O Eternel, ie t'inuoque des lieux
profonds.
Seigneur, escoute ma voix, que
tes oreilles soient attentiues à
la voix de mes supplications.
O Eternel, si tu prens garde aux
iniquitez, Seigneur, qui est ce
qui subsistera ?
Mais il y a pardon par deuers toy,
afin que tu sois craint.
NOstre Seigneur
Iesus, apres son Ascension
à la d'extre de
Dieu son Pere, regardant
l'estat des Eglises d'Asie plantées
par le ministere des
Apostres, dit à celle d'Ephese,
Ie viendray à toy bien-tost,
& osteray ton chandelier de
son lieu, si tu ne te repens. Et
vous sçauez, mes Freres,
que le chandelier qu'il l'a menace
d'oster, est le ministere
de l'Euangile, par lequel elle
jouïssoit de la lumiere de vie
& estoit retirée des tenebres
des vices & des erreurs & idolatries
du monde, & qu'en ce
chandelier consiste tout ce
qu'vne assemblée Chrestienne
a d'estre selon Dieu : Et
par consequent sa priuation
est le plus grãd des mal heurs
& des témoignages de l'ire de
Dieu, qui nous puisse aduenir.
Or cette menace n'estoit pas
particuliere à l'Eglise d'Ephese,
mais commune à toutes
les Eglises Chrestiennes :
comme l'Apostre le monstre
Rom. 11. là où representãt que
Dieu auoit retranché l'Eglise
Iudaïque à cause de son endurcissement,
bien qu'elle
fust descenduë des Patriarches,
& que les oracles de
Dieu luy eussẽt esté commis :
& parlant au corps des Eglises
Chrestiennes dressées entre
les Gentils, il leur dit,
Regarde la benignité & la seuerité
de Dieu : à sçauoir la seuerité
sur ceux qui sont tresbuchez ; &
la benignité enuers toy, si tu
perseueres en sa benignité, autrement
tu seras außi coupé.
Dieu auoit pratiqué cette seuerité
en l'ancien Testament
enuers ceux de Silo, chez lesquels
il auoit logé son tabernacle
& l'arche de son alliance,
selon qu'il dit à ceux de
Iuda,
Ierem. ch. 7. Ne vous
fiez point sur des paroles trompeuses,
disans, C'est icy le temple
de l'Eternel, le temple de l'Eternel,
le temple de l'Eternel, mais
allez en mon lieu qui estoit en
Silo, là où i'auois colloqué mon
nom du commencement, & regardez
ce que ie luy ait fait, à cause
de la malice de mon peuple Israel ;
maintenant donc pour ce
que vous faites les mesmes choses
qu'eux, dit l'Eternel, ie feray à
cette maison, sur laquelle mon
nom est reclamé, & en laquelle
vous vous fiez, & à ce lieu que
i'ay donné à vous & à vos Peres,
comme i'ay fait à Silo.
Cette menace, mes Freres,
est ce qui nous conuie à nous
humilier maintenant deuant
Dieu, voyans les vices & les
pechez, par lesquels nous
auons prouoqué & prouoquons
tous les iours son courroux.
Car cheminans dans
les tenebres des vices & iniquitez
du monde, nous sommes
du tout stupides si nous
ne craignons que Dieu vienne
nous oster le chandelier duquel
nous abusons, & nous
oster la predication de sa verité
laquelle nous detenons
en injustice. Or esperons nous
de sa bonté que si nous nous
iugeons nous mesmes, c'est
à dire preuenons son courroux
par repentance, nous ne
serons pas iugez. Car Dieu est
benin, & fait, quand il punit,
vne œuure non sienne, &
ce n'est pas volontiers quand
il afflige & contriste les fils
des hommes (ainsi qu'en parle
Isa. 8.
21. Lament. Ier. 3 33.
l'Escriture) Et pour ce qu'il
preaduertit son Eglise de ses
iugemens, afin qu'elle les preuienne
par humiliation &
amendement. Iadis donnant
Deuter. 20. 21
les loix politiques à son Israël,
il auoit ordonné que
quand il s'approcheroit d'vne
ville pour la combattre il luy
presentast la paix ; conduitte
qui est l'image de la sienne,
comme les commandemens
de Dieu sont formez sur le
modele de ses actions. Car il
presẽte tousiours la paix aux
pecheurs par des richesses de
benignité, auant que de les
destruire : Sur tout il vse enuers
son Eglise de support &
de delay, en attendant qu'elle
s'amende ; mais finalement,
apres que sa parole a esté long
temps mesprisée & ses exhortatiõs
à repentãce negligées,
il vse de sa seuerité : ainsi que
Luc. 13.
Iesus Christ le represente en
la parabole du figuier, lequel
ne portant point de fruict, le
maistre voulut le couper, mais
à l'exhortation du vigneron
il attendit encore quelque année
le deschaussant & y mettant
du fumier, pour en suite
s'il ne portoit du fruit le couper.
Nous sommes, mes Freres,
ce figuier, lequel le Seigneur
a des ja diuerses fois
menacé de couper ; Nous
auons veu ce lieu mesme, qui
a esté rebasti par la misericorde
du Seigneur & la clemence
de nos Roys, auoir esté
embrasé & demoli : Et depuis
nous nous sommes trouuez
en diuers dangers, desquels la
prouidence & bonté diuine
nous a deliurez. Dieu nous a
monstré son bras esleué pour
frapper, & l'a tousiours retiré.
Or maintenant que nous
auons tout sujet de luy rendre
graces des inclinations
fauorables qu'il a mises dans
le cœur des Puissances superieures
à la paix de nos Eglises
& à leur subsistance sous
l'authorité des Edits du Roy,
& que nous en auons receu
diuers & tres-euidens témoignages
pendãt que la Regence
de cét Estat est dignement
entre les mains de la Reine
mere de nostre Roy : ce que
nous sommes humiliez deuãt
Dieu est à ce que nos pechez
ne viẽnent deuant Dieu pour
troubler nostre paix &
changet cette tranquilité en affliction
& aduersité. Car Dieu
qui tient les cœurs en sa main
les encline où il luy plaist. Il
y met la hayne quand il veut
chastier : comme il est dit
Ps.
105. il changea leur cœur tellement
qu'ils eurent son peuple en
hayne : Et à l'opposite aussi il
y met la bien veillance & la
paix quand il est appaisé enuers
nous, selon que dit Salomon
Prou. 16. quand les voyes
de l'homme plairõt au Seigneur,
il appaisera außi ses ennemis enuers
luy. Outre cela, mes
Freres, nous auons à obtenir
par nostre humiliation la benediction
de Dieu sur le Roy
& la Reine, & sur l'Estat : à ce
que rien n'interrompe ny le
fauorable succez des armes
du Roy contre ses ennemis
au dehors, iusques à vne heureuse
paix, ny la tranquilité
du dedans au bien de tous ses
sujets. Nous auons aussi à
prier Dieu en general pour
toute la Chrestienté que nous
voyons deschirée de guerres,
à ce qu'il plaise à Dieu arrester
par vne bonne paix le
cours de tant de miseres & de
maux qui la desolent & ouurẽt
le chemin & la porte aux ennemis
du nom Chrestien.
A cette humiliation & à nos
supplications nous auons iugé
conuenable ce que nous
auons leu du
Ps. 130. là où le
Prophete dans les afflictions
de l'Israël de Dieu espand son
ame deuant le Seigneur par
des mouuemens d'vne profonde
tristesse & repentance,
voyant que leurs pechez
auoient allumé à l'encontre
d'eux le courroux de Dieu ;
Là où aussi il se releue par vne
sainte confiance & vn ardant
recours à la bonté de Dieu &
aux promesses de sa grace enuers
les pecheurs repentans :
qui seront les deux poincts
que nous aurons pour matiere
de nostre propos, moyennant
l'assistance de Dieu :
A sçauoir, 1. l'humiliation,
par laquelle le Prophete crie
à Dieu des lieux profonds.
2. Le recours à Dieu par esperance
en sa misericorde, &
par resolution d'amendemẽt.
Vueille le Pere celeste, deuant
la Majesté duquel nous
sommes humiliez, disposer
par son esprit nos cœurs à luy
presenter les sacrifices d'vn
cœur froissé : afin que comme
il a promis de faire grace aux
humbles & viuifier les cœurs
froissez qui recourent à sa
bonté, il nous donne de
nous presenter au throne de
sa grace, pour y trouuer grace
& misericorde, afin d'estre
aydez en temps opportun.
