LE THRONE
DE GRACE.
OV SERMON
Fait en l'Eglise Reformée de Paris, assemblée
à Charenton le 7.Septembre
de l'an 1642. jour
de Cene.
Sur les paroles, Hebr.4.I6.
Allons donc auec asseurance au throne
de Grace.
LEs Vertus Morales ont esté
rangées jadis par des hommes
sages en deux bandes. Les vnes
ont esté appelées premieres vertus,
les autres,secondes. Les premieres
vertus sont celles qui sont aimables
d'elles mesmes. Les secondes ne le sont
que pour suppléer au deffaut des autres.
Par exemple , la Iustice est vne premiere
vertu,parce qu'elle est aimable d'elle mesme,
comme vn rayõ de l'image de Dieu.
Mais la vaillance n'est qu'vne seconde
vertu , qui presuppose manquement de
iustice. Car si tous les hommes estoyent
iustes,on n'auroit que faire de la vaillance.
Chacun demeureroit en la possession
de ce qui lui appartient, & laisseroit, ou
rendroit ce qui appartient à autruy.
Nous pouuons rapporter cette distinction,
mise entre les vertus morales , aux
vertus superieures , qui sont enseignées
en L'Eglise de Dieu.Il y a semblablement
des premieres vertus,& des vertus secõdes.
Par exẽple: L'innocence, de laquelle Dieu
auoit reuestu le premier hõme en sa creation,
& en sa personne tout le genre humain
est vne premiere vertu , aimable
d'elle mesme,comme vn clair rayon, ou
plustost vn assemblage exquis de plusieurs
rayons de l'image de Dieu. Mais la
Repentance n'est qu'vne seconde vertu,
qui n'est ni aimable ni souhaittable, que
pour suppléer au manquement de l'innocence.
Les bons Anges,qui ont gardé
leur origine, sont demeurés en la possession
de la premiere vertu. Mais les hommes,
en estans decheus par leur peché,ne
peuuent auoir aucun accés à Dieu, sinon
[par]
par cette seconde vertu, qui est la seule
planche qui leur reste pour se sauuer. Et
comme l'Escriture Saincte appelle le prix
de l'innocẽce & de l'obeïssance,vie: Ainsi
appelle elle le fruict de la repentance salut,
parce que c'est vne vie renduë,& vne
vie renduë par grace, & vne vie renduë à
des criminels, ausquels tout le contraire
estoit deu,c'est assauoir la mort.
La mesme distinction,que nous conceuons
entre nos vertus,peut estre rapportée
aussi fort conuenablement aux vertus,
que nous conceuons en Dieu.La premiere
vertu,que Dieu a desployée enuers
l'homme en sa creation,est sa Bonté,qui a
produit son image en l'homme : Mais la
seconde vertu,que Dieu a desployée en sa
Redemption, est sa Grace,qui a pour objet
l'homme pecheur, mais l'homme pecheur
repentãt,& recourant à son Dieu,
appaisé enuers lui en la face de son
Christ. Et cõme l'homme en l'estat d'innocence,
eust trouué la felicité en la Bonté
de son Dieu: Ainsi apres qu'il s'est eschappé
par son peché,il ne la peut trouuer,
qu'en sa Grace.
Cette Table mystique, qui est dressée
derechef auiourd'huy deuant nos yeux,
Mes freres , n'est pas vne preuue de nostre
premiere vertu, c'est assauoir de nostre
innocence : Mais vne marque de la seconde ,
c'est assauoir de nostre Repentance.
Car nous n'y venons pas, comme
innocens à la Bonté de nostre Dieu,
mais comme repentans nous recourons
à sa Grace, qu'il nous a departie au Fils
de sa dilection. De faict nous sommes
obligés d'y cercher les gages & seaux de
nostre reconciliation auec luy, & de les
cercher par le moyen d'vn Mediateur
d'vne nouuelle Alliance.
Et puis que Dieu est si gracieux enuers
nous,que d'agréer cette seconde vertu,&
de nous dresser à cette Table vn Throne
de grace : Tant nostre deuoir que nostre
interest nous conuient de nous y rendre,
pour y trouuer non seulement les gages
de la grace de nostre Dieu,mais aussi les
moyens de nostre sanctification,à fin que
celuy qui a versé son sang pour nous,cõme
nostre Redempteur, verse son Esprit,
comme nostre Chef,sur nous,par lequel
nostre repentance soit accreuë, nostre
foy fortifiée,nostre charité embrasée,nostre
zele réueillé,nostre esperance entretenuë,
& nostre sanctification auancée.
[C'est]
C'est aussi le moyen de penetrer dés icy
bas au delà du voile,d'auoir part à la mãne
cachée, & de gouster & sauourer les
vertus du siecle à venir.
Pour nous disposer à vn si salutaire deuoir,
& nous restreindre quant & quant
dans l'enceinte de l'heure, nous nous arrestons
à peu de paroles:mais à des paroles
celestes & rauissantes, par lesquelles
l'Apostre S.Paul resueilla jadis les Hebreux:
leur representant par forme d'illation,
puis que Dieu leur auoit ouuert
derechef cette porte de grace,que de leur
donner vn Souuerain Sacrificateur,Sainct,
innocent,sans macule,separé des pecheurs,
qui auoit fait la purgation des pechés par
soy-mesme , & qui estoit exalté par dessus
les Cieux , tel neantmoins , qui auoit
aussi voulu auoir compassion de nos
infirmités, & estre tenté de mesme que nous
en toutes choses hormis peché; Qu'ils allassent
donques auec asseurance à ce Throne de
grace .
Et ces paroles se rapportent fort bien
aux actions de preparation, qui nous furent
faites la semaine passée : L'vne de
nous disposer par l'espreuue de nous
mesmes à cette saincte Table: L'autre,de
nous presenter deuant Dieu,non en qualité
d'esclaues,auec vn esprit de seruitude,
mais en qualité d'enfans auec vn esprit
d'adoption. Et comme nous auions besoin
d'estre disposés de nous mettre en estat
conuenable,pour pouuoir approcher du
Throne de grace:aussi auõs nous besoin
à present,d'estre exhortés d'y aller, & de
nous presenter deuant Dieu,A quoy seruirõt
ces paroles diuines de nostre Apostre,
qui vous ont esté leuës presentemẽt:
Esquelles il nous propose I.Vn Benefice
qui est offert, c'est assauoir vn Throne de
grace, II. Vn deuoir qui est demandé,
c'est assauoir , d'aller vers ce Throne,
III.La maniere qui y est requise,c'est assauoir
d'y aller auec asseurance. Allons auec
asseurance au Throne de grace .
Dv I.
Ce n'est pas sans grande raison, que l'Apostre
parle d'vn
throne & d'vn
Throne de
grace. Les Thrones sont marques de
dignité &
d'authorité. A qui est ce que l'hõme
Pseaume Ì04.I.2.3
pecheur a à faire ? A vn
Dieu reuestu
de Majesté & de Magnificence, qui s'enueloppe
de lumiere, comme d'vn vestement,
qui estẽd les cieux comme vne courtine,qui
planche ses hautes chambres entre les eaux,
[ qui ]
qui fait des grosses nuées son chariot, qui se
pourmeine sur les aisles du vent,qui fait des
vents ses Anges,& du feu bruslant ses seruiteurs .
Et à vn Dieu qui
est Juge de toute la
Genes. i8.25.
terre.
De faict les Thrones sont donnés en
l'Escriture Saincte
à deux sortes de personnes:
Premierement,aux
Rois & Monarques ,
aux
Puissances ordonnées de Dieu ,
Rom. I3.1.
enuironnées de splendeur & de Majesté,
& releuées au dessus du reste des hommes,
qui sont les Lieutenans de Dieu en
terre, ses
Oincts, par excellence, personnes
sacrées , voire
Dieux, & Enfans du
Pse. 82.6.
Souuerain , comme l'Esprit de Dieu les
qualifie luy mesme. Pour cet effet ils sont
representés en l'Escriture Saincte, esleués
sur des Thrones. Et en ce sens le Throne
est vne marque incommunicable de la
Royauté. C'est pourquoy, quelque honneur
que Pharao vueïlle estre rendu à
Ioseph,releué sur vn char Royal, & establi
sur tout le pays d'Egypte, à qui chascun
Genes.4I.40.
deuoit baiser la bouche ,(selon la façon
des Anciens, à rendre leurs hommages,
soit à leurs idoles,soit aux puissances superieures
en leur reception, ) il se reserue
neantmoins l'honneur du Throne.
Ainsi l'Escriture Saincte nous represente
fort particulierement le throne de Salomon,
1. Rois I0.I8.19.20
& en sa matiere, & en sa forme,
l'vne & l'autre exquise, auec ses degrez,
accoudoirs & ornements , comme vne
marque de sa magnificence royale. Ainsi
Eglon a son throne, le Roy de Niniue le
sien, & Iehoiakim estant restabli par le
2. Rois 25.28.
Roy de Babel en sa Royauté,il est dit que,
son throne fut mis au dessus du throne des
autres Roys , qui estoyent en Babylon.
D'où vient aussi, que les thrones sont
prins par fois pour les Roys mesmes,ou
pour la Royauté , à la façon des Hebreux,
qui nomment Dieu
la Puissance,la Gloire,
le Nom, le Ciel , par excellence.
Ainsi le Sage dit au liure des Prouerbes:
Que le throne est establi par iustice : & que
Prouer.16 I2. & 29. I4.
le throne du Roy qui fait iustice en verité,
aux chetifs, sera establi à perpetuité .
Les thrones aussi sont communiqués
quelques fois aux
Iuges,comme exerçans
des actes approchans de la souueraine
puissance. C'est en ce sens,que la parole
de Dieu fait mention non seulement du
throne de
maiesté de Salomon, mais aussi
I.Rois 7.7
de son ,
Throne de Iugement . Ainsi l'Ancien
Dan.7.9.
des iours, se representant en Iuge,
[appa-] apparoist sur vn throne, & aux Apostres
sont promis
douze thrones pour iuger les
Matth.19 28.
douze lignées d'Israel.
Les Anges aussi sont nommez Thrones,
Colos. I.16.
non seulement parce que Dieu auoit
son siege jadis entre les Cherubins, & estoit
assis sur l'Arche , comme sur vn
Psal.80.2.
throne, mais aussi parce qu'il se sert de
leur ministere,soit au gouuernement,soit
Dan.I0.3.
en l'affermissement, ou au reuersement
des thrones,soit en leur restablissement.
Mais vn throne est attribué icy au Fils
de Dieu, en vn autre sens, & ce par excellence,
pour marquer sa
Royauté & sa
Iudicature tout ensemble.Et c'est en quoi
l'Escriture Saincte begaye auec nous.Car
ne nous pouuant representer Dieu
tel
qu'il est , elle nous le represente
tel que
nous sommes,&pour nous faire comprendre
tant sa Maiesté de maistre,que sa
souueraine authorité de Iuge de toute la terre,
elle nous propose Dieu sur vn throne,
sur lequel les
Anciens mesmes & les
Animaux
Apocal.7.9.
le voyent assis en la Ierusalem
celeste.
L'Escriture Saincte aussi represente
Dieu fort souuent sur son throne,pour
abbaisser l'homme , & le disposer à vne
saincte reuerence enuers celuy à qui il a
à faire, comme estant logé en lieu éminent,
non seulement pour decouurir ses
crimes,mais aussi pour les punir, & lancer
ses foudres de bien haut sur la teste
des comtempteurs de sa Maiesté. De fait
c'est la premiere disposition, qui est necessaire
au pecheur,pour se presenter deuant
Dieu , comme il appartient, qu'il
cõçoiue, que Dieu est sur vn throne,par
consequent plein de Maiesté, & que tant
ce throne que celuy qui y est assis, est au
dessus de sa teste.Autrement l'homme se
hausse & s'enfle aisément,par ce premier
venin,que le Diable luy inspira jadis au
Paradis terrestre, estant plein de l'opinion
de sa grandeur, & de ses forces,sur
tout quand il est né en la pourpre, ou
qu'il se voit eleué sur le pinacle,ou qu'il
rencontre vn Theatre fauorable au monde,
ou quand il ne regarde qu'en bas &
au dessous de soy , & ne voit que choses
ou egales ou inferieures. Mais quand il
Psea.I04.32.
leue la teste en haut, & considere Dieu
sur son throne ,
deuant qui la terre s'esbranle,
Esa.6.2.
les montagnes fument , les Anges
Iac.2.I9.
se couurent, les Diables tremblent , &
qui
Psea.29.4 5.7.8.9.
a vne voix forte & magnifique , qui brise
[ les ]
les Cedres, qui jette des esclats de flamme
de feu, qui fait trembler les deserts, qui fait
faonner les biches , & decouure les forests : C'est alors qu'il apprend à s'abbaisser,&
à recognoistre ses foiblesses.Pendãt que
Pharao ne voit pas Dieu sur son throne,
il respond auec insolence à Moyse:
Qui
Exod.5.7.
est l'Eternel, que j'obeisse à sa voix? Ie ne congnois
point l'Eternel .
Mais quand Dieu se
monstre sur son throne,& entasse playes
sur playes, il apprend vne autre leçon,il
change de ton & de langage, & vient aux
prieres & soumissions.
Mais c'est chose digne de consideration,
que l'Apostre non seulement fait
mentiõ d'vn throne,mais aussi d'vn
throne
de grace. En effect l'Escriture Saincte
represente Dieu sur
trois sortes de
thrones.
I. Sur vn
throne de
Maiesté, &
de
Gloire.C'est sur ce throne qu'Isaie le cõtemple
en vne admirable vision, où raui
Esa.6.I.2.3.
en esprit, il voit
le Seigneur seant sur vn
throne haut & esleué,ses pans remplissans le
temple, les Seraphins se tenans au dessus de
luy, & couurans leurs faces & leurs pieds
de leurs aisles , & crians l'vn à l'autre,
Sainct, Sainct, Sainct, est l'Eternel:tout ce
qui est en toute la terre, c'est sa gloire. En
second lieu Dieu est representé sur
vn
throne de iugement, & c'est sur ce throne
Daniel 7.9.
que Daniel voit
l'Ancien des iours
estre assis, throne qui estoit comme flamme
de feu,& ses roües comme feu ardent.Et c'est
de ce throne que parle le Psalmiste ,
quand il dit, que
nuée & obscurité sont à
Ps.97.2.
l'entour de luy, & que iustice & iugement
sont l'assiete de son throne. Mais icy l'Apostre
nous parle d'vne
troisiesme sorte de
throne, c'est à sçauoir d'vn
throne de grace.
De fait le
throne de Maiesté & de
gloire est inaccessible à l'homme pecheur. D'où
vient que Moyse demandãt de voir toute
Exod.33.I9.20.
la gloire de Dieu, Dieu luy promet
de faire passer toute sa bonté deuãt sa face,mais
adiouste,
tu ne verras point ma face : Car
l'homme ne me verra point,& viura.
Veritablement,si nos yeux sont tremblans,
en la contemplation des Astres,&
esblouys par l'aspect du soleil en sa sphere
qui n'est qu'vne pure creature,que les
Hebreux nomment du nom de Ministre,
pour le distinguer d'auec le Maistre, afin
que la splendeur de ce grand porte flambeau
du monde ne portast les hommes
au delà de l'admiration deuë à vne Creature :
A plus forte raison sommes nous
[esblouys]
esblouys & confondus par la contemplation
de cet
Orient d'enhaut ,
&de ce Soleil
de iustice , lors qu'il n'apparoit,& n'est
regardé qu'en sa gloire. Les ames glorifiées
mesmes,quoy qu'elles participent à
vne plus haute lumiere , contemplans
Dieu sur ce throne, en sont rauies, se
Apocal. 4. I0.II. & 7.II.
prosternent,iettent leurs couronnes aux
pieds de celuy qui y est assis, l'adorent,&
tesmoignent leur rauissement interieur
par des expressions exterieures,& par vn
Halleluia continuel, se deuestans de toute
gloire pour la donner toute entiere à
Dieu, quoy qu'elles soyent parées d'ailleurs
de
robbes blanches,marques de leur
pureté , fournies de
harpes ,marques de
leur ioye, & ornées de
couronnes, marques
de leur gloire.
Mais si l'homme pecheur ne peut souffrir
l'esclat
du throne de la Maiesté de
Dieu , il ne peut non plus souffrir la rigueur
du throne de iustice . Adam s'enfuit
Genes.3.8
deuant Dieu,& se cache,quand il contẽple
Dieu sur ce throne. Quand Dieu paroist
sur ce throne au desert de Sina en
Exod.20.I8.
Legislateur & en Iuge,& que les Israëlites
ne voyent que feu , fumée , esclairs,
tourbillons, obscurité, n'entendent que
foudres,tonnerres,tempestes, vn son esclattant
de cornet , & le retentissement
de la trompette,(marque symbolique de
la nature de la Loy, & de ses effects au
regard de l'homme pecheur ) non seulement
la montagne tremble,& les Israelites
en sont esperdus, mais Moyse mesmes,
Hebr.I2.2I.
quoy qu'accoustumé aux apparitiõs
celestes,
en est espouuanté , & en tremble
Apocal.6.I2.&c.
tout . Et de fait, comme iadis à l'ouuerture
du sixieme seau on n'apperceuoit que
tremblements de terre,cheutes d'estoiles,
esbranlemens de montagnes & bouleuersemens
des choses les plus fermes:
ainsi à la publication de ces formidables
Gal.3.I0.
paroles,
Maudit est, quiconque n'est permanent
en toutes les choses qui sont au liure
de la loy pour les faire ,il n'y a conscience,
qui ne soit contrainte de trembler , ouurant
ses liures, examinant ses pensées,
paroles,actions, & y articulant ses omissions
& ses commissions.
L'homme pecheur donc n'ayant aucun
accés vers le Throne de la gloire de Dieu,
ny vers le throne de sa iustice, il ne luy reste
aucune autre consolation , sinon que
Dieu se presente à luy sur vn autre throne,
c'est à sçauoir sur vn throne de grace:
[Thro-]
Throne que Dieu a dressé en l'Euangile,
sur lequel il se fait voir en Souuerain veritablement,
auec vne dispensation arbitraire &
libre de ses dons,mais en Souuerain
appaisé enuers les siens, voire en
Pere fauorable & propice à ses enfans,
desployant en leur faueur toutes les dimensions
de sa charité leur faisant comprendre
Ephes.3.18.
quelle en
est la largeur , la longueur,
la profondeur, & la hauteur,& la dilection
de son Christ, qui surpasse toute cognoissance.
Mesmes nous pouuons dire
que non seulement Dieu paroist en ce
mystere sur vn throne de grace , mais
aussi que la grace y paroist comme sur vn
throne,Dieu le Pere s'y monstrant plein
de grace enuers l'homme pecheur, le Fils
de Dieu plein d'amour, l'Esprit de Dieu
plein de douceur,les Anges pleins de ioye.
C'est à bon droit doncques,qu'à l'exhibitiõ
de ceste œconomie salutaire, vne
estoile se leue au ciel, messagere celeste
d'ũ message celeste,&messagere lumineuse
d'vn message plein de lumiere. Le ciel
s'y ouure en grace, les armées celestes
chantent
en terre paix, & enuers les hommes
Luc 2.I4.
bonne volonté .La mesme grace est cõfirmée
non seulement par vn Zacharie,
prophetizant, par vn Simeon benissant,
& par vne Anne loüant Dieu, mais aussi
par des apparitions frequẽtes,& par cette
voix toute Euangelique , qui retentit
Matth.3.I7.I7.5.
souuent des Cieux :
Cettuy cy est mon Fils
bien aimé, en qui i'ay prins mon bon plaisir ;
Iean I2.28.
adioustons , pour l'amour duquel ie le
veux prendre és fils des hommes.L'Esprit
de Dieu descend en ceste œconomie non
en forme de Lyon,ny de vautour,mais de
Colombe, animal sans fiel , sans armes,
sociable , & plein de douceur, marque
symbolique de la proprieté que Dieu reuest
en l'Euangile.Le Ciel y est rejoint auec
la terre, la Creature auec son Createur,
l'homme auec son Dieu.Celuy-là y
Dan.9.24.
estant apparu, qui selon les predictions
anciennes,
deuoit mettre fin à la desloyauté,
consumer le peché, faire propitiation pour
l'iniquité, amener la iustice des siecles , &
Colos.I.20
qui a accompli le tout en l'accomplissement
Ephes.2.I4.
des temps,ayãt esté
fait nostre paix ,
& estant deuenu luy-mesme
nostre paix.
En somme celuy,qui se presente icy sur
vn throne de grace, est tel ,que nous auons
en luy & vn Prophete,pour remedier
à nostre ignorance, & vn Sacrificateur,
pour expier nostre iniustice, & vn Roy,
[pour]
pour subuenir à nostre foiblesse , voire
vn Sacrificateur , & vne victime, & vne
oblation, & vn autel, & vn Intercesseur
tout ensemble
: Bref vn Mediateur parfait,&
nostre tout, capable de remedier à
tous nos maux , & de nous combler de
tous ses biens. Mystere veritablement
grand,& admirable,non seulement aux
hommes,mais aussi aux Anges, veu que
Dieu a esté manifesté en chair, iustifié en
I.Tim.3.16.
esprit , veu des Anges, presché aux Gentils,
creu au monde, & enleué en Gloire. Mystere,
auquel il y a vn temperament admirable
de Iustice,& de Grace,& vn assemblage
de diuerses merueilles , où vne
mesme faute se trouue punie,& pardonnée,
les criminels condamnés & absous,
voire les coulpables absous,& l'innocẽt
puni sans iniustice.Harmonie qui
ne pouuait estre conceuë , ny proposée,
que par vne sapience esgale à l'estre de
Dieu, c'est à sçauoir infinie & eternelle.
Mystere, l'accomplissement duquel l'Eglise
Ancienne a souhaitté auec ardeur,
qu'
Abraham a preueu auec ioye, que
Iacob a attendu auec confiance , que
Iob a
sçeu auec consolation : que tant de Roys
& de Prophetes ont desiré de voir, que
tant de sainctes ames ont veu, & à l'exhibition
duquel l'Eglise a esté de tout
temps exhortée
de se leuer, de
s'esgayer,
de j
etter des cris des j
ouissance . De fait les
Herauts de ce mystere n'annoncent que
des paroles toutes Euangeliques:
N'ayez
Luc 2. 10.
point de peur, ie vous annonce vne grande
Marc 9. 2.
joye .
