LES FRUITS
DE LA
REPENTANCE.
OU
SERMON
SUR CES PAROLES
DE SALOMON :
Il y aura propitiation pour l'iniquité, par
gratuité & verité : Et par la crainte de
l'Eternel, on se détourne du mal . Quand
l'Eternel prend plaisir aux voyes de l'homme,
il appaise mesme envers luy ses ennemis .
Proverb. 16. v. 6. & 7.
MES FRERES,
Dieu devant qui nous sommes aujourd'huy
humiliez, est appellé dans l'Ecriture sainte,
non seulement un Dieu juste, un Dieu vangeur
& un feu consumant, mais aussi un Pere
de misericorde, & un Dieu d'esperance.
Cela veut dire qu'encore que souvent il deploye
ses châtimens sur les hommes, & qu'il
le fasse mesme quelquefois d'une maniere
éclatante & terrible ; il est pourtant toûjours
un Dieu bon, tendre, pitoyable, de facile accez,
prompt à s'appaiser envers ceux qui l'invoquent,
un Dieu enfin qui ne manque jamais
de pardonner & de distribuer des graces,
dés que l'on se convertit à luy.
Ie suis
Ezech.
33. 11.
vivant, dit-il luy-mesme, je ne prens point
plaisir à la mort du pecheur, mais qu'il se convertiße
Malac.
3. 18.
& qu'il vive .
Convertissez-vous, dit
son Prophete Malachie, & vous verrez la
difference qu'il y-a entre le juste & le méchant,
entre celuy qui sert Dieu, & celuy qui ne le sert
pas . Toute l'Ecriture est pleine de ces declarations,
& en effet la repentance est une
action si sainte & si agreable à Dieu, qu'il
n'est pas possible qu'elle demeure sans fruit.
Dans cette veuë JESUS CHRIST disoit au
cinquiéme chapitre de saint Mattieu,
Bienheureux
sont ceux qui menent deüil, car ils seront
consolez. Vous voyez bien qu'il ne parle
pas des afflictions des mondains. Ces gens-là
ne peuvent recevoir aucune solide consolation
dans leurs maux. Il parle de ceux qui
s'affligent devant Dieu pour la grandeur &
pour le nombre de leurs fautes, & qui estant
vivement touchez en leur conscience des pechez
qu'ils ont commis, sentent à peu prés
les mesmes agitations que David a senties, &
qu'il a si naïvement exprimées dans les Pseaumes
de sa Penitence.
O Dieu, dit ce Prophete,
aye pitié de moy selon ta gratuité, & selon
Ps. 51. 3.
4. 5.
la grandeur de tes compassions efface mes offenses.
Lave voy de mon iniquité, & me nettoye
de mon peché. Car je connoy mes fautes, & mon
peché est continuellement devant moy .
Il-n'y-a
rien d'entier en ma chair à cause de ton indignation,
Ps. 38 4.
je n'ay nul repos en mes os à cause de
mon peché . Certainement quand on est dans
cet état la consolation n'est pas loin. Dieu
ne tarde pas à nous rendre la joye de son salut,
il écoute la voix de nos larmes, il ne méprise
point le cœur froissé, il rétablit les os qui
sont brisez. Mes freres, cet état d'affliction est
celuy-là mesme où nous supposons que vous
estes à present, & aprés le soin que vous avez
pris de vous rendre dans ce Temple, aprés
ce qu'on vous-y-a déja dit, & que vous avez
écouté avec beaucoup d'attention, & comme
je l'espere, avec beaucoup de reflexion,
nous ne croyons pas que cette supposition
soit temeraire ou déraisonnable. Dieu veüille
que nous ne soyons pas trompez. Mais
apres tout quelle apparence y-a-t-il que nous
le soyions ? Vous n'estes ni assez insensibles
pour contempler de sang froid l'idée de tant
de malheurs qui nous accablent, & de tant
d'autres qui nous menacent, ni assez aveugles
pour ne pas voir que tous ces malheurs
procedent de nos dereglemens. Vous ne craignez
point si peu le Dieu que vous faites profession
de servir, que de propos deliberé vous
voulussiez aujourd'huy attirer sur vous sa derniere
malediction par des soupirs affectez, &
par des contenances d'hypocrites. Et enfin
vous n'estes pas assez perdus pour vous faire
de la parole de Dieu un fiel tres-amer, & un
lien d'iniquité. Non sans doute, nous avons
de meilleurs sentimens de vous. Et pour ce
qui regarde Dieu nostre Createur & nostre
Maistre, comme il est le Dieu de toute chair
& de tout esprit, il ne vous aura pas refusé sa
grace si vous la luy avez demandée. Il nous
envoye vers vous, & puisqu'il veut bien se
servir aujourd'huy de nostre ministere pour
vostre conversion, c'est un signe qu'il l'attend,
& qu'il la desire. Je suis d'ailleurs persuadé
qu'il n'a point dit au funeste Ministre
Esa. 6.
10.
de ses jugemens :
Va engraiße le cœur de ce
peuple, afin qu'en voyant ils ne voyent point, &
qu'en oyant ils n'entendent point, de peur qu'ils
ne se convertissent & que je les guerisse. Non
mes freres, il ne nous a pas abandonnez jusqu'à
ce point. Quelques pecheurs que nous
soyions, nous sommes encore son peuple, &
quelque irrité qu'il soit contre nous, il est encore
nostre Dieu. J'en suis assûré, & c'est
dans cette assûrance que j'ay choisi le texte
que je viens de lire, pour en faire le sujet de
cette derniere action, Il y aura propitiation
pour l'iniquité par gratuité & verité ; Et par la
crainte de l'Eternel on se détourne du mal.
Quand l'Eternel prend plaisir aux voyes de
l'homme, il appaise mesme envers luy ses ennemis.
C'est la parole de la grace que je vous
annonce. Elle r'assemble les trois principaux
effets que nous devons esperer de nostre Jeusne ;
Le premier à l'égard de Dieu, Il y aura
propitiation pour l'iniquité par gratuité & verité ;
Le second à l'égard de nous-mesmes,
Par la crainte de l'Eternel on se dètourne du
mal ; Le troisiéme à l'égard de ceux qui ne
nous aiment pas, Quand Dieu prend plaisir
aux voyes de l'homme il appaise mesme envers
luy ses ennemis. Ce sont là les trois Points
dont j'auray à vous entretenir. Ils répondent
aux trois principales causes de cette extraordinaire
devotion, qui sont la colere de Dieu,
nos pechez, & nos afflictions. Dieu nostre
Sauveur & nostre Pere veüille répandre sur
cette assemblée un nouveau rayon de son
saint Esprit, & de sa lumiere celeste, afin
d'achever en nous l'œuvre de sa grace, à la
gloire de son nom & à l'avancement de nostre
salut. Amen.
Le premier fruit que nous devons attendre
de nostre repentance & de nostre humilité,
c'est le pardon de nos pechez, Il y aura propitiation
pour l'iniquité. Le sens de ces paroles
est clair. Elles signifient que Dieu s'appaisera
envers nous, qu'il se reconciliera à
nous, & qu'en nous remettant les offenses
que nous luy avons faites, il nous redonnera
son amour & sa paix. Comme le plus
grand de nos malheurs est sa colere, le plus
grand aussi de nos biens est le retour de sa faveur,
& non seulement c'est le plus grand de
nos biens, mais c'est le principe ou la source
de tous les autres biens, ou pour mieux dire,
c'est ce qui donne à tous les autres leur qualité
de biens. Car sans la paix de Dieu, la possession
de tout le monde n'est rien. C'est elle
qui donne le prix & le poids à tout le reste,
elle fait le repos & la joye de la vie, elle est
nostre unique consolation dans la mort, & le
fondement de l'esperance que nous avons d'une
felicité eternelle apres la mort.
Au reste bien que cette doctrine de la propitiation
de Dieu soit de Salomon, elle est
pourtant Chrétienne & Evangelique, non
Mosaïque ou legale. La Loy considerée en
elle-mesme n'admettoit point de repentance,
ni ne promettoit de pardon. Agissant avec
les hommes comme s'ils eussent esté dans l'integrité
de leur nature, & les supposant au
mesme état que Dieu les avoit crées au commencement,
elle se renfermoit uniquement
dans les moyens de conserver l'amour & la
communion de Dieu, sans toucher en nulle
maniere à nostre reconciliation avec luy
quand nous l'avons offensé. Toutes les fois
donc que vous trouvez dans l'ancien Testament
des expressions semblables à celle-cy,
comme il-y-en a une infinité qui marquent
le pardon des pechez, il faut toûjours se souvenir
que c'est un Evangile anticipé, ou si
vous voulez des semences de grace mélées
parmy la Loy pour en temperer les rigueurs,
& il les faut entendre par rapport au sang de
nostre Seigneur JESUS-CHRIST, en qui
elles sont toutes fondées, puis qu'il est
le mesme
hier & aujourd'huy & eternellement. Hors
Hebr.
