Vous avez oublié l'exhortation,laquelle
parle à vous comme aux enfans , disant,
Mon enfant , ne mets point à nonchaloir
la discipline du Seigneur,&ne perds point
courage quand tu es reprins de lui .
NOVS avons ouy en
l'Evangile , que Iesus
Christ a voulu , pour
nous sauver , prendre à
foy nostre nature , en l'unité de sa
personne,d'une maniere ineffable&
incomprehensible : nous avons veu
és saincts Sacremẽs,que le corps,qui
lui a esté approprié,afin qu'il l'offrist
pour nostre redemption , nous est
donné en viande & nourriture, afin
que nos personnes aussi vnies à la siene,
devienẽt une mesme chair,& un
mesme esprit avec lui. En l'un & en
l'autre paroist sõ infini amour.1.D'avoir
voulu devenir nostre proche
parent,par une naissance terrienne.
2. De s'estre fait nostre allié par un
mariage celeste:Cela fait qu'il nous
appelle ses freres,car estãt devenu os
de nostre os,& chair de nostre chair,
il est de nostre consanguinité,
comme
Hebr. 2.14
les enfants participent à la chair & au
sang, lui aussi semblablement a participé
aux mesmes choses,afin que par la mort il
destruisit celui qui avoit l'empire de mort,
[ c'est ]
c'est asçavoir le diable .Ceci est,afin que
nous estans faits un avec lui,soyons
os de ses os,chair de sa chair,bref un
mesme esprit avec lui.Or l'un & l'autre
poinct tend à ceste fin, que delivrés
de nostre peché&misere,&sortãs
de la maison du premier pere terrien ,
nous entrions au droict de
l'adoption celeste, & reputés enfans
de Dieu, portions son Nom, & son
image. Bref,venions en l'entiere cõmunion
de l'heritage.Que comme il
est devenu fils de l'homme selon la
chair,nous soyõs enfans de Dieu selõ
l'Esprit:lui par sa seconde generatiõ,
en laquelle il est né de la Ste Vierge,
nous par le don de la regeneratiõ:
lui sans pere en terre , nous n'ayans
qu' ũ seul pere au ciel:lui nostre chef,
nous ses mẽbres,appellions un mesme
Dieu, un mesme Pere avec lui,
& et par un mesme esprit d'amour &
de reverence,servions & glorifions
son Dieu & le nostre,son Pere & nostre
Pere.
Toute l'Escriture saincte tend à
ce but , & l'Esprit de Dieu instruit
l'homme à ce qu'il recognoisse ce
Pere celeste , & lui rende l'honneur
& service qui lui appartient. A quoi
il faut rapporter les paroles,que nous
avons presentement leuës, esquelles
nous voyons les qualitez de Pere &
de Fils s'entrerespondre , avec les actions,
habitudes & procedures qui
en dependent. La solennité de ce
iour a esté destinee en l'Eglise pour
rememorer , en la naissance du Fils
de Dieu, le benefice de nostre spirituelle
filiation, de laquelle mesme le
sainct Sacrement nous a donné des
gages en la communion que nous
avons euë à la table paternelle.
Le miserable siecle,auquel nous
[vi-]
vivons, a besoin de ces enseignemẽs:
car les afflictions de l'Eglise ont en
plusieurs obscurci la conoissance,&
esbranlé la confiance, que nous devons
avoir de l'amour paternel de
Dieu envers nous : comme si lors
qu'il afflige, il avoit oublié qu'il est
Pere, ou si en nous chastiant il despouilloit
son affection. Partant,il est
plus que necessaire, en ces dures saisons,
pour avoir des lenimens à nos
douleurs & remedes en nos maux,
de biẽ savoir ce qu'importe ce droit
de Pere sur nous,& le devoir de Fils
envers lui: d'où procedent nos plus
douces consolations, & nos plus fidelles
instructions : qui sont deux
poincts,que nous devons tenir inseparablement
conioincts , ayans esgalement
affaire de tous deux , à ce
que nous recueillions de la visitation
de Dieu cest excellent fruict,de
la conformité avec nostre Seigneur
Iesus Christ,à laquelle nous sommes
appelez, voire predestinez.
Rom. 8. 28
L'Apostre dit auparavant,
Vous
n'avez pas encor resisté contre le peché,
combattant iusqu'au sang : maintenant
il leur dit,
Vous avez oublié l'exhortation,
qui vous parle comme à enfans .
Dieu les avoit espreuvez:mais ne les
avoit pas encor mis aux grands cõbats,
ni aux lieux les plus dangereux.
Cependant ils trouvoyent estrange
cest exercice,& perdoyent courage
dans l'affliction.S.Paul les rameine à
la consideration de l'esgard paternel
& filial,à la procedure que Dieu
tient comme Pere:au devoir par cõsequẽt,
auquel les enfans sont tenus,
& ce,en leur marquant le defaut,auquel
ils se laissoyent emporter.
Leur defaut(tel que nous voyons
presque par tout ) estoit l'oubliance
[de]
de l'exhortation,negligence à recercher
les moyens de s'affermir : mespris
des remonstrances,en la prosperité :
& defaillance de courage, lors
qu'ils sentoyent le chastiment. Ce
que l'Apostre touche, mais avec une
douceur vrayement paternelle,& en
des termes qui sentent une compassion
charitable.
Leur devoir estoit de subir avec
humilité, de souffrir avec patiẽce,de
s'humilier avec obeïssance, obeïr avec
affection, aimer avec reverence,
reverer avec confiance & esperance.
La procedure paternelle est, qu'il aime,
qu'il a soin,visite,chastie,corrige
& ce qui s'ensuit. Tout cela fondé
sur ceste nouvelle qualité de grace,
que nous obtenons en Iesus Christ,
par lequel nous sommes maintenant
censés & estimez enfans , & Dieu
nous regarde comme Pere.
S Paul, avons nous dit, parle en
termes tresdoux,mais aussi tresforts.
Car il nous faut considerer son style
& langage,devant que nous entrions
au detail des chefs touchés : il se sert
Prov. 3.11.
des termes du sage Salomon ,
Mon
fils ne rebute point l'instruction de l'Eternel,
& ne t'ennuye point de ce qu'il te
redarguë . Lesquels sont aussi employez
Apoc.3.19
par nostre Seigneur.
Ie repren,&
chastie tous ceux que i'aime,pren donc zele
& te repens . Le mesme avoit esté escrit
Iob 5.17.
au livre de Iob.
O que bien-heureux
est celui que Dieu chastie , pourtant
ne reiette point le chastiment du Tout-
puissant .
Signe,que ceste doctrine n'est point
nouvelle, mais tres-anciene, qui dés
les premiers siecles de l'Eglise, iusques
aux derniers, a un vsage necessaire ;
non particulier à aucune nation,
mais commun &general à tous
[ceux]
ceux, qui pretendent l'honneur d'estre
en la maison de Dieu.
L'Apostre employe ceste sentence
ja connuë & avouëe, par tous fidelles,
pourtant plus aisément leur faire
connoistre leur devoir. Car il n'y avoit
aucune replique à faire, ni contradiction
à opposer à une verité apprise
& retenuë de tout temps en
l'Eglise. Qui plus est,selon sa bonne
&saincte coustume,il se sert des passages
de l'Escriture saincte, & nous
monstre qu'en ce temps là l'usage en
estoit commun & familier. Ce qui
appert bien en la façon , de laquelle
il parle. Vous avez oublié , leur reprochant
non l'ignorance, mais l'oubliance :
monstrant bien par là, qu'il
n'y a nulle excuse pour l'ignorance
de l'Escriture saincte:sur tout des enseignemens
generaux, que nous
sommes tous obligez de rememorer,
pour ne les oublier, combiẽ plus
de les apprendre pour les sçavoir.
Faut aussi remarquer que l'Esprit de
Dieu a voulu colloquer dans le corps
des Escritures certaines sentences generales,
& les reïterer si frequẽment,
(cõme feroit un pere de famille, des
meubles dõt l'usage est tous les iours
necessaire, lesquels il met en veuë,&
en lieu où, au besoin, promptemẽt il
les trouve) & c'est à ce que nul ne puisse
pretendre cause aucune d'ignorãce,
s'il n'est, ou estrãger de la maison
de Dieu, ou aveugle dans icelle.
