SERMON SVR LE
CHAP. III. DV LIVRE
de Ionas le Prophete
vers. 4. & 5.
Lors Ionas commença d'entrer en la
ville le chemin d'une iournee ; si
cria, & dit, Encore quarante iours
& Niniue sera renuersee . Et les
hommes de Niniue creurent à
Dieu,& publierent le ieusne , & se
vestirent de sacs , depuis le plus
grand d entr'eux , iusques au plus
petit .
SI nostre ame est naturellement
capable d'obeissance,
aussi est-elle nee à ie ne sçay
quelle fierté franche , & à
vne liberté noble qui ne souffre point
de contrainte. La force la fait reculer,
les liens la mettent en fougue , la violence
la rend opiniastre ; Et comme vn
cheual genereux entre en des desespoirs
capricieux qu'il se void gourmandé
par de rudes brides, de camorres &
caueçons, & se laisse au contraire conduire
à vn filet,& mener par douceur.
Ainsi nostre ame est tellement disposee
qu'elle se picque contre la rigueur,
& conçoit vn tel despit si elle se void
gourmandee, que mettant à part toute
modestie elle s'effarouche plustost que
d'obeïr ; au lieu qu'estant sollicitee
doucement elle fleschit selon ses forces
à ce qui lui est demandé. C'est ce
que les Anciens Philosophes ont recognu ,
& particulierement
Seneque qui
nous en a laissé cette sentence remarquable,
disant,
l'esprit de l'homme est genereux,
tendant au rebours parmi les difficultez,
& est plus facilement mené que tiré .
A quoy nous pouuons adjouster ce
qui se void encore tous les iours dans
la pratique du monde , l'experience
nous apprenant que les cœurs magnanimes
se portent plus volontiers à l'ottroy
d'vne demande amiable que si
on les braue par menaces , ou qu'on
tasche de les esmouuoir par crainte à
[l'execu-]
l'execution de quelque deuoir ; d'où
aduient que l'histoire prophane rapporte
que Pyrrhus Roy des Epirotes,
se rendit autresfois maistre de plus de
villes par la langue deserte de Cyneas
orateur, que par la force de ses armes,
tant les douces paroles sont puissantes
sur l'esprit de l'homme pour le
ployer. Or si en toutes choses il est necessaire
d'auoir esgard à cette disposition
naturelle de l'ame , c'est principalement
és œuvres de pieté que cela se
doit soigneusement prattiquer ; car
de penser qu'on puisse forcer les hommes
au seruice de Dieu,& les contraindre
par violence au trauail de leur salut ,
c'est se tromper tout à fait ; voire
les actions salutaires sont tellement esloignees
de l'inclination de l'ame, qu'elle
n'a affection ni disposition quelconque
pour icelles , ains ne peut que
les detester , tant sa deprauation est
grande à cause du premier peché: tellement
que pour porter les hommes à
icelles , il est besoin de les persuader
& non forcer : & pour cet effect vser
d'exhortations amiables, & non de rudes
commandements , leur remonstrer
leur deuoir auec douceur , afin
de les esmouuoir par amour , & non
pas les menacer auec rigueur afin de
les fleschir par crainte ; dont nous
voyons en
Ezechiel ch.34 que l'Eternel
mesme se plaind contre les Pasteurs
d'Israel de ce qu'ils auoyent manqué
en cette sorte à la prattique de ce deuoir,
disant,
Vous auez maistrisé mes brebis
auec seuerité & rigueur . Neantmoins
quoy que cela soit fort veritable , &
necessaire de tenir cette methode pour
l'ordinaire , si est-ce qu'il y a des temps
& des personnes tellement disposees
qu'ils se detourneront plustost de
quelque mal par la crainte de la peine ;
& se voyants viuement menacés
d'icelle , que par toutes les douces semonces
qu'on leur sçauroit adresser:
d'où aduient que quoy que la Parole
de Dieu contienne des promesses gracieuses
pour esmouuoir les pecheurs
par amour , si est-ce que les menaces
qu'elle denonce ont quelquesfois
autant ou plus de force pour les esmouuoir
par crainte , l'apprehension
[de]
de defaillir leur donnant des dispositions
à leur deuoir , & leur faisant
receuoir auec respect & obeissance
les exhortations qui leur sont faites à
icelui.
Nous en auons ici auiourd'huy vn
exemple memorable en la personne
des habitans de Niniue , és paroles
dont ie viens de vous faire lecture , où
le Prophete Ionas ayant denoncé le
dernier iugement qui deuoit estre desployé
contre cette ville à son entiere
destruction, suiuant la charge expresse
qu'il en auoit receu de la part de l'Eternel :
& lui ayant marqué vn certain
temps auquel cela deuoit estre accompli ,
afin qu'ils prinssent garde à
eux cependant , & taschassent de prevenir
leur ruine par les moyens conuenables ;
la denonciation de cette
menace toucha tellement leur cœur,
que les voila en mesme temps en estat
d'humilité pour arrester le courroux
de Dieu par repentance , & destourner
cet orage de dessus leurs testes , qui estoit
preparé à leurs vices afin de les
punir,ainsi que ces paroles nous le tesmoignent ,
lors que l'Esprit de Dieu
ayant marqué la charge que l'Eternel
donna à ce sien Prophete d'aller crier
contre cette ville , il continue le recit
en cette sorte, Lors Ionas commença d'entrer
en la ville le chemin d'une iournee ; si
cria, & dit , Encore quarante iours & Niniue
sera renuersee : & les hommes de Niniue
creurent à Dieu, & publierent le ieusne ,
& se vestirent de sacs depuis le plus
grand d'entr'eux iusques au plus petit .
Tres chers freres, l'Escriture Saincte
contenant de bons & mauuais exemples ,
nous vous en auons mis à ce matin
vn mauuais deuant les yeux, à l'imitation
des peintres qui representent
les vices auec leur laideur sur vn tableau
afin d'obliger vn chascun à les
abhorrer , & non pour vous donner
occasion de l'ensuiure,pour faire comme
les corbeaux qui s'attachent aux
charongnes & laissent les bestes viuantes.
L'endurcissement des Iuifs
vous ayant esté proposé en ma premiere
predication comme vn crime detestable,
qui obligea l'Eternel à les abandonner
à la dureté de leur cœur ; &
[main-]
maintenant en voici vn autre du tout
bon & digne de louange , pour vous
obliger à vous conformer à icelui en
cette occasion d'humilité où nous vous
trouuons, & destourner par ce moyen
les iugemens de l'ire de Dieu que nos
pechés ont prouoqué & prouoquent
encore tous les iours ; estant chose certaine
que si nous voulons reussir en
notre dessein,nous ne saurions mieux
faire que ce que ceux de Niniue ont
fait se voyants menacés de ruine afin
de subsister bienheureux : face doncques
ce grand Dieu que sa Parole touche
auiourd'huy aussi viuement nos
cœurs, & que leur exemple frappe tellement
nostre veuë,que nous en deuenions
pareillement repentans ; differents
en cela du Cameleon, duquel on
rapporte qu'il reçoit toutes sortes de
couleurs qui se presentent à lui , excepté
la rouge,symbole de la honte, & la
blanche symbole de la vertu. Et partant
afin d'estre portés à cela d'autant
plus efficacieusement , nous vous deduirons
tout le contenu de ces paroles
par ces deux generales considerations,
moyennant la faueur du ciel: Premierement
nous verrons la procedure de
Ionas enuers ceux de Niniue : Secondement
le profit qu'ils ont fait de sa
parole.
Pour le premier , l'Esprit de Dieu le
conçoit en ces termes ,
Lors Ionas commença
d'entrer dans la ville , le chemin
d'vne iournee; si cria , & dit , Encore quarante
iours & Niniue sera renuersee . Niniue
estoit vne ville d'Assyrie situee
aupres du fleuue du Tygre,laquelle Assur
edifia sortant de la terre de Sennaar,
comme il est rapporté ,
Genes. chap. 10. Voire c'estoit la capitale du Royaume,
& où estoit le siege des Rois Assyriens,
qui auoit la monarchie de l'vniuers,
grande en estendue s'il y en auoit point
en toute la terre , veu qu'il est remarqué
au
chap. troisiesme de ce liure, que
c'estoit vne ville de trois iournees de
chemin ; A quoy les Autheurs profanes
adjoustent qu'elle auoit quatre
cents huictante stades de tour , qui reuiennent
à trente petites lieuës ; Aussi
estoit-elle fortifiee de quinze cents
tours , & enrichie de toutes les despouïlles
[pouïlles] de l'Orient, grandement peuplee
par dessus les autres : puis qu'il est
remarqué
chap.4. qu'il y auoit en icelle
plus de six vingts mille petits enfans
qui ne sçauoyent point la difference
qu'il y auoit entre leur main droite &
la main gauche ; Il est vray qu'elle n'estoit
pas comprinse dans l'alliance de
Dieu , comme n'estant pas dans le destroit
de l'habitation de son peuple.
