SERMON PREMIER* * Prononcé 
le 
Dimanche 
3. 
jour 
d'Aoust 
1664. a
                            
Charenton.
                     
I. COR. X. 1.2.3.4.5.
  
 I. Or Freres, je ne veux pas que vous 
ignoriez, que nos Peres ont tous été sous la 
nuée, & ont tous passé par la mer , 
  
 2. Et ont tous été battisez  en Moïse en la  
nuée & en la mer , 
  
 3. Et ont tous mangé d'une mesme viande 
spirituelle . 
  
 4. Et ont tous beu d'un mesme breuvage 
spirituel ; Car ils beuvoyent de la pierre spirituelle, 
qui les suivoit & la pierre étoit 
Christ . 
   5. Mais Dieu n'a point pris plaisir en plusieurs 
d'entr'eux. Car ils ont été accablez*  * abbatus 
 dans le desert . 
   
 CHERS FRERES ; 
Nous lisons dans l'Evangile qu'vn 
[jeu-] 
   
                        
                            Math. 
19.21.22.
                        
                    jeune homme ayant entendu le 
commandement, que luy fit le Seigneur de 
vendre tous ses biens & de les distribuer 
aux pauvres, & de le suivre pour 
avoir la vie eternelle, s'en alla tout triste ; 
parce dit l'Ecriture, qu'il avoit de 
grands biens. Son aveuglement fut extréme 
d'avoir preferé la joüissance temporelle 
d'une chose caduque & perissable 
a la compagnie du Fils de Dieu & a la 
vie eternelle. Mais il eut pourtant 
assez de jugement pour reconnoistre, 
qu'il ne faut rien attendre de Iesus 
Christ, si l'on n'obeït a ses ordres, & 
si l'on ne se conforme à sa discipline. 
C'est pourquoy il se retira ; triste de ne 
pouvoir estre riche & Chrétien tout 
ensemble ; mais aprés tout aymant 
mieux avoir ses biens sans le salut, que 
le salut sans ses biens. Nous condamnons 
tous la foiblesse & la lascheté de 
ce jeune homme, & nous avons raison ; 
Et cependant je ne sçay si l'on ne peut 
pas dire avecque verité, que nous sommes 
la pluspart dans vne erreur aussi 
pernicieuse, mais beaucoup plus impudente, 
que n'estoit la sienne. Iesus Christ 
nous commande si nous voulons vivre 
[avec-]   
avecque luy de nous défaire de nos vices, 
a l'vn de son animosité & de sa haine ; 
a l'autre de sa vanité & de son luxe, 
a l'vn de ses larcins & de ses rapines ; a 
l'autre de sa médisance , a l'vn de son 
yvrognerie, & a l'autre de ses sales & illegitimes 
plaisirs. Combien peu y en 
a-t-il qui obeïssent a cette parole du 
Seigneur ? qui ne retiennent la passion 
qu'il leur defend ? Iusques là nôtre faute 
est égale a celle de ce jeune homme. 
Ny luy ny nous ne faisons pas ce que le 
Seigneur nous ordonne ; Mais il me 
semble que pour le reste, sa faute fut 
moindre que n'est pas la nôtre : Car au 
lieu qu'il se retira, & eut assez de modestie 
pour ne pas s'attacher à vn Maistre, 
a qui il ne pouvoit se resoudre d'obeïr, 
nous avons si peu de pudeur, que nous 
nous vantons de suivre Iesus Christ & 
de demeurer en sa compagnie,en faisant 
sous ses yeux & dans sa maison tout le 
contraire de ce qu'il nous commande. 
Il vaudroit mieux & pour sa gloire & 
pour nôtre interest, que nous pechassions 
hors de sa communion ; parce que 
la profession que nous faisons,deshonore 
son nom, & aggravera nos peines. 
[Mais] 
 
Mais comme la passion que nous avons 
pour nos vices, est ingenieuse a nôtre 
malheur, elle nous flatte d'une vaine esperance 
d'impunité ; nous inspirant cette 
fausse pensée , que le Seigneur est 
trop bon pour perdre des personnes, 
qui quelque desordre qu'il y ayt dans 
leur vie, portent néantmoins avecque 
tout cela les livrées de sa maison & les 
marques de son alliance, & ont receu 
en leur personne le seau de la plus grande 
grace,qu'il ayt jamais faite aux hommes. 
C'est cette trompeuse imagination, 
que l'Apôtre combat dans le texte, que 
nous venons de vous lire. Dans la fin du 
chapitre précedent, il avoit montré aux 
Corinthiens par son exemple la diligence 
& la solicitude, dont il nous faut vser 
dans la conduite de nôtre vie pour obtenir 
du Seigneur la couronne, a laquelle 
nous aspirons ; avec quelle force & 
quelle constance il faut renoncer a nos 
inclinations, a nos commoditez & a 
nos plaisirs pour garder religieusement 
la discipline de l'Evangile, sans jamais 
manquer pour quelque raison que ce 
soit, a aucun des legitimes devoirs de la 
sainteté, qu'elle nous prescrit. Maintenant 
[nant] 
 
pour arracher du cœur de ces 
Chrétiens tous les vains pretextes, que 
la chair pourroit leur suggerer pour 
relascher en eux l'étude de cette réelle 
& evangelique sanctification , il leur 
montre, que rien ne les en peut dispenser, 
Et parce qu'ils avoyent embrassé le 
Christianisme avecque joye, la doctrine 
du Seigneur se preschant & ses Sacremens 
s'administrant au milieu d'eux, 
& la connoissance de ses mysteres y 
fleurissant , accompagnée de diverses 
graces extraordinaires ; afin que ces signes 
& ces ornemens exterieurs ne leur 
donnassent de la presomption , leur 
faisant negliger le principal, il leur presente 
dés l'entrée l'exemple des anciens 
Israëlites, qui ayant aussi receu de precieux 
& illustres témoignages de l'amour 
de Dieu ne laisserent pas avecque 
tout cela d'éprouver la juste rigueur de 
ses jugemens, pour avoir abusé de ses faveurs 
par vne extréme ingratitude.Cét 
exemple doit avoir d'autant plus de force 
sur nous, que l'alliance faite avec cét 
ancien peuple étoit la figure de la nouvelle, 
sous laquelle nous vivons,comme 
l'Apôtre nous l'a dit expressement.Dieu 
[y avoit] 
 
y avoit representé, de bonne heure le 
dessein, la condition & les qualitez de 
Iesus Christ & de son Eglise ; si bien 
que nous en devons regarder l'histoire, 
comme vne chose, qui nous appartient ; 
& fait état que c'est pour nous qu'elle a 
été écrite & conservée jusques a nous. 
L'Apôtre donc nous met premierement 
devant les yeux, dans les quatre premiers 
versets quelques vns des principaux 
& plus illustres avantages , dont 
Dieu avoit autresfois favorisé les Israëlites ; 
leur baptesme en Moïse dans la 
mer rouge, & sous la nuë, & leur nourriture 
dans le desert par le moyen de la 
manne, qui leur pleuvoit du Ciel, & de 
l'eau dont vn rocher ouvert par la verge 
de Moïse, consoloit les secheresses de 
ces lieux vastes & solitaires,où ils voyageoyent. 
Puis il nous represente dans 
le verset cinquiesme que nonobstant 
toutes ces grandes & admirables prerogatives , 
Dieu n'eut point de complaisance 
pour laisser impunis ceux d'entr'eux, 
qui méconnurent ses bontez, & 
violerent son alliance ;  Mais Dieu ( dit  
l'Apôtre )  n'a point pris plaisir en plusieurs 
d'entr'eux . Car ils ont été abbatus ou accablez 
[ blez ] 
 
 dans le desert. Nous traiterons s'il 
plaist au Seigneur, le plus clairement & 
le plus briévement, qu'il nous sera possible, 
ces deux parties dans nôtre action, 
les avantages des anciens Israëlites ; 
puis la colere & la vangeance de Dieu 
sur ceux d'entr'eux, qui abuserent de ses 
graces. Pour la premiere partie, l'Apôtre 
la commence ainsi, 
 Freres, dit-il, je 
ne veux pas, que vous ignoriez que nos Peres 
ont tous été sous la nuée, & ont tous passé 
par la mer. Il entend, qu'ils doivent se 
ressouvenir de cette histoire ; la remarquer, 
& y faire les reflexions qu'il leur 
va representer. Car elle est si connuë 
dans l'Eglise, qu'il y a peu d'apparence 
qu'aucũ des fideles de Corinthe l'ignorast. 
Mais l'Apôtre prend quelque fois 
le mot de 
sçavoir, pour dire se remettre 
dans l'esprit ce que l'on sçait desja, le 
considerer pour en vser, & pour en tirer 
quelque fruit spirituel a nôtre edification ; 
comme quand il dit aux Romains,  
 Ne sçavez vous pas , que , nous tous, qui avons  
                            
                                Rom. 6. 3.
                         