Premier Poinct.
NOvs ne nous arresterons
pas à rechercher
quelle a esté l'occasion particuliere
de ce Pseaume, ny qui
en a esté l'autheur, puisque
ni l'vn ni l'autre n'est declaré.
Il nous suffit que l'autheur a
esté vn S. Prophete de Dieu,
& qu'il semble l'auoir composé
pendant que le peuple
estoit dans la captiuité de Babylone,
comme dans vn gouffre
de maux. Partant le Prophete
disant qu'il crie à Dieu
des lieux profonds, nous considerons
deux choses en general
par les lieux profonds : La
profondeur des maux, & celle
du ressentiment qu'on en a.
Celle des maux, cõme
Zach.
9. la captiuité du peuple en
Babylone est representée par
vne fosse sans eau, dãs laquelle
le peuple eust esté deualé :
aussi Ieremie en ses lamentations
pendãt cette captiuité,
disoit au nom de l'Eglise d'Israël
ch. 3. Seigneur i'inuoque
ton nom d'vne des plus basses fosses :
façon de parler qui venoit
de ce que jadis on deualoit
les prisonniers en des fosses ;
Mesmes l'Escriture employe
la comparaison des abysmes,
ou de la profondeur des sepulchres,
pour exprimer la
grandeur des afflictions ou
des dangers : Celle des abysmes,
comme
Ps. 71. ô Dieu, qui
est semblable à toy, qui m'as fait
voir plusieurs destresses & maux,
& derechef tu m'as rendu la vie,
& m'as fait remonter hors des
abysmes de la terre ? Celle des
sepulchres, comme
Ps. 88. ma vie est paruenuë iusques au
sepulchre, tu m'as mis en vne
fosse des plus basses, ez lieux tenebreux,
ez lieux profonds, ta
fureur s'est jettée sur moy, & tu
m'as accablé de tous tes flots. Et
l'Escriture nous donne deux
tableaux de cette dispensation
& conduite de Dieu : l'vn
est le peuple d'Israël passant
par les profondeurs & les
gouffres de la mer rouge, entre
des montagnes d'eau esleuées
de deux costez : selon
qu'il est dit
Ps. 106. Il assecha
la mer rouge, & les conduisit par
les abysmes. L'autre est Ionas
jetté en la mer & englouti
d'vne Baleine, selon que luy-
mesme dit,
Tu m'as jetté au profond,
au cœur de la mer, & le courant
m'a enuironné, tous les flots
& les vagues ont paßé sur moy,
l'abysme m'a enclos tout à l'entour,
ie suis descendu iusques aux
racines des montagnes. Or cette
profondeur de miseres est
dispensée de Dieu pour diuerses
raisons : Il veut par la
grandeur de nos maux nous
faire sentir la grandeur de nos
offenses & de son courroux,
afin que nous soyons d'autant
plus touchez de repentance.
2. Il veut exercer nostre
foy & la mettre à l'espreuue
par le defaut de tous moyens
de deliurance. 3. Il veut par
la grandeur des maux faire
voir la grandeur de sa puissance
& de sa bonté, en deliurant
ses enfans. Il nous faut
donc considerer les profondes
miseres dans lesquelles
nos pechez meritẽt que nous
soyons jettez, & lors mesmes
que Dieu nous fait subsister,
les considerer comme presentes,
puis que nous sommes
dignes d'y tomber. Ces profondes
miseres sont descrites
par
S. Paul Rom. 8. oppression,
angoisse, persequution,
famine, nudité, perils, espée.
Et si nous voulons nous bien
humilier, nous passerons encor
plus outre que les afflictions
temporelles, & regarderons
la profondeur des Enfers,
où nostre corruption naturelle
nous auoit mis : puis
que (comme dit l'Apostre
Ephes. 2.) nous sommes
de
nature enfans d'ire . Et certes
Iesus Christ (ainsi que le dit
l'Apostre
Gal. 3.) ayant esté
fait maledictiõ pour nous : &
la parole de foy, disant, Ne di
plus,
qui descendra en l'abysme ? cela est rappeller Iesus-Christ
des morts, nous sommes bien
obligez de considerer ce gouffre
comme y estans de nostre
nature, & crier à Dieu de ces
lieux profonds. Mesmes les
pechez que nous commettons
tous les iours, si vous
considerez ce qu'ils meritent
selon la rigueur de la iustice
de Dieu, nous mettent là dedans,
puisque Dieu dit en la
loy,
maudit est quiconque n'est
permanent en toutes les choses de
cette loy. Il y a encor vne profondeur
du fonds de laquelle
il nous faut crier à Dieu : à
sçauoir celle de la malice naturelle
de nostre cœur. Car la
chair est vn gouffre d'inimitié
cõtre Dieu, veu qu'elle n'est
point sujette à la loy de Dieu,
& mesme ne le peut, dit l'Apostre
Rom. 8. & le Seigneur
en parlant
Ierem. ch. 17. dit,
le cœur de l'homme est cauteleux
& desesperement malin par dessus
toutes choses, qui le cognoistra ?
Ie suis l'Eternel qui sonde
le cœur & esprouue les reins. Car
ce mot de sonder est relatif à
vne profondeur, & le Seigneur
la dit estre telle qu'il
n'y a que luy qui en puisse cognoistre
le fonds ; Aussi quãd
Iean Baptiste recommande la
repentance, il veut que les
costaux soiẽt abbaissez & que
les vallées soient comblées,
à sçauoir les costaux d'orgueil,
de fierté & de rebellion
contre Dieu : & les vallées de
malice, de fraude & d'hypocrisie.
Et ne recõnoissez vous
pas, mes Freres, que la corruption
de la chair est vn gouffre
inépuisable de vices &
pechez, puis qu'apres que
vous aurez tasché de l'espuiser
par repentance, vous y
sentirez encore sourdre des
nouuelles pensées & inclinations
à mal ? Ces choses ainsi
considerées, iugez si esleuans
nos yeux au Ciel & voyans la
distance & separation immense
que nos pechez ont
fait entre Dieu & nous, nous
ne sõmes pas obligez de crier
à Dieu de lieux profonds ?
Car nos maux estans profonds,
telle aussi doit estre
nostre tristesse & humiliation :
non legere & superficielle ;
mais qui occupe toutes les dimensions
du cœur. Aussi jadis
en Israël pour tesmoigner
la grandeur de la tristesse on
se iettoit en terre & se couchoit
sur la poudre & sur la
cendre : pour dire qu'on n'auoit
comme plus de vie & de
vigueur : ou plustost pour dire
qu'on meritoit d'estre reduit
en poudre & cendre. Aussi on
deschiroit ses vestemens, on
se couuroit de sacs : pour
monstrer qu'on ne pouuoit
prendre plaisir en aucun ornement,
& qu'on meritoit d'estre
despoüillé de tous biens.
Et mesmes ce qu'on jeusnoit
& s'abstenoit de viande
& de breuuage, monstroit
qu'on se jugeoit indigne de viure,
& qu'on estoit tellement
affligé, qu'on ne prenoit plus de
plaisir és choses de la chair,
& n'y auoit point d'esgard.
Ailleurs l'Escriture represente
la profondeur de la tristesse
en parlant d'espandre son
ame deuant Dieu comme de
l'eau, de rompre son cœur, &
briser son esprit, comme si nostre
ame n'auoit plus de force
& de subsistence en nous pour
la grandeur de la douleur.
Que si vous demandez pourquoy
Dieu prend plaisir en
vne si profonde tristesse ? Il y a
de cela trois raisons ; L'vne,
que le peché est vn acte d'amour
de nous mesmes, & vne
production du contentement
& plaisir que nous
prenons en la chair ; secondement
que le peché est vn
acte de force & de rebellion
contre Dieu. Il faut donc à
l'opposite du plaisir que nous
y auons pris, la tristesse & la
douleur, à ce que toute la douceur
du peché nous soit deuenuë
aluine & fiel, & à l'opposite
de la vigeur qu'il auoit
contre Dieu, il faut vn aneantissement,
à ce qu'il n'ait plus
de force dedans nous. L'autre
raison est, que Dieu estant
vne Maiesté souueranne, c'est
de son droict d'estre souuerainement
exalté, & du deuoir
de la creature d'estre dans vne
profonde humilité à son esgard :
c'est pourquoy il ne se
peut qu'il ne se plaise en l'humilité
par laquelle la creature
s'abbaisse en sa presence, &
recognoisse son neant deuant
luy. Car, si mesmes les Anges
& Seraphins qui sont exempts
de peché couurent leurs
faces en sa presence, par le
sentiment de la bassesse &
chetiueté de leur estre à l'esgard
du sien, & de la souueraine
saincteté à laquelle la
leur est infiniment inferieure :
combien plus la creature
qui à peché & qui tombe
tous les iours en faute, doit
elle estre humiliée deuant luy,
& combien doit elle auoir de
tristesse & de confusion en sa
presẽce ? Et c'est en quoy dieu
prend plaisir, entant que par
cela la creature se remet &
restablit dans l'ordre & le deuoir
duquel elle s'estoit departie
par negligẽce ou fierté.
