LA liberté est vne chose
precieuse,toutes creatures
respirent apres elle,
& elle a esté tousiours en
telle estime parmi les hommes,qu'il
n'y a rien plus ordinaire dans les histoires
anciennes que les efforts que
ils ont fait pour la maintenir, & les
exemples de plusieurs genereux courages ,
qui on trouué plus douce la
mort, que la vie coniointe auec vne
honteuse seruitude. Mais tout ainsi
que ceux qui rament tendent vers
terre en luy tournant le dos , ainsi la
pluspart des hommes se sont mis sous
le ioug en le voulant fuir,ont redoublé
leurs liens au lieu de les rompre,
& apres plusieurs escapades ont trouué
que pour tout ils n'auoyent fait
sinon changer de maistre. Les premiers,
qu'vn esprit ambitieux a portés
à establir leur liberté sur la perte
de celle d'autruy, & qui ont creu ne
pouuoir euiter la honte de la seruitude,
que par la gloire de la domination,
au lieu d'vne sujection aisee, &
d'vne obeissance facile ont rencontré
vne couronne d'espines, qui leur
poind la teste de mille cuisants soucis ,
vn sceptre qui leur rompt les
bras, & sous des ceps dorés vne seruitude
honorable. Ceux qui peut-
estre possedés d'vn mesme esprit,
mais agissans sous vn plus specieux
pretexte,ont condamné ce à quoi ils
ne pouuoyent atteindre, & ne pouuans
supporter la domination d'vn
seul, ont dressé l'ordre des Republiques ;
au lieu d'vn maistre en ont
[establi]
establi cent dans l'Aristocratie,& des
milliers mille fois plus insupportables
dans le gouuernemẽt populaire:
& à peine iamais les grands ont-ils
gousté la liberté de commãder,ni les
peuples celle de n'estre point commandés,
qu'ils ne se soyent abandonnés
à l'insolence , & rendus serfs de
leur cupiditez,par lesquelles ils ont
esté ou precipités en ruine,ou ramenés
à leur premiere condition.
Nous ne sçaurions demeurer libres,
nous qui volontairement nous
sommes mis sous le ioug de peché:
si les fers nous manquent d'ailleurs,
nous les forgerons nous mesmes ; &
nostre seruitude n'est iamais pire que
quand nous tombons entre nos propres
mains , & nous laissons mener
captifs à nos affections. Ce sont là
les funestes effects de la rebellion de
l'homme , qui cuidant s'emanciper
de l'obeissance qu'il deuoit à son
Dieu a perdu la domination qu'il
auoit & sur soi mesme & sur les creatures,
estant deuenu esclaue du Diable,
de ses desirs, de ses semblables,
& des choses mesmes qui sont bien
loin au dessous de lui. L'ame pecheresse
bannie du ciel , & confinee en
la terre , tombee de l'Esprit en la
chair, & de la vie en la mort , est
maintenant comme Agar dedans le
desert errante, nue, affamee,mendiante ,
comme l'enfant desbauché
contrainte de s'assubiettir à la garde
& nourriture des pourceaux,& comme
Israel en Egypte aux ouurages de
terre peu sortables à sa celeste nature
& diuine extraction,& tout selon
l'effroyable menace contenue
Deut.
28.47.D'autant que tu n'auras point
serui à l'Eternel ton Dieu,tu seruiras
en faim, en soif, en nudité & disette
de toutes choses à ton ennemi , qui
mettra vn ioug de fer sur toy,iusques
à ce qu'il t'ait exterminé.
Et le pis en tout ceci c'est,que dans
la nuict de son ignorance elle ne cognoist
pas son malheur,& faisant vn
[sceptre]
sceptre de sa marote, & estimant les
b liens de sa captiuité vn collier honorable,
elle se plaist & se glorifie en
son seruage. Et comme celui qui
considerant plusieurs d'entre les plus
grands employer tout leur soin &
leur temps , qui à nourrir des cheuaux
& les harnacher richement,
qui à paistre des oiseaux de sa propre
main,qui à caresser des chiens & les
faire manger à sa table,doutera quel
d'entre eux est le maistre ; ainsi qui
verra la plus grande partie des hommes,
comment au lieu de se seruir
des biens & des commoditez de la
vie, ils en font des Idoles qu'ils adorent
auec admiration, qu'ils seruent
auec desirs ardents & soucieux trauaux,
& ausquels ils sacrifient leur
propre cœur & consacrent le meilleur
& le plus beau de leur vigueur
& de leur vie , il s'estonnera d'auantage
d'vn tel aueuglement & trouuera
estrange cette folie,qui fait que
des esprits immortels s'assuietissent
ainsi à des choses qui passent, & qui
mesmes n'ont pas cet honneur d'estre
mortelles : cependant ce sont
ceux là qui marchent comme paons,
enuironnez de gloire dans le monde,
& qui sont reputez prudents & heureux
parmi les enfans des hommes.
On dit des lions que l'industrie
des hommes a appriuoisez iusques
là qu'on les meine auec vn ruban
par les rues pour les faires voir couuerts
de fleurs & de guirlandes, que
s'ils viennent à se mirer dans le cristal
d'vne fontaine, honteux de voir
ces yeux ardents, ceste iube ondoyante,
ces bras nerueux & ces ongles
tranchantes faites pour donner terreur ,
raualees dans la mollesse afin
de donner passetemps, ils viennent
soudain à dechirer tous ces atours,&
reuiennent à leur naturel sauuage.
Certes il me semble que de mesme,
si nous pouuions voir comme dans
vn miroir la force, la beauté,& l'excellence
de nos esprits,nous aurions
[honte]
honte de les voir assuiettis à des choses
si viles,nous nous despestrerions
de ces indignes liens ; nous dirions
avec le prodigue,Ie retournerai vers
mon pere puis qu'il faut seruir , ie
cercherai vn digne maistre, & irions
au seruice de Dieu,Pere & Seigneur
de tous,cercher la vraye liberté.
Mais quoi ? Chrestiens, n'auons-
nous pas Iesus Christ vraye fontaine
de vie,lumiere de sapience,clair miroir
où se voyent les grands secrets
de Dieu ? N'auons-nous pas appris
par lui & la dignité de nostre naissance
& la gloire de l'esperance à laquelle
nous sommes appelés ? ains
nous l'oyons ici touchant du doigt
le mal commun à la pluspart des
hommes , taschant à leur ouurir les
yeux & par l'opposition de deux
maistres infiniment differents, leur
faire voir & sentir la brutalité qui
leur fait abandonner le seruice de
celui qui est au dessus de tous, pour
rendre leurs cœurs esclaues de ce
qui est au dessous d'eux mesmes.
Vous ne pouvez, dit-il , seruir à Dieu
& aux richesses . Il est vray , les hommes
sont nais pour seruir : & pourquoy
auroyent-ils plus d'auantage
que les Anges , qui sont esprits administrateurs
enuoyés pour seruir?