 été baptisez en Iesus Christ, avons été 
baptisez en sa mort ? Il veut dire, que de 
ce principe , qu'ils sçavoyent, ils devoyent, 
conclure ce qui s'en ensuit 
[evi-]   
evidemment que par le baptesme nous 
sommes morts au vice, & a ses convoitises, 
pour cheminer desormais en nouveauté 
de vie ; bien loin de nous imaginer, 
comme faisoyent quelques profanes, 
que nous devions demeurer dans le 
peché. Icy pareillement, il ne veut pas 
que les Corinthiens ignorent ; il veut 
qu'ils sçachent, & qu'ils meditent cette 
histoire de l'ancien peuple ; pour en tirer 
la leçon, qu'il leur va donner, que 
toutes les faveurs & gratifications qu'ils 
ont receuës de Dieu, ne pourront s'ils 
en abusent, les exempter de sa juste colere, 
& des peines que merite un si grand 
crime. D'où vous voyez, pour vous le 
dire en passant, combien sont éloignez 
de l'esprit de S. Paul , premierement 
certains heretiques anciens, qui rejettoyent 
toute l'Ecriture du vieux Testament ; 
& secondement ceux qui defendent 
au peuple Chrétien la lecture des 
livres divins, L'Apôtre tout au contraire, 
bien loin de nous arracher des mains  
les Ecritures du nouveau Testament,ne 
veut pas que nous ignorions celles de 
l'ancien ; Il veut que nous les considerions 
exactement, & comme nôtre Seigneur 
[gneur] 
 nous l'avoit expressément commandé, 
que 
 nous les sondions , pour y découvrir 
les salutaires leçons , que le S. Esprit 
y a semées ; ce qui ne se peut faire 
sans les lire & relire plusieurs fois 
avec soin. Pour nous recommander ce 
devoir, il appelle les anciens Israëlites  
 nos Peres  ; parce que les enfans sont naturellement 
curieux de sçavoir l'histoire 
de leurs ancestres, & d'étudier avec 
affection & avecque plaisir les écrits qui 
la racontent. Mais j'estime, qu'il leur 
a aussi donné ce nom pour fortifier la 
raison qu'il employe icy, nous avertissant 
par ce mot,qu'il l'a tirée d'un exemple 
non étranger , mais domestique. 
Car je ne puis gouter l'exposition de 
ceux,qui rapportent ce nom a la personne 
de Saint Paul & a celles de quelque 
                        
                            Estius
                        
                        
 sur ce 
lieu
                     peu de Iuifs , qui pouvoyent selon leur 
conjecture se treuver meslez dans l'Eglise 
de Corinthe. Si l'Apôtre eust eu 
cette pensée, qui l'empeschoit de l'exprimer 
nettement,en disant simplement  
les Peres des Ebreux , ou les 
anciens Israëlites , 
ou mes Peres,ou quelque autre chose 
semblable ? Et quant aux Iuifs de 
Corinthe à l'égard desquels on pretend, 
[que]   que S. Paul les ayt appellez 
 nos Peres  & non 
mes Peres simplement, I'avouë  
                        
                            Act. I8. 
8.
                     qu'il y a grand' apparence par les choses 
que S. Luc raconte dans le livre des 
Actes, que des Iuifs qui habitoyent a 
Corinthe & qui y avoyent mesme vne 
Synagogue, quelques vns se fussent convertis 
a Iesus Christ , aussi bien que 
Crispe, le principal d'entr'eux ; Mais 
asseurement le nombre en étoit fort 
petit, comme il paroist par la furieuse 
resistance, que leur corps entier y fit 
a la predication de S. Paul, comme S. Luc 
le décrit dans le mesme lieu. Ainsi 
l'Eglise de Corinthe, qui estoit grosse & 
populeuse, consistoit toute en familles 
& en personnes Payennes de naissance. 
L'Apôtre parlant donc a eux tous,comme 
il fait, & non a ce peu de Iuifs seulement, 
qui étoyent clair semez dans cette 
grande multitude de Gentils convertis 
a la foy, il me semble qu'il n'y a point 
de raison de s'imaginer , qu'en disant  
 nos Peres , il entende que les Israëlites 
dont il parle soyent les 
Peres , non de 
tous les fideles a qui il addresse son discours 
mais de sept ou huit d'entr'eux 
seulement, & je ne pense pas qu'en tous 
[les]   les écrits divins & humains, il se puisse 
treuver,dans vne rencontre pareille,vne 
expression comme celle-cy, employée 
au sens que l'on attribue a ces paroles 
de l'Apôtre. Confessons donc, qu'il entend 
que ces anciens Israëlites, dont il 
rapporte icy l'histoire, étoyent les Peres, 
non de ceux de sa nation seulement, 
mais de tous les fideles de Corinthe, 
de quelque naissance qu'ils fussent selon 
la chair ; & non seulement d'eux, mais 
encore generalement de tous les Chrétiens, 
en quelque lieu & en quelque siecle, 
qu'ils vivent. Souvenez vous de l'olivier 
franc , dans lequel S. Paul nous 
enseigne ailleurs, que nous avons été 
entez par la foy de l'Evangile de Iesus 
                        
                            Rom. II. 
17.
                     Christ, & il vous sera aisé de comprendre, 
que de quelque peuple que nous 
soyons venus & de quelque terroir, que 
nous ayons été tirez , nous sommes tous 
enfans d'Abraham,& des autres Patriarches, 
& en un mot d'Israel,où la semence 
de la foy d'Abraham se conserva. 
Car cet olivier mystique n'est autre 
chose, que l'ancien Israël. S'il en a été 
coupé quelques branches,ou autresfois, 
ou depuis en la plenitude des temps, 
[tant]   tant y a que c'est comme dit l'Apôtre, 
la racine, & la tige de cet arbre, qui 
nous porte. La racine & la tige dans 
vn arbre est la mesme chose que dans 
vne genealogie les Patriarches , & le 
corps de la famille ou de la nation , qui 
en sort. Puis qu'Abraham est nôtre 
racine, & que le peuple descendu de 
luy est nôtre tige, asseurement ils sont 
nos Peres , & nous sommes leurs enfans. 
Leur Abraham est le Pere de tous 
ceux qui croyent, soit dans la circoncision, 
soit dans le prepuce;& leur Sion est 
nôtre mere , & nous mesmes portons 
tous leur nom,étãt appellez dans l'Ecriture  
 L'Israël de Dieu  , &
   les Iuifs dont la 
 
                            
                                Gal.6. 
I6.
                            
