SERMON
SVR CES MOTS
de l'Apostre sainct Paul
en l'Epistre aux Romains
chap. 8. vers. 18.
Tout bien conté i'estime que les souffrances
du temps present ne sont
à contrepeser à la gloire
qui doit estre reuelée en nous.
IL n'y a point de doute,
Freres bien aymez au Seigneur
Iesus, que la Religion
Chrestienne ne soit
tres-belle, & ses enseignemens tres-
saincts, & ses consolations singulieres,
& qu'elle n'ait toutes les qualitez
internes qui la peuuent & doiuent
rendre parfaittement aimable à
quiconque arrestera tant soit peu la
veuë sur ses perfections. Mais quand
elle requiert de nous que pour l'amour
d'elle nous renoncions au
monde & à nous mesmes, pour espouser
auec elle, s'il est besoin, la
poureté, l'opprobre, la prison, l'exil,
les tourments, & finalement la mort
mesme, cela la rend extremement
odieuse à la chair. Car nous voulons
viure, & estre à nostre aise, & auoir
nos plaisir, & nous auancer aux
honneurs ; & si auec cela nous
pouuons auoir Iesus-Christ, nous
Matth.
17. 4.
disons volontiers,
Il est bon de
demeurer icy , tous prests à dire, dés
Matth.
26. 72,
74.
lors qu'il s'agira de porter la Croix
apres luy,
Ie ne le cognoy point . De là
vient ce que vous voyez auiourd'huy
tant de gens dans l'Eglise Romaine
qui recognoissans bien, & par
la lumiere de l'Euangile, & par l'euidence
de la raison, la difference qu'il
y a entre les abus de leur Religion &
la pureté de la nostre, croupissent
neantmoins en cette ordure qu'ils
condamnent : & tant de malheureux
qui ayans esté esleuez dans le sein de
l'Eglise & y ayants volontiers demeuré
au temps de sa prosperité
l'ont abandonné depuis ses malheurs,
estouffans de tout leur pouuoir
en leurs ames tout sentiment de
la vraye Religion, & se mettans à
l'ombre de la fausse pour y posseder
en seurté les biens, leurs honneurs
& leurs vies. Car il est euident
que ce qui les porte à cela est,
que comme les bestes brutes ils ne
regardent qu'à la terre, & qu'ils ne
mettent point en balance contre les
miseres du temps present, ausquelles
nostre profession nous expose, les remunerations
eternelles dont nostre
fidelité & perseuerance doit estre
couronnee dans le Ciel. Voila pourquoy
sainct Paul en tant d'endroits,
& particulierement en ce lieu, pour
accourager les fidelles à porter constamment
la Croix apres nostre Seigneur
Iesus, leur met deuant les yeux
la gloire qui leur est preparee, & la
disproportion infinie qui est entre
leur peine presente & leur ioye future,
disant, I'estime tout bien conté,
que les souffrances du temps present
ne sont point à contrepeser à la gloire qui
doit estre reuelee en nous.
Icy, mes freres, donnons nous ce
contentement, car nous y aurons du
profit auec le plaisir, d'entrer auec ce
grand Apostre en cette belle & tant
importante comparaison, & y apportans
la balance d'vn sain iugement
mettons y d'vn costé toutes les souffrances
du temps present, & de l'autre,
la gloire qui doit estre reuelee en
nous ; pour apres les contrepeser ; &
au travers des peines qu'il nous faut
franchir durant cette vie, courir
alegrement aux couronnes qui nous
sont preparees en l'autre. Mais voyõs
premierement de quelles souffrances
l'Apostre entend icy parler. Car il y
en a de plusieurs especes & de fort
differente nature. Nous les pouuons
commodément reduire à quatre
sortes, selon les quatre sortes de croix
dont il nous est fait mention dedans
l'Euangile. Il y a premierement la
Croix de nostre Seigneur Iesus Christ
en laquelle il a esprouué toutes sortes
de souffrances & de douleurs pour
expier les pechez de son peuple. De
celle-là ne parle pas Sainct Paul,
car il ne traitte pas du Chef, & de
ce qu'il a fait pour la redemption
de ses membres, mais de ses membres
& de ce qu'ils doiuent faire pour
estre faits conformes à leur Chef. Il
y a en deuxiesme lieu la croix du brigand
obstiné, en laquelle il disoit au
Fils de Dieu en se moquant, Si tu es
le Christ, sauue toy toy mesmes & nous.
De celle-là non plus il n'est point
parlé en ce lieu : Car ce malheureux-
là y ayant esté cloüé pour ses crimes,
& au lieu de se repentir ayant adiousté
à toutes ses autres meschancetez
ce fier & horrible mespris & de la iustice
de Dieu & de la presence de Iesus
Christ, & des remonstrances de son
compagnon, & du bon exemple qu'il
luy donnoit, & du Paradis qu'il
voyoit estre ouuert à sa repentance,
tant s'en faut que sa croix luy fust
vne eschelle à la gloire qu'elle luy
fut vrayement la porte de l'enfer
& l'auantgoust des tourments
eternels. Il y a pour vn troisiesme la
croix du brigand conuerti, en laquelle
ayant dit à Christ, Seigneur aye souuenance
de moy quand tu seras en ton
regne , il en eut pour response, En verité
ie te dy, tu seras auiourd'huy auec
moy en Paradis. S. Paul ne parle point
encores de celle-là, car bien que ce
pauure pecheur y estant ait pris occasion
de la presence de Iesus Christ
de se recommander à sa grace, & qu'il
ait esté exaucé, & ait fini vne vie tres-
meschante par vne mort tres-saincte,
tant y a qu'il auoit esté crucifié pour
ses crimes. Or ce n'est pas à cette
sorte de souffrance que nostre Sauueur
nous appelle, & qu'il promet sa
gloire. Car ce qui luy est agreable
nous dit sainct Pierre, c'est quand
quelqu'vn à cause de la conscience qu'il
a enuers Dieu endure fascherie, souffrant
iniustement. Autrement, adiouste-il,
Quel honneur vous est-ce si estans souffletez
pour auoir forfait vous l'endurez ?