Ains au contraire elle en estoit dehors ,
& par consequent vne ville ennemie ,
qui auoit allumé son ire en diuerses
façons , & irrité sa Iustice par la
malice de ses deportements. Et c'est ce
qui fait
ttouuer estrange d'abord l'enuoy
de ce sien Prophete vers elle , &
qui le rend d'autant plus remarquable :
Mais à cela nous pouuons dire que
quoy qu'elle ne fust pas comprinse
dans le benefice de son alliance,neantmoins
il lui a voulu enuoyer ce prescheur
de repentance , non seulement
afin que par leur conuersion ils fussent
comme les premices des Gentils qui
deuoyent estre vn iour appelés à la cõmunion
du salut eternel;mais aussi afin
de faire hõte aux Iuifs qui estoyent les
depositaires de ses oracles,& le peuple
qui se glorifioit de son alliance , en ce
qu'oyants tous les iours les exhortations
qui leur estoyent faites à l'amendement
de vie par les Sacrificateurs &
Prophetes que Dieu leur enuoyoit , ils
se mocquoyent de sa parole , & persistoyent
dans vne impenitence obstinee
de leurs crimes , cependant que ceux-
ci s'humilierent par repentance à la
premiere predication qu'ils ouïrent,
dont vous voyez en
S. Luc chap. 11 que
Iesus Christ mesme parlant de l'endurcissement
des Iuifs de son temps , dit
que ceux de Niniue
se leueront au iugement
auec les hommes de cette generation,
& la condamneront.
Voici doncques ce Prophete qui
ayant receu charge de l'Eternel d'aller
porter sa Parole parmi eux, entre dans
la ville le chemin d'vne iournée, & se
prend à crier ; En quoy nous trouuons
qu'il s'acquitte dignement de sa commission ,
& y remarquons trois choses
notables qui regardoyent l'execution
d'icelle : la premier est la fidelité , veu
[que]
que c'estoit le commandement expres
que l'Eternel lui auoit fait de crier,
comme il appert du
chapitre 1. tout
ainsi qu'à son Prophete Esaïe
chap.
58.lors qu'il l'enuoya vers Ierusalem, sa
volonté estant que ses seruiteurs ne cachent
point la Parole qu'il leur a commise
pour la garder sous vn lasche silence;
ainsi qu'il en print à Ieremie,lequel
ayant esté frappé par Phasçur
preuost de la maison de l'Eternel , se
resolut de ne prescher iamais plus en
son nom ; ains qu'ils la mettent au
contraire en euidence , & la facent
entendre à ceux ausquels elle est adressee ,
considerans qu'ils sont comme
les cornets d'Israel pour faire retentir
leurs voix : iusques là, que Ieremie
chap. 20.ayant resolu de se taire , il
confesse lui mesme qu'il a senti comme
vn feu qui le brusloit au dedans,
& a prononcé du depuis cette sentence ,
Maudit celui qui fera la besongne
de l'Eternel frauduleusement ,
chap.48 de ses propheties. La seconde chose
qui paroist en ce cri c'est le zele dont il
estoit porté en l'exercice de sa commission:
car le zele estant vne passion mixte
composee de douleur & d'amour:
de douleur,pour le mal qui interesse la
gloire de Dieu ; & d'amour , pour le
bien qui sert à l'illustration d'icelle : &
toutes les affections de l'ame ayants
leur siege au cœur, il est certain que ce
cœur estant embrazé de zele,qui est le
sainct feu de nos ames , il enfle le gosier ,
ouure la bouche , & deslie la langue
des seruiteurs de Dieu pour prononcer
auec action les choses qu'ils
desirent estre entendues pour le seruice
de son nom. C'est pourquoy Iesus
Christ estant animé de cette saincte
passion, comme le Prophete Dauid l'auoit
declaré en sa personne au
Ps.69. disant ,
Le zele de ta maison m'a mangé ;
il tesmoignoit particulierement ce
sien zele en criant lors qu'il enseignoit
dans le temple , ainsi que cela se void,
Iean chap. 7.la troisiesme est la hardiesse:
car il se void par experience que les
gens timides & peu resolus n'ouurent
qu'à demi leur bouche lors qu'il est
question de parler en des occasions
importantes ; en telle sorte qu'à peine
[peuuent] peuuent-ils estre ouïs de ceux ausquels
ils parlent , tant leur voix se trouue
foible & estranglee par la force de la
peur ; au lieu que ceux qui ne craignent
rien publient haut & clair ce
qu'ils ont à dire , afin de se faire ouir,
desireux de respondre au but de leur
vocation. Courage admirable , & lequel
lui venoit sans doute de l'Esprit
de Dieu qui le fortifioit , comme estant
employé à vne commission dangereuse,
& où toutes les apparences estoyent
que sa parole lui feroit receuoir du
desplaisir , comme ayant à faire à vn
peuple incognu, orgueilleux , vicieux
& profane : l'Eternel qui l'enuoyoit
estant vn bon maistre qui n'abandonne
iamais ses seruiteurs au besoin , suiuant
la promesse qu'il en faisoit au
Prophete Ieremie lors qu'il l'enuoya
vers les Iuifs pour prophetizer contre
eux,disant ,
Ne crain point de te trouuer
deuant eux , car ie suis auec toy
pour te deliurer : ainsi que cela nous
est marqué au
chap.1. de ses propheties.
Et certes considerans l'estat de ces
habitans de Niniue,nous trouuõs qu'il
estoit bien necessaire qu'il criast , voir
qu'estans destitués de la cognoissance
de Dieu , & esleués en vne prosperité
excessiue , les idolatries y estoyent
extremes , & les vices à leur
comble , selon que l'Eternel mesme
le fit cognoistre à ce sien Prophete,
lors qu'il lui donna cette commission ,
disant ,
chap. 1. Leue toy , & t'en
va en Niniue la grande ville , & crie
contre elle : car leur malice est montee deuant
moy . Leur condition estant par
consequent iustement semblable à celle
de Sodome & de Gomorrhe , lors
que Dieu les voulut consumer par le
feu du ciel , lui mesme leur ayant rendu
ce tesmoignage , disant , que leur cri
estoit augmenté , & leur peché fort aggraué ;
voire que leur cri estoit paruenu
iusques à lui , comme il se void
chap. 18.de la Genese. Et ce qui rendois
leur condition plus desesperee , c'est
que chargés de pechés ils n'en sentoyent
pas la pesanteur: souïllés de vices,
ils n'en cognoissoyent pas la laideur,
ains viuoyent dans vne securité charnelle ,
& reposoyent en leurs delices
[d'vn]
d'vn sommeil beaucoup plus profond
que celui d'Adam lors qu'il perdit sa
coste sans le sentir: & par consequent
vn peuple qu'vne voix basse & languissante
n'eust pas peu esveiller. C'est
en effet l'estat des pecheurs qui sont
destitués de la cognoissance de Dieu,la
corruption hereditaire d'Adam tenant
tous leurs sens & toutes les facultés
de leur ame assoupies pour ne sentir
pas les maux qui les estranglent;en telle
sorte que quoy que Dieu les esclaire
par les œuures de la nature & de la
prouidence, quoy qu'il parle à eux par
la bouche de toutes les creatures , ils
n'y voyent ni n'y entendent non plus
que les aueugles & les sourds: & quoy
que les iugemens soyent prests de fondre
sur eux, & qu'ils commencent à estre
desployés pour les accabler , ils ne
les craignent ni ne les sentent,ains sont
en cela iustement semblables à Ionas
lequel dormoit profondement au
fonds du nauire tandis que l'orage le
battoit , & que les autres estoyent en
prieres , crians vn chascun vers son
Dieu pour euiter le naufrage;non plus
qu'ils ne preuoyent pas leurs maux,
ainsi sont capables d'estre surpris en
leurs pechés par iceux sans y penser;
tout ainsi que Sisara lors que Iahel lui
perça la temple de la teste auec vn
clou pendant qu'il dormoit , apres lui
auoir donné du laict à boire, comme il
est remarqué
cha. 4 du liure des Iuges.