Dieu seul,qui ne releve d'aucun,qui
a son estre & sa gloire en soi-mesme,
est exempt de toute subiection.C'est
lui qui auec toute sorte de droit demande
le cœur, l'obeissance & le
seruice de l'homme qu'il a fait ; de
l'autre part, les biens que lui-mesme
lui a donnés pour son seruice,l'ayant
esleué & establi dessus l'ouurage de
ses mains. En allechant sa chair s'efforcer
de gaigner son cœur & asseruir
son ame, d'aimer & seruir l'vn
& l'autre il est impossible, car l'amitié
du monde est inimitié contre
Dieu:autre qu'vn esprit prophane &
vne main sacrilege ne peuuent mettre
ces deux choses si inegales en parallele.
Iugez doncques,mortels,s'il
[vous]
vous reste aucune estincelle de raison
seulement naturelle , à qui il est plus
iuste,plus honorable,plus profitable de
se tenir,ou au Dieu eternel,qui est par
dessus tous,ou aux richesses perissables
qui sont au rang plus bas entre toutes
les creatures.
Les paroles de Iesus Christ sont assez
claires , son intention assez euidente
pour nous inciter à le suiure là où il
nous conduit. Apprenons, 1. les raisons
pour lesquelles le seruice des richesses
ne peut compatir auec celui de
Dieu: 2. combien est grande la difference
entre ces deux maistres , non
tant considerés en eux-mesmes (car il
n'y a du tout point de comparaison)
mais principalement à raison de ceux
qui les seruent.
Remarquez au prealable qu'il ne dit
pas Vous ne pouvez seruir à Dieu & auoir
des richesses, mais Vous ne les
pouuez servir, &c. Les richesses sont
creatures de Dieu : l'vsage est celui là
qui leur donne la qualité de bonnes ou
de mauuaises. Bonnes, quand on s'en
sert au rang & pour la fin que Dieu les
a ordonnees: mauuaises, quand on les
sert , & qu'on y met son cœur & son
espoir autant & plus qu'en Dieu.Parce
qu'elles sont bonnes elles portent le
nom de biens & de benedictions:& le
S. Esprit mesme en l'Escriture represente
les biens eternels & infinis qui se
trouuent en Dieu par le nom de richesses
de sa bonté,
Rom.2. De ses compassions,
Rom.9. De sa sapience,
Rom.11. Si elles n'estoyent bonnes,Dieu ne les
donneroit point à ses enfans, & ne les
mettroit point pour les dispenser entre
les mains de sa sapience ,
Prou.3.16. Abraham,Iob,Dauid,&c. estoyent ensemble
riches & gens de bien , auec
tous ceux là , qui employans leur bien
à bonnes œuvres l'ont transporté dedans
les cieux , & en ont fait des thresors
que la longueur du temps, ni la rigueur
des accidents ne peut diminuer
ni corrompre. Les richesses sont des
puissants instruments à la vertu, & vne
[matie-] matiere abondante & de grand prix
entre des mains charitables , qui à la
verité ne nous peuuent pas rendre
bons , & toutefois nous aident beaucoup
à bien faire. Le mal est,quand ce
qui est ordonné pour seruir, se rend le
maistre,& que l'homme par vne fausse
estimation de l'excellence & de l'vtilité
de ses biens,y met son cœur & son
attente , & en fait non seulement son
maistre , mais son Dieu , imitant les
Israelites,qui des bagues & des ioyaux
des Egyptiens que Dieu leur auoit fait
donner,en firent vn veau d'or & l'adorerent.
L'auarice est vne idolatrie,
Col.
3. C'est la nature de l'amour d'oster à
celui qui aime la possession de soi-mesme
& la donner à ce qui est aimé. Celui
qui des biens du monde fait l'obiect
de ses desirs,& le subiect de son amour,
il les establit par dessus soi-mesme , il
leur donne vn plein pouuoir dessus son
ame , vn commandement absolu dessus
ses affections:il ne respire que pour
eux:à eux il rapporte ce qu'il a de puissance,
& à eux il laisse conduire toutes
ses actions. Ceux là ont les richesses
comme vn malade a la fievre : ils ne la
tiennent pas , c'est elle qui les tient &
les secouë à plaisir , tantost les rendans
froids à toutes bonnes œuvres , & tantost
allumant en leurs cœurs vne ardeur
qui ne se peut esteindre , vne hydropisie
d'esprit qui ne se peut desalterer.
C'est ce seruice là qui ne peut compatir
auec celui de Dieu.C'est de ceux
là que doit estre entendu ce que dit
ailleurs Iesus Christ , Qu'il est außi impoßible
qu'un riche entre au royaume des
cieux , comme qu'un cable,ou un chameau
passent par le pertuis d'une aiguille . Là le
riche est pris pour l'auare, & condamnees
non pas tant les richesses que la cupidité
d'icelles,& cet amour idolatre qui
destourne le cœur de Dieu.
1. Tandis que nostre ame est retenue
dedans la prison de ce corps, quelque
effort que l'esprit puisse faire vers
les choses celestes ausquelles il est appellé,
la chair lui est vn contrepoids,
[qui]
qui des plus hautes pensees le fait tousiours
retomber dans la fange & ordure
des choses d'ici bas. Et en cette
guerre intestine qui diuise les entrailles
de l'homme Chrestien , y esmouuant
à tous coups quelque sedition
pour le ramener en Egypte , le plus
grand, plus fort, & plus specieux pretexte
qu'elle prend ce sont les necessitez
& les commoditez de ceste vie,
ausquelles l'abondance des richesses
semble presenter vn prompt & asseuré
remede. C'est par là que la chair nous
prend & nous meine captifs & vendus
à ceste conuoitise ; & si nous considerons
la vie & les actions de la pluspart
du monde, nous verrons que là buttent
presque tous ceux qui viuent , là s'attachent
leurs desirs , là se desploye la
force de leurs entendements, là s'employe
tout leur trauail, & en cela s'occupent
& se consument tous leurs plus
beaux iours. Et quoi qu'ils sachent en
effect qu'ils ont vne ame qui ne fait
que passer ici bas, suiuant & attendant
vne condition meilleure, si est-ce que
le souci du present engloutit celui de
l'auenir, & par vne accoustumance
couuerte d'vne apparence de necessité,
l'accessoire deuient principal, tellement
que grande partie des hommes,
quoi qu'auertis & appelés à la liberté
des enfans de Dieu, ne se peuuent resoudre
de sortir de captiuité ; mais
comme les esclaues d'entre les Iuifs
qui trouuoyent en la seruitude les
commoditez de la vie , & en la douceur
de leurs maistres vn supportable
ioug , renonçoyent au priuilege du Iubilé,
& se faisoyent percer l'oreille:
ainsi le soing de ceste vie leur a tellement
englouti l'entendement,qu'acoquinés
aux delices d'icelle qui leur
sont fournis par les biens , ils aiment
mieux viure esclaves en terre que Rois
dedans le ciel , & seruir aux richesses,
dont les effets leurs semblent plus presents ,
& les esperances plus certaines,
qu'à l'Eternel qui nous garde au siecle
à venir ses recompenses plus glorieuses.
