67. Alors, Zacharie son pere, fut rempli
du S.Esprit, & Prophétisa, disant,
68. Benit soit le Seigneur le Dieu d'Israel,
de ce qu'il a visité, & fait delivrance
de son peuple.
NOus lisons en l'histoire Ecclesiastique,
qu'au temps de l'Empereur
Theodose,ceux d'Antioche,
ayant abbattu ses statuës, dans une sedition
populaire,ce Prince en fut tellement
indigné, qu'il leur osta premierement
tous leurs priuileges, les transférant à la
ville de Laodicée ; & qu'en suite, il enuoya
des commissaires auec main forte,
pour faire le procés à tous les habitans,&
pour les punir selon la qualité des excés
dont ils se trouveroyent coupables ; ce
qui remplit toute la ville d'espouvantement
& de terreur. Mais que S.Flavien,
leur Evesque, estant allé pour eux à la
Cour,il fit si bien par ses remonstrances,
par ses prieres,& par ses larmes, qu'il obtint
l'abolition de leur crime : & qu'incontinent
apres il revint vers eux, pour
les tirer, par son retour, des apprehensions
& des frayeurs où ils estoyent à son
depart. Et parce qu'il marchoit trop
lentement à son gré, il leur envoya quelqu'un
en diligence, pour leur faire savoir
cette bonne nouvelle,qui fut receuë
par eux avec une joye, & un applaudissement
incroyable.Mais elle fut de beaucoup
accreuë à son arrivée, toute la ville
changeant son dueil en réjouïssance &
en triomfe,les flambeaux furent allumez
par tout,tous leurs palais furent parez de
couronnes & de guirlandes, & toutes
leurs ruës jonchées de fleurs. Dés lors,
leurs assemblées, qui auparavant ne retentissoyent
que de regrets & de gemissemens,
ne resonnerent que des loüanges,&
des celebrations solennelles de la
misericorde de Dieu, de la clemence de
[l'Em-]
l'Empereur & de la charité de leur bon
Evesque.Comme on les lit avec admiration
dans les escrits de S.Chrysostome.
C'est là,mes freres,un portrait de tant de
malheurs ausquels les hommes ont esté
assujettis par leurs fautes , que de la redemption
qu'ils ont obtenuë par l'intercession
du Souverain Pasteur & Evesque
des ames,& de la grande joye qui à cette
occasion a rempli le Ciel & la Terre.
Les hommes ayant abbatu, par une ingratitude,
& une felonie extreme, l'image
sacrée de leur cœur, il s'en estoit tellement
courroucé, qu'il avoit envoyé ses
Anges du Ciel avec des glaives flamboyans
pour les chasser de devant sa face,
& pour empécher leur retour à la felicité
qu'ils avoyent perduë.Il avoit versé
un deluge universel sur la terre,& depuis
l'ayant laissé repeupler par la famille de
Noé, il en avoit rejetté en son indignation
tous les habitans, à cause de leurs
rebellions, & de leurs idolatries, les laissant
en proye au Diable, comme à l'executeur
de ses jugemens. Les Israëlites
furent les seuls qu'il voulut choisir, &
qu'il retint pour son peuple : mais par ce
qu'ils n'estoyent pas moins capables que
les autres de se corrompre, il les tenoit,
comme des esclaves, dans des craintes
continuëlles par la rigueur de cette Loy
qui disoit, Maudit est quiconque ne demeurera
permanent en toutes ces paroles-ci pour les
faire.De sorte qu'aussi bien que les autres
Nations, s'ils eussent eu à estre jugez en
eux-mesmes ils ne pouvoyent rien attendre
que le supplice de la damnation éternelle.