Mais si en bien faisant & estans toutesfois
affligez vous l'endurez, voila en
Luc 9.
23.
quoy Dieu prend plaisir. Il y a finalement
la croix du fidelle dont nostre
Seigneur dit,
Si quelqu'vn veut venir
apres moy, qu'il renonce à soy mesme &
qu'il charge sur soy de iour en iour sa
croix & me suiue : Et c'est de celle-là
proprement que parloit sainct Paul
en ce texte, car il estoit sur ce propos,
& venoit de dire au verset immediatement
precedent,
Que nous serions les
heritiers de Dieu & les coheritiers de son
Fils, si nous souffrions auec luy pour estre
glorifiez außi auec luy.
Or parle-il en pluriel de souffrances,
pource qu'en la vie du fidelle
il y en a en tres-grand nombre, & de
fort differentes sortes. Cettuy-cy en
esprouue d'vne façon, cettuy là en
essaye d'vn autre, mais aucun n'est
exempt de toutes. L'vn a vne croix
plus pesante, l'autre vne plus legere,
mais tant y a que chacun a la sienne,
telle qu'il plaist à Dieu de la luy imposer.
Mesme chacun en son particulier
en a de plusieurs sortes. Car le
Chrestien en a en son corps, à l'esgard
duquel il est exposé & aux
cheutes, & aux maladies, & aux blessures,
& aux playes aussi bien que
les infidelles ; mais il ne les prend pas
pour defauts de nature, ou pour
accidents de fortune, mais les regarde
& considere comme visitations
de son Dieu, comme exercices de sa
foy, comme espreuues de sa patience.
Il en a aussi en son ame ; car bien souuent
Dieu l'assiege d'ennuys, & l'effraye
par songes, & le trouble par visions
comme s'en pleignoit Iob au
liure de ses doleances. Il en a quelquefois
en sa propre personne, &
quelquefois és personnes des siens,
au bon heur & malheur desquels il
ne s'interesse pas moins qu'au sien
propre : il en a qui luy viennent immediatement
de Dieu, duquel il sent la
main s'appesantir sur luy sans que la
malice des hommes y interuienne
aucunement : il en a d'autres qui luy
sont causees par la haine du diable
& du monde, comme la priuation de
ses biens, la perte de ses dignitez, la
prison, le banissement, l'infamie, les
tourments, & finalement la mort
mesme pour la cause de l'Euangile.
Car l'esprit malin ne pouuant se
prendre à Dieu, ny à son Fils pour
leur porter nuisance, descharge toute
sa rage sur les esleuz, & la leur fait
sentir d'autant plus grande & plus
enuenimee depuis la venuë de Iesus
Christ, qu'il voit sa grace plus abondamment
espanduë sur eux depuis
ce temps-là. Voila pourquoy au lieu
qu'en l'ancien Testament il nous
estoit depeint comme vn serpent, au
Nouueau il nous est representé comme
vn dragon. Les meschants aussi,
qui sont sa semence, ses organes &
ses satellites, sont tousiours pleins
d'vn horrible venin cõtre les fidelles,
nõ certes pour iniure qu'ils en reçoiuent,
(car quelle iniure pourroyent
faire de simples & innocentes colombes
à des sacres & à des vautours ?)
mais pource que les fidelles
sont bons & qu'eux sont meschans,
& que le mal est naturellement ennemy
du bien. Dieu ayant dit dés le
commencement au serpent, Ie mettray
inimitié entre ta semence & la semence
de la femme , cette inimitié là
s'est tousiours allee augmentant.
Car il en est comme du Crocodile,
duquel on dit que tant qu'il est en
vie, il va tousiours croissant. Et nostre
Seigneur Iesus Christ estant venu
au monde a expressément protesté
qu'il n'estoit pas venu mettre fin
à cette inimitié. Ne pensez point, dit-il,
que ie soy' venu mettre la paix en la
terre, ie n'y suis pas venu mettre la paix,
mais l'espee. Car ie suis venu mettre en
dissension l'homme contre son pere, & la
fille contre sa mere, & la belle fille contre
sa belle mere, & les propres domestiques
de l'homme seront ses ennemis. Vous serez
hays de tous à cause de mon nom, &
il viendra vn temps que qui vous tuera
pensera faire seruice à Dieu. A cette
haine du diable & du monde contre
les saincts Dieu lasche la bride quand
il luy plaist, & entant qu'il iuge à
propos ou pour manifester sa gloire,
ou pour exercer leur vertu. Car il
prend plaisir à monstrer sa force en
leur infirmité, à faire reluire leur zele
en la nuict des afflictions, à respandre
leur bonne odeur en les froissant
& agitant, & à confondre en fin par
la constance qu'il leur donne l'audace
& la fierté de leurs ennemis &
des siens, ausquels il fait voir à leur
grande honte que quand ils soufflent
contre sa verité au lieu d'esteindre
sa lumiere ils ne font qu'accroistre
sa flamme, & que tous leurs
efforts contre son Eglise ne sont que
comme flots qui se brisent contre vn
rocher & s'y resoluent en escume.
C'est pourquoy il permet que toutes
ces attaques soient faites à ses enfans
& seruiteurs, & qu'ils soient exercez
par toutes les especes de vexations
que nous auons dittes, qui sont proprement
les souffrances dont l'Apostre
nous parle icy, & qu'il ne nous
specifie point, afin de nous apprendre
que nous nous deuons preparer
& resoudre à toutes, à mesure qu'il
plaira à Dieu de les nous enuoyer.