La sapience Divine a particulierement
donné le livre des Proverbes,
pour avoir une fourniture de toutes
sortes de preceptes,en termes courts,
sentencieux & proverbiaux;sous lesquels
il nous represente tout ce que
les loix divines , ou humaines equitables
commãdent; propose les maximes
[xi-]
que la prudẽce civile recueille
par longue experiẽce;& que la sagesse
morale distribue en beaucoup d'ẽseignemens,
&a accoustumé de confermer
par exẽples.Car Dieu n'a pas
seulemẽt voulu nous instruire par les
excellentes histoires de ses œuvres &
des actiõs des hõmes,& par la maiesté
de ses tressaincts cõmãdemens,&
par l'authorité des propheties. Mais
il a voulu en outre,pourtãt plus nous
esmouvoir,que la musique de David
nous representast les mesmes veritez
avec le chant, afin de mieux les insinuer :
& que la sagesse de Salomon,
pour nous aider à facilement les retenir
& appliquer à toutes sortes d'vsages,
en fist des petits sommaires en
graves & moëlleuses sentences.
Or laissant ce qui est de la generalité,
ie viens aux paroles de ceste
exhortatiõ,qui contiẽt une Remonstrance
& une raison tres-pertinente.
La Remonstrance est, Mon fils ne
reboute point l'instruction de l'Eternel,&
ne t'ennuye point de ce qu'il te redargue .
La raison, le Seigneur chastie celui qu'il
aime . Il n'y a comme rien à dire és
termes de Salomon & de S.Paul. Le
sens est le mesme.Et par la conference
des textes & leurs suites,nous cõprenons
pleinement le poids & l'efficace
des paroles. S.Paul y adiouste
un commentaire & illustration tres-
notable,& en deduit les doctrines
que nous orrons ci apres.
πθράκσιν Il nomme ceste sentence & exhortation
d'un mot qui signifie aussi
consolation,tresbien : car l'affligé a
besoin de l'une & de l'autre:si sa foiblesse
& fascherie meritent pitié &
compassion , elles ne doivent pas
pourtant estre,ni en toutes excuses,ni
flattees par trop de support.
[Aussi]
Aussi l'esprit de Dieu,qui est tout
bonté & vérité, n'administre iamais
la consolation, qu'il n'y ioigne l'instruction,
comme il n'y a nulle vraye
bonté sans iustice, nulle paix de
conscience sans amendement, nulle
ioye certaine sans une severe sagesse,
qui la rend solide, & nulle reconciliation
de Dieu à nous,qui ensemble
ne nous reconcilie & convertisse à
luy.
C'est une viande sans sel, & une
douceur fade qui fait mal au cœur,
que les consolations telles que demande
la chair,qui n'osent dire aucune
verité fermement. Ce sont remedes,
qui iamais ne guerissent la
playe , n'y entrans iamais, & ne la
nettoyans point.
Or, quoi que S.Paul entre par une
douce censure des defauts des
Hebrieux,neãtmoins, ayant esgard
De qui est l'exhortation
à ceste iournée,commençons par la
qualité de Pere & de Fils,&des reciproques
devoirs. Salomon dit,
Mon
fils : mais si vous regardez,qui parle
par sa bouche , vous trouverez que
ceste douce appellation viẽt de plus
haut.C'est bien un terme ordinaire,
ou de bienveuillãce, ou d'authorité
entre les hommes , que le plus aagé
nomme fils le plus ieune,le plus grãd
par humanité parle ainsi au moindre,
& le Docteur au disciple,comme
I. Sam. 3.6.
Heli appelle Samuel son fils , S. Iean
ceux ausquels il escrit ses petis enfãs.
Mais il y a ici un autre mouvement:
car la sagesse divine instruit ses disciples:
Et és paroles suivãtes attribue à
Dieu mesme l'affection paternelle&
amour envers ceux qu'il chastie.
L'Eternel
redargue celui qu'il aime,mesme cõme
fait un Pere envers l'efant qu'il aime ,
dit Salomon. De sorte que nous pouvons
[vons]
dire avec N. Seigneur: il y a ici
un plus grãd que Salomon;nous avõs un
Pere plus grãd que celui qui a escrit,
Mon fils,Escoute l'instruction de ton pere.
Car c'est Dieu,qui nous appelle ses enfãs,
selõ les clauses expresses de son alliãce,
& nous parle cõme à tels,&nous
traitte aussi en enfãs. Ce que S.Paul a
biẽ cõsideré,quãd il a dit,il parle cõme
à des enfas , nous amenãt par là à ceste
tãt necessaire consideration du droit
divin,&amour paternel de Dieu.
Il est vrai que par la creatiõ, Dieu
Dieu est notre Pere non seulement par la creation.
est le souverain Pere, duquel toutes
choses procedent & dependẽt.C'est
lui duquel
toute parenté est nommée au
ciel & en terre , dit S.Paul. C'est lui, qui,
Ephes. 3.15
comme dit le Prophete,
donne aux
creatures la vertu d'engendrer & enfanter :
Esa. 66.9.
qui est en ce premier esgard Dieu
de tous,Pere commun de tous.
N'avons-nous
Malac.2.10
pas tous un Pere, un seul Dieu
fort,ne nous a-il pas creés , dit Malachie.
Mais en l'alliãce de grace,ceste qualité
a des particularitez speciales,qui
nous apportent une merveilleuse utilité
mais specialement par grace
& consolation : car l'homme
par le peché s'estant rendu indigne
de ce nom, qu'il eust eu avec la nature
en la creation, avoit esté chassé
de la maison. Or Dieu rappellant
ceux qui appartienent à sa grace,par
son Evangile , maintenant se nomme
tel proprement en son Eglise. Là
il se declare Pere , qui adopte, & regenere.
Deut. 32.6.15
N'est-il pas ton Pere qui t'a acquis,
icelui t'a fait & façonné , et là
mesme dit Moyse,
Tu as mis en oubli
le Dieu,le Dieu fort qui t'a formé .
Aussi
l'Eglise en Esaye le reconnoist tel.
Esa. 63.16
Certes tu est nostre Pere, encore qu'Abraham
ne nous reconnust point,& qu'Israël
ne nous avoüast point. Eternel c'est toy
qui es nostre Pere, & ton Nom est nostre
Redempteur de tout tẽps , &
au 64.
Maintenant,
[ tenant, ]
ô Eternel tu es nostre Pere,& nous
Esa. 64.8.
sommes l'argille,tu es celui qui nous a formez,
& nous sommes l'ouvrage de ta
main . Aussi en Ieremie, nostre Seigneur
prend ce mesme titre.
Ne crieras-tu
Ier.3.4.19.
point desormais vers moi,mon Pere,
tu es le conducteur de ma ieunesse , &
peu apres,
comment te mettrai-ie entre
mes fils? Et i'ay dit, Tu me crieras
mon Pere,&ne te destourneras point arriere
de moi. Et ailleurs,
I'ay esté Pere à
Ier. 31.9. v.20.
Israël, Ephraim mon premier né , mes entrailles
se sont esmeuës à cause de lui . Dequoi
en Malachie , il tire la consequence
du reciproque devoir des
enfans.
Le fils honore le Pere,&le serviteur
Malach.1.6.
son Seigneur. Si donc ie suis Pere,
où est l'honneur qui m'appartient? & si ie
suis Seigneur,où est la crainte?
Ces declarations,faites dés le Vieil
Je declare tel ouvertemẽt en Iesus Christ.
Testament ont bien esté plus esclaircies
& accreuës en la revelation du
Nouveau. Car Iesus Christ le
propre Fils, &
l'unique du Pere estãt venu au
monde, & s'estant fait nostre frere,
nous avons une ouverture plus grãde
& plus claire.
Dieu mesme s'est manifesté
1.Tim.3.16
en chair , le Pere s'est en lui manifesté
à nous,& en sa face a relui la misericorde
& charité de nostre Dieu:
qui nous parle vrayement en Pere,&
nous traitte en enfans,&se monstre,
non en qualité de Legislateur & de
iuge, mais de Pere misericordieux.
Ieh.14.7.8
Qui m'a veu, dit le Seigneur, à veu
mon Pere. Si vous me cõnoissiez, vous cõnoistriez
aussi mon Pere, & maintenant
Ieh.1.18
vous le cõnoissez & l'avez veu : aussi nul
ne
pouvoit reveler le Pere, que le Fils qui
est au sein du Pere . Nul ne nous pouvoit
donner part à l'adoption que
celui qui estoit l'heritier unique.
C'est lui qui nous a enseignez à dire,
Nostre Pere, & qui nous asseure,
que [ tout ] tout ce que nous demanderõs en son Nom,
il le fera,à ce que le Pere soit glorifié par le
Fils. C'est de lui & par lui que nous
avons l'Esprit du Fils, obtenu de la
grace du Pere, par
lequel nous crions,
Abba Pere. C'est lui qui veut, que
nous ne connoissions pour Pere
qu'un seul,qui est Dieu.