13. 8.
de la communion de ce Redempteur, & de
la participation de son Sacrifice il n'y-a que
desolation & mort eternelle pour les pecheurs.
La decision formelle de l'Ecriture
est,
qu'il n'y a point de salut en aucun autre ;
Act. 4.
12.
nul autre nom sous le Ciel, par lequel on puisse
estre sauvé. Saint Paul declare
que Dieu l'a
Rom. 3.
24.
ordonné de tout tems pour propitiatoire par la
foy en son sang , & luy-mesme assûre
qu'il est
Iean.
14. 6.
la voye, la verité & la vie, & qu'on ne vient au
Pere que par luy .
Mais si JESUS CHRIST seul est nostre
propitiation, si la remission de nos pechez ne
se trouve qu'en luy, il faut reconnoître aussi
qu'elle se trouve en luy si pleinement & si parfaitement
qu'on ne sauroit rien concevoir de
plus parfait.
Il est puißant, dit l'Apostre, pour
Hebr.
7. 25.
sauver à plein tous ceux qui s'approchent de
Dieu par luy. Premierement donc il est nostre
propiciation pour toute sorte de pechez de
quelque nature & de quelque qualité qu'ils
soient, & vous ne trouverez que le seul peché
contre le saint Esprit pour qui l'Ecriture
dise qu'il n'y a point de pardon, & qui soit
excepté de l'étenduë du Sacrifice de Jesus
Christ. En second lieu il est nostre propiciation
non seulement pour les pechez
commis avant nostre premiere conversion,
mais il l'est encore pour ceux que nous commettons
dans la suite, pour ceux qui suivent
nostre premiere justification, de mesme que
pour ceux qui la precedent. En effet puis que
nous pechons tous les jours, & que tous les
jours nous avõs besoin d'obtenir de nouvelles
graces, que nous serviroit un premier pardon,
s'il n'y en avoit un second, & apres le second
un troisiéme, & jusqu'à la fin de nos jours ? La
forme de l'alliance que Dieu a traitée avec
nous par son Fils confirme cette verité,
Ie
vous pardonneray, dit-il, comme un bon Pere
Malac.
3. 17.
pardonne à ses enfans qui le servent. Ces paroles
supposent que nous sommes enfans de
Dieu, & que nous le servons en cette qualité,
mais parce qu'elles supposent aussi qu'en
le servant nous faisons beaucoup de fautes
contre le devoir des enfans, elles declarent
en mesme tems que Dieu use d'indulgence
envers nous, & que son indulgence s'étendra
jusqu'à la fin de nostre vie. Remarquez je
vous prie ce qu'il dit luy-mesme touchant
JESUS CHRIST son Fils au
Pseaume quatre-
vingt-neuviéme ,
Si ses enfans, dit-il,
laissent ma Loy, & qu'ils ne marchent pas
selon mes Ordonnances, s'ils violent mes Statuts
& ne gardent pas mes Commandemens, je
visiteray de verge, leur transgression & de playe
leur iniquité. Mais je ne retireray point de luy
ma gratuité, & ne luy faußeray point ma foy.
Ie ne violeray point mon alliance, & ce qui est
sorti de mes lévres, je ne le changeray point . Il
y-aura donc propitiation en la communion
de JESUS CHRIST non simplement pour
les premieres iniquitez, ou pour les secondes,
mais pour l'iniquité en general. En quelque
tems que ce soit, fust-ce mesme au dernier
de nos soûpirs, & de quelque nature que
soient nos pechez, si nous recourons à Dieu
par une vraye repentance, il-y-aura propitiation.
Salomon ajoûte que ce sera par gratuité &
verité . Quelques Interpretes entendent par
cette gratuité & cette verité, la gratuité & la
verité de Dieu mesme ; c'est-à-dire sa clemence
& sa fidelité, sa misericorde & sa constance
ou sa fermeté dans l'accomplissement de
ses promesses. Il est certain que ce sont-là les
principes ou les sources perpetuelles de nostre
reconciliation avec luy. La creature pecheresse
ne peut jamais ni satisfaire à Dieu pour
ses pechez, ni meriter le retour de sa faveur ;
& la repentance elle-mesme, quoy qu'elle
luy soit tres-agreable, ne sauroit produire de
si grands effets. La repentance ne peut estre
une satisfaction suffisante à la justice divine :
car elle ne donne à Dieu que des soûpirs &
des larmes, & sans effusion de sang il-n'y-a
point de remission de pechez. Outre cela nos
soûpirs & nos larmes, & nostre sang mesme,
quand nous le répandrions devant Dieu, sont
d'un prix trop bas, pour estre une veritable
satisfaction. Mais d'ailleurs que donne à Dieu
la repentance qui ne luy fust dû avant mesme
que le peché eust esté commis. Une horreur
extréme pour le crime, une condamnation
expresse contre celuy qui le commet,
une amour ardente pour la sainteté, un desir
entier de la suivre desormais, sans s'en éloigner
en nulle maniere ; c'est-ce que la repentance
donne à Dieu, mais c'est aussi ce
que tout homme luy doit naturellement,
avant mesme qu'il ait peché. La repentance
ne peut donc pas satisfaire suffisamment à la
justice. Elle peut encore moins meriter : car
outre qu'il-y-a toûjours entre Dieu & nous
une distance infinie, qui ne laisse nul lieu à
nostre merite, quel merite peut-il y-avoir
dans le sentiment & dans la confession d'une
misere qui nous rend dignes de la mort eternelle ?
Il faut donc avouër que Dieu nous
pardonne nos pechez, & qu'il se reconcilie
avec nous, par sa pure misericorde, sans satisfaction,
& sans merite de nostre part. Mais
comme les actes de sa misericorde dépendent
uniquement de son bon plaisir, & de cette
liberté souveraine qui luy fait dispenser ses
graces à qui il luy plaist, & quand il luy
plaist, il faut reconnoître aussi que ce qu'il
nous pardonne ne vient que de ce qu'il s'y est
luy-mesme volontairement engagé par les
promesses de son alliance, qui sont fermes &
inviolables. D'où il s'ensuit que c'est non
seulement par sa gratuité, mais aussi par sa
verité, c'est-à-dire par sa fidelité qu'il se reconcilie
avec nous. C'est l'explication que
quelques Interpretes donnent aux paroles de
Salomon.
Mais quoy qu'il-n'y-ait rien-là qui ne soit
bon & Evangelique, je croy pourtant qu'il
est beaucoup mieux de rapporter cette gratuité
& cette verité non à Dieu, mais à l'homme
à qui Dieu pardonne ses pechez. Cela me
semble plus conforme au stile de Salomon :
car il est vray que dans ce livre des Proverbes,
il s'attache beaucoup plus à marquer
les vertus morales de l'homme, qu'à representer
ce que nous appellons les attributs divins.
Il veut donc dire que Dieu ne pardonne
les pechez qu'à ceux qui ont revestû un esprit
de gratuité & de verité ; c'est-à-dire de
charité & de sincerité. Il faut estre bon, misericordieux
& charitable envers nos freres,
si nous voulons que Dieu le soit envers nous.
Iacq. 2.
13.
Dans ce sens saint Jaques a dit que
jugement
sans misericorde, sera sur celuy qui n'aura point
usé de misericorde ; & nostre Seigneur mesme
Matth. 5.
7.
avoit dit avant saint Jaques
que les misericordieux
sont bien heureux, parce que misericorde
leur sera faite . Mais outre cela il faut que
nostre conduite soit franche, sans feinte &
sans fraude, si nous voulons obtenir de Dieu
la remission de nos offenses.
Il déploye, dit
Ps. 36.
11.
David, sa gratuité sur ceux qui le connoissent
& sa justice sur ceux qui sont droits de cœur :
Ps. 5. 7.
L'Eternel, dit il ailleurs, a en abomination
l'homme de sang & le trompeur. N'avez-vous
jamais fait reflexion sur ce que ce mesme
Prophete a écrit au
Pseaume dix-huitiéme,
Eternel tu uses de gratuité envers celuy qui use
de gratuité, tu es entier à celuy qui est entier,
mais tu es severe envers celuy qui est dur. C'est
à peu prés ce que Salomon dit icy,
Il y-aura
propitiation par gratuité & verité. Dans la
premiere creation Dieu fit l'homme à son
image, mais dans la dispensation de sa grace,
il semble, si je l'ose ainsi dire, qu'il se fait
luy mesme à l'image de l'homme, il est misericordieux
envers les misericordieux, fidele
& veritable envers les sinceres & les veritables.