Aussi pour expier le peché
il a falu vne humiliation extreme,
pource que le peché
auoit esté vn acte de rebellion
& de mespris contre vne
Majesté souuerainemẽt esleuée.
La nature donc de la
chose requeroit que la satisfaction
consistast en vn extreme
abbaissement : Et que le
propre Fils de Dieu, duquel
la grandeur & hautesse naturelle
rendoit son abbaissement
d'autant plus grand,
prist forme de seruiteur &
s'aneantist, se rendant obeïssant
iusques à la mort, voire
la mort de la Croix.
La troisiesme raison est,
qu'vne grieue & profonde
tristesse pour le peché, est
celle qui produit des bons
effets d'amendement & de
renoncement à nous-mesmes.
C'est elle qui nous donne la crainte de retomber au
peché & le soin d'en éuiter
les occasions, & laquelle
nous fait comme prendre vne
saincte vengeance contre
nous-mesmes, pour nous sevrer
de nos plaisirs, & reduire
nostre corps en seruitude ;
selon que l'Apostre disoit,
2.
Cor. 7. Ce que vous auez esté
contristez selon Dieu, quel soin
a-il produit en vous ? voire quelle
satisfaction ? voire indignation,
voire crainte, voire grand
desir, voire zele, voire vengeance ? Au lieu qu'vne tristesse
legere & superficielle,
estant bien-tost éuanoüie de
l'esprit, nous laisse bien-tost
retourner à nos fautes & retomber
en nos pechez.
Or la profonde tristesse que
nous requerons ne demeure
pas absoluëment dans l'aneantissement
(cela seroit
vne tristesse selon le monde)
mais elle regarde à Dieu &
esleue l'ame à luy, selon que
nostre Prophete dit, Eternel,
ie t'inuoque des lieux profonds,
Seigneur escoute ma voix, que
tes aureilles soient attentiues à
la voix de mes supplications.
Le peché nous ayant separez
de Dieu, & nous ayant plongez
comme dans l'abysme, il
faut que la repentance & tristesse
selon Dieu fasse des
efforts pour nous esleuer à
Dieu. Celle qui est selon le
monde ne regarde que l'abysme
où elle est, & s'y plonge
par desespoir : car elle n'a
point de foy pour s'esleuer à
Dieu. Ainsi Caïn ayant peché
ne regarde que la grandeur
de la peine, & y termine
sa repentance, disant ma punition
est plus grande que ie ne
puis porter. Et Iudas dans la
profondeur de son anxieté,
s'alla precipiter. Mais le fidele
prend courage de regarder
à son Dieu & l'inuoquer,
par la cognoissance & persuasion
qu'il a de sa bonté : outre
qu'il sẽt parmy sa tristesse des
émotions d'amour enuers
Dieu, & que le déplaisir qu'il
a de l'auoir offencé est joint
au desir de se conuertir à luy,
& à l'esperance & dessein de
s'amender. Partant le Prophete
dit icy, Seigneur ie t'inuoque
des lieux profonds, que
ton aureille soit attentiue à mes
supplications.
Il parle d'inuocation & de
supplications, & neantmoins
nous ne trouuons en ce
Pseaume aucune demande
expresse, mais seulement vne
recognoissance de ses pechés,
& vn recit que le Prophete
fait de son attente & esperance
en Dieu. C'est que la
priere se prend en general
pour toute la communication
de l'ame auec Dieu, &
pour le discours par lequel
elle s'addresse à luy, ne deust-
elle que presence
& luy confesser ses offences,
ou que reciter ce qu'elle conçoit
des vertus de Dieu à sa
loüange & gloire. Secondement,
c'est que tout cela contient
implicitement des demandes
& des prieres. Si
nous confessons nos pechez
à Dieu, c'est que nous luy en
demandons pardon : & si nous
recitons sa puissance, sa bonté,
& la verité de ses promesses,
c'est que nous luy en
demandons l'effet à nostre
deliurance & consolation.
Car l'homme, pendant qu'il
est icy bas, est tousiours pauure
& disetteux, & tousiours
en quelque danger ou en
quelque misere, c'est pourquoy
tout ce qu'il represente
à Dieu tend tousiours à luy
demander.
Or remarquez l'ardeur &
vehemence dont le Prophete
s'esleue à Dieu, quand il parle
de cri, de voix, & de supplications,
& quand il demande
à Dieu qu'il escoute , & que ses
aureilles soient attentiues. Cette
varieté de termes monstrãt
la grandeur de son émotion.
Aussi, certes, la profondeur
dont le Prophete a parlé requiert
cela. Car il faut de la
force & de la vehemẽce pour
se faire oüir du dedans d'vne
grande profondeur : Il ne faut
pas vne voix basse, mais des
cris. Comme Ionas exprime
par des cris, l'ardeur de sa
priere dans le ventre du poisson :
car ils ne consistoient
point en des paroles qu'il
proferast, mais en des vehementes
conceptions de son
ame. I'ay, dit il, crié à l'Eternel,
à cause de ma detresse, & il
m'a exaucé : Ie me suis escrié du
ventre du sepulchre, & tu as oüy
ma voix. Dieu prend plaisir
en cette ardeur, il veut qu'on
bataille & qu'on luitte contre
luy pour le vaincre par l'effort
de nos prieres ; Il veut
que son Royaume soit forcé,
& que les violens le rauissent,
& la priere du juste faite auec
vehemence (dit S. Iacques)
est de grande efficace. Adjoustez
à cela, que nos ames ont
vne pesanteur terrestre qui
les empesche de s'esleuer à
Dieu : semblables aux mains
de Moyse qu'il auoit peine de
tenir esleuées à Dieu : Il nous
faut donc combattre cette
pesanteur, & faire des efforts
pour de la terre nous esleuer
vers le Ciel, & dire auec Dauid,
Ps. 25. Eternel i'esleue mon
ame à toy. Et comme les gruës,
Austruches & Cigognes &
semblables oyseaux sentans
la pesanteur de leurs corps,
battent des aisles afin de s'esmouuoir
& prendre leur vol
en haut par ce battement ;
Ainsi il faut que le fidele par
diuers efforts de son ame, les
vns sur les autres, s'esleue en
haut à son Dieu. Hommes qui
vous portez auec tant d'ardeur
au peché, donnez à vostre
repentance des pareils
mouuemens : ne soyez point
lasches & lents à vous esleuer
à Dieu & vous conuertir à
luy ; cõme vous n'auez point
esté lents à l'offencer & transgresser
ses commandemens :
surmontez par vostre zele ce
que vous auez eu d'ardeur &
de vehemence pour le peché
& pour les choses de la chair.
Mais comme le Prophete
demande à Dieu qu'il escoute
sa voix, & ait ses aureilles
attentiues à ses supplicatiõs :
Voicy vne objection & comme
vne réponce ou repartie
que son esprit se fait de la part
de Dieu ; Tu veux que i'escoute
ta voix, & tu n'as point
la mienne : tu veux que mes
aureilles soient attentiues à
tes supplications, & les tiennes
ont esté sourdes à mes
commandemens, & à mes exhortations ;
Tu as escouté la
voix du monde, & de ses conuoitises :
tu as dõné ton cœur
aux choses de la chair & de sa
corruption ; tu n'as donc rien
à attendre de moy. Sur cette
objection que la conscience
du Prophete luy faisoit interieurement,
que replique-t'il ?
denie-il son peché, ou le couure,
& l'extenuë-il comme
Adam ? Non. Il passe condamnation,
& dit, Eternel si
tu prens garde aux iniquitez,
Seigneur qui est-ce qui subsistera ?