N'appellez
aucun en la terre vostre Pere : Car un seul
Matth.23.9
est vostre Pere, asçavoir Dieu qui est és
cieux . C'est lui, qui nous propose
son Pere, reigle de toute perfection,
pour exemple,que nous devons imiter
en bonté , saincteté & misericorde.
Bref, c'est lui mesme, qui
Matth.5.48.
nous a monstré par son propre exemple,
qu'il ne falloit cercher la
gloire que de ce Pere , ni attendre
pleine beatitude qu'en ceste maison
de son Pere,
en laquelle il y a plusieurs
Iean 14.2.
demeurances . Somme, c'est
par Iesus Christ que nous avons
connoissance par revelation, accés
par foi en un mesme Esprit, communion
eternelle en pleine felicité
avec le Pere.
A les vrayes qualitez de Pere.
Pere, qui vrayement est digne de
ce nom par dessus tout ce qui peut
estre nommé & qualifié tel, soit par
generation,soit à cause de l'authorité,
soit pour la conduite, soit eu esgard
à la charité. Au prix d'icelui,
nous qui sommes, peres de la chair ,
comme parle S. Paul en ce mesme
passage: & qui, comme dit Iesus
Christ, sommes vrayement mauvais,
ne meritons pas de porter ce tiltre:&
faut que lors qu'il s'agist du rapport
de l'homme à Dieu, qui est si haut,
si grand, & infini, nous reconnoissions,
que les petites differences,qui
sont ça bas , de Pere,de fils , de maistre,
de serviteur,de Seigneur,de subject,
d'ancien,de ieune,de Docteur,
[de]
de disciple , sont presque toutes englouties
& esgales à cest esgard là,
comme la difference des estoiles à la
venue du Soleil. Consideration
tres-importante,toutes & quantesfois
on traitte de religion,pour n'opposer
iamais aucun de ces respects,
ou affections,ni à Dieu, que la conscience
doit reconnoistre pour seul
Pere, ni à son service, qui doit estre
preferé à toutes choses.
Et de faict les hommes, qui ont
l'honneur d'estre peres, ne le sont
que selon la chair,ne le sont que tandis
qu'ils sont au monde, ne peuvent
produire des enfans conformes à
leur volonté , ni faire que bien peu
de ce qu'ils desirent pour le bien des
leurs. Bref, ne peuvent empescher,
que la mort ne les prive de ce qu'ils
ont de plus cher. Mais l'Eternel, qui
nous a engendrez, d'une semence incorruptible,
1.Pier.1.23.
qui est la parole de sa verité ,
nous a connus devant que nous fussions,
& nous a
predestinez pour estre
Rom.8.28
conformes à l'image de son Fils ,
nous a de
Iaq.1.18
sa volonté, dit S.Iaques, engendrez afin
que nous fussions premices de ses creatures :
& nous ayant aimé pour nous
former, forme puis apres dedans
nous son image, afin qu'il nous rende
capables de sa communion. Les
Peres aiment ceux qu'ils ont engendrez.
Mais nostre Dieu nous engendre,
pource qu'il nous a aimez.
C'est lui,duquel le nom est invoqué
sur nous, & qui veut que nous portions
sa marque & son enseigne; &
Hebr.1.16.
quant à lui, ne
prend point à honte & et à
desdain, de se dire
nostre Dieu, Dieu
d'Abraham,d'Isaac, & de Iacob . Pere
Ieh.14.18
qui ne meurt point , ne
laisse iamais
les siens orphelins , & ne cesse iamais
d'estre Pere. Aussi la mort ne lui
[peut] peut ravir les enfans, ains les transfere
de la terre au ciel : & les despoüille
de la robbe soüillee du vieil
Adam , pour les revestir des vestemens
de gloire du premier né. Les
Peres terriens ne laissent l'heritage à
leurs enfans, que quand la mort le
leur oste. Mais le Pere celeste, vivant
eternellement , nous donne
pour heritage , communion de sa
vie, & iouyssance d'une gloire eternelle.
C'est bien ce Pere là,
qui thesorize
2.Cor.12.14
pour ses enfans , & n'ayant besoin
de chose aucune pour soi, pourvoit
toutes choses necessaires au salut
des siens. C'est celui duquel
disoit David,
Quand ie n'auroy pour
Pse.27.10.
moi pere ni mere, mon Dieu sera pour
moy quoi qu'il en soit . Que vostre
Pere terrien & d'embas, &tous
vos parens vous mes-connoissent,
renient, reiettent, & desdaignent,
pourveu que ce grand & Eternel Pere
vous advouë & reconnoisse, c'est
assez. Que vous ayez tous les adveus,
tous les tiltres,armoiries,noms,
& honneurs des meilleures maisons,
& des plus riches & Nobles Peres du
monde, soyez enfans de Roy, de
Prince,soyez issu d'Abraham,de Iacob,
de David selon la chair, soyez
frere de IesusChrist selon le corps,&
de mere,si cela se pouvoit. Tout cela
ne vous servira de rien, si Dieu ne
vous advouë & ne vous reconnoist
pour siens : voire mesme Abraham
& Moyse desadvoüent du rang de
leur posterité celle que Dieu rejette
& desdaigne.Et nul ne peut se nommer
Matth. 3.9.
Ieh. 5. 45.
Ieh. 8. 39
Act.3.25
enfant des Prophetes , ou successeur
des Apostres, si tout premierement
il ne monstre,
qu'il est issu de Dieu .
Qui sont les vrais enfans
Quiconque prend garde aux qualitez
de ce Pere, entend aussi tost &
[par]
par necessaire consequence,ce qui se
doit trouver en ceux qui sont enfans
de Dieu.
Qui
ne sont point nés de sang,ni de la
Iean 1.13
volonté de la chair, ni par ce que plus
elle aime, ni par la volonté & discretion
d'homme,mais De Dieu . Qui ne
se sont point engendrez eux-mesmes,
mais ont receu tout ce qu'ils
ont de nouvelle naissance par la grace
de Dieu; & ne partagent point avec
le Seigneur, pour se dire moitié
de sa grace, moitié de leur volonté:
car ils confessent que s'ils ont
aucune
2.Cor.3.5.
bonne pensee , aucune saincte volonté,
c'est Dieu qui la leur a donnee. Et
entre les autres dons,reconnoissent
que la parole de Dieu est la
semence
de leur nouvelle generation: & l'Esprit,
la cause puissante , par laquelle ils
sont conceus & formez. Nul ne
peut entrer au royaume des cieux,
Ieh.3.5.&6.
s'il n'est né de cest esprit,car ce qui est chair,
Gal.6.8.
est chair ,& de ce qui est semé en la chair,
on recueille corruption.
Or, comme les enfans,en recevant
l'estre naturel de leurs majeurs,en tirent
aussi par la nature quelque ressemblance:
ainsi les enfans de Dieu,
portent en leur cœur l'image de leur
Pere celeste, & la monstrent en leur
vie. Car si nous avons
porté celle du
Terrien, combien plus devons nous celle
1.Cor.15.49
du Celeste . En vain s'appelle Fils celui,
qui n'a ni affection, ni volonté,
ni qualité,ni veine,qui retire ou ressemble
à une si haute origine. C'est
par là que l'on les reconnoist enfans
du Treshaut : la gloire du Seigneur
reluit sur les siens par effects semblables
à la cause ; comme la lumiere se
connoist à sa resplendeur,& le Soleil
à la clarté:ainsi Dieu estant lumiere,
tout ce,qui en procede,la fait,la porte,
[te,] la monstre:qui peut cacher le feu,
enfermer la lumiere, dissimuler le
iour? Les enfans
de lumiere sont reuestus
Rom13.12.
des armes de lumiere ,& ne peuvent
estre en tenebres.
Bref, comme ceux qui sont enfans,
ont droit en l'heritage paternel, par
le titre d'ẽfant qui precede toute autre
qualité:& ne le veulent pretẽdre,
comme les ouvriers demandent un
salaire,pour estre payés,mais comme
enfans issus du Pere, & domestiques
de la maison.Ainsi les enfans de Dieu
savent,qu'il y a un heritage preparé,
qui suit la nature & conditiõ de leur
extraction & generatiõ,laquelle,cõme
elle est toute de misericorde,aussi
leur esperance est de grace.Iamais
fils ne sçauroit estre si mal advisé de
dire,qu'il a merité la qualité de Fils.