Mais ce grand Redempteur que
Dieu a establi de tout temps pour propiciatoire,
par la foy en son sang,s'estant interposé
par une misericorde ineffable,entre
la justice de Dieu & nos iniquitez, &
ayant obtenu la promesse de nôtre reconciliation
par sa mort, a envoyé premierement
à son peuple cette favorable
nouvelle par le ministere de ses serviteurs ,
pour le consoler en l'attente de
son advenement;& en suite,il est descendu
lui-mesme du sein bienheureux de
son Pere,pour achever l'œuvre de cette
grande & admirable redemption, &
pour respandre abondamment son Esprit
en nos cœurs, afin qu'estant iustifiez par sa
[ grace, ]
grace,nous soyons heritiers,selon l'esperance,
de la vie eternelle. C'est la journée qu'Abraham
a preveuë avec tant de joye, & que tous
les fidelles du Vieil Testament ont attenduë
avec tant d'impatience, comme
pauvres pecheurs,souspirant apres la venuë
de celui qui leur devoit apporter
leur grace.C'est celle que ses Anges ont
célébrée avec tant de ravissement,en disant,
Gloire soit à Dieu aux lieux tres-hauts,
en terre paix, & envers les hommes bonne volonté ,
dont Iean Baptiste son précurseur a
tressailli dans le ventre de sa mere, &
dont Zacharie , le pere de cet heureux
Précurseur, a prononcé, par l'inspiration
de Dieu, ce Cantique que vous venez
d'entendre. La circonstance de ce
temps, auquel tous les Chrestiens solennisent
ce salutaire événement , & celle
de cette action , en laquelle nostre bon
Dieu nous convie à faire commémoration
de l'amour qu'il nous a fait paroistre
en son Fils,nous l'a fait choisir,pour vous
en exposer les mysteres : & elles vous
doivent aussi obliger, mes freres, à l'escouter
auec l'attention, la deuotion, &
la reuerence que merite un si excellent
& si diuin sujet.
Pour le present, nous-nous contenterons
de le considerer en gros , comme
un Cantique de loüange, que Zacharie
a prononcé à Dieu par un esprit de Prophetie,&
de vraye devotion,& que le S. Esprit
a voulu estre conservé dans ce
sainct livre pour nôtre instruction & nôtre
consolation commune. Et nous vous
dirons d'abord, que ce saint homme de
Dieu a fait ici ce que tous les fidelles
doivent faire tous les jours en terre,& ce
que tous les Esprits bien-heureux font
continuëllement dans le Ciel, qui est de
louër Dieu, & de lui rendre graces de
ses bien-faits. C'est de tous les offices
religieux, celui auquel Dieu prend le plus
de plaisir, & pour lequel mesme il nous
a faits. Comme toutes les œuvres de la
création n'ont point d'autre visée, aussi
n'ont toutes les merveilles de sa providence.
Tout ce qu'il fait & en nous, &
pour nous c'est afin d'en estre glorifié.
C'est le sel dont il faut que toutes nos
actions soyent assaisonnees pour lui estre
agreables. Soit que vous mangiez, soit que
vous beuviez, dit l'Apôtre,faites le tout à la
gloire de Dieu ,rendant graces en toutes choses,
[ car ]
car telle est la volonté de Dieu, par Iesus Christ
envers vous : & principalement les actions
de pieté, comme sont les requestes, les
prieres & les supplications, qu'en toutes
choses, nous dit le mesme Apôtre, vos requestes
soyent notifiées à Dieu par prieres &
par supplications, avec action de graces .Que
si l'Apôtre S.Paul, comparant les vertus
Chrestiennes entre elles mesmes, a preferé
la charité à la foy, & à l'esperance,
en consideration de ce que la foy & l'esperance
doivent cesser, & que la charité
doit durer eternellement ; nous n'avons
pas moins de sujet de préférer la loüange
de Dieu, & la connoissance de ses bienfaits
à tous les autres exercices de la devotion,
parce que toutes ces predications
ci finiront, tous ces sacremens-ci cesseront,
toutes ces prieres-ci se termineront ;
mais nos benedictions, & nos actions de
graces n'auront point de fin. Nous les
rendons ici à nôtre Dieu, pour un peu de
temps, & nous les lui rendrons dans le
Ciel, durant toute eternité. Tous les fidelles
sont obligez à ce sacré devoir, parce
que la grace de Dieu s'estend universellement
sur eux tous ; mais principalement
les Ministres de cette grace, comme
estoyent, sous l'ancienne alliance,les
Sacrificateurs & les Prophetes, & comme
sont, sous la nouvelle, les Pasteurs &
les Docteurs, parce qu'ils sont comme
la bouche de l'Eglise envers Dieu, ou
comme celle de Dieu envers l'Eglise. Tel
estoit Zacharie, qui estant Sacrificateur
en l'Eglise, estoit obligé, par sa charge,
non tant de faire fumer devant Dieu la
graisse des victimes, & les parfums ordonnés
par la Loy, que de lui offrir pour
soy-mesme, & pour tout le peuple, l'encens
spirituel, & la reconnoissance devote,
qui estoit figuree par ces parfums &
par ces sacrifices corporels. C'est dequoy
vous voyez qu'il s'est tres-exactement
acquité. Car comme au commencement
du chapitre, S. Luc a récité qu'il
offrit le parfum dans le Temple, ainsi recite-t-il
ici, qu'estant rempli du S.Esprit,
il dit, Bénit soit le Seigneur le Dieu d'Israel,
lequel a visité & delivré son peuple, & nous a
eslevé la corne de salut, en la maison de David
son serviteur ; selon ce qu'il avoit predit
par la bouche des saincts Prophetes, que nous
serions sauvez d'entre les mains de nos ennemis .