Le moyen, mes Freres,
de nous bien excuser deuant
Dieu est de nous accuser, &
le moyen de nous justifier est
de nous condamner & d'aduoüer
la grandeur & le grand
nombre de nos pechez. C'est
ce que le Prophete Dauid
pratique,
Ps. 143. quand il dit,
Seigneur n'entre point en Iugement
auec ton seruiteur : Car
nul viuant ne sera justifié en ta
presence. Et
Ps. 51. ie recognois
mes transgreßions, & mon peché
est continuellement deuant moy,
j'ay peché contre toy, & fait ce
qui est desplaisant deuant tes
yeux, de sorte que tu seras trouué
juste quand tu me condamneras,
& pur quand tu me iugeras. Et
Ps. 25. n'aye point souuenance de
mes pechez ny de mes transgressions :
Mais pour l'amour de ton
nom pardonne moy mon iniquité,
encor qu'elle soit grande.
Dauid, mes Freres, auoit experimenté
autrefois combien
luy auoit esté prejudiciable
sa fraude à couurir extenuer
& desguiser son peché ;
Il auoit senti que la main de
l'Eternel s'estoit appesantie
sur luy & sa vigueur s'estoit
changée en secheresse d'esté,
pendant qu'il s'estoit teu d'vn
silence d'impenitence & d'assopissement.
Aussi alors il
fut contraint de proceder
tout autrement & de dire,
Ps. 32.
Ie feray confeßion de mes pechez
à l'Eternel : Et alors Dieu osta
la peine de son peché : dont
en suite il dit aux pecheurs,
qu'il leur donnera intelligence
& leur monstrera le chemin
par lequel ils doiuent
cheminer, afin qu'en vn deluge
de grandes eaux, elles
ne paruiennent pas iusqu'à
eux : à sçauoir qu'ils ne soient
pas comme le cheual & le
mulet, qui sont sans intelligence,
enuers lesquels on
employe le frein & le mords
pour les dompter : que maux
sans nombre aduiendront au
meschãt, c'est à Dire à l'homme
qui s'endurcit contre
Dieu : mais que gratuité enuironnera
celuy qui recourt
à Dieu, & qui se conuertit à
luy.
Icy donc nostre Prophete
met deuant ses yeux ses pechez.
Il ne s'arreste pas aux afflictions
temporelles, dans lesquelles
il se trouuoit, mais il
regarde aux offences faites à
Dieu comme aux causes de
tous maux : pratiquant ce que
disoit Ieremie en ses lamentations,
Recherchons nos voyes
& les sondons, & montons iusques
à l'Eternel, disan, nous
auons peché, nous auons commis
iniquité : C'est là, mes Freres,
c'est là le vray gemissement ;
non celuy que la nature extorque
du sentiment des
peines : mais que la conscience
tire du sentiment des iniquitez
& des égards que nous
auons à Dieu, lequel nous
auons offencé. Si tu t'affliges
de tes incommoditez, c'est
toy que tu aymes, & non le
Seigneur ; c'est à ta chair & à
ses interests que tu regardes,
& non à la loy de ton Dieu,
n'atten pas doncques que ces
gemissemens obtiennent rien
de Dieu. Car quand Dieu te
deliureroit en cét estat là de
ton ame, tu demeurerois en
tes vices & en tes soüillures :
Or Dieu veut que tu te conuertisses
à luy & que tu sois
participant de sa saincteté ;
Partant icy remarquons l'vsage
des afflictions selon la
sage dispensation de nostre
Pere celeste. Pendant la prosperité
vn assopissement saisit
facilement nos consciences
pour ne point considerer
nos pechez & nos manquemens,
mais l'affliction nous
reueille & nous fait connoistre
que nous auons offencé
le Seigneur : alors les pechez
que nous mettions comme
derriere nostre dos pour ne
les pas voir, viennent deuant
nos yeux. Tandis que les enfans
de Iacob ne souffrent
aucun mal, ils ne pensent
point à l'offense commise
contre leur frere, lequel ils
auoient jetté en vne fosse &
en suite vendu pour esclaue,
mais ils se voyent garrotez
en Ægypte, ils disent,
Vrayement nous sommes coulpables
Genes. 42.
touchant nostre frere : car
nous auons veu l'angoisse de son
ame quand il nous demandoit
grace, & ne l'auons point exaucé,
au moyen dequoy cette angoisse
nous est aduenue. Tandis
qu'Israël est en prosperité, il
ne pense point à Dieu : Mais
quand les maux sont presens,
alors Ierusalem dit, L'Eternel
est juste, car ie me suis rebellée
contre luy. En cela nous sommes
semblables aux criminels,
desquels les Iuges de la
terre sans les gehennes & les
tortures ne tireroient aucune
confession de leurs crimes.
Ionas ayant desobey à Dieu,
attend à recognoistre son peché
iusques à ce qu'il soit
dans le ventre du poisson : &
en ce Pseaume nous voyons
que c'est quand le Prophete,
ou le peuple d'Israël, est dans
les lieux profonds, qu'il dit
Eternel si tu prens garde
aux iniquités, &c.
Il ne dit pas simplement,
si tu prens garde aux
pechez,
mais aux
iniquitez. Or iniquité,
emporte vne action
peruerse & malicieuse, pour
vous monstrer que la vraye
repentance pese la grieueté
des offenses, & les qualifie de
tiltres les plus odieux. Ainsi
Dauid
Ps. 32. les appelle
pechez,
transgreßions,
iniquitez :
&
Ps. 51. forfaits, & les
considere comme des noirceurs
en son ame, dont il a
besoin d'estre laué tãt & plus,
& comme vne lepre vilaine,
en disant
purge moy auec hyssope ,
car l'hyssope estoit selon la
loy employé en la purification
du lepreux. Et quant
au nombre, il parle en pluriel
d'iniquitez : Aussi Esdras en sa
confession dit,
Nos iniquitez
sont multipliées pardessus la
teste, & nostre coulpe est accreuë
iusqu'aux Cieux. En somme
icy le Prophete, & pour le
grand nombre & pour la grãdeur
des pechez d'Israël, dit,
Si tu prens garde aux iniquitez
qui est-ce qui subsistera.
Le mot qu'il employe en
sa langue signifie
garder ; &
par fois
obseruer &
prendre
garde : Si vous le prenez en la
signification de garder, ce sera
à dire, si tu gardes & retiens
nos pechez pardeuers toy
sans nous les quitter & pardonner :
pour nous apprendre
que si Dieu nous laisse
pour quelque temps sans
nous punir, il a & reserue nos
pechez pardeuers soy, pour
nous punir en certain temps :
comme il est dit
Iob 21. que
Dieu gardera la violence du
meschant à ses enfans : &
ch.
14. mes forfaits sont cachetez
comme en vne bougette, & tu as
cousu ensemble mes iniquitez :
c'est à dire, tu les as jointes
& amassées toutes afin qu'aucune
ne s'en perdist, mais que
ie portasse la peine de toutes
en ce temps icy. Pecheurs
qui pensez que Dieu ait mis
en oubly nos pechez, pource
que vous n'en souffrez point
la peine, souuenez-vous que
Dieu les garde pour vous en
punir en son temps. Que si
vous prenez le mot pour
prendre garde & obseruer ainsi
que nostre version l'a traduit,
c'est pour nous apprendre
que Dieu en qualité
de Iuge de l'Vnivers obserue
& examine les actions des
hommes pour leur en faire
rendre compte, & leur en
faire porter la peine. Car il
ne s'agit pas icy d'vne simple
cognoissance de Dieu, par
laquelle toutes choses sont
nuës & descouuertes deuant
ses yeux, & par laquelle il voit
iusques dans les secrets & les
plus cachées pensées du
cœur : selon que le Prophete
dit
Ps. 139. Eternel tu m'as sondé
& cognu, tu cognois quand ie
m'aßieds & quand ie me leue,
tu apperçois de loin ma pensée,
& deuant que la parole soit sur
la langue tu cognois desia le tout.
Si i'ay dit, au moins les tenebres
me couuriront, voilà la nuict
seruira de lumiere à l'entour de
moy. Mais il s'agit d'vne obseruation
& d'vn examen que
Dieu fait des actions des
hommes comme Iuge pour
rendre à vn chacun selon
qu'elles sont, de laquelle il
est dit
Ps. 11. l'Eternel est au
palais de sa saincteté, l'Eternel
a son throsne ez Cieux, & ses
yeux contemplent & ses paupieres
sondent les fils des hommes,
l'Eternel sonde le juste & le méchant,
& son ame haït celuy qui
ayme extorsion. Il fera pleuuoir
sur les meschans des laqs, feu &
souffre & vent de tempeste sera
la portion de leur breuuage, car
l'Eternel juste ayme justice, sa
face regarde le droicturier.