Iamais,s'il est fils d'un Pere,qui a dequoi,
ne pretendra la succession par
autre qualité que celle d'heritier.Iamais,
qui qu'il soit,ne sçauroit par ses
services espuiser la grandeur des obligations,
qu'il a envers sont Pere.
Et que dira l'homme de son obligation
envers Dieu?Et quel plus asseuré
tiltre,que d'enfant,heritier de Dieu,
& coheritier de Iesus Christ?
Dieu nous parle en Pere
Mais il est temps,que nous oyons
ce qui est attribué à ce Pere Eternel.
Il parle,& fait. Il parle comme à ses enfans .
Nous ne restreignons pas ceste
observation de l'Apostre à Salomon :
mais la portons plus haut : &
ne la reserrons point seulement en
ceste sentence,qui veritablement est
paternelle:mais l'estendons plus loin
selon la mesme verité Car un des
tesmoignages de la grace Paternelle
de Dieu , est sa Parole envers nous.
Il agit en tout le cours de sa Providence,
& toutes les creatures dependent
[de]
de sa puissance & volonté : mais sa
parole proprement , n'est que pour
ceux qui l'entendent : & ne l'entendent
que ceux,qui ont son image,&
par la reflexion d'icelle se retournent
à lui. Les grandes œuvres de
Dieu en la nature sont communes à
toutes personnes : le Soleil,& la Lune,
& les estoiles, les elemens, les saisons,
& les fruicts de la terre,& autres
tels benefices appartiennent à tous.
Act.14.17
Mais la Parole est le propre fonds de
l'Eglise.
Ta loy est mienne , & mon
cœur prise l'a, comme un droict fonds &
La parole de Dieu est marque de l'Eglise
Ps.119.111.
son propre heritage . Le Soleil & la
pluye eschauffent & humectent
tous peuples & nations.
Mais la pluye de la doctrine
celeste ne vient que sur la toison
de Gedeon : le doux Soleil de
l'Esprit vivifiant, est pour le champ
du Seigneur.
Il n'a pas fait ainsi à tous
Ps.147.20
peuples & nations, & pourtant ne connoissent-
elles point ses ordonnances . La
communication par la Parole, est la
vraye marque de la presence du Pere.
Il parle, donc il est en la maison,
direz-vous:encor que ie ne le voye,
ie le connois à la voix . Voix qui regit,
conduit, gouverne & ordonne
toutes choses parmi les siens:ostez la
parole,qu'est-ce de l'Eglise,que sont
ce tous les rites,ordres,mysteres? La
superstitiõ a voulu des images muettes,
qui sont ressemblãces de la chair,
qui n'a rien de semblable à Dieu.
Mais la religion regarde à la parole,
image de la vocation, interprete &
organe de l'Esprit. Les sacremens ne
nous sont rien, s'ils ne sont considerez
comme paroles visibles, & tesmoignages
de ce que Dieu nous
presente.
Quand la predication est ostee,la
[lu-]
lumiere est eclypsee,
adonc se fait la
nuict de toutes parts, Tenebres d'Ignorance,
d'Erreur,de Vices, de Confusions
couvrent la terre. Quand Dieu
ne fait pas ouïr sa voix,helas!quel triste
silence!C'est bien là une des marques
de son ire, quand il ne daigne
plus nous parler,
le peuple est dissipé
Prov.29.18.
,
dit le Sage, lors que la Prophetie cesse .
Saul cerche Dieu trop tard, & n'en
peut obtenir aucune parole, car il
estoit courroucé. C'est la mesme
menace que Dieu fait par Esaye, &
Esa. 1.15
que la souveraine sapience denonce
aux prophanes contempteurs de
sa vocation, C'est la punition que
Prov.1.28
l'Eglise Chrestienne doit redouter;
non proprement les pertes des villes,
ou le changement d'Estats:
mais que Dieu oste son chandelier,
& transporte son royaume
ailleurs : non les famines &
pestilences corporelles: mais la faim
de la parole de Dieu dont menaçoit
Amos 8.11.
Amos, & la miserable mortalité &
destruction des ames, qui s'en ensuit.
Prov. 29.18.
Bien-heureux au contraire est le peuple ,
que Dieu instruit par sa Parole,
auquel il parle comme à ses enfans.
Nous honorons ces anciens Peres,
qui avoyent souvẽt des apparitions
& communications angeliques: &
qu'est cela, au prix de la voix de
Dieu mesme, & du Pere qui nous
parle en son Fils, comme dit S.Paul
Hebr.1.1.
aux Hebrieux? Combien donc devons
Ps.119.43.
nous prier avec David,
N'arrache
point de ma bouche la parole de ta
verité: car ie me suis attendu à tes ordonnances .
Il parle en Pere en l'Evangile
II. Disant, qu'il parle comme à ses
enfans , vous entendez bien qu'il y a
difference bien sensible entre les paroles
[roles]
qu'il dit, comme Maistre parlant
à ses serviteurs, ou comme Seigneur
à des esclaves, ou Iuge à des
criminels;& celles qui sont,comme
d'un Pere communiquant avec ses
enfans. Lors que le peuple ouyt la
loy,& ce ton maiestueux & terrible,
il dit,
Que Dieu ne parle plus à nous Mais lors qu'il a parlé comme à ses
enfans, l'Eglise respond, Seigneur
parle,tes serviteurs escoutent:David
demande,
Fay moi ouyr ta misericorde
Ps.143.8.
dés le matin,d'autant que ie me suis asseuré
en toi. S.Paul considere bien ceste
grande diversité,ci apres, & pour accourager
les fideles à la perseverance,
& les asseurer, que nonobstant
leurs foiblesses ils peuvent s'approcher
de Dieu, dira,
Vous n'estes pas
venus à la montagne de Sina fumante,
&c. mais à la Sion, & Hierusalem celeste,
&c .
C'est le propre ton de l'Evangile,
& l'accent de l'alliance de grace,que
Dieu parle comme à ses enfans : en
les appelant à la participation de sa
lumiere,les conviant par la douceur
de ses promesses : en les informant
doucement de sa volonté, en les reprenant
charitablement de leurs
fautes. Qui n'aime ceste voix, qui
ne peut porter ces admonitions paternelles,
il orra bien un iour une
autre parole,& un langage plus fort
& terrible, quand il dira, Arriere de
moi ouvriers d'iniquité .
Sa parole a l'authorité, suffisance, & clairté requise
pour nostre salut.
III. Ces mots nous fournissent
aussi une non moins utile, que necessaire
consideration. S'il parle
comme à ses enfans. C'est donc en
sorte que les enfans l'entendent : en
façon qu'ils y apperçoivent l'authorité
du Pere:en maniere qu'ils y trouvent
ce qui suffit pour leur declarer
[la]
la volonté Paternelle. Ie vous prie,
est-il pas vrai que Dieu par l'Escriture
saincte en l'Evangile, nous parle
comme à ses enfans. Aussi ceste parole
est appellee Testament. Testament
n'est pas fait pour des Estrangers;
c'est declaration d'une volonté
Paternelle, qui nomme des heritiers,
& ordonne ce qu'il veut qu'ils
facent. Se peut-il faire qu'on s'imagine,
que celui qui parle comme à
ses enfans en sa parole , le face si
obscurement, qu'ils n'y puissent
apprendre ce qui est necessaire à leur
salut:que la lecture leur en soit dangereuse,
& partant,qu'il la faille tenir
suspecte entre des fideles, & la
lire en langue non entendue au peuple.
Est-il possible, que les enfans & heritiers se laissent beffler iusques-là,
que de croire, que Dieu ne
se soucie, que ses enfans s'estudient
à connoistre ce qu'il leur dit?ou qu'il
soit necessaire d'emprunter l'authorité
d'autrui, pour s'asseurer, si c'est
bien lui, ou un autre, si c'est notre
Pere,ou un estranger ; Et il y estoit
parlant comme à ses enfans ! Peut-il le
faire, sans qu'on y reconnoisse qu'il
est Pere?Et s'il est tel,qu'elle a son authorité,
quoi qu'il l'attrempe avec
douceur; qu'il est superieur & Pere,
&que sa Parole est d'en haut,sa voix
avec vertu,sa verité pleine d'efficace,
digne de toute foy & obeyssance?
Bref, quand un Pere parle à ses enfans
& leur cõmande, il ne leur parle
pas à demi bouche : Et sur tout,lors
que c'est un Testament, il dit tout
ce qui est necessaire à une entiere &
derniere disposition de ses biens, &
declaration de sa volonté, sans qu'il
y faille ou adiouster ou diminuer.