Ce Sainct Prophete doncques criant
dans la ville de Niniue , en executant
sa commission de la part de l'Eternel,
voici la denonciation qu'il leur faisoit,
Encore quarante iours & Niniue sera renuersee .
Où paroissent quatre choses notables,
& le dessein que l'Eternel auoit
contre cette ville,les pechés de laquelle
estans grands , il auoit resolu d'armer
le bras de sa iustice pour en faire
vne vengeance exemplaire par les punitions
extremes de son indignation :
en telle sorte qu'il ne leur donnoit que
quarante iours de delay,apres lesquels
ils deuoyent receuoir le salaire de
leurs demerites , par la ruine de leur
estat, la desolation de leurs maisons,la
perte de leurs biens , & la destruction
entiere de leurs corps qui deuoyent estre
[tre]
enseuelis dans les ruines de la ville,
afin qu'il n'en fust iamais plus memoire
sur la terre,que pour faire voir qu'ils
auoyent autresfois esté. C'est en effect
comme cela qu'il a accoustumé de traitter
souuentesfois les villes les plus florissantes
du monde,à raison de leur impieté
& souueraine peruersité:tesmoin
Ierusalem , en laquelle ne fut laissee
pierre sur pierre, suiuant la prediction
de Iesus Christ ,
Matth. chap. 24. Et s'il
est question d'en alleguer d'autres , où
est maintenant la ville de Laodicee?
celle de Thebes, Carthage , Corinthe,
Athenes, & Ephese, qui ayans esté grãdement
illustres , & porté leur reputation
par tout l'vniuers , il n'en reste
rien maintenant que quelques vieilles
masures, & le seul nom enregistré dans
les histoires , les iugemens espouuantables
du ciel estans tombés sur elles
pour vne iuste vengeance de l'enormité
de leurs crimes ? il est vray que la
denonciation que le Prophete fait de
la destruction de Niniue n'estoit pas
absoluë , comme l'euenement le monstra;
ains elle contenoit vne condition
tacite,moyennant laquelle cela deuoit
estre , & non autrement : c'est à dire,
qu'elle seroit renuersee s'ils ne se repentoyent :
Car c'est ainsi que les Prophetes
ont accoustumé de parler : l'Eternel
faisant dire aux pecheurs par
leur bouche ce qu'ils ont merité, & ce
qui leur doit arriuer pendant vn tel
temps,en cas qu'ils ne preuiennent pas
ses iugemens par amendement de vie,
afin de les euiter : auquel propos vous
voyez au
chap.38. d'Esaïe , qu'Ezechias
Roy de Iuda estant malade,le Prophete
lui va tenir ces propos , disant,
Dispose
de ta maison,car tu t'en vas mourir, & ne
viuras plus ; & neantmoins ayant reclamé
la grace de Dieu auec des larmes
ameres d'vne serieuse repentance qu'il
respandit deuant sa face la teste tournee
vers la paroi , vous voyez qu'il suruesquit.
Que si tel estoit le dessein
de l'Eternel en cette denonciation du
Prophete contre Niniue , aussi fait-il
paroistre entieremẽt en icelle sa bonté
admirable,de les en aduertir auant que
de le vouloir mettre en execution ; car
il est certain que s'il eust voulu proceder
[der] contr'eux auec tout le droict que
sa iustice lui donnoit, il eust peu desployer
ses vengeances sur leurs testes
criminelles subitement & sans leur
rien dire , comme il fit enuers ceux de
Sodome , leur enuoyant le feu du ciel
qui les surprint auant qu'ils eussent le
temps de songer à eux pour se retirer.
Procedure par consequent remarquable,
& en laquelle nous voyõs qu'il obserue
lui mesme en leur faueur la loy
militaire qu'il auoit donnee iadis à son
peuple,
Deut. 20. disant,
Quand tu t'approcheras
d'vne ville pour la combattre , tu
lui presenteras la paix . Car ce cri qu'il
enuoye maintenant faire à ces gens estoit
comme vne sommation à repentance ,
& vne declaration, que s'ils ne
vouloyent pas fleschir sous son empire
par la reception & obeissance de ses
loix , ils esprouueroyent les rigueurs
de son iuste courroux : mais que s'ils
venoyent aussi à se recognoistre , ils
subsisteroyent en leur estat comme ils
faisoyent,iouïssants de ses bonnes graces ,
& participants aux effets de sa
clemence à leur totale felicité. Et
pleust à Dieu que nous qui sommes
son peuple eussions prins garde à cela
lors qu'il nous a enuoyé ses seruiteurs
pour crier contre nos pechés : & certainement
nous n'eussions pas veu les
maux qui nous sont arriués à cause
de nostre endurcissement : Car comme
vn vieux edifice craquette auant
qu'il tombe, comme la fumee deuance
le feu , comme les esclairs precedent le
tonnerre ; ainsi Dieu ayant resolu de
nous visiter par la verge de ses chastimens,
nous a plusieurs fois aduertis
auant que mettre la main à l'œuure, &
menacer plustost que frapper : ne pouuans
pas nous excuser qu'il n'ait ouuert
la bouche à ses fideles seruiteurs
pour nous faire entendre que le peché
gisoit à la porte , & que si nous n'amendions
nostre train nous tomberions en
desolation : Mais laissants à part ce discours ,
qui estant honteux pour nous,
ne peut qu'aigrir nos douleurs sans
esperance d'effacer les playes que le
laps du temps a comme cicatrizees ; ie
trouue ici en troisiesme lieu vn support
du tout remarquable , duquel Dieu
[auoit]
auoit vsé enuers ces gens ici par le passé ,
les ayant espargnés iusqu'a lors,
comme le Prophete le tesmoigne
quand il dit ,
Encore quarante iours :
Car il n'y a point de doute qu'ils n'eussent
merité desja depuis long temps de
ressentir les effects de l'indignation du
ciel , veu qu'ils auoyent esté tousiours
meschants , ayans conuerti les biens
que Dieu leur faisoit en dissolution
contre lui , & abusé entierement de
leur prosperité : & neantmoins le ciel
ne les auoit pas escrasés de ses foudres,
la terre ne s'estoit pas ouuerte pour les
engloutir ; ains il les auoit tousiours
esclairés d'vn mesme Soleil auec les
meilleurs de la terre , & enuoyé sa
pluye sur leurs champs pour les faire
fructifier : en telle sorte que leurs pechés
n'auoyent pas peu empescher
qu'il ne leur eust tousiours fait du bien,
misericorde s'estant glorifiee en leur
faueur contre iugement: Ce qui verifie
par consequent d'vne façon bien authentique
les titres qu'il se donnoit lui
mesme,
Exode chap. 34. disant,
Qu'il
est tardif à colere , & abondant en gratuité: Ainsi le voyons nous encore tous les
iours par experience : car quoy que les
idolatries, les impietés, les vices & les
iniquités regnent dans les royaumes,
villes , maisons , & parmi les particuliers
du monde vniuersel , tout subsiste
pourtant ; iusques là , que ceux qui offensent
plus griefvement sa Majesté
diuine par la malice de leurs deportements,
se trouuent iouïssants des biens
les plus auantageux de la nature : &
tout cela pour les rendre vn iour d'autant
plus inexcusables , pour n'auoir
pas rapporté à sa gloire leur florissante
prosperité , ou pour les conuier mesme
à repentance par les richesses de sa benignité ,
de sa patience & de sa longue
attente,comme disoit l'Apostre à ceux
de son temps ,
Rom.chap.2. De maniere
que son support paroist en cela du tout
admirable , lui qui a les yeux tellement
nets qu'il ne peut point voir le mal,
ainsi qu'en parle le Prophete
Habacuc
chap.1. Voire adjoustant encore quarante
iours à son support passé , auant
que vouloir faire vengeance de l'iniquité
de cette ville,disant ,
Encore quarante
[rante]
iours & Niniue sera renuersee, il fait
voir en outre en cela sa grande benignité.
de leur donner vn temps raisonnable
de pensement ; different certes
en cela de Dauid, lequel ayant apprins
le refus que Nabal auoit fait de lui donner
des viures pour ses gens, & se sentent
viuement offensé d'icelui , il ceignit
incontinent son espee , & s'en alloit
tout promptement pour tirer raison
de ce tort,
1. de Samuel chap. 25. Et
c'est comme cela que Dieu proceda à
l'endroit des gens du premier monde,
où toute chair ayant corrompu sa voye,
il leur donna cent & vingt ans de terme
pour se recognoistre auant que
d'enuoyer le deluge qui les engloutit:
S.Pierre nous disant à ce propos ,
que
sa patience les attendoit ,
Epist.1. chap.3. C'est ainsi qu'il auoit tasché de ramener
vne certaine femme nommee Iesabel
en l'Eglise de Thyatire , comme il
est remarqué au
ch.2. de l'Apocalypse , où
nostre Seigneur Iesus Christ prononce
ces paroles,disant,
Et ie lui ay donné du
temps afin qu'elle se repentist de sa paillardise,
& elle ne s'est point repentie . Ce qui
tesmoigne par consequent que Dieu
ne se plaist pas volontiers à la destruction
de ses creatures , mais qu'au contraire
il en souhaitte l'amendement,
puisqu'il differe ses iugements, & leur
donne du temps pour songer à eux
mesmes lors qu'il est prest de les punir.