[ses.]
Que si en quelques vns se trouue
de la resistence en telle sorte que le
desir de ces terrestres biens ne puisse
pas tout à coup captiuer leurs cœurs
& se rendre maistres de leurs affections ,
pour du tout y esteindre l'amour
de Dieu , au moins tasche-il de
tirer d'eux ce consentement , comme
à la fausse mere au iugement de Salomon,
que leur cœur soit partagé , &
que partie de leurs affections regarde
& suiue la grace qui conduit au souuerain
bon heur , tandis que l'autre est
empestree dans l'embaras des soucis
& la fuite des richesses temporelles.
Pourtant le Seigneur Iesus,qui est venu
pour ramener les hommes à Dieu, &
les remetre dans la voye de vie, leur
donne pour premiere leçon de renoncer
& à eux mesmes & au monde , &
de se desprendre de tout ce qui les
peut arrester en la terre , afin que deliurés
de toute seruitude ils puissent
tous entiers s'offrir & consacrer à Dieu.
Aussi certes ce n'est pas à l'homme de
partager ce qui appartient à Dieu, qui
ne veut rien de l'homme s'il ne l'a
tout, & qui ne peut auoir pour agreable
le seruice de ceux de qui les ames
sont esclaues des creatures. Iamais il
ne voulut qu'Israel lui sacrifiast en Egypte,
ni ne voulut receuoir oblation
quelconque de leurs mains,tandis que
ils furent detenus sous la domination
de Pharao. Laisse aller mon peuple, dit-
il,afin qu'il me sacrifie au desert : & le
tyran consentant que les hommes y allassent
à condition qu'ils laisseroyent
leur cheuance & leurs troupeaux en la
terre comme pour gage de leur retour,
Moyse leur respond qu'il n'en demeureroit
pas vne ongle. Vne seule de nos
affections engagee au monde,ou asseruie
au peché,rend tout le reste de nostre
seruice de nulle estime deuant
Dieu. C'est vn don d'Ananias & de Saphira,
qui pour estre diuisé leur aporta
la mort. Aussi quelle conuenance y a-il
entre Dieu & les liens du monde, que
nous vueillions les loger dessous le
[mesme]
mesme toict. Quelle communication
de la lumiere auec les tenebres , quel
accord de Christ auec Belial, & quelle
ressemblance du temple de Dieu auec
le temple des Idoles? Tout ce que nous
mettons en mesme rang d'amour auec
Dieu,nous en faisons vne Idole.Nostre
cœur est le temple de Dieu , y dresserions
nous des Idoles,le sçaurions nous
profaner dauantage que de mesler parmi
son seruice les sacrifices de Mammon?
C'estoit pour ceste abomination
que les Samaritains, quoi que circoncis
& enfans d'Abraham,estoyent comme
execrables reiettez de l'alliance de
Dieu, parce qu'instruits en la cognoissance
& seruice de l'Eternel, ils ne faisoyent
point de difficulté d'offrir sacrifices
aux Dieux estranges,iurans & par
le nom de Dieu, & par celui de l'Idole
de Melchom.C'est contre-ceux-la que
crioit iadis le Prophete Elie , Iusques
à quand clocherez-vous des deux costez?
comme s'il vouloit dire, Pourquoy diuisant
ainsi vostre cœur vous rendez-
vous coulpables d'vn double sacrilege?
ou du tout faites bien, ou au moins
ne faites qu'vne faute : ou tenez-vous
du tout à l'alliance de vostre Dieu , ou
quittez la du tout pour suiure vostre Idole;
car les craignant tous deux, autant
est deplaisant le seruice que vous
rendez à Dieu comme l'honneur que
vous rendez à Bahal mesme.
Malheur
sur les cœurs doubles, sur les leures pecheresses,
& le meschant qui chemine par deux
Chemins ,
Ecclesiast. 2. Les bestes qu'on
offroit à Dieu, deuoyent estre sans defaut
& sans tare. Le cœur est l'offrande
que Dieu demande de nous , mais tout
entier ; car s'il est diuisé,il y a defaut &
tare tout ensemble. Dieu auoit defendu
à son peuple de semer son champ
de deux semences meslees, de s'habiller
d'estoffes faites de laine & de lin,
& de faire labourer le bœuf auec l'asne,
pour monstrer qu'il ne veut point
de meslinge en la religion. N'appelez
aucun ici bas vostre Pere, vous auez vn
seul Pere,asçauoir Dieu; n'appelez aucun
[cun] vostre Maistre,car lui seul est Maistre
de tous. C'est lui qui seul content
de soy-mesme , a fait toutes choses &
n'a besoin d'aucunes d'icelles, qui nous
a formez de la bouë , qui pardonnant
nostre rebellion nous a racheptés de la
mort , non par or ni argent ni aucune
chose corruptible , mais par le sang de
son propre fils il nous a deliuré de la
main de nos ennemis,afin que nous lui
seruions sans crainte tous les iours de
nostre vie, que rachettez par vn grand
prix nous le glorifions & en nos corps
& en nos esprits qui sont à lui.Astraints
à Dieu par tant de liens d'amour & de
humanité,que nous venions à changer
de maistre ou diuiser nos affections,
c'est chose dont le ciel & la terre ont
horreur.
Esa.1. Escoutez cieux & en
Ieremie
2.u.12.13. Cieux soyez estonnez de ceci,
ayez horreur,& soyez assechez grandement:
car mon peuple a fait deux maux,Ils m'ont
abandonné, moy qui suis la source des eaux
viues, pour se cauer des cisternes creuassees
qui ne peuuent contenir les eaux .
II. Comme c'est vne chose iniuste
& vn sacrilege profane de vouloir raualler
Dieu à la vanité des richesses, ou
vouloir esleuer vne chose si vaine iusqu'
au throne de Dieu,aussi est-ce chose
impossible d'obeir & à l'vn & à l'autre,
car il n'y a rien de plus contraire que
les commandements de Dieu & les
mouuements de l'auarice. Dieu nous
appelle au ciel, & elle courbe tous nos
desirs & nos pensements à la terre. Il
demande nostre cœur, elle le cache &
l'attache dans les thresors. Il veut que
nous renoncions à nous-mesmes, iusqu'à
nous haïr pour l'aimer ; elle nous
fait poser pour fondement l'amour de
nous mesmes,& la haine de tout ce qui
nous y contredit. Dieu veut que nous
cerchions le profit d'autruy , elle que
nous facions le nostre au dommage de
tous les autres. Dieu veut que nous abandonnions
tout pour le suiure , elle
que nous l'abandonnions lui-mesme
pour garentir nos biens. Il veut que par
aumosnes, & autres bonnes œuvres
nous acquerions vn thresor dans le
ciel ; elle que par fraudes, violences,vsures,
iniustices nous accumulions vn
thresor en la terre. Iesus Christ nous a
au
5. de S.Matthieu tracé le chemin du
ciel, & monstré huict degrés , par lesquels
il nous faut monter vers le throne
de gloire. C'est le chemin que l'auarice
abhorre le plus, pourtant elle
donne tousiours aux cœurs qu'elle possede
vne inclination toute contraire.