Si nos adversaires pesoyent ces termes
[mes]
de l'Apostre, certes ils n'oseroyent,
ie di ceux qui ont quelque
conscience, disputer de l'authorité
de la Parole de Dieu, douter de sa
suffisance, ou contester contre sa lumiere.
IV Vous me direz que souvent
Cette voix ne laisse d'estre paternelle, quoi qu'elle parle
és afflictions plus severement.
Dieu parle en Legislateur, en Iuge,
en Maistre,&d'un terrible ton:qu'il
y a des paroles dures,des menaces,&
des censures:diriez volontiers,
Qui
Iean 6.60.
peut porter ces paroles comme les mal
sages Capernaïtes.Ie respon,qu'il y a
des paroles fortes,des menaces griefves.
Et il en faut. Mais, si vous escoutez
tout, si vous considerez les entrees,
& les issues, vous verrez que
c'est en Pere, & comme à des enfans :
mais ausquels il faut souvent
mesler la severité de l'amertume, avec
la douceur de la charité,
l'heritier
Gal.4.1.
estant mineur doit estre traitté quelquesfois
comme serf . Est c'est une des charitez
paternelles, que la salutaire reprehension.
Ains que nous verrons ci-apres,
que c'est l'effect de sa grande
misericorde, qu'il nous corrige, &
que tousiours,en ces propos,y a des
marques de paternité, nonobstant
qu'il y ait aussi,comme parle S. Paul,
Gal.4.20.
quelque necessaire
changemẽt de voix ,
à cause du changement qui est en
nous mesmes. Les vrais fideles,comme
on voit en David, le reconnoissent
bien, mais les autres ne peuvent
discerner ces choses : semblables à
Act. 9.7.
ces compagnons de S.Paul,qui,lors
que Iesus lui parloit du ciel,ouyrent
bien un son, mais non les paroles;
ou à ceste populace, qui ayant ouy
la voix qui parla à Iesus-Christ , disoit
Iean 12.29.
c'est un tonnerre . Il est expedient
d'avoir les sens exercez pour bien
entendre les differences de ce langage:
[ge:]
& ne s'enfuïr pas,comme au bruit
du tonnerre, lors que Dieu se veut
demonstrer Pere.
Dieu qui parle à ses enfans,
Il nous traite außi en enfans
.
ne les traitte pas autrement. Ses actions
ne sont pas, comme il advient
parmi les hommes , contraires
à ses paroles. Nous pouvons
conclurre asseurément de Dieu,que
tant son affection , que ses operations
qui en procedent , seront paternelles.
Ce que S.Paul veut que
nous considerions specialement és
chastimens & corrections. Son affection
Il nous aime en vrai Pere.
est un vrai amour , non
semblable au nostre : qui plus souvent
est convoitise,qu'amitié, plustost
cupidité que charité , & se
resould tousiours à nostre propre
interest. Mais Dieu aime vrayement
en Pere , & en vray Pere
qui affectionne ses enfans,
& leur desire tout bien. Or pour ne
nous mesprendre , reconnoissons
que, comme il est Dieu, aussi son amour
est divin: que comme il est
sainct & iuste, aussi son amour n'a
point d'esgard, dit S.Pierre, à l'apparence
des personnes , ne peut repugner ni à
sa iustice,ni à sa saincteté. Il aime ses
enfans, mais non d'un amour aveugle,
& d'une passion sans sapience;
comme font beaucoup de peres indulgens,
qui nuisent plus qu'ils n'aident
aux leurs,entant qu'ils les nourrissent
en leurs vices. Or nostre Seigneur
affectionne vrayement les
siens, mais il ne peut aimer le peché:
supporte bien des infirmitez,mais il
hait la malice;autrement il se haïroit
soi mesme,&destruiroit sa bonté.Il
est impossible qu'il approuve ce qui
vient du malin: ains en cela temoigne-il
combien il les cherit,quand il
[oste]
oste de dessus eux, ce qui necessairement
esmouvoit son ire contre
eux.
L'affection d'un Pere souvent est
inutile, à cause de sa foiblesse, ignorance
ou pauvreté.Il voudroit bien,
mais ne sçait & ne peut procurer à
ses enfans ce qu'il leur souhaite:mais
nous avons un Pere celeste, duquel
la sapience est infinie, & la puissance
incomprehensible, duquel les
yeux
Psal.33.18.
veillent à merveille sur ceux qui le reverent ,
connoist ceux qui sont siens,&
ne les perd iamais de veuë.
Il voit &
Psal.37.18.
sçait par un soin paternel,les iours de ceux
qui ont vie innocente . Le Prophete
Moyse se represente par la similitude
de l'aigle.
Comme l'aigle esmeut sa
Deut.32.11.
nichee,couve ses petits,estend ses aisles,les
accueille,& les porte sur ses aisles .
Si nous
Matth.7.11.
qui sommes mauvais, dit nostre Seigneur,
avons soin de nos enfans,pour
leur donner les choses bonnes, & ne donnons
pas une pierre en lieu de pain, ni un
serpent pour un poisson , que sera celui
qui est le parfait en bonté? qui nous
donne tout ce dont nous avons à faire ,qui
si souvent nous pardonne,nous previent
par sa misericorde, veille pour
nous lors que nous n'y pensons pas,
sçait mieux que nous mesmes ce qui
nous est expedient. Il conduit & dirige
nos voyes, dispose de nostre estat
& de nostre vie,nous rameine de
nos esgaremens,& nous corrige par
ses visitations, afin que nous ne perissions
avec le monde.
Aime en chastiant.
Ce ne sont point choses incompatibles
amour & chastimẽt,la chair
croit que les verges de Dieu sont arguments
de son ire , mais l'esprit en
iuge tout autrement. Car il voit que
Iesus Christ le Fils , le bien-aimé du
Hebr.5.8.
Pere, quoi que Fils a appris
l'obeyssance
[ san- ]
par les choses qu'il a souffertes , dit
S.Paul:considere qu'il n'y a eu aucun
des enfans de Dieu,qui n'y ait esté
sousmis, & que la tribulation ne
les a point separez ; (or c'est le propre
effect de la haine & de l'ire, d'esloigner
& retrancher)
ni divisez de l'amour
Rom.8.38.
de Dieu , qui nous est porté en
Iesus Christ : ains au contraire que
ceste discipline, en les separant du
monde, les a d'autant plus approchez
de la communion divine. Ce
qui est le vrai effect de l'amour de
Dieu.
Voilà comme les fideles se consolent,
Response aux obiections
de la chair.
quand ils sont visitez de la main
de Dieu.Si Dieu nous reiettoit, il ne
nous toucheroit pas de sa main paternelle.
Il abandonne les incorrigibles,
& ceux qu'il ne chastie plus,
sont laissez comme incurables, reservez
à leur derniere perdition,
ne plus ne moins que les medecins
abandonnent ceux,de la santé desquels
ils desesperent. Mais il me refuse
tant de choses que ie desire, diras-tu.
Et donnerois-tu a ton enfant
tout ce qu'il te demande?lui ostes-
tu pas plustost le feu, & le couteau,
afin qu'il ne s'en blesse? Certes les
choses que plus nous aimons, nous
en abusons à nostre ruine. Mais ie
sens une main si aspre,dis-tu, qui me
serre si fort & me donne des estreintes
si rudes. Et quand il faut tirer un
homme du feu, n'y va on pas avec
toute la force?&qui plus aime,court
avec plus de vehemence, & empoigne
avec plus de rudesse. Si tu estois
dans l'eau, en danger de te noyer,
trouverois-tu bon que ton ami, par
un cruel respect, fist difficulté de
t'arracher par les cheveux, ou de te
retirer par un bras, en danger de le
[tor-]
tordre, &, qu'attendant la commodité
de te prendre doucement, il te
laissast perir mal-heureusement?
Qui veut guerir une playe, ou couper
une apostume, il n'y faut pas
touiours des lenitifs, il y faut souvent
le fer,mesme le feu;mais il nous
advient, comme au malade, qui ne
connoissant point encor la grandeur
de son mal, trouve estrange les
necessaires ordonnances d'un sage
medecin, qui n'a plus grande affection
que de rendre la santé au patient.
Il le connoist à la fin,& apres
une belle cure, paye son chirurgien,
qui l'a beaucoup tourmente:&se reconnoist
obligé au medecin, qui a
combattu le mal pour sauver le malade.
Nous ne sçavons pas ce que Dieu
fait à present , comme disoit Iesus
Christ à S. Pierre, mais nous le connoistrons
un iour, & lui rendrons
graces de ses chastimens, car il chastie
l'enfant qu'il aime;& ses fleaux
qui nous effrayent & affligent, pestes,
guerres,famines,pauvretez,maladies,
& autres miseres ,se recconnoistront,
comme instruments maniez
pour nostre bien par une main tres-sage,
pleine de misericorde & charité.