Aye bon courage , tes pechez te sont
pardonnez .
Qui croit au Fils de Dieu, ne
Ioh.3.16.
perira point .
Il n'y a point de condemnation
Rom 8.1.38.
à ceux qui sont en Jesus Christ : Rien
ne nous separera de la dilection de Dieu .
Phil.I.21.
Christ m'est gain à viure & à mourir .
C'est donc à bon droit, que Dieu est
representé en l'Euangile sur vn
throne de
grace,ce throne estant l'vnique refuge du
pecheur. Quand Dieu se presente sur
son throne
de gloire, il faut que l'homme
Esa.2.I5.
voile sa face ,
qu'il entre en la roche, & se
cache en la poudre, à cause de la frayeur de
l'Eternel & à cause de la magnificence de
sa hautesse .
Ainsi quand il se presente sur
son
throne de iustice à des pecheurs abandonnez
à leur peché , ils sont contraints
de trembler,
& de dire aux montagnes, &
Apocal.6.I6.
aux roches, tombez sur nous, & nous cachés
de deuant la face de celuy qui est assis sur le
throne,& de deuant l'ire de l'Agneau .
[Mais] Mais quand Dieu se presente assis sur
son throne de
grace, à son Eglise, nõ plus
auec
vn vent grand,& impetueux, fendant
I. Reg.I9.II.12.
les montagnes, & brisant les rochers,
ni auec vn tremblement, ny auec des flammes
deuorãtes,mais auec vn son coy & subtil : Il ne sort d'autres voix de ce throne,
que des voix de consolation, des paroles
de joye.
Consolez,consolez mon peuple, parlez
Es. 40.I.2.
à Ierusalem selon son cœur , son iniquité
est tenue pour acquittée. I'ay trouué la rançon .
Voici mon seruiteur , ie le maintiendray.
Es. 42.I.2.3.
C'est mon esleu. mon ame y prend son
bon plaisir. Il ne criera point, & ne se haussera
point,il ne brisera point le roseau caßé,&
n'esteindra point le lumignon fumant .
Ne
Rom.I0.6.7.8.9.
di point en ton cœur, qui montera au ciel, ou
qui descendra en l'abysme, la parole est pres
de toy en ta bouche, & en ton cœur. C'est
la parolle de la foy, laquelle nous preschons.
Car si tu confesses le Seigneur Iesus de ta
bouche, & si tu crois en ton cœur, que
Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauué .
Mais Dieu s'est il presenté sur ce
throsne
de grace par obligation, ou par necessité
ou par quelque autre motif qui ait
son principe en nous ? Nullement.
Ce
Lam.3.12.
sont les seules gratuités de l'Eternel que
nous n'auons pas esté consumés. L'Esprit
de Dieu ne nous represente autre cause
de ceste grace, que la grace mesme que
l'amour de Dieu , & son bon plaisir,
Ioh.3.i6.
que
Dieu a tant aymé le Monde, qu'il a
Matt.II.25.
donné son Fils vnique , que
son bon plaisir a esté de le reueler, & que
Dieu y a recommandé
du tout sa dilection enuers nous .
Dieu pouuoit s'arrester sur son throsne
de gloire, & agir auec nous en Maistre,
estre assis sur son throsne de justice, &
traitter auec nous en Iuge, & d'vne &
d'autre façon consumer les pecheurs par
ses
ardeurs eternelles, laissant tout le genre
humain soubs la malediction, dans laquelle
il s'est plongé par sa faute,& exerçant
ses jugemens sur vne creature rebelle.
C'est doncques vn pur effect de la grace
de Dieu, qu'il se trouue sur ce throsne
& par consequent c'est à bon droict
qu'il est appellé throsne de grace. La grace
l'a ordonné, la grace l'a establi, la grace
l'a manifesté, la grace l'offre, la grace
l'applique, la grace l'affermit & le conserue.
Sans ce throsne de grace tous les
hommes ensemble eussent esté bannis eternellement
de toute communion auec
[Dieu]
Dieu en grace & en gloire. Car le throne
de gloire n'est que pour des creatures
glorieuses , ni le throne de justice,
que pour des creatures justes , mais le
throsne de grace est pour des creatures
pecheresses, qui sõt estẽdues
és porches de
Ioh.5.
Bethesda , couuertes de toutes sortes de
maux & de miseres,qui n'ont pas besoin
seulement que
l'Ange du conseil de Dieu descende,& que le lauoir soit rendu salutaire
par son mouuement, mais aussi que
les poures malades mesmes y soyent portés
& plongés par luy.
Il ne faut pas douter aussi , que l'Apostre
ne fasse icy allusion, au Propitiatoire
Rom.3.24
ceremoniel du Tabernacle , cognu aux
Hebreux, & empreint bien auant à leurs
esprits , qui estoit vn
Throsne de grace,
parce que Dieu y promettoit grace à
ceux qui l'y inuoquoyent,ayans ou leurs
yeux, ou leur pensée dressée vers le lieu
de ce throne. En effect Dieu estoit conceu
par ce peuple , comme assis sur le
Psal.80.2.
Propitiatoire entre les Cherubins,& les
Hebr.9.4.
Tables de la Loy estoyent dans la concauité
de l'Arche,de sorte que ce propitiatoire
couuroit deux choses ensemble, &
l'Arche,& la Loy, pour representer symboliquement
deux mysteres ensemble,
que le Fils de Dieu couure son Eglise par
sa puissance, & la Loy par son obeyssance.
Et comme le liure de la Loy a esté arrousé
jadis par le sang des victimes, ainsi
la Loy ne pouuoit estre satisfaitte que
par le sans du Fils de Dieu. Dont cette
Hebr.9.19
aspersion fût jadis faitte & sur le liure &
sur le peuple, l'vn pour representer
l'expiation des pechés,l'autre pour en representer
l'application aux consciences. Il y
auoit aussi des Cherubins à l'ẽtour de ce
Propitiatoire,qui embrassoyent l'Arche,
& regardoyent tellement le Propitiatoire,
qu'ils s'entreregardoyent aussi eux-mesmes.
Tout cela estoit mysterieux,
pour prefigurer le Fils de Dieu, comme
estant celuy, en qui Dieu seul se monstre
appaisé enuers son peuple, au Nom duquel
nos prieres doiuent estre conceuës,
Qui a la garde des Anges pour soy , & la
donne à son Eglise,& à qui les Escriuains
tant du Vieil que du Nouueau Testamẽt
ont regardé vniquement , qui mesmes
s'entreregardent entre eux, tant par vne
conformité absoluë de leurs productiõs,
que par l'esclaircissement qui se tire de
leur entreueuë mutuelle.
[Mais] Mais s'il y a vne grande conformité
entre ce throne symbolique de grace , &
le Fils de Dieu , il y a aussi beaucoup de
difference entre l'vn & l'autre , l'vn estant
l'ombre,l'autre
la viue image des choses .
Hebr.I0.I.
Le throne ancien estoit inaccessible,
sinon vne fois l'année en la feste d'expiation,
Leuit.I6.
& ne l'estoit qu'au seul Souuerain
Sacrificateur, ou en cas de quelque
pollution,à son substitué, si nous croyõs
les Iuifs ; de sorte qu'il estoit gardé soigneusement
à l'approche de cette feste,
pour euiter toute contamination ceremoniale,
affin qu'il peust estre admis à
cette saincte action,qui estoit vne haute
gloire pour luy. Mais le throne de grace
dressé au Nouueau Testament , est de
toute autre nature, estant accessible & à
tous pauures pecheurs repentants, & en
tout temps. De sorte que l'Eglise Chrestienne
a vn grand aduantage sur la Iudaïque.
Quoy que les pauures Iuifs ayent
esté tellement attachés à vn Propitiatoire
materiel , & à vn temple de mesme
nature, (voulans tousiours,comme leurs
peres, ) auoir
des Dieux qui marchassent
Exo.32.I.
deuant eux , & des obiects materiels de
leur deuotion qu'ils ne pûrent s'empescher
de verser des larmes apres leur retour
de la captiuité de Babylon, voyans
la structure de la seconde Maison estre
beaucoup inferieure à la premiere, & y
considerans parmi d'autres deffauts aussi
celuy de l'Arche & de son propitiatoire.
Ce titre donc de Throne de grace, que
l'Apostre employe, estoit domestique &
familier aux Hebreux , qui par vne impression
ancienne & hereditaire arrestoyent
toutes leurs pensées & toute leur
deuotion à ces symboles exterieurs, &
ne faisoyent estat que de ce seruice pedagogique.
Et l'Apostre porte par mesme
moyen vn flambeau dans le Tabernacle,
& represente aux Hebreux, que les lampes
deuoyent estre esteintes, le rideau tiré,
le voile deschiré, le pauillon ancien
renuersé, le propitiatoire materiel mis à
quartier. Qu'vn autre propitiatoire deuoit
estre consideré, vn autre throne de
grace sans comparaison plus excellent
que le premier, qui estoit la realité & la
verité du propitiatoire symbolique dressé
jadis en faueur de leurs Peres.
Et d'autant que deux choses peuuent
arrester l'homme, à ce qu'il n'approche
[pas]
pas de Dieu : d'vn costé la consideration
de sa chetiueté opposée à la Majesté de
Dieu,de l'autre costé le sentiment de son
impureté opposée à la saincteté de son
Dieu : Icy l'Apostre remedie à l'vne & à
L'autre apprehension. Car puis que c'est
vn Throne de grace, sur qui Dieu se monstre
en l'Eglise, il n'y veut pas accabler
l'homme pecheur par sa Majesté,ni l'atterrer
par sa rigueur , mais y déployer
grace pour grace. Les criminels ne sont
jamais produits sans frayeur ni espouuantement
deuant des Souuerains assis
sur leurs thrones,ni deuant des Iuges assis
sur leurs sieges judiciels, quand ils ne
se representent autre objet que leur majesté
ou leur justice : Mais quand les lettres
de grace leur doiuent estre expediées,
ou insinuées, ils se presentent auec
confiance,quelque crime qu'ils ayent sur
leurs testes.
Nous pouuons dire aussi, que le meslange
que l'Apostre fait icy, est admirable.
L'homme a besoin de deux choses,
pour pouuoir estre consolé de la puissance
de celuy à qui il a son recours, & de sa
bonté. Nostre Apostre pourvoit ici à l'vn
& à l'autre : & fait mention d'vn costé
d'vn throne , marque de Majesté & de
Puissance, qui peut soulager : de l'autre
d'vn throne de grace , marque de bonté,
que Dieu le veut faire, & le rendre illustre
par l'vn & par l'autre moyen. La cõsideration
seule de la puissance d'vn
Grand, abbat, celle de sa grace seule ne
releue qu'à demy, mais la consideration
de l'vne & de l'autre ensemble sert à l'entiere
consolation de celui qui se jette entre
ses bras.
Mais on peut demander icy,quelle raison
il y a, que l'Apostre attribuë vn throne
à vn Sacrificateur. Cela semble estre
peu conuenable à la personne qu'il auoit
representée peu auparauant. Les thrones
estans pour les Roys & pour les Iuges,&
nullement pour les Sacrificateurs. Nous
pourrions respondre, I. Que ce throne
n'est pas attribué icy au Sacrificateur,
mais à celuy aupres de qui le Fils de
Dieu exerce la charge de Sacrificateur,
entant que luy mesme rapporte tout l'exercice
de sa charge en l'estat de son abbaissement
à Dieu son Pere. Ainsi Sainct
i
Ioh.2.I.2
Iean dit que
nous auons vn Aduocat enuers
Ioh.I0.50 &
12.44.48.
le Pere . Ainsi le Fils de Dieu nie, que
sa doctrine soit sienne , ou
qu' il cherche sa
[ gloire ].
gloire . Quoy que cela ne prejudicie en
rien à l'excellence de son estre,ni à son égalité
auec Dieu. II. Ioignez à cela,que
le Fils de Dieu n'est pas seulement Sacrificateur,
mais aussi Roy. La figure en a esté
exhibée jadis en Melchisedec , qui
Heb.7.
joignit l'ephod & le sceptre ensemble :
L'accomplissement s'en trouue au Fils
de Dieu. Comme doncques vn autel luy
conuient , entant qu'il est Sacrificateur,
ainsi vn throne luy conuient tresbien,
entã qu'il est Roy. C'est pourquoy il est
introduit en l'Apocalypse,non seulemẽt
deuant
le throne, comme nostre Intercesseur ,
mais aussi
sur le throne comme nostre
Roy.Et mesmes,il rend les siens participans
de l'vne & de l'autre dignité,les
rendant vne
Sacrificature Royale , & les
I.Pierre 2.9
faisant
Rois & Sacrificateurs à Dieu. Soit
Apoc.5.I0
donques , que nous entendions par ce
throne de grace,la misericorde du Pere,ou
la grace du Fils,l'vne & l'autre interpretation
s'accordent tresbien ensemble. Et
il conste assez par diuers passages, que le
Fils de Dieu reuest diuerses sortes de
qualités à diuers esgards, & est tout ensemble
& la victime, qui est immolée
pour nous,&le Sacrificateur qui l'immole,
& l'autel quant & quant, sur lequel
elle est immolée,& auec tout cela Roy &
Mich.5.2.
dominateur en Israel à qui
Dieu a donné
Psal.2.8.
pour heritage les Nations, & pour possession
les bouts de la terre .
Du II.
Mais ce n'est pas assez de sçauoir le Benefice,
que l'Apostre nous propose , il y
faut joindre le Deuoir qu'il exige. Ce deuoir
est d'aller vers ce throne de grace,
ou d'approcher de ce throne. Icy la matiere
que l'Apostre met en auant est considerable,
entant qu'il veut qu'on aille ou
qu'on approche, & la forme, en laquelle
il la propose,entant qu'il dit,allons ou approchons.
Ceste exhortation nous apprend,Que
nous sommes naturellement esloignez
de ce throne. Et veritablement il y a en
nous vn abysme de maux,qui nous en esloigne;
soit que nous regardions nos
pechés ,
Es. 59. 2.
qui font separation entre Dieu & entre
Psal. 5. 5.
nous ,
nostre Dieu n'estant pas un Dieu
qui prenne plaisir à meschanceté, ou chez qui
le mauuais seiourne , soit que nous regardions
les
peines de nos pechés, c'est assauoir
[uoir]
nos miseres , qui sont vn appanage
inseparable des pechés , par consequent
des pecheurs , esloignés du throne de
grace. Miseres representées à l'homme
non seulement par son bannissement du
Paradis terrestre , mais aussi par le denombremẽt
des peines que Dieu luy denonça
bien tost apres son peché, dont la
plus grande est son esloignement d'auec
Dieu,comme à l'opposite sa felicité consiste
en sa communion auec luy , qui ne
peut estre restablie apres le peché , sinon
par son approche au throne de grace.
Il appert aussi,que non seulement nous
sommes esloignés naturellement de ce
throne,mais aussi que nous sommes tous
dignes d'en estre esloignés , entant que
nous sommes tous
enfans d'ire , enclos sous
Ephes.2.3.
rebellion ,& qu'il n'y a nul iuste d'entre nous,
Rom.11.32 & 3.10.
non pas un seul .
Ioint que l'homme est non seulement
esloigné naturellement de ce throne, &
digne de l'estre,mais il ignore aussi absolument
ce throne, & ne croit pas souuẽt
en auoir besoin , qui n'est pas vne des
moindres parties de sa misere. Et veritablemẽt
la chair ne découure pas ce throne,
la raison naturelle ne le monstre pas,
le Monde ne l'apperçoit pas.Il n'y a que
des guides celestes, qui nous puissent découurir
ce throne , & nous donner &
l'enuie de le cercher , & le moyen de le
trouuer, & la volonté constante de nous
y arrester. Et de vray nul ne cognoist ce
throne sans reuelation speciale, en partie
exterieure;que l'Euangile fournit, en
partie interieure , que l'Esprit de Dieu
donne. Dieu à la verité tesmoigne en general
sa Bonté à ses creatures par les œuvres
de la creation, & celles de sa prouidence,
faisant
luire son soleil sur les bons &
sur les mauuais, & descẽdre sa pluye sur les
iustes & sur les iniustes :mais non sa grace
ni sa face appaisée enuers l'homme pecheur
en celle de son Christ. D'où vient
que l'Apostre appelle l'Euangile vn
mystere
1.Tim 3.16.
& vn
mystere de pieté , vn
mystere
Rom. 16. 25. 26.
teu dés le temps jadis, mais manifesté &
donné à cognoistre par les Escritures des
Prophetes . C'est pour la mesme raison,
que la naissance du Fils de Dieu n'a esté
notifiée que par des tesmoins celestes,
soit par reuelations exterieures, soit par
inspirations interieures, soit par l'apparition
miraculeuse , & d'vne estoile au
[ciel,]
ciel,& des armées celestes. En effect c'est
le priuilege de l'Eglise Chrestienne de
sçauoir,qu'il y a vn throne de grace dressé
aux pauvres pecheurs , & quel est le
moyen d'en approcher. Les Payens ont
eu veritablement leurs supplications,lustrations,
victimes,hecatombes, ou pour
détourner l'ire de leurs Dieux , ou pour
attirer leur beneficence , mais ils ne les
ont jamais conceu sur vn throne de grace,
tel que Dieu a establi & reuelé en l'Euangile.
Il faut qu'vn Apostre notifie
qu'il y a vn throne de grace , sur qui est
fondé ce throne,& quel est le moyẽ d'en
approcher.
La mesme exhortation de l'Apostre
nous apprend,que nous auons besoin d'y
estre appellés , & que nous n'en approchõs
pas de nous mesmes. L'homme fait
toute autre chose plustost que de penser
à cest acte, ou de se mettre en deuoir de
l'executer. Ce luy est vn acte incogneu.
L'homme animal ne comprend pas les choses
1 Cor.2.14.
qui sont de l'Esprit de Dieu , & ne les peut
entendre,d'autant qu'elles se discernent spirituellement .
Et comme les Philosophes
disent tresbien,que les choses incognuës
ne font aucune impression sur nostre cõuoitise:
Ainsi ce throne estant incognu à
l'homme,il faut qu'il luy soit proposé,&
qu'il soit incité d'en approcher , auant
qu'il le fasse.
Ceste exhortation nous enseigne aussi,
que l'homme a besoin d'approcher de
ce throne,& le doit faire.C'est ce qui n'a
peu estre persuadé à beaucoup de Payẽs,
ni estre digeré par eux.Il croyoyent souuent,
que leurs Dieux leur deuoyent de
reste,& qu'ils auoyẽt assez de vertu pour
meriter d'estre heureux. Quelques vns
ont passé mesmes si auant,que de reprocher
à leurs Dieux leur mescognoissance,
& qu'ils ne les auoyent pas assez recompensés
pour le seruice qu'ils leur auoyent
rendu. Ainsi d'autres ont estimé,
n'auoir pas besoin, que leurs Dieux fussent
sur vn throne de grace, mais qu'ils
pouuoyent comparoir devant vn throne
de justice, & ajuster leur conduite auec
leur deuoir,& auec les loix qui leur auoyent
esté prescrites. Et veritablement
nous pouuons dire que l'homme naist
Pharisien,& porte ce charactere au mõde,
estant plein d'orgueil & de presomption
Hab. 1. 16
de sa pretendue justice,
sacrifiant à
son filé, & faisant encensement à sa rets .
[Tout]
Tout ce à quoy il arreste sa pensée, c'est
vne justice Pharisaique,consistant en des
deuoirs exterieurs,sãs penetrer à la source
de ses maux,non plus qu'à celle de ses
deuoirs,ni à la perfection,ou à l'estendue
de ce que la Loy de Dieu requiert de luy.
D'où vient qu'il presente souuent des
pechés à Dieu pour des Iustices, comme
faisoyent jadis les Payens,ou des œuvres
de neant , comme les superstitieux leurs
deuotions arbitraires , & les Iuifs leurs
ceremonies , les détachans de leur vray
but , & de leur rapport aux verités spirituelles.
C'est aussi la cause pourquoy l'Euangile
a si peu d'entrée vers l'homme
pecheur,parce qu'il enseigne deux choses,
que l'homme animal ne peut gouster,
qu'il luy faille aller hors de soy mesme,
pour trouuer le chemin à la vie, & qu'il
luy faille recourir à vn throne de grace
pour cet effect. Et ne faut pas s'en estonner,
si l'Euangile a esté folie aux uns,scandale
aux autres, comme chocquant & en
ses principes, & en ses poincts de doctrine,
& en ses maximes, tant la sapience pretẽduë,
que la iustice imaginaire de l'homme.
Les Gentils tenoyent la doctrine,de
mettre leur confiance en la justice d'autruy
pour folie , les Iuifs pour scandale,
de la chercher en vn homme condamné
par leur synagogue , & attaché à vne
croix. L'Apostre ne s'arreste pas à tous
ces prejugés, mais propose aux Hebreux
vn throne de grace , auquel il leur falloit
aller pour trouuer leur repos & leur
vie.
De fait , entant que l'Apostre requiert,
qu'on aille vers ce throne , il monstre
quant & quant,qu'il est bon & vtile d'en
approcher. Nul n'est exhorté d'approcher
du chemin de se perdre , ou de sa
ruine, ou d'vn feu deuorant , ou du bord
d'vn precipice,mais au contraire de s'approcher
de ce qui luy peut estre auantageux
& salutaire.Ceste exhortation porte
donc quant & soy vne insinuatiõ douce
du bien auquel nous sommes exhortés
d'approcher, qui en effect est nostre
souuerain bien,sans lequel nous ne pouuons
ni euiter la mort,ni auoir accés à la
vie.
Il y a vne grande difference entre les
exhortations de l'Esprit de Dieu, & celles
qui sont faittes à l'homme d'ailleurs.
L'Esprit de Dieu ne propose à l'homme
que la vie,& le chemin pour y paruenir.
[C'est]
C'est à quoy tendent toutes les semonces.