                                Rom. 2. 
29
                          louange est de Dieu, & non des hommes. 
C'est donc en ce sens, selon 
l'esprit , & 
non selon la 
chair , que l'Apôtre donne 
icy le nom de 
 nos Peres  a ces anciens 
Israëlites, qui 
 furent tous sous la nuée, & 
qui passerent tous par la mer . Mais l'on 
dit , qu'il ne semble pas raisonnable, 
que ces vieux Iuifs charnels & rebelles, 
soyent nommez 
 Peres  des Chrétiens 
croyans & obeïssans. Ie l'avouë, mais 
je répons que ny S. Paul, ny nous apres 
luy ne l'avons jamais entendu ainsi. A 
[Dieu]   Dieu ne plaise. Car pour ceux-là bien 
loin d'estre nos Peres, Ils n'ont pas été 
eux mesmes enfans d'Abraham. Vn de 
leurs Prophetes leur dit, que 
 leur pere 
                            
                                Ez. I6. 
3
                         
 estoit Amorrhéen & leur mere Ethienne . 
Leur incredulité les a retranchez de la 
tige, où nous avons été entez, par foy. 
Nous n'avons, & Dieu veüille que nous 
n'ayons jamais a l'avenir rien de commun 
avec eux. Mais quelque grand 
qu'ayt été dans le desert le nombre de 
ces Israëlites bâtards, tant y a que Dieu 
se conservoit au milieu d'eux vn Moïse, 
vn Phinées, vn Iosué, vn Caleb, & plusieurs 
autres, qui faisoyent sinon la plus 
grande, au moins la meilleure partie 
de ce peuple; & c'est à l'égard, de ceux-cy 
& non des autres, que l'Apôtre honore 
icy les anciens Israëlites du nom 
de 
 nos Peres . Voyons maintenant ce 
qu'il nous en dit. Il touche premierement 
la merveille de la nuë , que Dieu 
étendit sur eux pour les couvrir contre 
les ardeurs du jour, pour les éclairer durant 
les tenebres de la nuit, pour les 
guider dans leurs marches, pour cacher 
leur camp aux ennemis & pour marquer 
la pavillon de la Majesté Divine au milieu 
[lieu]   d'eux, se tenant suspendue au dessus 
autant de temps que leur armée demeuroit 
campée en quelque lieu : & cela 
continua quarante ans entiers depuis 
leur sortie de l'Egypte jusques a leur 
entrée en Canaan.C'est cette nuë qu'entend 
l'Apôtre, quand il dit qu'
 ils furent 
tous sous la nuée  ; parce qu'ils l'avoyent 
continuellement au dessus d'eux,quand 
ils campoyent , & élevée au devant 
d'eux , quand ils marchoyent. C'est le 
premier avantage des Peres, que S. Paul 
nous represente ; grand, & surnaturel, 
& non jamais veu ny ouï dans aucune 
autre nation. D'où vient aussi que Moïse 
touchant les merveilles de son Israël 
qui avoyent étonné les Egyptiens & les 
peuples de Canaan, ne manque pas de 
faire mention de celle-cy, 
 Ils ont (dit-il) 
 entendu, que ta nuée s'arreste sur nous, & 
 
                            
                                Nombr. 
I4. I4.
                         que tu chemines devant nous de jour en vne 
colonne de nuée & de nuit en vne colonne 
de feu. L'autre avantage des Peres icy 
raporté par l'Apôtre est leur miraculeux 
passage par la mer ; lors qu'étant 
sortis d'Egypte, & poursuivis par l'armée 
de Pharao, la mer rouge sur le rivage 
de laquelle ils étoyent arrivez,se fendit 
[dit]   en deux, & leur laissa entre ses eaux 
le passage libre pour gagner son autre 
bord, comme ils firent sous la conduite 
de Moïse, avec autant de facilité, que 
s'ils eussent marché dans un grand chemin 
sur la terre. C'est ce qu'entend & 
a quoy regarde l'Apôtre, quand il dit, 
qu'
 ils passerent tous par la mer. Le troisiéme 
de leurs avantages touchez par S. Paul, 
est qu'ils mangerent tous d'une 
 mesme 
viande spirituelle . Il est clair, que 
c'est la manne qu'il entend , que Dieu 
leur envoyoit tous les matins du ciel, 
& dont ils furent nourris durant les quarante 
ans, qu'ils vesquirent dans le desert ; 
miracle tant de fois celebré dans 
les Ecritures,non par Moïse seulement, 
qui en décrit exactement l'histoire, mais 
aussi plusieurs siecles depuis par David 
dans ses Pseaumes , comme l'vne des 
plus rares & des plus divines faveurs 
que ce peuple ayt receues du Seigneur. 
Leur quatriéme & dernier avantage 
est, 
 qu'ils beurent tous d'vn mesme breuvage 
spirituel de la pierre ou du rocher qui les 
                            
                                Exod. I7. 
5. 6.
                         
 suivoit . Vous voyez bien qu'il veut dire 
l'eau miraculeuse, qui sortit du rocher 
d'Horeb frappé de la verge de Moïse 
[se-]   selon l'ordre du Seigneur, pour abbreuver 
le peuple dans le desert.On demande 
ce qu'entend l'Apôtre, en disant que  
 cette pierre les suivoit . Car nous ne lisons 
point dans l'Ecriture , que ce rocher 
d'Horeb ayt changé de place, ny qu'il 
se soit arraché du lieu, où il étoit , & où 
il est encore aujourd'huy,pour accompagner 
le camp d'Israël; & ce seroit a mon 
avis , une extravagance de s'imaginer 
rien de semblable. Vn ancien auteur 
Grec, l'un des plus scavans & des plus  
                        Photius 
dans 
Oecumenius
                        
                     déliez esprits de son siecle, & de sa nation , 
considerant que l'original de ce 
texte porte simplement, que les Peres  
 beuvoyent tous de la pierre, qui suivoit , & 
non comme nos Interpretes l'ont suppleé, 
qui 
 les suivoit  ; prend icy le mot 
de 
 suivre  pour dire 
obeïr & seconder le 
mandement , ou la volonté d'autruy ;  
 La pierre qui suivoit , c'est a dire qui obeïssant 
au commandement de Dieu, 
suivant l'intention de Moïse, s'ouvrit & 
luy donna en abondance les eaux qu'il 
luy demandoit pour le breuvage de son 
peuple. Il est certain que le mot de 
suivre se prend souvent ainsi, dans le langage 
Grec ; & l'on ne peut nier que 
[cette]   cette interpretation ne soit belle & ingenieuse ; 
Mais parce qu'elle semble 
vn peu subtile & venue de l'esprit de 
cet interprete, plûtost que de la pensée 
de l'Apôtre, il vaut mieux s'arrester a la 
solution commune. Avouant donc que 
c'est aux Peres que se rapporte le mot 
de 
 suivre  & lisant avecque nos Bibles  
 la pierre qui les suivoit   ; je répons qu'en 
parlant ainsi l'Apôtre entend, non que 
la substance mesme du rocher dure & 
pesante & immobile comme elle est naturellement , 
se soit remuée de son lieu 
pour marcher & s'arrester selon les 
traittes des Israëlites ; mais que les eaux 
qui en sortoyent , faisoyent des ruisseaux, 
qui courant çà & là dans le desert 
y accompagnoyent Israël , luy fournissant 
son breuvage, selon ce que chante 
le Prophete dans 
le Pseaume soixante & 
dixhuitiesme , où celebrant ce grand 
miracle de Dieu 
 Il a (dit-il) fait sortir des 
                            Ps.78.I6.
                            Pse. I05. 
41.
                         