[ mis ]
Certes les fidelles ont grand sujet,
de quelques costé qu'ils tournent les yeux,
de glorifier Dieu, & de le benir. Car la
lumiere qui les esclaire, l'air qu'ils respirent,
la terre qui les porte, & les commoditez
sans nombre que toutes les parties
de la nature leur fournissent tous les
jours sont des effets de sa libéralité, sans
lesquels ils ne sauroyent subsister : Ils en
ont encore de plus grans, s'ils reflechissent
leur veuë au dedans d'eux-mesmes,
parce qu'il les a faits à son image & à sa
ressemblance, leur donnant un entendement
capable de le connoistre, un cœur
capable de l'aimer, & une memoire capable
de retenir ses enseignemens, & ses
graces, pour estre comme trois tabernacles,
où sa connoissance, son amour, &
sa louange facent continuëllement leur
demeure. Mais le plus signalé de tous
les avantages dont nous lui sommes redevables,
& le plus insigne de tous les sujets
que nous auons de le louër du cœur
& de la bouche, c'est ce qu'ils nous a tant
aimez, qu'il a envoyé au monde son Fils unique,
afin que croyant en son nom, nous ne
perißions point, mais que nous ayons la vie
éternelle. C'est là le grand effet de sa grace,
que Zacharie a entrepris d'exalter en
cet hymne, non pour l'instruction de son
siecle, ou de sa patrie seulement ; mais
pour celle de toute l'Eglise, de generation
en generation. Et il estoit tres-propre
à cela ; car l'Evangile lui rend tesmoignage
qu'il estoit juste devant Dieu,
cheminant en tous les commandemens & en
toutes les ordonnances du Seigneur sans reproche.
Or la louange, comme dit le Prophete,
est bien séante en la bouche de l'homme droit ;
Dieu ne l'y avoit pourtant pas trouvé
propre auparavant, encore qu'il luy
eust découvert cette grande œuvre qu'il
avoit à faire, parce que lors que cette
grace lui fut annoncée, au lleu de donner
gloire à Dieu, comme Abraham, il
douta de sa promesse par défiance ; ce
qui fut cause qu'au mesme instant, Dieu
lui osta la faculté de parler, jusqu'à ce
qu'il vit la promesse de l'Ange accomplie,
par la naissance de son fils, precurseur
de celui de Dieu. Alors, voyant cet
avantcoureur arrivé, & ce grand Redempteur
que la Vierge portoit en son
ventre, tout prest aussi à arriver pour
[porter]
porter au monde la lumiere de vie,il fut
raui en son esprit, & estant tout rempli
de celui de Dieu,il s'escria, Benit soit le
Seigneur le Dieu d'Israel, lequel a visité &
delivré son peuple . C'est avec grande raison
que l'Evangeliste dit qu'il fut rempli
du S. Esprit ; car la chair & le sang ne lui
enseignerent point ces choses ; mais ce
fut cet Esprit qui sonde toutes choses, voire
les choses profondes de Dieu . Il remplit bien
universellement tout le monde, comme
il disoit par Ieremie, Ne remplis-je pas moy
les Cieux & la Terre ? Et c'est pour cela
que David crioit à Dieu, Où m'enfuiray-je
de devant ton Esprit ? mais il est dit particulierement
qu'il remplit les fidelles,
quand il respand ses graces en abondance
dans leurs ames, & encore plus particulierement
les Prophétes & les Ministres
de sa Parole, quand il leur donne
des lumieres extraordinaires de sa connoissance,
& qu'il ouvre leur bouche
pour l'exposition de ses saincts mysteres,
pour l'enseignement, & pour le salut de
son peuple. Ce nest pas que jamais ils
en soyent remplis, comme l'a esté Iesus
Christ,qui a receu cet Esprit sans mesure,
afin que de sa plenitude nous puisions tous
grace sur grace ; mais c'est qu'il leur en a
donné, selon leur petite portée, autant
qu'il leur en faut non seulement pour arroser
leurs propres ames, mais pour en
verser aussi dans celles de leurs freres.
