees, mais pour acquitter ses nouuelles
debtes. Tu ne peux faire auiourd'huy aucun
seruice à Dieu, auquel tu ne sois tenu auiourd'huy.
Comment cuides-tu en payant auiourd'huy
ce que tu dois à Dieu auiourd'huy, & ne
pouuant payer autre chose, canceler tant de
sommes que tu as par le passé entassees les vnes
sur les autres ? Tout ce que tu peux faire pour
Dieu, & qu'il demãde de toy, est que tu l'aimes
de tout ton cœur, & ton prochain comme toy-
mesme : Trouue-moy, nomme-moy, si tu peux,
vn iour auquel tu ne dois point cela à Dieu, &
ie diray que pour les œuures de ce iour là, tu as
satisfait pour les iours precedẽs. Mais si chasque
iour adiouste vn nouueau & vn grãd item à ton
obligation, & si le soir du present iour est venu
deuant que tu ayes acheué de payer la debte
qu'il porte auec soy, di-moy Papiste, qui crois
tant de choses estranges & ridicules des satisfactions,
di-moy comment tu peux par le payement
de la debte presente, rayer & biffer tant
de debtes passees.
Mais tant s'en faut que nous payons nos debtes
d'hier & de deuant hier, que nous en laissons
courre les arrerages, & accumulons de iour à
autre les nouuelles debtes, pour lesquelles nous
crions tous les iours au Ciel, Quitte nous noz
debtes. Et donc ce ne sera point nostre obeyssance
presente, qui satisfera à Dieu pour nostre
des-obeïssance passée.
Nous verrons au troisiesme Sermon qu'aussi
peu luy pourrons-nous satisfaire en portant la
peine de nos rebellions. Car 1. puis que c'est
Dieu qui est eternel en essence, & infiny en majesté
qui en est offensé, il faut que la peine en
soit infinie & eternelle, sinon en temps, au
moins en grandeur & en prix. 2. Il est necessaire
que celuy qui prendra ceste peine sur soy les
surmonte par vne victoire glorieuse, & ainsi retourne
en grace auec Dieu, & se remette au
mesme estat auquel il estoit deuant sa transgression.
L'hõme qui est pecheur, foible, & fini, entreprendra-
il de mettre ses espaules tant foibles
sous vn fardeau tant pesant ? & quand il
l'entreprendroit n'en seroit-il point accablé ?
Certes les Anges de Paradis bien que puissans
en vertu, quand ils voudroyent prendre ceste
place, & entreprendre de nous pleiger, ne seroient
que paille & chaume deuant ce feu consumant.
Et c'est pourquoy Dieu ne trouuãt ni au Ciel, ni
en la terre aucune creature qui fust à l'espreuue
de son indignation, a cerché & trouué en soy-
mesme celuy qui pouuoit commencer & mener
à chef ceste œuure tãt necessaire & importante,
& a tiré de son sein propre le Redẽpteur,
qui en portant nostre peine, & non pas nostre
[coulpe,]
coulpe, nous a affranchis & de la peine & de la
coulpe. Ce Redempteur est son Fils bien-aimé,
lequel il a enuoyé au monde, & rendu capable
de faire tant & de si grandes choses pour nous.
III.
Car son bon plaisir a esté que toute plenitude
habitast en luy. L'Apostre ne se contente pas de
dire, qu'il y a
plenitude en Christ, mais pour le tirer
du pair, & l'esleuer au dessus de toutes les
creatures les plus excellẽtes, il dit qu'il y a TOVTE
plenitude en luy. Il y a plenitude és Saincts
Anges, mais leur plenitude peut croistre. Car
S. Pierre parlant des hauts & incomprehensibles
mysteres de nostre redemption, dit qu'
ils
1. Pier. 1. v. 12
desirent regarder en ces choses iusqu'au fonds : Il y a
plenitude de grace & de gloire és esprits des
saincts iustifiés, & recueillis au Ciel. Car ils voyent
la face de Dieu, &
sa face est vn rassasiement
Pseau. 6. v.
11.
de ioye . Mais ceste plenitude n'est pas comble,
ains receura vn grand accroissement en la resurrection,
de laquelle Dauid disoit,
Mais moy
Pseau. 17. v. 15
ie verray ta face en iustice, & seray rassasié de ta
ressemblance quand ie seray resueillé. Et lors encore
nostre plenitude sera dependante de celle du
Sauueur, & ne sera que comme vn petit ruisseau
deriué de ce grand fleuue, ou comme la
plenitude d'vn petit vaisseau qui se remplira lors
dans ce grand Ocean. Car
de la plenitude d'iceluy
1. Iea. 1. v. 16
nous auons tous receu, & grace pour grace. Nous
n'auons point receu sa plenitude, mais de sa plenitude.
L'Apostre dit encore, que le bon
plaisir du Pere a esté que toute plenitude
habitast en luy, c'est à dire, demeurast en luy
sans separation, sans diminution, sans alteration.
Car en l'Escriture
habiter signifie
vne demeure ordinaire & perpetuelle ; comme
1. Timo. 6.
v. 16.
seiourner signifie vne demeure à temps.
Dieu
habite en vne lumiere inacceßible, Iesus-Christ habite
Eph. 3. v. 17.
en nos cœurs par foy , Dieu dit qu'
il habitera au
2. Cor. 6. v.
16.
milieu de nous , qui est en substance ce qu'il dit
Deut. 31. v. 8
ailleurs,
Ie ne te delaisseray point, ni ne t'abandonneray
Heb. 13. v. 5.
point . Les exemples sont infinis à ce propos.
Il y auoit plenitude de cognoissance, iustice,
& vraye saincteté en Adam : Mais elle n'habitoit
point en luy, puis qu'il la perdit. Il y auoit
aussi plenitude de lumiere és saincts Anges, laquelle
n'habitoit point en eux par nature, puis
que quelques vns d'eux se sont precipités de la
lumiere en tenebres, des cieux en enfer, de la vie
en la mort. C'est l'aduantage, cest le priuilege,
c'est la prerogatiue de nostre Seigneur Iesus-
Christ, qu'en luy seul a tousiours habité toute
plenitude, que c'est luy, & nõ aucun autre que
luy, qui est la fontaine qui ne tarit iamais, de laquelle
nous puisons grace & gloire.
IV. Et premierement,
en luy habite corporellement
Col. 2. v. 9.
toute plenitude de Deité . Tous les fideles
2. Pier. 1. v. 4
sont faits participans de la nature diuine , c'est à sçauoir
de toutes bonnes & sainctes qualités, lesquelles
descendent d'enhaut du Pere des lumieres,
comme de leur source & origine : Mais
Eph. 4. v. 7.
S. Pierre dit que c'est
par participation , & S. Paul,
que
c'est selon la mesure du don de Christ . Nostre
pleige a non seulement à soy la nature diuine,
ou des qualitez celestes & diuines, mais la Deité
mesme. Non aucune partie de la Deité, mais
la plenitude de Deité : La Deité parfaite. Non
vne plenitude telle quelle ; mais TOVTE
plenitude de Deité : La mesme plenitude qui est au Pere
est en luy : Toute plenitude de Deité est au Pere :
Toute plenitude de Deité est aussi en luy.
Plenitude qui ne se peut separer de luy : car elle
habite en luy : Non par grace, non par assistance
seulement, comme le sainct Esprit habite en
en nous : Non aussi typiquement, comme
il habitoit
2. Sam. 6
v. 2.
entre les Cherubins au Temple fait de main :
mais
corporellement, c'est à dire, vrayement suyuant
que l'Apostre parlant de toutes les ceremonies
de l'ancien Testament, dit qu'
elles sont
Coloss. 2. v.
17.
ombres de celles qui estoyent à venir, mais le corps en
est en Christ . Où il appelle Christ le corps des
ombres, d'autãt qu'en luy sont accomplies toutes
les choses figurées par icelles, & qu'il en est
la verité mesme : Il est donc, non en ombre, mais
en verité
Dieu sur toutes choses benit eternellement ,
Rom. 9. v. 5.
puis que
Fils propre, & vnique du Pere , eternel,
Rom. 8. v. 31.
immuable, tout-puissant, scrutateur des cœurs,
Iean 1. v. 14.
par qui toutes choses ont esté faites, qui les soustient
toutes, qui particulierement nous pardonne
nos pechés, illumine nos yeux, nous sanctifie
par son Esprit, & nous donne la vie eternelle :
Dont aussi il est commandé à tous les Anges
Heb. 1. v. 6.
de Dieu de l'adorer, disons donc, celuy qui
a en soy toutes les proprietez de Dieu, qui fait
tout ce que Dieu fait, à qui les Anges deferent
par commandement le mesme honneur & adoration
qui est deu à Dieu, que peut-il estre autre
chose que Dieu, Dieu sans rapine egal à Dieu,
Phil. 2. v. 6.
