SERMON
Sur l'Epistre S. Iaques, chap. 1. v. 26.
Si quelqu'un pense être Religieux entre vous ne
tenant point en bride sa langue ; mais seduisant
son cœur , la Religion d'un tel personnage
est vaine .
ON doit craindre un ennemi
quelque foible qu'il soit , s'il
travaille nuit & jour à nôtre
perte. Ceux qui reviennent
des Indes par mer ne songent d'ordinaire
qu'a se garentir des pirates , des écueils &
de la violence des orages , tous leurs plus
grands soins sont contre ces ennemis d'éclat ;
Mais combien en voit-on qui perissent
prés du port par une espece de vers
qui s'attachent au Navire , qui en rongent
le bois sourdement,& qui sans éclat & sans
bruit ne laissent pas de travailler à la ruine
des vaisseaux, de même que ces grands
coups de mer qui les font entr'ouvrir, &
que les rochers ou ils se brisent ; Tel est le
sort de plusieurs Chrétiens qui sont parmi
nous,ils font une grande aplication d'esprit
pour éviter ces pechés éclatans qui sont les
tristes écueils ou tant de gens font naufrage,
le larcin , le meurtre, le faux témoignage,
l'adultere sont pour eux des ennemis
redoutables qu'ils fuient de tout leur pouvoir,
& parce qu'ils n'ont point succombé
sous ces tentations, ils négligent les autres
pechés comme s'ils n'avoyent rien à
crainere.
Ils parlent avec la même confiance
que ce Pharisien orgueilleux dont S. Luc
nous fait le portrait au
ch. 18 de son Evangile,
& disent avec lui,
O Dieu nous te rendons
graces de ce que nous ne sommes pas comme
le reste des hommes, qui sont ravisseurs , injustes ,
adulteres , ny comme les peagers , car
nous mortifions nos corps par des jeunes frequens ,
& nous aßistons les pauvres de nos aumones ,
Cependant ils ont d'autres vices
sur lesquels ils passent legerement , mais
qui ne laissent pas de corrompre en secret
leur cœur par une longue habitude , de là
vient qu'ils font naufrage lors qu'ils
croyent être dans une plaine seureté pour
leur salut, c'est pour réveiller ces faux devots
[vots]
de leur profond assoupissement , que
nous avons choisi les paroles de S. Jaques
que vous venez d'entendre , & que nous
vous expliquerons maintenant , nous ne
saurions mieux commencer cette année
qu'en nous opposant au cours d'un torrent
qui semble innonder cette Eglise, on n'entent
plus que des paroles vaines , des discours
sales, des medisences envenimées,&
des blasphemes horribles , quels sont Ceux
qui sont aßis sur ce banc des moqueurs , y peut-
il avoir des impies de profession qui ajoûtent
crimes sur crimes , mais dont on n'est
pas surpris , parce que l'Ecriture Sainte
nous apren, que l'homme méchant tire sans
cesse des choses mauvaises du mauvais thresor
de son cœur , les paroles se corrompent dans
la bouche de ces gens-là , chacun s'en desfie,
& l'on se garentit plus aisément du poison ;
mais il y a une autre espece de gens
dont la vie paroît d'ailleurs conforme aux
regles de la Foy , qui ne laissent pas de
tomber souvent dans ce peché que S.Iaques
condamne , Ils s'imaginent qu'en
conservant la pureté de la Religion dans la
Doctrine , & vivent moralement bien,
comme on parle des simples paroles qu'ils
auront prononcées n'ébranleront pas leur
salut. Vous n'étes Chrétiens qu'à demi,
vous vous abusés, miserables , Car si quelqu'un,
dit S.Iaques, pense être Religieux entre
vous ne tenant point en bride sa langue & seduisant
son cœur , la Religion d'un tel personnage
est vaine . C'est ce que nous vous expliquerons
plus au long dans le cours de
cette Action , moyennant l'assistance du
S. Esprit.
Quoy que la veritable devotion soit
tres-rare , il y a peu de Chrétiens qui ne
veuillent passer pour devots , la pluspart
se font un honneur de cette vertu dans
l'Eglise, Quelques uns mêmes pretendant
s'en faire un merite devant Dieu : Mais
qu'il est difficile de trouuer une pieté sincere
qui n'ait rien à se reprocher. Car si
cette liberté de langue qui nous fait insulter
si souvent le prochain est seule capable
de rendte vaine toute nôtre Religion.