Mais afin que ny la rudesse de ce
nom de souffrances, ny la generalité
de ce mot qui n'est limitee à aucune
espece ne nous effraye point, il nous
console en mesme temps en nous
marquant la brefue duree de ces
maux,
Car ce ne sont, dit-il, que souffrances
du temps present.
Ce sont afflictions
legeres qui ne font que passer,
comme il disoit luy mesme en
la
seconde aux Corinthiens au chapitre
4. Car ny l'Eglise n'est militante
que tandis qu'elle est sur la terre, là
où elle n'a point de cité permanente,
mais est comme estrangere & passante :
ny le fidelle n'a des ennuis que
durant cette poure vie qui s'enfuit
comme vne ombre, & s'enuole comme
vne pensee. Si les iours de nostre
peregrination sont mauuais, aussi
sont ils fort courts, comme Iacob
disoit des siens. Encor ne les passons-
nous pas tous en douleur. Car Dieu
qui sçait dequoy nous sommes faits
se souuenant que nous ne sommes
que poudre, nous en donne souuent
de bons, afin que nous ayons durant
ces interualles là moyen de reprendre
nos forces & de mieux gouster
son amour. Le temps que nous souffrons
semble fort long à nostre impatience,
car à qui souffre le temps
dure, mais en effect ce n'est qu'vne
heure deuant Dieu, car c'est ainsi que
parloit Iesus Christ de la duree de ses
tourments : si bien que comme ce fut
à sainct Pierre vn tres-honteux reproche
quand Iesus Christ luy dit,
Est-il poßible que tu n'ayes peu veiller vne
heure auec moy ? aussi nous seroit-ce
vne grande honte qu'il eust occasion
de nous dire, Est-il possible que vous
n'ayez peu souffrir vne heure auec
moy ? Mesme l'Esprit de Dieu nous
en parle d'aucunesfois, comme si ce
n'estoit qu'vn moment, comme
quand il dit à l'Eglise, Ie t'ay delaissee
pour un moment, mais ie te recueilliray
par gratuitez eternelles. Et encores
en ce moment auquel il nous semble
qu'il nous delaisse, il se tient plus pres
de nous que iamais, pource qu'alors
nous en auons plus de besoin.
Dans les flammes mesmes de la fournaise
il nous enuoye la rosee de sa
grace, & qui plus est si nous y sommes
trois, il y veut estre pour quatriesme,
faisant que le feu ne brusle
que nos liens & que nous en sortions
bien tost en gloire.
Voila quelles sont nos souffrances,
voila quelle en est la duree : or
apprenons maintenant de l'Apostre
quelle en doit estre la recompense, &
en considerons auec de sainctes &
religieuses pensees le prix & l'excellence.
Il ne dit pas simplement que
c'est vn repos, vn plaisir, vne felicité,
mais pour en mieux exprimer la
grandeur dit, que c'est vne gloire qui
doit estre reuelee en nous : C'est veritablemẽt
vn repos, mais vn repos tres
honorable ; vn plaisir, mais vn plaisir
tout plein de gloire ; vne felicité, mais
vne felicité triomphante. Car comme
en Dieu des perfections infinies
qu'il possede en luy mesme resultent
deux attributs generaux que l'Escriture
saincte luy donne, dont l'vn est
la felicité qui gist en la iouissance interne
qu'il a de toutes ces grandes
perfections ; l'autre la gloire, qui consiste
en l'estat admirable qu'elles respandent
aux yeux des Hommes &
[des]
des Anges, & en la recognoissance
qu'ils luy en rendent : ainsi ceux qui
auront souffert pour nostre Seigneur
Iesus Christ en la condition future
que leur promet icy l Apostre seront
rendus tres-parfaits en eux mesmes ;
d'où s'ensuiura necessairement qu'ils
seront tres-heureux & tres-glorieux.
Mais comme quand il est question de
Dieu ce mot de Gloire comprend bien
souuent & ses perfections glorieuses,
& la ioye qu'il en a en soy, & l'esclat
qu'il en espand au dehors & qui reuient
à luy par les loüanges & benedictions
de ses creatures ; ainsi l'Apostre
comprend icy sous le seul mot
de Gloire & la perfection que nous
possederons alors, & le cõtentement
que nous en resentirõs en nos cœurs,
& l'honneur que nous en aurons au
dehors de nous. Car premierement
lors nostre ame sera remplie d'vne
lumiere inenarrable, d'vne iustice
esmerueillable, d'vne saincteté ineffable ;
& rendue par ce moyen pareille
aux Anges, conforme à Christ, &
semblable à Dieu mesme. Et quant à
nostre corps, il sera transformé par
nostre Sauueur & fait conforme à son
corps glorieux, en santé, en force, en
beauté, en incorruption & immortalité.
Lors chacun de nous se voyant
vne si belle ame en vn si beau corps,
& contemplant de l'vn & de l'autre
son bon Sauueur, sera infiniment
content, & aura sans comparaison
plus de ioye en vn seul moment de
cest estat là qu'il n'aura eu de douleurs
& d'ennuys durant toute sa vie. Car il
y a plaisances en la dextre de Dieu pour
iamais, & rassasiement de ioye en sa face.