Zacharie avoit déjà cet esprit auparavant ;
car, sans cela comment eust-il peû
estre juste devant Dieu,ou comment eust
il peu lui plaire en l'exercice de sa charge ?
Mais il en a receu alors une beaucoup
plus grande mesure , parce que
Dieu l'a voulu consoler ainsi, aprés sa
longue affliction, & qu'il a voulu se servir
de lui particulierement pour célébrer
les merveilles de ses bontez,& en la naissance
de Iean Baptiste, & principalement
en l'incarnation de nôtre Sauveur.
Sur quoy, je vous prie, mes freres, de
remarquer deux choses, qui sont d'une
consideration tres-douce & tres-consolatoire.
La premiere est, que Dieu n'afflige
jamais ses enfans, qu'il ne leur donne
au bout de leur affliction quelque mesure
extraordinaire de grace, & qu'il ne
les rende beaucoup plus heureux apres
leurs ennuis , qu'ils n'estoyent auparavant.
[vant.]
Ioseph fut grandement affligé durant
un long-temps;car il fut vendu pour
esclave ; on lui mit les fers aux pieds ; il
fut renfermé dans un cachot ; mais aussitost
que le temps de la parole de l'Eternel
fut expiré,le Roy l'envoya mettre en
liberté ; il le fit venir devant lui ; il l'establit
pour maistre sur sa maison, & pour dominateur
sur tout son domaine,pour assujettir les
Principaux du païs à sa volonté, & pour instruire
ses anciens ; si bien qu'il se trouva
que par la persecution, son estat estoit
devenu beaucoup meilleur. Moyse eut
de tres-grans déplaisirs, quand il se voulut
joindre à ses freres, estant menacé,
recherché, contraint de s'enfuïr, & de
servir en Madian, durant plusieurs années ;
mais à la fin, non seulement Dieu
lui donna libre accés à son peuple, mais
il l'en rendit le chef & le Prince, faisant
trembler toute l'Egypte,mouvoir tous les
elemens,souslever tous les animaux,fondre
la gresle,fendre la mer,obeïr toute la
nature de sa baguette, communiquant
auec lui bouche à bouche, & faisant par
lui de plus grandes merveilles, qu'il n'en
a jamais fait par aucune autre créature.