Et c'est comme cela que l'Eglise d'Israel
le confessoit lors de sa desolation
extreme,
Lamenta.ch.3. Car ce n'est pas
volontiers, disoit-elle,que Dieu afflige
& contriste les fils des hommes . D'où
aduient qu'ayant esté obligé par la malice
extreme des Iuifs à les enuoyer captifs
en Babylone , il en fait lui-mesme
cette lamentation en cette sorte , disant,
A la mienne volonté que tu eusses
esté attentif à mes commandements , & ta
paix eust esté comme vn fleuue, & ta iustice
comme les flots de la mer ; son nom n'eust
pas esté destruit ni effacé de deuant moy : comme il se void en
Esaïe cha.48.
Nos pechés estans grands & en
grand nombre, il y a longtemps , mes
freres , que nous auons merité d'estre
mis à l'interdit , & n'a pas tenu à
nous que les derniers iugements de
[l'ire]
l'ire de Dieu ne soyent venus sur nos
testes pour en estre entierement accablés,
veu que nous n'auons cessé d'irriter
son courroux & brauer sa iustice
par vne totale impenitence & obstination
au mal , nonobstant les graces
singulieres qu'il nous a fait , & les sollicitations
continuelles par lesquelles
nous auons esté conuiés à vn sainct
amendement de sa part par le ministere
de ses Pasteurs : cette chaire ici
pouuant rendre vn tesmoignage authentique
de cette verité pour nous
conuaincre de desobeissance, & nous
condamner comme rebelles,qui auons
mesprisé les oracles du ciel qui ont resonné
sur icelle , & nous sommes
mocqués des admonitions salutaires
qui nous y ont esté adressees par le
passé , à quitter nos vices , & à mener
vne vie nouuelle, qui marquast vne
saincte reformation en la prattique de
nos mœurs. Et neantmoins nous voici
encore exempts des maux que nous
auons merité , & possedants plus de
biens que nous n'auions sujet d'esperer.
Ce grand Dieu que nous auons
tant offensé , nous ayant supportés par
vne misericorde toute particuliere , &
nous supportant encore en sa grande
bonté , attendant que nous reuenions
à nous-mesmes dans la iouïssance de
ces continuelles faueurs. Toutesfois
si nous voulons auoir des yeux pour
regarder , nous recognoistrons assez
par l'estat des affaires du monde que si
nous ne sommes pas las de l'offenser,
il l'est pourtant de nous tolerer, & que
sa patience est presque paruenue iusqu'
au bout : car quoy qu'il n'enuoye
pas extraordinairement vn Prophete
parmi nous , comme iadis en Niniue,
pour crier que dans vn certain temps
nous serons destruits,si est-ce que nous
n'auons pas manqué d'aduertissements
tendans à cela , & faudroit estre bien
aueugle pour ne les voir pas, ou sourd
pour ne les pouuoir pas ouïr. Les desolations
extremes qui affligent les
estats de dehors ; ces guerres sanglantes
qui rauagent le plus beau de la
Chrestienté ; ces calamités ciuiles qui
accablẽt mesme ceux de notre profession
és royaumes voisins , que sont-ce
[ie vous]
ie vous prie qu'autant de voyes que
Dieu nous monstre pour nous faire
comprendre que si nous ne prenons
garde à nous il nous en arriuera tout
autant ? que sont-ce qu'autant de menaces
qu'il nous fait de nous destruire,
comme s'il nous adressoit en particulier
les paroles que nostre Seigneur Iesus
Christ mit en auant au
chap. 13. de
l'Euangile selon Sainct Luc , lors que
parlant à ceux qui lui raccontoyent
le traittement cruel que quelques Galileens
auoyent receu de Pilate , il leur
disoit ,
Cuidez-vous que ces Galileens-là
fussent plus pecheurs que tous les autres
Galileens , pourtant qu'ils ont souffert telles
choses ? non , vous di-ie , mais si vous
ne vous amendez , vous perirez tous
semblablement . Mais que sont-ce encore
qu'autant d'aduertissements que
Dieu nous donne de l'arrest qu'il a
conceu contre nous , nous donnant
le temps d'y penser à bon escient , afin
que nous n'ayons pas sujet de nous
plaindre lors que le mal arriuera ? ô
que nous n'auons pas manqué de Ionas
pour nous porter cette parole:
mais vueille l'Eternel que nous ayons
des oreilles pour ouïr auant que le decret
enfante , & sur tout auiourd'huy
qui est vn iour d'aduertissement pour
preuenir les malheurs que nos conducteurs
ont preueu comme des sages
& experts pilotes, qui representent la
tempeste dans le plus grand calme , &
pouruoyent aux moyens propres , afin
d'y pouuoir resister. Ne nous flattons
pas doncques , mes freres , & ne pensez
pas que ce soit ici des paroles qui
ne vous appartiennent pas , comme si
nous voulions vous espouuanter sans
sujet , ains tenir pour tout asseuré que
Dieu menace indubitablement en affligeant
les autres , & nous donner vn
certain temps pour deuenir sages &
faire nostre profit du dommage d'autruy
auant qu'il face passer cette coupe
iusques à nous pour en boire de la
lie à nostre totale confusion , veu que
si nous examinons soigneusement nos
consciences , nous trouuerons que
nous l'auons bien merité, & serons par
consequent capables de nous faire le
procez nous mesmes, & nous condamner
[ner]
iustement , pour en apprehender
l'euenement : car penserions-nous auoir
tousiours la paix puis que nous
faisons la guerre continuellement à
Dieu par nos vices ? Ne ressemblons
pas ces peruers de Iuda qui oyants les
menaces que les Prophetes leur faisoyent
des iugements de Dieu , disoyent
impudemment ,
Cela n'aduiendra
pas , le mal ne viendra pas sur nous , nous
ne verrons pas l'espee ni la famine ,
Ieremie
chap. 5. veu qu'ils esprouuerent
tout le contraire suiuant la menace
que l'Eternel leur en fit incontinent,
disant ,
Ainsi a dit l'Eternel le Dieu
des armees , pource que vous auez proferé
cette parole-là, voici ie m'en vai faire venir
contre vous vne nation de païs lointain,
dit l'Eternel. C'est une nation robuste,
vne nation ancienne , vne nation de laquelle
tu ne sçauras pas la langue, & elle
mangera ta moisson & ton pain que deuoyent
manger tes fils & tes filles , & reduira
à pauureté par l'espee tes villes munies
esquelles tu te confiois . Et partant
puis que Dieu nous tesmoigne encore
tant de bonté que de nous aduertir en
nous menaçant , nous donnant du
temps comme à ceux de Niniue , auisons
à ne le mespriser pas , secouans
pour cet effect cette securité charnelle
dans laquelle nous viuons , & faisans
estat que n'estans pas meilleurs que
les autres , les mesmes maux nous
peuuent iustement arriuer. O si comme
vne frayeur extraordinaire a fait leuer
d'autresfois des hommes en sursaut,
celle des iugements de Dieu pouuoit
donc exciter auiourd'huy nostre stupidité
dormante ! Certainement nous
serions en vn estat bienheureux ; car
comme ceux qui s'esveillants pendant
la nuict voyent le feu se prendre à
quelque coin de leur maison , accourent
incontinent à l'eau afin de l'esteindre ;
ainsi si nous pouuions bien
voir le brasier ardent de l'ire de de Dieu
que nos pechés ont allumé , indubitablement
nous aurions recours aux
larmes ameres d'vne serieuse repentance
pour esteindre les flammes , &
l'empescher de venir iusques à nous,
afin de n'en estre pas consumés : estant
chose certaine que c'est le seul remede
[qui]
qui nous reste,& duquel nous puissions
attendre du soulagement ; Dieu ayant
cette repentance tellement agreable
qu'il destourne à mesme temps les
orages dont il menaçoit les hommes,
& laisser tomber les verges qu'il tenoit
entre les mains pour frapper dés qu'il
void qu'ils en apprehendent les coups,
& se mettent en estat d'humilité pour
reclamer ses compassions.