Et puis nous serons lors parfaictement
en l'approbation de Dieu, qui
ne trouuera rien en nous qui luy
puisse desplaire. Nous aurons tous
nostre louange de la propre bouche
de Iesus Christ, qui nous contemplera
tous comme ses vrays membres
auec vne indicible ioye. Le sainct Esprit,
qui dés maintenant rend tesmoignage
auec nostre esprit que
nous sommes enfants de Dieu, le
nous rendra d'vne façon beaucoup
plus solennelle, plus exellente & plus
auantageuse : les Anges qui nous gardent
& qui s'esiouissent si fort de nostre
repentance, nous voyants entierement
sans peché, pleinement reconciliez
auec Dieu, tous rayonnants
de saincteté, se presseront autour de
nous pour nous feliciter de nostre
gloire. Les saincts comme nous les
reuererons pour les perfections eminentes
que nous verrons reluire en
eux, nous reuereront tout de mesme
nous voyans reuestus de mesme felicité
qu'eux & couronnez de mesme
gloire. Les meschants mesmes
qui nous auront tourmentez icy bas,
tous effrayez de nous voir sauuez
contre leur attente, changeront le
mespris de nostre bassesse en l'admiration
de nostre gloire, & diront,
Voicy ceux desquels autesfois nous riyons,
& desquels nous faisions des prouerbes de
deshonneur. Nous insensez estimions leur
vie estre forcenerie, & leur mort infame ;
& comment sont-ils contez entre les enfans
de Dieu, ayans leur part entre les saincts.
Mais l'Apostre regarde principalement
à l'interieur comme il le monstre
quand il dit, que cette gloire doit
estre reuelée en nous où il nous fait voir
assez clairement, si nous y voulons
prendre garde, la difference insigne
qu'il y a entre la gloire spirituelle,
solide, perdurable, & la mondaine,
vaine, superficielle & passante.
Car la mondaine est toute au dehors
en accoustrements somptueux, en superbes
palais, en meubles magnifiques,
en or & en argent, en perles &
en pierreries, en offices & dignitez,
en reputation & applaudissement des
hommes. De toutes lesquelles choses
le Sage crie en paroles tres-claires &
qui ont leur commentaire en l'experience
& de tous les hommes & de
tous les siecles que ce n'est rien que vanité.
Mais au contraire la spirituelle
est en nous. Et ainsi disoit le Psalmiste
en parlant de l'Eglise au Ps. 45 Toute
la gloire de la fille du Roy est au-dedans.
Elle iette vn grand esclat au dehors à
tous ceux qui ont des yeux pour la
voir : mais en effect son excellence est
en l'interieur. C'est cõme la lumiere
d'vn diamant ou plustost celle du Soleil,
qui iette toute sa lumiere au dehors
& en demeure tout plein au dedãs ;
mais en vn poinct infinimẽt plus
à estimer, c'est que le Soleil & le Diamãt
ne cognoissent point leur lumiere,
& quoy qu'ils en soyent tous remplis,
n'en ont point de iouissãce ny de
plaisir : là où les fidelles qui cognoistront
l'excellence des biens qu'ils auront
receus du Seigneur, en respandront
tellement au dehors les esclats
& la resplẽdeur, qu'ils en retiendront
au-dedans des satisfactions & des
contentements nompareils. Consideration
de laquelle nous deuons tirer
vne autre pensée qui est tres-importante,
c'est que comme la Lune,
pource qu'elle n'a pas sa lumiere au
dedans, mais seulement en monstre
au dehors autant que le Soleil en la
regardant luy en donne, change de
face tous les iours, tantost croissant
& tantost decroissant, selon qu'elle
en est diuersement regardée ; au lieu
que le Soleil comme estant tout plein
de sa propre lumiere, demeure tousiours
semblable à luy mesme : ainsi
la gloire qui s'emprunte des ornements
externes ou des applaudissements
populaires est suiette à mille
accidents & à mille alterations ; & vn
homme qui s'est veu durant tout vn
temps couronné de gloire & d'honneur,
se voit plongé en moins de rien
dans le mespris & dans l'ignominie :
au lieu que la gloire du vray Chrestien
prouenant toute des dons sans
repentance & des graces incorruptible
dont Dieu la rempli au-dedans, ne
le confond iamais, dont elle est nommée
par sainct Pierre une couronne incorruptible
de gloire.
Or pource que la gloire ne nous est
pas seulement promise comme vn
bien du siecle à venir, mais nous est
attribuée dés maintenant, comme
quand il est dit au
3. de la seconde aux
Corinthiens,
Nous tous qui contemplons
comme en vn miroir la gloire du Seigneur
à face descouuerte, sommes transformés
en la mesme image de gloire en gloire comme
par l'Esprit du Seigneur : l'Apostre
pour monstrer qu'il parle proprement
de celle qui nous attend au ciel
dit, que c'est la gloire qui doit estre reuelée
en nous , qui est la mesme chose que ce
que l'Apostre sainct Pierre appelle
le salut qui doit estre reuelé au dernier
temps , il ne dit pas qui nous sera acquise,
ou bien, qui nous sera donnée,
pource que Iesus Christ par sa mort
l'a nous a desia acquise long temps y
a, & que desia Dieu l'a nous a donnée
premierement en la personne de nostre
Chef, lequel quand il a pris à sa
dextre, il est dit, qu'il nous a fait seoir
és lieux celestes auec luy ; puis en la nostre
propre, entant que dés maintenant
nous sommes faits ses enfants, &
que son Royaume est en nous, asçauoir
iustice, paix & ioye par le S. Esprit :
mais il dit par exprés, qui sera reuelée
en nous . Ce qui est dit à deux diuers
esgards, l'vn pour le monde, l'autre
pour les fidelles, Car pour le monde,
Voyez, dit l'Apostre S. Ieã, qu'elle charité
nous a donné le Pere que nous soyons
nommez enfans de Dieu : pour ce le monde
ne vous cognoit point, d'autant qu'il ne
l'a point cognu. Bien-aimez, nous sommes
maintenant enfans de Dieu, mais ce que
nous serons, n'est pas encores apparu. Car
comme nostre Chef s'est monstré au
monde en forme de seruiteur, bien
qu'il fut le Seigneur de gloire : ainsi
nous ses membres y sommes tenus
pour la baileure du monde, encore
que nous soyons les heritiers de Dieu
& coheritiers de son Fils. Mais
si les infidelles & les meschans ne cognoissent
point nostre gloire, & pourtant
nous mesprisent & vilipendent ;
nous n'en valõs pas moins pour cela.