Quel jugement ferons nous de tant d'autres
pechés que nous commettons , & qui
paroissent beaucoup plus grands que ces
coups de langue que nous appellons de
fines railleries , pour leur ôter le nom odieux
de médisence qui leur est deu. Il
faut donc vous detromper de ce faux prejugé,
& vous montrer par de vives raisons
[prises]
prises de la morale Chrétienne que si quelqu'un
d'entre vous pense être Religieux & ne
tient pas en bride sa langue , la Religion d'un
tel personnage est vaine , & qu'il n'est qu'un
faux devot.
Mais, dirés-vous , une grande facilité
de parler , une pente précipitée à donner
vîte vôtre jugement sur tout ce qu'on nous
dit , rendra-telle vaine nôtre Religion?
est-ce là le vice que S.Iaques blâme , lors
qu'il écrit contre ceux qui ne sçavent pas
donner un frain à leur langue ? Non, ce n'est
pas sa pensée , c'est un foible , il est vrai
que ces grands torrens de paroles ; mais
si elles ne blessent ny l'honneur qu'on doit
à Dieu , ny la Charité fraternelle , on ne
peut pas dire de ces grands parleurs que
leur devotion est vaine ; ils lassent , ils fatiguent
ceux qui les écoutent, ils suffoquent
si faut ainsi dire , la conversation, mais ces
paroles n'étant pas empoisonnées, la Charité
ny est pas interressée , & ce n'est plus
qu'un son inutile qui se dissipe en l'air.
Disons donc que S. Jaques condamne
ici ces faux railleurs , ces censeurs indiscrets
à qui rien n'échape,ces bouches dangereuses
qui répendent par tout une halaine
envenimée.
Mais pour vous rendre cette censure
plus sensible,remarqués que la medisence
a ces trois caracteres , l'un est d'imposer
aux innocens , cette calomnie est un fruit
de ceux qui ne sçavent pas tenir en bride
leur langue ; l'excessive passion qu'ils ont de
parler beaucoup les aveugles , & leur fait
debiter tres-souvent les plus noires impostures
comme les plus grandes verités.
C'est encore le trait d'un esprit malin , lors
qu'on étale aux yeux du monde des foiblesses
que la Charité doit couvrir , on peche
en fin sur ce sujet, lors qu'on grossit les
objets pour rendre les personnes que nous
blamons plus odieuses. C'est dans ces
écueils que tombent ceux dont parle S.Iaques ,
ils s'imaginent même que leur devotion
leur donne le droit de censurer impunement
toutes choses.
Mais quoy? nous disent ces avides censeurs,
faut-il fermer les yeux sur la conduite
de tout le monde , nôtre silence ne donnera-
t'il point une nouvelle hardiesse aux
méchans , & n'est-ce pas travailler à leur
salut d'exposer au jour toute la honte de
leurs mauvaises actions, comme un frain
qui peut les retenir , lors qu'on voit qu'ils
courent aveuglement à leur ruïne. Le
[pretexte]
pretexte est beau , le dessein est grand,
mais levons le voile dont l'hipocrisie se
couvre en cette occasion , & nous trouverons
que la correction des pecheurs n'est
pas le veritable ressort qui anime la langue
de ces Critiques , la vaine gloire , l'envie
& la haine ont bien plus de part à ces censures
que la charité Chrétienne , le merite
qui place souvent nos égaux de naissance
au dessus de nous , les privileges d'une maison
plus relevée que la nôtre , les biens, les
honneurs qui mettent quelque distinction
entre les hommes sont le grand motif de
cet esprit chagrin & medisant qui nous fait
si fort grossir le moindre fêtu que nous voyons
dans l'œil de nos freres , Nous nous faisons
un secret plaisir de les mortifier, du moins
par nos paroles. Un esprit malin s'aplaudit
de pouvoir donner sans danger quelque
atteinte à une reputation qui lui fait ombrage ,
il s'imagine qu'il s'éleve dans le
monde à mesure qu'il y détruit son frere, il
mendie lâchement par ses impostures une
estime qu'il ne sauroit attendre de son merite,
& tâche de couvrir la honte de sa vie
en détournant tous nos regards sur des
legeres fautes qui paroissent dans la conduite
de nos prochains.