Mais l'ennemi du genre humain ne
propose que la mort & le chemin de perdition,
quelque plastre, ou quelques dorures
qu'il y apporte. Et quoy qu'il ne
parle à nos premiers parens, que d'ouuerture
Gen. 3.
d'yeux , & de semblance auec
Dieu, son but est de les aueugler , & de
leur arracher l'image de Dieu. C'est le
but qu'il s'estoit aussi proposé és propositions
faittes au Fils de Dieu, qui sont
Matt.4.
toutes captieuses , & ne tendent qu'à le
porter ou à deffiance, ou à ambition, ou
à Idolatrie,soubs des pretextes fort plausibles.
Les hommes aussi nous proposent
souuent des maux pour des biens, ou des
biens apparens pour des biens veritables ,
parce qu'ils manquent ou de cognoissance,
ou de sincerité. Ainsi la Mere
Iug.17.3.
de Mica manque de cognoissance, le portant
à vn acte d'idolatrie. Et Saul manque
Sam.18. 21.25.
de sincerité, engageant Dauid au cõbat
contre les Philistins , soubs pretexte
d'vne alliance fort auantageuse. Par fois
l'vn & l'autre manquent aux hommes.
Mais Dieu estant & plein de lumiere, &
plein de bonté,les exhortations qui procedent
de sa part,ne peuuent estre qu'auantageuses
à l'homme. Il faut aduoüer
cependant que les semonces ou de l'ennemi
du genre humain, ou des hommes
mesmes,& parfois de nos propres conuoitises,
ne laissent pas d'auoir vn grand
pouuoir sur l'homme,parce qu'elles symbolisent
auec sa corruption,& s'accommodent
à ses inclinations. Le lucre attire,
l'vtilité amorce, la volupté charme,le
monde gaigne ; entraine, rauit par des
cordages forts & puissans. Mesmes on
n'approche pas seulement des objects
qu'il presente fort volontiers : pour peu
qu'on les découure : on les cerche de soy
mesme, on s'y pousse, on s'y jette à corps
perdu. Ne faut que la veüe de la manteline
& d'vn lingot à Achan, ne faut que
l'esclat des talens & des robbes de rechãge
à vn Gehasi , ne faut que la presentation
de trente deniers à vn Iudas, ne faut
que la veuë de Batseba à vn Dauid mesme
pour les porter au peché. Et il en est
du bien & du mal,qui est proposé à l'hõme,
comme des bonnes plantes , & de
jets bastards au regard de la terre : celles
là ont de la peine à prendre racine,ceux-
cy au contraire se prouignent sans aide,
& on a assez de peine de les empescher
[de]
de se multiplier.
Comme doncques l'homme doit auoir
pour suspectes les exhortatiõs des hommes,
cognoistre auant que juger, & considerer
auant qu'agir , si les biens qui luy
sont proposés sont veritables ou apparens ,
s'ils sont stables ou passagers, s'ils
luy sont en aide au principal bien, ou en
empeschement , s'ils sont capables de le
rendre pire ou meilleur : Ainsi n'a-il pas
à marchãder à l'opposite. Quand l'Esprit
de Dieu luy propose quelque object, ou
l'exhorte à quelque deuoir,il ne peut que
trouuer son interest dans son deuoir, &
ne peut manquer dans son obeyssance.
Les guides celestes ne sont pas comme
les feux volages,qui conduisent vers des
lieux marescageux ou pleins de precipices,
mais comme l'estoile qui meine les
Sages d'Orient vers vn object glorieux &
auantageux tout ensemble.
Vn tel messager celeste est l'Apostre ici,
exhortant les Hebreux d'aller vers le
throne de grace. Où il represente par
mesme moyen , que ce throne est tousjours
accessible. Les thrones des Grands
de ce monde ne le sont pas tousiours.Il y
a des barrieres & des defenses,qui les entourent
des huissiers , & des gardes qui
en empeschẽt l'accés. L'approche en est
souuent interdite, comme en la Cour des
Rois de Perse & de Mede : Il faloit estre
appelé,auant qu'oser se presenter.Il y alloit
mesme de la vie d'en vser autrement.
Et tel pouuoir estre l'estat des sujets,qu'
ils n'osoyent pas mesmes approcher de
l'entrée de la Cour de leurs Princes. Par
exemple, il leur estoit interdit,de s'y faire
voir, lors qu'ils auoyent reuestu vn equippage
lugubre , de peur de trauerser
les contentemens de leurs Princes , mesmes
par la presentation d'vn objet triste.
Il en est tout autrement du throne de la
grace de Dieu , il est tousiours accessible
aux pauvres pecheurs repentans. Et tant
s'en faut que Dieu leur en interdise l'abord,
qu'il les y conuie. Et l'equippage,
que les Rois de Perse & de Mede vouloyent
estre banni de leur cour & de leur
veüe, est celuy, qui est le plus agreable à
Dieu,c'est assauoir vn port de deüil,& vn
estat lugubre.
C'est en quoy il y a vn auantage indicible
aux pecheurs , de ne manquer jamais
de communication , ni en leurs joyes,
ni en leurs tristesses. Non seulement
[la]
la tristesse qui ne se peut essorer , affaisse
& accable l'homme, mais mesme la joye
luy est pesante,quand il n'a à qui la communiquer.
C'est donques vn tesmoignage
de la bonté singuliere de Dieu enuers
l'homme,de luy auoir voulu dresser
vn throne,auquel il peut s'approcher en
tout temps, ou pour y verser ses doleances,
& demander des biens, ou pour rendre
graces pour eux qu'il a receus.
Mais , dira-on , l'Apostre en parlant
d'vn throne de grace ne ramene il pas les
Hebreux au tabernacle ancien ? ne leur
donne il pas occasion de prendre ses paroles
à contresens, & de les rapporter à
vn propitiatoire ceremoniel?Riẽ moins.
Le Propitiatoire n'estoit plus en nature,
depuis la desolation de la premiere Maison.
Ils ne pouuoyent pas doncques y
faire reflexiõ auec raison: Ioint que l'approche
au propitiatoire ceremoniel estoit
interdite toute l'année hors vn certain
jour. Et icy il est parlé d'vn propitiatoire
accessible en tout temps. En outre,
le Propitiatoire legal estoit vn lieu
clos à tout autre, qu'au Souuerain Sacrificateur.
Et ce throne , duquel l'Apostre
parle , est proposé comme ouuert aux fideles
d'entre les Hebreux,indifferemment.
Bref,l'Apostre combat fortement
en toute cette Epistre l'obseruation des
ceremonies anciennes , & presse l'enseuelissement
de la Synagogue.Ils ne pouuoyent
pas doncques estimer , que son
intention estoit de la deterrer, & la mettre
derechef en veuë. Mais, insistera-on,
à quel propos donc se sert il de ce terme?
Il le fait tres à propos , non seulement
pour leur insinuer les rapports, que ce
throne de grace auoit auec le propitiatoire
ancien , que nous auons touché cy
dessus, & leur presenter comme vne clef
pour l'ouuerture de leurs mysteres , mais
principalement pour s'accommoder à la
portée d'vn peuple materiel, rempli d'idées
de mesme nature ; & qui ne conceuoit
rien plus haut,que le Sanctuaire ancien
auec ses ornemens.Parler à ces gens
d'vn propitiatoire, d'un throne de grace ,
estoit leur imprimer beaucoup plus fortement
les verités spirituelles de l'excellence
& de l'vtilité de ce throne.De fait,
c'est le langage ordinaire des Prophetes
de representer à ce peuple parce qu'ils estimoyent
le plus,ce qu'ils deuoyent estimer
de la sorte.
[L'A-] L'Apostre aussi exhortant les Hebreux
d'aller vers ce throne de grace , monstre
qu'elle est la condition des enfans de
Dieu , c'est assauoir
d'aller , de marcher
d'auancer.Ils doiuent estre dans vn mouuement
perpetuel , estre des vrays
Hebreux ,
passer touiours
plus outre , voire
courir en la lice & poursuiure constamment
Hebr. 12. 1.2.
la course qui leur est proposée , regardans à
Iesus Chef & Consommateur de la foy . Ceux
là qui s'arrestent au marché,& y demeurent
oysifs , sont tancés par le Fils de
Matt. 20.3.
Dieu,& enuoyés à la besongne.Et de fait
les enfans de Dieu imitẽt les corps celestes,
& se meuuẽt continuellement. Mais
comme ces corps ont des mouuemens
reguliers , les mouuemens des enfans de
Dieu sõt de mesme nature.Leur but vnique
est,d'approcher de ce throne de grace,
& d'auancer journellement quelque
pas,quelque demarche en ceste carriere.
Mais on peut icy demander ce que c'est
que l'Apostre entend par cette demarche
ou par cette approche ? Vne approche
ou demarche exterieure y est elle requise?
Nullement. Comme ce throne n'est
pas materiel, ni exterieur, ainsi l'approche
de ce throne n'est pas de cette nature,
& ne le peut estre. Mais comme celuy
là est spirituel, ainsi requiert il des actes
spirituels & plusieurs actes conjoints,
voire vn effort conjoint de toutes les
puissances & facultés de nos ames. De
fait,puis que le benefice,qui y est proposé,
est spirituel,il faut vn acte de l'esprit
pour l'obtenir.
Approcher donc de ce
throne , c'est le
contempler auec joye , le
desirer auec ardeur,
s'y porter auec confiãce,
& auec vn cœur embrasé de l'amour
de son Dieu. Le premier degré de cette
approche est la
cognoissance de ce throne,
l'autre,
l'amour de ce throne,le troisieme
la demarche mesme par nos
prieres vers
ce throne. Et veritablement les prieres
sont vne espece d'approche vers Dieu,
par laquelle Dieu est non seulement abordé ,
mais forcé par maniere de dire
par vne ame Chrestienne qui ne le quitte
pas, jusques à ce qu'elle ait obtenu la
benediction. Ceste approche est extremement
avantageuse à l'homme,& c'est
Pse.73.28.
en ce sens,que Dauid dit,
D'approcher de
Dieu c'est mon bien . Ce n'est pas donques
vn mouuement du corps, mais vn transport
du cœur , non vn changement de
lieu, mais vn changemẽt d'affection. Car
[comme]
comme l'ame où la partie animale a ses
mouuements, ses fonctions, ses pas, ses
demarches; ainsi l'Esprit, où la partie regenerée
a des operatiõs semblables.Nostre
cœur , ce viscere materiel qui est en
nous , a vn mouuement naturel de dilatation
& de contraction , dont l'artere
sert d'indication. Ainsi le vray cœur de
l'homme qui est le siege de ses affectiõs,
a ses mouuemens , & ses approches. Il
approche de ce qu'il aime,qu'il desire. Il
s'esloigne au contraire , de ce qu'il haït,
& qu'il a en auersion.Et ces mouuemens
de nostre cœur sont d'autant plus considerables,
qu'ils sont beaucoup plus forts
que ceux de nostre corps, comme on a
bien dit, que l'ame est plus là où elle aime,
que là où elle anime.
Et alors l'approche de nostre ame est
vn mouuement fort & ardent, quand elle
conçoit non seulement la dignité d'vn
object , qu'il est excellent en soy , mais
aussi son utilité,qu'il nous est auãtageux.
Ce sont les deux ressorts par lesquels elle
est esmeuë, & les deux cordages , par
lesquels nous sommes attirés.Nous trouuons
l'vn & l'autre en ce throne de grace ,
que l'Apostre nous propose , & toutes
sortes de sujets imaginables qui nous y
peuuent attirer,soit que nous regardions
à
l'excellence de ce throne, soit que nous
regardions à
l'utilité que nous en pouuons
tirer,soit que nous fassions quelque
reflexion sur la
joye & la consolation que
nous en pouuons perceuoir. Si nous regardons
l'excellence de ce throne, c'est le
chef d'œuvre de la sapience de Dieu , &
vn effect admirable de sa bonté , & vn
temperament merueilleux de sa justice,
I. Pierre I. 12.
& de sa misericorde , que les
Anges mesmes
desirent de regarder iusques au fonds .
Si nous regardons
l'utilité , voire la necessité
de ce throne, nous trouuons , que
c'est la seule chose qui nous est necessaire,
& le chemin vnique à la vie, voire
que c'est la vie eternelle de le cognoistre.
Et mesmes vne ame fidele ne trouue aucun
contentement semblable aux joyes
& consolations, qui naissent de ceste salutaire
contemplation,que Dieu a dressé
vn throne de grace aux pauures pecheurs,
& l'a dressé d'vne façon si admirable ,
que de tirer de son propre Fils la
satisfaction deuë à sa justice , & de le liurer
pour nous, affin que nous peussions
trouuer grace en temps opportun . [Tou-] Toutes ces considerations ne peuuent
qu'operer puissammẽt sur vne ame fidele,
pour luy faire embrasser ce throne de
grace auec ardeur: Et veritablemẽt,d'autant
plus considerable qu'est le bien, qui
nous est presenté , d'autant plus grande
est l'ardeur , qu'il produit en nous , pour
nous l'appliquer. Et d'autant plus grande
qu'est la cognoissance de ce bien,d'autant
plus forts aussi sont les mouuemens,
qu'il fait naistre. Nous en voyons vn
exemple signalé en
l'Espouse au liure du
Cantique des Cantiques , laquelle ayant
esté honorée d'vne plus haute lumiere
dans des communications intimes auec
son Espoux, elle est en des rauissemens,
& en des eslancemens extraordinaires,
Cant.2.5.
elle est pasmée d'amour, transportée de
ioye , & pleine de consolation , quand
elle contemple la beauté de son espoux,
& les delices de ses parquets aromatiques.
Tels sont les mouuemens & sentimens
de Dauid , contemplant Dieu appaisé
enuers luy, & sur ce throne de grace,
d'où il se promet des auantages incomparables.
L'Eternel , dit-il , est la
Ps.16.5.6.
part de mon heritage , & de mon breuuage.
Les cordeaux me sont escheus en
lieux plaisans , voire un tresbel heritage
m'est aduenu. L'Eternel est à ma dextre,
ie ne seray point esbranlé. Partant mon
cœur s'est esjoüy , & ma gloire s'est esgayée,
außi ma chair habitera en asseurance. Car
tu n'abandonneras point mon ame au sepulchre,
& ne permettras point que ton bien
aimé sente corruption. Tu me feras cognoistre
le chemin de vie, ta face est un rassasiement
de ioye , il y a plaisance en ta dextre
pour iamais . Il fait des eslancemens semblables
en diuers autres Pseaumes. Telles
sont les paroles triomphantes de l'Apostre
sainct Paul,contemplant Dieu sur ce
Rom.8.30 &c.
throne:
Si Dieu est pour nous, qui sera cotre
nous ? Luy qui n'a point espargné son propre
Fils, mais l'a liuré pour nous tous, comment
ne nous eslargira il aussi toutes choses
auec luy? Qui intentera accusation contre
les esleus de Dieu ? Dieu est celuy qui iustifie.
Et qui sera celuy qui condamnera?
Christ est celuy qui est mort, & , qui plus est,
qui est ressuscité , lequel aussi est à la dextre
de Dieu , & qui fait mesme requeste pour
nous . A quoy il adiouste ceste conclusion
rauissante.
Ie suis asseuré, que ny mort,
ny vie,ny Anges, ny Principautez , ny puissances,
ny choses presentes,ni choses à venir,
[ ny ]
ny hautesse, ny profondeur, ny aucune autre
creature, ne nous pourra separer de la dilection
de Dieu,qu'il nous a monstrée en Iesus
Christ nostre Seigneur . C'est sur la consideration
de ce throne de grace,qu'il triomphe
du peché,de la mort,& du sepulchre.
La mort , dit-il, est engloutie en victoire. Où
I. Cor. 15. 55.56.57.
est,ô mort,ta victoire? ou est, ô sepulchre, ton
aiguillon?Mais, graces à Dieu , qui nous a
donné la victoire par nostre Seigneur Iesus
Christ .
Mais la douceur du throne de grace
n'est iamais plus considerée,que lors,que
le pecheur sent la pesanteur de son peché,
& voit le Ciel fermé, & l'enfer ouuert,
& Dieu sur vn throne de iustice &
de iugement, soit en des griefves tentations,
soit és approches de la mort.Alors
il sent les mesmes estreintes que Belsazar
sentit jadis,lors que ceste main miraculeuse
sortir de la paroy,son
uisage se change,
Dan.5.6.
ses pensées le troublent, les iointures de
ses reins se deserrent,& ses genoux se heurtent
l'un contre l'autre . Il ne trouue aucune
Ps.49.8.
consolation, ni en soy, ni hors de soy
au reste des creatures , ni au ciel, ni en
terre , sinon en la consideration de ce
throne de grace, que Dieu luy a dressé.
Et comme le
rameau d'oliue presenté iadis
Gen.8.11.
à Noé, & à ceux qui estoient enfermez
auec luy en l'Arche leur paroissoit
beaucoup plus beau, & plus agreable,
apres qu'ils auoient esté long temps battus
de l'orage au dehors, & trauaillez de
diuerses sortes d'incommoditez au dedans:
Ainsi ce
rameau d'oliue presenté en
l'Euangile , c'est à sçauoir, ce message de
grace,console beaucoup plus le pecheur,
apres qu'il a luicté quelque temps contre
les puissances infernales , & a senti
Iob.31.23.
les frayeurs du Tout-puissant . Et comme
vne lettre de grace n'est jamais mieux
prisée par vn criminel , que lors qu'il se
void prest d'estre produit sur vn eschaffaut.
Ainsi faut-il que le pecheur sente
son crime,& apprehende sa peine serieusement,
auant que l'Euangile luy semble
estre doux & fauorable. La seule cause
doncques pourquoy ce throne de grace
est mesprisé, est, qu'on n'en conçoit pas
la dignité, ni l'vtilité, moins la necessité,
iusqu'à ce que la conscience se réueille,
& fasse sentir au pecheur son crime,
& sa peine. Autrement on a beau parler
du throne de grace, & le prescher. Vn
homme endormi au sein d'vne Dalila,
[n'en]
n'entend pas ce langage, vn Epicurien
ne s'en esmeut pas, non plus qu'vn malade,
qui ne sent ni son mal, ni le besoin
qu'il a du remede, estant saisir d'vne profonde
lethargie.
Cependant on peut icy former vne
autre demande, pourquoy c'est que les
Hebreux sont exhortés seulement par
l'Apostre, d'approcher de ce throne, d'aller
vers ce throne, & non pas plustost
d'embrasser ce throne.Disons que ce n'est
pas sans grande raison, que l'Apostre se
sert de cette expression,nous voulant apprendre
par ce mot diuers enseignemẽs.
Nous voyons par ce moyen, que cet acte
qu'il requiert de nous,ne peut estre exercé
par nous, que par degrés. Il faut que
l'homme pecheur approche de ce throne
par diuerses démarches, auant que
l'embrasser. Si le throne de Salomon
auoit ses marches, ce throne de grace a
semblablement les siennes. Il faut que le
pecheur commence à recognoistre son
peché , & son impuissance à en sortir de
par soy mesme, & que Dieu a dressé vn
throne de grace, & qu'il l'a dressé au Fils
de sa dilection, & qu'il faut approcher
de ce throne,& que tous ceux qui en approcheront,
comme il appartient,seront
sauuez. Ces degrez sont necessaires pour
en approcher.Dieu ne vouloit point iadis,
Exod. 20.26.
que
son autel eust des degrés , parce
qu'outre la raison de l'honnesteté & de
la bienseance marquée en la parole de
Dieu,au regard des Sacrificateurs,qui en
deuoient approcher vestus legerement
de robbes de lin , il vouloit que son autel
fust different de ceux des Payens, qui
auoient diuers degrez,comme il ne vouloit
point qu'il fust basti de pierres taillées
Exod. 20. 25.
à la façon des autels des Payens,
mais
de terre , Dieu ayant prins à l'ordinaire
le contrepied de ce qui estoit
en estime & en veneration parmy les
Payens.
Ioint que l'Esprit de Dieu ayant à faire
à des pecheurs a regardé sans doute aux
premiers mouuemens d'vne ame preuenuë
de peché: Ces premieres démarches
ne sont qu'vne approche, comme celles
de l'enfant prodigue. Celuy qui vient de
loin,a besoin d'approcher, deuãt qu'embrasser
ce qui est esloigné de luy. Il n'y a
rien plus esloigné de Dieu que le pecheur.
Le ciel n'est pas plus loin de la
terre qu'vne conscience chargée de peché
[ché]
est esloignée du throne de Dieu.
Ceux là aussi qui sont fort bas, ont besoin
de monter par degrés.C'est la tâche
du pecheur,de franchir cest abysme,qui
est entre Dieu & entre luy, & monter du
profond des enfers au haut des cieux,par
les degrés que Dieu a establis. C'est à bõ
droit doncques que l'Apostre parle d'approcher
du throne plustost que de l'embrasser.
Et veu mesmes, que pour embrasser ce
throne il en faut approcher,& que la fin
& le but de nostre approche est nostre
conjonction auec celuy de qui nous approchons,
nous pouuons dire, qu'entant
que nous sommes exhortés d'approcher
de ce throne, nous sommes exhortés par
mesme moyen de l'embrasser. De fait,
toute sorte d'approche ne suffit pas, lors
que la joüyssance d'vn bien consiste en
l'application. Vn hypocrite fait aussi souuent
vne démarche pour approcher de
ce throne. Vne conscience,
qui a frayeur
Iob 31. 23.
de l'orage du Dieu fort , est poussée par fois
à faire quelques pas en ceste approche.
Vn temporiseur semble y passer fort auant,
qui gouste le don celeste,& les puissances
Heb. 6.4.5.
du siecle à venir . La nouueauté de ce
throne delecte l'vn, sa beauté rauit l'autre.
Vn Iuif est bien aise d'oüir parler de
grace, & de se voir déchargé
d'un joug
Act.15.10.
que ni ses Peres , ni luy mesmes n'a pû porter .
Vn Epicurien se flatte, que la liberté
de l'Euangile peut couurir son libertinage ,
& qu'il sera à couuert de l'ire de
Dieu,à l'ombre de ce throne. Le déplaisir
& la confessiõ d'vn Iudas d'auoir trahi
le sang innocent , semblent estre des
démarches fort auancées vers ce throne.
Mais toutes ces démarches sont desagreables
à Dieu , & inutiles à l'homme,
pendant qu'il demeure en chemin, & ne
passe pas plus outre. Qui approche par
contre comme il faut , ne s'arreste pas,
jusqu'à ce qu'il embrasse ce throne, qu'il
empoigne
les cornes de l'autel , & y trouue
sa sauueté.