Nous auons ici vn bel exemple qui
nous y conuie , veu que Ionas ayant
crié dans la ville , Encore quarante iours
& Niniue sera renuersee , le S. Esprit
nous dit en suite que ceux de Niniue
creurent à Dieu, & publierent le ieusne, &
se vestirent de sacs depuis le plus grand
d'entr'eux iusques au plus petit . Actions
vrayement notables, & qui nous font
voir l'effect de la predication de ce
Sainct Prophete , lequel reluit en icelles
d'vne façon du tout admirable : &
d'autant plus qu'il n'y auoit aucune apparence
qu'vn si grand peuple , nourri
dans l'idolatrie , plongé dans le vice ,
accoustumé à l'iniquité , & se plaisant
dans les delices de la chair & du
monde eust peu fleschir si promptement
à la premiere voix du ciel par laquelle
il estoit menacé ; veu qu'il est
certain que comme ceux qui habitent
pres des precipices des grosses eaux
sont sourds,qu'aussi il est malaisé que la
Parole de Dieu entre si promptement
dans les oreilles eslourdies du bruit
du monde,& estourdies par le courant
des conuoitises : & neantmoins comme
les murailles de Ierico tomberent
au son des cornets de belier , voici
les forteresses de Satan,de la chair & du
monde,qui tombẽt au son de la voix de
ce Prophete criant au milieu de la ville;
les cœurs de tous les habitãs s'abattãs
par repentance en la presence de ce
grand Dieu qui les menaçoit ; iusques
là , qu'il est remarqué dans l'histoire
que le Roy mesme se leua de son throsne
& osta de dessus soy son vestement
magnifique , & se couurit d'vn sac , &
s'assit sur la cendre ; changement merueilleux,
qui fait paroistre veritable la
loüange par laquelle l'Apostre recommande
la vertu puissante de la Parole
de Dieu,
Heb.chap.4. disant,
qu'elle est
[ viuante ]
viuante & d'efficace , & plus penetrante
que nulle espee à deux trenchants , qu'elle
atteint iusques à la diuision de l'esprit &
de l'ame,des iointures, & des mouëlles , &
est iuge des pensees & intentions du cœur.
Aussi est-ce le tesmoignage que l'Eternel
lui rendoit,
Ierem. chap.23. disant,
Ma parole n'est-elle pas tout ainsi qu'vn
feu , & comme vn marteau qui debrise
les pierres ? Mais examinons particulierement
les actes de ces gens ici. Nous
trouuons qu'ils sont en nombre de
deux , l'vn qui regarde la Loy , l'autre
qui regarde la repentance:pour le premier,
il est dit qu'ils creurent à Dieu,
c'est à dire , que recognoissans ce Prophete
leur estre enuoyé de la part de
Dieu , ils receurent sa Parole comme
procedee de son conseil , & adjousterent
foy à icelle , demeurans certainement
persuadés qu'ayants merité d'estre
destruits par leur infame conuersation,
ils le seroyent indubitablement,
s'ils n'appaisoyent ce grand Dieu qui
les en menaçoit par la bouche de ce
sien seruiteur : en quoy ils se tesmoignent
bien differents de ces peruers
des dix lignees d'Israel,lesquels ayants
ouï les menaces de leur destruction
qui leur estoyent faites par les Prophetes,
ils s'en mocquoyent, & n'en croyoyent
du tout rien , disans , comme il
est rapporté en
Esaïe chap. 28. Nous
auons traitté accord avec la mort, & auons
intelligence avec le sepulchre ; quand le
fleau desbordé trauersera il ne viendra
pas sur nous . Et certes ayans sujet d'admirer
en cela leur foy , nous trouuons
qu'il y a trois choses qui la rendent du
tout admirable , & leur condition precedente
qui estoit vn estat d'ignorance
de ce Dieu auquel ils croyent maintenant ,
& duquel ils n'auoyent iamais
plus ouï parler par forme d'instruction :
car il est certain que cette ignorance
estant naturelle en leur entendement,
elle leur donnoit vne totale
indisposition à la foy de sa parole , veu
qu'il faut necessairement cognoistre la
verité & puissance de celui qui parle
pour donner son consentement à ce
qu'il dit , & se laisser persuader , soit à
ses menaces,soit à ses promesses , pour
en craindre ou en esperer l'accomplissement,
[sement,] l'homme estant vn animal
raisonnable qui n'est pas emporté en
ses mouuements sans intelligence
comme les bestes,ains ayant vn entendement
pour cognoistre plustost que sa
volonté ne se porte à l'action. C'est
pourquoy vous voyez au
chapitre 5.
de l'Exode, que Pharao se mocque des
semonces que Moyse lui faisoit de la
part de l'Eternel , de laisser aller son
peuple , sur ce qu'il n'auoit pas sa cognoissance,
disant ,
qui est l'Eternel , que
i'obeisse à sa voix ? ie ne cognois point l'Eternel ,
& mesme ie ne laisserai point aller
Israel . La seconde estoit la qualité
de celui qui parloit à eux de la part de
Dieu , qui estoit vn homme estranger
& incognu , sans auoir autre lettre de
creance de sa part que sa seule parole;
Car c'est vne chose euidente , que pour
adjouster foy aux paroles que quelqu'vn
nous rapporte de la part d'vn autre,
il faut par mesme moyen croire que
celui-là est enuoyé par lui: d'où aduient
que nostre Seigneur Iesus Christ
donnant commission à ses Apostres
pour aller prescher l'Euangile par toute
la terre , annonçant la vie à tous
ceux qui croiroyent , & la mort à ceux
qui seroyent incredules , il les reuestit
du don de miracles , afin que , n'appartenant
qu'à Dieu de donner pouuoir
de faire des miracles , ils peussent faire
paroistre par iceux que leur vocation
estoit veritablement de Dieu , & amener
par ce moyen d'autant plus facilement
les hommes à la foy de leur parole
pour croire à icelle comme à vne
Parole de Dieu. Au lieu que Ionas n'auoit
rien de cela , ains se contentoit
seulement de les menacer par sa simple
denonciation , disant , Encore quarante
iours & Niniue sera renuersée .
La troisiesme regarde la chose qu'il
annonçoit ; car quelle apparence
y auoit-il qu'vne puissante ville telle
que celle-là , le siege de la monarchie,
le refuge des estrangers , la force du
royaume, la gloire de la nation, les delices
du païs , deust estre renuersee
dans si peu de temps , veu mesme que
c'estoit pour lors que l'empire des Assyriens
florissoit plus que iamais , comme
il se remarque par les histoires , &
[qu'il]
qu'il n'y auoit point d'ennemis en
campagne pour leur donner sujet d'apprehension ?
Adjoustons à cela que
les pecheurs adonnés au vice se trouuent
tellement stupides, qu'oyans parler
des choses pour lesquelles ils ont
de l'auersion , comme contraires à leur
felicité temporelle , ils ne peuuent pas
se persuader facilement qu'elles leur
doiuent arriuer,ains se flattent au contraire
dans leurs pensees , & sur tout
lors que les apparences ne se rencontrent
pas ; tesmoin ce qui est escrit en
Ieremie chap. 36.où nous voyons qu'vne
de ses propheties ayant esté leuë en
presence du Roy Iehojakim & de ses
principaux Seigneurs , tendante à la
ruine de Ierusalem ; il est dit que ni
le Roy ni ses seruiteurs n'en furent
point effrayés , & n'en deschirerent
point leurs vestements , qu'au contraire
le Roy commanda d'empoigner
Ieremie & Baruc son Secretaire : &
neantmoins voici ceux-ci qui n'estans
pas accoustumés à ouïr la Parole de
l'Eternel , entendans cette denonciation
extreme qui resonne à leurs oreilles ,
Encore quarante iours & Niniue sera
renuersee , ils creurent à Dieu.