Son amour est eternel.
Finalement, cest amour paternel,
qui nous a aimez avant que nous
l'aimassions, & qui par diverses voyes
nous ameine à sa communion,
persevere iusques à la fin, comme il
est dit de nostre Seigneur en S.Iean,
Iean 13.1.
Comme ainsi fust qu'il eust aimé les siens,
qui estoyent au monde, il les aima iusqu'à
la fin .
Si la mere oublie son enfant,
Esa.49.15
dit Esaye, lui pourtant n'oublie iamais
les siens. Ie t'ay pourtraict sur la paulme
de ma main, tes murs sont continuellement
devant moi , dit à l'Eglise,
[glise] en Esaye, au mesme chapitre.
Le monde ne peut interrompre le
cours de ceste bienvueillance, & les
persecutions des hommes, & les accusations
de Satan ne sçauroyent en
divertir les effects, & la mort n'en
peut empescher la communication:
car cest
amour est plus puissant que la
mort, & ceste charité plus forte que le sepulchre.
La dilection , qui est dés les
temps eternels, des devant la fondation
du monde , a une duree
sans fin, de siecle en siecle, & produit
un poids de gloire excellemment
excellente, en ceux, qu'il a
precognus de toute eternité , &
qu'il veut aussi glorifier par devers
soy en l'immortalité bien-heureuse.
Et c'est en suite de la clause du
contract de nostre Seigneur , qui
porte,comme dit Osee. Ie t'espouseray
pour moi à tousiours, voire ie t'espouseray
pour moi en iustice & en iugement.Mesmes
ie t'espouserai en fermeté .
C'est vrayement parler & traitter
en Pere,quand,par le mariage de son
Fils,il nous embrasse en ses compassions
infinies. Mais cela paroistra
bien plus ouvertement quand Iesus
Christ dira, Venez les benits de mon Pere,
possedez l'heritage qui vous a esté preparé ,
&c.
Reciproque devoir des enfans
La procedure que Dieu tient envers
nous estant telle, quel sera nostre
devoir?Il parle,il opere en Pere.
C'est à nous d'escouter & respondre.
C'est à nous de nous comporter
en vrais enfans.
Le cognoistre.
Reconnoissons la grace,qu'il nous
fait,l'honneur infini,inestimable,indicible,
de nous avoir appellez ses
enfans:qui est un Nom glorieux par
dessus tout Nom.Meilleur que tout
[ce qui]
ce qui se nomme au ciel & en terre:
plus important que nous ne sçaurions
dire:Le monde n'en connoist
point l'excellence,
d'autant qu'il ne l'a
1.Iean 3.2.
point cognu, dit S.Iean: mais ce que nous
serons , n'est pas encores apparu . Connoissõs
si nous sommes enfans:qui,
& quel est ce Pere, si bon & si charitable,
qui nous parle en son Fils, &
nous vivifie par son Esprit. Et d'autant
plus le faut-il,que ceste est
la vie
Iehan 17.3.
eternelle de le cognoistre seul & vrai Dieu
& celui qu'il a envoyé Iesus Christ .
Discernons sa voix & sa face d'avec
Discerner les faux Peres & faux
Pasteurs.
l'adultere, qui se veut porter en
Pere,&pretend dominer sur les consciences,
& faire du maistre en l'Eglise,
par usurpatiõ des droicts de Dieu.
Gardons nous d'estre surprins de ces
douceurs charmeresses , & ne nous
laissons point aller aux affectes blãdices
& aux promesses du monde.
Et quoi que le Seigneur nous reprenne,
& tanse,sachons que ses censures
& corrections nous sont autant
de bausme, & valent mieux que les
delices des traistres.
Escouter en docilité, avec obeyssance &
imitatiõ cõme doivent enfans.
Ce n'est pas tout d'ouyr la voix
& dire, C'est le Seigneur .Il lui faut prester
audience, & comme enfans obeyssans,
escouter en humilité,& recevoir
en docilité ce qu'il lui plaist
nous enseigner. Ne faisons pas la
sourde oreille, & n'endurcissons nos
cœurs tandis que nous oyons sa voix ;
Ceux qui oyẽt sans en faire estat,ou,
ayans esté esmeus pour un coup,secouans
toute crainte, que sa Parole
leur imprimoit,revienẽt à leur train,
n'escoutent pas en enfans, mais en
mocqueurs, ou en hypocrites. Il y
en a,qui ont un esprit de serviteurs
& d'esclaves, qui ne croyent qu'à
mesure qu'ils sentent, et ne portent
[re-]
respect que par crainte. Veux tu respondre
à ceste qualité du langage
paternel?Que ta foy embrasse la verité.
Que ton amour s'enracine en la
charité. Que ton cœur se sousmette
à ses commandemens. Que ta conscience
s'ouvre en sa presence. Que
ton entendement se captive à la verité;
Que tout ton esprit s'adonne
& se vouë à son service. Ce sera lors
ouyr en qualité d'enfant, celui qui
nous affectionne en Pere. Ce sera
respondre à ses demandes par obeïssance,
& correspondre à sa nature,
par la ressemblance de son image, imitant
sa verité & charité. Il n'est
pas raisonnable,que si le Pere est iuste,
les enfans s'addonnent à meschanceté:
s'il est sainct, ils aiment la
prophanité, s'il est misericordieux,
ils soyent inhumains,s'il est veritable
qu'ils soyent menteurs.
N'avoir hõte de lui, ains l'honorer.
Sur tout est requis,si nous le confessons
Pere, que nous n'ayons iamais
honte de son Nom. Gardons
bien de fourrer parmi ses enseignes,
les livres de Satan,& les characteres
du fils de perdition. Les enfans bien
nez souffrent plustost la perte de leur
vie,que de porter opprobre,ou laisser
une tache au nom de leur maison:
& faut-il, que pour l'amour de
nous, le nom de nostre Pere celeste
soit blasphemé?Nous-nous esmouvons
pour l'honneur de nos Peres:&
combiẽ plus le devrions-nous pour
le zele de la gloire de Dieu, & pour
le bien de sa maison?Le sang ne peut
mentir,si l'Esprit de Dieu est dedans
nous,il n'y peut estre ni dissimulé,ni
desguisé. En cela serons nous connus
vrayement enfans, si nous honorons
son Nom, & preferons sa
gloire à toutes les choses du monde.
[En]
En cela nous mõstrerons nous vrais
domestiques de Dieu, si nous aimons
mieux demeurer en sa maison,
qu'és tabernacles des meschans.
Quand il lui plaist de nous visiter,
Ne craindre point de le prier, ains se fier en
lui.
apprenons à ne fremir iamais
comme bestes farouches, ou murmurer
contre lui, comme des esclaves,
grincer les dents de rage comme
des desesperez : ains que nostre voix
soit d'enfans, nostre ton de fideles,
en prieres sainctes, en humbles gemissemens.
Ne craignons point de
lui parler. Ne faisons pas difficulté
de nous adresser à lui , l'invoquans
de tout nostre coeur,parce, qu'il se
declare Pere, & veut que nous-nous
confions en sa grace ; car puis qu'il
nous parle & nous traitte en enfans,
c'est bien signe,qu'il veut que nous
recourions à lui en ceste mesme qualité.
Ceste doctrine fournit une merveilleuse
consolation, dans les plus
rudes angoisses,&cõferme les cœurs
de tous ceux qui croyent, en vraye
patience & constance Chrestienne,
pour attendre le secours infaillible à
tous ceux qui l'invoquent en verité.
Mais gardons nous bien,quand il
nous traitte en enfans,de lui opposer
des esprits & affections, qui ne sentent
en rien l'enfant, que Moyse appelle,
Deut. 32.5.
crimes & taches non d'enfans ,
mais d'une generation reprouvee,&
qui est toute imbue de la malice du
diable,duquel nostre Seigneur dit,
Iean 8.44.
estre enfans ceux
qui font ses œuvres ,
& suivent ses conseils.
Et pourtant, afin que nous evitions
ce dangereux escueil, il nous
faut examiner nos propres defauts,
& revoir nos procedures, & nous
[trou-]
trouverons, que le reproche que S.