1. La pauureté d'esprit ne peut loger
dans vne ame toute saisie de la peur de
la pauureté temporelle , & celui là ne
peut sentir le defaut des biens spirituels,
qui estime que son bon heur consiste
en l'abõdance des terrestres commodités.
2. Celui-la ne peut mener
dueil pour ses pechez qui les estime
profitables, ni gemir sous le fardeau de
l'iniquité qui remplit sa maison de
biens. C'est ici la voix du riche ,
Mon
ame esiouï-toi & fai grand'chere, etc.
3. Debonnaire & doux ne peut estre
celui dans le cœur duquel vne si forte
passion domine : elle se mesle en trop
d'affaires , elle est exposee en trop
d'accidents, heurtee de trop d'obstacles,
agitee de trop d'orages pour posseder
vne interieure tranquillité. La
mer n'est pas sujette à plus de vents,
que l'auarice a d'autres passions qui l'agitent.
4. Deux feux ne peuuent brusler
en vn mesme cœur ; aussi ne peut
compatir la soif de Iustice , auec la soif
des biens terrestres. Celui qui est gorgé
de richesses ne se peut imaginer que
son ame languisse de faim & ceste boulimie
d'auarice est comme l'indisposition
de l'estomach qui donne les pasles
couleurs , & qui fait auoir en horreur
les bonnes viandes, & cercher des delices
à manger de la chaux ou du charbon:
ainsi à l'auare les fleuues d'eau viue
ne sont rien au prix de la bourbe du
monde , la manne celeste de la parole
de Dieu n'a point de goust au prix des
aulx & des oignons d'Egypte. La Iustice
de Christ est peu prisee de celui qui
ne prise rien que le gain. 5. Pour la misericorde,
c'est vne vertu que l'auarice
[ban-]
bannit la premiere de toute l'estendue
de sa domination , posant pour maxime,
que la compassion enuers autrui est
vne cruauté contre soi-mesme. Les
larmes de la vefve, les pleurs de l'orfelin,
les souspirs de l'affligé, les gemissements
du malade,les tremblements de
celui qui est nud , & les transes de l'affamé,
font comme les vents & les flots
qui battent en vain & le front & les
flancs d'vne roche insensible. 6. Et
comment sera net le cœur où habite vne
telle peste ? C'est plustost vne sale
cauerne où ce serpent esclot mille
monstres , vsures , iniustices , periures,
faussetez, & vn million de mauuais
moyens qui seruent à cette infame passion ,
où se mange la chair des hommes,
où se bouïllent & rongent leurs
os cassés,
Mich.3.3. où tout est plein de
proye & de rapine. Et si l'Eternel ne
tient point pour net celui qui a des
fausses balances,
Mich.6.11. celui-la sera-
il net deuant ses yeux qui porte
dans son cœur la racine de tous les
maux?
1.Tim.6. 7. Malaisément aussi
procurera la paix celui qui est aguettant
apres le sang , & qui chasse apres
son frere auec le filé,
Mich.7.2. qui n'estime
rien iniuste de ce qui lui porte
profit : qui n'a rien de plus sensible que
sa bourse , & qui pour vn peu de perte
ou de gain est prest à troubler ciel &
terre de proces & debats, desquels l'auarice
est la source & la nourrice. 8. Et
en fin,s'il est question de souffrir persecution
pour la Iustice & verité, c'est
vn precepte que l'auare ne comprend
point. Il aime bien, dira-il,sa religion,
mais il aime son argent d'auantage ; &
venant vn rauage , il oublie tout pour
sauuer sa bourse , marri quelquesfois,
comme le ieune homme dont il est
fait mention dans l'Euangile , qu'il ne
peut suiure Christ avec tous ses biens,
mais resolu pourtant de laisser aller Iesus
Christ pour se tenir auec ses richesses.
Demas, dit sainct Paul, m'a abandonné .
Et pourquoi?
il a aimé le present
siécle . Il s'est trouué des auares qui ont
[souf-]
souffert beaucoup de tourments auant
que vouloir descouurir les thresors que
ils auoyent cachés,mais il ne s'en trouue
point qui pour l'amour de Christ
vueillent abandonner leurs richesses.
Quand la mer du monde s'esleue & les
menace de naufrage,Iesus Christ est le
premier duquel ils se deschargent &
iettent dehors comme vn Ionas, afin
d'appaiser son courroux. Ainsi sont les
sentiers de l'auarice directement contraires
à la voye du ciel.
III. Aussi nous destourne-elle tant
qu'elle peut des moyens qui nous y appellent
& conduisent,& n'y a point des
plus puissant obstacle aux moyens de
nostre regeneration. Pourtant Iesus
Christ en la parabole du semeur les accompare
à des espines qui estouffent
dedans les cœurs humains tout l'espoir
& le fruict de la celeste semence. 1. Car
comme les espines succent & deuorent
l'humeur & la grasse de la terre,
ostent la nourriture au bon grain , &
l'empeschent de croistre ; ainsi l'auarice
destournant nostre amour & nos affections
vers l'or, l'argent , & autres
choses vaines,laisse comme à sec la semence
spirituelle,tellement qu'elle ne
peut fructifier. Comme au corps humain,
quand la rate croist, tous les autres
membres s'amaigrissent, ainsi en
l'esprit , quand l'auarice le remplit de
biens , toutes les vertus diminuent.
Pour faire monter l'eau il la faut tenir
serree dans vn canal , si vous lui en ouurez
plusieurs elle s'escoule en bas;ainsi
est-il mal aisé que le cœur du riche
diuisé en tant de parts , & distrait en
tant d'affaires au monde s'esleue pour
monter à Dieu. Ainsi comme vn ruisseau,
qui en coulant recueille tantost
ici tantost là l'esgoust des pluyes qui
tombent des costaux, & les contributions
des sources & fontaines , s'enfle
si fort qu'il remplit la campagne, rauageant
& emportant tout ce qu'il rencontre :
ainsi la conuoitise des richesses
commençant par petites choses qui
semblent necessaires , vne en mettant
[vne]
vne autre en bienseance , vn desir en
allumant vn autre,vne chose superflue
en rendant plusieurs necessaires , &
croissant l'appetit à mesure qu'on mange,
on ne se donne garde qu'il se forme
vn torrent qui traine apres soi , rauage
& fait seruir à la violence de sa passion
les vertus mesmes & les choses plus
sainctes. 2. Comme les espines, empeschans
le Soleil & la pluye, estouffent
l'herbe qui ne peut croistre au
dessous ; ainsi l'ame plongee dans les
soucis du monde , est comme vne cauerne
où la parole de Dieu n'esclaire
point, où la grace celeste ne decoule
point, où les rayons de l'amour de Dieu
n'entrent point ; & sans cela comment
se pourroit auancer sa spirituelle semence?