C'est la cognoissance que
Dieu prit quãd il dit à Adam
qui se cacheoit entre les arbres
du jardin apres son peché,
Adam où es tu ? n'as tu pas
mangé de l'arbre dont ie t'auois
deffendu de manger ? Et quand
il dit à Caïn,
où est Abel ton
frere, qu'as tu fait ? la voix du
sang de ton frere crie de la terre
vers moy. Il l'aprend de toute
la terre en gros quand il est
dit
Gen. 6. l'Eternel vit la malice
des hommes estre tres-grande
sur la terre, & dit, ie racleray
de dessus la terre les hommes que
j'ay creez. Il prend aussi cette
cognoissance des actions
de son Eglise en particulier,
selon que Moyse dit en son
Cantique,
Tu as mis deuant toy
nos iniquitez, & deuant la clarté
de ta face nos fautes cachees.
Et le Prophete
Ps. 50. Nostre
Dieu viendra & ne se tiẽdra plus
coy : Il y aura deuant luy vn feu
deuorant, & à l'entour de luy vne
forte tẽpeste, il apellera les Cieux
d'en haut & la terre pour juger
son peuple. Et là parce que son
peuple pẽsoit estre bien à couuert
de l'ire de Dieu, pour la
multitude de ses sacrifices, &
pour la profession exterieure
de son alliance, Dieu leur reproche
leurs larcins, leurs
adulteres, leurs desloyautez,
& leurs medisances & calomnies,
& dit qu'as tu que faire de
reciter mes statuts, & de prendre
mon alliance en ta bouche,
veu que tu hais correction, & as
jetté mes paroles derriere toy ?
si tu vois vn larron, tu cours
auec luy : ta portion est auec les
adulteres : tu lasches ta bouche
à mal, & par ta langue tu brasses
fraude : tu te sieds & parles contre
ton frere, & mets blasme sur
le fils de ta mere : tu as fait ces
choses, & pource que ie m'en suis
teu tu as estimé que veritablement
ie fusse comme toy. Ie t'en
redargueray, & deduiray le tout
par ordre en ta presence. En
somme, Dieu fait cét examen
& cette obseruation des
actes de chaque fidele en particulier,
veu que vous voyez
le Seigneur disant à Dauid
touchant sa mauuaise action
tu l'as fait en cachete, mais (dit-
il, touchant la punition) moy
ie feray cette chose icy à descouuert,
en la presence du Soleil, &
en la presence de tout Israël.
Or Dieu se seant en son tribunal
pour juger, y examine
nos actions en deux façons, à
sçauoir ou selon la rigueur de
la loy, & en son ire ; ou selon
sa grace & misericorde. Selon
la rigueur de la loy (qui
est le droict de la souueraine
justice de Dieu ; en laquelle
il examine l'homme tel qu'il
est en soy) nul homme ne
peut subsister deuant luy,
puisque nul n'est exempt de
peché, & que la loy prononce
absoluëmẽt malediction contre
le pecheur : qui est-ce que
l'Apostre pose
Gal. 3. tous
[ ceux ]
ceux qui sont des œuures de la
loy (c'est à dire qui veulent
estre jugez par la loy selon
qu'ils l'auront accomplie par
leurs œuures) sont sous malediction :
car il est escrit, maudit
est quiconque n'est permanent
en toutes les choses qui sont escrites
au liure de la Loy pour les
faire ; C'est le fondement
qu'il pose
Rom. 3. disant,
ce que la loy dit, elle le dit à ceux
qui sont sous la loy, afin que toute
bouche soit fermée & que tout
le monde soit coulpable deuant
Dieu : par-quoy nulle chair ne
sera iustifiée deuant Dieu par les
œuures de la loy : Car par la loy
est donnée cognoissance du peché.
Or remarquez ces mots,
qui est-ce qui subsistera ? Car ils
ont quelque chose de plus
expres que si le Prophete eust
dit simplement, nul ne pourra
subsister : veu qu'ils deffient
tout particulier, quel qu'il
puisse estre, de quelque qualité
& condition qu'on le puisse
conceuoir, afin de leuer
toute exception d'homme
viuant ; Et considerez que
demandant & interrogeant
de la sorte, il oblige vn chacun
à entrer en l'examen de sa
conscience, & voir en quel
estat elle est enuers Dieu, &
comment elle pourra subsister
deuant luy, afin de pouuoir
vn chacun répondre à
l'interrogation que le Prophete
nous fait.
Enseignement notable,
d'autant que nous viuons
sans examiner nostre conscience,
& sans faire reflectiõ
de nos actions à nostre comparution
deuant le tribunal
de Dieu. A raison dequoy Salomon
Ecles. 12. dit,
Toy qui
chemines selon que ton cœur
te meine, & selon le desir de tes
yeux, sçaches que pour ces choses
Dieu t'amenera en iugement .
Voy donc, ô fidele, quel
est ton cœur enuers Dieu, &
quel a esté tout le cours de ta
vie. Voy l'vne & l'autre table
de la loy. En la premiere, si tu
n'as point manqué és deuoirs
de pieté, si tu ne t'es point
defié de la grace de Dieu & de
ses promesses, ou plustost
combien tu as peché par incredulité,
combien tu as meslé
l'amour du monde parmy
celuy que tu deuois à Dieu, &
combien tu as mis les craintes
des hommes au dessus de
celle de Dieu. Et icy tu verras
combien tu es loin d'auoir
aimé Dieu de tout ton cœur,
de tout ton entendement &
de toute sa force. Et en la seconde
table, examine combien
souuent il y a eu en ton
cœur de la haine, que l'Escriture
dit estre vn meurtre deuant
Dieu : en tes mœurs &
en tes actions combien d'auarice
& d'injustice, en tes paroles
combien de mensonge,
& en tes pensées & affections
combien de déreglement.
Voy combien tu as defailly à
l'assistance que tu deuois au
pauure, & as esté infidele dispensateur
des biens que Dieu
t'auoit commis, ce qui est vn
larcin deuãt luy. Voy si ta pureté
a esté telle que mesmes
tu ayes eu en haine la robbe
soüillée de la chair. Et pour
recognoistre combien sous
l'Euangile nous sommes éloignez
de la perfection, & dire
auec l'Apostre
Philip. 3. Ie
ne me repute point estre déjà accomply,
Considerons 3. choses :
L'vne, le grand salut qui nous
a esté mis deuant les yeux, &
l'excellence du Royaume des
Cieux qui nous a esté presentée
par l'Euangile, infiniement
au dessus de tout ce
que ce monde peut auoir de
plaisirs, de richesses & de
gloire : afin que nous reconnoissions
combien nous sommes
coulpables de l'auoir negligée,
ayans tant arresté nostre
cœur à ce monde & à ses
biens perissables. La seconde
est l'estat de Iesus-Christ nostre
chef, mort & crucifié au
monde & ressuscité en nouueauté
de vie : puisque nous
deuions estre faits vne mesme
plante auec luy à la conformité
de sa mort & de sa resurrection.
Or ie demande si le
peché a esté mortifié dedans
nous pour n'y auoir plus de
vigueur, & si nostre vie a esté
toute nouuelle, toute sainte,
juste, spirituelle ? Ains combien
est-ce que nous laissons
au peché de vie & de vigueur,
& que nous auons
peu de vie pour les choses du
Ciel ?
La troisiesme est l'exemple
de la charité de Iesus-Christ.
Car il nous obligeoit d'aimer
nos prochains & ses membres,
comme il nous a aimez.
Or il n'a pas refusé pour eux
son propre corps & son propre
sang : combien donc sommes
nous esloignez de ce que
nous leur deuions, leur ayans
souuent refusé quelque peu
de nos biens & de nostre labeur ?
Icy donc nous dirons
auec Dauid
Ps. 19. qui est celuy
qui cognoist ses fautes commises
par erreur ? purge moy des fautes
cachées, & des fautes commises
par fierté. Or ces termes
qui
est-ce qui subsistera ? defians
tout homme quel qu'il soit,
refutent fortement nos Aduersaires,
quand, selon le Concile
de Trente, ils enseignent
que les hommes fideles en
l'estat de grace & de regeneration
paruiennent si auant
qu'ils satisfont pleinement à
la loy de Dieu, selon l'estat de
cette vie, & meritent vrayement
la vie eternelle : Car cela
est vne
condradiction euidente
à nostre texte : Et ne
leur sert de dire qu'ils attribuent
ce pouuoir de subsister
deuant le tribunal de Dieu à
l'homme en l'estat de grace
& de regeneration par le S.