Vn iour ils la verront plus clairement
qu'ils ne voudroient, & regretteront
inutilement quand ils se verront
si dissemblables à nous en ce siecle-
là, de ne nous auoir esté semblables
en celuy ci. Et lors celuy qui auiourd'huy
est le plus abiect d'entre
nous ne voudroit pas pour tous les
biens & pour tous les honneurs de la
terre auoir ressemblé au plus grand
de leur maudite troupe. Pourtant
encore que le fidele souffre beaucoup
de mespris en ce monde, il n'en
rauale point son courage, ains esleuant
la veue vers son Pere & la refleschissant
sur soy mesme se console
en l'honneur qu'il a d'estre l'enfant
de Dieu : & quand il se voit mesprisé,
calomnié & deshonoré par les hõmes,
qui ne cognoissent pas ce qu'il est, en
prend occasion de haster par maniere
de dire par ses souhaits cette biẽ-heureuse
iournee en laquelle sa gloire, apres
auoir esté cachee si lõg tẽps, sera
pleinement reuelee. Mais il y a encor
d'auãtage, c'est qu'à l'esgard du fidelle
mesme durant son seiour tẽporel
ceste gloire est ditte cachee, pour le
peu de cognoissance qu'il a de cette
haute & auantageuse condition que
le Dieu de gloire luy a preparee dedans
Ephes.
1. 14-
son Paradis. Il sçait bien que
ceste gloire l'attend au ciel, pource
qu'il en a les promesses, les Sacremens,
les gages, & que le sainct Esprit
qui
en est l'arrhe de son heritage iusques
au iour de la redemption, l'en
asseure en son cœur, & pourtant sur
cette esperance, bien qu'il n'ait pas
veu encor Iesus Christ, il s'esiouit en
luy d'vne ioye inenarable & glorieuse :
mais la grandeur & l'excellence
de ceste gloire, il ne l'a comprend
point encores, d'autant que comme
il est impossible que le corps apperçoiue
les obiects visibles si ce n'est par
la veüe, & que l'esprit entende la verité
de l'Euangile sinon par la foy ;
aussi ne peut ceste beatitude celeste
estre apprehendée ny conceuë sans la
lumiere de la gloire. Et à cela semble
que regardoit l'Apostre quãd il disoit
en
l'Ep. aux Colossiens au chap. 3. Vous estes morts, & vostre vie est cachée
auec Christ en Dieu. Quand Christ qui
est vostre vie, apparoistra, lors vous außi
apparoistrez auec luy en gloire. Nous
en pouuons bien desirer icy la pleine
cognoissance, pour en auoir vn iour
l'entiere possession dans le Ciel : mais
l'vne ne va point sans l'autre. Quand
nous en serons couronnez, alors
sçaurons-nous quelle elle est, mais
tous les deux ne seront qu'apres cette
vie. Pourtant quand Moyse dit au
Seigneur,
Ie te prie fay moy voir ta gloire ,
Exod.
33. 10.
il luy dit,
Tu ne pourras voir ma face,
car l'homme ne me peut voir & viure
apres cela. Et il est dit
au 40. de l'Exode,
que lors que la gloire de l'Eternel
remplissoit le tabernacle, Moyse n'y pouuoit
entrer. Mais cette gloire que nous
ne pouuons auiourd'huy comprendre
sera pleinement reuelee & en
nous & à nous lors de l'apparition
glorieuse de nostre grand Dieu &
Sauueur, pource qu'alors nous la
possederons en effect en sa plus haute
& plus eminente perfection.
Vous auez ouy iusqu'icy, mes freres,
quelles sont d'vn costé les souffrances
du temps present, & quelles
sont de l'autre les gloires qui s'en
doiuent ensuiure. Comparez les
maintenant les vnes aux autres, ou
plustost escoutez la comparaison que
sainct Paul en fait selon la cognoissance
excellente qu'il en auoit, non
seulement par la nature mesme de
ces deux choses, & par sa propre experience,
mais ce qui est le principal
par la reuelation de Dieu mesme,
Tout bien conté, dit-il, i'estime que les
souffrances du temps present ne sont point
à contrepeser à la gloire qui doit estre reuelée
en nous. Où le mot Estimer ne
signifie pas simplement, comme souuent
en nostre langage ordinaire, vne
legere opinion (car outre que le terme
Grec ne signifie pas cela, l'Apostre
ne nous en auroit pas parlé ailleurs,
& mesme en tout ce chapitre
auec tant d'asseurance & auec des
mots si precis s'il n'en eust eu qu'vne
opinion superficielle) mais vne iuste
& veritable estimation du prix des
choses qu'il compare en les pesant
comme en vne balance. Or les pesant
ainsi il trouue premierement
que toutes les souffrances que les
meschans font porter aux enfans de
Dieu ne regardent que ce corps
mortel & les biens perissables que
nous possedons icy bas ; là où la gloire
regarde tout ensemble le corps &
l'ame, amenant l'vn & l'autre à sa
pleine perfection. Secondement, que
ces souffrances sont finies & ont des
bornes fort estroites, au lieu que la
gloire qui nous attend est infinie &
incomprehensible. Pour vn troisiesme,
que ces souffrances sont détrempées
par de tres-grandes & tres-douces
consolations, & sont par consequent
fort legeres, mais que la gloire
que nous possederons dans les cieux
sera pure, sincere & sans aucun meslange
de douleur. Car icy nous
nous attristons tellement que nous
auons tousiours subjet de nous
esiouyr soit de nostre consolation
presente soit de nostre gloire future,
mais là nous nous resiouyrons tellement
que nous n'aurons nul sujet de
nous atrister, n'y d'aucũ mal present,
ny d'aucune misere auenir. Au temps
present les reprouuez ont des ioyes