3. Comme les espines empeschent
que l'espi ne monte en haut,ains
le font recourber & fletrir ; ainsi les
desirs & les occupations que donnent
les richesses, preuiennent les bonnes
intentions, estouffent les bonnes pensees,
empeschent les sainctes actions,
& courbent l'ame seiche & languissante
vers la terre. De sorte que
comme les terres qui produisent l'or
sont infertiles à toute autre chose,ainsi
demeurent sterils à toutes vertus les
cœurs remplis de richesses du siecle.
4. Et en fin,comme les espines sont le
repaire des serpens , ainsi le diable
s'embusche dans l'espaisseur des conuoitises
des richesses,là il tend ses laqs,
là il esclot & nourrit les pechez. Car
ceux qui veulent deuenir riches tombent
en tentation , & au piege , & ce
plusieurs desirs fols & nuisibles , qui
plongent les hommes en destruction
& perdition : & là où habite Satan ne
peut habiter l'Esprit de Dieu , seul &
vrai agent de la celeste grace , qui est
vn feu pur , vne colombe nette, qui est
contristé par les pechez , & chassé par
les souïllures, & exclus tout à fait par
les desirs mondains. Et qu'arriue-il apres
que cet Esprit sainct a abandonné
l'ame , sinon qu'elle est faite le repaire
des dragons, des chahuans, des luitons?
[ Es.13.]
Es.13.22. Toute la force des serpens est
dans la terre ou parmi les espines,où
leur corps long & souple trouue par
tout où s'appuyer ; hors de là ils sont
foibles & comme hors de leur elemẽt.
Ainsi les plus grands efforts que Satan
fait contre les humains , il les fait dedans
l'embaras des richesses, dans l'espais
des cupidités , sur les ames attachees
en terre: sur celles que le S.Esprit
a esleuees vers le ciel , il n'a ni force ni
atteinte. Voyez donc comment il est
impossible de s'occuper au seruice de
deux maistres si differents: où vous ne
pouuez donner tant soit peu à l'vn que
vous n'offensiez l'autre ; où vous oyez
à coup des commandements tous contraires ;
& l'où l'vn vous oste tous les
moyens de seruir l'autre.
SECONDE PARTIE.
Puis donc qu'il est question, & qu'il
faut tout à fait se tenir à l'vn & abandonner
l'autre, serons-nous bien si miserables
de nous laisser tromper au
choix de deux choses où il n'y a point
de proportion? Certes si nous regardons
la nature de ces deux maistres,&
quels ils sont en eux-mesmes , nous
trouuerons que l'vn est tout, & l'autre
rien. L'Apostre auoit vne grande raison
quand il disoit que l'auarice est une
idolatrie : car comme les idoles ne sont
que dieux forgés en l'imagination des
hommes,inuentions de mensonge,qui
en effect ne sont rien sinon autant que
la fole & fausse creance des hommes
leur donne cours & les met en estime:
ainsi les richesses sont comme vne espece
de rien , car elles n'ont prix ne
valeur qu'autant que leur en donne la
vaine opinion des peuples : dont les
vns estiment l'or,& les autres le plomb;
les vns le fer , les autres le cuiure ; les
cherissans non selon qu'il abonde,mais
selon qu'il est rare & difficile à recouurer
à chacun dessous son climat. Les
anciens estimoyent le bestail vne grande
richesse : ceux de ce temps admirent
[rent]
les pierres precieuses; les vns font
estat de meubles & de vestemens, les
autres de terres & de maisons. Il se
trouue des peuples qui font leur thresor
de coquilles de mer,& d'autres qui
s'estiment bien riches quand ils ont ramassé
les despouilles & plumages des
oiseaux : ainsi chacun fait de son opinion
vne idole, & se prosterne deuant
l'ouurage de ses mains. Voyez quelle
proportion il y a entre Dieu , qui est le
premier & le souuerain Estre,source &
cause de tout ce qui est , auec vne idole,
vn rien, vne imagination , vanité,
Eccl.1.fleur,
I. Pet.1.4. ombre,
Ps.39.6.
Comme les richesses ne sont gueres
plus que rien en elles mesmes , aussi
ne sont-elles beaucoup d'auantages en
leurs effects & au profit qu'elles nous
apportent.Les choses necessaires à l'entretien
de ceste vie ont quelque prix,
mais la nature fournit assez & sans
grand'peine à la necessité. Si on le
prend en vn grand ou vn petit monceau,
n'importe, car celui qui en a plus
qu'il ne lui en faut , n'a que cela qu'il
void manger de ses yeux.Il en est comme
de la manne,tout ce qu'on prenoit
au delà de la mesure se pourrissoit:ainsi
des biens, tout ce qui est de superflu
n'apporte que chagrin & occasion de
vice. Si les biens allongeoyent la vie
& la pouuoyent mettre à couuert contre
les traits de la mort,on auroit quelque
raison de les amasser:mais nul n'a
vie par ses biens , nul n'en peut payer
rançon afin qu'il viue & ne voye la fosse.
Le Prince & le riche meurent,& la
mort ne recognoist point d'argent. La
goutte gehenne les jambes sans consideration
de la jarrettiere:la fievre à ses
heures trauerse portes & gardes,& entre
dans les licts de velours sans respect
du balustre : la peste rauage les palais
aussi facilement que les cabanes ; &
toutes les maladies frequentent plus
ordinairement les lieux où elles sont
bien traitees: & le pis est , qu'vn seul
mal de dents,de goutte,de colique,&c.
oste au riche tout le plaisir de ses biens,
[& tous]
& tous ses biens ensemble ne lui sçauroyent
appaiser vne de ces douleurs.
Toutes les grandeurs & richesses de
Mecenas ne lui peurent iamais rendre
le sommeil qui lui auoit esté osté par
les caprices de sa femme: & comment
gueriroyent-elles les maux qui viennent
d'ailleurs , puis qu'elles ne peuuent
guerir le desir d'elles mesmes? La
viande appaise la faim , le breuuage
esteint la soif : mais quelle faim est ceste-
ci, que tout le monde ne peut appaiser?
L'auare est comme l'hydropique,
qui boit & ne se desaltere point:&
comme les vaches maigres de Pharao,
qui mangerent les grasses & n'engraisserent
point. Les biens ne sont en son
cœur que comme de l'huile,ou du bois
dans le feu. Si elles sont inutiles au
corps , elles le sont encores plus à l'ame.
Iamais aucun n'est deuenu meilleur
pour estre deuenu plus riche. Plusieurs
empirent en enrichissant, nul ne
s'amende. L'abondance des biens traine
souuent apres soi l'oubli & le mespris
de Dieu,
Deut.32.15. Pourtant Salomon
demandoit,
Ne me donne point trop
de richesses , de peur qu'estant saoulé ie ne
te renie, & ne die, qui est l'Eternel ? Elles
endorment aisément l'homme en vne
vaine confiance, & ainsi le laissent exposé
à toutes sortes de dangers : elles
l'enflent d'orgueil, qui lui fait auoir en
mespris ses semblables : elles le iettent
dans la licence,& lui font accroire que
autant qu'il a de pouuoir autant a-il de
liberté à mal faire,& quelque mal qu'il
face elles lui en promettent impunité.