Ici pourtant ne faut-il pas penser
que cette foy qui se trouua dans leur
cœur à cette rencontre fust vn effect de
leur franc arbitre : comme si ayants eu
le pouuoir de croire ou ne croire pas,
leur volonté s'estoit portee à cet acte
par ses forces naturelles, en faisant acquiescer
l'entendement à cette parole
pour la reputer veritable , & la receuoir
comme telle par le pouuoir que
elle a sur lui : car c'est à faire aux anciens
heretiques Pelagiens & demi Pelagiens
de parler ainsi , & dont ils ont
esté blasmés & condamnés par l'orthodoxe
antiquité auec iuste raison , veu
que la nature de l'homme est tellement
corrompue , qu'outre les tenebres qui
occupent son entendement pour ne
pouuoir pas discerner le vray d'auec le
faux , le bien d'auec le mal , sa volonté
est entierement deprauee , n'ayant aucune
inclination pour les actions salutaires ,
ains estant toute portee au
mal , tellement que tant s'en faut qu'il
ait quelque disposition à la foy , pour
[croire]
croire à la Parole de Dieu lors qu'elle
lui est annoncee , soit par forme de
promesse , soit par forme de menace,
qu'au contraire il ne peut que resister à
icelle & s'en mocquer tout à fait , au
lieu de la receuoir;tesmoin la sentence
de l'Apostre au
chap.3. de la 2. Epistre
aux Corinthiens , disant ,
que nous ne
sommes pas suffisants de penser quelque
chose de nous comme de nous mesmes . Aussi
est appelé le cœur de l'homme vn
cœur de pierre dans l'Escriture , & Ieremie
le Prophete
chap. 17. nous dit
qu'il est desesperément malin ; tellement
qu'il en faut necessairement venir
là , pour dire que ce fut Dieu mesme
qui accompagna la parole du Prophete
de sa grace celeste , en telle sorte
que frappant leurs oreilles par le
son de sa voix au dehors , il toucha
aussi à mesme temps leurs cœurs au dedans
par la vertu efficacieuse de son
Esprit , leur faisant comprendre en
leur entendement que cette parole
n'estoit pas du Prophete , pour la mespriser ,
ains que c'estoit la sienne,
pour la considerer auec respect, & fleschissant
aussi à mesme temps leur volonté
par vn changement efficacieux,
afin de la receuoir comme telle par
obeissance de foy , & c'est ce que S.
Paul nous apprend,
Ephes.chap.2. lors
qu'il dit ,
que la foy est vn don de Dieu ,
d'où vient le dire de Moyse aux enfans
d'Israel,
chap.29. du Deuteronome ,
L'Eternel ne vous a point donné cœur
pour entendre , ni yeux pour voir , ni oreilles
pour ouïr , iusques à ce iourd'huy . Autrement
Ionas eust eu beau prescher
& crier parmi ces gens, certes ils n'auroyent
iamais adjousté foy à sa parole,
ains au contraire ils l'auroyent mesprisé,
reietté,battu , chassé , ou mesmes
tué , l'oyants, ainsi parler contr'eux,
comme estans tout à fait vicieux &
destitués de la crainte de Dieu , veu
que c'est ainsi que les habitans de Ierusalem
mesme traittoyent d'ordinaire
leurs Prophetes , lors qu'ils leur annonçoyent
choses fascheuses : à raison
dequoy elle estoit appelee
la ville
sanguinaire , ville qui aimoit à respandre
le sang , & les Iuifs
meurtriers des
Prophetes . Et c'est ce qui est capable
[de] de nous oster l'estonnement que nous
pourrions cõceuoir de la promptitude
de leur foy , voyans qu'à mesure qu'ils
ont ouï cette denonciation ,
Encore
quarante iours & Niniue sera renuersee ,
ils ont creu à Dieu , & ce d'autant plus
qu'il y en a eu ailleurs des milliers qui
ayants ouï plusieurs menaces qui leur
estoyent faites de la part de l'Eternel,
n'ont iamais peu se persuader qu'elles
deussent auoir leur accomplissement :
car Dieu ayant vne puissance infinie,
il n'a pas besoin de temps pour faire
ses œuvres comme les hommes : ains
comme nous voyons en la creation,
que disant la parole , la chose estoit à
mesme instant ,
que la lumiere soit , & la
lumiere estoit : Ainsi en la conuersion des
pecheurs , qui est vne seconde creation ,
il n'a que dire dans le chaos de
leur ignorance , que la lumiere soit , &
les voila à mesme temps illuminés
pour cognoistre les choses appartenantes
à leur salut , & fleschir sous
son authorité : c'est pourquoy vous
voyez
Actes chap. 2. que S.Pierre ayant
presché aux Iuifs il y eut trois mille
ames qui creurent en vn iour , receuants
d'vn franc courage la parole
qu'il annonçoit : car la foy estant vne
illumination de l'entendement , il en
va d'elle comme de l'illumination de
l'air , laquelle nous voyons se faire en
vn instant.
Ce n'est pas tout , ains si ces gens de
Niniue ont creu à Dieu , menaçant de
ruine dans quarante iours par la bouche
de son Prophete , aussi ont-ils tesmoigné
leur foy par leurs actions au
dehors , s'humilians à mesme temps
en la presence de Dieu qu'ils ont recognu
iustement courroucé, & puissant
pour les punir , ainsi que cela nous est
rapporté ensuite,lors qu'il est dit, qu'ils
publierent le ieusne , & se vestirent de sacs
depuis le plus grand d'entr'eux iusques au
plus petit : & ce fut l'ordre que le Roy
mesme donna , comme il est dit dans
l'histoire , Ionas lui ayant sans doute
fait entendre que c'estoit la maniere
en laquelle estans vrayement repentans
au dedans , ils se deuoyent humilier
en la presence de Dieu au dehors
pour destourner son courroux,
[suiuant]
suiuant la prattique obseruee parmi
son peuple , lors qu'ils estoyent menacés
de quelque orage , & ils estoyent
en apprehension de tomber dans
quelque insigne malheur : plus sage
par consequent en cela qu'Achab Roy
d'Israel , lequel oyant que Michee lui
prophetisoit des choses fascheuses, au
lieu d'en faire son profit pour tascher
de les preuenir par repentance , il s'indigne
contre lui & le fait mettre en
prison ,
2. Chronic. chap. 18. Or laissant
ici à part le traitté du ieusne , ie vous
dirai seulement qu'il estoit prescrit par
les Prophetes sous l'ancien Testament,
comme vn exercice d'humilité , en
telle sorte que ceux qui ieusnoyent ne
pretendoyent pas satisfaire à la Iustice
de Dieu pour leurs pechés , & faire
vne œuure meritoire , attendu que
Dieu ne peut estre satisfait par les hõmes
pecheurs , ni obligé à leur bien
faire , quoy que la superstition oblige
plusieurs auiourd'huy de penser autrement ,
contre les enseignements de
l'Escriture ; ains leur dessein estoit de
se confesser par là indignes de viure,
& tresdignes de mourir , voire de faire
vne protestation solemnelle de cela ,
pour rendre par ce moyen leurs
prieres plus agreables deuant Dieu ;
d'où vient le dire d'Esdras,
chap.8. Et
ie publiai le ieusne aupres du fleuue d'Ahana ,
afin de nous humilier deuant l'Eternel
nostre Dieu . Et pour les sacs dont
ils se sont couuerts , nous trouuons
que c'estoit pareillement vne ceremonie
dont les Iuifs vsoyent en ces mesmes
rencontres pour tesmoignage
d'humilité , comme le remarque Iosephe
leur historien ,
liu. 10 de ses Antiquités,
chapitre 1. Au lieu que l'orgueil
a accoustumé de porter les hommes
à se couurir d'habillements somptueux ,
afin de paroistre aux yeux de
leurs prochains & acquerir par ce
moyen de la gloire :en telle sorte qu'ils
protestoyent par là renoncer à toute
vanité mondaine , & tesmoignoyent
recognoistre qu'ils estoyent entierement
dignes d'estre exposés à la honte
& au mespris de tous par leurs deportemens
passés. Tellement que voici
vn grand peuple abattu , & en vn
[estat]
estat d'humilité du tout remarquable
contre toutes apparences : car qui eust
iamais creu que des gens si riches , si
puissants,si orgueilleux, si meschants,
qui auoyent serui durant toute leur vie
au diable , au monde , au peché, & à la
chair,pour contenter leurs passions, &
assouuir leurs conuoitises , eussent peu
estre reduits en vn estat où la pieté paroissoit ,
la crainte de Dieu , l'humilité,
la repentance ; où se voyoit le mespris
du monde,l'adieu de Satan,le renoncement
de la chair,pour suiure desormais
les sainctes loix du ciel , & plier sous
l'authorité de ce grand Dieu qui les auoit
menacés ? Estoit-ce pas vn spectacle
admirable de voir trembler tãt d'ames
en la presence du vray Dieu qu'elles
auoyent ignoré & offensé iusqu'à
lors ? reclamants sa grace , & s'attendans
à ressentir ses compassions ? Car
ne pensez pas qu'il en fust comme de
la repentance d'Achab , lequel oyant
les menaces qui lui estoyent faites par
le Prophete , Il deschira ses vestements,
& mit vn sac sur sa chair, & ieusna : s'humiliant
par ce moyen par hypocrisie,
afin d'euiter le mal present : ains il appert
par la suitte de l'histoire que ce
n'estoit pas des apparences, ains des signes
d'vne vraye repentance , le cœur
estant vrayement humilié au dedans
comme leurs corps l'estoyent au dehors ,
prattiquans par ce moyen l'exhortation
que l'Eternel donnoit aux
Iuifs par la bouche de Ioel le Prophete,
disant ,
Retournez-vous à moy de tout
vostre cœur , & en ieusne , & en pleur , &
auec lamentation ,
chap. 2. Car il est dit
en effet au
verset dernier de ce chapitre ,
que Dieu regarda à ce qu'ils auoyent
fait , comment ils s'estoyent destournez de
leur mauuaise voye , & Dieu se repentit du
mal qu'il auoit dit qu'il leur feroit , & ne
le fit point .