Mais je veux qu'un homme ait manqué
effectivement à son devoir, qui vous a donné
le droit de blâmer hautement sa conduite,
& de noircir sa reputation,avés vous
dessein de le redresser lors qu'il est tombé
dans quelque faute? faites-le, mais que
ce soit dans l'esprit du Christianisme, & en
vous tenant precisément aux maximes que
l'Evãgile vous prescrit sur une matiere que
la prudence & la charité doivent reigler;
étudiés la leçon que le Seigneur Iesus vous
donne sur ce sujet,
& le chap. 18. de S. Matth. elle est d'un grand usage dans la vie Chretienne,
peu connu pourtant, ou du moins
fort negligé aujourd'hui parmi nous,
Si
ton frere a peché contre toy, va, dit le Sauveur
du monde, & le repren seul à seul .
Le Fils de Dieu ne veut pas que vôtre
prochain vous outrage impunément , il
vous donne la liberté de vous plaindre &
de demander à celui qui vous fait injure la
reparation qu'ils vous doit ; mais c'est sans
bruit,sans éclat, Repren le, vous dit-il, entre
toy & luy , c'est à dire, en secret, En usés
vous ainsi? alés vous au devant de ceux qui
vous fâchent pour les ramener doucement
à leur devoir, non, il vous semble qu'il y
auroit trop de foiblesse de vôtre part dans
[ces]
ces avances, c'est icy ou vous ne sauriés tenir
en bride vôtre langue , il faut que vôtre
passion s'exhale du moins par les paroles,
Vous blâmés , vous dechirés ouvertement
la vie de vôtre frere , & foulés aux pieds
une des plus saintes loix de nôtre Seigneur
Iesus Christ qui vous crie , pecheur
miserable pourquoy vomis tu tant
de fiel contre ton frere pour une legere
injure que tu en as receu , ou cours tu, ou
te porte ta passion? imite envers luy la conduite
que je tiens envers toy , Repren-
le , mais que ce ne soit point avec colere,
songe à sa correction & non à ta vengence,
n'expose pas d'abord sa mauvaise conduite
aux yeux du monde , essaye plûtôt de le
corriger en particulier, que si ce moyen est
trop foible , usés de la liberté que Iesus
Christ vous donne encore, prenés avec vous
une ou deux personnes pour donner plus de poids
à vôtre cause & à vos exhortations ,& lors que
toutes ces avances auront été inutiles, dites
le à l'Eglise . Voila trois degrés qui vous
sont marqués pour servir à la correction de
vôtre prochain ; Mais toûjours avec douceur ;
car si quelqu'un ne sait pas tenir en bride
sa langue , & qu'il soit aigre & piquant,
lors même qu'il se plaint avec justice, quelque
devot qu'il paroisse d'ailleurs, sa Religion est vaine .
Nous vous avons decouvert quelques
sources de cet air moqueur , de cet esprit
mordant qui paroit dans les discours des
censeurs de profession ; Voici une autre
raison que S. Jaques touche en parlant de
ces gens là.
Ils ne sçavent pas tenir en bride
leur langue, dit-il, parce qu'ils seduisent leur
cœur , & de fait vous trouverés que la pluspart
de ces Critiques malins sont de grands
hypocrites qui passent legeremẽt sur leurs
deffauts pour s'arrêter sur ceux d'autrui,
ils s'imaginent qu'ils sont à couvert de tout
reproche, & quoi que leur cœur soit fort
corrompu , ils se flatent d'un merite extraordinaire,
& c'est ce que S. Jaques appelle
seduire son cœur , parce qu'il est vrai que par
cette indulgence qu'on a pour ses deffauts
on s'endort dans le peché, ce qui est la plus
dangereuse de toutes les seductions: Tels
êtoyent ces Scribes & ces Pharisiens qui
demandoient à Jesus Christ qu'il prononçât
un arrêt de mort contre une femme
qui avoit été surprise en adultere.