 ruisseaux d'vn Rocher,& en a fait découler des 
eaux,comme des rivieres. Et ailleurs encore,  
 Les eaux coururent en rivieres,ou comme 
des rivieres par les lieux secs . C'est ainsi 
que le Rocher suivoit, ou accompagnoit 
les Israëlites,non en la masse mesme 
[me]   
de sa pierre ce qui leur eust été inutile , 
mais dans les courans de ses eaux, 
qui conduits par la providence divine 
tournoyent dans les lieux, où leur camp 
marchoit & où il s'arrestoit, ce qui leur 
étoit necessaire, dans un desert aride, 
& naturellement destitué de sources,de 
fontaines & de ruisseaux. Ce sont là 
chers freres, les quatre faveurs de Dieu 
envers les anciens Israëlites, que l'Apôtre 
a icy touchées. La seule veuë 
des choses, & l'vsage naturel qu'ils en 
tiroyent pour la commodité & la necessité 
de leur vie, en découvre assez 
l'excellence & la merveille ; de la nuë, 
pour le refraischissement , & pour la 
protection, qu'elle leur procuroit ; de 
la mer, par la delivrance qu'elle leur 
donna , s'ouvrant a eux , pour les sauver 
des mains d'vne armée ennemie ; de la 
manne & de l'eau du rocher , pour le 
soûtien de leur vie, qui sans ce secours 
fust bien tost defaillie en des deserts où 
ils ne trouvoyent le plus souvent ny 
viande, ny fruits, ny breuvage. La lettre 
mesme de cette histoire est magnifique; 
C'est un riche fond, capable de fournir 
a ceux qui s'arresteront a la considerer 
[di-] 
 
divers sujets d'admiration pour la puissance, 
bonté & sagesse de Dieu en toute 
cette conduite, & d'instruction & de 
consolation pour nos ames. Mais ce 
n'est pas icy le lieu de nous étendre sur 
ce sujet. Il nous faut suivre l'Apôtre & 
nous attacher a ce qu'il y a remarqué. 
Car laissant là le reste , il touche seulement 
icy l'vsage & le dessein moral & 
spirituel de ces merveilleuses graces de 
Dieu ; & des quatre qu'il nous a representées, 
il les reduit a deux couples, joignant 
ensemble premierement le nuë 
& la mer ; & puis en second lieu pareillement 
la manne & l'eau du rocher. 
Des deux premieres, il dit que les Peres 
furent  tous baptisez en Moïse en la nuée & 
en la mer  ; & des deux secondes, que la 
manne & l'eau de la pierre  étoit vne viãde 
& vn breuvage spirituel  ,& que la   pierre  
d'où sortoit l'eau,  étoit Christ. Examinons 
maintenant chacune de ces deux 
choses en son ordre. La premiere regarde 
Moïse ; & la seconde Iesus Christ. 
Pour le premier l'Apôtre dit qu'en la 
nuée & la mer (c'est a dire selon le stile 
de l'Ecriture,  par la nuée & par la mer), 
les Peres furent battisez  en Moïse  ; Cela 
[don-] 
 donne de la peine aux Interpretes; Premierement 
parce qu'il semble rude de 
dire, que le peuple de Dieu soit battizé 
en vn homme ; Secondement parce 
qu'encore que les Israëlites ayant été 
sous la nuée, & qu'ils ayent passé par la 
mer, qu'ils n'en ont pas été moüillez,comme 
sont ceux que l'on battise. Pour resoudre 
la premiere difficulté, plusieurs 
prennent ce que dit l'Apôtre, que 
 les 
Peres furent battisez en Moïse , pour signifier 
simplement, qu'ils furent battisez 
par Moïse, c'est a dire par le ministere 
de Moïse ; tout de mesme que nous 
venons de dire qu'
 en la nuée & en la mer , 
signifie par la nuée & par la mer. Mais 
cette glosse ne peut subsister. Car la  
*  εις  particule icy employée, 
* quand l'Apôtre 
dit 
 en Moïse , est toute autre,que celle, 
dont il se sert, quand il dit 
 en la mer 
 †  εν  & en la nuée , 
† encore que la disette de 
nôtre langue nous ayt contraints d'vser 
d'vn mesme mot pour l'exprimer l'vne 
& l'autre. Dans l'vsage de l'Ecriture la 
seconde se prend pour dire 
par dans 
vne infinité de lieux, comme tout le 
monde en est d'accord ; au lieu que la 
[pre-]   
premiere , ne s'y treuve jamais employée 
en ce sens ; au moins qu'il me 
souvienne ; & si elle s'y treuve quelque 
fois, c'est si rarement, que l'on n'en 
peut tirer aucune consequence pour ce 
passage. Et la maniere dont ces particules 
sont rangées & construites , comme 
parlent les Grammairiens,est pareillement 
differente , la premiere avec 
vne forme de nom, & la seconde avec 
vne autre, ce qui induit encore de la 
difference en leurs sens. En effet s'il se 
pouvoit dire, que les Israëlites ont  été 
battisez  en Moïse , pour signifier simplement 
qu'ils l'ont été par luy & par son 
ministere ; rien n'empescheroit non 
plus, que l'on ne dist pareillement, que 
les Samaritains furent battisez en S.Phillipe, 
& Stephanas en S. Paul, & chacun 
des fideles en celuy des ministres duquel 
il ont receu le battesme. Et néantmoins 
c'est vn langage inouï dans l'Ecriture 
& dans l'Eglise, & dont S. Paul 
nous témoigne assez qu'il auroit horreur , 
quand il demande aux Corinthiens , 
  Avez vous été battisez  au nom 
de Paul ? & quand il rend graces a Dieu 
de ce qu'il ne luy est arrivé de battiser, 
[que] 
 que fort peu de personnes, 
 afin (dit-il) 
 
                            I. Cor I. 
13. 15.
                         que quelcun ne die que j'aye battizé en mon 
nom . Car 
estre battisé en quelcun, ou 
au 
nom de quelcun , veut dire une mesme 
chose, autant que nous le pouvons remarquer 
dans l'Ecriture. Enfin quand il 
en seroit autrement , toûjours seroit-il 
difficile de justifier que ce battesme de 
la nuë, ayt été donné aux Peres par le 
ministere de Moïse. Pour celuy de la 
mer, Moïse y eut part, puis que ce fut sa 
main, qui fendit les eaux de la mer , & 
que ce fut luy encore qui y conduisit 
les Israëlites , marchant le premier a la 
teste du peuple dans les abysmes ; Mais 
pour la nuë , nous ne lisons point, que 
Moïse y ayt agy, ny qu'il ayt prété ny sa 
main ny sa verge , ny mesme sa voix  
                        
                            Exod. 14. 
19. 20.
                     pour élever cette nuë en faveur d'Israël, 
ny la premiere fois qu'elle se mit entre 
le camp de ce peuple & l'armée des Egyptiens, 
ny depuis. I'estime donc que 
laissant ces mots 
 en Moïse  dans leur sens 
ordinaire, pour resoudre la difficulté il 
faut s'addresser au mot de 
 battiser  , & 
en éclaircir le sens. Car il est assez evident , 
qu'a prendre ce mot dans la rigueur 
de son sens ordinaire & legitime 
[ny]   
ny le passage d'Israël par la mer, ny son 
état sous la nuë ne fut pas proprement 
un battesme ; cette parole grecque signifiant 
proprement ou plonger dans 
l'eau, ou du moins en arroser celuy que 
l'on battize ; choses qui n'ont point eu 
de lieu ny dans l'une ny dans l'autre de 
ces deux rencontres. Qu'est-ce donc 
que veut dire l'Apôtre par le mot de 
  battiser  ? Chers Freres, pour le bien entendre, 
il faut se souvenir , que c'étoit 
anciennement vne coûtume ordinaire 
non seulement entre les Iuifs,mais aussi 
entre plusieurs peuples Payens d'employer 
le battesme , c'est a dire ou le 
plongement dans de l'eau, ou l'aspersion 
simple de l'eau, pour recevoir les personnes 
en la profession de leur religion, 
& dans le corps de leurs societez religieuses. 
Pour les Iuifs , ceux qui sont 
tant soit peu versez dans leurs antiquitez 
sçavent, que pour faire leurs proselytes 
de la loy, c'est a dire pour les consacrer 
au Iudaïsme, & de Payens qu'ils 
étoyent les admettre en leur corps, ils 
employoyẽt trois ceremonies,la circoncision, 
le battesme & l'oblation. Pour 
les Payens, les scavans ont remarqué 
[dans] 
 