Et c'est iustement comme cela qu'il
y faloit proceder. Car comme on baisse
la teste pour euiter les canonnades
qu'on void venir , aussi faut-il s'humilier
pour eschapper les punitions dont
on se void menacé ; & de fait si on dit
du lion qu'il deschire en sa fureur
ceux qui lui veulent faire teste , & espargne
au contraire ceux qui s'abbatent
[tent]
deuant lui;aussi pouuõs nous asseurer
que l'Eternel fait le mesme enuers les
pecheurs , pardonnant aux humbles, &
punissant les orgueilleux. Il fait comme
la foudre,laquelle fracasse ordinairemẽt
les chesnes haut esleués , & espargne
au contraire le tin, la marjolaine, & ces
autres petites herbes qui rampent sur la
terre. C'est ce que nous voyons
2. Rois ch.
22. où il tient ces propos à Iosias Roy de
Iuda,
Pource que ton cœur s'est amolli,& que
tu t'es humilié deuant l'Eternel quand tu as
ouï ce que i'ay prononcé contre ce lieu ici &
sur les habitans d'icelui ; c'est qu'ils feroyent
en desolation & malediction.Et pource que tu
as deschiré tes vestemens & as pleuré deuant
moi,& moi aussi ie t'ay exaucé,dit l'Eternel .
D'où vient le dire de S. Pierre,
Ep.1. ch.5. Soyez parés par dedans d'humilité,pource
que Dieu resiste aux orgueilleux, mais il fait
grace aux humbles . Et certes ils estoyent
conuiés à cet estat d'humilité par la nature
de la menace qui leur estoit faite:car
si les colomnes des cieux s'esbranlent &
s'estonnent aux menaces du Dieu fort,
Job ch.26. qu'est-ce que ne doiuent faire
les hommes,qui ont des yeux pour voir
& des oreilles pour ouïr? Il se peut bien
faire, & ne se void que par trop , qu'vn
homme demeurera dans son peché sans
rien apprehender,tandis que Dieu ne le
resveille pas en son endurcissement par
quelque voye extraordinaire , comme
nous en auons l'exemple en la personne
d'Achab,de Manassé & plusieurs autres.
Mais lors que le lion rugit qui est-ce qui
ne fremira?& qui n'apprehendera sa ruine,
oyant la voix tonnante de Dieu,pour
dire dans les frayeurs d'vne conscience
tremblottante,Ha miserable!& qu'ai-ie
fait?quels malheurs n'ai-ie pas attiré sur
mon ame par mes infames desportemẽs?
On dit de la biche,qu'estant en peine de
se deliurer de son faon,elle se descharge
facilement, oyant le bruit du tonnerre;
ainsi que le Prophete semble mesme le
tesmoigner au
Ps.29.lors qu'il dit que sa
voix est bien si forte,qu'elle la fait auorter:
& c'est ce que les menaces de Dieu
doiuent produire enuers les pecheurs,le
bruit d'icelles les deuant effrayer en telle
sorte,qu'ayans conceu le peché,ils se
iettent dehors par repentance,afin de se
mettre en estat de salut.Aussi est-ce l'ordre
[dre] que Dieu mesme prescrit, & ce qu'il
requiert des pecheurs , si tant est qu'ils
vueillent euiter ses iugemẽs;estant chose
certaine que comme l'orgueil a chassé
l'homme du ciel & l'a priué de toutes ses
faueurs,qu'aussi il veut que ce soit l'humilité
qui le remette en la iouïssance de
l'vn & de l'autre , & qu'ainsi le mal se
trouue gueri par son cõtraire,comme és
maladies du corps:car Dieu ne peut pas
regarder en haut, attendu qu'il n'a rien
au dessus de soy; ni à costé,veu qu'il n'a
rien d'esgal:tellement qu'il n'y a que les
choses basses , les cœurs humbles & abbatus,
qui soyent & puissent estre l'objet
de ses compassions. C'est ce qu'il nous
declaroit lui mesme assez appertement,
Esa.chap.66.lors qu'il s'escrioit en cette
sorte,
A qui regarderai-ie sinon à l'esprit
contrit & humilié, & qui tremble à mes paroles ? d'où nous voyons
2.Chron.chap.7. qu'il en fait cette promesse expresse,disãt
Si ie ferme les cieux, & qu'il n'y ait point
de pluye ; & ie commande aux sauterelles de
consumer la terre,& si i'enuoye la mortalité
parmi mon peuple; & que mon peuple,sur lequel
mon Nom est reclamé,s'humilie,& face
requeste,& cerche ma face,& se destourne de
son mauuais train , adonc ie l'exaucerai des
cieux,& pardonnerai leurs pechés,& guerirai
leur terre . O sainte humilité que tu es
donc efficacieuse! ô vertu excellẽte que
tu es salutaire ! Certes ces gens le trouuerent
bien comme cela , lors qu'ayans
merité d'estre destruits par leurs pechés,
ils se maintindrent pourtant debout,
nonobstant la menace de leur destruction ,
apres s'estre humiliés de la sorte
en ieusne & vestement de sacs; l'Eternel
ayãt accepté leur humilité pour destourner
de dessus leurs testes les iugemens
qu'il auoit resolu de leur enuoyer, tant
il a cette vertu agreable au salut & consolation
des humains. Ici donques voyons-
nous l'exemple d'vne vraye conuersion,
telle qu'elle est commandee de la
part de Dieu,puis qu'ils creurent à lui &
se repentirent deuant sa face. Ces deux
vertus , assauoir la foy & la repentance,
estans celles qui font la conuersion entiere;
d'où auient que Iesus Christ commençant
d'exercer son ministere entre
les hommes pour appeler les pecheurs
au salut,sa premiere leçon fut cõçuë en
[ces]
ces termes ,
Amendez-vous, & croyez en
l'Euangile : aussi estoit-ce le sommaire de
toutes les predications de S.Paul, selon
qu'il le declare lui mesme,
Act.ch.20. disant,
qu'il testifioit tant aux Juifs comme aux
Grecs la repentance qui est enuers Dieu, &
la foy en Jesus Christ nostre Seigneur : tellement
que voici des gens totalement
transformés par vn changement subit &
du tout admirable , voire plus admirable
que celui de l'eau en vin en Cana de
Galilee,par la puissãce diuine de nostre
Seigneur Iesus Christ ; veu que si l'eau
n'auoit pas de la disposition naturelle à
cette cõuersion,elle n'y portoit pas aussi
de la resistance:au lieu des peruerses habitudes
de ces gens qui resistoyent totalemẽt
à cette œuvre,outre la repugnãce
naturelle qu'il y auoit entre leurs inclinatiõs
& ces actes d'humilité:ce ne sont
donc plus des loups rauissans, des lions
rugissans,des boucs puants en vice;ains
ce sont des agneaux en debonnaireté,
abbatus de crainte,au lieu de demeurer
esleués en fierté ; humiliés de cœur, au
lieu de l'orgueil qui les auoit enflés iusqu'
à lors;recognoissans leurs crimes,au
lieu de l'endurcissement dans lequel ils
auoyent vescu;demandans grace,au lieu
de l'insolence par laquelle ils auoyent
braué la iustice diuine. En vn mot,adorans
& tremblans deuant le Dieu d'Israel ,
au lieu des fausses diuinités apres
lesquelles ils auoyent idolatré.