Voyla le sens de cette premiere partie
de nostre texte.
La seconde n'est pas bien difficile à entendre,
Et par la crainte de l'Eternel on se détourne
du mal. La crainte de l'Eternel est en general
cette vertu que nous appellons la religion
ou la pieté, cette premiere & principale
partie de nostre morale qui regarde immediatement
le culte ou le service de la Divinité.
Les Hebreux n'ayant point de terme propre
pour exprimer ce bon & saint état de l'ame
envers son Dieu, que nous nommons d'un
seul mot, religion ou pieté, ils l'appellent
d'ordinaire la crainte de l'Eternel. En particulier
ce terme signifie aussi trois mouvemens
de la conscience de l'homme ; sçavoir, la
frayeur des jugemens divins, le respect de sa
souveraine Majesté, l'apprehension de l'offenser
& d'encourir son indignation. C'est
craindre Dieu que de trembler à la veuë de
ses supplices & de ses châtimens. C'est le
craindre que de s'aneantir aux pieds du trône
de sa gloire. Et c'est le craindre enfin que de
nous défier sans cesse de nostre propre fragilité,
& d'estre épouvantez de l'idée de sa disgrace
ou de sa colere. Il est donc bien aisé
de penetrer dans le sens de Salomon. Il veut
dire que ce sont là les seuls veritables principes
qui détournent l'homme du peché, &
si cette crainte de Dieu ne sanctifie le cœur il-
n'y-a rien qui soit capable de le sanctifier. La
bonté du temperament, les preceptes de la
Philosophie, une bonne naissance, une heureuse
éducation, les bons exemples, la rigueur
des loix humaines, plusieurs années d'experience,
tout cela ne sauroit produire l'effet
dont il s'agit. Si vous en demandez les raisons,
je puis vous en donner deux ; L'une est
parce que tous ces principes ne peuvent jamais
estre assez forts pour vaincre la corruption
de nostre nature. Ils peuvent en quelque
sorte la combattre & la reprimer, luy
servir de frein, ou si vous voulez de digue pour
arréter ses débordemens & ses excez. Mais
ce ne sont pas des principes capables de convertir
l'homme, c'est-à-dire, de le transformer,
de le regenerer, de le resusciter d'entre
les morts, & en un mot d'en faire une nouvelle
creature. De si grands effets ne sont dûs
qu'à la crainte de Dieu. La seconde raison
est que quand ces principes produiroient en
nous tout ce qui'ils prétendent, ils ne sauroient
former une veritable vertu, parce
qu'ils ne l'inspirent pas. Ils inspirent tout au
plus une certaine honnesteté morale & civile,
pour ne rien faire qui soit indigne de l'excellence
de nostre nature, ou qui choque le
commerce que nous avons les uns avec les autres.
Mais ce n'est pas là la veritable vertu.
Il-n'y-a point de veritable vertu que celle
qui est l'image & le fruit des vertus divines.
Otez à la creature la relation qu'elle a à son
Createur, ne luy laissez que les relations
qu'elle a ou à elle-mesme, ou aux autres creatures,
vous luy ôtez la veritable vertu, & ne
luy en laissez qu'une ombre, une matiere informe,
un corps mort & inanimé. Qu'est-ce
donc que la veritable vertu ? C'est l'impression
de Dieu dans toute l'ame de l'homme.
Si Dieu n'est & la cause & le motif, & l'exemplaire
& la fin, il-n'y-a point de veritable
vertu. Salomon a voulu dire cela mesme
par ces paroles, & par la crainte de l'Eternel
on se détourne du mal .
Mais il ne faut pas oublier de remarquer
que ce qu'il en dit, il le dit apres avoir parlé
de la propitiation.
Il y aura propitiation pour
l'iniquité, & par la crainte de l'Eternel on se
détourne du mal. Quand Dieu nous pardonne
nos pechez, il nous impose la condition de
n'y retomber plus, & il nous dit à peu pres ce
que Jesus Christ disoit au Paralytique quand
il luy eut rendu la santé,
Voicy tu as esté guery,
Iean 5.
14.
ne peche plus desormais. L'acte de nostre repentance
qui precede nostre reconciliation,
nous dispose à cela-mesme. Car comme un
homme qui est échappé d'un embrasement
conserve fortement l'idée du danger où il a
esté, de sorte que quand il se presente une
semblable occasion de s'envelopper dans les
flammes, ses anciennes frayeurs ne manquent
pas de se réveiller, & de le rendre plus circonspect
qu'il ne seroit autrement. De mesme
quand un homme rétably dans la paix
de Dieu se souvient des douleurs & des agitations
de conscience qu'il a souffertes pour sortir
de son peché, quand il se remet devant
les yeux le peril où il a esté d'estre pour toûjours
rejetté de la communion de son Sauveur
& plongé dans la damnation, il n'est pas
possible que ces funestes idées ne luy fassent
regarder avec horreur les occasions d'offenser
Dieu, & qu'elles ne le rendent beaucoup
plus precautionné. Le pardon mesme que nous
avons obtenu n'y contribuë pas peu : car il
nous rend le peché beaucoup plus odieux &
plus des-honneste qu'auparavant. Le cœur
d'un homme de bien ne peut pas facilement
oublier la grace que Dieu luy a faite ; & le
sentiment de l'amour paternelle de Dieu est
trop doux & trop heureux pour ne meriter
pas d'estre conservé. C'est-ce qui fait que
Salomon parle de se detourner du mal, en
suite de la propitiation. Et c'est pour la mesme
raison aussi qu'il y-ajoûte la crainte de l'Eternel,
[nel,]
au mesme sens que David disoit au
Pseaume cent trentiéme,
Il y a pardon par-
devers toy, afin que tu sois craint. Le pardon
est non seulement un engagement à la crainte
de Dieu, mais il est aussi la cause presqu'infaillible,
car il nous met d'un côté devant
les yeux une image si parfaite de toute
la gloire de la Divinité, & de l'autre une image
si parfaite de toute la misere de l'homme,
qu'il ne se peut que ces deux images ne produisent
la crainte dont il s'agit. Là paroist la
gloire de la Justice de Dieu qui condamne les
coupables & qui n'absout que les innocens.
Là paroist la gloire de sa puissance ineffable
qui a bâty les Enfers, pour l'execution des arrests
de la Justice, & qui y precipite ceux que
la Justice a condamnez. Là paroist sa connoissance
infinie qui découvre les choses les
plus cachées, qui penetre les secrets des
cœurs, & à qui rien n'échappe de tout ce qui
se fait sous le Soleil. Là paroist la profondeur
des mysteres de la Sagesse de nous avoir procuré
un aussi admirable sacrifice de propitiation,
que celuy de nostre Seigneur JESUS
CHRIST. Là paroissent les richesses de sa
patience & de sa longue attente, qui nous a
soufferts si long-tems dans nostre peché, &
qui par maniere de dire a negligé ses propres
interéts, pour nous amener à la repentance.
Là paroist la gloire de sa misericorde qui nous
pardonne, & qui en nous pardonnant nous
éleve à de plus grandes faveurs, que nous
n'en eussions obtenuës, si nous eussions conservé
nostre premiere innocence. Là paroist
enfin son autorité supréme & sa Majesté, car
en cela mesme qu'il nous pardonne & qu'il
nous adopte pour ses enfans, il témoigne
qu'il est au dessus des Loix, & qu'il peut de
plein droit disposer de toutes choses. Il ne se
peut que cette image de la gloire de Dieu ne
nous inspire sa crainte. Mais c'est aussi ce que
fait l'image de nostre misere, qui paroist dans
ce mesme acte du pardon de nos pechez.
Nous nous y voyons esclaves de nostre corruption
naturelle qui se déploye dans toutes
nos actions. Nous nous y voyons cendre &
poudre aux pieds du Trône de Dieu, soûmis
aux peines de sa vengeance que nous avons
justement meritées, & dans l'impuissance
d'éviter ces peines, si le sang de JESUS
CHRIST & la misericorde du Pere ne nous
en délivrent. Nous nous y voyons environnez
de tentations, sujets aux surprises de nôtre
propre fragilité, & à toute heure exposez
à de nouveaux dangers. Quelle impression
peuvent faire naturellement ces idées
sur nos cœurs si ce n'est celle de la crainte de
Dieu ? C'est ce que veut dire Salomon dans
cette seconde Partie.
Pour ce qui regarde ces dernieres paroles,
Quand l'Eternel prend plaisir aux voyes de
l'homme il appaise mesme envers luy ses ennemis .