meslées d'ennuy, & les esleus des
ennuys meslés de ioye : mais au siecle
auenir ny les peines des reprouuez
n'auront aucun ressentiment de felicité,
ny les felicitez des esleus aucun
ressentiment de peine. Car leur
ioye sera toute ioye, & leur beatitude
accomplie en toutes ses parties
& en tous ses degrez. Finalement
que toutes ces souffrances ne sont
qu'à temps, & que ce temps là est
fort brief ; Car quand elles dureroyent
toute nostre vie, d'vne vie si
briefue les maux ne sauroyent estre
longs : au lieu que la gloire qui est
promise à ceux qui perseuereront
iusques à la fin demeurera eternellement ;
la vie de Dieu & nostre gloire
estant d'vne mesme durée ; car autant
de temps que Dieu sera Dieu,
autant de temps nous serons bien-
heureux. Pourtant l'Apostre apres
auoir pesé & examiné tout cela, en
prononce son iugement en ces termes,
Tout bien conté i'estime que les
souffrances du temps present ne sont point
à contrepeser à la gloire qui doit estre reuelée
en nous. Et est ce iugement d'autant
plus considerable, que c'estoit
l'homme de tout le monde qui auoit
le plus de cognoissance de ces deux
choses qu'il comparoit ensemble, &
qui en pouuoit parler par experience
plus grande & plus certaine. Car
pour les souffrances il auoit couru
depuis Ierusalem iusqu'en l'Illyric
Rom.
15. 19.
pour annoncer l'Euangile de Iesus
Christ en perils de fleuues, en perils
de brigands, en perils d sa natiõ en
perils, des Gentils, en perils des villes
en perils en deserts, en perils en mer,
en perils entre faux freres, en peine &
en trauail, en veilles souuent, en faim
& en soif, en ieusnes souuent, en
froidure & en nudité. Et quant à la
gloire celeste, il auoit esté raui iusqu'au
troisiesme ciel, dedans le Paradis
2. Cor.
12. 2. 3.
4.
de Dieu, & y auoit ouy des paroles
inenarrables, lesquelles il n'estoit
possible à hõme d'exprimer. A vn tel
homme appartenoit veritablement
d'en faire la comparaison. Mais ce
qui est le principal & à quoy nous
nous deuons sur tout arrester, c'est
que ceste estimation a esté faitte par
le sainct Esprit mesme, duquel sainct
Paul n'estoit que l'instrument, &
que partant elle doit estre preferée à
tous les iugements contraires de la
chair & du monde.
Or l'a-il faicte pour monstrer les abondamment
excellentes richesses
de la grace & liberalité de Dieu enuers
ceux qui souffrent pour luy,
quand pour vne souffrance de peu de
iours portée par eux en leurs corps
icy bas sur la terre, il leur promet &
donne vne gloire eternelle & en leurs
corps & en leurs ames dedans son Paradis,
afin que d'vn costé tandis que
nous sommes en la souffrance nous
ne nous anonchalissions point, & ne
defaillions point en nostre courage,
ains qu'à mesure que nostre homme
2. Cor.
4. 16.
exterieur se dechet par le rebut, par la
poureté, par l'opprobre, par les prisons,
par les bannissemens, par les
flestrissures & mortifications de toutes
sortes, l'interieur se renouuelle de
iour en iour par la meditation & par
l'esperance de ceste grande & abondante
remuneration qui nous attend
au ciel, & que seruants à vn Prince si
liberal & à vn si riche remunerateur
de nos peines nous nous estimions
bien-heureux non seulement de souffrir
pour luy quelque chose durant la
vie, mais de mourir mesme pour son
seruice : & que d'autre part, quand
nous receuons les promesses d'vne si
grande gloire, & quand vn iour nous
en receurons les effects, nous le façions
auec vne humble & deuotieuse
recognoissance, sçachans & confessant
que ce n'est pas pour la dignité
de nos œuures, & pour le merite
de nos souffrances qu'il nous remunere
de ceste façon, veu la disproportion
manifeste qui est entre tout ce
que nous pouuons ou faire ou souffrir,
& vn si grand & si ample loyer ;
mais pour accomplir sa promesse, &
pour satisfaire à sa pure & gratuite
charité. Consideration dont les anciens
Peres Grecs & Latins, mesmes
les Euesques de Rome, comme entre
autres Gregoire le grand, se sont
serui bien à propos pour prouuer
que tout ce qu'il y-a de plus sainct &
en la vie & en la mort des plus saincts
ne peut point meriter la gloire & beatitude
celeste, mais que la vie eternelle
est vn dõ de Dieu par Iesus Christ
nostre Seigneur, & qu'eux & nous
sommes sauuez par grace & non
point par nos œuures, afin que nul ne
se glorifie. Au lieu doncques de receuoir
cette promesse de la gloire auec
vn cœur Pharisien, enyuré d'vn fol
amour de soy mesme, & d'vne temeraire
presomption de ses propres
merites, le sainct Esprit veut que le
vray fidelle la reçoiue comme vne
preuue de l'amour gratuit de son
Dieu & de sa beneficence vrayement
diuine enuers ceux qui le seruent. Il
ne nous doit rien & nous luy deuons
tout, & neantmoins il est si bon que
des deuoirs desquels nous luy sommes
tenus, & que mesme nous ne luy
rendons qu'auec mille imperfections
& defauts, il nous remunere non seulement
à l'esgal de nos peines, mais
infiniment au dela. Car il ne nous recompense
pas selon ce qui est digne
de nous, mais selon ce qui est digne
de luy, c'est à dire, d'vn Dieu eternel
& d'vne bonté infinie.