dans leurs livres, que c'étoit aussi leur 
coûtume en plusieurs villes & nations 
pour recevoir les personnes dans la confrairie 
de leurs pretendus mysteres, ce 
qu'ils appelloyent leur initiation, de les 
baigner dans de l'eau vive, ou de les en 
laver, ou de les en arroser. Vous sçavez 
que le Precurseur de Iesus Christ battisoit 
ceux, qui vouloyent faire profession 
de sa discipline, & que le Seigneur luy 
mesme a aussi institué, que ses disciples 
soyent dediez & consacrez a sa communion 
par le battesme. Le battesme étant 
donc presque par tout, mais particulierement 
& nommément entre les Chrétiens 
vne dedication & consecration 
des personnes a vne certaine loy & religion ; 
j'estime que l'Apôtre regardant 
a cet vsage si vniversel, a icy employé le  
mot de  battiser  en ce sens general,pour 
dire dedier & consacrer quelcun a vne 
discipline religieuse ; si bien, qu'en disant , 
que les Peres furent  battisez en 
Moïse par la nuë & par la mer ,il n'entend 
autre chose a mon avis sinon, qu'ils furent 
alors consacrez, & dediez,& comme 
parloyent les Grecs & les Latins 
apres eux, initiez en la loy & discipline 
[de] 
 de Moïse, pour le reconnoistre pour 
leur chef, leur liberateur & leur conducteur, 
pour l'interprete de la volonté 
de Dieu, & leur Legislateur, & mesme 
en quelque fasson leur Mediateur,comme 
il est appellé par l'Apôtre dans l'Epitre 
aux Galates ; s'obligeant par cette 
                        
                            Gal. 3. 
19.
                     profession qu'ils faisoyent en le suivant 
dans la mer, de se mettre sous sa conduite 
& de recevoir la foy & le service, 
qu'il leur declareroit, comme vne doctrine 
& religion venuë & ordonnée 
de Dieu , ainsi qu'elle l'étoit en effet. 
I'avouë, que tous les autres miracles témoignoyent 
les mesmes veritez aux 
Israëlites assavoir,que Moïse étoit le serviteur 
de Dieu, & envoyé par luy pour 
faire cette grande œuvre, pour les tirer 
de la servitude de l'Egypte, & pour les 
conduire dans l'heritage promis a leurs 
peres, & pour leur publier ses ordonnances. 
Mais il n'y en a point qui l'ayt 
declaré plus magnifiquement & d'vne 
maniere plus éclatante, que cette divine 
nuë, qui se mettant entre l'armée des 
Egyptiens, & le camp d'Israël, fut une 
tenebreuse & impenetrable obscurité 
aux premiers, & vne claire lumiere aux 
[der-]   derniers ; & ce miraculeux passage de la 
mer rouge qui sauva Israël, & qui engloutit 
tous ses ennemis devant ses 
yeux. Il n'étoit pas possible de donner 
aux Peres des signes ou des argumens 
de la faveur de Dieu, & de la vocation 
de Moïse plus convainquans, que ceux-là. 
Aussi voyez vous, que c'est justement 
en cet endroit, apres le passage de 
le mer rouge, que l'Ecriture remarque 
expressement, qu'Israël ayant veu cette 
grand'puissance de Dieu déployée d'vne 
maniere si terrible contre les Egyptiens,  
                        
                            Exod. 14. 
19.
                      creut a l'Eternel & a Moïse son serviteur. 
C'est le plus haut de tous les effets 
de cette faveur de Dieu. C'étoit beaucoup 
qu'elle les eust delivrez d'une mort 
toute asseurée ; Mais c'étoit bien plus,  
 qu'elle les battisast en Moïse , c'est a dire 
qu'elle les consacrast a estre le peuple 
de Dieu, seuls de toutes les nations du 
monde; leur envoyant un serviteur pour 
leur declarer sa volonté ; & traitter avec 
eux vne alliance particuliere en son 
nom, & de sa part. C'est la raison pourquoy 
l'Apôtre a particulierement mis 
en avant cette nuë & cette mer, & le 
battesme, dont elle battisa les Israëlites; 
[com-]   
comme la plus grand' & la plus precieuse 
faveur, qu'il leur ayt faite. Cela ainsi 
éclaircy l'autre difficulté tombe d'elle 
mesme ; chacun voyant desormais qu'au 
sens que l'Apôtre prend icy le mot de 
  battiser , pour pouvoir dire que les Peres 
furent battisez en la nuë & en la mer, 
il n'a pas été besoin qu'ils fussent ny 
plongez dans les flots de la mer, ny arrosez 
de la pluye ou de l'aspersion des 
nuës. C'est assez, que l'vne & l'autre 
merveille étoyent des signes , qui les 
dédioyent a la discipline de Moïse. Et 
cette metaphore est d'autant plus propre 
& plus elegante, qu'encore que cette 
consecration ne les ayt ny plongez dans 
la mer, ny arrosez de l'eau des nuës,elle 
s'est pourtant faite avecque de l'eau. 
Car la mer par où ils passerent est de 
l'eau,& la nuée qui les couvrit, étoit un 
reservoir où se gardoit, ou du moins où 
se formoit de l'eau ; Si bien que ce qui 
se passa alors, outre la fin & l'effet d'un 
battesme, qui y étoit tout entier, approchoit 
encore de fort pres de sa forme ; 
puis qu'étant sous la nuée, ils avoyent 
de l'eau sur leurs testes, & qu'en traversant 
la mer, ils en avoyent a leurs côtez; 
[com-] 
 
comme les personnes,qui reçoivent le 
battesme ainsi proprement nommé ; 
sur tout en la maniere, qu'il se donnoit 
solemnellement & le plus souvent dans 
l'Eglise ancienne , en plongeant les 
croyans dans l'eau.Mais quelque grande 
que fust la faveur de Dieu, que la nuë 
& la mer où les Israëlites passerent, leur 
signifioit & leur communiquoit en les 
battisant en Moïse, il faut avouer pourtant, 
que ce n'est pas le plus haut point 
de la declaration de l'amour de Dieu, 
que faisoyent ces symboles mystiques, 
Moise étoit le Mediateur d'une alliance 
de Dieu ; & c'est la raison pourquoy l'Apôtre 
n'a point feint de dire, que les 
Israëlites furent battisez en luy, & il n'y 
a jamais eu aucun autre homme, simplement 
homme, que luy seul qui ayt été 
Mediateur d'aucune des alliances de 
Dieu avecque les hommes ; & c'est la 
raison pourquoy il n'est dit d'aucun autre 
homme simplement homme,que les 
hommes ayent été  battisez en luy . Mais 
de quelle alliance Moïse a-t-il été Mediateur ? 
Certainement il ne l'a été que 
d'vne alliance charnelle , terrestre & 
temporelle ; qui delivroit de la servitude 
[de] 
 
 de Pharao, tyran mortel & charnel ; 
qui conduisoit dans l'heritage terrestre 
de Canaan, qui sanctifioit la chair, qui 
rétablissoit l'homme dans le commerce 
d'un sanctuaire mondain, qui contenoit 
les ombres , & non le corps mesme du 
secret de Dieu ; qui n'étoit faite que 
pour vn temps,afin d'ẽtretenir l'enfance 
de l'Eglise sous les exercices de sa pedagogie, 
& qui devoit prẽdre fin apres cela ; 
& qui en vn mot étoit incapable d'amener 
ny les choses, ny les hommes a leur 
perfection. Ainsi quelque avantage que 
la nuë & la mer donnast aux Peres en 
les battisant en Moïse, il faut avouër, 
que si ces symboles mystiques ne signifioyent 
autre chose, ils ne les élevoyent 
pas dans la participation du bonheur, 
que nous cherchons en la Religion. 
C'est pourquoy l'Apôtre apres nous avoir 
representé cette premiere partie 
de la signification de ces symboles,nous 
propose l'autre bien plus sublime dans 
les deux autres signes qu'il ajoûte, assavoir 
la manne & l'eau du rocher. Car il 
dit, premierement de la manne,que c'étoit 
vne  viande spirituelle , & de l'eau du 
rocher pareillement , que c'étoit  vn  
[ breu- ] 
 
 breuvage spirituel . Il n'entend pas, que 
ce fussent des choses d'une nature incorporelle 
& immaterielle. Car la veuë 
& les autres sens, montroyent assez le 
contraire ; & plus encore l'vsage pour 
lequel on les prenoit, qui étoit de nourrir 
le corps, ce qui ne se peut faire que 
par le moyen d'vne substance materielle, 
& d'vne pasture semblable a celle de 
nos corps. Mais il appelle 
la manne & 
l'eau   vne viande spirituelle   &   vn breuvage 
spirituel  ; a cause de leur signification 
mystique & spirituelle. C'étoyent des 
sujets 
spirituels non en eux mesmes, mais 
dans les choses qu'ils signifioyent. C'est 
ainsi que S. Iean dit de la grand' Cité, 
qu'elle est appellée Sodome & Egypte  
                        