Paul fait ici, n'est que trop commũ,
& que les fautes, desquelles le Sage
nous veut destourner, nous sont
trop ordinaires. S. Paul accuse les
Hebrieux d'avoir oublié l'advertissement:
& le Sage advertissoit, de ne
negliger point la discipline du Seigneur
d'un costé: d'autre part,à ne perdre
courage,quand on est visité. Conioignons
ces choses,&nous verrons,
comme nos foiblesses nous portent
d'un mal à l'autre,d'une oubliance,
qui sembloit au commencement estre
sans crime,à une nonchalance
qui n'est pas sans coulpe, car elle est
avec mespris;&finalement,du rebut
de la remonstrance, à une pusillanimité
honteuse & detestable lascheté
qui nous fait succomber soubs le
faix.
C'est chose pitoyable que nous,
Nous sommes oublieux de nostre devoir.
qui avons si bonne memoire de ce
qui touche nostre interest és choses
du monde, l'ayons si courte en
ce qui est de nostre bien eternel : une
conception meschante & ridicule,
une inspiration,ou de vanité,ou de
vengeance,ne se peut iamais effacer
de nostre coeur : mais les admonitions
de la parole de Dieu s'escoulent
à l'instant : nous regardons la
loy,comme un qui contemple sa face
dans le mirouër,&aussi tost l'oublie.
Cette ingrate oubliance fait
que nous mesconnoissons le rocher
de nostre force, & le Pere qui nous a
Deut.32.18.
formez, dit Moyse. Ne fut-ce pas
une horrible legereté, qu'aussi tost
que Moyse fut monté à la montagne,
le peuple ne se souvint plus ne
du serviteur, ne du maistre, & alla
cercher d'autres dieux.Combien de
fois, dit le Pseaume 78. apres avoir
[esté]
esté delivrez,retournoyent-ils à leur
incredulité & irritation? Ce qui
provoqua l'ire de Dieu contre eux
pour les exterminer tous dans le desert.
Dieu vouloit que parmi son
peuple,&en leurs habits & en leurs
paroys, il eust des memoriaux,
qui leur remettoyent en pensee, &
les graces de Dieu & leur devoir. Es
sacrifices aussi il y avoit ce qu'on
appelloit le memorial : & nostre Seigneur
en la saincte Cene,Sacrement
de son sacrifice, nous commande
de la celebrer en sa commemoration;
mais les aides externes de la memoire
ne peuvent de rien servir, s'il n'y
a dedans nostre cœur une forte impression
de l'amour de Dieu, C'est
celui-là qui resveille les fideles,
& les empesche de tomber en
cette dangereuse oubliance. Il
L'oubliance n'ẽpesche point l'infidelité.
semble que l'oubliance excuse
certaines fautes parmi les hommes,
mais cela n'a lieu qu'en choses indifferentes
non necessaires,ausquelles
tu n'estois point obligé: mais, en
ce qui concerne ton devoir, ton serment,
où il va de ta conscience, de
ton tout;il n'y a ni raison, ni defense,
ni pretexte, qui puisse absoudre
telles oubliances. Vn ingrat,qui a receu
un bienfaict, osera-il couvrir sa
mesconnoissance, disant, qu'il l'a
oublié?Les peres ou meres inhumaines,
Tim. 5.8.
qui n'ayans soin
dés leurs sont pires
qu'infideles , oseroyent elles parler
Esa. 49.15.
d'oubliance,
la mere oublieroit-elle son
enfant , dit le Prophete Esaye, un Pasteur
son troupeau,un Magistrat son
peuple, un Chef & conducteur la
compagnie qui lui est commise?Et,
dequoi nous pourrions-nous couvrir,
Ps. 103.2.
si nous
oublions tant de benefices
qu'avons receu de Dieu, si nous perdons
[dons] la memoire de tant d'advertissemens
du Pere celeste , & n'avons
plus souvenance des clauses de son
Testament,qui sont le droict de nostre
heritage?Si nous l'aimons,nous
en garderons la souvenance:
si vous
m'aimez, dit le Fils de Dieu, vous garderez
Iean 14.15
mes commandemens . Qui aime
de cœur, n'oublie iamais: ce qu'il
aime,lui es touiours present:ou lui
plustost, est plus en la chose qu'il aime,
qu'en soi-mesme.Advisons dõc
à ceci,qu'autant que nous oublions
le devoir envers Dieu,autant nous
diminuons de l'amour, & nous departons
de sa communion. Voila
pourquoi les fideles,pour remedier
à ce danger,prennent en gré toutes
les occasions des advertissemens de
la parole, & de la participation aux
saincts Sacremens , pour revenir à
cette bien-heureuse presence & salutaire
communication.
Nous sommes suiets à deux defauts. L'un venant
d'orgueil, l'autre de foiblesse.
Les deux defauts marquez par le
Sage,qui font perdre tout l'usage de
l'affliction,sont,l'un Mespris ou Reiection ,
que S.Paul a nommee d'une
parole qui signifie Negligence;mais,
comme d'une chose, de laquelle on
fait peu d'estat : l'autre, c'est Ennuy
& Tristesse desmesuree, que S.Paul a
nommee d'un terme, qui signifie,
Lascheté, Foiblesse ou Defaillance
de cœur. Le premier vient d'orgueil,
le second d'un autre vice opposé
en l'autre extremité. Et ne se
faut estonner de cela. Il y a des
cœurs hautains , qui mesprisent
tout, il y a des timides qui s'effrayent
& se desesperent dans l'affliction.
Ce qui mesmes advient en
une mesme personne : car, il n'y a
rien de si vrai , que d'une extremité
on tombe à l'autre. Celuy
[qui]
qui a combattu contre Dieu par
mespris de sa parole , par desdain
de ses advertissemens, vous le verrez
apres cela un iour tomber dans
la frayeur, tremblement, & desespoir :
celui qui a esté presomptueux,
se confiant en son bras
ou en ses œuvres ; apres avoir essayé
la fausseté de son esperance,
tombe mesmes en desfiance de
Dieu. Ce sont deux escueils,tous
deux pernicieux. Au chemin de
salut,il faut abbaisser les costaux eslevez
d'orgueil, & relever les fondrieres
de desfiance , afin que tu
ailles par une voye du milieu , recevant
sa correction en humilité
patiente , & en obeyssance filiale,
comme elle t'est addressee avec
charité & bien-vueillance paternelle.
L'esprit orgueilleux commence
Mespris du chastiment.
par le mespris, & de la vient au despit
& irritation: & tout,pource qu'il
souffre avec tres-grand desplaisir la
remonstrance, & encore plus les chastimens.
Au commencement,il fait
semblant de ne rien entendre, contrefait
le sourd & l'ignorant,comme
si on ne lui parloit pas,&monstre au
dehors un visage asseuré, combien
qu'il porte dans le sein ce qui le trãsperce.
Dissimule tant qu'il peut,quoi
qu'il se sente vivement picqué;&sur
Amos 5.10.
toutes choses,
hait ceux qui le redarguent
à la porte , dit Amos. Saul prie
1. Sam.15.30.
Samuel,
qu'il l'honore devant le peuple ,
& demande d'estre censuré en particulier;
lui qui n'avoit fait aucun estat
de la remonstrance privee,alors
fremissoit contre la publique.
En apres,s'il est prins, & qu'il ne
s'en puisse desdire , ni plus nier que
on lui parle , ou que Dieu le frappe,
[alors]
alors c'est à cercher des subterfuges,
& à couvrir son iniquité : c'est à se
iustifier devant les hommes,& à ietter
la faute sur autrui,pour se maintenir
le plus innocent, au lieu de cõfesser,
que ses pechez ont attiré le
chastiment : & en lieu de regarder
promptement chez soy, pour oster
l'interdict de sa maison;au lieu de
corriger son orgueil & d'amollir son
cœur,c'est à roidir le col,c'est à quereller
Dieu mesme, si on pouvoit avec
Cain, qui dit,
Ma peine est plus
grande que ie puis porter : si l'on ne
peut repousser le bras , & la verge,
au moins reietter la iustice de la visitatiõ.
Ce qui attire maux sur maux,
&rengrege la playe,iusques à ce que
finalement on apprene à dire,
Seigneur
tu es iuste,&tes chastimens sont fideles .
Nous avons forfait,converti-nous
Iere.Lam.3.5.21.
à toi & nous serons convertis . Si les fideles
par fois enyvrez de la prosperité,
ont esloigné tant qu'ils ont peu, ces
cuisantes & douloureuses pẽsees du
chastiment,lors mesme qu'il approchoit,
& que la verge leur pendoit
sur le dos ; neantmoins, quand la
main de Dieu les touche & rameine
à leur devoir, alors vous n'y voyez
plus ni mespris,ni rejection;mais humilité,
confession , repentance &
conversion.