& comme Ieremie l'appelle,
l'Eternel nostre iustice ,
Iere. 23. v. 6.
& S. Iean,
Alpha & Omega, le premier & le
Iean. 1. v. 11.
Dernier , en qui habite toute plenitude de Deité ?
V. Secondement, en luy habite aussi toute
plenitude d'humanité. Car quand le temps fut
venu pour reueler sous le nouueau Testament
la grace qui estoit couuerte & comme cachée
sous les ombres de l'Ancien, le Fils de Dieu est
descendu du Ciel, lequel il n'a iamais delaissé,
& par œconomie & dispensation temporelle
s'est fait homme, non par aucun changement
August. de
Eclces.
dogmatib.
cap. 2.
de la Diuinité en l'humanité, cõme disoit
Apollinaris :
Non aussi par le meslinge des deux natures
en vne, comme Dogmatizoit
Entyche ; mais
par l'assumption de la nature humaine : & ce
non en apparence seulement, qui fut la resuerie
phantastique de
Valentin ; mais en verité : Non
venuë du Ciel, comme affirmoit l'heretique
Gene. 3. v. 15
Marcion : mais faite en la terre de
la semence de
Math. 1. v. 1.
la femme, d'Abraham, & de Dauid selon la chair :
Rom. 1. v. 3.
Et toutesfois non en corps seulement sans
ame, & n'ayant pour ame que la Diuinité qui
inspiroit le corps, ainsi qu'enseignoit
Eunomius :
mais en corps & en ame ensemble : En ame, dy-
ie, vraye ame, & en ame, non seulement vegetante,
mais aussi ayant sentiment & raison, &
toute telle que sont les ames des autres hommes,
afin qu'il peust estre
Fils de l'homme, ainsi
qu'il s'appelloit souuent. Et partãt vray homme.
Non toutesfois par vn homme, non par la
couche de l'homme auec la femme, cõme osoit
maintenir le detestable
Ebion, mais par l'operation
miraculeuse du S. Esprit, duquel pourtant
il n'est point le Fils, afin qu'aucun ne pense qu'il
y ait deux Peres en la Trinité : Et ce d'autant
que le S. Esprit ne l'a point engendré de sa substance,
mais l'a formé & façonné de la substance
de la Vierge Marie, suiuant qu'il est escrit
qu' il
Gal. 4. v. 4.
a esté fait de femme . Et estoit ceste femme descenduë
de
Dauid, & Dauid
d'Abraham, & Abraham
de
Sem, & Sem de
Seth, & Seth
d'Adam, pere
de nous tous, auquel S. Luc monte en la description
de la Genealogie du Sauueur, afin que
nous sçachions qu'il est homme de mesme
nature que nous.
Semblable à ses freres
Heb. 2. v. 17.
en toutes choses , & subject tant en son corps,
qu'en son ame en toutes nos infirmitez,
*qui ne sont point vicieuses, & qui sont naturelles
* * άδιάϐλητα
παθήματα.
& communes à tous : Pour exemple,
en son
corps il a souffert faim, soif, chaleur, froid, lassitude,
bannissement, persecutiõ, toutes sortes d'opprobres
& de tourmens, & finalement la mort
sanglante & ignominieuse de la Croix :
En son
ame il a esté
angoißé, & si fort contristé, qu'il a dit,
Math. 26. v.
37. 38.
Mon ame est saisie de toutes parts de tristesse iusqu'à
la mort. Bref pour ce regard,
il a esté tenté de mesme
Heb. 4. v. 15.
que nous en toutes choses, hormis peché . Car quant
aux infirmitez qui sont personnelles, qui, di-ie,
viennent du temperament & indisposition de
la personne, plustost que de la condition de la
nature, comme d'estre subject à la pierre, à la
goutte, à la colique, à telle, ou à telle maladie, il
ne les a point prises à soy, d'autãt qu'il n'a point
pris à soy la personne d'aucun homme, ains seulemẽt
la nature humaine. C'est pourquoy nous
ne lisons point qu'il ait esté malade : Car les maladies
sont infirmitez personnelles, & fort diuerses,
selon la diuerse constitution, temperament,
& conformation des corps. Mais il n'y a
rien propre à l'homme, entant qu'homme, dont
le Seigneur ait esté exẽpt, le peché seul excepté.
Car
il n'a point cognu peché, & fraude aucune n'a
2. Cor 5. v. 21
esté trouuée en sa bouche .
Esa. 53. v. 9.
VI. Ce qu'il a esté sans peché, n'est point aduenu
de la pureté de sa Mere, comme enseignẽt
les Docteurs de l'Eglise Romaine, disans qu'il
faloit que le vaisseau qui deuoit porter le Redempteur
fut net, afin qu'il ne fust soüillé de la
contagion d'iceluy. Sur quoy le Concile de Trente
a declaré, que la saincte Vierge a esté conceuë
sans peché, & a approuué la Feste que l'Eglise
Romaine celebre à la Conception d'icelle.
Ce qu'estant autant vray comme il est tres-
faux, il s'ensuiuroit que le Pere & la Mere de la
Vierge deuoient estre sans peché, afin que la generation
& conception d'icelle fut sans tache ;
que semblablement leurs ancestres deuoient
estre sans vice, afin que leurs enfans peussent
naistre semblables à eux. Ainsi en montant iusques
à Adam, il se trouueroit qu'aucun homme
n'auroit iamais peché.
Mais ces gens font semblant d'ignorer que le
peché est transfus en nous par la generation,
ainsi que l'Apostre le donne à entendre quand
Rom. 5. v 12.
il dit, que
par vn seul homme le peché est entré au
au monde : D'où il est aduenu que la Vierge pour auoir
esté de l'homme par l'homme, a esté pecheresse.
Il n'est pas ainsi de Christ, qui a esté voirement
de l'homme, & pourtant est vray homme :
mais n'a point esté par l'homme, c'est à dire
par la generation charnelle vsitée entre les
hommes, mais par l'operation miraculeuse du
S. Esprit, duquel l'Ange dit à la Vierge,
le sainct
Esprit suruiendra en toy, & la vertu du Souuerain
Luc 1. v 35.
t'enombrera : Et à Ioseph,
Ne crain point de receuoir
Matth. 1. v.
20.
Marie pour ta femme : car ce qui est engendré
d'elle est du S. Esprit : Conformément à quoy
nous disons au Symbole, qu'il a esté conceu du S.
Esprit, & né de la Vierge Marie . Ce qu'il ne faut
pas entendre charnellement, mais spirituellement,
de l'operation extraordinaire & incomprehensible
de l'Esprit sanctifiant de nostre
Dieu, lequel ayant purifié la substance de la
saincte Vierge, fit d'icelle le corps de nostre Sauueur,
& y adiousta vne tres-pure & tres-saincte
ame reuestuë & ornée de toutes bonnes &
sainctes qualitez pardessus toute perfection qui
ait iamais esté en homme, ou en Ange, soit en
nombre, soit en mesure.
VII. Qui est la troisiesme maniere, selon
laquelle nous disons que
toutes plenitude habite en
luy : Car c'est de luy que Dauid disoit,
O Dieu, ton
Psea. 45. v. 8
Dieu t'a oinct d'huile de liesse par dessus tes compagnons ,
entendant par l'huille les graces du sainct
Esprit, lequel en l'Escriture est appellé
l'Onction.
Car
Dieu l'a oinct du S. Esprit & de vertu , & ce
Act. 10. v. 38
non en petit nombre de graces, mais abondamment :
non en nombre égal à ses consors, mais
par dessus ses compagnons, pardessus tous les Anges,
& tous les hommes saincts qui ont esté, qui
sont, ou qui seront. Non aussi en petite mesure,
ou en mesure égale à ses compagnons, mais outre
& pardessus toute mesure.
Car Dieu ne luy a
Ieh. 3. v. 34
point donné l'Esprit par mesure , comme aux Anges,
& aux fideles, mais en toute la perfection,
dont la nature creée peut estre capable. En sa
conception il receut l'Esprit, afin qu'il fust dés
le Ventre
separé des pecheurs : Il le receut derechef
Heb. 7. v. 26
en son Baptesme, auquel
le S. Esprit vint sur
Matth. 3. v.