Le sens en est évident, & ce seroit abuser
de vostre attention que de pretendre les
éclaircir. Il suffira d'y faire quelques observations.
Premierement les voyes de l'homme
sont ses mouvemens, ses sentimens, ses
pensées, ses paroles, ses actions, en un mot
toute sa conduite & les principes de sa conduite.
L'Ecriture nous parle de deux sortes
de voyes, celles de Dieu & celles de l'homme.
Celles de Dieu sont les voyes de sa Providence,
par laquelle il gouverne en general
toutes les creatures, & en particulier son Eglise ;
Celles de l'homme sont les œuvres & les
manieres de sa vie. Ce sont en effet comme
deux chemins, Dieu marche dans l'un, &
l'homme dans l'autre. Il les faut soigneusement
distinguer, & en voicy les principales
differences. Les voyes de Dieu sont cachées
à nos yeux, elles ne nous paroissent que par
les évenemens ; c'est-à-dire par les vestiges
& les impressions que Dieu y laisse quand il-
y-passe, mais d'elles-mesmes elles nous sont
inconnuës.
Ses jugemens, dit l'Apôtre, sont
Rom.
11. 33.
incomprehensibles & ses voyes difficiles à trouver.
Celles de l'homme sont toûjours exposées
aux yeux de Dieu, il les voit avant que
l'homme y entre, il les contemple quand il-
y-est, & il s'en souvient quand il est passé.
Prov. 5.
21.
Les voyes de l'homme, dit Salomon, sont devant
les yeux de l'Eternel, & il balance tous ses
chemins. Les voyes de Dieu sont par tout,
tout l'Univers est son chemin, car toutes choses
sont soûmises à l'ordre de sa Providence.
Celles de l'homme sont étroites, bornées, &
de fort petite étenduë. Les voyes de Dieu
sont devant les yeux de son Conseil de toute
eternité, ou comme parle l
Ecriture elles
Act. 15.
18.
luy sont
connuës de tout tems. Celles de l'homme
ne luy sont presque connuës que quand
il-y-est, l'avenir se dérobe à nostre veuë, &
le passé mesme échape souvent de nostre memoire.
Celles de Dieu sont toûjours justes &
droites, & bien que les raisons nous en soient
le plus souvent impenetrables, elles ne laissent
Deuter.
32. 4.
d'estre sages & bien reglées.
L'œuvre du
rocher est parfaite, disoit Moïse, toutes ses
voyes sont jugement. Le Dieu fort est verité
sans iniquité, il est juste & droit. Les voyes
de l'homme sont quelquefois droites, mais
quelquefois aussi ce ne sont que des égaremens,
& c'est pourquoy David disoit de luy-
Ps. 119.
67.
mesme,
I'allois à travers champs. Nos voyes
sont droites quand nous suivons nostre vocation,
& que nous obeïssons à la Loy de Dieu.
Ta parole sert de lampe à mes pieds, & de lumiere
à mes sentiers , dit le Prophete. Ce sont
au contraire des égaremens quand nous nous
écartons de nostre vocation, & que chacun
de nous veut estre & son guide & son flambeau.
Il y-a des voyes, dit l'Ecriture, qui semblent
Prover.
14. 12.
droites à l'homme, mais leurs issues tendent
à la mort. Lors qu'elles sont vrayement droites,
Dieu les approuve, quand elles sont
égarées il les condamne. Au reste Salomon
parle icy tant des voyes de l'homme que de
celles de Dieu. Pour celles de l'homme il dit
que quelquefois Dieu y prend plaisir, ce qui
suppose que quelquefois aussi Dieu les rejette,
selon la distinction que je viens d'en faire. Et
pour celles de Dieu il les marque assez clairement
quand il ajoûte que Dieu appaise les
ennemis de l'homme. Car il ne fait cela que
par les voyes secretes & admirables de sa
Providence.
A cette premiere remarque il en faut joindre
une autre qui est qu'encore que nos voyes
soient droites, & que Dieu y prenne plaisir,
nous ne laissons pourtant pas d'avoir des ennemis.
Que dis-je que nous ne laissons pas
d'en avoir ? C'est la droiture de nos voyes qui
nous fait d'ordinaire nos ennemis, le bon chemin
que nous suivons nous les attire, & si
nous voulions nous écarter avec eux, ils seroient
bien tôt nos amis. L'Eglise le savoit
bien lors qu'elle disoit au
Pseaume 44. Pour
l'amour de toy nous sommes tous les jours mis à
mort, & sommes estimez comme les brebis de la
boucherie. JESUS-CHRIST l'a ainsi declaré à
Marc.
13. 13.
ses Disciples,
Vous serez haïs de tous à cause
Iean. 15.
19.
de mon nom. Si vous estiez du monde le monde
aimeroit ce qui seroit sien, mais parce que
vous n'estes pas du monde, & que je vous ay élus
du monde, le monde vous hait. Un Ancien a dit
sur ce sujet une assez belle chose que je ne
puis m'empécher de vous rapporter icy. Ce
ne sont que deux mots, mais ces deux mots
renferment beaucoup de sens. Il dit donc
que l'Eglise est au monde précisement ce que
l'ame est au corps. On ne peut rien penser de
plus juste. Comme l'ame est dans le corps,
& n'est pourtant pas une partie du corps,
mais y habite comme dans une loge de terre,
ou si vous voulez comme dans une prison ; de
mesme l'Eglise est dans le monde, répanduë
parmy ses habitans, mais elle n'est pourtant
pas une partie du monde. Bien que l'ame &
le corps soient en societé, ils sont neanmoins
differens de nature, d'origine & de fin. L'un
est chair & l'autre est esprit, l'un est de la
terre, & l'autre est du Ciel ; l'un retourne en
la poudre dont il a esté tiré, & l'autre retourne
à Dieu qui l'a donnée. Il en est de mesme
de l'Eglise, & du monde encore qu'ils
soient mélez ensemble, & si mélez qu'à peine
des yeux humains les peuvent-ils distinguer,
ils n'ont pourtant rien de commun.
L'un est le corps materiel & terrestre du vieux
Adam, l'autre est le corps spirituel & mystique
du Fils de Dieu ; l'un est l'ouvrage du peché,
sorty du sein des tenebres & de la corruption,
l'autre est la production de l'élection
éternelle, la fille de la Grace, née des lumieres
du saint Esprit ; l'un marche à grands
pas vers l'abyme de la damnation, l'autre
s'avance incessamment vers le but de la vocation
d'en haut, qui est la gloire du Paradis.
Enfin l'ame soûtient & conserve le corps,
pendant que le corps ingrat fait sans cesse la
guerre à l'ame. Et de mesme c'est l'Eglise qui
soûtient le monde, car sans elle il-y-a longtems
que Dieu auroit arrété le cours des generations.
Mais le monde ne cesse de combattre
contre l'Eglise, & de travailler à sa ruine
comme son plus mortel ennemy. Cependant
comme Dieu calme souvent l'impetuosité des
passions de la chair qui font la guerre à l'ame,
il calme & reprime aussi d'ordinaire celle
du monde contre l'Eglise, & c'est-ce que Salomon
veut dire icy, Quand Dieu prend plaisir
aux voyes de l'homme, il appaise envers luy ses
ennemis. Jacob éprouva cette verité lors que
Dieu adoucit envers luy le cœur de son frere
Esaü. Les Israëlites l'éprouverent lors qu'ils
sortirent d'Egypte, & que Dieu leur fit trouver
grace envers les Egyptiens, & en general
l'Eglise n'a jamais manqué de l'éprouver dans
toute la suite des siecles. Quelque étrangere
qu'elle ait esté dans le monde, quelque aversion
que le monde ait euë pour elle, Dieu
n'a pas laissé de la conserver en son entier jusqu'à
present. Il a toûjours si bien temperé la
fierté de ses ennemis qu'ils n'en sont jamais
Ps. 129.
2.
venus about.
Dés ma jeunesse, dit-elle, ils
m'ont tourmentée, mais ils n'ont pas eu l'avantage
sur moy. Elle a esté perpetuellement
comme cette maison de la parabole qui
estant bâtie & fondée sur le rocher, soûtient
l'effort des torrens & des ravines d'eaux, sans
en estre seulement ébranlée.