Mais : combien y a-il de personnes,
qui ne veulent prendre garde à
ce que Dieu fait,visitant leurs familles,
touchant mesme leur corps : &
nonobstant qu'il leur tire l'oreille,
& les tienne par ce qu'ils ont de plus
chers, sous sa verge, neantmoins ne
veulent iamais y penser,de peur que
cette meditation ne les destourne de
leurs vanitez , & n'empesche leur
passetemps ; & que ce sentiment ne
[les]
les esmeuve à se despoüiller de leurs
passions, & qu'un bon remords de
conscience, ne les oblige à deslier les
liens d'iniquité , & à renoncer aux
convoitises qui les enlacent. D'où
advient que le chastiment leur est
inutile, & qu'ayans esté medecinez, ils
ne sont point gueris . A quoi s'oppose
ce que S.Paul dira ci apres, qu'il faut
recevoir la discipline&chastiment,pour
suivre le mouvemẽt, auquel la main
de Dieu encline, & se ranger à sa volonté.
L'extremité opposite de la pusillanimité
Ennui excessif & defaillãce de
cœur.
& defaillance de courage,
abbat non seulement d'autres personnes,
qui sont timides & langoureuses:
mais souvent celles-là mesmes,
qui s'estoyent enflees par orgueil:
qui s'estãs roidies à un opiniastre
mespris,succombent à la fin,par
une miserable desfiãce,au desespoir.
On remarque bien aux fideles des
symptomes d'une telle tentation,
mais qui est en fin surmontee. Car
quelquesfois l'adversité semble les
plonger dans l'abysme d'une desolation
irreparable,comme l'on void
Iob 2.
Gen.37.35.
1.Sam.27.1.
és propos de Iob,és pleurs de Iacob
sur son fils Ioseph, en la dangereuse
resolution, que David fait se iettant
entre les bras des Philistins : mais
Dieu, qui n'oublie pas les siens au
Gen.8.
deluge, &
qui en la vallee d'ombre de
mort tend la main aux fideles; ne les
laisse pas tomber,ains r'allume dans
eux le don de son Esprit, (comme
cela paroist clairement és mouvemens
de l'ame fidele, representez
naïfvement dans les Pseaumes,) de
sorte que vous voyez, qu'au lieu de
defaillir, ils se renforcent en soy, s'exercent
en invocation, & s'esiouïssent
en esperance. Tandis que les infideles,
[fide-] ou qui n'ont esté que fideles
Matth.13.8
à temps , sans aucune vraye racine
interieure,defaillent comme l'herbe
qui seiche à l'ardeur du Soleil, ou se
troublent par horribles espouvantemens,
dont ils ne se remettent iamais,
& perissent miserablement.
Aucuns,en se desrobant de dessous
le ioug de Dieu par infames revoltes
& execrables apostasies, confessent,
qu'ils aiment mieux retourner
en Egypte,qu'aller avec le peuple de
Dieu par le desert : preferans leurs
commoditez & dignitez, à la misere
& ignominie qui accompagne Iesus
Christ. Ils pensent estre bien prudens
de s'accommoder avec les plus
forts, & d'adorer les bastons, desquels
Dieu les a frappez,au lieu de se
convertir à Dieu qui frappoit, faisans
comme ce meschãt Achaz, qui
ayant esté battu par ceux de Damas,
au lieu de recourir à Dieu, qui l'avoit
2.Chro.28.23.
chastié par ses ennemis,
sacrifia
aux Dieux de Damas, et dit, Puis que
les dieux des Rois de Syrie leur sont en
aide,ie leur sacrifierai,afin qu'ils me soyẽt
en aide. Mais furent cause de le faire
trebuscher lui & tout Israël . Voilà le
patron de nos Apostats,qui voyans
l'Eglise battue en tant d'endroits,l'idolatrie
eriger ses trophees,se rangẽt
laschement aupres de l'idole,induits
par l'argument d'Achaz : cõme si la
religiõ des vainqueurs estoit vraye,
pource qu'ils ont vaincu, & la religion
des vaincus mauvaise, pour ce
que Dieu les a chastiez. Austres demeurans
par exterieure profession
dans l'Eglise,perdent,dés qu'ils sont
accablez de l'adversité,ou aigris par
des afflictions,tout courage de bien
faire, esteignent toute la chaleur de
pieté qui leur restoit,se relaschent en
[l'e-]
l'exercice des bonnes œuvres, se divertissent
de la charité,s'adonnans à
leur avarice,ambition, & iniustice,
qui est le miserable train du monde.
Et,comme un hõme,de qui les nerfs
sont surchargez d'abondance d'humeurs,
perd le mouvement de ses
membres, & tombe en paralysie:
ainsi ces miserables, sans foy, sans esperance
en Dieu, tombent en une
horrible & noire desfiance, tantost
de sa misericorde pour leur salut, tãtost
de sa providence pour leur entretien :
& sans iamais s'en relever se
precipitent à moyens & practiques
deshonnestes, illicites & meschantes;
comme ayans quitté Dieu, & se
laissãs mener à l'esprit malin et meurtrier,
pour se plonger, & finalement
se noyer en toutes sortes de maux.
Mais les enfans de Dieu , ausquels
cette exhortation s'adresse,ne se laissent
iamais ni renverser par la crainte,
ni engloutir par la tristesse: d'autant
qu'ils ont dedans eux la racine
de vie qui les soustient, & la fontaine
de salut qui les raffraischit & cõsole.
C'est à eux,de puiser de ces sources
de consolations,& tenir ferme le
fondement de leur esperance, par lequel
soustenus en l'affliction, ils passent
les iours mauvais, & obtiennent
victoire contre toutes tentations.
Reconnoissons nos grands defauts,
mes Freres,& combien de fois
nous tombons en ces dangers , esquels
nous-nous perdrions, si Dieu
ne nous relevoit. Combien de fois
nous advient-il , qu'estans sous la
main de Dieu, qui tient sa verge sur
nostre dos, nous levons la teste par
fierté? et chocquerions,comme avec
des cornes,le ciel, si nous pouvions?
Combien de fois aussi nous
[vo-]
voyons-nous à la rencontre, ou à
l'ouye d'un triste accidẽt,ou à quelque
menace & peur sensible, oublier
les promesses de Dieu,changer
de langage,begayer, sans nous souvenir
plus, ni de nostre vocation, ni
de la condition des enfans de Dieu?
Et, apres que nous avons fait des
geants en ostentation, & obstination,
nous devenons plus foibles que
des enfans. Opposons à la mal-heureuse
coustume, qui s'endurcit aux
coups,& à la negligẽce qui ne prend
rien à cœur, la crainte de Dieu tout-
puissant; l'ire espouvantable,& qui
se fera bien sentir à nostre dommage.
Combattons la desfiãce par la certitude
de la promesse de Dieu: vainquons
la consternation par la presence
de son secours, & le tesmoignage
de son Amour en son fils Iesus.
A nos laschetez & defaillances,
Apoc.2.17.
opposons,
A qui vaincra,ie lui donnerai
la Manne cachee: Qui perseverera sera
sauvé . La table à laquelle nous avons
participé,nous oblige à ces devoirs
& nous aide à les rendre: Elle
nous est memorial de la mort du Fils
de Dieu, seau de nostre salut, gage
bien expres que Dieu se monstre Pere,
puis qu'il nous a appelez à la cõmunion
de son Fils : argument evident
de son amour,puis qu'il nous a
donné ce qui lui estoit si cher & precieux:
tesmoignage qu'il se souvient
de nous,en nous conviant de temps
en temps à ce banquet : donc nous
oblige à ne l'oublier iamais, à nous
comporter comme enfans devant
sa face, à ne mespriser iamais ses advertissements,
à ne point negliger ses
promesses : car puis que nous ne
nous ennuyons pas d'estre nourris
[de]
de ses biẽs,il n'est pas raisõ que nous
reiettions ses corrections. Il nous
a presenté le pain de vie, pour nous
renforcer és combats,qu'il faut soustenir,
la coupe des delivrances,pour
nous consoler en nos ennuis, & destremper
les tristesses des chastimens
dans les sentimens de sa misericorde:
afin que en la reconnoissance de
sa charité paternelle , nous le benissions
dés ce monde , iusques à ce
qu'il nous introduise en sa maison
celeste, où nous connoistrons pleinement
la grandeur de son amour
infini,lors que,Iesus Christ nous presentant
devant sa face, & disant, Me
voici & ceux que tu m'as donnez : il
nous parlera comme à ses bien-aimes
enfans, & nous recevra en son
heritage eternel.