16
luy comme vne colombe , & l'oignit de toutes les
graces necessaires à l'accomplissement de la
charge de Moyenneur, le faisant, ainsi que dit S.
Act. 3. v. 36
Pierre,
Seigneur & Christ. Si que nostre nature a
Iehã. 1. v. 14
esté en luy
pleine de grace & de verité , &
en luy sont
Coloss. 2. v. 3
cachez tous les thresors de sapience & d'intelligence.
VIII. Cest homme estant ainsi creé, la seconde
personne de la Trinité le print à soy en
vnion personnelle & eternelle, sans aucune cõfusion
des deux natures, ou de leurs proprietez.
Si que lors Christ demeurant ce qu'il estoit, deuint
ce qu'il n'estoit pas, demeurant Dieu, il deuint
homme : Et est maintenant l'vn & l'autre
ensemble, assauoir vray Dieu eternel deuant
tous les siecles, & vray homme ayant commencement
d'estre & de vie au siecle. Comme en la
S. Bernard
serm. 3. Vigilis
Natalis
diuinité qui est singuliere, il y a Trinité és personnes,
& vnité en la substance : Ainsi en ceste
vnion speciale par vne contrarieté fort conuenable,
Idẽ lib. 5. de
consideratione.
il y a Trinité és substances, & vnité en la
personne. Il y a, di-ie, trois substances, &
vne personne. Et comme là les personnes
August. de
Ecclesiast. dogmatib.
cap. 2 ne font point de diuision en l'vnité, & l'vnité
ne fait aucune diminution en la Trinité.
De mesme icy la personne ne confond
point les substances, & les substãces ne destruisent
point l'vnité de la personne. La parole, &
l'ame, & la chair se sont vnies en vne personne,
& ces trois font vn, & cest vn est trois : nõ par
la confusion des substances, non aussi par le
changement de l'vne en l'autre, mais en l'vnion
inseparable de la personne, qui est telle, que cet
homme composé de corps & d'ame n'a point
de subsistence particuliere, comme vn chacun
de nous a la sienne, mais subsiste en la diuinité.
IX. Ne me demandez pas comment cela
[s'est]
s'est fait : Mais croyez ce qui a esté fait. Que si
vous me demandez raison de ceste œuure, &
differez de la croire, pource que vous ne la pouuez
comprendre, ie vous prieray de me dire
comment vous croyez tant d'autres choses, desquelles
il n'y a iamais eu homme au monde qui
en ait sceu rendre la raison. Toutes les œuures
visibles de Dieu ne seroient-elles pas autant de
miracles, si par l'accoustumance elles n'estoient
deuenuës viles & contemptibles ? Combien de
choses foulons-nous aux pieds, pource qu'elles
Augustin.
Epist. 3. ad
Volusianũ. Quam multa
vsitata
calcantur,
quae considerata
stupentur.
sont vsitées & communes parmy nous, lesquelles
nous rauiroient en admiration, si nous arrestions
nos esprits à les considerer ? Qu'y a-il de
plus commun que
le Visc, que vous appellez
le
Guy ? C'est vn vray arbre, lequel ne se peut ny
planter, ny semer, ny croistre en terre : Mais les
griues esmẽtissent la graine d'iceluy, de laquelle
elles sont fort friandes, sur quelque arbre,
cõme sur le chesne, rouure, yeuse, chastaignier,
pommier, poirier, ou quelqu'autre, laquelle venant
à se prendre là, y croist, & deuient vn vray
arbre, n'ayant aucune subsistence en soy, mais
subsistant en l'arbre qui le porte, duquel il n'est
pas produit. Si ceste similitude ne vous contente
pas, entrez en vous mesmes, & rendez raison
de ce qui s'est fait en vous mesmes, & qui se fait
tous les iours ? Qui est celuy qui puisse declarer
commẽt l'ame est vnie auec le corps, pour faire
vne personne de l'homme ? Ie dy donc que tout
ainsi que l'ame se sert du corps en l'vnité de la
personne, afin qu'elle soit homme, ainsi en l'vnité
de la personne Dieu se sert de l'homme,
afin qu'il soit Christ. En ceste personne là, il y a
l'vnion de l'ame & du corps : En ceste personne
cy, il y a vnion de Dieu & de l'homme. La
personne de l'homme est l'vnion, ou plustost
procede de l'vnion de l'ame auec le corps, sans
meslinge, sans confusion de leurs substances, ou
de leurs proprietez. La personne de Christ est
l'vnion, ou pour parler plus proprement, procede
de l'vnion de Dieu & de l'homme ; & en
ceste vnion il n'y a point de confusion, Dieu
demeure Dieu, & l'homme demeure homme :
Comme quand le Soleil est leué sur nostre horison,
la lumiere se mesle parmy l'air sans se corrompre,
& sans souffrir aucun changement, ou
tant soit peu d'alteration.
De plus, ceste vnion de la nature humaine auec
la diuine est si estroite, qu'elle a demeuré inseparable,
lors mesme que par la mort l'ame du
Seigneur fust separée de son corps. Car ce que
la parole a vne fois prins à soy, elle ne l'a iamais
quitté. Si bien que lors que le corps estoit au
sepulchre, & l'ame en Paradis, la parole, l'ame,
& la chair estoient vne personne, & vn Christ.
X. O merueille des merueilles de Dieu ! le
Pere dit de luy deuant qu'il vint au monde,
Pseau. 2. v. 7
C'est toy qui es mon Fils, ie t'ay auiourd'huy engendré.
Voila qui est admirable. Car quel cœur
peut comprendre, quelle langue peut dire comment
celuy qui a esté tousiours au Pere, qui ne
s'est iamais retiré du Pere, ait peu estre engendré
de luy ? Estant au monde, & conuersant en
chair entre les hommes, le Pere luy rendit tesmoignage
du Ciel, disant,
Cestuy-cy est mon Fils
Matth. 3. v.
17.
bien aymé, en qui i'ay prins mon bon plaisir : Appellant
cest homme que Iean baptisoit
son Fils,
non
pour la saincteté de la creation, pour laquelle
les Anges qui ont gardé leur origine sont appellez
Fils de Dieu : non pour la grace d'adoption,
Iob 1. v. 6
pour laquelle tous les fideles, qui de nature
Eph. 2. v. 3
sont enfans
d'ire, sont en luy adoptez, & par
Eph. 1. v. 5
grace & faueur speciale faits
enfans de Dieu :
Rom. 8. v. 16
mais en vertu de l'vnion personnelle, laquelle
est si estroite, que
le Fils de Dieu prenant à soy
nostre chair, est deuenu
Fils de l'homme, & par
consequent Dieu le Pere est deuenu Pere de cest
homme : & reciproquement ce
Fils de l'homme est en la personne du Fils,
Fils de Dieu, & par
consequent sa Mere à l'instant que par foy elle
le conceut au ventre est deuenuë
Mere de Dieu.
Voila qui est admirable en toutes manieres.
Que le Fils naturel de Dieu soit le Fils naturel
d'vne femme : Que Dieu soit le Pere d'vn homme :
Qu'vne femme soit la Mere de Dieu : Que
Dieu ayt esté vny à un homme, & en cest homme
ait souffert toutes sortes d'opprobres, & la
mort ignominieuse de la Croix en la terre : Que
l'homme soit vny à Dieu, & en luy iouïsse d'vne
gloire infinie, diuine, & propre au ciel. C'est la
gloire de la foy Chrestienne, de croire ces choses.
La foy ne croit que des merueilles : Toutes
les œuures de Dieu sont autant de merueilles :
Mais la generation du Fils deuant les siecles, l'incarnation
du Fils au siecle est la merueille des
merueilles de Dieu, pour laquelle le Fils est à
bon droict appellé
l'Admirable.
Esa. 9. v. 5
Vous y pouuez adiouster deux autres merueilles :
Car la Majesté toutepuissante, ce dit vn bon
Pere, a fait trois meslinges (disons plustost trois
Bernard.
serm. 10
vnions) en l'assumption de nostre chair, si merueilleusement
singulieres, & singulieremẽt merueilleuses,
que telles choses n'ont iamais esté faites
auparauant, & ne se feront iamais plus sur la
terre : Car Dieu & l'hõme, la Mere & la Vierge,
la foy & le cœur humain se sont ioints ensẽble.