                            Apoc. II. 
8.
                      spirituellement , c'est a dire mystiquement. 
Mais l'Apôtre pour nous le faire mieux 
entendre touche icy brievement le 
mystere de ces choses , lors qu'ayant 
nommé 
 spirituel , le breuvage, que les 
Peres beuvoyent de la pierre, il ajoûte,  
 & la pierre étoit Christ  ; nous expliquant 
clairement, que nôtre Seigneur Iesus 
Christ est ce que signifioit le rocher, 
versant les eaux dont furent abbreuvez 
les Israëlites dans le desert. Car comme 
[me]   le rocher frappé du baston de Moïse, 
jetta une grande abondance d'eaux, 
claires & saines, qui garentirent ce pauvre 
peuple de la plus cruelle de toutes 
les morts, qui sans cela leur étoit inévitable ; 
de mesme aussi le Fils de Dieu 
fait homme pour nous, le vray Rocher 
de l'Eglise, ayant receu sur sa personne 
tres-sainte le coup mortel de la loy, 
c'est a dire la malediction , dont elle 
*  
                            Aug. 
ep. I02.
                        
                            
ad Evod. 
L.Locut.
                        
                       
                        
                            
de Gen. Locut.
                        
                        
                        
                            
I43. 
Quaest. 
in Pentat.
                        
                       
                        
                           
 Q. 57. in 
Lev.
                        
                       
                        
                            L.2. 
Quaest. 
ad Simpl. 
Q. 3 .
                            
                        
                        
                            L. 18. de 
Civ. D.c. 
48.
                            
                        
                        
                            L. 2. 
contr. 
Adv. leg. 
c. 6.
                            
                        
                        
                           
 Tract. 
63. in 
Ioann.
                        
                        
                        
                            
Serm. 
44
                        
                       
                        
                            de 
divers.
6.2I. 
                     menace les pecheurs, a répandu dans 
ce desert où nous languissons, la justice, 
la sagesse, la sanctification & la redemption, 
les divines & salutaires eaux, 
sans lesquelles nous ne pouvions eviter 
de perir eternellement. A cause de ce 
rapport de la pierre du desert avecque 
le Seigneur, S. Paul n'a point feint de 
dire, que 
 la pierre étoit Christ , selon le stile 
de l'Ecriture, tant de fois remarqué 
par S. Augustin, 
* & par plusieurs autres 
Theologiens anciens & modernes, 
de donner aux signes & aux sacremens 
les noms des choses mesmes qu'ils signifient. 
Ie ne m'arresteray pas icy a 
refuter l'erreur de ceux, qui contre l'intention 
toute evidente de l'Apôtre, qui 
est de nous parler du rocher d'Oreb, 
[ren-]   renversent l'ordre mesme de ses paroles 
sans aucune necessité, & luy font dire, 
que 
 Christ étoit la pierre , au lieu de ce 
qu'il a écrit, que 
 la pierre étoit Christ . Vne 
bonne partie des Interpretes mesme de 
la communion Romaine, abandonnent 
cette interpretation , & prennent les 
paroles de S. Paul, comme nous avons 
fait ; quelques vns des plus estimez reconnoissant 
mesme de bonne foy en ce  
                        
                            Estius
                        
                        
 sur ce 
lieu.
                     lieu, que quand le nom d'vn sujet est attribué 
a vn autre de differente nature, 
comme en ce lieu, il faut de necessité 
entendre l'vn des deux figurément & 
improprement. Et quant a ce qu'ils 
ajoûtent, que pour bien resoudre ces 
paroles de S. Paul, il les faut expliquer, 
non que la pierre signifioit Christ, mais  
 que la chose signifiée par la pierre étoit 
Christ , cela dis-je n'est de nulle importance , 
ne voyant pas qu'il y ayt au fond 
aucune diference entre ces deux interpretations. 
Il nous suffit, qu'ils avouënt, 
que cette proposition & les autres semblables 
se doivent prendre figurément 
& non proprement ; en quelque maniere, 
que l'on veuïlle en resoudre la figure, 
& en quelque partie de l'oraison qu'on 
[la]   
la mette. Au reste ce que l'Apôtre n'applique 
icy la signification mystique de 
Iesus Christ, qu'a la pierre seulement, 
ne l'exclut pas des autres symboles qu'il 
a nommez ; Au contraire en nous ouvrant 
le sens de cette  pierre spirituelle , 
il nous apprend a entendre les autres, 
tout de mesme , puis que la nature en 
est toute semblable. Comme la viande 
des Peres par exemple, c'est a dire la 
manne, qu'il a aussi nommée  spirituelle . 
Cette ancienne manne  étoit aussi Christ  
sans doute , le pain descendu du ciel 
dans nôtre desert pour donner la vie eternelle 
aux hommes, comme le Seigneur 
nous le montre au long dans le sixiesme 
chapitre de S. Iean.Et selon cette 
analogie, il faut dire le mesme de la 
nuë & de la mer en laquelle les Israëlites 
furent battisez.Cette nuë étoit aussi 
 Christ , l'vnique rafraischissement & l'vnique 
protection du vray Israël ; la vraye 
nuë, qui l'éclaire dans ses adversitez, qui 
le conduit dans ses voyages, qui ne l'abandonnera 
jamais jusques a ce qu'il soit 
entré dans sa Canaan mystique. Enfin la 
mer rouge des anciens étoit aussi nôtre 
Christ, qui a sauvé les fideles & abysmé 
[leurs] 
 
leurs ennemis dans vn mesme sang, celuy 
qu'il répandit sur la croix. Ainsi 
vous voyez chers Freres, que Dieu par 
vne admirable sagesse a tellement formé 
les gages de son amour donnez aux 
Israëlites, que si d'vne part ils les battisoyent 
en Moïse confirmant la verité de 
sa vocation, afin qu'ils receussent l'alliance 
charnelle qu'il alloit traiter avec 
eux ; de l'autre ils contenoyent de beaux 
& excellens crayons de Iesus Christ, & 
de sa nouvelle alliance spirituelle & éternelle. 
Mais delà mesme paroist, que 
si l'Eglise Iudaïque a cause de son enfance 
étoit encore sujette a la pedagogie 
de la Loy, elle ne laissoit pas pour 
cela d'estre heritiere des vrays biens de 
Dieu, & d'avoir part en Iesus Christ, 
qui nous les a acquis en son temps. Car 
l'Apôtre nous enseigne icy clairement, 
que leurs sacremens étoyent aussi en 
quelque sorte les sacremens de Iesus 
Christ ; puis qu'il dit, que la pierre d'où 
ils beuvoyent, étoit Christ. Dieu est fidele. 
Il ne represente rien en vain a son 
peuple, & ne manque jamais de tenir 
& d'accomplir ce qu'il promet, ou qu'il 
declare, soit par sa parole, soit par ses signes, 
[gnes,] 
 a ceux qui les reçoivent avecque 
la foy & la reverence, qu'il leur demande. 
Il ne faut donc point douter, que 
ceux des Israëlites, qui rendirent alors 
au Seigneur la foy , l'amour, le respect 
& l'obeïssance, que meritoyent ces admirables 
témoignages qu'il leur donnoit 
de sa grace , ne receussent le pardon 
de leurs pechez, la paix de la conscience, 
la joye & la consolation de 
l'Esprit, avecque le droit de la vie celeste, 
que la mort de Iesus Christ nous a 
meritée ; le tout dans vne mesure proportionnée 
a la bassesse de l'age où étoit 
alors l'Eglise. I'avouë qu'ils n'avoyent, 
qu'vne connoissance fort generale & 
fort confuse de Christ. Mais pourveu 
qu'ils s'acquittassent sincerement des 
devoirs,que Dieu leur demandoit alors, 
l'imperfection de leur connoissance 
étant involontaire & innocente, ne les 
empeschoit pas de toucher ce qu'il leur 
falloit des biens de Christ. Et puis qu'il 
est l'
 Agneau immolé dés la fondation du  
                            
                                Apoc. I3. 
8.
                            