Bref elles attirent plusieurs maux dessus
l'ame,mais elles ne la peuuent soulager
d'aucun peché.
Les pechés , deuant le tribunal de
Dieu , ne se rachettent point auec de
l'argent comme en la cour de Rome.
La foy,la repentance,& les autres dons
spirituels ne s'achettent point par argent ,
comme les pardons à vn Iubilé.
L'argent perit auec celui qui estime le
don de Dieu s'acquerir auec de l'argent,
Act.8.20. Les richesses desirees,
[gar-] gardees, sont non seulement inutiles,
mais grandement dommageables à l'ame :
alors profitent-elles seulement
quand on s'en desfait.
Il a espars, il a
donné aux pauures , & sa iustice demeure
eternellement ,
Ps.112.9. En en fin,autant
qu'elles sont inutiles, autant sont-elles
incertaines & passageres : elles prennent
des ailes,(dit le Sage) & s'en vont:
elles sont comme les arondelles , qui
nichent chez nous , & iamais ne s'y appriuoisent :
& comme les courtisanes,
qui se vendent,mais ne se liurent point.
Si nous ne les perdons par mille accidens,
feux,larrons,guerres,procez,naufrages,
banqueroutes, il faut que tantost
elles nous perdent par la mort. De
sorte que comme les Iuifs estimoyent
les biens qu'ils vouloyent vendre , selon
que le temps du Iubilé en donnoit
à l'achetteur vne plus longue ou plus
courte iouïssance,ainsi ne les pouuons-
nous faire valoir sinon autant que la
mort nous en taille pres ou loin la possession.
Et en ceste façon combien sera
leur prix petit & incertain, puis qu'elles
dependent de nostre vie , qui est
taillee à la mesure de quatre doigts,
qui n'est qu'vne veille en la nuict , vne
vapeur de fumee, qui sort comme vne
fleur & puis est coupee, qui s'en va
comme auec des barques de poste, &
s'en vole comme vne aigle apres la
proye ? Il est vray que nous nous imaginons
des annees de Methusela, & le
Diable nous esloigne tant qu'il peut le
iour de la calamité : mais Dieu tient
en ses mains les issues de la mort : &
lors que nous y pensons le moins il
nous appelle à compte : & alors cognoissons-
nous que nous auons esté abusés
par des songes ; alors trouuons-
nous que nos biens se sont esuanouïs,
& que nos ames uides restent chargees
seulement des maux que nous auons
commis pour les acquerir , des
biens que nous auons obmis pour les
conseruer,& de la iuste condamnation
encouruë par tous ces crimes.
[Mais]
Mais peut-estre les amadouë-on en
les aimant : peut-estre en le seruant
on se les rend plus fauorables. Rien
moins ; iamais n'y eu vn maistre plus
barbare,ni plus ingrat. Ce ne sont que
douceurs les traittements dont vsoyent
les maistres plus rigoureux à l'endroit
de leurs esclaues , au prix des rigueurs
qu'exercent les richesses dessus
ceux qui les seruent.
1. Le premier present que faisoyent
les maistres aux serfs qu'ils auoyent
ou achetés de leur argent,ou vaincus
en bataille , estoit de leur mettre
les fers aux pieds, & aux mains les manottes :
ainsi ceux qui se vendent aux
richesses, & qui se laissent vaincre à
leurs cupidités voyent soudain leurs
affections , qui sont les pieds de l'ame,
chargees de fortes entraues, qui
empeschent de courir vers autre obiect
que celui qui les tient captifs, &
les mains liees , assauoir toutes sortes
de bonnes actions interdites & empeschees.
2. Ainsi liés, le maistre leur imprimoit
sa marque avec vn fer chaud dessus
le visage. Et qu'est-ce de ceste ardeur
& terrestre desir dont les richesses
bruslent le cœur de ceux qui les seruent ,
que la marque de Satan deietté
du ciel, Dieu de ce siecle,qui exerce sa
domination és enfers , & sa puissance
dans les tenebres , de ce serpent condanné
à lecher la poudre de la terre?
3. Les logemens des serfs estoyent
des fosses creuses dans la terre,d'où on
tiroit l'eschelle apres qu'ils estoyent
descendus : ainsi l'ame des auares est
detenues dans les profondeurs de la
terre,dans les ordures du monde, d'où
enchainee par sa propre cupidité , &
Satan lui ostant l'eschelle de la foy &
de la repentance , elle ne peut remonter
ni trouuer la voye de vie.
4. Les esclaues estoyent fort mal &
fort escharcement nourris : & de quoi
se paissent les auares que de gousses
vuides , de viandes creuses, de choses
grossieres , qui enflent & greuent le
[corps,]
corps, & ne peuuent contenter l'ame?
Encor sont-ils comme Tantale affamés
au milieu de l'abondance : ils plaignent
à eux-mesmes ce qu'ils rauissent
à autrui: ils sont comme ceux qui tiennent
hostellerie, qui donnent les bonnes
chambres aux passants,& dorment
parmi les ordures de la cuisine : ils viuent
pauures toute leur vie pour estre
trouués riches apres leur mort : il se
frustrent du bien dont leurs heritiers
font grand'chere.
5. On exigeoit des esclaues vn grãd
& continuel trauail:& qui sçauroit raconter
les trauaux de ceux qui veulent
acquerir les richesses , les veilles , les
soucis, les voyages , les hazards , & les
maux ausquels tous les iours ils s'exposent?
6. Ils trauailloyent,mais leurs maistres
recueilloyent les fruicts de leur
labeur,& les reuenus de leur industrie;
ainsi les serfs des biens du monde,tousiours
attentifs à amasser,ne se donnent
iamais le loisir de iouïr des biens qu'ils
ont acquis : & quoi que quelquesfois
Satan leur laschant les longes ils s'exercent
en quelques vertus , elles ne
leur tournent point à profit,mais comme
les couronnes sur les testes des rois
captifs ne leur seruent que pour l'ornement
du triomphe de celui qui les a
subiugués.
7. Il n'y auoit action execrable, ni
seruice infame à quoi les miserables
serfs ne fussent employés. Quid non mortalia
pectora cogis. Auri sacra fames? Combien
de voleurs pour peu d'argent respandent
tous les iours le sang des hommes,
comme si ce n'estoit que de l'eau?
combien d'enfants le desir impatient
des biens a-il rendu parricides? Combien
de seruiteurs ont coupé la gorge à
leurs maistres endormis pour auoir leur
argent? Pour de l'argent la pudicité des
femmes est prostituee , l'honneur mis
sous les pieds , la foy violee , la iustice
corrompue ; faux contracts , faux tesmoins
se trouuent pour de l'argent.
Toute sorte de crimes se commettent
[& de-]
& demeurent impunis pour argent.