Faites-je vous prie encore icy une troisiéme
remarque qui est, Que Dieu est le Maistre &
le Seigneur absolu des cœurs & des esprits de
tous les hommes. Je dis de tous les hommes,
car Dieu ne regne pas seulement sur les fideles,
il regne aussi sur ses ennemis. S'il n'en estoit
pas le Maistre absolu, comment pourroit-
il les appaiser, moderer leur haine, reprimer
leurs passions, & changer leurs conseils. Il le
fait pourtant, & c'est une verité que Salomon
nous enseigne icy. Il faut donc reconnoître
que tout est soûmis au pouvoir de sa Providence,
& qu'il-n'y-a ni malice ni dureté, ni
fierté, ni rebellion qui n'obeïsse à l'efficace
de sa direction quand il luy plaît de la déployer.
Ouy, Chrétiens, de la mesme maniere
qu'il preside sur les orages & sur les vens,
sur les vagues impetueuses de la mer, il preside
aussi sur les pensées des mondains. Il les
arréte, il les tourne comme bon luy semble,
il leur marque les bornes & les mesures de leur
action, & ce qu'il-y-a de plus consolant pour
nous est, que ce qu'il en fait, il le fait toûjours
pour le bien & l'avantage de son Eglise.
Toutes
Rom.
8. 27.
choses aident ensemble en bien à ceux qui aiment
Dieu .
Voilà, mes freres, à peu prés ce que j'avois
fait dessein de vous dire en general sur
les paroles de Salomon. Je n'ay pas crû vous
devoir soustraire ces reflexions qui d'elles-
mesmes peuvent contribuer quelque chose à
vostre instruction & à vostre édification.
Mais si vostre attention n'est pas tout à fait
épuisée, souffrez que je vous en demande encore
un peu, car il me reste bien des choses à
vous dire, qui par cela mesme qu'elles sont
particulieres vous seront peut-estre plus utiles
que les generales. Premierement donc,
encore que j'aye dés le commencement de
cette action supposé vostre repentance comme
une chose que je ne pouvois pas révoquer
en doute, je vous avouë pourtant que je n'ay
pas l'esprit tout-à fait en repos sur ce sujet,
& qu'il me reste du scrupule. Je ne veux pas
parler icy de plusieurs prophanes qui sont au
milieu de nous, gens qui font profession ouverte
de débauche & de libertinage, qui n'ont
nul sentiment de pieté, ni de vertu, ni de
veritable honneur, gens enfin plongez dans
le vice, fiers, insensibles aux exhortations de
la parole de Dieu, & si occupez des idées de
la vie présente qu'ils ne sont plus capables de
songer à celle qui est à venir. Comme ce n'est
pas pour eux que ce jeusne a esté indit, ce
n'est point aussi d'eux que l'on peut attendre
quelque chose, & les paroles de mon texte
ne leur appartiennent pas. Je ne parle pas
non plus, ni d'un tas d'hypocrites & d'imposteurs
que nous avons parmy nous, qui n'ont
de la pieté que les couleurs & les apparences,
& qui cachent ou leurs impuretez ou leurs injustices
sous le beau masque de la devotion ;
ni d'un nombre de froids & d'indifferens qui
regardent la religion comme une chose étrangere
dont ils ne s'embarassent pas. Que telles
gens ne s'imaginent pas que ce soit à eux
à qui l'on dise,
Il y aura propiciation pour iniquité.
Pendant qu'ils ne seront parmy nous que
pour deshonorer nostre communion, & pour
attirer sur l'Israël de Dieu l'opprobre des nations,
& la colere du Ciel, comment peut-
on leur parler de paix & de benediction ?
C'est avec douleur, mais pourtant avec justice
qu'on est obligé s'ils ne se convertissent de
leur appliquer ce que Josüé disoit à Acan,
Ios. 7.
25.
Vous nous avez troublez, Dieu vous troublera .
L'esperance de la propiciation ne regarde
que les gens de biens ; c'est de vous, mes freres,
dont j'ay supposé la repentance, mais
c'est de vous aussi dont il me reste du scrupule.
Je veux croire que vous aurez esté touchez
de quelque sentiment de douleur & que
la parole de Dieu qui vous a esté préchée
aujourd'huy avec tant de force, ne sera pas
demeurée tout-à-fait sans fruit. Et que seroit-
ce s'il n'y avoit encore au milieu de nous
un residu selon l'élection de grace. Mais permettez-
moy de vous le dire, je doute que
vous ayiez porté vostre douleur & vostre repentance,
je ne dis pas jusqu'au point où
vous la devez porter, car qui le peut ? mais
jusqu'au point que la demande humainement
parlant, l'état pitoyable où nous nous trouvons.
La colere de Dieu ne parût jamais ni
si grande ni si inexorable qu'elle a paru contre
nous depuis un assez long-tems. Nos afflictions
s'entassent les unes sur les autres comme
les flots d'une mer irritée : Elles se suivent
les unes les autres de si prés qu'à peine avons-
nous le loisir de soûpirer pour chacune d'elles.
Nostre ruine ne fut jamais si ardemment
desirée ni si hautement demandée, ni attenduë
avec plus d'esperance. Edom ne cria jamais
ni plus vivement ni plus fortement sur la
miserable Jerusalem, A sac, à sac, qu'elle soit
embrasée, & jusqu'au pied des fondemens rasée .
Avec tout cela on ne vit jamais dans nos troupeaux
& en particulier dans celuy-cy tant de
vices, & tant d'actions scandaleuses que nous
en voyons aujourd'huy. Il-n'y-en eût jamais
un si grand nombre de tout ordre & de toute
espece ; Nous n'entendons parler que d'injustices
& de violences, de querelles & de ressentimens,
d'usures & d'oppressions, de fourberies
& d'infidelitez, d'adulteres & de sales
intrigues, d'yvrogneries & de dissolutions.
1. Pierr.
2. 9.
Nous ne sommes plus
cette generation èluë,
cette nation sainte, & ce peuple acquis que nous
estions autrefois nous ne pouvons plus nous
appliquer ce que saint Paul a dit de l'Eglise
Ephes.
5. 25. 27.
qu'elle est sans tache & sans ride, irreprehensible
& sainte & que Iesus-Christ s'est donné soy-
mesme pour elle, afin de la sanctifier. Vit-on jamais
l'ignorance, l'indifference de religion,
le mépris de la parole de Dieu, le blaspheme,
l'impieté, regner avec plus d'audace qu'aujourd'huy ?
Vit-on jamais plus d'orgueil &
de vanité dans nos actions, plus de licence
& de hardiesse dans nos discours, plus de
médisances & de railleries ameres dans nos
entretiens, plus de jeux, de ris & de divertissemens
mondains dans nos assemblées de
famille, plus de faste & de somptuosité dans
nos habits, dans nos équipages, & dans nos
ameublemens. Nous sommes à deux doigts
de nostre ruïne, & nous vivons pourtant encore
dans la derniere corruption & dans la
derniere securité. Je ne le trouve pas étrange
de ceux qui ne prennent nul interêt en la
religion, de quelque côté que la chose tourne
ils trouveront leur conte par tout. Mais vous,
gens de bien, car ce n'est qu'à vous que je
parle, serez-vous si endormis qu'on ne puisse
encore vous reveiller ? Aurez-vous tellement
perdu l'usage de vos yeux que vous ne voyiez
pas l'état où nous sommes, & en le voyant
dans toute son étenduë vous contenterez-
vous d'une mediocre repentance ? Serez-vous
satisfaits de quelques mouvemens de douleur
passagere, de quelques regrets ordinaires,
de quelques soûpirs échapez ? Ah mes freres !
il ne s'agit plus de cela, il s'agit de détourner
le plus grand de tous les orages dont Dieu
nous ait jamais menacez, il s'agit non d'arréter
sa benediction, & d'empécher qu'elle
ne nous quitte, mais de la rappeller de fort
loin, car il-y-a déja long-tems qu'elle nous
a quittez, & vous voyez bien que pour cela
il faut des efforts extraordinaires. S'il-y-reste
donc quelque chose à faire, comme je
n'en doute pas, faites-le je vous prie dans
cette heure & dans ce moment mesme qui
est destiné à la propitiation, faites-le à la
veuë du sang de JESUS CHRIST, à la veuë de
sa croix, & des douleurs de son sacrifice dont
nous celebrons aujourd'huy la memoire. Ce
sera luy qui criera pour vous vers la grace,
afin de la faire revenir. Aydez, si je l'ose ainsi
dire, aux tendresses de la misericorde, par
une profonde affliction. Elle commence déja
je m'assûre à s'ébranler en vostre faveur,
achevez de l'émouvoir en répandant à ses
pieds un torrent de larmes. Dieu vous dit aujourd'huy
ce qu'il disoit autrefois à la maison
Es. 1. 18.
d'Israël,
Venez maintenant & debattons
nos droits. Mais quels droits avons-nous à debattre
devant toy, Seigneur, si ce n'est les
droits de ta justice ? Tu es un Dieu trop bon,
& nous un peuple trop ingrat ; tu nous as
comblez de benedictions, & nous avons couvert
nostre vie d'iniquité ; tu as esté jusqu'icy
trop indulgent à nos crimes, & nous avons
poussé ta patience à bout. Il est tems que tu
reveilles ta jalousie, & que nous soyions abymez.