                                Hebr. I3. 
8.
                         
 monde   ,   mesme hier & aujourd huy & eternellement, 
l'vnique principe & l'vnique 
source de tous les biens spirituels, qui 
ont jamais esté communiquez aux pecheurs ; 
[cheurs;]   il est clair qu'il faut ou nier 
contre l'expresse & evidente lumiere 
des Ecritures , que les Peres ayent eu 
part a la vie eternelle , & aux biens spirituels, 
qui nous y conduisent, ou confesser 
que c'est par la grace de Christ, 
qu'ils y ont eu part. D'où il s'ensuit 
qu'ayant receu des graces acquises au 
prix du sang de Christ,on peut fort bien 
dire en ce sens, qu'
 ils ont beu le sang 
de Christ  ; Comme David autresfois disoit 
de l'eau, que trois de ses gens-d'armes 
avoyent puisée au grand peril de leur 
vie dans vne citerne de l'ennemy, que 
c'étoit 
 leur sang ; Boiray-je, disoit-il, le  
 
                            2. Sam. 
23.I7.
                          sang de ces hommes là ? Et néantmoins 
ces gens là n'y avoyent perdu aucune 
goute de leur sang ; Ils s'étoyent seulement 
mis en danger de le perdre. Combien 
plus fortement pouvons nous dire 
de chacune des graces de Iesus Christ, 
que c'est 
son sang, & des ames , qui les 
reçoivent & les goûtent pour leur rafraischissement 
spirituel ; qu'
elles boivent 
son sang , puis que ces graces luy coûtent 
en effet tout son sang , qu'il a répandu 
sur la croix, pour les acquerir par ce 
grand prix ? Le dessein de l'Apôtre 
[nous]   
nous oblige a prendre ainsi ses paroles. 
Car de cet exemple des Peres, 
qui pour avoir receu des signes si excellens 
de l'amour de Dieu, n'ont pas laissé 
d'estre severement punis, quand ils en 
ont abusé, il veut conclurre, que sous 
ombre que nous avons reçeu les sacremens 
de Iesus Christ, nous ne devons 
pas presumer, que si nous en abusons 
nôtre ingratitude doive demeurer impunie. 
Or l'induction ne sera pas bonne , 
si vous ne supposez, que les Peres 
avoyent leur part aux sacremens de 
Christ, & a ses biens. Et en effet vous 
voyez que l'Apôtre pour le montrer, a 
expressement choisy d'entre les symboles 
des Peres ceux qui ont le plus de 
rapport a nos sacremens ;  la nuë & 
la mer , avec nôtre battesme ; la manne & 
la liqueur du Rocher,avecque le pain & 
la coupe de sa sainte Cene ; comparant 
ainsi ensemble les declarations de l'amour 
de Dieu, qu'il a données a l'vn & 
a l'autre peuple. Ayant donc representé 
les admirables témoignages dont 
Dieu avoit tous battisez en Moïse par la nuë 
& par la mer, qu'il avoit tous nourris de 
[sa] 
 sa manne, & abbreuvez de l'eau de son 
Rocher , symboles & figures de son 
Christ ; il ajoûte enfin dans la seconde 
partie de nôtre texte, qu'avec tout cela, 
il en avoit rejetté & puny vn grand 
nombre. 
 Mais (dit-il) Dieu n'a point pris 
plaisir en plusieurs d'entr'eux. Car ils ont 
été accablez dans le desert . 
   Il n'a point pris 
plaisir en eux  ; c'est a dire qu'il ne les 
eut pas agreables , mais que tout au 
contraire ils luy dépleurent grandement ; 
ce qu'il montre par la punition 
qu'il en fit ; 
 Car ils furent (dit-il) accablez 
dans le desert . C'est justement la peine, 
que Dieu leur denonce expressement 
dans le livre des Nombres. 
 Vos corps 
 
                            
                                Nomb. 
I4. 29.
                         (leur dit-il) tomberont dans ce desert  , Ils 
furent exclus du pays de Canaan. L'Apôtre 
nous laisse a sous-entendre ce que 
l'histoire sainte nous apprend, que ces 
miserables avoyent allumé contre eux 
cette colere du Seigneur , & attiré ce 
juste jugement sur eux par leur ingratitude 
& incredulité épouvantable, ayant 
aprés tant de tesmoignages qu'il leur 
avoit donnez de sa faveur, murmuré diverses 
fois contre luy & contre ses serviteurs, 
& commis vne infinité d'autres 
[cri-]   crimes avec vne opiniastreté & vne dureté 
de cœur incroyable ; 
 Ils ont veu ma 
                            
                                Nombr. 
I4. 22.
                         
 gloire (dit le Seigneur,en leur faisant leur 
procez) & les signes que j'ay faits en Egypte, 
& dans le desert, & apres cela ils m'ont desja 
tenté par dix fois, & n'ont point obey a ma 
voix . Voyla leur crime , & en voicy la 
peine ; 
 Ils ne verront jamais (dit-il) le 
pays, que j'ay juré a leurs Peres de leur donner. 
Pas vn de ceux, qui m'ont irrité par 
mépris, ne le verra. Ce jugement fut punctuellement 
executé , comme il avoit 
été prononcé. Le grand nombre de ces 
criminels est aussi vn argument de la juste 
severité de Dieu ; & c'est la raison 
pourquoy l'Apôtre l'a expressement 
touché, disant que 
 Dieu ne prit point plaisir 
en plusieurs, ou en la pluspart d'entr'eux . 
*  Έν 
ϖλείοσιν
                        
αίτων
                        
                        
                            Nombr.
                            
I4. 29.
                            
30.
                     Car l'histoire sainte nous raconte, que 
de tous ceux qui étoyent sortis d'Egypte, 
a l'age de vingt ans & au dessus, qui 
faisoyent sans doute vne grande multitude, 
il n'y eut que deux hommes, sçavoir 
Iosué & Caleb, qui ne demeurassent 
enveloppez dans ce jugement. Voyla 
le tableau de la grande bonté de Dieu 
envers nos Peres, & de sa juste severité 
contre ceux, qui abusant de ses faveurs 
[veurs,]   
l'offensent en méprisant ses loix 
& s'abandonnant aux folles & injustes 
passions de leur chair. Au nom de Dieu, 
Freres bien aymez faisons en nôtre 
profit. Ne nous fions point a cette exterieure 
profession, que nous faisons de 
son service, ny a la part que nous avons 
a l'ouïe de sa parole, & aux sacremens 
sensibles de sa grace. Tout cela ne nous 
servira de rien ; il nous nuira mesme 
beaucoup, si le cœur & le dedans de nôtre 
vie n'y répond : C'est une vieille erreur, 
presque commune a tous les siecles 
& a tous les climats du genre humain , 
de s'imaginer qu'il suffit pour ne  
perir point, de porter les marques de la 
religion, & d'en avoir receu les symboles 
exterieurs. Ie laisse là les erreurs des 
Iuifs en cét endroit , qui sont si souvent 
notez & censurez par les Prophetes. 
Mais qui se seroit imaginé, que dans l'Eglise 
Chrétienne, qui a reduit toute l'adoration 
de Dieu a l'esprit & a la verité, 
& qui abolissant les ceremonies, & les 
cultes charnels du premier peuple, ne 
nous a chargez d'autre service, que d'vne 
pure & sincere sanctification de 
corps & d'esprit, vn abus si grossier peust 
[en-] 
 encore treuver ce lieu ? Et néantmoins 
la verité est , qu'il s'y fourra bien tost. 
S. Augustin nous témoigne que de son 
temps il y avoit des gens, qu'il reconnoist 
                        