Esprit, & non à l'homme en
l'estat naturel de sa corruption :
veu qu'en nostre texte
c'est le Prophete qui parle de
soy & de l'Eglise de son tẽps,
criant à Dieu des lieux profonds,
pour l'affliction en laquelle
Dieu les auoit mis, recourant
au pardon de Dieu,
parce que si Dieu prenoit garde
aux iniquitez, ils ne pourroiẽt
subsister. A quoy se rapporte
que Dauid parlant de
soy, dit
Ps. 143. Seigneur n'entre
point en iugement auec ton
seruiteur, car nul viuant ne sera
justifié en ta presence , là où ces
mots,
auec ton seruiteur , designent
son estat en la grace :
aussi au
Ps. 32. là où selon que
l'explique S. Paul, il declare
la beatitude de l'homme à
qui Dieu impute justice sans
œuures, il parla de soy-mesme,
disant,
I'ay dit, ie feray
confeßion de mes pechez à l'Eternel,
& il a osté la peine de mone
peché. Et sous le nouueau
Testament, S. Iean tient de
soy & des autres fideles vn
propos de mesme substance
que celuy de nostre texte,
quand il dit,
Si nous disons que
nous n'auons point de peché, nous
nous seduisons nous-mesmes &
1. Ieh. ch. 1
verité n'est point en nous : si
nous confessons nos pechez,
Dieu est fidele & iuste pour
nous pardonner nos pechez,
& nous nettoyer de toute iniquité.
Second Poinct.
POurtant aussi nostre
Prophete recourt au
throne de grace, disant, Il y
a pardon par deuers toy afin que
tu sois craint. En quoy il y a
deux choses requises conjointement
& inseparablement
en la vraye repentance, le recours
au pardon, & le dessein
d'amendement & de sanctification :
le Prophete demandant
à Dieu pardõ, non pour
demeurer en ses pechez & offences,
mais pour craindre
Dieu, & le seruir.
Il y a pardon deuers toy.
La misericorde diuine à pardonner
aux pecheurs repentans,
est vne proprieté qui resulte
de sa nature toute bonne
& toute encline à bien faire
à sa creature : laquelle proprieté
a esté manifestée depuis
que l'homme eût peché,
par le support duquel Dieu a
vsé enuers luy, & par les richesses
de sa benignité, de sa
Rom. ch. 2.
patience & longue attente,
par lesquelles il inuite les
hommes à repentance. C'est
pourquoy les nations mesmes
que Dieu n'auoit pas esclairées
de sa cognoissance, ont
fait profession d'implorer la
misericorde & le pardon de la
Diuinité. Mais l'alliance de
grace, qui auoit esté traictée
auec Abrahã en Iesus-Christ,
reueloit à plein, & promettoit
expressement misericorde
& grace aux pecheurs repentans.
Là Dieu témoigne
auec serment qu'il ne veut
point la mort du pecheur,
Ezech. 33.
mais qu'il se conuertisse &
qu'il viue : là il declare qu'il a
pour sacrifices agreables le
cœur froissé & brisé ; & que
Ps. 51.
quand les pechez seroient
Es. 1.
rouges comme cramoisi ils
seront blanchis comme la
neige, moyẽnant qu'on cesse
de mal faire, & apprenne à
biẽ faire. Là il declare qu'autant
Ps. 103.
que les Cieux sont esleuez
par dessus la terre, autant
est grande sa bonté sur ceux
qui le reuerent, qu'il a esloigné
d'eux leurs forfaits, autãt
que l'Orient est esloigné de
l'Occident ; que de telle compassion
qu'vn Pere est esmeu
enuers ses enfans, de telle
compassion est esmeu l'Eternel
enuers ceux qui le craignent.
C'est donc là dessus
que le Prophete se fõde maintenant,
quand il dit, Il y a
pardon pardeuers toy, aussi adjouste-
il qu'il y a gratuité par-
deuers l'Eternel, & redemption
en abondance, & qu'il racheptera
Israël de toutes iniquitez.
Termes, par lesquels l'Esprit
de Dieu a regardé la redemption
que le Christ obtiendroit
à son peuple sous le
nouueau Testament, & de laquelle
la grandeur immense
nous est reuelée en l'Euangile,
là où nous voyons que
Dieu par ses compassions a
donné son fils à ce que par sa
mort il expiast les pechez du
monde. C'est icy où nous
voyons qu'il y a grace en
abondance, & misericorde
immense pardeuers luy. C'est
icy où il a fait voir des richesses
de grace & de charité,
voire a fait voir qu'il est tout
charité, selon que dit S. Iean :
En cela est manifestée la charité
de Dieu enuers nous, non point
que nous ayons aymé Dieu, mais
que luy nous a aymez & a donné
son fils, pour estre propitiation
pour nos pechez. C'est ce fondement
que l'Apostre prend
lors qu'il se iuge le premier
1. Tim. 1. v.
15.
des pecheurs, disant,
Cette
parole est certaine que Iesus-
Christ est venu au monde pour
Rom. 5.
sauuer les pecheurs, desquels ie
suis le premier. Car là où le
peché a abondé, la grace a
abondé par dessus. Par ce
moyen donc celuy qui ne
pouuoit subsister deuãt Dieu,
trouue vne subsistance ferme
& asseurée au sang de Iesus-
Christ, puisque nous auons
redemption en son sang : à
sçauoir, remission des pechez
Colloss. 1.
selon les richesses de sa grace ;
Et icy l'Apostre nous represente
subsistans auec telle asseurance
que nous puissions
dire
qui est-ce qui condamnera ?
Rom. 8.
Christ est celuy qui est mort. Et
icy comme le fidele se void
iustifié & purgé de tout peché
par le sãg de Iesus-Christ
deuant Dieu, aussi attend il
icy bas tous effets de la grace
& de la paix de Dieu parmy
les miseres de cette vie ; &
quand il voit la face de Dieu
courroucée à cause des pechez,
se prosternant deuant
Dieu auec vraye repentance,
il attend à cause du sang de
l'alliance toute grace & deliurance,
selon qu'il sera expedient
pour son salut & pour
la
gloite de Dieu. Et d'icy
resulte, mes Freres, que par
cette alliance la justification
de l'homme est toute gratuite
& toute par la foy, c'est à
dire par le recours d'vn cœur
repentant à la promesse de
grace : selon que dit l'Apostre
Rom. 4. c'est par foy afin que ce
soit par grace : Et pretendre
subsister par œuures & par
perfection de justice est vne
contradiction euidente, puis
que la foy est le recours au
pardon & à la misericorde.
Quiconque donc subsiste deuant
Dieu y subsiste en la maniere
que propose icy le
Prophet :
à sçauoir en disant,
Seigneur si tu prens garde aux
[ ini- ]
iniquitez qui subsistera ? mais il
y a pardon pardeuers toy ; qui est
la maniere de subsister que
Saint Iean propose, disant
si nous confessons nos pechez,
1. Jean. ch. 1.
Dieu est fidele & juste
pour nous pardonner nos pechez.
Or la foy en regardant le
pardon en embrasse aussi la
condition, à sçauoir de delaisser
ses pechez & se conuertir
à Dieu, pour le craindre & le
seruir, selon que dit icy le
Prophete, Il y a pardon par-
deuers toy, afin que tu sois
craint , Car la crainte de Dieu
exprime en general l'amendement
de vie & l'obeïssance
aux commandemens de
Dieu. Pource que comme la
cause de l'abandon au peché
est de ne craindre point Dieu,
aussi le motif de l'obeïssance
à Dieu & de la pureté de la
vie, est de le craindre : selon
qu'il est dit
Prouerb. 16. par la
crainte de l'Eternel on se détourne
du mal. Pourtant Salomon
definit la crainte de Dieu par
hair le mal ,
Prouerb. 8. la crainte
de l'Eternel est de hair le mal ,
& communément craindre
Dieu & se détourner du mal,
ou garder ses commandemens
sont pris pour vne mesme
chose, comme
Iob 28. la
crainte de l'Eternel est la sapiance,
& se détourner du mal est intelligence :
&
Eccles. 12. crain
Dieu & garde ses commandemens,
car c'est le tout de l'homme.