La parole, & l'ame, & la chair se sont assemblez
en vne personne : Et ces trois sont vn, & cest vn
est trois, non en la confusion des substãces, mais
en l'vnité de la personne. Ceste-cy est la premiere
vnion, & celle qui surpasse les autres deux en
excellence. La seconde est la Mere & la Vierge,
laquelle aussi est en toutes façons admirable &
singuliere. On n'a iamais ouy dire, que celle qui
a enfanté fust Vierge lors qu'elle enfantoit, &
que celle-là ait esté mere, qui a demeuré vierge.
August. de
Ciuitate Dei
lib. 10. c. 29
Mirabilis
mirabiliter
natus est. Certes l'admirable est né d'vne façon admirable. La
troisiesme est la foy & le cœur de l'homme : Inferieure
voirement aux autres deux, mais parauenture
non moins forte : Car il y a dequoy s'esbahir
comment le cœur de l'hõme a peu adiouster
foy à ces deux choses, que Dieu est homme :
Et que celle qui a enfanté en enfantãt fust Vierge.
C'est toutefois ce en la creãce dequoy nostre
foy triomphe, detestant & combatant la foy du
Iuif, du Turc, de tous les Payens & Heretiques.
XI. Or iaçoit que ces choses surpassent toutes
merueilles, si ne sont-elles pas dites afin que no9
arrestions nos esprits à les admirer seulement,
ains plustost pour les époinçõner à recercher les
causes pourquoy Dieu a fait tant de merueilles :
Car puisqu'il ne fait riẽ en vain, ce n'est pas pour
neant qu'il a voulu que nostre Moyenneur fust
Dieu, qu'il fust homme sans peché, qu'il fust
l'vn & l'autre en vne personne.
Et premierement il faloit qu'il fust Dieu. Il
deuoit pardonner les pechez,
Et qui est-ce qui
Marc. 2. v. 7
peut pardonner les pechez, sinon vn seul Dieu ? Il
deuoit en sa mort souffrir pour nous vne peine
infinie, & la surmonter. Qui eust peu venir à
bout d'vne telle peine que l'infini ? Il deuoit dõner
le sainct Esprit qui est l'Esprit de Dieu, pour
creer en nous au lieu de ceste vie animale, vne
vie du tout spirituelle : Et qui peut donner l'Esprit
de Dieu, que Dieu ? Il deuoit deliurer l'Eglise
de la main de tous ses ennemis, & briser Satan
sous les pieds d'icelle. A cela il faloit vne
puissance diuine. Bref, il deuoit couronner l'Eglise
de gloire & d'honneur, & luy donner la
vie eternelle : y a-il Ange, Archange, Cherubin,
Seraphin, Throne, Domination, Principauté,
ou puissance capable de mener à chef vn tel
exploict, lequel est l'œuure de la Diuinité, &
d'icelle seule ? Comme il a dit, c'est moy,
c'est moy qui suis l'Eternel, & n'y a point de Sauueur
Esa. 43. v. 11
fors que moy. Dont S. Iean dit de luy,
Iceluy est
1. Iea. 5. v. 20
le vray Dieu, & la vie eternelle.
XII. Or cõme ainsi soit que la Diuinité soit,
nõ diuisée, mais distinguée en trois personnes,
la seconde personne, qui est le Fils, est celle qui
s'est reuestuë de nostre chair, & en icelle nous
a reconciliés au Pere. Celuy par qui le Pere a
fait l'homme, est celuy par qui il l'a voulu refaire :
Et estoit fort conuenable que celuy qui est
l'image de Dieu inuisible , l'image, di-ie, substancielle
Col. 1. v. 15.
& increée, reparast en nous l'image de
Dieu accidentale & creée. Adjoustez, que celuy
qui de nature est Fils de Dieu a esté misericordieusement
fait Fils de l'hõme, afin que nous
qui de nature sommes fils des hõmes, fussions
par grace faits Fils de Dieu. Qui aussi nous pouuoit
mieux enseigner les choses qui sõt de Dieu,
que celuy qui est la Parole & la Sapiẽce de Dieu ?
Et qui estoit plus propre pour nous defendre
cõtre les principautés & puissãces ennemies de
Dieu, que celuy qui est la puissance de Dieu ?
Certes le Pere ne pouuoit s'vnir à nostre nature.
Car il faloit estre enuoyé pour cela : Et le
Pere qui ne procede d'aucun, mais est de par soy
mesme ne pouuoit estre enuoyé par aucũ. Ioint
que de l'incarnation du Pere s'en fust ensuiuie
vne tres grãde absurdité. Car il eust esté Pere de
celuy qui est Dieu de nature, & Fils d'vne creature
mortelle,, assauoir d'vne femme.
Semblablement le sainct Esprit ne pouuoit
estre fait homme sans vn pareil inconuenient :
Car si cela fust aduenu, il y eust eu deux Fils en
la Trinité : Assauoir la Parole, qui est le Fils eternel
du Pere eternel : Et le sainct Esprit Fils de
Marie. Mais en ce grand & admirable mystere
de l'incarnation du Fils, il n'y a rien qui repugne
à la nature de Dieu, rien qui soit
absurd à la raison sãctifiée de l'hõme Chrestien.
XIII. Il a aussi falu que nostre Redempteur
fust homme de nostre nature, pour la gloire de la
Justice, & de la Verité de Dieu. Car la iustice de Dieu
requeroit que la nature qui auoit peché portast
la peine du peché qu'elle auoit fait. Ce fut nostre
nature qui auoit peché en Adam ; C'est aussi
nostre nature qui a souffert la peine de ce peché
au second Adam, afin que la iustice de
Dieu demeurast contente & satisfaite. La
peine que la Iustice de Dieu auoit decernee
pour l'expiation de nostre peché, estoit la
mort, laquelle Dieu denonça à Adam, luy
disant que dés le iour qu'il mangeroit de
l'arbre deffendu,
il mourroit de mort : Et
Genes. 2.
v. 17.
les fideles qui dés le commencement espandoyent
le sang des bestes qu'ils offroyẽt à Dieu
en sacrifice typique, auoyent appris que ceste
mort deuoit estre sanglante. C
ar sans effusion de
Heb. 9. v.
22.
sang ne se fait point de remißion . Or Dieu est vn
esprit eternel, & ne peut mourir : A raison dequoy
il s'est fait homme, afin qu'estant mortel
en nostre nature, il souffrist pour nous la mort
laquelle nous deuions souffrir. Il y en a entre
les Docteurs Papistes qui enseignent que Iesus-
Suarez in 3.
Thomas
quaest. 1. art. 1. dist. 4.
sect.
2.
Christ pouuoit prendre la nature Angelique,
& nous racheter parfaitement par icelle, en satisfaisant
a la iustice de Dieu par quelques actes
internes & spirituels, iaçoit qu'il ne peut mourir.
Ce qui est dit par eux
& inutilement, &
faussement :
Car à quel propos nous discourent-ils
de ce que Christ a peu faire autrement qu'il ne
l'a fait, quand il nous conste de ce qu'il a fait ?
Et pourquoy aneantissent-ils la justice &
la verité de Dieu ? Car la iustice de Dieu ne
pouuoit permettre qu'vne autre nature que
celle qui auoit peché luy satisfit, & qu'elle luy
satisfit autrement qu'en mourant : Car
c'est ici
Rom. 1. v.
32.
le droit de Dieu, que ceux qui commettent telles choses
sont dignes de mort. Et pourtãt c'est sa iustice qui
l'a porté à denoncer la mort aux pecheurs, &
c'est par iustice
qui les punit de mort. A raison
de quoy Christ luy-mesme dit, qu'
il faloit que le
Luc 24. v.
26
Christ souffrit ces choses : C'est ce que l'Apostre
nous a voulu donner à entendre quand il dit,
Heb. 2. v.
14. 15. 16.
que
depuis que les enfans participent à la chair &
au sang luy außi semblablemẽt a participé aux mesmes
choses, afin que par la mort il detruisist celuy qui
auoit l'empire de la mort, c'est assauoir le Diable, &
qu'il en deliurast tous ceux qui pour crainte de mort
estoyent toute leur vie assuiettis à seruitude : c'est à
dire, que depuis que ceux que Dieu a predestinez
en Iesus-Christ pour les faire ses enfans,
sont hommes ayans chair & sang ; luy aussi s'est
fait homme, afin que mourant pour eux, il detruisist
le Diable, & les deliurast de la mort. Car
certes il n'a nullement prins les Anges, mais a prins
la semence d'Abraham. S'il eust vestu la nature
Angelique, il n'eust souffert que pour les Anges,
& sa mort ne seruiroit que pour les Diables :
Mais n'ayant point prins les Anges, nous
sçauons qu'il n'est point mort pour eux : & a.
ayant prins la semence d'Abraham, descendu
d'Adam, nous sçauons qu'il a expié les pechez
des enfans d'Adam, & est mort pour nous.