Iusques icy, mes freres, vous a
esté suffisamment esclaircie l'intention
de l'Esprit de Dieu en ce lieu, &
est mes-huy tẽps de conclurre. Mais
afin que tout ce discours ne nous demeure
point inutile, serrons auparauant
en nostre memoire le principal
de ce que nous venons d'entendre.
Et premierement resouuenons nous
que quand Iesus-Christ nous appelle
à la profession de son Euangile, il
ne nous appelle point à l'aise, aux
delices ny aux plaisirs ; mais aux
souffrances, aux tribulations à la
croix. Il ne nous trompe point, car
la premiere leçon qu'il nous baille
c'est,
Si quelqu'vn veut venir apres moy,
qu'il renonce à soy mesme & qu'il charge
sur soy de iour en iour sa croix & me suiue.
Luc 9.
23.
Et son Apostre en parle tout de mesme,
& ne flatte personne par la promesse
d'vne prosperité temporelle
& de l'exemption de la croix,
Tous
ceux, dit il, qui veulent viure selon pieté
en Iesus-Christ souffriront persecution,
2. Tim.
3. 12.
&
2. 5
& nul ne sera couronné s'il n'a legitimement
combattu. Quelque affliction
donques qui nous suruienne
pour la cause de Dieu, & quelque
iniure qu'à ceste occasion nous souffrions
de nos ennemis & des siens,
n'en soyons point surpris. Ce qui
nous arriue en cela est arriué à tous
les saincts, Les Patriarches & les
Prophetes, les Apostres & les Martyrs,
bref tous les fideles seruiteurs
de Dieu tant sous le vieil Testament
que sous le Nouueau ont esté exercez
par des afflictions sans nombre.
Nous ne sommes pas meilleurs
qu'eux, & ne deuons point trouuer
estrange qu'il nous faille passer par
les mesmes espreuues. Le diable leur a
fait la guerre tres-rude & tres-cruelle :
il ne nous faut pas estonner qu'il
la nous face aussi. Ce vieil bourreau
qui les a persecutez depuis si long
temps, n'a pas amendé depuis ce
temps-là, ains a empiré de beaucoup
& va encor empirant tous les iours.
Car bien que ceste beste farouche se
sente liee par la main de Dieu d'vne
chaisne eternelle, elle n'en diminuë
de rien sa rage, ains aiguise ses dents
& ses griffes contre sa chaine, & raffine
de iour en iour sa malice au feu
dont elle est tourmentee. En cette
malice enragee elle nous déchireroit
& engloutiroit, mais Dieu, sans
lequel elle ne peut rien, la retient.
Toutesfois il ne la retient pas tellement
qu'elle ne nous effraye souuent
par ses rugissements, & que
mesme d'aucunesfois il ne luy allonge
sa chaine pour se ietter sur nous
& sur nos freres & nous faire souffrir
diuers maux en l'homme exterieur,
mais sur l'interieur elle ne peut rien,
pource
que nous sommes gardez en la
1. Pier.
1. 5.
vertu de Dieu par la foy pour obtenir le
salut qui doit estre reuelé au dernier
temps. Le monde aussi qui de tout
temps a tesmoigné aux gens de bien
vne si grande haine, nous a iuré vne
inimitié implacable, de laquelle le
feu ne s'esteindra que nous ne
voyons alumé celuy qui doit embraser
tout le monde. Car il ne nous
faut pas attendre de voir finir ce
Gen. 3.
15.
grand combat qui a duré iusques icy
entre la semence du Serpent & la
semence de la femme, que celuy qui
en a sonné le premier l'alarme n'en
vienne sonner la retraitte, Mais en
ce combat nous sommes heureux,
nous combattons vn ennemy que
Ieh, 16.
33.
Christ nostre chef a vaincu.
Courage
,dit-il, mes amis, i'ay vaincu le monde.
Si en le combattant nous souffrons,
nous nous deuons auec sainct Paul
Col. 1.
24.
esiouyr en ceste souffrance, puis que
ce ne sont que les restes des souffrances
de Iesus Christ, & que nostre
affliction est vne partie de nostre
Rom. 8.
28. 17.
conformité auec luy, & cette conformité
vne marque de nostre eslection.
Ramenteuons nous en deuxiesme
lieu que tout ce que soit les hommes,
soit les demons nous pourroyent
procurer de mal n'est que pour vn
fort peu de temps, & en tout cas ne
passe point les limites de leur vie ny
de la nostre. Car comme Dieu a planté
des bornes à la mer en luy disant,
Iusques
Iob 38.
11.
icy viendra l'esleuation de tes vagues
& tu ne passeras point plus outre : aussi
a-il mis la mort pour limite à leur
rage & à nos souffrances. L'Antechrist
forcene contre les saincts, mais
ce que sainct Athanase disoit de l'execrable
Iulian, nous le deuons &
croire & dire de ce fils de perdition
& de tout ce qu'il sçauroit machiner
ou faire contre la verité de Dieu &
contre le peuple des saincts, ce n'est
qu'vne petite nuée qui passera bien
tost. Endurons donc patiemment,
car nous n'endurerons pas longuement.
Encores tãt soit peu de temps,
Hebr.
19. 37.
& celuy qui doit venir viendra, &
mettra fin à toutes nos calamitez &
langueurs.