C'est ainsi qu'il faut debattre avec
Dieu, en soûtenant ses droits, & en abandonnant
les nostres. Mais si nous en usons
de la sorte quelle sera la fin de cette querelle ?
Quelle en sera la fin ? Dieu prendra en main
nos droits abandonnez, & laissant-là sa justice
& nos pechez, il n'aura égard qu'à nostre
misere & à nostre repentance. Ecoutez ce
qu'il ajoutoit luy-mesme dans son Prophete,
Es. 1. 18.
Quand vos pechez seroient rouges comme du cramoisy,
je les blanchiray comme de la neige ; Et ce
que Salomon dit maintenant,
Il-y-aura propitiation
pour l'iniquité.
Mais si nous voulons que Dieu nous fasse
misericorde, souvenons-nous des deux conditions
qu'il exige de nous,
Gratuité & verité .
Exercez la premiere par des aumônes &
des largesses aux pauvres que JESUS CHRIST
qui s'est fait luy-mesme pauvre pour vous,
vous a si fort recommandez dans son Evangile.
Si Dieu vous pardonne aujourd'huy vos
pechez, il vous redonne l'usage legitime de
vostre bien, & s'il vous en redonne l'usage,
dispensez en une partie pour l'amour de luy
à ses membres qui sont sur la terre. Vostre
reconnoissance ne sauroit aller jusqu'à luy,
Mon bien ne va point jusqu'à toy. Quelle descende
Ps. 16. 2.
donc sur ses images, sur les images de
son Fils, puis qu'il vous a declaré qu'il tiendroit
comme receu par luy-mesme un simple
verre d'eau froide quand vous le leur donnerez.
Contez les pechez que Dieu vous pardonne,
seroit-ce trop que de faire une aumône
pour chacun ? Non sans doute, & quelle
proportion y-a-t-il d'une aumône à un peché ?
Mais cela mesme se peut, car je suis assûré
que vous avez plus de pechez que vous n'avez
de bien. Faites donc au moins de bonne
foy ce que vous pourrez chacun selon ses facultez.
On ne vous prescrit rien sur cela ; vos
offrandes doivent suivre les mouvemens de
vostre conscience, & les instincts de vostre
charité. Pratiquez encore cette gratuité en
n'exigeant pas trop durement ce qui vous est
dû. Les droits mesmes de la justice quand ils
sont poussez avec trop de severité deviennent
une injustice. On les peut exiger mais il le
faut toûjours faire avec un temperament de
douceur & de charité chrestienne, car il-n'y-
a rien de plus contraire à l'esprit de la Religion
de JESUS-CHRIST que cette rigoureuse
exactitude qui ne sait ce que c'est que de condescendance
& de relâchement. Pratiquez en
general cette gratuité dans toute la conduite
de vostre vie en vous montrant benins & debonnaires
les uns envers les autres, accessibles
& faciles aux petits, prompts à rendre
office à ceux qui ont besoin de vostre secours,
compatissans aux afflictions de vos freres, supportans
leurs infirmitez, & leur tendans favorablement
la main pour les relever de leurs
chutes. Pratiquez enfin cette gratuité en pardonnant
de bon cœur les offenses qu'on vous
a faites. Reconciliez-vous avec vos prochains,
& vous reünissez tous en Dieu ; hâtez-vous
pour cela, & vous prevenez les uns les autres,
car dans ces occasions celuy qui previent son
frere témoigne qu'il est le plus aimé de Dieu,
& le plus confirmé dans la communion de JESUS
CHRIST son Fils. Nous n'avons tous
qu'un mesme Pere & un mesme Dieu, un mesme
Sauveur, une mesme esperance, une mesme
foy, un mesme Esprit, & un mesme heritage.
D'où viennent donc nos dissentions ?
Non seulement elles ne viennent pas de la
[Grace,]
Grace, mais elles sont mesmes incompatibles
avec la Grace, car la Grace unit, & par
tout où-il-n'y a point d'union il-n'y-a point
de Grace. Elles ne viennent pas non plus de
la Nature, car la Nature unit de mesme que
la Grace. Elles viennent donc de la chair &
de la corruption du peché, d'où il s'ensuit que
celuy qui paroist le plus éloigné de la reconciliation
& de la paix, montre par cela mesme
qu'il a plus de chair & de corruption, &
au contraire celuy qui s'y porte avec plus
de facilité marque plus de regeneration &
plus de sainteté.
Pour ce qui regarde la verité, la seconde
condition que Dieu exige de nous, gardez-
là, mes freres, dans tous vos discours, & ne
permettez jamais que vostre langue démente
les sentimens de vostre cœur. Les fourbes,
les hypocrites & les imposteurs sont en abomination
à Dieu & aux hommes. Ils le sont
à Dieu, parce que de tous les vices il-n'y-en
a point de plus opposé à la pieté que le mensonge,
ni qui approche plus du caractere
essentiel du Demon, lequel est menteur aussi
bien que meurtrier dés le commencement. Ils
le sont aux hommes, parce que ce vice renversant
la bonne foy, renverse en mesme-
tems le fondement du commerce, & rompt
le lien de la societé mutuelle. Il-y-avoit au
tems que JESUS CHRIST estoit sur la terre un
nombre presqu'infiny de crimes qui regnoient
parmy les Juifs, car jamais nation ne fût plus
corrompuë que celle-là l'estoit. Cependant
il semble qu'entre tous les vices dont ils
estoient entachez JESUS CHRIST n'ait choisi
que la seule hypocrisie pour en faire l'objet
de son horreur. Il avertit soigneusement ses
Disciples de s'en donner de garde comme
d'un levain pernicieux. Il appelle les hypocrites
des sepulcres blanchis. Il leur dénonce
tres-souvent les jugemens de la justice divine :
Malheur, dit-il, sur vous Pharisiens hypocrites ,
pour nous faire comprendre combien il
avoit d'aversion pour eux. Gardez particulierement
cette verité dans vos actions ; ne
trompez personne, mais allez toûjours d'un
pas droit & sincere dans vos commerces. La
bonne conscience rejette les artifices & les
obliquitez, elle ne sait ce que c'est que de
surprendre, & de tendre des pieges à la simplicité
du prochain. Joignez ensemble ces
deux vertus Gratuité & verité , comme les
deux caracteres des gens de bien qui les distinguent
d'avec les mondains. Car les mondains
en ont deux opposez, la violence & la
fourberie, la malice & le déguisement. Sous
de contraires apparences, ils couvrent des
desseins d'oppression, semblables à ces nuées
malignes qui dans une profonde obscurité
cachent des gresles & des foudres. David represente
admirablement bien ces sortes de
gens dans un de ses Pseaumes.
Ils se tiennent,
dit-il, aux embûches des villages, ils tuent l'innocent
dans des lieux secrets, ils épient de leurs
Ps. 10.
8. 9. 10.
yeux les troupeaux des desolez. Ils se mettent aux
embûches dans des lieux cachez, comme des lions
dans leur fort, pour attraper l'affligé. Ils l'attrapent
en effet, & l'attirent dans leurs filets.
Ils se tapissent & se baissent, & puis le troupeau
des desolez tombe entre leurs mains. Il-n'y-a
point de propitiation pour de telles gens,
mais il-y-en a pour la gratuité & la verité.
Je ne puis m'empécher de vous faire encore
une remarque sur ce que Salomon joint ensemble
ces deux vertus ; c'est qu'en effet elles
sont inseparables, comme le sont aussi les
deux vices opposez. Un homme qui a de méchantes
intentions, & qui ne songe qu'à faire
du mal, ne sauroit s'empécher d'estre fourbe,
c'est une suite naturelle & inévitable, il
faut se cacher quand on a des desseins de nuire.
Le Diable au commencement du monde
ne fut menteur que parce qu'il voulût estre
meurtrier. Mais quand on n'a pour ses prochains
que des pensées de paix & de bienveillance,
on n'a que faire de se cacher ; la verité,
c'est-à dire la sincerité, accompagne toûjours
la gratuité. Un homme de bien est fort libre,
il n'est pas obligé d'estre hypocrite.
Au reste Salomon ne s'arréte pas-là, il
veut qu'en pratiquant les vertus dont nous
venons de parler, on se détourne aussi du mal.