August. lib.
10 : Confession.
ca. 42.
XIV. Ioinct qu'il a falu, ainsi que dit quelque
Pere, que le Mediateur entre Dieu & les
hommes eust quelque chose semblable à
Dieu, & quelque chose semblable aux hommes,
afin qu'en ce qu'il auoit semblable aux
hommes, il peust mourir pour les hommes : Et
parce qu'il auoit semblable à Dieu, appaiser
Dieu, & rendre sa mort meritoire. Car s'il eust
esté en toutes choses semblable aux hommes, il
eust esté loin de Dieu & n'eust peu l'appaiser
enuers l'homme : & s'il eust esté en toutes choses
semblables à Dieu, il eust esté loin des hommes,
& ne les eust peu ramener vers Dieu. Ainsi
il n'eust peu estre Moyenneur entre Dieu &
nous. Selon cela l'Eglise a tousiours creu & enseigné,
[seigné,] que la Diuinité sans l'humanité n'est
Idem de
Ouibus. ca.
12. point mediatrice, qu'aussi l'humanité sans la Diuinité
n'est point mediatrice : mais entre la Diuinité
seule & l'humanité seule, est mediatrice
Chrysost.
in 1. Timo.
ca. 2. Hom.
7.
la Diuine humanité, & l'humaine Diuinité de
Christ, ou pour parler plus clairement, Christ
Homme-Dieu & Dieu-Homme est Mediateur
entre Dieu & l'hõme. Dieu pour parler à Dieu :
Homme pour estre receu des hommes. Ou cõme
a dit vn autre Pere, Homme pour estre tenté.
Irenæ. lib. 3
cap. 20.
Dieu
ponr estre glorifié. La parole se reposoit,
afin que l'homme peut estre tenté, deshonnoré,
crucifié & mourir : La parole derechef
monstroit en luy sa vertu, en ce qu'il
a soustenu & vaincu la mort, est ressuscité, est
monté au Ciel, & s'est assis à la dextre de Dieu.
Si l'homme n'eust vaincu l'ennemy de l'homme,
il n'eust pas esté iustement vaincu : Et si
Dieu n'eust dõné le salut, il ne nous seroit point
ferme & asseuré. C'est ainsi que les Docteurs
anciẽs ont descrit les causes pour lesquelles il a
falu que le Moyenneur fust Dieu & Homme
en vnité de personne. H
omme, pour faire l'œuure
qui deuoit appaiser Dieu, & meriter le salut.
Dieu, pour rendre l'œuure meritoire. Car
nul ne peut meriter de Dieu, c'est à dire, faire
vne œuure d'vne vertu & dignité infinie, que
celuy qui est infini. Et qui est tel que Dieu.
Voila pourquoy on dit és escoles, que
l'œuure
qui a merité est de l'humanité du Seigneur, mais le
merite de l'œuure est de sa Diuinité.
Pour ceste mesme raison il a falu que cest hõme
fust sans peché, & vni personnellement à la
Diuinité. Car il ne se pouuoit faire que le Fils de
Dieu & la nature polluë fussẽt accouplés ensẽble :
Et faloit que celuy qui deuoit souffrir &
payer pour les pecheurs, & satisfaire à la iustice
Heb. 7. v. 26
vengeresse de Dieu pour eux fust
sainct, innocent,
sans macule, separé des pecheurs, & exalté par dessus
tous les Cieux . Homme sans peché, & vray Dieu.
Et ce en vne personne, à fin que tout
l'œuure procedast d'vn, & que le merite d'iceluy
decoulast immediatement de la personne
qui l'auoit fait. Car si vne personne eust fait
l'œuure, & vne autre eust donné merite à l'œuure,
nous n'aurions point en vn la reparation
de la faute qui a esté faicte par vn, & le restablissement
du salut qui a esté perdu par vn. Ce
que
Nestorius n'ayant sceu considerer, il diuisa
Christ, & d'vn Christ vray
Emmanuel, Dieu auec
Matth. 1. v.
23.
nous , vrayement Dieu-Homme, ou Homme-
Dieu en vne personne, fit deux Christs.
XV. Ceste vnion des deux natures en
Christ est si estroite, qu'à cause d'icelle l'Escriture
attribue à tout Christ ce qui est propre à
l'vne des natures en luy, & quelquesfois approprie
à l'vne des natures ce qui est propre à
l'autre, quelquesfois aussi dit des choses de luy
qui ne luy peuuent competer qu'au regard
des deux natures ensemble : Et ce par des manieres
de parler que les anciens Docteurs ont appellees
La communication des idiomes.
Pour commencer par la derniere, apprenez &
retenez que toutes & quantesfois que l'Escriture
parlant de Christ luy attribuë les titres qui
designent ces offices, comme qu'il est Roy, Sacrificateur,
& Prophete, le Plege de la nouuelle alliance,
Moyenneur entre Dieu & les hommes : ou les benefices
qu'il nous en a acquis, tels que sont, qu'il
est nostre Iesus, nostre Sapience, Iustice, Sanctification,
& Redemption, &c. Ces choses
competent à toute sa personne au regard des
deux natures vnies en icelle. Car tout ainsi que
ie vous enseigne maintenant, non comme
ayãt vne ame seulement, pource que l'ame ne
parle point à la façon que ie parle maintenant
à vous, non aussi comme ayant vn corps seulement,
pource qu'vn corps n'a que les instrumẽs
de la parole & du discours, lequel il ne sçauroit
former de soy, mais cõme estant vne personne
cõposee de corps & d'ame : Cõme, di-ie,
ce n'est ni mon ame, ni mon corps qui vous instruit
maintenant, mais c'est moy qui vous instruit,
& comme à la production de cest œuvre
ces substances concurrent en moy, & s'vnissent
ensemble : Tout de mesme Christ est
appellé & est nostre Roy, nostre Redempteur,
Moyenneur entre Dieu & nous. Il nous a merité
le pardon de nos pechez, & nous sauue, nõ
comme Dieu seulemẽt, pource que Dieu n'eust
peu souffrir ; non comme homme seulement,
pource que l'homme n'eust peu meriter, mais
comme Dieu Homme, & Homme-Dieu en
vnité de personne. Pourtant quand l'Apostre
dit, qu'
il y a vn seul Dieu, & y a vn seul Moyenneur
1. Tim. 2. v. 5
entre Dieu & les hommes Jesus-Christ homme , ne
vous laissez point seduire aux Docteurs Papistes
qui inferent de ces paroles que Christ est
Mediateur entant qu'Homme seulement. Croyez
plustost à vn Docteur ancien, qui les exposãt
Chryso. ibi
Homil. 7.
escrit, qu'il estoit impossible qu'vn homme
pur & simplement tel, & n'ayant rien de
cõmun auec Dieu, fust Mediateur entre Dieu
& l'homme. Et tenez pour certain que cest hõme
est Mediateur, entant qu'il est partipant de
l'vne & de l'autte nature. C'est ainsi que nostre
Apostre dit en nostre texte, que le bon plaisir du
Pere a esté que toute plenitude habitast en luy, & de
reconcilier par luy toutes choses à soy . Car cela conuient
à toute sa personne au regard des deux natures
coniointement.
XVI. Semblablement vous voyez que plusieurs
choses sont dites vrayement de tout
l'homme, c'est assauoir de la personne de l'homme,
qui ne sont pas dites vrayement de tout ce
qui est de l'homme : ains doiuent estre considerees
distinctement, ou au regard de son corps,
ou au regard de son ame. Vous parlez proprement
& clairement quand vous dites
que l'homme est mortel, & aussi que l'homme
est immortel ; combien qu'il ne soit mortel
qu'au regard de son corps, & ne soit immortel
qu'en son ame. En ceste maniere l'Escriture
attribuë plusieurs choses à tout Christ,
qui ne conuiennent pas à tout ce qui est de
Christ, mais doiuent estre restreintes à l'vne ou
à l'autre de ses natures distinctement. Pour
Ian. 10. v. 30
exemple, Christ dit de soy fort veritablement,
Iean 14. v.
10.
Moy & le Pere sommes vn : Philippe celuy qui m'a
veu, il a veu mon Pere, ie suis au Pere, & le Pere en
Iean 9. v. 58.
moy : deuant qu'Abraham fust ie suis : Voici ie suis
Matth. 28. v.