                            Aug.de 
Civ.D. L. 
21.c.I9.
                     ailleurs pour estre de la communion 
de l'Eglise Catholique, qui abusant 
du nom de ces deux sacremens si purs & 
si simples, que le Seigneur nous a instituez, 
promettoyent la vie eternelle a 
quiconque en a été une fois participant ; 
en quelque secte , heresie, ou impieté 
qu'ils vivent sur la terre. Qu'il y en avoit 
                        
                            ibid. c. 20.
                     d'autres qui resserroyent vn peu 
leur indulgence , ne donnant le salut, 
qu'a ceux qui auront receu les sacremens 
dans l'Eglise orthodoxe & Catholique, 
& non chez les heretiques ; Que 
d'autres demandoyent encore qu'vn 
homme pour estre sauvé demeurast jusques 
a la fin dans la communion de l'Eglise , 
                        
                            ibid. c. 2I.
                     quelque mal qu'il vesquist quant 
au reste ; seulement disoyent ils qu'avant 
que d'entrer , dans l'heritage celeste, 
il luy faudroit souffrir pour quelque 
temps les tourmens des damnez ; & 
                        
                            ibid. c. 23.
                        Voyez 
aussi 
                        
                            Enchir. 
c 67.
                        
                     d'autres enfin, qui flattoyent d'une pareille 
esperance ceux,qui donnent l'aumosne 
quelque meschantes & corrompuës, 
[puës,]   que soyent leurs mœurs ; Et ne 
croyez pas qu'il n'y eust que quelques 
ignorans du menu peuple , qui eussent 
ces fantaisies si étranges. Il en paroit des 
traces bien claires dans quelques vns 
mesmes des Docteurs, dont les écrits  
* 
                            Hier. a 
la fin de 
son comment. 
sur Esaïe.
                        
                         Et 
                        
                            
L. I. cõtr. 
Pelag. 
T.2.p.97. 
med.
                        
                         & 
dans 
                        
                            S.
 Ambr. le 
commẽt. 
sur I. Cor. 
3.I5. & 
2.
                                Tim.2.
26.
                        
                         & dãs 
                        
                            
S. Aug. 
les 
Quaest. sur le V. 
Test. Q. 
III. I26.
                        
                       
                        
                            Le Cõc.6. 
de Paris 
rapporte 
& refute 
cette erreur.
                                
L.2.
c.9.T.2. 
des Conc. 
des Gaul.
                        
                     sont venus jusques a nous. 
*Et il y a grand 
apparence, que de la troisiesme & quatriesme 
erreur, s'est peu a peu formée 
entre les Latins l'opinion du Purgatoire, 
en les ramenant vn peu des extremitez 
où elles s'emportoyent , & resserrant 
les excés de leur indulgence. Au 
moins est il bien certain, par les choses 
que S. Augustin rapporte que les vns 
& les autres bâtissent leurs doctrines sur 
les mesmes fondemens & abusent des 
mesmes passages pour les soûtenir. Mais 
S. Paul refute icy clairement ces opiniõs 
& les vaines esperances dont se flattent 
les Chrétiens charnels. Il établit par l'exemple 
de ces anciens Israëlites, qu'en 
quelque lieu, & en quelque communion, 
que nous ayons receu les declarations 
de la grace de Dieu en Iesus Christ, c'est 
a dire sa parole & ses Sacremens, nous 
n'entrerõs pas pour cela dans son royaume, 
si nous n'en avons fait nôtre profit, 
[vi-]   vivant sincerement & constamment 
dans la foy de sa verité & dans l'obeïssance 
de sa discipline. Car comme le 
desert des peres étoit la figure de cette 
terre où nous vivons, ainsi le pays de 
Canaan où ils alloyent, étoit le type du 
royaume celeste auquel nous aspirons. 
Comme donc ceux des Israëlites , qui 
après avoir veu & receu les anciens sacremens 
de Moïse, tenterent Dieu & 
murmurerent contre luy, & desobeïrent 
a sa voix, furent exclus pour jamais du 
pays promis a leurs peres ; Pas vn d'eux 
ne le vit, ny avec Iosué & Caleb, ny depuis ;  
il faut tenir pour certain & indubitable, 
que tout de mesme maintenant 
des Chrétiens charnels, qui aprés avoir 
participé aux sacremens de la nouvelle 
alliance menent vne vie mondaine & 
scandaleuse, pas vn n'entrera dans le 
royaume celeste, ny au sortir de ce siecle 
ny en l'autre. Ce n'est pas icy seulement 
que l'Apôtre explique ainsi cette 
ancienne figure ; Il l'entend tout de 
mesme dans le troisiesme chapitre de 
l'epitre aux Ebreux ; Concluant de l'exemple 
                        
                            Hebr. 3. 
& 4.
                     des incredules & murmurateurs 
d'Israël exclus du repos de Dieu en Canaan, 
[naan,]   que ceux des Chrétiens qui se seront 
endurcis par la seduction du peché, 
seront pareillement privez pour jamais 
du grand & bien - heureux repos , que 
nous attendons dans le royaume de Iesus 
Christ. S. Iude nous represente 
semblablement ce vieux exemple avecque  
                        
                            Iud.4.5.
                     le mesme dessein, 
 Vous sçavez (dit-il)  
 que le Seigneur ayant delivré le peuple 
du Pays d'Egypte, detruisit puis apres ceux 
qui n'avoyent point creu   , pour nous apprendre, 
que tous ceux, qui dans la profession 
du Christianisme, auront vescu 
sans pieté & changé la grace de Dieu en 
dissolution, tomberont inevitablement 
dans vne semblable destruction & dannation. 
Mais le Sauveur du monde prononce 
encore plus clairement, que pour 
entrer en son royaume, il ne sert de rien 
de luy dire, 
 Seigneur, Seigneur , c'est a dire 
de faire profession de la bouche de le 
reconnoistre pour nôtre Maistre si 
 avec 
cela nous ne faisons la volonté de son Pere 
celeste , qui est nôtre sanctification que 
nous vivions saintement & innocemment : 
sans cela nos sacremens nos discours, 
nos sciences, nos miracles mesmes, 
quand nous en ferions autant que 
[ses]   ses Apôtres, ne nous serviront de rien. 
A ceux qui luy allegueront simplement, 
qu'ils ont receu son battesme & participé 
a sa table sacrée,& écouté son Evangile 
dans les assemblées de son peuple, 
mais ce qui est bien plus encore, qu'ils 
ont mesmes prophetisé, jetté hors les 
                        
                            Math. 7. 
21.22.23
                     diables & fait plusieurs vertus en son nom, 
il répondra, comme il nous le dit 
dans le mesme lieu ; 
 Ie ne vous ay jamais 
connus, Departez vous de moy, ouvriers d'iniquité . 
Prenons donc garde a nous Freres 
bien aymez , & faisant état selon 
cette doctrine divine , que personne 
sans la sanctification ne verra Dieu & 
le royaume de son Fils, cheminons devant 
luy avec reverence & nous employons 
a nôtre salut avec crainte & 
tremblement ; renonçant a l'impieté & 
aux convoitises mondaines, & purifiant 
nos ames & nôtre conversation entiere 
de toutes les ordures du vice, afin que 
nôtre Sauveur nous avouë & reconnoisse 
pour ses vrays Israëlites a qui il donnera 
sa paix, sa vie & sa gloire. 
Amen.