De sorte qu'apres toutes ses peines, il
trouva sa condition & bien plus heureuse,&
bien plus illustre qu'elle n'avoit iamais
esté. Iob eut des maux fort extraordinaires,
car il perdit en un seul jour
tout ce qu'il avoit de biens,de plaisirs, &
de gloire dans le monde : & ce qui lui
sembloit rester de consolation,qui estoit
sa femme, & ses trois amis, lui donna
plus d'ennuis, que tout le reste de ses
maux;mais à la fin Dieu ne le mit pas seulement
en repos,il benit son dernier estat
plus que le premier , & lui donna des
biens au double, & des plus beaux enfans
qui fussent en tout le païs. Ainsi Zacharie
a esté muët durant quelques
mois, pour chastiment de son peu de foi;
mais apres cela, non seulement Dieu lui
a rendu la parole,il l'a choisi de plus,pour
estre le héraut de ses louanges, & pour
annoncer le plus grand mystere qui ait
jamais esté revelé au monde : & au lieu
qu'auparavant il ne lui avoit donné que
quelque petite portion de sa grace, il l'a
tout rempli de son Esprit. C'est ainsi que
Dieu en use d'ordinaire envers ses plus
[chers]
chers enfans ; ils sèment en versant des larmes
& puis ils moissonnent avec champ de
triomphe . Et il y procede de la sorte ; premierement,
afin que lors qu'il les afflige,
ils ne se laissent point abbatre par l'affliction,
mais qu'ils se consolent en l'attente
de sa grace,sachant que par l'affliction
non seulement leur estat n'empirera
point, mais que pour certain il se changera
en mieux, la magnificence leur estant
donnée au lieu de la cendre, l'huile de joye
au lieu de larmes, le manteau de louange au
lieu de l'esprit accablé : & en un mot, afin
que comme la terre quand on la laboure
en est renduë plus propre & à recevoir
la semence , & à porter toute sorte de
fruits, eux aussi estant exercez par diverses
afflictions, en soyent rendus plus humbles, &
plus souples, & plus propres, par
conséquent, à recevoir sa benediction &
sa grace,& à produire des œuvres qui lui
soyent agreables.
L'autre remarque que vous avez à faire
ici est , Que toutes les fois que Dieu
veut employer les siens à quelque fonction
particuliere, pour sa gloire, il les
pourvoit en mesme temps des dons &
des qualitez necessaires pour s'en bien
aquitter. Quand il voulut envoyer Moyse
pour retirer son peuple de la captivité
d'Egypte, Moyse lui dit, qui suis-je
moy, que j'aille vers Pharao, & que je retire
d'Egypte les enfans d'Israel ? mais Dieu lui
dit, Tu le feras , parce que je seray avec toy .
Las ! Seigneur, dit Moyse, j'ay la bouche & la
langue empeschée . Va, lui dit-il, je seray avec
ta bouche, & t'enseigneray ce que tu auras à
dire . Quand il voulut envoyer Esaïe,ce
Prophete considerant sa petitesse & la
grandeur de Dieu, Helas ! moy, dit-il, je
suis un homme soüillé de l'evres : mais Dieu
luy ayant envoyé un Séraphin, qui toucha
ses levres d'un charbon vif pris de dessus l'autel ,
afin que ce lui fust un signe de la grace
que Dieu mettroit en sa bouche,& de
la faculté qu'il lui donnoit dés lors,il s'en
sentit tellement rasseuré, qu'aussi tost
qu'il ouït la voix du Seigneur , disant,
qui envoyerai-je, & qui ira pour nous ? il dit,
Me voici,envoye-moy. Quand il voulut envoyer
Ieremie, lui disant, Ie t'ay ordonné
Prophete pour les nations, il lui dit, Ha ! Seigneur
Eternel, je ne say pas parler, car je suis
un enfant ! mais Dieu lui dit, Ne dis point
[ je suis ]
je suis un enfant ; car tu iras par tout où je
t'envoyeray,& diras tout ce que je te commanderai ;
& auançant la main, il lui toucha
la bouche, & lui dit, Voici, j'ay mis mes paroles
en ta bouche. Quand Iesus Christ
voulut eslire ses Apôtres,pour les rendre
propres à cette charge, & pour leur obtenir
les dons necessaires, il fut toute la
nuit en priere; & quand le jour fut venu,
il appella ses disciples, & en esleut douze .
Quand il les voulut envoyer apres sa resurrection,
à mesure qu'il leur dit, Comme
mon Pere m'a envoyé, ainsi je vous envoye,
il souffla sur eux, & leur dit, Recevez le saint
Esprit . Et lors qu'il monta au Ciel,pour
leur donner encore une plus grande mesure
de grace, il leur commanda de ne
bouger de Ierusalem, afin que là ils receussent
la vertu du S. Esprit qui descendroit sur eux .
Ainsi, lors qu'il voulut employer Zacharie
à la celebration de ce grand mystere
qu'il alloit révéler au monde,il le remplit
de son Esprit, & lui donna la lumiere,
l'intelligence, la devotion, l'ardeur, les
paroles necessaires à cet effet. Et non
seulement il en use ainsi en ce qui concerne
le saint ministere ; mais aussi à l'égard
des autres vocations, où il veut
estre glorifié. Ainsi, quand il destina
Betsaleel à la construction & à l'ornement
de son Tabernacle, il le remplit de
son Esprit , & lui donna toute sagesse &
toute intelligence pour travailler en or,
en argent , en airain, & en pierrerie.