20.
touiours auec vous iusques à la fin du monde . Tous
Heb. 2. v. 3.
lesquels passages, & autres semblables doiuent
estre exposez de luy, entant qu'il est
la resplẽdeur
de la gloire, & la marque engrauee de la personne du
Pere , c'est assauoir vray Dieu. Les Papistes à faute
d'auoir apprins ceci, sont tõbés en vn erreur
fort grossier. Car pource que Iesus-Christ a
dit,
Voicy ie suis auec vous tousiours iusques à la fin
du monde , ils croyent que son corps glorifié est
en autant de lieux qu'est le pain enchanté de la
Messe, ne considerans pas que le Seigneur parle
en cest endroit de la presence de son esprit. Car
il leur auoit dit auparauant ;
Il vous est expedient
Iean. 16. v. 7.
que ie m'en aille : Car si ie ne m'en vay, le Consolateur
ne viendra point à vous. Et si ie m'en vay, ie le vous
enuoyeray . Or
il s'en est allé en portant son corps
Corpus contulit
Coelo,
Maiestatem
non abstulit
solo. dans le Ciel : Car la Diuinité qui est infinie, ne
va ni vient. Et
il a demeuré auec eux, d'autant qu'il
n'a point osté sa Majesté de la terre. Pourtant
S. Pierre dit de luy, qu'
il faut que le Ciel le contiene
Act. 3. v. 21.
iusques au temps du restablissement de toutes les choses
que Dieu a prononcees par la bouche de tous ses
Prophetes dés le commencement du monde . Ce qui
ne luy peut competer au regard de sa Diuinité
qui est par tout, mais luy conuient tresbien,
eu esgard à son humanité,
à laquelle la
August. de
præsentia
Dei ad Dardanum.
Epi.
57.
cui profecto
immortalitatẽ
dedit gloria
naturam nõ
abstulit,
&c.
gloire, dont elle est reuestuë,
a donné l'immortalité,
mais ne luy a point osté sa nature en laquelle
il n'est point diffus, & n'est point par tout. Et
se faut bien donner garde de maintenir tellement
la Diuinité de l'homme, que nous luy
ostions la verité du corps : Et ne s'ensuit pas
que ce qui est en Dieu est par tout, comme
Dieu est partout. Car l'Escriture laquelle est
tres-veritable dit de nous, Qu'en luy nous
Act. 17. v.
28.
viuons & mouuons, & sommes : Et toutesfois
nous ne sommes point par tout comme luy.
Vray est que cest homme-là est autrement en
Dieu que nous, pource que Dieu est autrement
en luy qu'en nous, c'est assauoir en vne
maniere propre & singuliere.
Ieã 14 v. 28
XVII. Derechef le Seigneur dit,
le Pere est
Ieã 6 v. 28
plus grand que moy .
Je delaisse le monde, & m'en
Ieã 12 v. 8
vay au Pere : Vous aurez tousiours les pauures auec
Ieã 10. v. 7
vous, mais vous ne m'aurez point tousiours.
: Il vous
est expedient que ie m'en aille , & autres choses
semblables, lesquelles se disent vrayement de
luy entant qu'il a prins à soy nostre chair.
Ce que le meschant
Arrius a peu, mais n'a
point voulu apprendre, ne pouuant estre induit
à confesser qu'il y a deux choses en Christ, l'vne
par laquelle il est égal au Pere : L'autre par laquelle
il est moindre que le Pere. Celle-là est la
Parole : Celle-cy est la Chair : Celle-là est Dieu :
Celle-cy est vn homme. Mais l'vne & l'autre est
vn Christ, Dieu & Homme, lequel mesmes est
August. de
Trinit. lib.
1. cap. 7.
moindre que soy-mesme. Car comment n'auroit
esté fait moindre que soy-mesme celuy qui
s'est aneanty soy-mesme, ayant prins forme de
seruiteur ? Aneanty, dy-ie, non en quittant la
forme de Dieu, en laquelle il estoit égal au Pere,
mais en prenant à soy la forme abjecte de seruiteur,
en laquelle il estoit non seulement moindre
que le Pere, mais aussi moindre que soy-
mesme. Gardez bien ceste distinction de la Diuinité
& de la Chair : Vn mesme Fils de Dieu
parle en l'vne & l'autre, pource qu'en luy est
l'vne & l'autre nature. Mais encore que ce soit
vn mesme qui parle, il ne parle pas en mesme
Ambros lib
2. de fide
cap. 4.
maniere. Considerez en luy maintenant la gloire
de Dieu, maintenant les passions de l'homme.
Escoutez-le parlant tantost comme Dieu
des choses qui sont Diuines, pource qu'il est la
parole : tantost aussi comme homme parlant des
choses qui sont humaines, pource qu'il parloit
en la substance de l'homme.
XVIII. Escoutez-le aussi, attribuant tantost
à la nature humaine ce qui est propre à la nature
diuine : Et reciproquement rapportant à la
nature diuine ce qui ne conuient qu'à la nature
humaine. Estant en terre il disoit à Nicodeme,
personne n'est monté au ciel, sinon celuy qui est descendu
Ieã 3. v. 13
du ciel, à sçauoir le Fils de l'homme qui est au
ciel , attribuãt au Fils de l'homme ce qui est propre
au Fils de Dieu : pource que le Fils de Dieu
qui est descendu du ciel, & n'en a iamais bougé,
est aussi Fils de l'homme. Semblablement
l'Apostre escrit que
Dieu a acquis l'Eglise par son
Act. 20 v. 28
sang , & que les Iuifs ont
crucifié le Seigneur de gloire :
1. Cor. 2. v. 8
Et toute l'Eglise confesse au Symbole, que le
Fils de Dieu est né de la Vierge Marie, qu'il a
esté crucifié, mort, enseuely, est descendu aux
enfers, &c. pource que le Fils de l'homme à qui
toutes ces choses sont aduenuës, est aussi Fils de
Dieu, & vray Dieu.
L'Escriture vous enseigne à faire ces distinctions
touchant Christ : Parle-elle des proprietez
d'iceluy ? Donne-elle à l'humanité celles de
la diuinité, ou à la diuinité celles de l'humanité ?
dites qu'elle ne parle ainsi qu'à cause de l'vnion
personnelle : Car ailleurs elle s'expose fort clairement,
rendant à chaque nature sa proprieté,
& disant que Christ a esté fait de la semence de
Dauid
selon la chair , & a esté declaré Fils de
Rom. 1. v. 3. 4
Dieu en puissance
selon l'Esprit de sanctification :
Item,
qu'il a esté mortifié en chair, mais viuifié par
1. Pier. 3. v. 18
l'Esprit , c'est à dire, qu'il est mort entant qu'hõme,
& s'est ressuscité par sa vertu diuine.
Voila la merueille de l'vnion personnelle, selon
August. de
fide ad Petrum
c. 17
laquelle le Fils ayant vny à la personne eternelle
de sa diuinité la substance temporelle de la
chair, n'a point perdu ce qu'il estoit, mais a commencé
Idem de
Tempore
serm. 125
d'estre ce qu'il n'estoit pas, afin qu'il soit
parfait en ce qui est sien, & vray en ce qui est du
nostre. Car celuy qui estoit Dieu a esté fait homme,
& celuy qui est né homme, œuure comme
Dieu : & celuy qui œuure comme Dieu, est mort
comme homme : & celuy qui est mort comme
homme, s'est ressuscité comme Dieu. Mais c'est
comme Dieu & homme ensemble, qu'il nous a
merité grace & gloire. Comme tel, il nous donne
icy l'vne, & nous donnera l'autre au ciel en
son temps.
XIX. Ceste doctrine a diuers vsages, tant
pour la refutation des erreurs de ce temps, que
pour nostre instruction & consolation. Et premierement
elle est formelle contre les Docteurs
des merites des hommes pecheurs, qui enseignent
que Iesus-Christ nous a sauuez, entant
qu'il a merité par sa mort que chacũ peust meriter
à soy-mesme le salut par ses propres œuures :
Ainsi à ce conte il ne seroit point nostre
Iesus & nostre Sauueur en soy-mesme, & par
soy-mesme, mais en nous & par nous : Et le Pere
n'auroit point reconcilié toutes choses à soy, ayãt
fait la paix par le sang de la Croix d'iceluy , ainsi
que nous verrons és exhortations suiuantes ;
ains seulement l'auroit donné, afin qu'il nous
donnast dequoy nous reconcilier nous mesmes,
& faire nostre propre paix. Ce qui renuerse tous
les fondemens de la Religion Chrestienne : Car
il n'estoit point necessaire qu'il se fist homme,
qu'il fust mis sur la croix, que sur icelle il espandit
[dit son]
son sang, & subit la mort, à ce qu'il meritast
pour nous que nous fussions nos propres Sauueurs,
pouuant sans bouger du ciel nous donner
la grace & la vertu, par laquelle ces Docteurs
enseignent que nos œuures sont renduës meritoires.