Et c'est ici où nous deuons rougir,
nous di-ie qui faisons profession d'estre
le peuple de Dieu : car voila vne seule
predication qui conuertit tant de milliers
de personnes en vn moment , les
rendans croyans & repentans; & cependant
mille predications ne peuuent pas
nous conuertir auiourd'huy d'vn seul
vice auquel nous sommes adonnés;ains
quoy que Dieu ioigne d'ordinaire à sa
parole la verge de ses chastiments,nous
deuenõs tous les iours pires;semblables
à ceux dont il est parlé en l'
Apocalypse
chapit. 16. lesquels au lieu de profiter de
leurs maux,il est dit,
qu'ils blasphemerent
le Dieu du ciel , & ne se repentirent point de
leurs actes : tellement qu'il ne faut pas
douter si ayans auiourd'huy vn exemple
si memorable deuant les yeux nous venons
à persister dans nostre corruption,
[au] au lieu de l'imiter, il ne nous tourne vn
iour à condamnation,lors qu'il sera question
de comparoistre deuant Dieu, ainsi
que nostre Seigneur le declaroit touchãt
les Iuifs,
Matth. chap.12. disant,
Ceux de
Niniue se leuerent au iugement auec cette
nation, & la condamneront , pourtant qu'ils
se sont amendés à la predication de Ionas . Et
partant si nous croyons aux menaces que
Dieu nous fait de nous chastier,(comme
nous sommes obligés d'y croire ) & si
nous sommes effrayés des maux qui trauaillent
ceux de dehors,souhaitans que
ils ne passent pas iusques à nous;auisons,
mes freres, nous humilier deuant Dieu,
à l'exemple de ces gens , & sur tout de
cœur, comme nous auons nos corps abbatus
par l'exercice du ieusne , n'attendans
pas que ses iugements nous accablent,
puis qu'il nous donne du temps
afin de les euiter,voire vn temps de paix
s'il y en a point en aucun royaume de la
terre habitable : car en effect nous trouuons
dans l'Escriture saincte que Dieu a
accoustumé de vanger le mespris de ce
temps par les plus seueres punitions de sa
iustice,ainsi que Ierusalem nous en peut
faire foy , à laquelle Iesus Christ faisoit
cette denonciation, disant ,
O si toy aussi
eusses cognu , voire au moins en cette tienne
iournee,les choses qui appartiennẽt à ta paix ,
Luc chap. 19. Car les iours viendront sur toi
que tes ennemis t'assiegeront de tranchees, &
t'enuironneront,& t'enferreront de tous costés:
Et te raseront toi & tes enfans qui sont en toi,
& ne laisseront en toi pierre sur pierre , pourtant
que tu n'as pas cognu le temps de ta visitation .
Que si toute sorte de gens prennent
vtilement le temps qui est propre à
leurs affaires,les mariniers celui du vent
& des marees , les laboureurs la saison
des semẽces,les voyageurs celui du iour,
prenons donc pareillement celui-ci qui
est le nostre , & que Dieu nous offre en
ses grandes compassions, nous souuenãs
que l'occasion qui est la fiche du temps,
est cheuelue par deuant , & chauue par
derriere , pour dire qu'il la faut prendre
lors qu'elle se presente,sous peine de ne
la pouuoir plus attraper lors qu'elle nous
sera eschappee. Pour cet effect ne nous
contentons pas d'auoir demeuré ce iourd'huy
dans ce temple sans rien manger,
veu que les plus meschans en peuuent
[fai-] faire autant par hypocrisie : ains resoluons-
nous de ieusner à peché durant le
reste de nos iours , en telle sorte que nostre
vie soit vn ieusne perpetuel ,
nous
abstenans comme estrangers & voyagers des
conuoitises charnelles qui guerroyent contre
l'ame , suivant l'exhortation de S.Pierre,
1.Epist. ch.2. &
mortifians nos membres qui
sont sur la terre, paillardise,souïllure,appetit
desordonné,& auarice,qui est idolatrie , suiuant
l'exhortation de S. Paul,
Col. chap.3. C'est en effect le vrai ieusne que Dieu requiert
de nous,comme il le tesmoignoit
à son peuple,
chap.58.d'Esaïe ,disant,
Est-ce
là le ieusne que i'ay choisi,que l'homme afflige
son ame un iour? Est-ce en courbant la teste
comme le jonc; & estendant le sac & la cendre?
appelleras tu cela ieusne & iour acceptable
à l'Eternel? N'est-ce pas plustost ici le
ieusne que i'ay choisi,que tu desnouës les liens
de meschanceté ? Ce sera par ce moyen
que nous serons vrayement repentans
& humiliés deuant la face de Dieu,comme
ceux de Niniue ; en telle sorte que
comme ils eschapperent la ruine dont ils
estoyent menacés, pour s'estre humiliés,
ainsi ferons-nous les maux que nos pechés
sont capables d'attirer sur tout l'estat
en general & sur le corps de l'Eglise
en particulier , & subsisterons au contraire
paisiblement pour glorier son S.
Nom en la continuation & augmentation
de ses gracieuses faueurs : veu que si
l'Empereur Antonin fit iadis vn Edict en
faueur des Chrestiens ,
Euseb.lib.4.ch.12. ayant veu le zele qu'ils auoyent tesmoigné
enuers Dieu parmi les malheurs du
temps , il pourra arriuer que le Roy qu'il
a pleu à sa diuine Majesté esleuer sur nous
en fera vn autre en nostre faueur , pour
rendre nostre condition meilleure , en
adjoustant des nouuelles graces à celles
que nous auons receu de ses predecesseurs,
voyant l'affection que nous auons
tesmoigné à conseruer la paix dans l'estat,
& ressentant les effets bien-heureux
d'icelle en la benediction de Dieu. Que
nos prieres soyent donques auiourd'huy
comme autant de parfums dans l'encensoir
de la foy pour destourner les playes,
les presentans deuant Dieu par le mouuement
d'vne sérieuse repentance afin
de l'appaiser : Et cependant que ceux de
religion contraire ayants publié des Iubilés,
[bilés,]
taschent de gagner les Indulgences,
inuoquent les Saincts,font dire des
Messes, visitent les Eglises pour obtenir
la paix generale , qui sont des remedes
inutiles , comme inuentés par les hommes:
offrons donc auiourd'huy à Dieu,le
Seigneur de gloire,& le chef des armees,
le sacrifice d'vn cœur repentant , froissé
par la douleur amere de nos pechés , abbatu
par la crainte de ses iugements, &
embrazé de zele pour lui rendre le seruice
raisonnable qu'il demande de ses enfans :
c'est en ce faisant que nous reussirons
heureusement,& verrons auec ioye
les fruicts de nostre ieusne : c'est comme
cela que nous conseruerons la paix dans
le royaume, & attirerons la benediction
du ciel sur la personne sacree de nostre
Roy & de la Reyne regente , sur tous ses
Estats & entreprinses ; veu que le bon
heur des Rois depend de la sagesse de
leurs sujets , tout ainsi que leur malheur
prouient ordinairement de l'impieté &
malice d'iceux: & finalement c'est ce qui
nous donnera vn accez fauorable au
throne de la grace de Dieu,lors qu'etant
question de desloger de la terre,il faudra
comparoistre deuant lui:où nous presentans
comme des gens reformés,despouïllés
des vices, & reuestus des vertus,auec
vn sainct desplaisir de l'auoir tant offensé,
il nous embrassera de ses compassions,
& nous ayant prononcé la sentence de
nostre absolution par la remission de nos
pechés , il nous introduira en sa gloire,
où nous ne ieusnerons plus , ains serons
au contraire eternellement rassasiés par
la beneficence de l'Agneau qui nous paistra,
& rendra par ce moyen nostre condition
parfaitement heureuse : là serons
nous dõc à l'abri de toutes les tempestes
du monde,là demeurerons-nous en vne
perpetuelle paix,sans crainte;là verrons
nous tous nos ennemis vaincus sous nos
pieds : si que possedans tout ce que nous
sçaurions souhaitter,nous n'aurons plus
besoin de prier pour demander , ains recognoissants
de graces passees nous benirons
eternellement le Dieu de gloire
par le sacrifice de nos louanges : comme
aussi dés maintenant & à tousiours , à lui
Pere , Fils & S.Esprit, soit louange, honneur,
& gloire. Ainsi soit-il.