Ce terme aussi d'aller ou d'approcher de
ce throne a esté choisi par l'Apostre fort
pertinemment,& estoit tres-conuenable
à l'estat des Hebreux.Les vns d'entre eux
estoyent entierement esloignés de ce
throne, ennemis du Fils de Dieu, & de
son Euangile, ayans vn bandeau deuant
les yeux, vn voile deuant la face , & le
premier tabernacle au cœur. Les autres
[auoyent]
auoyent commencé à arracher ce bandeau,
à tirer ce voile , & à recognoistre
ce beau plan du vray Temple de Dieu,
qu'il auoit dressé en son Euangile. Mais
il leur restoit encore beaucoup de demarches
à faire,pour perdre la Synagogue
entierement de veuë. Les premiers
d'entr'eux auoyent bien besoin d'apprẽdre
à approcher:Les derniers d'advancer
en ceste approche.
Disons aussi,que ce terme nous represente
fort naïfvement nostre condition.
Pendant que nous sommes en ce pauure
monde, tout ce que nous pouuons faire,
c'est d'approcher, & de tascher d'approcher
de Dieu.Nous cognoissons en partie,
nous aimons en partie,nous contemplons
la gloire de Dieu comme dans vn
miroir , mais non pas à face découuerte.
L'Espouse mesme ne voit son Espoux ici
bas,
qu'à trauers d'un treillis & à demi .Il y
Cant. 2. 9.
a tousiours vn rideau tendu entre Dieu
& entre nous.Dieu y est encore entouré
d'vne nuée , & couuert à nos yeux. Ce
nous est assez icy
de toucher le bord du vestement
du Fils de Dieu, &
d'empoigner le
Matth. 8. 20.
pan de sa robbe , en sa parole, en ses sacremens:
l'embrassement & la jouyssance
entiere de sa grace nous sont reserués
ailleurs.
Bref,le terme que l'Apostre employe,
ne designe pas seulement nostre foiblesse,
mais aussi nostre deuoir,que nous sçachions,
& nous souuenions, que nous
sommes encores loin du but,que nous ne
sommes qu'en chemin , que nous auons
besoin d'auancer tous les jours , & qu'il
ne faut s'arrester là où nous en sommes.
De fait,nous ne pouuons jamais estre
si pres de ce throne , que nous n'en
puissions encore approcher d'auantage,
le contempler plus clairement , l'aimer
plus parfaittement , & en sentir la vertu
auec plus d'efficace. Les derniers eschelons
de l'eschelle de Iacob estoyent plus
proches du Ciel, que les premiers, & les
Anges à mesure qu'ils y alloyent plus auant,
en approchoyent d'auantage. Saint
Paul recognoist qu'il a besoin de passer
Phil.3. 14.
plus outre en ceste carriere,
de s'auancer
aux choses qui sont en deuant , & de tirer
vers le but, assauoir au prix de sa supernelle
vocation de Dieu en Jesus Christ . Et veritablement,
n'auancer, n'approcher pas en
ceste carriere spirituelle , c'est reculer.
Qui n'auance en vne montée , est sur le
[poinct]
poinct de descendre.
Disons aussi,qu'és actes spirituels approcher
& embrasser sont vne mesme
chose, comme manger la chair, & boire
le sang du Fils de Dieu en la S.Cene, uestir
Christ,estre enté en luy,& fondé sur luy ,
& luy estre conjoint. Et c'est ainsi qu'vn
mesme acte spirituel est representé souuent
par diuers actes corporels. C'est
pourquoy ceux là se trompent grandement ,
qui pressent souuent ces comparaisons
au delà de l'intention de l'Esprit
de Dieu, & en inferent des actes corporels,
repugnans au but pour lesquel elles
sont employées, sans considerer que l'Escriture
Sainte se sert de diuers exemples
de toutes sortes de conjonctions, qui se
rencontrent ou en la nature, ou en l'art,
ou en la societé humaine, pour nous representer
par diuerses conceptions vne
mesme vnion spirituelle & tres estroitte
que nous auons auec le Fils de Dieu,qui
ne peut estre exprimée suffisamment par
vne seule,à cause de sa perfection.
Si on demande maintenant qui sont
ceux qui doiuent approcher de ce throne
de grace? La response est aisée. 1. Que
ce sont les Hebreux , ausquels l'Apostre
s'addresse directement. 2. Tous les fideles
ensemble.C'est à ceux là que ce throne
de grace est & preparé & proposé.
Non aux Athées & prophanes, non aux
stupides,& insensibles,non aux incredules
& impenitens.Ce throne n'est ni preparé,
ni proposé , ni promis à ceste sorte
de gens. Comme ceux là sont bannis de
l'approche du throne de gloire,que l'Escriture
Apoc. 22. 1.
Sainte appelle
chiens , empoisonneurs,
paillards,meurtriers & idolatres , &
qui aiment ou commettent fausseté : ainsi,entant
que tels, sont ils bannis de l'approche
du throne de grace. L'Apostre veut
que ceux là en approchent, qu'il appelle
cy dessus
Saincts , freres, participans de la
vocation celeste .
Nous ne voyons pas cependant que
l'Apostre distingue entre les grands &
les petits, entre les riches & les pauures,
entre les sçavans & les ignorans, mais il
conuie indifferemment tous fideles & repentans
d'entre les Hebreux , d'autant
que toutes ces distinctions exterieures
ne sont pas considerées en l'Eglise. Elles
ont leur lieu en la societé ciuile , & en la
Maison des Roys, mais nullement en la
Maison des Dieu. Tous y ont besoin de
[mesmes]
mesmes dons, & sont exhortés à mesmes
deuoirs, parce que toutes sortes de personnes
sont plongées en vne mesme masse
de corruption , & également miserables
de leur nature. Celuy qui n'est pas
atteint d'vne espece de mal , l'est d'vne
autre.
Mais si la matiere que l'Apostre exprime
icy est considerable , c'est à sçauoir
qu'il faut aller vers ce throne, ou approcher
de ce throne, la forme , de cette expression
ne l'est pas moins , entant qu'il
ne dit pas aux Hebreux, allez vers le throne
de grace,ou approchés de ce throne,ou
qu'on approche de ce throne, que les fideles
en approchent,mais qu'il dit Allons, comme
ailleurs en cette mesme Epistre,tenons
ferme la profession, allons auec un vray cœur,
tendons à la perfection : Retenons la profession
de l'esperance ; poursuiuons constamment
la course qui nous est proposée .Cette
forme d'expression a esté employée &
ailleurs, & icy, par l'Esprit de Dieu,pour
apprendre aux Hebreux diuerses leçons
considerables.Premierement entant que
l'Apostre se met dans vn mesme rang
auec les Hebreux, & se resueille soy-mesme
à vn mesme deuoir , il leur insinue
doucement son exhortation,ne leur proposant
rien qu'il ne se propose à
soymesme,
& ne leur donnant aucun aduertissement ,
qu'il ne vueille prendre pour soy-
mesme. Vn Capitaine est bien mieux suiui,
qui mene ses soldats luy-mesme à vne
bresche, ou à la charge, que celuy qui les
y enuoye, sans estre de la partie.Ainsi les
seruiteurs e Dieu ne peuuent iamais
mieux faire penetrer leurs exhortations,
ni en porter la pointe plus auant dans
les consciences,que lors qu'ils parlent à
eux-mesmes, aussi bien qu'à autruy, & se
portent aux mesmes deuoirs qu'ils recõmandent
aux autres.De fait c'est la meilleure
maniere de persuader, quand ceux
qui parlent,agissent, qui excitent les autres ,
ioignent leur exemple à leurs semonces,
& qu'vn Apostre S.Paul se range
soy - mesme auec les Hebreux à vn
mesme deuoir. Autrement les Pasteurs
ne sont qu'à demi tels , semblables à
des cloches qui sonnent , sans bouger,
& à des cymbales qui tintent,& à des statues
qui mõstrẽt le chemin sans se mouuoir.
Matt. 23.4.
Tels estoient les
Pharisiens, qui lioyent
ensemble des fardeaux pesans & importables ,
& les mettoyent sur les espaules des
[ hommes, ]
hommes, mais ils ne les remuoyent point du
doigt . Les vrays seruiteurs de Dieu au
contraire enseignent autant par leur
exẽple que par leur parole,& imitent ce
qui est dit du Fils de Dieu,
qu'il s'est mis à
Act. 1.1.
faire & à enseigner . C'est le moyen de faire
vne puissante impression quand on
suit le mesme ordre auec le Fils de Dieu,
& qu'on conjoint ces deux points ensemble.
Nous apprenons par la mesme expression,
qu'il n'y a point de chemin different
à la vie, l'vn pour les Apostres, &
l'autre pour leurs Auditeurs, mais qu'vne
mesme voye est proposée à tous. Il y a
bien diuers chemins qui menent en enfer,
mais il n'y a qu'vn seul qui conduise
au ciel. Et quelque relevée qu'ait esté la
charge de l'Apostre,quelque rauissement
qui luy soit arriué, il n'a aucun accés,
non plus que les Hebreux, au throne de
la gloire de Dieu,si non par le throne de
grace. Il y a des Grands au monde, qui
peuuent se dispenser de certains deuoirs,
& qui ne sont pas suiets aux mesmes necessitez
auec d'autres. Mais il n'y a aucun
deuant Dieu, ni Roy, ni Prophete,
ni Apostre, qui n'ait besoin de grace, &
Apoc. 4.10.
qui ne soit obligé de
ietter sa couronne deuant
son throne, par recognoissance &
par deference tout ensemble.
Et veu qu'vn Apostre si ardent en zele,
si auancé en saincteté , si eminent en
dons, si indefatigable en sa charge, a besoin
d'approcher d'vn throne de grace,
Phil.3.9.
auec les Hebreux, & quoy qu'il soit
sans
reproche,quãt à la iustice qui est en la Loy , y
renõce, & ne se glorifie qu'en la croix du
Rom.3.20.
Fils de Dieu: Disons que
nulle chair n'est
iustifiée par les œuvres de la Loy, qu'il faut
que toute bouche soit fermée,que tout le monde
soit coulpable deuant Dieu , & luy demande
grace pour grace.
Et si ce grand Apostre, qui a esté partagé
si auantageusement en lumiere &
en plusieurs dons excellens,a besoin d'aller
vers ce throne de grace, & de faire
tous les iours quelque pas en cette carriere,
nous voyons que nostre sanctification
n'est pas accomplie en ce monde,&
que les plus regenerez sont en chemin &
en estat de profiter tous les iours. Les
robbes blanches & les palmes ne sont pas
pour ceste vie, mais pour la future. Et il
y a bien à dire entre estre au paruis, &
estre receu au sanctuaire , entre la mesure
[re]
du don, qui nous est donnée icy bas,
& entre celle qui nous est reseruée là
haut. Et comme nous voyons que ceux,
qui ont atteint vn plus haut degré de sçauoir,
recognoissent mieux ce qui leur
manque, que ceux qui sont beaucoup au
dessous d'eux : ainsi les plus auancés en
leur sanctification , sentent beaucoup
plus leurs infirmités que ceux qui ont
moins de don. D'autant plus haut qu'vn
homme monte sur un mast,ou sur vn clocher,
d'autant plus découure il de pays
ou d'estenduë.
Entant aussi que l'Apostre s'excite
soy-mesme auec les Hebreux d'allers vers
ce throne, il nous donne à cognoistre,
quel est le deuoir des seruiteurs de Dieu,
c'est à sçauoir, non seulement de sentir
& de croire qu'ils peuuent passer plus auant
en ceste approche, mais aussi de se
resueiller eux-mesmes pour y trauailler.
Combien de fois est ce que Dauid arraisonne
son ame , & l'excite à des œuvres
Psal. 103.1.2.
de pieté, & dit, qu'il
l'esleue à Dieu,comme
Psal. 25.1.
estant semblable aux mains de Moyse,
ou à vne nature pesante, qui tend contre
bas? De fait l'ame est entrainée fort
souuẽt, & comme affaissée par ceste masse
de terre,auec laquelle elle est liée d'vn
lien si estroit. Et nostre Apostre tesmoigne
assez, que non seulement il se réveilloit
par paroles, mais qu'il taschoit de
matter mesmes,& reduire son corps en seruitude .
Par mesme moyen l'Apostre,se resueillant
soy-mesme,donne occasion aux Hebreux
de penser serieusement à eux, & à
leur conduite. Car si vn S.Paul a besoin
de se resveiller, d'aller, d'auancer, qui
semble estre déja si auant en ceste carriere:
que sera ce de ceux qui sont tant en
arriere, & tant de démarches au desous
de luy, luy estans inferieurs en cognoissance,
en zele, en ardeur, & en d'autres
dons semblables? Qu'il seroit bien besoin,
qu'en resueillant autruy,nous nous
resueillassions souuent nous mesmes,
comme fait icy S.Paul.Il n'y a point d'occupation
plus vtile, ni plus necessaire.
Nous n'auons pas besoin de nous resveiller
pour le monde , pour nos interests,
ou pour nos plaisirs. Nous y sommes
portez assez de nous mesmes, & y
courons. Mais nous sommes lents pour
Dieu, & pour les deuoirs spirituels, &
pensons rarement au throne de Dieu, &
[à]
celuy qui est assis dessus, & à la carriere
que nous auons à franchir, & aux empeschemens
que nous auons à surmonter,
& à ceste
grande nuée de tesmoins , que
Heb.12.1
nous auons à suiure, & au prix, qui est
proposé au bout de la course. Heureuse
est la iournée en laquelle nostre conscience
nous rend ce tesmoignage, que
nous y auons pensé, & auons auancé
quelque pas en ceste lice.
Bref, entant que l'Apostre dit aux Hebreux,
Allons au throne de grace , il leur
monstre, que ce chemin se doit faire en
compagnie, que plusieurs doiuent marcher
ensemble, courir & auancer ensemble,
& s'encourager les vns les autres.
L'Eglise est vn corps, & emporte societé
& communion. Dieu veut,qu'elle soit
entretenuë és exercices de pieté, & par
vne démarche conjointe vers son throne:
il se plaist de voir ses enfans joindre
leurs cœurs & leurs mains ensemble à vne
bonne œuvre. Et les enfans de Dieu
ne sont pas enuieux, que plusieurs ayent
part au bien qu'ils possedent , ou qu'ils
pretendent. Ils ne sont pas semblables à
ce frere tetrique, qui enuie à son Pere sa
joye, & à son frere l'accueil qui luy est
Luc 15.23.
fait.Ils souhaitteroyent,que tout le peuple
fust conuerti en autant de Prophetes.
Ils sçauent que le bien d'autruy ne
leur oste rien du leur,& ont plus de joye
quand Dieu est plus glorifié. Ils sont biẽ
aises mesmes,que leur exemple serue, &
qu'ils soyent suiuis. Ils taschent seulement
de n'estre pas deuancés. Ils sont
Eze. 1. 19.20
comme les
roües & les
animaux representés
jadis au Prophete Ezechiel, qui marchent
ensemble,mais en suiuant le mouuement
de l'Esprit de Dieu. L'espouse se
Cant.8.8.
souuient de
sa petite sœur , de l'Eglise des
Gentils,& desire qu'elle ait part aux graces
de son Espoux.Abraham ne veut pas
estre sauué seul. Il prie plustost pour des
Sodomites , & Moyse pour vn peuple
mescognoissant, & rempli d'esprits de
Psal. 122. 1.4.
contradiction. Et Dauid s'éjouït à cause
de ceux qui luy disoyent , nous irons en
la Maison de l'Eternel, & ne trouue rien
si beau, que des voir monter les tribus ensemble
en Ierusalem , pour y celebrer le
Nom de l'Eternel. Saint Paul mesme
voudroit estre separé de Christ, (non au
regard de l'influence de sa grace, ou de sa
saincteté,mais au regard de la participation
de sa gloire , ou de sa felicité ) moyennant
[yennant] que Dieu fust glorifié par la cõuersion
& le salut d'vn grand peuple.
Nous voyons aussi quelles doiuent estre
nos communications, quand nous traittons
les vns auec les autres.Elles doiuent
estre sainctes & porter à choses sainctes.
Telle est l'exhortation de l'Apostre adressée
icy aux Hebreux. Tels sont les
Gen.18.19.
enseignemens d'vn Abraham, les exhortations
d'vn Moyse, les semonces d'vn
Dauid. Bref,tel est le langage & des hommes
de Dieu en terre , & des Seraphins
au Ciel. Disposer quelqu'vn à vn sainct
deuoir,est estre vn instrument de la grace
de Dieu sur luy , & de benediction sur
soy. Il faut avouër cependant, que ce deuoir
est rarement acquitté. Nous auons
honte d'exciter quelqu'vn à aller vers
Dieu. Ce n'est pas vn langage,qui soit
bien receu és compagnies. Il y faut d'autres
entretiens, la bien-seance du monde
requiert d'autres propos,& vne complaisance
maudite estouffe souuent des bons
mouuemens , qui naissent au dedans.
Nous craignons d'estre mocqués & brocardés
de parler pour Dieu. Mais nous
ne craignons pas d'estre des sarbatanes
& sifflets de son ennemi,& de parler pour
luy,en laschant des propos qui portent à
impieté, ou à lubricité. Les railleurs &
seducteurs ne manquent point de hardiesse,
Prou.1.10.11. & 7.
18.
ni d'audience. Les desbauchés, &
la paillarde se font oüyr mesmes és carrefours.
En somme, ceux qui menent en
enfer,soit par des impietés ouuertes, soit
par des seductions couuertes , sont bien
venus & bien oüys. Il n'y a que ceux qui
parlent pour Dieu , & pour son seruice,
qui soyent ou rebutés , ou moqués. On
croit que c'est parler hors de saison , de
vouloir arracher vn homme hors des
pattes du Diable, & le mener vers Dieu.
On veut que ce lãgage soit reserué pour
les vieux jours, & pour la dernier heure.
Et souuent on n'a ni le bon heur de l'y
entendre, ni le jugement ou la grace de
s'en preualoir.
Ce n'est pas aussi sans consideration,
que l'Apostre se sert de ceste expression,
Allons doncques au throne de grace ; mais
pour nous insinuer le raisonnemẽt, qu'il
tire de ce qu'il auoit posé auparauant,
ce terme estant relatif aux paroles qui
precedent,comme s'il vouloit dire: Veu
que nous auons vn Sacrificateur, qui est
& grand en soy, & plein de bonté pour
[nous,]
nous,le ciel nous est ouuert;Dieu est appaisé
enuers nous, le chemin à la vie est
applani , & vn throne de grace dressé.
Que reste il donques, sinon que nous allions
à ce throne ? Les Roys & Princes
sont irrités , quand leur grace est mesprisée,
leur liberalité mescognuë, & leurs
largesses vilipendées. A plus forte raison
Dieu est il offensé,ce grand Sacrificateur
outragé, & ce throne,qu'il nous a dressé,
foulé aux pieds; si nous ne daignons d'en
approcher , & ne taschons de nous preualoir
du bien que Dieu nous y presente.
Le message de grace & le banquet de
Matt. 22.
nopces estant mesprisé en l'Euangile,
des gendarmes sont enuoyés au lieu de
messagers , & les conuiés punis auec rigueur.
Cette mesme expression nous apprend
quelle est la vraye methode de traitter
des mysteres du Royaume des Cieux. Ce
n'est pas assez d'en representer l'excellẽce,
& la beauté, & de les contempler : il
faut passer outre,& venir à l'application,
autrement ils nous sont inutiles , & ne
seruent qu'à nostre conuiction.De fait la
grace de Dieu ne nous est pas proposée,
comme vne peinture , mais comme vne
nourriture, non comme vn tableau,mais
comme vn legat, & ne doit pas seulemẽt
estre l'object de nostre cognoissance,
mais aussi l'object de nostre amour,& de
nostre confiance.Il faut passer des benefices
que Dieu nous propose,aux deuoirs
qu'il requiert, & ne nous contenter pas
d'idées, ni de speculations, mais venir à
l'action,aller,auancer,approcher du bien
que Dieu presente, & l'embrasser. Qui
prend la Religion Chrestienne pour vne
speculation , se mesprend extremement,
& est encore loin du Royaume des cieux.
Ce n'est pas assez doncques d'avoir vn
Souuerain Sacrificateur , & de sçauoir
quel il est , & ce qu'il a fait pour nous,il
faut sçauoir ce que nous auons à faire
pour luy,& pour nous tout ensemble,&
nous mettre en deuoir de le faire. S'il est
entré és cieux , il le faut suyure , si d'autres
sont allés deuant, nous deuons marcher
apres,& nous rendre tous ensemble
aupres du throne qui nous est dressé.
L'Apostre insinue par mesme moyen,que
ce seroit comme chose honteuse de reculer
quand Dieu conuie,& apres auoir de
si grands auantages , demeurer en chemin,
& s'arrester lors que la carriere nous
[est]
est ouuerte,le prix deuãt nous,vn avant-
coureur en teste , une grande nuée de tesmoins
aux flancs, & à l'entour de nous, &
vne facilité extreme d'atteindre le but &
d'emporter la couronne.
Mais on peut former icy vne demande
considerable. Comment est-ce que l'Apostre
exhorte les Hebreux d'aller vers
ce throne ? Ou les Hebreux pouuoyent
satisfaire à sa demande , ou ils ne le pouuoyent
pas. S'ils le pouuoyent faire, ils
n'estoyent pas morts en leurs pechez, ni
les forces de leur franc arbitre incapables
d'atteindre au throne de grace. S'ils
ne le pouuoyent pas faire, à quel propos
est-ce que l'Apostre les inuite,& les sollicite ?
En somme,il semble,qu'il suffit,
que Dieu se tienne à la porte , & qu'il
frappe,qu'il presente sa grace, & y conuie,
qu'vn Sainct Paul parle,inuite, exhorte.