Au lieu que l'Escriture nous enseigne qu'il
deuoit satisfaire pour nous à la Iustice de Dieu,
comme
plege de la nouuelle alliance, que pour ces
Heb. 7. v. 22
fins il faloit qu'il se fist homme de nostre nature,
& en nostre nature souffrist la mort : Qu'il faloit,
dy-ie, que la vie mourust, afin que sa mort
fust la mort de la mort, & meritast la vie aux
mourans. C'est pourquoy l'Escriture dit,
qu'il a fait
Heb. 1. v. 3.
par soy-mesme la purgation de nos pechez , & non
pas par nous :
Que le don de Dieu, c'est la vie
Rom. 6. v. 23
eternelle par Jesus-Christ nostre Seigneur, que, dy-
ie, la vie eternelle est le don de Dieu : Doncques
n'est pas le salaire de nos merites : Que ce don
nous aduient
par Iesus-Christ, & non par nous.
Et pource que les manieres de parler negatiues
sont fort expresses, S. Pierre dit,
qu'il n'y a point
Act. 4. v. 12
de salut en aucun autre qu'en Christ : d'où il
s'ensuit qu'il n'y a point de salut en nous. Dequoy
la raison est en la personne du Sauueur,
qui seul a esté homme pour seruir, Dieu pour
meriter : Homme pour combattre, & Dieu pour
vaincre : Homme pour mourir, & Dieu pour
donner la vie à ceux qui sont morts.
Que si le Fils de l'homme iuste & sainct
qu'il estoit, n'eust peu estre nostre Sauueur, s'il
n'eust esté aussi Fils de Dieu, comment eust-il
peu meriter que ceux qui ne sont que Fils des
hommes, tous pecheurs comme leurs peres,
&
Iean 3. v. 6
chair de chair , soient leurs propres Sauueurs ?
Il a falu que le Sauueur, pour faire des œuures
meritoires, fust Dieu, Autrement il n'eust peu
estre Sauueur. Et donc ceux qui sont sauuez,
ceux qui ne sont que creatures mortelles, ceux
qui ne sont & ne peuuent estre Dieux, peuuent-
ils auoir d'autres merites que ceux de
Dieu qui est leur Sauueur, qui seul a peu faire
des œuures dignes de soy-mesme, & d'vn prix
infiny & inestimable ? Parquoy que les idolatres
se glorifient en eux-mesmes, & sacrifient à
leur propre filé, nous offrirons sacrifice de
loüange à Dieu, & chanterons auec celle qui
Luc 1 v. 46
47.
est beniste entre les femmes,
Mon ame magnifie
le Seigneur, & mon esprit s'est esgayé en Dieu qui
est mon Sauueur .
XX. Secondement, à quiconque veut faire
vne charge, deux choses sont necessairement
requises,
capacité & authorité : car s'il a
authorité sans
capacité, il sera vne nourrice à la poictrine
ridée sans laict. S'il
a capacité sans
authorité, il sera
Gen. 16. v. 12.
comme
Ismaël, homme asne sauuage : La main
d'iceluy sera contre vn chacun : & les mains d'vn
chacun seront contre luy. C'est pourquoy nostre
Seigneur & Sauueur Iesus-Christ a eu ces deux
choses en soy.
La capacité, pource que
toute plenitude a habité en luy :
L'authorité, pource que
le bon plaisir du Pere a esté de reconcilier par luy
toutes choses à soy. Car tout ainsi que durant
Heb. 5. v. 4. 5
la Sacrificature charnelle,
Nul ne s'attribuoit cet
honneur, ains celuy en iouyssoit qui estoit appellé de
Dieu, comme Aaron : Pareillement außi, dit l'Apostre,
Christ ne s'est point glorifié soy-mesme pour
estre fait souuerain Sacrificateur, mais celuy l'a glorifié,
qui luy a dit, C'est toy qui es mon Fils, auiourd'huy
ie t'ay engendré : Ce qui estoit necessaire,
tant à cause de luy, qu'à cause de nous :
A cause
de luy, afin qu'il peust faire la charge pour laquelle
il estoit venu en bonne conscience, &
s'attendre à la benediction de Dieu sur son labeur,
sçachant qu'il ne l'entreprenoit pas d'authorité
priuée, mais par la volonté & ordonnance
de son Pere.
A cause de nous, afin que recourans
à luy pour cercher par luy paix auec
Dieu, nous soyons asseurez que nous ne serons
point frustrez de nostre esperance, ains trouuerons
ce que nous cerchons, puis que
luy seul est
entreuenu entre les pecheurs mortels, & le iuste immortel ;
Augustin.
Confession.
lib. 10. cap.
43.
& a esté mortel auec les hommes & pour eux,
& iuste auec Dieu. Puis aussi que c'est luy seul auquel
ceste parole a esté adressée,
Je t'ay donné
Esa. 49. v. 6
pour lumiere aux nations, afin que tu sois mon salut
iusques au bout de la terre : Est seul appellé, &
seul est
salut de Dieu, le salut que Dieu a preparé
Luc 2. v. 30.
31.
deuant la face de tous les peuples : Le salut qui
a apporté le salut à tous peuples.
XXI. Que donc le Pape de Rome, ses Cardinaux,
& son Clergé confessent qu'ils ont temerairement
& sacrilegieusement leué le seau
dont le grand Dieu a approuué son Fils, pour
estre nostre seul & vnique Sauueur, pour en
seeller les Anges & les hommes morts, afin d'en
faire nos Mediateurs & nos Sauueurs enuers
Dieu : Comme ainsi soit qu'ils n'ont ny vocation
de Dieu pour entreprendre vne si grande
charge, ny capacité pour la faire : Les Anges, la
Vierge Marie, les Apostres, les Martyrs, les
Saincts du Calendrier Romain sont-ils Dieux ?
La Vierge Marie, laquelle ils appellent la Porte
de Paradis, le Port du salut, la Mere des misericordes,
leur Esperance, leur Mediatrice, & quoy non ?
Et à laquelle ils adressent toutes les prieres que
Dauid adresse à Dieu en ses Pseaumes, est-elle
Dieu ? Posez le cas qu'estant au monde elle ait
esté pleine de grace, comme ils la saluent en leur
Aué, au lieu que l'Ange luy dit, qu'elle auoit esté
receüe en grace : Cela ne suffit pas à ceste charge,
laquelle ne compete qu'à Dieu. Les Apostres &
autres Saincts par les merites desquels ils inuoquent
Dieu, ont-ils esté Dieux ? Tous tout autant
qu'ils sont, n'ont-ils pas esté pecheurs,
n'ont-ils pas esté sauuez par les merites du Fils
de Dieu ? Car pour sauuer les hommes, non seulement
il faut estre sans peché, comme sont les
Anges esleuz, & ce qu'homme quelconque n'a
iamais esté, hormis vn seul : mais aussi il faut
estre Dieu. Car il n'y a rien de si petit au salut,
qui ne requiere vne vertu infinie, & ne soit vne
œuure diuine. Que si ceux-là qui ont esté esleuez
en saincteté pardessus le reste des mortels,
n'ont rien contribué, ny peu contribuer au merite
du salut, comment nous persuaderont ces
pauures abusez, qu'ils peuuent meriter le salut
par leurs propres œuures ?
Mais quand bien il y auroit de la suffisance
és Anges, és Saincts recueillis auec Dieu,
és hommes combattans contre le peché &
les malices spirituelles au monde, pour meriter
le salut, ie dy qu'ils ne pourroient entreprendre
ceste charge sans vocation, sans mission,
sans commission de la part de Dieu. Es
choses du monde nul n'entreprend aucune
charge sans y estre appellé : Nul ne peut plaider
deuant les Parlemens, les Presidiaux, les
Senechaux, & autres Iuges inferieurs, sans
estre receu Aduocat, ou Postulant. Apres le
retour de la captiuité de Babylone, ceux qui
Esdr. 2 v. 61.