Les anciens Payens auoyent quelque
raison d'appeller leur Iupiter, Argent ,
comme recognoissants en l'argent
vne sorte de toute-puissance,non
à creer ou à faire aucun bien , mais à
commander toute sorte de maux. Ceste
diabolique passion est montee à telle
impudence,qu'elle ose armer ces esclaues,
& leur faire porter contre Dieu
leurs plus horribles attentats.Ainsi les
vns profanent son nom par faux serments ;
& plusieurs y en a qui ne pardonnent
pas mesmes aux saincts & venerables
mysteres de la religion,qu'ils
auilissent à vn infame seruice de ceste
maudite passion. Certes parmi tant
d'especes d'Idoles que la superstition
adore auiourd'hui,Mammon est la premiere
& la principale;& c'est pour elle
que se fait la plus grand'part de ses plus
notables seruices,n'y ayant ceremonie
d'où directemẽt ou indirectemẽt ne lui
reuienne quelque offrãde,tant est puissante
ceste passion , qu'elle a fait la religion
sa courratiere & maquignonne.
Ici ie me glorifierois de l'innocence de
nostre reformation, si la corruption de
ce dernier temps ne couuroit ma face
de honte , & ne cachetoit mes levres
de silence,puis que mesmes parmi nous
il s'est trouué des monstres si absolument
possedés par ceste furie infernale,
que les vns possedants les plus honorables
charges en l'Eglise ont employé
leur sçauoir & autorité pour resueiller
des enfers des opinions aussi monstrueuses
que leur auarice , pour par icelles
ietter la pomme de discorde entre
leurs freres , embraser le feu de sedition
dans le sein de leur propre patrie,
afin que deschiree & demi noyee dedans
le sang de ses propres enfants elle
tombe exposee à la rage beante de son
capital ennemi:& d'autres,qui tenants
en leurs mains les moyens exterieurs
de la conseruation,de la vie & de la liberté
de leurs freres,sont allés à la foule,
comme Iudas à Caïphe , pour dire,
Que me donnerez-vous & ie le vous liurerai?
[urerai?]
Apres cela que reste-il au monde
à ces esclaues de sainct ni de sacré?
8. Mais apres tous ces seruices , le
fouët , les estriuieres , les tortures ne
manquent point à ces malheureux. Or
n'est-ce pas de cela mesme que les richesses
caressent ordinairement les
miserables qui les seruent? La vie du
riche semble heureuse , mais Dieu qui
void tout,leur denonce malheur. Malheur
sur vous qui estes à vostre aise en
Sion.
Malheur sur vous qui ioignez maison
à maison,champ à champ ,
Es.5. Vous riches
pleurez , hurlans pour vos miseres lesquelles
vont tomber sur vous. Au dehors
les richesses ne chassent pas les
dangers, mais les attirent. Beaucoup y
en a qu'on auroit laissé en repos s'ils
n'eussent esté riches.Aux grandes portes
battent les grands vents : les orages
brisent les cedres du Liban,renuersent
les cedres de Basçan : le thym & l'hysope
demeurent sans dommage. Et
pour le dedans , la pluspart des riches
sont comme les mulets qui portent le
bagage des grands,& comme les asnes
du boulenger,qui portẽt les thresors &
les delices de la bouche,mais pour eux
ils n'ont que de la paille. Nous auons
ouï que les richesses sont comparees
aux espines,on ne les peut manier sans
se poindre. Ceux-là en sont le moins
offensée qui ne les serrent:ainsi celui
qui tient les richesses avec vne mains
large & liberale comme ne les possedant
pas , prest à les quitter si elles le
blessent , s'en peut seruir vtilement:
mais ceux qui par vn trop vehement
desir les tirent & les forment,n'en peuuent
euiter l'atteinte.L'espine fait mal
en entrant, elle cause de grandes douleurs
quand elle est dans la chair,& des
plus grandes quand on l'arrache. C'est
bien souuent auec autant de pechés
que de peines que les hommes deuiennent
riches : ils accablent leurs corps
de trauaux & leurs consciences de crimes.
S'ils ont trauaillé à fouïller l'or
hors de terre,quand ils l'ont,ils sont en
plus grand' peine où c'est qu'ils le
[pour-]
pourront cacher : les craintes & les
soupçons leur donnent mille mortelles
pointures , & les pechés qu'ils ont
commis pour les engloutir sont en leur
ventre comme vn poison d'aspic qui
enfiele toute la douceur de leurs biens.
Mais lors qu'il les faut perdre ou par
quelque accident , ou par la mort , ce
sont là des douleurs & des desespoirs
sans remede;on leur arrache non la robe,
mais la peau;non la peau, mais le
cœur. O mort, combien est amere la
memoire de toi à celui qui vit paisible
dans les biens!
9. Toutesfois en fin il faut mourir,
& iadis la plus ordinaire recompense
des miserables esclaues estoit le gibet.
Ainsi est introduit vn d'entr'eux parlant
dans vne comedie:Ie sens bien en
fin qu'vne croix sera mon sepulchre,là
repose mon pere , mon ayeul , & tous
mes bons predecesseurs. Ainsi apprenons-
nous non en vn discours feint,
mais au recit de la verité mesme, en la
parabole du riche , & en la representation
du iugement final, que ces esclaues
des richesses qui ont vescu ici bas
sans misericorde trouueront en l'autre
vie vn iugement sans misericorde : &
l'auare insatiable trouuera pour sa recompense
deux aussi insatiables que
lui , assauoir le sepulcre & l'enfer ; & apres
l'effroyable sentence , Allez maudits,
&c. ils seront iettés aux tenebres
exterieures , ou dedans vne nuict sans
fin , & vn tourment sans remede , ils
verseront à iamais des larmes sans profit.
Qui regardera ce maistre en lui leuant
le masque , & qui verra comment
il traite & salarie ses seruiteurs, n'aura
iamais enuie de le seruir. Mais que di-ie?
telle est la foiblesse du iugement
des hommes,que l'ombre d'vne petite
commodité presente leur cache toutes
les horreurs des maux qui se preparent
pour eux à l'auenir. Qui ne sçait quels
sont les trauaux & les dangers d'vn soldat
en la guerre?& toutesfois combien
s'en trouue-il qui pour huict ou dix
[francs]
francs de paye s'exposent librement à
essayer toutes ces peines & ces hazards?
Qu'y auoit-il de plus miserable
que les escrimeurs à outrance,qui tous
les iours estoyent contraints pour donner
passetemps au peuple de s'entretuer
dans les theatres? & toutesfois il
s'en trouuoit à Rome à milliers, desquels
la condition en se loant pour la
paye estoit,brusle, tranche,tue,fay de
moi ce que tu voudras. Qui ne sçait
comment le Diable abuse les sorciers
qui se donnent à lui , ne donnant à la
pluspart que des coups,& vne honteuse
mort pour toute recompense ? toutesfois
de tels monstres il ne se trouue
que trop. Nous estonnerõs-nous donc,
si les hommes, nonobstant tout ce que
nous auons dit , se laissent piper à l'esclat,
& se laissent mener captifs par les promesses
& esperances du monde?