Pour resoudre ceste question , il
faut remarquer, 1. Que les exhortations
proposées en la parole de Dieu, ne nous
representent pas la mesure de nostre pouuoir ,
mais l'estenduë de nostre deuoir,
non ce que nous pouuons, mais ce que
nous deuons ; tout de mesme, comme la
demande faitte au Seruiteur en l'Euangile
Matt. 18.24.
de payer dix mille talens. 2. Ioint
que les exhortations doiuent estre distinguées:
par fois elles sont vn instrument
de conuersion en la main de Dieu , par
fois vn instrument de conuiction. Vn instrument
de conuersion,lors que Dieu ne
demande pas seulement, mais aussi donne,
ne conuie pas seulement, mais aussi
tire, ne parle pas seulement à nous, mais
agit aussi en nous. Hors ceste operation,
ceste exhortation n'est qu'vne conuictiõ
de l'homme pecheur, pour le rendre inexcusable
deuant Dieu. quand Dieu se
contente de demander, de conuier, de
parler , il fait ouïr vne voix de Maistre,
qui demande ce qui luy est deu , mais
quand il tire & agit quant & quant, il fait
ouïr vne voix de Pere , il donne ce qu'il
demande, il perce l'oreille pour ouïr, &
le cœur pour obeïr. La premiere sorte de
voix est vne voix legale, l'autre,Euangelique,
celle là est imperatiue, ceste cy operatiue.
Celle là confond,abbat,humilie,
ceste cy r'asseur,releue,console. 3. Disons
aussi, que ceux ausquels Dieu parle,
doiuent estre distingués: Car ou ils sont
sanctifiés desia par son Esprit, ou ils ne le
sont pas. S'ils sont sanctifiés,ils peuuent
[oüyr,]
ouïr,& obeïr,mais par la grace, & selon
la mesure de la grace, qui leur est donnée.
S'ils n'õt aucune part à la Sanctification,
ils ne laissent pas de deuoir faire ce
qu'ils ne sont pas capables de faire. Ces
distinctions estans appliquées à l'exhortation
que l'Apostre fait icy, la solution
de la difficulté proposée sera aisée.Quelques
vns d'entre les Hebreux estoyent
desia conuertis, & par consequent en estat
d'obeïr à la parole d'exhortatiõ que
l'Apostre leur propose,mais par la grace,
& selon la grace qui leur auoit esté communiquée:
d'autres ne l'estoyent pas,par
consequent estoyent ou conuaincus de
leur deuoir par ceste exhortation , demeurans
en leur obstination & au mespris
de ce throne, ou incités & poussés
d'en approcher par cette parole cõjointe
auec l'operation gracieuse de l'Esprit
de Dieu.Et faut remarquer que Dieu ne
veut pas operer cette approche de grace
par des inspirations fanatiques,ni par le
mespris des moyens qu'il a establis, ni en
prestant l'aureille à des imposteurs, ni en
prenant le chemin de l'enfer, mais en sa
maison, & par la voix de ses seruiteurs,
exhortans, resveillans, obtestãs les hommes
à faire leur deuoir , & à approcher
de Dieu.Les Hebreux donques, que l'Apostre
conuie d'aller au throne de grace,
y deuoyent aller, diuers d'entre eux y estoyent
desia allés, & estoyent encouragés
par cette parole, d'en approcher d'auantage,
d'autres estoyent excités à commencer
les premieres démarches vers ce
throne, d'autres conuaincus de leur dureté
& obstination de ne se soucier pas
de ce throne.Il appert donques que ceste
parole d'exhortation n'estoit nullement
inutile , au regard de ceux ausquels elle
est proposée , & ne pose pas cependant
aucunes forces au regard du vray bien
és Hebreux non conuertis.
Du III.
Mais comment est-ce que les Hebreux
doiuent approcher de ce throne?L'Apostre
le leur enseigne,en ce qu'il adjouste,
Allons au throne de grace auec asseurance .
De fait, ce n'est pas assez de sçauoir ce
que nous auons à faire, il faut aussi sçauoir,
comment nous le deuons faire. Et la
matiere de nostre culte, qui doit estre acquitté
nous doit estre cognuë, & la maniere,
[ niere, ]
en laquelle il doit estre acquitté.La
raison de cela est, parce que le seruice de
Dieu, & les actes de nostre deuotion, ne
sont pas arbitraires, ni indifferens, mais
limités & reglés en l'vne & en l'autre façon.
Et veritablement si vn Maistre ne
veut pas estre serui selon la phantasie
d'vn valet, mais selon ses ordres, moins
encore Dieu peut il agréer des deuoirs,
qui luy sont rendus autrement, qu'il ne
les a commandez.
D'ailleurs, si les Monarques de ce mõde
ne veulent pas estre approchés à l'estourdie,
& auec des postures esloignées
du respect qui leur est deu, aussi Dieu ne
peut & ne doit estre abordé, qu'auec les
dispositions qu'il agrée. Il ne veut pas,
qu'on approche de son throne auec vn
esprit stupide,& insensible,qui ne recognoisse
ni la nature de ce throne , ni le
besoin qu'il a d'en approcher. Il ne veut
pas aussi, qu'on en approche auec vn esprit
d'hypocrisie , qui se moque de sa
Majesté, & jouë vne comedie en sa presence,
ployant le genouïl d'vn costé deuant
luy,& de l'autre luy crachant en face.
Il desteste aussi vne approche profane,
qui soit conjointe auec mespris ou auec
insolence.Il n'agrée non plus l'approche
d'vn esprit Pharisaïque , qui vienne se
paonnant en sa presence & & y estallãt ses
vertus & ses perfections,& croye n'auoir
pas besoin de ce throne de grace. Il ne
peut supporter non plus , qu'on en approche
en esclaue, auec vn esprit de seruitude
& de deffiance. C'est interesser sa
verité,& blesser sa bonté, d'apporter des
mouuemens de ceste nature à son throne.
Et c'est ce que l'Apostre enseigne,
quand il exhorte les Hebreux , d'aller à
ce throne auec asseurance .
Il faut auouër, qu'il n'y a rien qui offense
d'auantage vn homme d'honneur,
que quãd sa parole est reuoquée en doute,
ou sa promesse tenuë pour suspecte &
subjette à caution.C'est l'accuser de mauuaise
foy , & le taxer obliquement de
mensonge & d'imposture. Si vn homme
mortel, qui a quelque peu de generosité,
est jaloux de son honneur,& de sa parole,
& se pique aisément, quand on le prend
de ce costé là: que doit attendre de Dieu
celuy là, qui approche de son throne en
flottant,& en vacillant,& en doutant, si
Dieu est veritable, si sa parole est certaine,
& ses promesses asseurées. C'est traitter
[ter]
Dieu outrageusement,& luy oster ceste
perfection, sans laquelle il ne peut ni
estre assis sur vn throne, ni estre dispensateur
de grace. Ce nest pas sans raison,
que l'Escriture Saincte inculque souuent
que
Dieu est fidele . Ainsi le Fils de Dieu
est representé à Sainct Iean non seulement
Apoc.19.11.
sur
un cheval blanc , marque & de sa
pureté & de sa gloire, mais aussi auec ce
titre glorieux de
Fidele et de
Veritable .
Les hommes ont sujet souuent d'estre en
deffiance les vns des autres.Ou la puissãce
leur manque,ou la sincerité. Leurs affections
aussi sont changeantes, leur volonté
vacillante,leurs offres incertaines.
Ce sont des
roseaux qui sont demenez de
toutes sortes de vents.Tantost Pharao esleue
son panetier en sa cour,tantost il le
fait attacher à vn gibet. S'il y a des momens
de faueur pour Dauid en la Cour
de Saul,il y a des années de disgrace. En
vne mesme heure Haman reçoit toutes
les faueurs de son Roy,& toutes les marques
de son indignation. Il y a des obstacles
mesmes & des empeschemens , qui
arrestent souuent la bonne volonté des
hommes, ou en diuertissent le cours. Il
en est tout autrement de Dieu.Il est constant
en son amour,ferme en ses inclinations,
fidele en ses promesses,& puissant
en l'execution. Son entendement n'est
pas capable d'vne nouuelle lumiere,ni sa
volonté d'vne nouuelle impression, ni sa
puissance de rencontrer aucun arrest ou
empeschement.Douter de la promesse de
Dieu,& de sa verité,c'est conceuoir Dieu
ou infidele , ou muable & inconstant,
& en l'vne & en l'autre façon l'offenser.
C'est donques à bõ droit que l'Apostre
veut qu'on approche de ce Throne auec
asseurance . Et de fait,ceste sorte d'approche
est vn charactere d'enfant. Approcher
de Dieu auec trepidation, c'est approcher
de luy en esclaue. Mais approcher
de luy auec asseurance, c'est approcher
en enfant,& traitter auec luy en domestique,
& non en estranger. Il y a bien
à dire entre vn criminel qui comparoist
deuant son juge,& vn enfant, qui se presente
deuant son Pere.L'vn tremble,l'autre
s'asseure. L'vn se deffie de l'issuë de sa
cause,l'autre s'en asseure.Et veu que Dieu
ne peut agréer que des deuoirs francs, &
produits par l'Esprit d'adoption , c'est
tres à propos que l'Apostre exhorte les
[He-]
Hebreux de venir vers ce throne en enfans,
& auec des mouuemens d'enfans ayans
non seulement vne forte impressiõ,
de sa Majesté, mais sur tout vne ferme
persuasion de sa bonté enuers eux.
Ioignez à cela,que l'Apostre ne propose
pas Dieu icy sur vn throne de gloire,
ni sur vn throne de justice , mais sur vn
throne de grace. La veuë du premier esblouït
la veuë du second estonne, mais
la consideration du troisiesme r'asseure,
parce qu'on y voit vne face appaisée; vn
Dieu propice, & le ciel ouuert en grace&
en benediction. Ce throne donc deuoit
estre regardé auec asseurance, & non pas
envisagé auec crainte.
Mais en quoy consiste ceste asseurance?
Le terme duquel l'Apostre se sert,signifie
proprement
la liberté de tout dire.
Par fois l'Escriture Saincte exprime ceste
asseurance des enfans de Dieu par ce terme,
qui signifie
en mouuement exterieur: par fois elle l'exprime par d'autres termes ,
qui signifient
des mouuemens interieurs, & l'appelle
une persuasion ; &
une
Ephes.3.12.
persuasion pleniere . De fait, l'asseurãce des
Hebr.10.22.
enfans de Dieu requiert l'vn & l'autre
acte,& comprend l'vn & l'autre deuoir.
Car il faut que celui,qui veut approcher
du throne de Dieu , soit premierement
pleinement persuadé au dedans , & de la
verité,& de la puissance,& de la bonté de
celuy qui est sur le throne, qu'il peut &
veut aider,& que le ciel & la terre passeront
plustost, qu'vn iota demeure en arriere
de ce qu'il a promis. Mais ce n'est
pas assez. Il faut que ceste asseurance se
produise aussi au dehors, & forme de bõs
mouuemens au cœur, & de bonnes paroles
en la bouche du fidele, & vn langage
d'enfant,qui sçait demander auec liberté
& avec confiance.Et comme le diable est
vn esprit endurcissant & resserrant , qui
serre le cœur, qui lie la langue: l'Esprit de
Dieu au contraire est vn Esprit ouurant
& desliant , mettant le cœur au large au
dedans, & donnant ouuerture de bouche
au dehors.
Mais ce terme apprend-il aux enfans
de Dieu, de tout dire, & demander indifferemment
toutes choses à Dieu à l'estourdie,
& selon la bigearrerie & l'appetit
extrauagant de nostre naturel corrompu?
Nullement. Ceste liberté de dire,
& ceste asseurance de demander, ne s'ẽtend
que des choses qui doiuent estre dites
[tes]
& demandées , par consequent qui
soyent & sainctes en elles mesmes,& vtiles
pour nous. L'asseurance donques
des enfans de Dieu n'est pas vn mouuement
estourdi,impudent,temeraire,mais
vn mouuement reglé par l'Esprit de
Dieu,fondé sur sa promesse ,& sur nostre
vtilité.
On pourra demander cependant, Y a-
il point d'autres dispositions necessaires,
pour approcher du throne de grace, que
l'asseurance?Faut il pas en approcher aussi
auec reuerence,& auec humilité? Pourquoy
donques l'Apostre ne parle-il que
de l'asseurance? Sçachons,pour response,
que l'Apostre regarde icy à la consolation
d'vne ame pecheresse, qui sent & sa
bassesse,& son crime,& sa misere,& son
indignité d'approcher de Dieu,par consequent
qui a sujet d'estre en deffiance,
& en vne vacillation d'Esprit , pendant
qu'elle arreste sa veuë sur soy mesme. De
fait, l'homme pecheur est vn pauvre ver
de terre; & il approche de son Createur,
il est rée, & il approche de son juge,il est
chargé de crimes,& il se presente deuant
celuy qui est la justice mesme. Il est contaminé
en soy, & il se presente deuant
celuy,qui a des yeux trop purs pour contempler
le mal, & qui ne trouue pas de
pureté ni és cieux ni és Anges. Combien
donc de subjet de doute,de deffiance,&
presque de desespoir ? C'est ici, où vne
pauure conscience tremblante se trouue
souuent fort esperduë Comment peux je
auoir accés à Dieu, que j'ay tant offensé?
auoir part à ce throne de grace, que j'ay
tant mesprisé? Dieu a veritablemẽt dressé
vn throne de grace,mais non pour moi,
qui ay trop recidiué, qui ay abusé en tãt
de façons,& si long temps du support de
mon Dieu,mescognu ses graces, irrité sa
patience , & entassé ire au jour de l'ire.
C'est ici où le diable décoche ses dards
enflammez , & tasche de transpercer le
pecheur , & de luy donner vne atteinte
mortelle.Combien y a-il qui luittent ici
long temps auec les frayeurs de Dieu , &
semblent voir l'enfer ouuert pour les engloutir?
Qu'y a-il donc plus necessaire
que de r'asseurer le pecheur, & le releuer
par ceste douce consolation,qu'il ne s'espouuante
point, qu'il s'asseure en la misericorde
du throne de grace , que ce
throne ne luy promet que grace , que
[Dieu]
Dieu ne l'a pas dressé pour les justes,
mais pour les pecheurs,& qu'il y conuie
non les innocens , mais les repentans,
non ceux qui ont leur cœur au large,
mais ceux qui l'ont à l'estroit , qui sont
trauaillés & chargés ; & promet de les y
soulager.
Disons aussi, que ce sont choses relatiues
& conjointes , la grace & l'asseurance,
comme la justice & la crainte. Là où
Dieu est assis sur vn throne de justice, &
veut agir en Iuge auec rigueur , il n'y a
que matiere de confusion & de tremblement :
Mais là où Dieu est assis sur vn
throne de grace & veut agir en Pere, il y
a matiere d'asseurance. C'est donc à bon
droit, que l'Apostre presche l'asseurance,
ayant proposé un throne de grace.
Il semble aussi, que l'Apostre fait ici vne
opposition entre l'approche qui fût
commandée jadis au desert sous la Loy,
au peuple des Iuifs, & entre celle à laquelle
les Hebreux estoyẽt conuiez sous
l'Euangile. Celle là estoit pleine de frayeur.
Il faloit que le peuple se purifiast auec
soin, & approchast auec trẽblement.
Toute approche mesme ne lui estoit pas
permise. La montagne estoit entourée
d'vne haye. Des bornes & barrieres y estoyent
mises. Dieu y apparoissoit en Legislateur,
& en Maistre. La mort estoit
denoncée à ceux qui approcheroyẽt trop
pres de Dieu,& franchiroyent les barrieres
posées. L'Apostre oppose ici à ceste
œconomie d'ire, vne œconomie de grace,
& requiert des dispositions congeneres
à vne dispensation de ceste nature.
Comme s'il vouloit dire aux Hebreux:Si
nos Peres n'ont jadis osé approcher du
throne de Dieu dressé sur la montagne,
qu'auec tremblement : vous auez de l'auantage
sur eux. Dieu vous a dressé vn
throne en l'Euangile , auquel vous pouuez
aller auec asseurance. Les barrieres
sont ici leuées,la haye arrachée, l'approche
non seulement permise,mais mesme
commandée. Dieu y apparoist en Pere,&
en Pere appaisé enuers ses enfans. Vn
Ancien Docteur de l'Eglise, voulant distinguer
la Loy & l'Euangile,dit,la difference
de l'vn & de l'autre est, La crainte
& l'amour . De fait, l'esprit de seruitude estoit
predominant soubs l'ancienne œconomie.
Les apparitions de Dieu y estoyent
formidables la plus part. Manoah
craint de mourir,parce qu'il a veu Dieu.
[Les]
Les Prophetes mesmes y estoyẽt estõnez
és apparitions celestes. Daniel demeure
sans force,sa forme est changée en luy. Il est
Dan. 10.8.9.
tous deffait,& ne retient aucune vigueur , il
est contraint
de remper sur ses genoux, &
sur les paumes de ses mains . Dieu traittoit
à l'ordinaire auec les anciens,comme Ioseph
auec ses freres. Il leur monstroit vn
visage rude.C'estoit le temps d'ire. Dieu
y prenoit des noms terribles
de Dieu vẽgeur,
jaloux, d'Eternel des armées . En l'Euangile
au contraire ,
l'Esprit d'adoption predomine. Les apparitions de Dieu y
sont fauorables. Ceux qui y voyent
Dieu , viuent. Dieu y monstre vn autre
visage , vient auec vn autre appareil,
& tient vn autre langage. Les titres
qu'il y prend , sont autres. Il y est appelé
Pere , & Pere de grace, Dieu de paix, &
de misericorde . Le temps Iudaïque aussi
auoit diuers departemens. Les Gentils
n'y osoyent pas passer si auant que
les Iuifs , ni le peuple si auant que les Sacrificateurs ,
ni ceux cy si auant que le
Souuerain Sacrificateur. Il y auoit des
parois entremoyennes , ausquelles l'Apostre
Ephes. 2. 14.
fait allusion. En somme l'approche des
vns & des autres du throne symbolique
estoit fort differente ; Mais sous l'Euangile
l'approche du throne de grace est vniforme,
& également ouuerte,& peut &
doit estre faite auec asseurance.
Mais , pourra-on objecter, comment
est-ce que l'Apostre rend les Hebreux si
confidens, & veut , qu'ils approchent de
Dieu
auec asseurance , veu que la crainte,
voire le tremblement est commandé ailleurs ?
Sommes nous pas exhortés souuent
Phil.2.12
de
craindre Dieu, & de nous employer
à nostre propre salut auec crainte & tremblement? Comment est-ce que cela s'accorde
auec l'asseurance qui est ici recommandée?
Disons, que l'vn & l'autre sont
fort compatibles ensemble. Distinguons
diverses sortes de crainte,& diuers
esgards en ceste approche. Il y a vne crainte de
reuerence,& vne crainte de trepidation:
l'vne est accompagnée d'amour , l'autre
de haine:l'vne est conjointe auec confiãce,
l'autre auec deffiance : l'vne est vne
crainte d'enfant , l'autre vne crainte de
criminel : l'vne approche l'homme de
Dieu, l'autre l'en esloigne: l'vne produit
des mouuemens d'humilité , l'autre de
fremissement & de murmure.La premiere
sorte de crainte s'accorde bien auec
[ l'asseu- ]
l'asseurance . Mais la seconde ne s'y accorde
pas: Et veu que celle là est commãdée
tant seulement, non ceste cy, ces deux dispositions
ne se chocquent pas és enfans
de Dieu, mais s'entretiennẽt & s'entr'aident
mesmes en diuers deuoirs. Distinguons
aussi diuers esgards , que le pecheur
peut auoir, lors qu'il approche du throne
de Dieu. Quand il baisse sa veuë sur
soy mesme , & fait reflexion & sur ses
crimes , & sur son indignité, il a sujet de
craindre & de trembler,mais quand il esleue
sa veuë en haut , & considere Dieu
sur vn throne de grace , il a sujet de se
r'asseurer.Si la consideration de ce qu'il
a merité de Dieu,le doit abbatre,celle de
la grace que Dieu a meritée, pour luy, &
scellée à sa conscience le doit releuer.
Tout de mesme comme vn enfant, quand
il se voit sur le bord d'vn precipice ou
exposé à quelque dãger, a sujet de crainte,
en considerant sa foiblesse, & a neãtmoins
quant & quant sujet de se r'asseurer,
quand il se voit entre les bras d'vn
Pere , capable de le garentir. On n'a pas
mal rencontré de dire, que la deuise des
enfans de Dieu est , craindre & s'asseûrer .
Elle a son principe en la Parole de Dieu,
Ps. 2.11.
qui conjoint
l'exultation auec le
tremblement ,
& sa preuue en la conscience du fidele ,
qui sçait tresbien joindre l'vn &
l'autre ensemble,& craindre & s'asseurer
à diuers esgards.
L'asseurance donques des enfans de
Dieu ne bannit pas la crainte , entant
Rom. 11. 20.
qu'elle est opposée à l'orgueil, & à la securité,
mais elle la bannit tant seulemẽt,
entant qu'elle est conjointe auec deffiance
& desespoir. De fait, ceste asseurance
n'est pas vn mouuement d'outrecuidance,
ni de temerité, qui remplisse l'homme
de vent, & l'enfle en luy mesme:mais vn
pur mouuement d'enfant, s'appuyant &
sur la verité de son Dieu , & sur sa bonté,
& sur le sentiment de l'vne & de
l'autre qu'il a en sa conscience. Ceste asseurance
aussi ne porte pas au mespris,
mais à l'vsage,& à la prattique des moyens
que Dieu a establis. Et où ceste solicitude
n'est pas, ce n'est plus asseurance,
c'est presomption.
Mais on peut demander. Tous ceux, qui
ne sentent pas ceste asseurance en leurs
cœurs , sont ils reculés du throne de grace,
& n'y ont-ils point d'acces? Ie ne sens
pas ceste fermeté ni ceste persuasion en
[moy,]
moy , mais beaucoup de foiblesse & de
doute.Mes pechés m'estonnent plus que
la grace de Dieu ne me r'asseure. Sçache,
ame fidele, que
de telle compassion, qu'un
Psal. 103. 13.14.
Pere est esmeu enuers ses enfans , de telle
compassion est esmeu l'Eternel enuers ceux
qui le reverent : Il sçait dequoy nous sommes
faits . Ce n'est pas la force, mais la sincerité
de nos mouuemens,que Dieu regarde.