Ainsi, quand il choisit Saül pour estre le
premier Roy d'Israël, il lui changea son cœur
en un autre . Et s'il ne le faisoit ainsi, il n'y
auroit personne qui le pust servir en quelque
vocation que ce fust. Car toute
l'intelligence des hommes n'est que tenebres,&
toute l'imagination des pensées de
leur cœur n'est que mal en tout temps : mais
dés que que quelqu'un est pourveu de la commission
de Dieu, & rempli de l'assistance
de son Esprit, quand il seroit le plus foible
de tous les hommes, il n'y a ni entreprise
si haute ni ouvrage si difficile, dont
il ne s'aquitte heureusement.
Voilà la grace que Dieu fit à son serviteur
Zacharie. En voici maintenant
l'effet, c'est qu'außi-tost qu'il fut rempli du
S. Esprit, il prophetiza . Le mot de prophétie
se prend diversement en l'Escriture ;
car quelquefois il signifie le don de
[prédi-]
prédire les evenemens à venir ; & quelquefois
le don d'expliquer les mysteres
de l'Escriture : ici nous le pouvons fort
bien entendre en l'une & en l'autre façon ;
car il prédit, en ce Cantique, plusieurs
choses de Iean Baptiste;& y expose
quant & quant plusieurs predictions
des Prophetes touchant nôtre Seigneur
Iesus : monstrant en l'un & en l'autre la
vertu divine de l'Esprit dont il est rempli.
Remarquez en cela, mes freres, la
nature de cet Esprit. Où il est, il n'est
jamais oisif, ses graces ne demeurent jamais
enfermées en celui qui les a ; mais
elles paroissent incontinent par ses paroles,
& par ses actions ; pour la gloire de
Dieu ; pour le bien du prochain,pour l'edification
de toute l'Eglise. Le bien est
naturellement communicatif de soy-
mesme ; & il en est de la grace de Dieu,
comme de cet onguent d'aspic , dont Marie
oignit les pieds du Seigneur , & de
l'odeur duquel il est dit que toute la maison
en fut remplie . Quiconque a veritablement
cette grace, la doit faire couler
sur les autres par des enseignemens, par
des conseils, par des consolations, par de
bons exemples & par toute sorte d'offices
de charité. Qui croit en moy, dit Iesus
Christ, il descoulera de son ventre des fleuves
d'eau vivante . Le bon plaisir de Dieu,
dit l'Apôtre, a esté de me reveler son Fils,
afin que je l'Evangelisasse entre les Gentils .
Dieu nous console, disoit-il, en toute nostre
affliction, afin que par la consolation de laquelle
nous mesmes sommes consolez de Dieu, nous
puißions consoler ceux qui sont en quelque
affliction que ce soit . Ie dis ceci, mes freres,
afin que, selon l'exhortation de S.Pierre,
chacun de nous, selon qu'il a receu le
don, soit des choses spirituëlles, soit des temporelles,
il l'administre envers les autres,comme
bon dispensateur de la diverse grace de
Dieu . Ainsi en a fait Zacharie, comme
estant son serviteur fidelle,publiant,estalant,
exaltant, & magnifiant cette incomparable
bonté de Dieu, dont il venoit
de recevoir la révélation du Ciel, &
disant, Benit soit le Seigneur le Dieu d'Israel,
lequel a visité & delivré son peuple .