Par la crainte de l'Eternel, dit-il, on se détourne
du mal . Dieu ne reçoit point ces vertus
mélées de vice, ces sanctifications à quelque
égard, dont nous ne voyons tous les jours que
trop d'exemples. Combien y-a-t-il de personnes
dont la vie n'est qu'un perpetuel assemblage
de bien & de mal ? Ils prient Dieu,
mais ils pillent leur prochain ; ils donnent
l'aumône, & ils dérobent ; ils viennent icy le
matin, & quand ils sont de retour, ils employent
le reste du jour à leurs débauches. Ils
sont d'un côté devots, zelez, pacifiques &
bien-faisans, mais de l'autre ils sont vains,
ambitieux, adonnez aux plaisirs des sens. Ils
ont trouvé l'art de joindre ensemble Christ &
Belial, la lumiere & les tenebres, bien que
l'Ecriture ait dit que ces choses ne se peuvent
accorder ensemble. La vraye Justice Evangelique
n'est pas broüillée de cette maniere ;
elle a deux mains, de l'une elle établit les
vertus, & de l'autre elle chasse les vices.
Elle fait ce que Dieu disoit à Jeremie de faire ;
Ierem.
1. 10.
Elle plante, & elle arrache ; elle bâtit &
elle démolit. Il ne suffit pas d'exercer
gratuité
& verité , il faut encore se détourner de tout
mal : car un peu de levain corrompt & en aigrit
toute la paste. Souvenez-vous en, mes
Freres, & tâchez de rendre autant qu'il vous
sera possible vostre justice parfaite.
Mais pour bien s'abstenir du mal souvenez-
vous aussi qu'il faut avoir la crainte de Dieu.
Tout nous porte au peché, mille tentations
nous y sollicitent, le monde fait ses derniers
efforts pour nous faire abandonner la droite
voye. Le crime a des appas séduisans, qui
flattent, & qui raisonnent, qui corrompent le
cœur, & qui font illusion à l'esprit, & naturellement
le cœur & l'esprit ne sont que trop
enclins à se laisser surprendre. Il-n'y-a rien
qui nous puisse soûtenir contre tant d'assauts
que la crainte de Dieu, mais il est certain
aussi qu'elle nous soûtiendra si puissamment,
si nous l'appelons à nostre secours, que tous
les efforts contraires demeureront inutiles.
C'est une verité que vous n'ignorez pas, &
l'experience vous la confirme. Mais cela mesme
vous fait voir combien cette crainte nous
est necessaire, & combien il est important de
l'établir dans nos cœurs. Travaillez-y, mes
Freres, de tout vostre pouvoir, & voicy pour
vous y aider quelques regles que je vous conseille
de suivre. Premierement, il est bon que
vous vous mettiez souvent devant les yeux,
les terribles exemples de la Justice & de la
vengeance divine sur les pecheurs, & de quelle
maniere Dieu fait tomber sur eux ses jugemens
avec éclat. Pour cet effet meditez attentivement
les histoires épouvantables que
l'Escriture nous a données de la ruine du premier
monde par le deluge, de l'embrasement
des cinq villes qui perirent par le feu du Ciel,
des playes dont il frapa l'Egypte pour punir
son endurcissement, des châtimens rudes &
sanglans qu'il a déployez sur l'ancien peuple
quand il s'est écarté de son devoir. Et si
ces exemples vous paroissent trop éloignez,
arrétez-vous sur ceux que nos jours mesmes
vous fournissent. Combien avons-nous veu
de personnes fieres de leur peché, & qui au
lieu de s'en repentir s'en faisoient au contraire
une gloire, perir miserablement au milieu
mesme de leurs prosperitez lors qu'il ne sembloit
pas que rien en pût arréter le cours ; perir
dis-je par des coups impreveus de la Providence,
& ne laisser dans leur fin qu'un monument
funeste de la Justice & de la Colere
divine ? Combien en avons-nous veû, qui
aprés avoir joüy paisiblement du fruit de
leurs débauches durant quelque tems, sont
tout à coup tombez dans la derniere desolation,
où ils ont passé plusieurs années parmy
les plaintes & les douleurs ameres ? Combien
avons-nous veû de familles superbes, qui pour
avoir pris de l'interdit se sont fonduës insensiblement
& peu-à-peu, comme on voit fondre
un corps par la force secrette d'un poison
lent ? Je say qu'il ne faut pas juger temerairement
des afflictions que la Providence divine
dispense, car elle les dispense comme il
luy plaist, & souvent par des motifs que nous
ne connoissons pas. Mais il est certain aussi
qu'il y-a souvent des exemples où la main de
la Justice Eternelle paroist si visiblement, qu'il
n'est pas possible de la méconnoître, & alors
ce n'est point temerité, c'est pieté que d'adorer
ses voyes & ses jugemens. C'est donc ce
que je desire en premier lieu que vous fassiez
pour vous former de plus en plus à la crainte
de la Divinité. Mais outre cela il faut soigneusement
appliquer vostre esprit & vostre
cœur à la meditation de tous les objets qui
nous representent la Majesté souveraine &
ineffable de Dieu, & qui nous peuvent donner
une juste idée de sa gloire. Telles sont les
œuvres de la creation, le Ciel & les Elemens,
le Soleil & ses étoiles, la mer & sa fecondité,
la terre avec sa plenitude. Telles sont les
œuvres de la Providence, la conservation entiere
de l'Univers depuis tant de siecles, le
cours si reglé & si bien étably des generations,
la distribution des peuples, des Royaumes,
des Provinces, des villes & des familles
avec leurs accidens & leurs revolutions. Mais
telles sont principalement les merveilles de
la Grace, & toutes les profondeurs des Mysteres
de Dieu que l'Evangile nous a revelez,
comme les voyes ineffables de sa Sagesse dans
l'envoy de JESUS CHRIST au monde ; les tendresses
de sa compassion pour le genre humain
tombé dans le peché ; les secrets incomprehensibles
de son Election ; l'efficace
toute-puissante de son Esprit pour la conversion
des fideles ; les biens inenarrables de l'heritage
qu'il nous prepare. Tous ces grands &
divins objets nous font connoître chacun à
part la grandeur de la Majesté divine d'une
maniere fort éclatante ; mais quand on les met
tous ensemble devant ses yeux, ils en forment
une image si glorieuse & si pleine qu'il n'est
pas possible qu'on n'en soit ébloüy, qu'on ne
la respecte, & qu'on ne s'écrie en mesme-
tems : Qu'est ce que de l homme, que tu aye souvenance
de luy, & du fils de l'homme, que tu le
visites ? Enfin un des plus importans preceptes
que je puis vous donner sur ce sujet, est
de vous arréter souvent à la meditation de
vos pechez & de la bonté que Dieu a euë de
vous les pardonner. Considerez en general la
nature du peché qui est l'œuvre du demon,
le fruit de sa victoire, & son mal-heureux caractere
qu'il imprime en l'homme. Voyez de
quelle force est l'aversion que Dieu a contre
luy, car il ne se peut pas concevoir d'opposition
plus grande ni plus immediate que celle
qui est naturellement entre la Divinité & le
peché. Voyez la peine qui le suit dans l'ordre
de la Justice, car il n'est pas plus vray que
Dieu est le Juge de l'Univers, & qu'il faut
que tous les hommes comparoissent devant
son trône, qu'il est vray que le peché ne sauroit
demeurer impuni. En particulier examinez
un peu de prés ceux que vous avez commis,
considerez en le nombre ; voyez-en l'énormité,
pesez-en toutes les circonstances,
faites reflexion sur la facilité avec laquelle
vous vous y estes portez ; & aprés avoir bien
regardé cet abysme, jettez les yeux sur la
Grace qui vous en a retirez, & sur les voyes
dont elle s'est servie pour cela. N'a-t-il pas
falu une force infinie pour exciter en vous les
sentimens de la repentance ? N'a-t-il pas falu
une misericorde incõcevable pour vous pardonner ?
N'a-t-il pas falu le sang d'une victime
éternelle pour vous cõsacrer ? Aprés cela pourrez-
vous songer sans frayeur à commettre de
nouveaux crimes ? L'idée de ces faux plaisirs
qui vous ont si mal-heureusement trompez ne
vous fera-t elle pas horreur ? L'ingratitude
contre un Dieu si grand & si bon ne vous paroîtra-
t-elle pas la chose du monde la plus noire ?
N'apprehenderez-vous pas de retomber
encore dans le bourbier dont vous estes sortis ?
Ne craindrez-vous pas d'irriter la misericorde,
& de vous rendre ennemy le sang de
vostre propitiation ? N'aurez-vous point de
peur de vostre propre fragilité, & ne vous
precautionnerez-vous pas contre ses chûtes ?