Si vn Pere agrée vne demarche chancelante ,
& un tastonnement tremblant
d'vn enfant, Dieu ne rebute pas les mouuemens
de ses enfans pour foibles qu'ils
soyent , moyennant que ce soyent des
mouuemens d'enfans, & non d'esclaues,
ni de mercenaires. S'il a des entrailles de
misericorde pour ses ennemis,à plus forte
raison a il vne tendresse intime pour
ses enfans. Vne de ses plus salutaires qualités
est,qu'il
ne brise pas le roseau cassé,&
n'esteint pas le lumignon fumant . Le tremblement
& la langue begayante d'vn enfant
ne luy ostent ni l'affectiõ, qu'il porte
à son Pere, ni l'esperance qu'il a d'obtenir
ce qu'il demande. Moins aux enfãs
de Dieu. Et comme vne main foible &
tremblante ne laisse pas d'empoigner vn
joyau, qui luy est presenté:Ainsi vne ame
tremblante peut embrasser la grace qui
luy est offerte. Dieu a diuerses sortes d'ẽfans;
Les vns sont partagez en aisnés,les
autres en cadets:les vns ont receu double
portion,les autres non. Vn Pere n'est pas
si rude , que d'exiger des forces & des
fonctions égales d'vn petit enfant, & de
celuy qui est auancé en aage. Et Dieu sera
il si seuere enuers ceux, qui sont marquez
de son charactere, & qui ont l'esprit
d'adoption en leurs cœurs , qui crient;
quoy que souuent d'vne voix foible &
entrecoupée, Abba Pere? Iacob ne rejette
pas des brebis,qui sont plus foibles,mais
en a plus de soin, & s'accommode d'auãtage
à leur foiblesse. Dieu n'a pas moins
d'affection pour les siens. Il cõsidere que
leurs mouuemens sont mouuemẽs d'enfans ,
mouuemens produits par son Esprit ,
mouuemens qui ne tendent qu'à
luy, & qui ne cerchent leur approbation
qu'en sa seule bonté , & leur effet , qu'en
sa pure grace. L'Apostre parlant ici d'asseurance,
se contente de monstrer, ce qui
predomine & doit predominer és enfans
de Dieu,& à quoy ils ont à aspirer,qu'ils
doiuent cõbattre leurs deffiances & leurs
craintes. Et ceste exhortation mesme est
[vn moyen]
vn moyẽ de faire naistre en eux les mouuemens
que Dieu demande. Mais,dira-
on , l'Esprit de Dieu n'opere il pas des
mouuemens forts, là où il opere,par consequent
vne rasseurance ferme ? Distinguons
entre les actions solitaires de l'Esprit
de Dieu , & celles qu'il opere en
nous ou par nous. Celles là sont fortes,
cestes cy foibles. Celles là representent
la vertu de celuy qui agit , cestes cy les
foiblesses de celuy qui reçoit. Nostre justification
est parfaitte , parce qu'elle se
fait hors de nous, mais nostre sanctification
ne l'est pas ici bas , parce qu'elle se
fait en nous,& par nous.
CONCLVSION
Ces paroles en somme nous fournissẽt
matiere abondante d'instruction & de cõsolation.
Nous y trouuons de fortes convictions
à l'encontre de l'erreur , & des
aduertissemens puissants à l'encontre du vice.
I. Nous y voyons à qui nous auons à
nous addresser , si nous voulons trouuer
aide en temps opportun. Non à vn Dieu
seant sur vn throne de justice , mais à vn
Dieu assis sur vn throne de grace : par
consequent nous voyons que nostre salut
est vn effet de pure grace , & vn ouurage
de sa seule misericorde. Et que
nous deuons venir le demander à Dieu,
non en contestant , ni en plaidant auec
luy, mais en qualité de supplians. Ce que
nous demandons, ce sont lettres de grace.
Quelle est la disposition de ceux qui
les demandent ? Il faut qu'ils auouënt
leur crime , qu'ils recognoissent leur indignité,
qu'il reuestent les prisons,qu'ils
se presentent en estat de rées & de criminels,
la contrition au cœur, & la confusion
sur la face. Tel est nostre estat deuant
Dieu, telle doit estre nostre presentation
deuant luy. Arriere ici toute pensée
de merite, de justice, de satisfaction.
Tout nostre recours est de cercher Dieu
sur vn throne de grace. Mais comment
est ce que cela s'accorde auec ceste Theologie
orgueïlleuse , qui est enseignée en
l'Eglise Romaine , & apprend à cercher
Dieu sur son throne de justice, & luy presenter
ses trauaux & ses peines, ses satisfactions
& ses souffrances, qui fait passer
des actions impertinentes,pour des œuvres
importantes , des deuotions arbitraires,
[traires]
pour des actes commãdez des disciplines,
haires, austerités & maceratiõs
de cloistre , pour vn haut degré de pieté
& vne perfection Euangelique: Au bout
des actions contaminées & vicieuses, &
en leur principe, & en leur maniere, &
en leur fin,pour des chefs d'œuure d'vne
haute deuotion. Miserable Theologie,
qui enfle l'homme pour le creuer , qui le
remplit de presomption , pour luy faire
perdre jugement,& le chemin de vie.Ce
grand Apostre nous apprend à traitter
tout autrement auec Dieu , & à ne prouoquer
qu'à vn throne de grace. De fait,
Dieu ne peut estre conuenu, qu'en deux
façons, ou entant qu'assis sur son throne
de iustice,ou entant qu'assis sur son throne
de grace. Si l'homme veut traitter auec
Dieu en la premiere façon , il faut
qu'il auouë son iniustice, & son indignité,
& n'ait son recours qu'à la seule grace
de son Iuge. Mais s'il veut traitter auec
luy en la seconde façon , il faut qu'il apporte
& vne justice sienne, & vne justice
indeuë, & vne justice parfaitte , & proportionnée
à la rigueur d'vne Loy qui ne
sçait pas ce que c'est de grace, ni d'indulgence.
Et quel est l'arrest de ce tribunal?
Maudit est qui n'est permanent en toutes
les choses qui sont escrites au liure de la Loy
pour les faire. Qui manque en un seul poinct
est coulpable de toute la Loy . Et qui est ce
qui ose subir ce jugement, & qui y puisse
penser sans tremblement? Il ne faut autre
argument , que la conuiction de la conscience.
Que ces justitiaires pretendus
conferent la loy & leur vie;ses exactions
& leur obeïssance, & que les pensées accusantes
ou excusantes, qu'ils sentiront en
eux mesmes, fassent la decision. Ils n'auront
pas fait la reueuë de la moindre
partie de leur vie , qu'ils ne soyent contraints
de passer condamnation.Sur tout
cela se voit à la fin , quand Dieu adjourne
l'homme,& l'appelle à conte.C'est alors
que le cœur palpite , & que la conscience
tremble, qui a voulu articuler auec
Dieu, & il n'y a que trepidation , &
frayeur, & les dernieres sueurs sõt poussées
au dehors , non seulement par vne
nature defaillante à ses fonctions, mais
sur tout par vne conscience tremblante,
& accablée du sentiment de ses preuarications.
C'est en vain qu'on parle alors
au cheuet d'vn malade, de haires,de scapulaires,
de cilices, de reliques, d'indulgences.
[gences.]
Il n'y peut auoir aucune consolation
solide qu'ẽ la croix du Fils de Dieu.
Ceux qui se sont entretenus en leur vie
d'autres consolations , trouuent alors,
qu'ils sont , comme ceux desquels parle
le Prophete, qui croyent
auoir mangé en
Esa. 29.8.
dormant ,& qui trouuent
que leur ame est vuide en se resveillant. Vn Prelat celebre
est contraint d'auouër,qu'à cause de l'incertitude
de nostre propre justice, il vaut
mieux s'arrester à celle du Fils de Dieu.
S'il y a aucune matiere au monde , où il
soit expedient de prendre la voye la plus
seure , c'est celle, où il y va
de nostre tout. Vn grand
Empereur nourri & esleué toute
sa vie en vne toute autre Theologie,a
esté obligé à la fin de ses jours , d'auoir
recours à vne doctrine, qu'il auoit persecutée
en sa vie , & d'y chercher vniquement
sa consolation. Et c'est chose digne
d'estonnement , que l'homme ose traitter
auec Dieu plus outrageusement , qu'vn
homme ne traitte auec vn autre , qui est
constitué en quelque dignité. Quelque
seruice qu'on ait rendu à vn Grand , on
ne voudroit pas parler de merite , ni luy
reprocher des deuoirs rendus.Et on veut
estaller deuant Dieu le hasle souffert , &
le trauail supporté. Mais ce qui n'est qu'
inciuilité deuant les hommes, est impieté
deuant Dieu. Nous auons cet auantage
par la grace de Dieu,que nostre Religion
nous enseigne de n'auoir nostre recours
auec l'Apostre,qu'au throne de grace,
& de prescher ce throne de grace vniquement
aux pauvres pecheurs repentans ,
donnans toute la gloire de nostre
salut à la seule grace, & ne la partageans
pas entre Dieu, & entre l'homme. Et toutes
les menuës distinctions , qu'on a accoustumé
de produire en l'Eglise Romaine,
ne garentiront pas ni leurs inuẽteurs,
ni leurs sectateurs d'inquietude en
leur vie,de frayeur en leur mort & de trepidation
au jour de jugement. Qu'on regarde,
qui parle auec l'Apostre, ou nous,
ou l'Eglise Romaine. Elle mene les hommes
au throne de la justice de Dieu , &
nous les menons au throne de grace. Il
ne faut point d'autre marque,de quel costé
l'Esprit de Dieu parle. Nous mettons
& Dieu predestinant, & Dieu appelant,
& Dieu justifiant,& Dieu sanctifiant,&
Dieu glorifiant absolument sur vn throne
de grace. La Theologie Romaine est
d'autre nature:elle cerche ou des preparations
[rations]
& congruités antecedantes , ou
des condignités suiuantes.Ce ne sont pas
les enfans de Dieu, qui estallent leurs
œuvres au dernier jugement:ils les extenuent,
& ignorent presques. Il n'y a que
ceux qui sont à gauche , qui en parlent ,
& croyent les auoir acquittés. Si
les bien heureux qui sont au ciel jettent
leurs couronnes au pied du throne de
Dieu , quelle doit estre la disposition
de ceux qui sont encore rempans en terre?
II. Si l'Eglise Romaine chocque ce
throne de grace par ce moyen , elle l'esbranle
encore par vn autre,entant qu'elle
veut que Dieu n'y soit assis qu'à demy,
qu'il remette la coulpe des pechés , sans
en remettre la peine, ou qu'il remette la
peine eternelle, sans remettre la temporelle,
mais qu'elle doiue estre soufferte,
ou expiée ailleurs, soit en ceste vie , soit
en l'autre. C'est ainsi que l'œuvre de la
remission de nos pechés est partagée derechef
entre Dieu & l'hõme, ou entre la
grace & la justice. Ioint qu'on attribuë à
Dieu vn acte d'injustice pour vn acte de
justice,entant qu'on enseigne qu'il ordõne
la peine à ceux ausquels il a pardonné
la coulpe.Et quelle justice y a-il de punir
vne faute pardonnée, ou de pardonner le
crime , & de punir le criminel , n'y pouuant
auoir aucune peine juste , sans coulpe
ou inherente ou imputée?Vn juge seroit
estimé ou injuste ou mocqueur , qui
pardonnant à vn criminel sa faute , cependant
luy en feroit porter la peine.
III. Et comme l'Eglise Romaine combat
le throne de grace , ainsi combat elle
l'approche de ce throne , entant qu'elle
nous mene non à celuy qui est sur le
throne , mais à ceux qui sont au dessous
du throne.Des Anges & des hõmes sont
mis en la place du Fils de Dieu, & par ce
moyen sur le throne. Chasque Royaume,
Prouince,Ville, ont leurs Dieux tutelaires,
ausquels on a recours. On partage les
arts,mestiers,maladies,dangers, à la Payenne.
Il n'y a que les noms qui sont
changez. Vn tel Sainct est inuoqué en vn
tel danger, vn autre en vn autre. Et où
demeure la conclusion de nostre Apostre?
qui infere; Puis que nous auons vn
Souuerain Sacrificateur , que nous allions
auec asseurance au throne de grace.
Par consequent nous ne deuons aller au
throne de grace, qu'estans appuyés sur ce
[Sacrifi-]
Sacrificateur. Et ou ce Mediateur suffit,
pour ceste approche,ou non. S'il n'y suffit
pas, la perfection de sa mediation est
renuersée,s'il y suffit, à quoy bon,cercher
d'autres Mediateurs? & deuons nous estre
blasmés de nous arrester à luy auec
l'Apostre,& de
croire qu'il n'y a qu'un seul
1.Timoth. 2.5.
moyenneur entre Dieu & les hommes , &
qu'il n'y a point de salut en aucun autre .
Actes 4. 12.
L'Apostre ne sçait pas que c'est de ces distinctions
de Mediateurs de redemption
& d'intercession , d'inuocation & d'adoration ,
& d'autres semblables , par lesquelles
on veut eschapper. Le peuple les
ignore, les Docteurs eux mesmes les renuersent,
& l'Apostre trãche net,que celui
là
fait requeste pour nous , qui est mort &
Rom.8.33.
ressuscité; & qui est à la dextre de Dieu . S.
Iean ne recognoist point d'autre
aduocat
1.Ieh.2.1.2.
enuers le Pere,que Iesus Christ le Iuste, qui
est la propitiatiõ pour nos pechés . Distinguer
aussi l'inuocation & l'adoration,la dulie,
latrie,hyperdulie,est distinguer des mots
& non des choses , entant que tout cela
passe pour
vn approche religieuse,qui est
vn droict de regale,& ne peut estre deferé
qu'au Souuerain, voire vn poinct, qui
ne peut estre couppé en deux.
Et non seulement les hommes sont
mis sur le throne de Dieu en l'Eglise Romaine,
mais le Fils de Dieu mesmes est
debouté du throne de grace, & ce throne
est reserué pour la Bien heureuse Vierge.
Cette ci est appellée Royne de grace, &
logée sur le throne de grace. Le Fils de
Dieu au contraire sur le throne de iustice.
Dont il ne faut pas s'estonner , s'il
y a plus de deuotion pour elle en l'Eglise
Romaine que pour le Fils de Dieu.
Et au lieu que les Roys & Princes se dechargent
des actes de seuerité sur leurs
Ministres , & se reseruent la distribution
des graces : Le contraire est prattiqué en
la deuotion Romaine, & la dispensation
la plus fauorable soustraitte au Createur,
est donnée à la Creature.
IV. Mais si l'Eglise Romaine combat
& le throne de grace , & l'approche à ce
throne, elle combat aussi la maniere , en
laquelle on en doit approcher. Elle ne
veut pas ce que ce soit auec asseurance, mais
auec tremblement , non auec vne confiance
d'enfant, mais auec vne deffiance
d'esclaue ou de criminel. L'asseurance,
que l'Apostre requiert y est qualifiée orgueil
& presomption.Et les pauures ames
[sont]
sont entretenuës en vne fluctuation perpetuelle,
& en la vie & en la mort. Et
pourquoy cela? sinon afin qu'vne pauure
conscience tremblante & palpitante en
ces frayeurs , & sur tout parmi les derniers
hocquets , soit renduë tributaire
aux esprits abuseurs , jusqu'aux derniers abois,
& qu'en desfraudant ses heritiers,
on mette en place des gens d'Eglise,pour
se redimer des frayeurs imprimées artificieusement
d'vn Purgatoire pretendu.
Est-ce pas arracher aux enfans de Dieu
l'asseurance qu'ils doiuent auoir au merite
& en la grace de leur Mediateur , &
combattre directement la maniere d'en
approcher , qui nous est icy recommandée?
A la verité ce seroit presomption, si
nous fondions ceste approche sur nous
mesmes,& sur nos propres merites: Mais
ce n'est pas presomption , de croire , que
ce throne, auquel nous approchons , est
un throne de grace, qui nous est dressé
par grace , que ce Souuerain Pontife seul
nous en a ouuert & frayé l'approche , &
que ceste approche mesmes est vn pur dõ
de la grace de Dieu, aussi bien que la maniere,
en laquelle nous en approchons.
L'Eglise Romaine à la verité a sujet d'enseigner
le tremblement & la frayeur en
ceste approche , entant qu'elle la fonde
sur des satisfactions & intercessions humaines ,
ou propres , ou achetées d'ailleurs.
Vn fondemẽt si fresle ne peut porter
aucune solide consolation. Et c'est
chose estrange, qu'on enseigne d'vn costé
des merites & des supererogations,&
que de l'autre on enseigne des frayeurs &
des tremblemens. Et comment peuuent
trembler ceux qui ont des justices de reste,
& qui ont plus de fait, qu'ils n'estoyent
obligés de faire ? Et c'est un traict de la
couppe d'estourdissement, que l'imputation
des merites du Fils de Dieu est combattue,
& celle des merites de ces supererogateurs,
s'il faut ainsi parler, estallée,
voire venduë à prix d'argent,en la distribution
des indulgences. Les merites du
Fils de Dieu ne sont-ils pas de si haute
valeur , que ceux des hommes? & nostre
vnion avec luy,n'est-elle ni si etroitte ni
si efficace, que celle que nous auons auec
les hommes?Et ou des indulgences achetées
sont capables d'oster la frayeur,& de
faire naistre l'asseurance ou non. Si elles
le peuuent faire, elles ont plus de vertu
que celles, que le Fils de Dieu nous a acquises
[qui-]
en sa croix: si elles ne peuuent pas
produire cet effet, à quoy bon, d'acheter
cherement vne marchandise esventée,&
incapable de nous donner vne solide
consolation?
Et ne sert de rien de dire , que ces doutes
& vacillations , que nous sentons en
nous, procedent de l'incertitude, en laquelle
nous deuons estre , si nous auons
en nous les dispositions necessaires pour
approcher du throne de Dieu: veu que là
où l'Esprit de Dieu est,il agit,
Et rend tesmoignage
Rom.8.16.
à nostre esprit : là où il n'est pas
l'approche au throne de grace est interdite.
Mais,dira-on,combien y a il qui se
trompent, qui croyent auoir ces dispositions
& matiere d'asseurance, & qui ne
les ont pas?Disons,qu'il y a beaucoup de
phrenetiques , qui croyent d'estre sages,
qui ne le sont pas:d'autres qui croyent de
veiller,qui dorment cependant.Les imaginations
extrauagantes de ces gens là
empeschent elles d'autres , de se persuader
qu'ils ne resvent pas,& qu'ils ne dorment
pas? L'estude serieux de sanctification
decide de ce poinct.
Qui a ceste esperance
1. Iean 3.
se sanctifie soy mesme ,& dit auec l'Apostre,
Ie sçay en qui j'ay creu.Ie vis non point
maintenant moy, mais Christ vit en moy: &
ce que je vi maintenant en la chair, je vis en
la foy du Fils de Dieu,qui m'a aimé, & qui
s'est donné soy mesme pour moy .Qui ne sent
pas cet estude serieux de la sanctificatiõ en
son cœur , n'a point de part à ce mouuement
d'asseurance.Mais l'estat de ces gẽs
là ne doit pas seruir de pretexte pour arracher
aux enfans de Dieu leur consolation,
ni les plonger en vne fondriere de
desespoir. Ce nous est matiere de joye,
que nous tenons & pressons en nos Eglises
le langage de l'Apostre , qu'il faut aller
auec asseurance au throne de grace , quoy
qu'il soit taxé d'heresie en l'Eglise Romaine.
Mais,dira-on,il y a bien des temps, esquels
je sens ce mouuement de l'Esprit
de Dieu,& cette asseurance en mõ cœur,
qu'il y a vn throne de grace, & qu'il est
dressé pour moy: mais comment peux je
estre asseuré, jusques à quand cette salutaire
persuasion me sera continuée?Dieu
peut estre fidele en sa promesse , mais je
peux deuenir infidele,& defaillir à sa grace.
Rom. 11. 29.
Sçache, ame fidele,
que les dons & la
vocation de Dieu sont sans repentance , que
Phili. 1. 6.
celuy qui a commencé la bonne œuvre en toy,
[ la para ]
la paracheuera jusqu'à la journée de Iesus
Christ .
Que Iesus Christ est non seulement
Hebr.12.2.
le chef, mais aussi le consommateur de nostre
foy .Par consequent sa fidelité empeschera
ou releuera ton infidelité , & sa grace
fera que tu ne defailles pas à la grace.
Autrement toutes ces expressions excellentes
pourroyent estre illusoires,si celui
qui est autheur de son don , n'en estoit
aussi le cõservateur, & la chaine que l'Apostre
fait entre la vocation & la glorification,
pourroit estre rompuë. Nous
n'auons plus grand ennemi , que nous
mesmes & nos propres foiblesses.La plus
grande grace doncques de Dieu , est que
Dieu ne nous abãdonne pas à nous mesmes,
& nous preserue de cheute,ou nous
en releue. La vie Spirituelle peut auoir
ses syncopes , & estre r'enfermée dans la
racine,sans pousser au dehors aucũ brancheage
pour vn temps. Cette lumiere
peut estre eclypsée , non esteinte , parce
que c'est vn don celeste, & permanent en
vie eternelle.
Est-ce enseigner l'orgueil & la securité
que de prescher cette perseuerance de la
grace? Nullement: c'est recommander &
la grandeur de l'amour de Dieu enuers
nous,& la fermeté de ses arrests,& l'efficace
du merite de son Fils,& la constance
du don de son Esprit. C'est inculquer
quãt & quant & la reconoissance enuers
Dieu pour son don inenarrable,& l'vsage
soigneux des moyens , par lesquels
Dieu veut affermir ou restablir sa grace
en nous. En prendre matiere de securité,
est n'auoir point de part à ce don, & auoir
l'œil malin , parce que Dieu est bon .
Ioint que c'est chocquer le sens commũ,
d'opposer la certitude de la fin à la pratique
des moyens qui y menent,& se vouloir
perdre , parce que Dieu nous veut
sauuer.
V. S'il faut aussi approcher du throne
de grace auec asseurance,& la priere est vne
espece d'approche, il ne faut pas s'y
seruir d'vn langage incognu, ni des prieres,
que nous n'entendons pas , mais de
termes intelligibles.Autrement non seulement
nostre asseurance n'a point de
lieu , entant que nous ne sçauons pas ce
que nous demandons,mais mesme nostre
deuotion ne peut estre qu'extrauagante,
& nos pensées esgarées.