Que deuons-nous donc faire,sinon recourir
par ardentes prieres à Dieu,à ce
qu'il lui plaise illuminer nos entendements
& ouurir nos yeux,afin que d'vn
costé descouurants les vrais maux &
les miseres cachees sous ce lustre apparent,
nous ayons en horreur cette honteuse,
inutile,dommageable, & cruelle
seruitude des richesses : & de l'autre,
apperceuants & la beauté de Dieu , &
la grandeur des biens qu'il a preparés à
ceux qui le seruent,fuyants cette infame
prison , & rompants tous ces honteux
liens, nous aspirions à la vraye liberté
qui ne se trouue qu'au seruice de
ce grand Dieu , deuant qui la terre
tremble , les montagnes se fendent, la
mer s'enfuit,les cieux s'escoulent,à qui
toutes creatures s'attendent , que les
Anges seruent , que toutes les puissances
celestes adorent ? Seruir à celui-la
c'est regner , qui donne des couronnes,
& vn royaume eternel à ceux qui le
seruent, qui fait ses seruiteurs ses amis,
ses enfans heritiers du ciel, coheritiers
de Iesus Christ son bien aimé.Son ioug
est aisé, son fardeau est leger, ses commandements
ne sont griefs. Et combien
est douce cette seruitude , qui ne
[demande]
demande rien qu'amour:la passion qui
verse plus de douceurs & de delices
dans nostre ame : huile de liesse & de
ioye qu'il verse lui-mesme en nos
cœurs, & par lequel il nous rend toutes
autres choses faciles. Toute autre
seruitude nous appelle au trauail , celle-ci
nous appelle au repos.
Venez à moi,
&c.
L'Eternel est mon berger ,
Ps.23.Il ne
demande point de nous des milliers
de moutons,ni des torrents d'huile : il
veut seulement nostre cœur. Et y a-il
homme si pauure qui n'ait vn cœur
pour lui donner? & qui aimerons-nous
que lui , qui nous aimés eternellement,
qui nous a obligés infiniment,&
qui a en soi souuerainement tout ce
qu'il y peut auoir d'aimable , & de qui
l'amour nous releve au dessus de nous-
mesmes & nous rend semblables à lui?
Si donc d'autres seigneurs que lui
nous ont dominés , retournons-nous à
lui,& reuenons à la maison & au seruice
de nostre Pere. Cerchons son royaume,
sa iustice, sa gloire , asseurés que
toutes autres choses nous seront donnees
par dessus. Craignons-nous de
patir au seruice d'vn si bon , d'vn si riche,
d'vn si liberal maistre? Il nous est
Soleil & bouclier, & n'espargne aucun
bien à ceux qui cheminent en integrité.
Les lions auront indigence, mais
ceux qui s'attendent à lui n'auront faute
d'aucun bien. La pieté a les promesses
de la vie presente & de celle qui est
à venir. Plustost la manne pleuura du
ciel , les aride rochers verseront des
fontaines , les sauuages corbeaux seront
nos pourvoyeurs , voire plustost
les Anges descendront pour nostre assistance,
que iamais vienne à manquer
la promesse de Dieu & un benefice ici
enuers ceux qui le seruent : seulement
reiglons nos desirs à sa volonté,& contents
de ce qu'il remplit nos ames de
biens spirituels , qu'il les nourrit de la
graisse de sa maison, & les abbreuue au
fleuue de ses delices : prenons de sa
main auec contentement ce qu'il nous
baille des biens du monde, sachans
[qu'il]
qu'il veut pouruoir à nos necessités,
non assouuir nos conuoitises:qu'il nous
veut estre non autheur de volupté,
mais precepteur de temperance,comme
il donna la manne en sa benediction,
& les cailles en son ire. Et puis
que nostre vie n'est ici bas qu'vn court
pelerinage , beuuons du torrent en la
voye comme les soldats de Gedeon:
prenons en passant des espics comme
les Apostres:seruons-nous des biens du
monde comme des meubles d'vne hostellerie,
dont nous n'auons ni la garde
ni le souci. Et puis que nous tendons
vers Dieu, faisons seruir toutes choses
à ce voyage , tous prests à quitter
tout s'il nous y sert d'empeschement.
Employons nos biens comme
l'or d'Egypte à la construction du tabernacle ,
& les sanctifions en les faisant
seruir à auancer la gloire de Dieu,
à entretenir son seruice, & par aumosnes
& bonnes œuvres nous faire des
thresors és cieux. Là soit nostre but,là
nostre cœur, là nos desirs & nos pensees:
& retirans cet amour qui se perd
& nous perd dans les choses du monde,
faisons-en comme les Iuifs des femmes
qu'ils prenoyent en guerre , coupons-
lui le poil,& lui roignons les ongles,
ostons-lui ce qu'il a de vanité, retranchons
ce qu'il a de malice , tranchons-
lui vn nouueau canal,tournons-
le vers vn object plus digne , & l'arrestons
en Dieu : lequel si nous ne pouuons
ni seruir ni aimer comme le requerroit
l'excellence d'vn si noble sujet,
au moins aimons-le tout autant que
vn auare fait son argent. Iamais l'auare
ne pense qu'à la conseruation ou augmentation
de son bien,parce que là où
est son thresor , là aussi est son cœur.
Nous aussi donnõs nostre cœur à Dieu,
& que toutes nos pensees & nos desirs
soyent de nous maintenir & auancer
tous les iours en son amour : soit que
nous dormions,soit que nous veillions,
pensons aux choses qui sont d'enhaut,
& nous entretenons auec Dieu par meditations
& prieres , afin que de ce
[pour-]
pourparler nous sortions comme Moyse
auec le visage luisant de ioye , & le
cœur enflammé de celestes vertus.L'auare
retranche de ses morceaux pour
augmenter ses sommes , ainsi sevrons
nos corps des terrestres delices & les
tenons en seruitude , afin que plus
disposés ils suiuent les mouuements de
l'esprit les appellans au seruice de
Dieu. L'auare va sans crainte des dangers
& sur mer & sur terre pour cercher
les richesses és riuages lointains;
ainsi que l'amour de Dieu nous dispose
aux exils,aux bannissemens,aux pertes
& aux hazards pour le suiure. A mesure
que l'auare tombe dans les infirmités
de la vieillesse , l'auarice semble
raieunir & se renforcer en son cœur;
ainsi allons en l'amour & au seruice de
nostre Dieu,croissans & auançans comme
arbres plantés en la maison de
Dieu & portans fruicts iusques à la
vieillesse toute blanche. Que cet amour
renouuelle nostre ieunesse comme
celle de l'aigle : cueillons tousiours
nouuelles forces:& à mesure que nous
approchons du but,redoublons nostre
courage & nostre amour , croissans en
vertu, multiplians en bonnes œuures,
allans de force en force iusques à tant
que nous venions deuant Dieu en la
Sion celeste,où nous donnant repos de
nos trauaux ils nous fera entrer comme
bons seruiteurs & loyaux en la ioye &
dans les delices eternelles de la saincte
maison. A lui Pere, Fils, & S. Esprit
soit honneur & gloire dés maintenant
& à iamais, Amen.