Il nous faudroit maintenant entrer
dans l'examen particulier de toutes ces
paroles ; mais l'heure presse ; la matiere
est importante ; l'action pour laquelle
[nous]
nous sommes assemblez, est longue ; &
nous aurons, moyennant la faveur de
Dieu, toute la semaine pour vous desveloper,
auec plus de loisir, les mysteres
que nous n'aurons peû traitter en cette
action. Vous en auez assez pour
ce coup, pourveû que ce que vous en
auez entendu vous l'imprimiez bien dans
vos cœur. Ce que vous auez à en retenir
est, principalement, que de tant de
biens que Dieu nous a faits, & qu'il ne
cesse de nous faire encore tous les jours,
toute la récompense qu'il nous en demande,
c'est que reconnoissant combien
il nous aime , nous en benissions son
sainct'nom auec une affection cordiale ;
& que comme ce saint personnage l'a remercié
tant de la naissance de Iehan
Baptiste, que de celle de Iesus Christ,
nous lui rendions graces aussi soit des benedictions
qui nous sont communes auec
tout le corps de l'Eglise, soit des particulieres
qu'il verse ou sur nos personnes,ou
sur nos familles. Mais combien y en
a-t-il d'entre nous qui s'en acquitent
comme il faut ? les dix n'ont-ils pas esté nettoyez ?
& les neuf où sont-ils ? nul ne s'est trouvé
qui soit retourné pour rendre gloire à Dieu,
sinon cet estranger , disoit nôtre Seigneur
Iesus, des dix lepreux qu'il avoit guéris,
& renvoyez à l'examen des Sacrificateurs,
& dont un seul, qui estoit un pauvre
Samaritain, se voyant gueri, estoit
revenu glorifiant Dieu à haute voix, &
se jettant en terre sur sa face aux pieds
de son Medecin & de son liberateur en
lui rendant graces. Et n'a-t-il pas sujet
de nous dire de mesme. Ne vous ay-je
pas tous appellez à ma grace?n'avez-vous
pas tous esté baptisez en mon nom ? n'avez-vous
pas tous mangé à ma table ? Et
quels ont esté jusqu'ici les effets de ma
misericorde sur vous, en general, & en
particulier ? Et neantmoins combien y
en a-t-il parmi vous qui tesmoignent de
m'en savoir gré ? Nous disons bien quelquefois
de bouche que nous en loüons
Dieu ; mais quand apres cela nous vivons
sans aucune devotion envers lui, &
que nous l'offensons hardiment & ingratement
par nos débauches, par nos
jeux, par nos usures, par nos médisances,
par nos excés, par nos outrages, par nos
tromperies & par nos desloyautez, nos
[effets]
effets de dementent-ils pas nos paroles ?
N'est-ce pas dire à Iesus Christ, Bien te
soit ; & puis, le frapper d'un roseau ? Outre
cela, combien vous fait-il tous les jours
de graces, dont la plus-part de vous ne
le louënt ni de parole ni d'effet ? De tant
de gens à qui il donne une plaine santé,
combien y en a-t-il qui l'en remercient?
Combien y en a-t-il qui par sa benediction
particuliere reüssissans en leur travail,
en leur trafic, en leurs entreprises,
qui ne pensent pas une fois l'année à ce
qui est dit par le Sage, que, c'est la benediction
de Dieu qui enrichit ; & qui prenant
ses biens à deux mains, n'ont point de
langue, ni de voix pour l'en remercier ?
Encore n'est-ce pas tout, plusieurs, au
lieu de le benir, le blasphément, & font
ce que les Diables mesmes n'osent faire:
car, comme dit S. Iaques, Ils croyent qu'il
y a un Dieu, & en tremblent : Et ceux-ci le
croyent & l'outragent, & n'ont point
d'horreur de mesler en leurs impies &
prophanes discours ce Nom si grand &
si terrible, qui fait trembler les Anges
dans leurs thrônes, & les demons dans
leurs abysmes. Ici nous pouvons bien
dire, comme Moyse, Ha ! peuple fol & insensé,
est-ce ainsi que tu recompenses l'Eternel
ton Dieu ? Ha,mes freres, Dieu ne nous a
pas tesmoigné tant d'amour, afin que
nous lui tesmoignions ce mespris; il nous
a fait sa generation & son peuple, afin que
nous annoncions les vertus de celui qui nous
a appellez des tenebres à sa merveilleuse lumiere ,
& que grans et petis, nous benissions,
du plus intime de nos cœurs, la misericorde
de ce bon Dieu, qui, bien que
nous eussions tous merité la mort, & la
damnation eternelle , nous a si tendrement
aimez, qu'il a envoyé au monde son
Fils vnique, pour nous en racheter ; & qu'il
nous donne aujourd'huy sa chair & son
sang pour nourrir nos ames en l'esperance
de la vie eternelle . Tous ceux de la maison de
mon Pere, disoit Mephiboset à David,
sont gens dignes de mort envers le Roy mon
Seigneur ; & neanmoins, tu as mis ton serviteur
entre ceux qui mangent à ta table .Il estoit
innocent quant à lui, & mesme il estoit
fils de ce Ionathan , qui auoit tant aimé
David ; tout son crime estoit d'estre des
descendans de Saül ; & cependant il estime
que c'est assez pour le rendre coulpable,
[ble,]
& ne peut assez exalter la bonté de
David, qui, sans auoir esgard à cela, le
daignoit faire assoir à sa table. Et nous,
mes freres,qui ne sommes pas seulement
des descendans d'Adam, mais enfans de
peres pecheurs de generation en generation;
pecheurs nous mesmes en une infinité
de sortes, n'admirerons-nous point
la bonté de Dieu,qui,sans auoir tous ces
esgards à nos fautes, ni aux iniquitez de
nos peres , nous daigne admettre à la
communion de ses graces & de ses delices
spirituelles en ce sainct Sacrement ?