VI. Remarquons encore, que si bien
l'Apostre represente icy Dieu sur vn
[throne]
throne de grace , il n'establit pas cette
doctrine execrable parmy tous les Chrestiens,
qui met Dieu tellemẽt sur ce throne,
qu'elle renuerse le throne de sa justice,
& abbat la croix du Fils de Dieu, niãt
sa satisfaction , & reduisant la remission
des pechés à vne pure grace, sans l'interuention
d'aucune expiation. L'Apostre
combat ici fortement cette impieté,fondant
nostre approche à ce throne de grace
vniquement sur le Sacrificateur que
nous auons,& sur ses benefices. De faict
& sa propitiation & sa comparition deuant
dieu sont la seule cause , que nous en
pouuons approcher auec asseurãce. C'est
ce qu'il presse par tout en cette excellente
Epistre, & y rapporte les types & réels
& personels de l'Ancien Testament. Et
certes ni la verité de Dieu , ni sa justice
ne pouuoyent permettre , qu'vn throne
de grace fust dressé , que la malediction
denoncé au pecheur ne fust leuée auparauant ,
& sa justice satisfaitte , qui n'est
pas moins naturelle à Dieu que ses autres
perfections.
VII. Disons aussi, entant que l'Apostre
exhorte les Hebreux , & nous tous en
leur personne,de nous presenter deuant
vn throne de grace, qu'il veut que nous
passions tous cõdamnation, & avouïons
que nous sommes tous criminels deuant
Dieu. Aussi le throne de grace n'est que
pour ceux qui sont tels. Et qui est ce,qui
en sa conscience ne soit conuaincu, d'en
estre du nombre, & contraint d'avoüer,
Rom. 3.10.12.
qu'il n'y a nul juste, non pas un seul,que tous
ont fouruoyé,& qu'il n'y a nul qui fasse bien? Est-ce pas tesmoigner , n'auoir point besoin
de ce throne,que de se vãter de l'accomplissement
non seulement des
commandemens necessaires, mais aussi des
cõseils arbitraires , & des deuotions indeuës?
A quoy bon , parler à ces gens là
d'vn throne semblable, qui s'en peuuent
passer , & prouoquer hardiment à vn autre
throne? Mais qu'ils prennent garde,
qu'en voulant contester auec Dieu , ils
ne soyent condamnés à vn payement
rigoureux , & au deffaut de la satisfaction
conuenable,à des horreurs eternelles?
VIII. Auoüons finalement,que le priuilege
de l'Eglise Chrestienne est grand
sur toutes sortes de sectes,& de Sectaires
entant qu'elle seule sçait , que Dieu a
dressé vn throne de grace,& en qui il l'a
[dressé]
dressé, & quel est le moyen d'en approcher ,
& quelle est la maniere en laquelle
il doit estre approché. Sapience qui est
incognuë aux vns, mesprisée des autres,
quoy que non seulement le mespris,mais
aussi l'ignorance de ceste verité celeste
traine quant & soy vne condamnation
irreparable. C'est en vain que les Iuifs
prouoquent à leurs deuotions,& les Mahumetains
à leurs obseruances , & les
Payens à leurs hecatombes & seruices,
ou ignorans, ou mesprisans ce throne de
grace. Et entre les Eglises Chrestiennes
celles là sont plus pures, qui esleuẽt plus
hautement ce throne de grace,& qui l'establissent
plus absolument.
Mais s'il y a en ce texte matiere de conuiction
à l'encontre de l'erreur , il y a aussi
matiere d'aduertissement à l'encontre du
vice.
I. Si nous sommes obligés de cercher
vn throne de grace, auons nous pas sujet
d'auoir le peché en horreur, qui nous reduit
à ceste necessité , & nous rend incapables
d'auoir aucun accés au throne de
Dieu, que par grace?C'est vne miserable
condition , d'auoir besoin de lettres de
grace.La mort y est ineuitable sans la misericorde
d'autruy.Et il faut attendre vne
vie precaire. Et où est ce que le pecheur
seroit , si Dieu n'eust dressé vn throne de
Rom.6.23.
grace pour luy ?
Le gage du peché est la
mort , & vne separation eternelle d'auec
Dieu. Si nous auons peur de ce qui nous
peut esloigner de la faueur d'vn Grand,
deuons nous pas auoir horreur de ce qui
nous peut esloigner de toute approche
de Dieu? Si nous fuyons ce qui peut rendre
nostre condition miserable , nostre
vie amere,& nostre mort asseurée:deuõs
nous pas fuyr le peché, qui nous peut attirer
& des jours de trauail,& des nuicts
de douleur, & au bout des horreurs eternelles ?
Pleust à Dieu que ceste pensée
nous vinst souuent,quand le peché nous
tente,& le monde nous charme! Le peché,
que je vay commettre,est capable de
m'esloigner à tout jamais de Dieu,de me
rendre abominable & criminel deuant sa
face, & me coustera cher à l'heure de ma
mort. C'est vn
rouleau qui semble estre
doux, mais qui me peut causer beaucoup
d'amertumes.Si Dieu ne dresse vn throne
de grace pour moy,il n'y a point de salut
Hebr. 10. 26. 27.
pour moy,ni d'esperance de vie. Et Dieu
ne le dressera point,
si je peche volontairement,
[ ment, ]
apres auoir receu la cognoissance de
verité. Il ne reste plus de sacrifice pour les
pechez : Mais une attente terrible de jugement,
qui doit deuorer les aduersaires . Ceste
seule pensée nous rendroit le peché
hideux, & les efforts du Tentateur inutiles.
II. Si nous sommes aussi en estat de
rées & de criminels, & obligés de demãder
grace à Dieu , adjousterons nous peché
à peché, pour despiter Dieu en face,
& le faire descendre du throne de grace,
pour monter sur son siege de justice & de
jugement? Y a il criminel au monde,pour
audacieux qu'il soit, qui osast ou voulust
irriter son Iuge , & luy cracher en face,
pendant qu'il demande & attend lettres
de grace,& qu'il espere les obtenir ? Et
cependant nous en sommes logés là fort
souuent. Pendant que nous demandons
& attendons grace,nous encherissons sur
nos crimes, & nous rendons de plus en
plus indignes de toute grace. Et mesmes
souuent nos actes de deuotion seruent
pour augmenter le nombre de nos pechés,
quand nous demandons graces auec
indeuotion , ou la cerchons à sa Saincte
Table auec irreverence.
III.Si nous sommes aussi obligez de cercher
grace aupres du thrône de grace,quel
doit estre l'equippage,auquel nous auons
à nous mettre deuant Dieu? Iadis,quand
les rées ou criminels se presentoient deuant
leurs Iuges , ils venoyent le visage
abbatu , la face crasseuse , les vestemens
ou sordides, ou lugubres, pour esmouuoir
leurs Iuges à compassion , &
tesmoigner, qu'ils auoyent vn vray ressentiment
de leur conditiõ.Et en quel equippage
est-ce que nous nous presentõs
souuent deuant le throne de Dieu & à sa
saincte Table ? Souuent auec vne parure
d'orgueil, & vn equippage de lubricité?
Esa.3.16.
Les filles de Sion cheminent la gorge
estenduë , & guignent des yeux, & cheminent
auec une fiere desmarche . Il faut que
nos vestemens parlent, & que nos contenances
deposent, & fassent voir au dehors
les dispositions que nous auons au
dedans. Y a il Iuge au monde , qui voulust
expedier des lettres de grace à vn criminel ,
qui viendroit le brauer en face?
Et cependant nous venons souuent la
demander à Dieu en cette sorte. Est ce
chose estrange , si nous n'en remportons
parfois que des sentimens de nostre
[stre]
condamnation?
IV. Combien mesmes cette pensée
peut elle contribuer à abbatre nostre orgueïl,
& à nous disposer à l'humiliation
de nous mesmes , quand nous considerons
serieusement , que nous sommes de
pauures criminels , & qu pied d'vn throne
de grace! Souuent nos biens nous enflent ,
nos honneurs nous emportent,
nos delices nous enyurent,l'applaudissement
du monde nous charme , & nostre
presomption nous represente à nous
mesmes en vne fausse glace. En somme,
nous nous mécognoissons nous mesmes,
& ne sçauons ni ce que nous sommes,
ni ce que nous auons à deuenir.Qu'il est
bien besoin, que nous nous considerions
souuent deuant vn throne, & nostre Iuge
dessus , & la necessité que nous auons
de demander grace , & qu'au deffaut de
l'obtenir nous sommes miserables eternellement,
& sans ressource!
V. S'il y a aussi chose aucune qui nous
doiue & puisse exciter à vne serieuse recognoissance
enuers Dieu , & embraser
nos cœurs de son amour & de sa crainte,
c'est la consideration de ce throne de
grace, que Dieu nous a dressé en l'Euangile.
En l'Eglise Romaine on nous blasme
souuent, que nous preschons la licẽce,
& portons au libertinage , lors que
nous ne parlons que de grace. Et il n'y a
rien au monde qui fasse vne plus forte
impression sur vne ame fidele, que la cõsideration
Ephe. 2.7.
de ceste
abondamment excellente
grace de Dieu , qu'il luy a pleu nous
dresser vn throne de grace, & ce qu Fils
de sa dilection, & que toute l' œconomie
de nostre salut n'est qu'vne pure grace, &
en son commencement , & en son auancement,
& en son accomplissement. Les
naturels genereux ne peuuẽt estre mieux
gaignés que par douceur & par bienfaits.
Ce sont les cordages les plus forts , par
lesquels ils peuuent estre attachés. Et les
enfans de Dieu ne trouuẽt aucun aiguillon
plus puissant à leur deuoir , que la
consideration de la grace de Dieu. Leur
amour est franche, non mercenaire. Au
bout nous auons ceste consolation,que la
mesme doctrine de grace,que nous preschons,
n'a pû estre preschée par l'Apostre
Sainct Paul mesme , sans estre sujette à
Rom.6.1.2.
des cauillations semblables , qu'il rembarre
fortement par des raisons peremptoires.
Et ces gens ont mauuaise grace
[de]
de nous faire passer pour des Docteurs
de licence, qui establissement le libertinage
par leurs dogmes, & en declarant des pechés
veniels , & en debitant le remede à
prix d'argent , ou à la faueur de quelque
discipline legere. Et tant s'en faut que ce
throne de grace que nous establissons auec
l'Apostre, fauorise les profanes & les
Epicuriens, qu'il demande des conditiõs
incompatibles auec l'impieté. C'est vn
throne de grace veritablement, mais à
ceux qui en approchent auec vne serieuse
repentance, qui adorent celuy qui est
sur le throne, & prisent comme il appartiẽt
la grace qui leur y est presentée.Tous
les deuoirs & mouuemens, qui y sont &
requis & produits,portent à gratitude, à
humilité, & à l'estude serieux d'vne veritable
sanctification. De fait,c'est en vain
qu'vn throne de grace est dressé,s'il n'est
recognu & recerché. Les biens spirituels
ne sont pas salutaires entant que presentés,
mais entant qu'appliqués. Ils sont
semblables à vne viande, & à vn medicament.
Ce n'est pas assez qu'on les presente,
la cognoissance mesmes & la veuë n'y
font rien. Il faut qu'vne viande soit mãgée,
& vn medicament prins,pour estre
vtile. Ainsi ce n'est pas assez que Dieu se
monstre sur vn throne de grace , & qu'il
presente grace. Il faut qu'elle soit embrassée
& appliquée. Et elle ne le peut estre
que par vn cœur vuide de securité,
& d'impieté, & plein d'ardeur de faire sa
paix auec Dieu. Mais afin que cette disposition
se rencontre en l'homme,il faut
que Dieu dresse non seulement son throne
hors de nous, mais aussi en nous, &
nous donne & la volõté d'en approcher,
& l'ardeur de l'embrasser. La chair & le
sang ne menent pas vers ce throne , il
faut que le principe de ce mouuement
Cant.1.4.
vienne d'enhaut , & que
l'Espouse soit tirée
par l'Espoux pour courir apres luy .
Il en est tout autrement des thrones
que le monde dresse. Il n'est pas besoin
que nous soyons beaucoup solicités ni
pressés d'approcher des thrones des
Grands , nous nous y poussons assez de
nous mesmes,sans y estre appelés. Il n'y
a que le throne de Dieu,qui soit ou mescognu,
ou cerché auec vne démarche lẽte.
Nous cerchons plustost tout autre objet.
Au lieu de cercher nostre felicité aupres
du throne de Dieu,nous la voudriõs
trouuer en nous mesmes , & bastir vn
[thro-]
throne en nous a nostre orgueïl & à nostre
presomption. Nous ne nous soucions
aussi que de bastir des thrones en
terre,& n'auons à cœur que nos hõneurs,
nos interests , nos voluptés. Il n'est pas
besoin que nous soyons exhortés d'aller
apres ces objets , nous y courons assez,
sans aduertissement, mesmes contre les
aduertissemens,qui nous sont donnés, &
les menaces des jugemens de Dieu, qui y
sont adjoustées. Rien ne nous semble si
auantageux que de cercher d'autres thrones,
d'y monter nous mesmes,& d'y faire
monter les nostres apres nous. Ces objets
nous occupent , & nous empeschent de
penser au throne de Dieu,& aux moyens
d'en approcher.Ceste seule deliberation
se prend lentement , & s'execute laschement.
Ou nous n'y allons point du tout,
ou nous y allons froidement, & à pas entrecouppés,
parce que nous ne prenons
pas à cœur ni le besoin que nous auons
d'en approcher , ni l'auantage , qui nous
en peut reuenir. Nos sens remplis d'vn
objet sont incapables d'en perceuoir vn
autre.Ainsi en est-il de nostre esprit.D'où
vient que nos prieres sont rares,froides,
superficielles, par lesquelles nous faisons
semblãt d'approcher du throne de Dieu.
Ce nous est souuent vne courvée onereuse,
& vn exercice de chagrin. Et combien
de sujet auons nous cependant d'y
estre ardens? Si nous regardons au dedãs
de nous,combien de necessités?Combien
de miseres? Si nous regardons au dehors,
combien de dangers & de calamités, qui
nous pendent sur la teste? Si nous jettons
les yeux sur l'estat du monde , combien
de confusions & de desordres ? Si nous
jettons nostre veuë sur l'estat de l'Eglise
de Dieu, combien de sujets de plainte &
de lamentation,de voir en tant de lieux
les portes de Sion enfondrées, ses barres
brisées,& le Sanctuaire desolé? Si nous
considerons aussi le support de Dieu sur
ceste fleurissante Eglise, que Dieu a entourée
d'vne haye & d'vne cloison admirable,
combien de sujets de recognoissance
& d'action de grace?Et c'est veritablement
vne grace incomparable , pendant
que Dieu se monstre à tant d'autres
Eglises sur vn throne de jugement, qu'il
se monstre à vous encore aujourd'huy
sur vn throne de grace. Mesnagez, Mes
Freres, cet avantage, & taschez de conseruer
ce throne au milieu de vous. Plusieurs
[sieurs]
peuples l'ayans mescognu , l'ont
perdu de veuë , & ne voyent plus Dieu
aujourd'huy sinon sur vn siege de justice,
la barre à la main , auec les marques de
sa seuerité. Dieu a retiré du milieu d'eux
la manne qu'on auoit mesprisée,& la colomne
de feu qu'on auoit mescognuë,&
a enuoyé
une famine de sa parole , qui est
Amos 8.11.
la plus rude punition de toutes.Combiẽ
de pauvres ames sont contraintes de s'escrier
aujourd'hui?
Nous ne voyons plus
Ps.74.9.
nos enseignes , il n'y a plus de Prophete, &
n'y a aucun auec nous , qui sçache jusques à
quand? La raison en est,pource que Dieu
auoit estendu ses mains , & on a reculé,
dressé vn throne de grace, & il a esté méprisé,
appelé de dessus les creneaux , & on a
Prou.9.3.
fait la sourde aureille. Les bœufs,les mestairies,
& d'autres distractions ont esté
suiuies,& on a rẽuoyé le message de grace,
auec Felix, jusqu'à ce qu'on eust
opportunité
Act. 24.26.
de l'oüir. Et cette opportunité ne
se presente plus. Dieu s'est retiré sur la
montagne des Oliuiers auec ses rouës &
ses Cherubins, & toutes les marques de
sa grace. A quoy il a joint d'autres punitions,
ayant lasché des Anges executeurs,
auec leurs instruments de dissipation, &
versé toutes les phioles presques de son
ire sur ses enfans. Des armées impitoyables
ont serui de predicateurs , & ceux
qui n'ont pas donné audience à ses seruiteurs ,
on esté contraints d'oüir en leurs
Ier.31.15.
carrefours le cri de l'exacteur,
& une voix
de lamentation & de pleur tres amer en
Rama . Tremblons à ces jugemens, & les
preuenons par vne serieuse repentance.
Si le sang des Galiléens a esté meslé jadis auec
leurs sacrifices , Si la tour de Siloé est
tombée sur quelques vns, le mesme peut
Luc 13.5.
arriuer ailleurs. Le Fils de Dieu en tire
vn aduertissement notable. Mesmes pechés
attirẽt mesmes peines. Dieu ne peut
estre moqué , ni sa patience irritée, ni le
temps de sa visitation mescognu impunément.
VIII. Considerons aussi combien admirable
a esté la dispensation de la grace
de Dieu sur les hommes. Les Anges sont
tombés, & les hommes sont tombés aussi.
Les vns & les autres ont eu besoin de
grace. Et Dieu a voulu dresser vn throne
de grace aux hommes , & non pas aux
Iud. 6
Anges, mais les
a reserués soubs obscurité,
en liens eternels jusqu'au jugement de la
grande journée , sans aucune dispensation
[de] de grace. C'est en vain , qu'on veut icy
subtiliser , & alleguer diuerses raisons,
que les Anges n'auoyent pas tous peché,
mais les hommes, que les Anges auoyent
plus receu,les hommes moins, & que les
Anges auoyent peché sans induction d'-
autruy,mais que les hommes ont peché
par seduction.La mesme difficulté reuiẽt
incontinent. Car pourquoy est-ce que
Dieu a voulu
faire d'un seul sang tout le
Act. 17.26.
genre humain , & non de diuers indiuidus
independans les vns des autres?Les hommes
auoyent-ils pas assez receu pour estre
recognoissans enuers leur Createur?
Sont-ils excusables en aucune façon d'auoir
presté l'oreille à la voix du seducteur
plustost qu'à la parole de leur Createur?
Disons donques franchemẽt, que la cause
vnique que Dieu a dressé vn throne de
grace aux hommes , & non pas aux Anges,
procede de son bon plaisir. Grace
que nulle lãgue ne peut assez priser, nulle
pensée assez admirer , nul cœur assez recognoistre,
comme il appartient.
IX. Cette mesme consideration peut
seruir de consolation indicible à vn pauure
pecheur , lors que ses pechés se presentent,
comme jadis à Dauid, noirs &
hideux deuant ses yeux, & que le Diable
en exagere la grandeur , & l'enormité à
sa conscience , & leur donne vne toute
autre face , que lors qu'il induit le pecheur
à les commettre , pour le pousser
par ce moyen au desespoir. Quelle doit
estre alors la pensée , quel langage d'vne
pauvre conscience tremblante , & qui
Ps.42.8.
voit
qu'abysme appelle un autre abysme ? Dieu a dressé vn throne de grace:
Mõ
ame pourquoy t'abbas-tu, & fremis-tu dedans
I. Tim. 1.15.
moy? Atten toy à Dieu .
Ceste parole est
certaine , & digne d'estre entierement receuë,
c'est que Iesus Christ est venu au monde,
pour sauuer les pecheurs . Si je suis criminel
deuant la face de mon Dieu ; ce
throne de grace est dressé pour moy. Si
mes pechés sont grands, & mes recidiues
frequentes,Dieu a dressé ce throne pour
les plus grands pecheurs. Si je suis indigne
d'en approcher , Dieu me fait ceste
grace, que de m'y appeler , par sa parole,
& en sa Maison. Si mes pechés m'estonnent,
ce throne me console : si sa justice
m'effraye,sa grace me r'asseure. Si je suis
accablé & par la conuiction de ma conscience,
& par le sentiment de mes pechés,
& par les accusations du Tentateur,
[je me] ie me ietteray au pied de ce throne,& diray
ô Dieu aye pitié de moy selon ta gratuité
Pse. 51.3. &c.
selon la grandeur de tes compassions efface
mes forfaits .
Destourne ta face arriere de
mes pechés,& efface toutes mes iniquités .
Ne
me rejette point de deuant ta face,& ne m'oste
point l'Esprit de ta saincteté. Ren moy la
liesse de ton salut , & que l'Esprit franc me
soustienne . Tu as dressé vn throne de grace,
tu me l'as notifié en ta parole, tu m'y
as appelé en ta Maison, tu as touché mon
cœur de repentance , & m'a donné vn
sainct desir d'en approcher. Tu paracheueras
l'œuvre de ta grace en moy: ta vertu
se parfera en mon infirmité. Ie ne
mourray point, mais je viuray & annonceray
tes merueilles.
Christ m'est gain à vivre
& à mourir .
Quand mes pechés seroyent
Esa. 1. 19.
comme cramoisi , si seront-ils blanchis comme
neige, quand ils seroyent rouges comme
vermillon , si deuiendront ils blancs comme
laine .
Combien douce est cette rosée à vn
cœur desseiché és ardeurs d'vne longue
maladie, ou d'vne griefve tentation? sur
tout lors que nous sommes adjournés
pour comparoistre deuant Dieu, que nos
yeux sont obscurcis,nos aureilles assourdies,
nostre langue liée,nos membres roidis,
& que rien ne reste plus vif en nous,
que la souuenance & le sentiment de nos
pechés. Tirerons nous en cet estat de la
consolation , d'auoir esté esleués sur le
pinacle au monde , d'y auoir possedé des
biens , d'y auoir eu des amis & des clienteles,
d'y auoir eu de l'industrie & de l'adresse,
d'y auoir eu des palais & des ameublemens
superbes , & amassé des grands
thresors pour les nostres ? Tout cela ne
seruira alors qu'à augmenter nos regrets,
à redoubler nos déplaisirs , & à nous renouueler
l'horreur des pechés,que ces auantages
mesmes nous ont fait commettre,
parce que nous y auons esté attachés,
& en auons fait nostre capital. Il n'y a
rien ni au Ciel ni en Terre , qui alors
puisse estre en consolation à vn pauure
pecheur , que cette douce pensée , que
Dieu a dressé vn throne de grace , qu'il
la dressé pour luy , que l'accés en est encor
ouuert , & qu'il sent que son cœur y
aspire. Qui a ces sentimens en soy mesmes,
trouue vn raffraichissement indicible
au milieu de ces ardeurs, & vne consolation
solide en la vie & en la mort.