De là vient qu'au
Ps. 19. la
crainte est prise pour les commandemens
de Dieu,
Les
mandemens de l'Eternel sont
droits, le commandement de
l'Eternel est pur, la crainte
de l'Eternel est nette demeurante
à perpetuité , &c. La condition
doncques du pardon
est le renoncement aux pechez
& l'obeïssance à Dieu :
selon que dit Salomon
Prou.
28. qui confesse ses pechez & les
delaisse obtiendra misericorde.
Toute nostre humiliation est
feintise & hypocrisie deuant
Dieu sans cela. Car comment
peux-tu, ô homme, gemir
pour tes pechez, si tu n'as dessein
de t'en retirer ? as-tu de
la tristesse pour ce à quoy
presentement tu donnes ton
cœur & ton amour, & dont
tu ne te veux point departir ?
viens-tu pas te mocquer de
Dieu comparoissant de la
sorte en sa presence ? En tel
estat ton humiliation exterieure
& ton jeusne adjouste
mesmes vn nouueau crime à
tes iniquitez, à sçauoir l'hypocrisie,
& le mépris de Dieu,
& par ton cœur endurcy &
qui est sans repentance, tu
t'amasses ire au iour de l'ire &
du juste jugement de Dieu.
Nos pechez donc sans l'amendement
de nostre vie
demeurent rouges deuant
Dieu comme vermillon. Car
Dieu n'a promis de les lauer
que sous la condition qu'il a
exprimée,
Esa. 1. lauez-vous,
nettoyez-vous, ostez de deuant
mes yeux la malice de vos actiõs,
cessez de mal-faire, apprenez à
bien-faire, recherchez droicture,
redressez celuy qui est foulé, faites
droit à l'orphelin, debattez la
cause de la vefue : autrement,
dit-il,
quand vous estendrez vos
mains, ie cacheray mes yeux arriere
de vous, mesme quand vous
multiplierez vos requestes ie ne
les exauceray point : &
chap. 58. Est-ce là le jeusne que i'ay choisi,
que l'homme afflige son ame vn
iour ? est-ce en courbant la teste
comme le jong, & estendant le
sac & la cendre ? appelleras-tu
cela jeusne & iour acceptable à
l'Eternel ? n'est-ce pas icy plustost
le jeusne que i'ay choisi, que
tu dénouës les liens de méchanceté,
que tu rompes de ton pain à
celuy qui a faim, & que tu faßes
venir en ta maison les affligez
qui sont en pauure estat, quand
tu vois celuy qui est nud que tu le
couures, & que tu ne te caches
point arriere de ta chair, adonc
ta lumiere s'esleuera comme
l'aube du iour, & ta guerison
germera incontinent, ta iustice
ira deuant toy, & la gloire de
l'Eternel sera ton arriere-garde .
Or remarquez ce mot [Afin
afin que tu sois craint] lequel
nous apprend que le but
de Dieu en l'exercice & dispensation
de sa grace à pardonner,
est nostre amendement
& sanctification. Et cela
estant, comment pouuons
nous obtenir pardon si nous
ne tendons à son but & n'y
rapportons toutes nos resolutions ?
Certes, la saincteté
estant de la nature de Dieu,
s'il nous reçoit à mercy, il
faut que ce soit pour nous
rendre participans de son
image en justice & saincteté.
Il se renieroit soy-mesme s'il
acquiesçoit à l'estat des vices
& pechez de l'homme. De
sorte que c'est par vne necessité
indispensable que Dieu
requiert que le pecheur qui
reçoit grace & pardon s'estudie
à craindre & à cheminer
en ses commandemens. Aussi
c'est à quoy se termine toute
l'œuure de nostre redemptiõ,
à sçauoir de nous rendre
saints & purs deuant Dieu :
selon que l'Escriture nous dit
Tit. 2. Iesus-Christ s'est donné
soy mesme pour nous, afin qu'il
uous recheptast de toute iniquité,
& nous purifiast pour luy
estre vn peuple peculier addonné
à bonnes œuures. Et
Eph. 5. Il a aimé l'Eglise & s'est donné
soy-mesme pour elle, afin qu'il
la sanctifiast, l'ayant nettoyée
au l'auement d'eau par la parole,
& qu'il se la rendist vne Eglise
glorieuse, n'ayant tache ny ride
ny autre chose. S. Pierre au
au
2. de sa 1. Il a porté nos pechez
en son corps sur le bois, afin
que mourans au peché, nous viuions
à justice ; Pourtant Saint
Iean dit que
si nous cheminons
en lumiere comme Dieu est lumiere,
nous auons communion
auec luy, & le sang de son fils
Iesus-Christ nous purge de tout
peché , ne recognoissant le
sang de Iesus-Christ estre
alloüé qu'à ceux qui satisfõt
à la fin & au but de la foy
& de l'Euangile. Et icy s'aneantit
l'objection des profanes
qui disent, nous pecherons
afin que grace abonde ;
veu qu'au contraire la
grace ayant pour but de nous
faire mourir à peché, nul ne
peut obtenir la grace qu'il ne
[tende]
tende à cette fin. Et d'icy resulte
que si nous demandons
à Dieu pardon de nos pechez
simplement pour détourner
de dessus nous ses iugemens,
& les miseres dont nous sommes
menacés, & si nous n'auons
autre but, c'est l'amour
de nous-mesmes & l'aise de
nostre chair qui nous cõduit,
& non la foy & la vraye repentance.
Car pour celle-cy
il faut que nous demandions
à Dieu pardon des fautes passées
pour nous en abstenir à
l'aduenir, & mieux craindre
Dieu que nous n'auons
fait.
Mais aussi de ces Mots
[ afin que tu sois craint ] apprenons
quelle est la nature de la
vraye crainte de Dieu & de
l'obeïssance que Dieu requiert,
à sçauoir non vne
crainte & obeïssance seruile,
que la seule apprehension de
la peine & des jugemens produit,
mais vne crainte filiale,
consistant en reuerence &
amour, & prouenante du
sentiment de la bonté paternelle
de Dieu enuers nous,
puis que le Prophete veut
que nous craignions Dieu de
ce qu'il y a pardon pardeuers
luy ; & par consequent que la
persuasion de la misericorde
de Dieu produise cét effet.
Et c'est là, mes Freres, le vray
motif Euangelique, d'estre
incitez par la contemplation
de la grande bonté de Dieu
enuers nous, à nous consacrer
à son seruice & à son obeïssance :
selon que S. Pierre
nous propose la qualité de
Pere & le prix inestimable par
lequel Dieu nous a racheptez
pour nous porter à le
craindre. Si, dit-il, vous inuoquez
pour Pere celuy qui sans
auoir esgard à l'apparence des
personnes, iuge selon l'œuure
d'vn chacun, conuersez en crainte
durãt le temps de vostre sejour
temporel, sçachans que vous
auez estez racheptez de vostre
vaine conuersion qui nous auoit
esté enseignee par vos Peres, non
point par choses corruptibles,
comme par or ou par argent,
mais par le precieux sang de
Christ comme de l'agneau sans
sans macule & sans tache .
Application & Conclusion.
APpliquons nous maintenant
ce propos.
Le Prophete tant pour soy
que pour toute l'Eglise de
son temps crioit à Dieu des
lieux profonds, Entrons en
nos consciences, mes Freres,
pour voir s'il y a vne telle tristesse
d'auoir offensé Dieu
que le Prophete l'a proposée,
à sçauoir non legere & superficielle
qui est sans fruit, mais
profonde & efficacieuse. Sentons
donc, sentons nos pechez,
afin que nous n'en sentions
les peines : gemissons
pour nos offenses, afin que
nous ne gemissions pour nos
calamitez. Voyons combien
nous auons entassé de pechez
& d'offenses les vnes sur les
autres, afin que la hauteur &
profondeur nous en estonne,
& que de là dedans comme
de dedans vn abysme profond
nous nous escriions à
Dieu. Ne regardons pas à
la subsistence que Dieu nous
donne, & à l'estat de paix &
de tranquilité dans lequel
nous nous trouuons par son
support : Mais à ce que nous
meriterions de sa iustice & de
son courroux, aussi bien que
plusieurs Eglises effectiuement
destruittes & desolées,
ou miserablement troublées,
& nous verrons vn gouffre
de calamitez dont il faudra
que nous criions à Dieu. Et
pour nous joindre icy à l'interest
de nos concitoyens,
quand nous voyons les profondes
ruïnes dans lesquelles
sont tombez par la guerre
tant d'Estats estrangers auparauant
tres-florissans : ne
deuons nous pas reconnoistre
en leur calamité, celle
en laquelle nous eussions
pû nous trouuer, si Dieu
n'eust par sa grande bonté
frustré le dessein des ennemis
de cét Estat, & n'eust
maintenu & beny la Couronne
de nostre Roy ? Et au
regard d'vn chacun de nous,
mes Freres, voyans les miseres
& ruines où sont tombées
plusieurs familles particulieres
qui n'estoient point
plus coulpables que les nostres,
gemissons à Dieu de la
profonde misere où nous serions,
si Dieu ne nous eust espargnez ;
Et ne doutons point
que Dieu prepare encor diuerses
fosses profondes de
maux pour nous y faire
cheoir, si nous ne nous amendons ;
Nous souuenans des
propos de Iesus-Christ touchant
les Galileens, dont
Pilate auoit meslé le sang
auec les sacrifices, & touchant
les 18. personnes sur
lesquelles estoit tombée la
Tour de Siloé. Pensez-vous,
dit-il, que ceux-là eussent offensé
plus que les autres ? non, vous
dis-ie : Mais si vous ne vous
amendez, vous perirez tous
semblablement .