C'est ainsi, mes Freres, que je vous conseille
de vous confirmer en la crainte de Dieu.
Si vous en usez de la sorte vous serez heureux,
car en le craignant vous n'aurez plus rien à
craindre. Comme la verge d'Aron engloutissoit
celle des Egyptiens, la crainte de Dieu
fait disparoître toute autre crainte. Salomon
nous l'enseigne en dernier lieu : Quand l'Eternel,
dit-il, prend plaisir aux voyes de l'homme
il appaise mesme envers luy ses ennemis.
Qu'avons-nous à vous dire sur ces dernieres
paroles ? Pour des ennemis vous en avez en
grand nombre, il n'est pas necessaire de vous
en avertir, vous le sçavez assez & vous ne le
sentez que trop. Mais ce qu'il faut vous dire,
& qui fait mesme une partie de la crainte de
Dieu à laquelle je vous exhorte, c'est qu'au lieu
d'avoir du ressentiment contre eux, au lieu de
leur rendre animosité pour animosité, vous
devez au contraire prier Dieu pour eux, &
leur rendre avec affection toute sorte d'offices
quand les occasions s'en presenteront.
La Loy de JESUS CHRIST vous y oblige :
Aimez, dit-il, vos ennemis, benissez ceux qui
vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous
haïssent, & priez pour ceux qui vous courent sus
& qui vous persecutent. Priez donc Dieu qu'il
luy plaise par sa misericorde de leur pardonner
leurs pechez, & en particulier ceux que
leur fait commettre cette excessive aigreur
qu'ils ont conceuë contre nous sans raison.
Priez-le qu'il les illumine, afin qu'en distinguant
desormais les objets, un peu mieux
qu'ils n'ont fait jusqu'à cette heure, ils reconnoissent
le tort qu'ils nous font, & celuy
qu'ils se font à eux-mesmes. Ils ne nous haïssent
que parce qu'ils se sont formez de nous
une idée fort étrange ; mais si Dieu daignoit
exaucer nos vœux, & qu'en les desabusant
de leurs faux prejugez, il leur fist voir l'innocence
& la justice de nostre profession telle
qu'elle est en effet, de quelle componction
de cœur ne seroient-ils pas touchez, & qu'elle
seroit nostre joye ? J'avouë qu'un si grand
bon-heur est assez éloigné de l'apparence, &
& neanmoins il ne faut pas laisser de le demander.
Toutes choses sont possibles à Dieu,
il est le Maistre des hommes aussi-bien que
des tems & des saisons. Cependant si nous
prenons soin de disposer tellement nos voyes
qu'elles luy puissent plaire, il faut esperer
qu'il appaisera nos ennemis envers nous. Il
adoucira leur esprit & changera cette humeur
fâcheuse qui les anime contre nostre
Religion. Et quand il ne le feroit pas nous
devons toûjours estre assûrez qu'il nous accordera
sa paix & sa benediction qui est le
plus grand de nos biens.
Ce sera, mes Freres, sous cette benediction
que nous joüirons aussi de la protection
de nostre puissant Monarque, laquelle aprés
celle de Dieu doit estre nostre unique refuge.
Ce grand Prince n'ignore pas, l'ardeur, le
zele & la fidelité que nous avons pour son
service, mais nous ne devons pas ignorer aussi
de quelle necessité nous est sa bien-veillance.
Tout seroit declaré contre nous s'il retiroit
cet ombre, ou pour mieux dire ces
rayons sacrez de son autorité qui nous couvrent
& qui nous défendent. Nous ne pouvons
avoir sur la terre d'autre recours qu'à sa
justice, elle seule est l'azile qui reste à nostre
esperance. C'est ce qui nous doit d'autant plus
obliger à prier le Roy des Roys que par sa
Providence immortelle il veüille le garder
& le conserver en toutes occasions, & particulierement
aujourd'huy dans les perils de la
guerre où sa Majesté và s'exposer pour le repos
de ses peuples. Que Dieu donc soit son
Soleil & son Bouclier, comme il l'estoit autrefois
de David, qu'il l'accompagne dans ses
expeditions militaires, & qu'il preside luy-
mesme dans ses Conseils. Prions-le de plus,
qu'il luy plaise d'incliner son cœur vers nous
& de nous le rendre favorable. C'est ce que
Dieu fera sans doute si de nostre part nous
apprenons à bien regler nostre conduite &
nostre vie, si nous sommes pieux & zelez,
humbles & patiens, justes & charitables,
simples & modestes, fideles & sinceres,
doux à nos inferieurs, équitables à nos égaux,
soûmis & obeïssans à nos Magistrats.
De cette maniere nous devons esperer que
Dieu aura soin de nous, & quand nostre Roy
aura la bonté de vouloir s'informer par luy-
mesme de ce que nous sommes, il luy arrivera
ce qui arriva à un de ses illustres & glorieux
Predecesseurs, sur le sujet des habitans des
Vallées de Provence. Ces pauvres fideles, qui
estoient alors les tristes restes des Vaudois,
furent cruellement accusez & poursuivis devant
ce Prince, comme des heretiques & des
criminels. On excitoit sa colere & sa Justice
contr'eux par de fausses & odieuses imputations,
& on ne demandoit pas moins que
leur sang & leur ruine entiere. Mais avant
que de se déterminer ce Prince équitable
voulut envoyer des Commissaires sur les
lieux, & quand les Commissaires luy en eurent
fait leur rapport, ayant reconnu visiblement
leur innocence, l'histoire remarque
qu'il s'écria : Ils sont plus gens de bien que tout
le reste de mon Royaume. Faisons en sorte que
nostre grand Monarque dise la mesme chose
de nous, & qu'un semblable temoignage de
sa bouche Royale soit nostre Apologie dans
ce siecle, & nostre gloire envers la posterité.
C'est icy, mes Freres, qu'il faut finir cette
Action, & avec cette Action la solemnité de
cette journée. Mais comment la pouvons-
nous mieux finir que par les vœux ardens que
nous presentons à Dieu pour vous. Recevez
donc la benediction que je vous donne, tant
en mon nom qu'au nom des autres serviteurs
de Dieu mes compagnons d'œuvre au milieu
de vous. Comme nous n'avons tous
qu'un mesme cœur & un mesme sentiment
pour vous, nous n'avons aussi qu'une voix,
& c'est icy la benediction de nostre commun
Ministere. Dieu veüille vous redonner aujourd'huy
sa paix & sa faveur, & en vous pardonnant
vos pechez vous faire bien-tôt cueillir
les fruits de sa reconciliation avec vous.
Dieu veüille affermir pour toûjours son alliance
dans ce troupeau, & vous conserver à
vous & à vos enfans, jusques à la fin des siecles,
le precieux avantage de sa parole & de
son service. Dieu veüille accompagner de
son efficace celeste la parole qui vous est préchée,
& vous donner d'en haut l'accroissement
pendant que Paul plantera & qu'Apollos
arrosera, afin que vous puissiez luy rendre
abondamment tous les jours de vostre vie
les fruits que merite sa culture. Dieu veüille
confirmer sa crainte & son amour dans vos
cœurs, & en moderant vos passions, éloigner
de vous les occasions de mal faire &
vous épargner les tentations. Dieu vous fasse
la grace d'élever vos chers enfans dans les
sentimens de la pieté & de la justice, & luy-
mesme veüille tourner par son saint Esprit
leurs jeunes cœurs à l'obeïssance de ses loix
& à l'esperance de son Royaume, afin que
faisant leur devoir vous en ayiez de la joye
& de la consolation. Dieu veüille au reste
vous benir chacun de vous dans le travail de
sa vocation, & vous départir des biens temporels
ce qu'il jugera luy-mesme vous estre
necessaire pour le repos de vostre vie, & pour
achever heureusement vostre course en la
communion de JESUS CHRIST son Fils.
Allez donc peuple fidele, retirez-vous dans
vos maisons plus riches & plus contens que
vous n'en estes partis ce matin ; puisque vous
emportez avec vous la paix du Ciel, & l'esperance
de la protection divine. Ne perdez
pas le souvenir de cette reconciliation que
vous avez faite avec vostre Createur, il vous
a relâché les droits de sa Justice, mais il ne
vous a pas quitté les droits de sa Grace. Rendez-
luy sans cesse les devoirs de vostre reconnoissance
& de vostre fidelité. Que vostre
lumiere luise devant les hommes, afin que les
hommes voyant vos bonnes œuvres le glorifient
sur la terre, & qu'il vous glorifie un jour
vous-mesmes en vous recevant dans son Paradis.
A luy Pere, Fils & saint Esprit soit honneur,
force & Empire au siecle des siecles
Amen.