Et ne dirons-nous point,auec Zacharie,
Benit soit le Seigneur le Dieu d'Israël,lequel
a déliuré son peuple ?
Mais comme Zacharie, auant que de
prononcer à Dieu ce Cantique,fut rempli
de son S.Esprit, ainsi faut-il que ce soit cet
Esprit de Dieu qui ouvre nos bouches à sa
loüange,& qui enflamme nos cœurs d'une
veritable devotion envers lui. Or ne
refuse-t-il jamais cet Esprit à ses enfans,
quand ils le lui demandent ; demandons-le
lui donc,mes freres, de toute l'affection
de nos ames, afin que comme la
Vierge bienheureuse estant enombree
du S.Esprit conseut Iesus Christ en son
ventre, & puis l'ayant conceu en remercia
Dieu, disant, Mon ame magnifie le Seigneur ,
&c. Nous aussi, estant remplis de
ce mesme Esprit, convenions nôtre Sauveur
en nos ames, & nous en monstrions
recognoissans envers Dieu, tant par nos
œuvres, que par nos paroles. Pour cet
effet, préparons-lui nos cœurs par une
vraye & serieuse repentance, & en bannissons
l'avarice, la convoitise, l'orgueil,
la vanité, la haine, l'appetit de vengeance;
& en un mot, tout ce qui lui en pourroit
faire abhorrer la demeure, afin que
comme des vaisseaux purs & nets, il les
remplissent volontiers de toutes ses graces,
& y respande toutes les douceurs de ses
consolations. Alors, nous serons veritablement
asseurez de nôtre communion
auec Christ, quand son Esprit sera sa dere
dans le nôtre, suivant ce que disoit S. Iean,
Par ceci connoissons-nous que nous demeurons
en lui, & lui en nous, parce qu'il
nous a donné de son Esprit . Alors nous presenterons
à Dieu des parfums de benedictions
& de louanges, où il prendra
plaisir, parce que ce ne sera point un feu
[estran-]
estranger , mais le feu de son S. Esprit
qu'il nous aura envoyé du Ciel qui les fera
fumer devant lui. Et comme le venerable
vieillard Simeon, estant venu au
Temple , eut ce contentement d'y voir ce
grand Sauveur qu'il avoit jusqu'alors si
devotement attendu, & qu'il le tint
mesme entre ses bras,pour en rassasier &
ses yeux, & son cœur : ainsi nous, qui
sommes ici assemblez au nom de cet Esprit,
pour la participation de ce saint &
divin sacrements, où Iesus Christ se presente
soy-mesme à nous, nous aurons le
bien de l'y contempler par la foy, & de
l'y embrasser de toutes les affections de
nos cœurs ; & après avoir publié ses bontez,
& fait retentir ses loüanges en la
congrégation de ses saincts, nous dirons,
auec Simeon, au sortir de cette assemblée,
en attandant que nous le disions
au sortir mesme de cette vie, Seigneur, tu
laisses maintenant aller tes serviteurs en paix;
car nos yeux ont veû ton salut .