Que nos cris ne soient pas
simplement ceux que la nature
extorque des hommes
en leurs maux ; mais ceux
que la pieté & la vraye repentance
pousse vers le Ciel par
le desplaisir d'auoir peché &
irrité le Seigneur. Que ce
soient des cris d'vne inuocation
religieuse que la foy
produise en nous ; pour recourir
à celuy mesmes qui
nous menace, & implorer sa
grace & son esprit à nostre
amendement & conuersion :
afin qu'à la profondeur de
nostre corruption, il oppose
la profondeur de sa vertu &
de ses compassions à nostre
sanctification & consolation.
Et cependant recueillons
des paroles de nostre Prophete
cette consolation,
qu'encor que le throne de
Dieu soit infiniment esleué
au dessus de nous, il n'y
a rien de si profond en la
terre en miseres, d'où nos
prieres & nos soupirs ne
montent à luy : Fussions nous
dedans le fonds de la mer &
du ventre de la Baleine comme
Ionas : ou dans les profondes
cauernes de la terre
comme Dauid pendant la
persecution de Saül : ou en la
fosse des lyons comme Daniel ;
ou au fonds des prisons
comme Paul & Silas en la
ville de Philippes, nos gemissemens
& nos cris paruiendront
à Dieu & seront
ouys au throne de sa grace :
A ce que nous experimentons
ce que dit l Apostre
Rom. 8. que ni hautesse ni profondeur
ne nous pourra separer
de la dilection qu'il nous a monstrée
en Iesus Christ. Et qu'il y
a à l'opposite de toute la hauteur
& profondeur de nos
miseres, vne longueur & largeur,
vne hauteur & profondeur
de la dilection de Christ,
laquelle surpasse tout entendement ,
comme cela est dit
Ephes. 3.
Et pour presenter nos prieres
deuant le throne de sa
Majesté, souuenons-nous de
commencer par la recognoissance
& la confession qu'à
faite icy nostre Prophete,
Si tu prens garde aux iniquitez
Seigneur qui est-ce qui subsistera ?
faisons comme ce pauure
peager qui n'osant leuer
les yeux au Ciel frappoit sa
poitrine disant,
ô Dieu sois
propice à moy qui suis pecheur ;
& comme Esdras,
Mon Dieu
i'ay honte, & suis trop confus
pour esleuer ma face vers toy.
Car nos iniquitez sont multipliées
par dessus la teste, & nostre
coulpe est accreuë iusqu'aux
Cieux. Les fideles
Ps. 106. disoient,
Nous auons peché
uec nos Peres, nous auons fait
iniquement, nous auons meschamment
fait. Nos Peres n'ont
point esté attentifs à tes merueilles
en Egypte, Ils n'ont eu
souuenance de la multitude de
tes gratuitez. C'est ce qu'il
faut que nous disions de nous
mesmes. Nous auions esté
deliurez de l'Ægypte spirituelle,
c'est à dire de la seruitude
du peché & de la mort,
& de celle des erreurs
& superstitions du siecle :
comment est-ce que nous
auons vescu depuis ? quelle
souuenance auons-nous euë
de la multitude de ces gratuitez ?
En quel estat de
gratitude enuers Dieu est auiourd'huy
nostre corps ? Mais
quels pechez & quels crimes
y a-il qui ne se trouuent parmy
nous ! L'auarice y est-elle
pas ardente, l'injustice, la
fraude & l'iniquité frequentes
& abondantes ? Les paillardises
& les adulteres n'y
font elles pas perir nostre
sainte profession ? & les voluptez
charnelles emportent-
elles pas les esprits à trauers
champs ? les plaisirs de la
chair y font-ils pas mettre
sous le pied toutes les considerations
de la crainte de
Dieu, portans les vns à la
reuolte, & les autres à des
mariages contraires à la pieté ?
la gourmandise & l'yurognerie
y a elle pas aussi sõ regne ?
& le luxe & la vanité n'y
engloutissent-ils pas les aumosnes ?
les haines, les envies,
les querelles & procez,
les médisances & les calomnies
y sont-elles pas choses
communes ? & où est la reformation
que nous professons ?
n'estoit-ce pas en nos
mœurs, aussi bien qu'en la
doctrine, qu'il falloit que
nous la monstrassions ? ne
meritons nous pas doncques
que Dieu nous oste son
chandelier & nous traicte
comme des ingrats, & des
rebelles & contempteurs de
son nom ?
I'aduoüe qu'il y a nombre
de bonnes ames parmy nous
qui gemissent à Dieu, & desquelles
la pieté & l'integrité
luy est agreable : aussi sont-ce
elles qui arrestent son bras :
Mais i'ay à dire deux choses.
L'vne qu'encor celles là ont
des defauts dont elles doiuent
gemir & tascher de se
corriger : & l'autre, que le
nombre de ces personnes-là
est petit, & qu'il ne va pas
croissant.
Mais puis qu'ainsi est qu'il
y a pardon pardeuers Dieu
afin qu'il soit craint, voyons
si nous auons le dessein de le
craindre, & d'arrester le
cours de nos offenses & iniquitez
pour y renoncer dés
ce moment, afin de cheminer
en pieté, iustice & saincteté.
Examinons si dés à
present nous voulons mettre
sous les pieds tous nos interests
mondains pour glorifier
Dieu par toutes nos actions
& rechercher son Royaume
& sa iustice, & si nous voulous
rejetter tous nos plaisirs
charnels, ayans deuant nos
yeux l'excellence de la vocation
de Dieu, & les richesses
de la gloire de son heritage
en ses Saints. Examinons
si nous voulons changer nostre
injustice en droicture &
équité, nostre auarice en
charité & beneficence : nos
haines, envies, & mesdisances,
en dilection & bienveillance ;
nos excés en temperance.
En somme, si nous
voulons viure en ce present
siecle sobrement, justement
& religieusement.
Si ainsi est, mes Freres,
nous experimẽterons qu'il y
a pardon pardeuers Dieu,
voire tant & plus de grace &
de pardon. Dieu ratifiera
dans le Ciel vostre pardon
ainsi que nous vous l'annonçons
aujourd'huy en son
nom, & les Anges s'éjoüiront
de nostre conuersion.
Le Pere celeste ouurira les
bras de ses compassions pour
nous receuoir à mercy, &
pour estendre sur nous ses
benedictions & nous couurir
de sa protection ; Icy nous
verrons que quand nos pechez
seroient montez iusques
au Ciel, sa gratuité est encore
au dessus. Iesus-Christ nostre
mediateur se presentera pour
nous à la bresche de l'ire de
Dieu auec le sang de l'alliance,
& nous obtiendra toute
grace par son intercession.
Ce Fils de Dieu nous reconnoistra
pour les membres sacrez
de son corps, & Dieu
nous aura agreables en ce
bien-aimé. Ainsi nous subsisterons
par le merite de
Iesus-Christ, & toutes choses
desormais nous ayderont en
bien : Nous serons esclairez
des gracieux rayons de la
[face]
face de Dieu en tout nostre
besoin ; sa prouidence admirable
resplendira sur nous
en deliurances, & l'esprit de
sa grace remplira nos cœurs
de consolation, iusqu'à ce
que finalement il nous esleue
en son Paradis pour estre rassasiez
de joye en la contemplation
de sa face, & joüir
pes plaisirs qui sont en sa
dextre pour iamais. Ainsi
soit-il.