Rememorons nous en troisiesme
lieu que toutes les souffrances ausquelles
nous sommes icy exposez se
doiuent terminer en gloire, pourueu
que nous ayons la foy & que suiuant
l'exhortation de sainct Pierre,
nous
adioustions vertu sur nostre foy, & auec
2. Pier.
1. 5. 6.
7. 12.
vertu science, & auec science attrempance,
& auec attrempance patience, &
auec patience pieté, & auec pieté amour
fraternelle, & auec amour fraternelle
charité. Car par ce moyen l'entrée
au Royaume eternel de nostre Seigneur
& Sauueur nous sera abondamment
fournie : & ce grand Dieu de verité
qui nous en a baillé les promesses, ne
faudra point quand le temps en sera
venu de nous en donner les effects.
Si donc nostre affliction presente
nous fasche, que cette gloire future
nous console. Quand vn homme
passe vn torrent fort impetueux &
rapide, s'il s'amuse à regarder l'eau,
elle luy fait tourner la teste ; mais s'il
iette les yeux sur la terre ferme, il rasseure
tout incontinent sa veue & son
courage. Vous aussi tres-chers freres,
n'arrestez point vostre pensée sur ces
torrents d'afflictions qui vous passent
dessous les pieds, mais la portans
au-delà de ce siecle & de l'instabilité
des choses humaines, proposez vous
tousiours cette gloire qui vous attend
dedans le Paradis, pour affermir
par là vos cœurs & vous animer à
Hebr.
11. 25.
26. 27.
perseuerance, faisant comme Moyse
qui estima plus grandes richesses l'opprobre
de Christ que les thresors d'Egypte , prefera la communion des souffrãces
de l'Israël de Dieu à toutes les delices
de peché, & ne craignit aucune
chose que l'homme luy peust faire,
pource
qu'il regardoit à la remuneratiõ .
Ps. 73.
23. 24.
25.
C'est à quoy regardoit Dauid quand
il disoit,
Ie seray tousiours auec toy, tu
m'as pris par la main droitte, tu me conduiras
par ton conseil, puis tu me receuras
en gloire. Quel autre ay-ie au ciel ? Or
[ n'ay-ie ]
n'ay-ie pris plaisir en terre en nul autre
qu'en toy. Mon cœur & ma chair estoyent
defaillis, mais tu es le rocher de mon cœur
& mon partage à tousiours. Certainement
tous ceux qui s'esloignent de toy periront,
mais pour moy me tenir à toy c'est mon
Ps. 16.
14. 15.
bien.
Quant aux gens de ce monde, leur
partage est en cette vie, mais quant à moy
ie verray ta face en iustice, & seray rassasié
de ta resemblance quand ie seray resueillé.
C'est à quoy regardoit sainct
Paul, quand il couroit si gayement
en la voye de sa vocation, quelque
penible qu'elle fust, & quand en si
grande exultation il disoit sur la fin
de sa vie,
I'ay combattu le bon combat,
2 Tim.
4. 7. 8.
i'ay paracheué ma course, i'ay gardé la
foy : quant au reste la couronne de iustice
m'est reseruée, laquelle me rendra le Seigneur
iuste iuge ; & non seulement à moy,
mais à tous ceux qui auront aimé son apparition.
C'est à quoy aussi nous deuons
tous regarder, faisants estat que
ce que Iesus Christ dit à l'Ange de l'Eglise
Apoc.
2. 10.
de Smyrne, il le dit à chacun de
nous,
Sois fidelle iusqu'à la mort, & ie te
dõneray la couronne de vie.
Representons nous pour la fin que
la gloire en laquelle nous triompherons
lors sera infiniment plus grande
que n'est à present la souffrance sous
laquelle nous gemissons. Car nous
aurõs souffert sur la terre, & nous serons
glorifiez dans le ciel ; nous aurõs
souffert pour vn temps, & nous
serons glorifiez pour tousiours ;
nous aurons souffert de la main des
hommes, & nous serons glorifiez
de la main de Dieu ; nous aurons
souffert en nos corps, & nous
serons glorifiez en nos corps & en
nos esprits tout ensemble : bref nostre
2. Cor.
4. 17.
affliction legere qui ne fait que passer
se trouuera auoir vrayement produit
en nous vn poids eternel d'vne gloire
excellemment excellente. Lors cette
gloire qui est maintenãt cachée auec
Christ en Dieu, estant pleinement reuelée
en nous, nous ne sçaurons plus
que c'est de douleur, de cry ny de trauail,
Es. 15.
8. &
35. 10.
pource que toute larme aura
esté essuyée de dessus nos yeux, &
que ioye & liesse reposeront à iamais
sur nos chefs. Lors voyants ces excellentes
paroles de l'Apostre sainct
Paul si clairement verifiées & en luy
& en nous, nous luy dirons comme
to9 trãsportés de ioye, O que tu nous
auois biẽ dit vray que toutes les souffrances
du siecle n'estoyẽt point à cõtrepeser
à la gloire de l'eternité ! Nous
ne le croyons plus à cette heure sur ta
parole, mais le voyons & le sentons
par vne experience incomparablement
plus douce que ne nous a esté
amere toute celle de nos douleurs.
Puis nous tournants vers nostre Seigneur
Iesus Christ, par le merite &
l'intercession duquel nous aurõs esté
introduits en cette grande gloire, le
benirons de toute l'affection de nos
cœurs dequoy il nous aura donné en
ce siecle non seulement de croire en
luy, mais aussi de souffrir pour luy ;
et auec les Patriarches & les Prophetes,
auec les Apostres & les Martyrs,
auec toutes les troupes glorieuses & Ci
triomphantes des Anges & des
saincts, contemplerons, louerons &
celebrerons à iamais le viuant és siecles
des siecles.