C'est de là que ces excellentes expressiõs
[peu-]
peuuent naistre en sa bouche ,
J'attens ton
Genes. 49.18.
salut,ô Eternel: Ie sçay que mon Redempteur
Iob. 19.25.26.27
est viuant , & que ie verray Dieu de ma
chair , Lequel ie verray pour moy , & mes
yeux le verront .
X. Mais est - ce assez de cercher ce
throne à l'heure de la mort? & d'en vouloir
approcher lors que toute autre aide
s'esloigne de nous? C'est la pensée de
beaucoup de profanes, qui voudroyent
partager leurs temps,approcher du monde,
pendant qu'ils sont debout,& approcher
de Dieu lors qu'ils n'auront plus de
jambes pour courir apres le monde, plus
de force pour y faire leurs affaires.
Qu'au bout ils trouueront vn throne de
grace, & viendront encore assez à temps
pour s'en preualoir. Veritablement ceste
tentation est vne des plus subtiles, de laquelle
le Tentateur se sert , pour perdre
vne infinité de personnes. Car ne pouuant
pas tirer vn rideau assez espais deuant
ce throne , pour en desrobber dutout
la congnoissance,ou en cacher entierement
la beauté , il tasche de gaigner
temps, & porter l'homme à la securité,
en attendant que le mauuais jour vienne
pour y auoir recours. Et combien y a il
de damnez en enfer,qui ont eu des pensées
semblables , & qui ont esté enleuez
par des morts inopinées, ou par des maladies
aiguës , sans y auoir peu penser?
C'est ainsi que le Diable conuertit par
effet le throne de grace en vn vehicule
de licence, & de libertinage, & fait perdre
à beaucoup d'ames l'occasion d'en
approcher. Sçache, qui que tu sois, que
tu n'as point de lendemain ; que ce moment ,
auquel tu es, peut estre le dernier
de ta vie, & que ce throne s'esloignera
de toy en ta mort,si tu t'ẽ es esloigné en
ta vie. Tu ne verras alors Dieu assis que
sur vn throne d'ire & de jugement.
Bien-heureux sont ceux qui se donnent
vne continuelle frayeur , qui se resueillent
iournellement , pour penser serieusement
à vn si salutaire deuoir , qui
proffitent & des aduertissemens, que
Dieu leur donne en sa Maison, & des inspirations
interieures , qu'il fait sentir à
leurs consciences , & des chastimens,
qu'il leur adresse en leur particulier , &
des exemples frequens qu'il met deuant
leurs yeux en leurs voisins. C'est auoir
vn charactere indubitable de son adoption,
que d'en vser de la sorte. Dieu
[propose]
propose il se throne à ses enfans, ils le
regardent.Les y appelle il, ils s'en approchent.
Les esprouue-il, ils s'y arrestent.
ont ils commencé deja ceste approche,
ils y auancent , & passent tous les jours
quelque pas plus auant.Ils sont soigneux
mesmes d'entrer en vn examen serieux
d'eux-mesmes au bout de chasque journée,
non s'ils ont acquis plus d'argent,
ou plus d'honneur , ou plus de sçauoir,
mais s'ils ont acquis plus d'ardeur d'approcher
de Dieu , & plus d'auancement
en leur sanctification. Et jugent la journée
perduë , en laquelle ils n'ont fait
quelque progrés en ceste approche. En
somme ils tiennent leurs lampes toujours
allumées , leurs testes leuées, vont
au rencontre de l'Espoux, & taschent de
sauuer leurs ames, & les auoir pour butin
au milieu de la corruption generale du
monde.
Ils sçauent aussi , que ce throne n'est
dressé qu'en ceste vie,& que ceux qui n'y
seront pas allez icy bas,n'y auront point
d'accés là haut. Ils laissent aux superstitieux
ces deuotions bizarres,de se forger
des approches nouuelles à ce throne
apres leur mort , soit par des souffrances
propres , soit par des seruices estrangers.
Ils sçauent que l'arbre demeure là où il
tombe , & que ceux qui meurent , ou ils
meurent, au Seigneur, & sont bien-heureux,
ou ils n'y meurent pas , & ne peuuent
estre que malheureux. Ils sont persuadez,
que ceux qui decedent justifiez
par foy ont paix enuers Dieu,& que ceux
qui ne le sont pas , n'en peuuent auoir
auec luy. Qu'apres ceste vie il ne se fait
plus d'acquisition , qu'il n'y a lieu qu'à
la manifestation de ce qui nous est desia
acquis. Bref, ils sçauent que du point de
la mort dépend l'eternité. Pendant donques
que Dieu se presente sur ce throne,
soit en la dispensation de sa parole, soit
en la distribution de ses Sacremens , ils
s'en approchent auec soin, & s'y rangent
auec ardeur.
Ceste action, à laquelle vous estes appelez
aujourd'huy, mes Freres, qu'est ce
qu'elle vous represente , sinon qu'il y a
encore vn throne de grace dressé?& qu'il
est dressé pour vous, & que vous estes
conuiez d'en approcher , & auez besoin
de le faire,& que ce vous est vn aduantage
indicible d'en approcher auec les
preparations requises.
[C'est]
C'est veritablement vn throne de grace.
Car qu'est-ce qui y est presenté? Vn
double benefice, & l'vn & l'autre vn pur
effet de la grace de Dieu. 1. Le prix de
vostre Redemption. 2. Les moyens & les
instrumens de vostre Sanctification. Et à
qui est-ce que Dieu presente ces auantages ?
A des pauures criminels,qui ont
merité d'estre abandonnés en leur corruption,
& delaissez en leur seruage. Comment
est-ce que le prix de vostre redemption
vous y est representé? Entant que
ce pain est rompu,& ceste couppe versée
deuant vos yeux, vous auez vne represẽtation
viue, que le corps du Fils de Dieu
a esté rompu,& son sang respandu.Et entant
que ce pain est presenté , & ceste
couppe distribuée à vn chascun d'entre
vous , vous auez vn gage & un seau precieux,
que ce corps a esté rompu, ce sang
versé pour vn chascun d'entre vous, &
vous est communiqué à tous en particulier
en nourriture salutaire.Et comme vne
personne qui mange & qui boit conuenablement
en sa refection ordinaire,
en sent ses forces reparées, sa vigueur renouuelée,
& sa vie entretenuë: Ainsi quiconque
participe comme il appartient à
ce Sainct Sacrement , & s'applique la
mort precieuse de son Sauueur , sent son
ame consolée, son cœur réjoüy , sa conscience
appaisée. Cette joye & consolation
de son ame est sa nourriture. Nourriture
congenere & sortable à sa faim &
à sa soif. Comme donques la faim & la
soif de l'ame ne sont autre chose , que le
sentiment de sa vacuité, qu'elle est vuide
de grace,& pleine de langueur,& vn desir
ardent de trouuer le remede à ses maux
en l'aspersion du sang du Fils de Dieu, &
en l'irradiation de son Esprit , Ainsi la
nourriture de l'ame est le sentiment de
l'vne & de l'autre, & le renfort que sent
vne conscience Chrestienne,qui s'en fait
vne salutaire application , & dit en soy-
mesme: Comme ce pain m'est donné, &
cette couppe m'est presentée maintenãt,
& l'vn & l'autre prins par moy,& incorporé
à moy: aussi veritablement la mort
precieuse de mon Sauueur m'est appliquée,
& renduë mienne , voire le Fils de
Dieu tout entier , par consequent son
corps & son sang. Si les membres qui sõt
animés par vn mesme esprit ne font
qu'vn corps,& ont part à vne mesme vie:
Dieu me donnant son Esprit, par lequel
[j'embrasse]
j'embrasse mon Sauueur, non seulement
sa justice est renduë mienne , mais aussi
sa vie: je suis à vni à luy & luy à moy:
je vis
Gal.2.20.
non pas maintenant moy , mais Christ vit en
moy , & je suis vn membre viuant de son
corps,& le seray eternellement.
C'est doncques à tort, qu'on impute à
nos Eglises, que nous tendons les Sacremens
des signes nuds , & des figures vaines.
Nous disons & protestons, que ce
sont non seulement des signes representatifs,
mais aussi des seaux confirmatifs,
& mesmes des instrumens exhibitifs de
ce qu'ils representent , mais en vne maniere
conuenable à la nature des Sacremens ,
qui ne sont pas des vases , ni des
boites qui contiennent , mais des seaux
qui appliquent les biens representez , &
seruent à nous asseurer de plus en plus de
nostre vnion auec le Fils de Dieu , & de
la part que nous auons en luy , & entant
qu'il est nostre pleige , & entant qu'il est
nostre chef. De la premiere qualité nous
tirons nostre absolution , de la seconde
vn esprit de vie.Manger donc la chair du
Fils de Dieu , & boire son sang, est s'appliquer
intimement les benefices de son
Sauueur. estre vni & incorporé à luy, &
sentir vne force semblable de cette salutaire
vnion,que nous sentons d'vne viande
& d'vn breuuage salutaire. Et comme
l'homme animal naist , vit, mange, boit,
se vestit , marche , croist : ainsi l'homme
spirituel a des fonctions semblables. Il a
sa naissance spirituelle , sa vie, sa demarche,
sa nourriture & son acroissement.Et
c'est ainsi que nous gardons religieusement
les paroles du Fils de Dieu, & leur
vray sens , & tirons l'vn & l'autre de sa
propre bouche, disans que le pain est son
corps , & la couppe son sang , mais
par commemoration , qui est la maniere que le
Luc.22.19.
Fils de Dieu luy mesme enseigne , sans y
forger des transsubstantiations ou des
consubstantiations, qui renuersent & les
paroles du Fils de Dieu , & les signes , &
les choses signifiées , & la vraye maniere
de la participation des vns & des autres.
Et c'est ainsi que ces paroles
declaratiues du Fils de Dieu , de ce que le pain & la
couppe sont,demeurent telles,& deuiennent
cependant
operatiues non de quelque
changement en la substance des signes,
mais d'vn autre beaucoup plus precieux
en nos ames en consolation & en
sanctification.
[Mais]
Mais comme il est necessaire d'auoir
vne sainte intelligence de ceste approche
au throne de grace , dressé à ceste Saincte
Table:ainsi est-il necessaire,qu'on y aille
auec les dispositions conuenables. Et
quelles sont ces dispositions?La superstition
y oblige à vne confession auriculaire,
à certaines penitences & disciplines,
à des processions par diuerses Eglises,
cõme on y parle,& vers certains autels,à
des prieres faittes par conte,& à d'autres
preparations semblables. La parole de
Dieu ignore tout cela , & nous enseigne
d'autres dispositiõs.Vne espreuue serieuse
de nous mesmes , vne asseurance saincte
en la grace de Dieu,& vne resolution
conuenable. De fait sans ceste espreuue
nous ne recognoissons point le besoin
que nous auons d'aller vers ce throne,&
sans cette asseurance , sans cette resolution
nous n'y pouuons aller comme il
appartient.Cette espreuue consiste en vn
examen serieux de nostre vie , que nous
deployïons nos cœurs deuant Dieu, &
deplorions & detestions nos pechés deuant
sa face,que nous auons abusé de son
support, mescognu sa grace,irrité sa patience,
& par des actes d'impieté commis
contre Dieu, & par des actes d'injustice
commis contre nos prochains, bref
par toutes les omissions de ce que nous
deuions faire, & part toues les commissions
de ce que nous ne deuions pas faire.
C'est icy où chascun trouuera vn grãd
registre,& vn grand conte, qui nous fera
horreur à nous mesmes,& nous confondra
en nous mesmes. Combien de pensées,
paroles, actions hideuses se presenteront
à ceste reueuë! Combien de subjets
de gemir, & de nous abbaisser deuant
le throne de Dieu ! Combien de conuictions
secrettes,& des hontes cachées!Et
c'est alors , que nous aurons fort auancé
en ceste espreuue,quand nous sentirons,
que les crimes de tant d'années,que nous
auons sur nos testes, sont vn fardeau pesant.
Si cette espreuue de nous mesmes est
vne disposition necessaire à ceste approche,
l'asseurance en la grace de Dieu l'est
semblablement, que nous estans abbaissez
en nous mesmes,nous nous releuions
en Dieu, & sçachions qu'il y a encore du
baume en Galaad . Que Dieu est encore
assis aujourd'huy sur vn throne de grace,
& nous y presente grace pour grace.Que
[ceste]
ceste table , qui est dressée deuant nos
yeux, est
venerable, que c'est icy
la porte
des cieux. La superstition descrie nostre
deuotion, & appelle ceste table, comme
jadis les Iuifs, vne
table contemptible , pour
Mal. 1. 7.
n'estre enrichie de peintures , ni de dorures.
Ce nous est assez,que c'est le throne
de Dieu.Que Dieu y distribue vn
pain
de vie . Que le Fils de Dieu s'y donne à
nous auec ses graces & benefices. Que
c'est icy le
bãquet de l'Agneau .
Que la Souueraine
Prou.9.2.
Sapience y a appresté sa viande,& y
a mistionné son vin .
Que les drogues aromatiques
Cant.4.16.
y distillent .
Ce que Dieu requiert de nous, est, que
nous soyons dans vne saincte ardeur d'en
approcher , & dans vne confiance filiale
d'y trouuer vne pasture de vie, & des eaux
saillantes en vie eternelle .
Mais comme Dieu s'y veut donner à
nous, ainsi veut - il que nous nous donnions
reciproquement à luy : & apportions
à ceste table auec ceste
asseurance une
ferme resolution de le glorifier à l'aduenir
par vne vie saincte , & par vne conuersation
exemplaire :
Si quelqu'un est en
2.Corin.5.v.17.
Christ, qu'il soit nouuelle creature: Que les
choses vieilles soyent passées, & toutes choses
faittes nouuelles .
Qui approche de cette Saincte Table
sans ces mouuemens , y approche à sa
condamnation. La profanation de ce
mystere est vn peché criant deuant Dieu,
& cause souuent de beaucoup de chastimens
I. Cor.11.39.
aujourd'huy , aussi bien que parmy
les Corinthiens jadis,Plusieurs en approchent
en profanes, sans aucune preparation
antecedente, & estendent des mains
impures vers ce throne de grace. D'autres
y viennent en hypocrites, & veulent
payer Dieu par quelques gestes & contenances
de deuotion , croyans traitter auec
luy comme on traitte auec des hommes ,
que nous abusons souuent par le
masque que nous prenons. Les vns & les
autres y trouuent non vn throne de grace,
mais vn throne d'ire & de jugement.
Ce n'est pas assez aussi , de venir vers ce
throne auec vne deuotion passagere , &
Cant. 1.12.
que
tandis que le Roy est assis à sa table,nostre
aspic rende son odeur . Dieu deteste vne
pieté ephemere , qui naist & meurt en
mesme temps. Il veut vne deuotion constante ,
& vne sanctification perseuerante.
Ces dispositions conduisent vniquement
[ment]
vers ce throne. Les Iuifs estoyent
jadis obligez à beaucoup de purifications
exterieures , deuant que s'y rendre : les
Sacrificateurs à reuestir certains vestemens
sanctifiez à cet vsage. Sur tout le
Souuerain Sacrificateur y deuoit venir
auec son ephod, sa tiare,son encensoir,&
vn appareil extraordinaire. Nous sõmes
dispensez de ces deuoirs,mais nous ne le
sommes pas de ceux que nous vous auons
representez.
S'il y a Eglise au monde qui ait sujet
d'aller souuent vers ce throne,& d'y adorer
celuy, qui y est assis , c'est celle en laquelle
vous viuez , mes Freres. Dieu a
dressé vn throne de grace
au milieu de
vous, y faisant prescher sa parole,
en euidence
I.Cor.2.4.
d'esprit & de puissance , à la face d'vn
peuple desuoyé, vous suscitant & conseruant
des Pauls & des
Boanerges, qui
vous conuient à l'ordinaire auec vne
voix forte & vn ton puissant , pour approcher
du throne de Dieu.Dieu a dressé
aussi vn throne de grace ,
à l'entour de
vous,& vous a enceint d'vne forte barriere
Iob.1.10.
tout à l'enuiron , ayant conserué miraculeusemẽt
vostre saincte assemblée jusqu'à
present , & inspiré des pensées de
grace pour vous aux
puissances superieures ,
qu'il a establies sur vous, pendant
qu'il a fait vne
affaire abbregée sur la face
de la terre,& mis tant de fleurissantes Eglises
ailleurs
à la façon de l'interdit .Mais
non seulement Dieu a dressé vn throne
de grace
au milieu de vous , &
à l'entour de
vous ,mais aussi
en vous , vous ayant
benits
abondamment en toute benediction spirituelle ,
ayant tousiours fait voir en ceste
1. Thes.1. 3.7.
Eglise de grands exemples de pieté , de
zele,& de charité, jusques là, que
l'œuvre
de vostre foy, & le trauail de vostre charité,
& la patience de vostre esperance seruent
pour patron aux croyans en Macedone
Rom. 1.8.
& en Achais ,& votre foy est renommée
par tout le monde , comme jadis celle des
Romains, nonobstant que vous habitiez
parmy vn grand peuple abusé, & parmy
beaucoup de debordemens & de corruption.
Combien y a-il aussi d'entre vous,
és maisons desquels Dieu a establi dés
long temps vn throne de grace,non seulement
conseruant son alliance en leurs
familles, & les arrousant de la
rosée des
cieux : mais aussi les remplissant
de la
graisse de la terre , & de toutes sortes de
benedictions corporelles!
[Quelle] Quelle est la recognoissance que vous
en deuez à Dieu? Que le throne de Dieu
soit affermy au milieu de vous.Qu'il soit
prisé auec reuerence , & recerché auec
ardeur. Que sa parole vous soit tousiours
chere,sa verité precieuse, ses
enseignes &
ses
Prophetes venerables , la profession
constante de l'Euangile,vostre
joye & vostre
couronne,plus considerable sans comparaison,
que ni vos honneurs,ni vos palais,
ni vos biens , ni vos vies , quelque
grande que soit la contradiction du
monde, & l'ignominie attachée à la croix
du Fils de Dieu;ayans ceste saincte resolution,
de tenir ferme vostre couronne, d'estre
fideles à Dieu iusqu'à la mort , & de
confesser son Nom constamment deuant les
hommes , fust ce au peril de vos vies,& en
suiuant le chemin tracé jadis par le sang
de vos Peres, qui ont glorifié Dieu par
leurs martyres , & sont montez sur des
eschaffauts non seulement sans frayeur,
mais aussi auec joye , ayans
estimé plus
grandes richesses l'opprobre de Christ , que
Heb. 11.26.
les thresors d'Egypte, regardans à la remuneration .
Dieu vous a fait voir des temps plus
serains & plus calmes. D'autant plus
estes vous obligez à recognoissance , &
enuers Dieu , & enuers les puissances
Matth.22.21
establies sur vous,pour
rendre tousiours,
comme vous auez fait auec loüange jusqu'à
present ,
à Dieu ce qui est à luy, & à
Cesar ce qui est à Cesar , joignans constamment
ensemble la prattique de ce
double enseignement, qui nous est proposé
1. Pier. 2.17.
ensemble,
de craindre Dieu & d'honorer
le Roy . C'est ainsi,que la Saincteté
de vostre profession sera justifiée à la face
des peuples,& on recognoistra de plus
en plus, que le throne de Dieu n'esbranle
pas les thrones des Rois,mais les
affermit.
Vous deuez aussi aider à dresser le
throne de Dieu là où il ne l'est pas encore,
& y adresser ceux , qui vont apres
d'autres thrones , estans abusez par erreur
& engagez dans la superstition. La
voye la plus obligeante à ce deuoir est
vn sainct exemple, & vne conuersation
Phil.2.15.
irreprehensible au milieu d'une generation
tortue & peruerse . Vous deuez aussi dresser
des thrones de grace & de charité aux
pauures languissans au milieu de vous,
lors que Dieu vous dresse le sien , & n'y
venir pas
les mains vuides . Dieu y ouure
[son]
son cœur enuers vous , & veut que vous
ouuriez le vostre enuers vos freres.
Si vous auez & sentez ces saincts mouuemens
en vostre cœur , soyez asseurez,
que Dieu y a establi son throne,& regne
au dedans de vous.Que ce throne,qui est
dressé au dehors deuant vos yeux,& auquel
vous estes conuiez, vous sera veritablement
vn throne de grace,vostre approche
vne approche salutaire. Vous y
trouuerez l'asseurance de vostre reconciliation
auec Dieu, les gages de la dilection
de son Christ,les arrhes de son Esprit,
& vn germe de vie & d'immortalité
glorieuse.
Fasse ce grand Dieu de grace , ce Pere
de misericorde, qui vous a
aymez deuant
la fondation du monde , qui vous
a appelez
des tenebres à sa merueilleuse lumiere ,
qui dresse son throne encore auiourd'huy
deuant vous,& qui vous y conuie
auec tant de grace,que ce doux
vent d'Aquilon ,
Cant.4.16.
& de
Midy soufflent ensemble en
vos cœurs, en ardeur de zele , & en raffraischissement
de consolation,que vous
ne vous sentiez pas seulement appelez,
mais aussi tirez presẽtemẽt vers ce throne,
& qu'y apportans les dispositions necessaires,
vous en remportiez des consolations
salutaires , & sentiez vos ames
rassasiées, vos consciences consolées, vos
cœurs eslargis,& retourniez en vos maisons
aujourd'huy auec joye , racontans
les merueilles que Dieu vous a faittes:
Et que ce throne soit non seulement
vostre joye en votre vie, mais aussi vostre
consolation en vostre mort, & vostre
asseurance en ceste grande journée,
où voyans Dieu sur son throne auec
toutes les marques de sa Majesté , sans
voile, sans rideau, à face découuerte, &
vous mesmes estans assis sur des thrones
de gloire, vous luy donniez & à
l'Agneau, loüange, honneur, &
gloire , & force , és
siecles des siecles .
Amen.
FIN.