62
ne pouuoient monstrer leur genealogie escrite
au registre, furent deboutez de la Sacrificature :
Les Roys n'ont point d'Officiers, que
ceux qu'ils ont eux-mesmes installez : Et nul
ne iouït des priuileges de la bourgeoisie d'vne
ville, que ceux qui sont enrollez en la
matricule des bourgeois : Et encor auec quelle
difficulté paruient-on à telles charges ? Et
combien faut-il de ceremonies deuant que d'y
estre admis ?
Y-a-il ordre és choses des hommes, n'y en
aura-il point en celles de Dieu ? L'Apostre voulant
prouuer l'excellence de Iesus-Christ par-
dessus les Anges, argumente ainsi,
auquel des
Heb. 1. v. 5
Anges Dieu a-il oncques dit, C'est toy qui es mon
Fils, ie t'ay auiourd'huy engendré ? Remarquez
La force de l'argument : Dieu n'a point dit
aux Anges,
Tu es mon Fils : Doncques pas
vn d'eux n'est le Fils de Dieu : Il l'a dit à
Christ : Doncques il l'est. Si cet argument est
bon en vne chose importante à salut, il est
bon en toutes : Et partant ceste raison est inexpugnable
& sans replique, Dieu n'a point dit
aux Anges, ny aux Saincts, qu'ils sont nos
Moyenneurs & nos Sauueurs : doncques ils
ne le sont point : Il a dit tout cela a Christ &
de Christ : doncques il l'est.
S. Pierre, le Chef
pretendu de l'Eglise Romaine argumente ainsi :
Act. 4. v. 12.
Il n'y point, dit-il, de salut en aucun autre : Car außi
n'y a-il point d'autre Nom sous le Ciel qui soit donné
aux hommes, par lequel il vous faille estre sauuez.
Pesez ces paroles : Il y a salut au Nom de Christ :
Et pourquoy ? Pource que Dieu l'a dõné pour
sauuer. Il n'y a point de salut en aucun autre
Nom, pource que Dieu n'a point donné aucun
autre Nom pour sauuer. Retenez ceste doctrine,
vous qui croupissez dans les ordures de la
Papauté, & bannissez desormais de vos cœurs,
de vos affectiõs, de votre creance ; bãnissez de
vos bouches, de vos Letanies, de vos Liturgies,
de vos prieres priuees les noms des Anges, des
Martyrs, de tous autres saincts : Et puisque vous
vous dites Chrestiẽs auec nous, retournez auec
nous à Iesus-Christ, & adherez à luy seul, asseurés
de trouuer en luy le salut entier & parfait,
puis que Dieu l'a proposé & appareillé en luy.
XXII. Et vous, mes tres-chers & bien-aimés
auditeurs, ramenteuez vous les choses que
i'ay dites de la personne de nostre Iesus, en qui
selon le bon plaisir du Pere toute plenitude a
habité, & habitera és siecles des siecles. Considerez
quel rang l'homme tient entre toutes les
creatures de Dieu. Les Anges sont excellens :
Mais l'homme l'est encore plus. Car l'homme
a esté si estroitement vni auec Dieu, que maintenant
Dieu & l'homme ne font qu'vne personne.
Les Anges admirent ceste gloire en nostre
nature : Et suiuant que Dieu en l'introduisant
au monde auoit dit,
Et que tous les Anges de
Pseau. 97. v.
7.
Dieu l'adorent , les Cherubins, les Seraphins, les
Heb. 1. v. 6.
Principautez, les Puissances, les Thrones, les
Dominations adorent cest homme.
O amour admirable de Dieu enuers les hõmes !
l'homme auoit offensé Dieu, & s'estoit
esloigné de luy : Dieu s'est approché de l'homme,
& l'a fait vn auec soy : l'homme viuoit icy
bas parmy l'ordure & la pourriture en infirmité
& foiblesse, & maintenant il est assis en haut à
la dextre de Dieu en gloire & en force. L'homme
estoit mesprisé des hommes, tourmenté par
les Diables, exposé aux iniures de toutes les creatures :
Maintenãt il est adoré des Anges, craint
des Diables, recognu & serui de toutes creatures,
qui ployent le genoil deuant luy, comme à
leur maistre & Seigneur. Pouuons-nous penser
à ces choses tant merueilleuses, sans en estre
rauis en admiration, sans recognoistre, sans confesser
que c'est à bon droit que Dieu s'est appellé
Amateur des hommes ? Car tout l'amour qu'il
Tit. 3. v 4.
porte aux autres creatures, celuy mesme duquel
il embrasse les Anges esleus n'est rien en
comparaison de cest amour.
XXIII. D'où pouuoit venir vn amour si ineffable ?
D'où que
de son bon plaisir ? D'où que
de sa pure grace ? L'homme pouuoit-il meriter
d'estre vni à Dieu d'vn lien si estroit, qu'il a
esté aussi tost Dieu qu'homme ? C'est par grace
que le sainct Esprit l'a conceu, afin qu'il fust
le
Sainct des Saincts, ou plustost comme Daniel
Dan. 9. v.
24.
l'appelle,
la Saincteté des Sainctetés. C'est par
plus grande grace que Dieu a vni ce sainct à
soy, & l'a fait vne personne auec soy-mesme.
Papistes, oserez-vous nier ceste grace ? Ne confesserez-
vous point auec nous qu'elle est esmerueillable ?
Confessons donc aussi tout autant que nous
sommes, que le commencement, le milieu, la
cõsommatiou de nostre salut, n'est autre chose
qu'amour & grace. Quel amour est cestuy-cy,
que l'immortel soit venu aux mortels, l'immuable
aux muables, le iuste aux meschans, le bien-
heureux aux miserables, Dieu luy-mesme aux
hommes ? Quelle grace est ceste-cy, que le Fils
de l'homme a esté fait Fils de Dieu, le serf a esté
fait Seigneur, le mortel a esté fait immortel, le
fini
iufini ? Tout cela luy est-il aduenu pour
luy ? Tout le fruict, tout l'vsage n'en est-il pas
nostre ? Le Seigneur a esté fait serf, afin que
nous qui sommes serfs soyons faits Seigneurs :
La vie a subi la mort, afin que nous qui auons
merité la mort eussions la vie. Et, comme a dit
August. En.chirid.
16.
vn Pere, Christ a esté fait homme sans peché
par grace, afin que nous sçachions que c'est par
grace que nous sommes iustifiés de nos pechés.
Si tout ce qui est en Christ homme est grace,
nous qui ne sõmes que pauures & chetifs vermisseaux
pouuons-nous auoir aucun aduantage,
aucune gloire qui soit autre chose que grace ?
Eph. 2. v. 8.
Arriere Papistes auec vos merites :
Car nous
sommes sauuez par grace.
XXIV. Adorons & aimons cest amour
d'vn cœur si entier, d'vn amour si vray & cordial,
que nous puissions sentir en nos cœurs,
protester de nos bouches auec S. Paul, que
la
2. Cor. 5. v.
14.
charité de Christ nous estreint. Rendons de cœur
& de bouche graces au Pere, qui par grace a
voulu que son Fils fust faict homme, & que
toute plenitude habitast en luy ; au Fils qui a daigné
par vne grace incomprehensible prendre
cest homme, & l'a reuestu de tant de graces : Et
[encore] encore benissons le Pere qui par le Fils nous a
fait vne si grãde grace, qu'il l'a fait homme pour
nous. Le Fils qui s'est vni à nous pour nous acquerir
la grace de son Pere. Le sainct Esprit qui
est la dilection du Pere & du Fils, & qui espand
la dilection du Pere & du Fils, & seelle ceste
grace inestimable en nos cœurs. Que cest
amour, que ceste grace soit nostre meditation
en nos cabinets, nostre discours en nos maisons,
en la ville, aux champs ; nostre ioye en nos passetemps,
nostre appuy en nos tentations, nostre argument
en nos prieres, le sujet & la matiere de
toutes nos actions de graces. Nous auons commencé
& poursuiui ce discours par la descriptiõ
des admirables effects de cest amour, de ceste
grace admirable. Et pource qu'il n'y a lãgue des
Anges, non plus que des hommes qui le puisse
acheuer, rompons le à l'exemple de l'Apostre,
en esleuant nos voix au Ciel, & crians tous ensemble
& chacun à part soy d'vn mesme cœur,
& comme si nous n'estions qu'vne bouche,
Ie
Rom. 7. v. 25
ren graces à Dieu par Jesus-Christ nostre Seigneur.
Amen.