Jea.ch.8. Le Seigneur n'ignoroit pas que ce crime
étoit capital,& il n'a pas dessein d'en extenuer
la grandeur par sa réponse ; mais il
[veulent]
voulut découvrir la malignité de ces ardens
accusateurs , en leur disant, que celui
d'entre vous qui est sans peché jette le premier
la pierre contre elle , c'étoient des Docteurs
qui seduisoient leur cœur en se persuadant
que leur vie étoit sans reproche , & qu'ils
pouvoient poursuivre cette femme qui
avoit transgressé la loy de Dieu , sans apprehender
que personne demandât contre
eux la punition de leurs crimes. Quand le
cœur est prevenu de cette vaine pensée
qu'il est pur,qu'il est innocent,on n'est plus
maître de sa langue , elle croit avoir un
droit absolu pour juger des actions humaines,
elle attaque toute sorte de gens , elle
pique, elle mort & déchire mêmes tout par
ses paroles ; disons donc que la Religion de
ces gens la est vaine , quelque apparence de
pieté qu'il y ait dans le dehors de leurs
actions.
Mais est-il possible , diront-ils , que des
simples paroles qui ne sont pas soutenuës
d'une forte haine & qui n'éclatent pas par
des mauvaises actions , soient capables de
rendre vaine vôtre Religion , si c'est un peché
ce n'est tout au plus qu'une de ces foiblesses
humaines que Dieu pardonne facilement
à ses enfants ; Car une pensée mal
conçeuë, une expression piquante & trop
forte contre nôtre prochain rendroit-elle
vaines tãt d'autres vertus Chrétiennes que
nous pratiquons,oüy n'en doutés pas, si quelqu'un
veut passer pour Religieux & ne sait pas
tenir en bride sa langue , sa Religion est vaine ,
en voici les raisons.
La medisance est incompatible avec la
veritable Charité , ne me dites point que
vôtre foy est trop pure dans les matieres
de Religion , qu'elle ne s'apuye que sur la
grace de Dieu , & sur le merite du Sauveur
du monde , que c'est une Doctrine dont
vous faites profession ouverte, & que vous
n'abandonnerés jamais , si vous manqués
de Charité envers vos freres , vôtre foy
n'est qu'une illusion d'esprit , on n'a jamais
veu dans l'Eglise une foy salutaire detachée
de l'amour du prochain , qui peche en
ce point peut dire qu'il s'abuse dans tous
les autres articles de la Religion Chrêtienne,
car si quelqu'un dit qu'il aime Dieu, &
hait son prochain , il est menteur ,
2. Iean 4.
vers.20.
Le service que nous rendons à Dieu
dans son temple , fait encore une partie
considerable de nôtre Religion , desabusés-
vous pourtant miserables qui ne savés
[pas]
pas donner un frain a vôtre langue, Dieu
ne conte pour rien vôtre assiduité dans les
saintes assemblées , il rejette le sacrifice de
vos prieres & de vos loüanges , parce qu'il
part d'une bouche impure , soüillée par le
venin de la médisance, vous ne tenés pas même
en bride vôtre langue dans ce sacré lieu ,
vos yeux malins cherchent souvent icy des
sujets qui puissent fournir l'occasion à des
discours vains, à des railleries piquantes , à
des noires impostures , qui font la matiere
de vos entretiens, vaine donc est la Religion
de ces gens , quelque beau que soit le dehors
du culte religieux qu'ils se piquent de rendre
à Dieu dans cette maison du Seigneur
qu'ils profanent par leurs mauuaises paroles.
L'hypocrisie suit d'ordinaire une humeur
satyrique, & ce peché seul suffit pour
rendre vaine nôtre Religion. Si un homme
étoit capable de se bien recõnoitre,il seroit
fort retenu dans le jugement qu'il fait d'autrui,
le foible qu'il trouveroit en sa vie l'occuperoit
assés, sans qu'il se donnât la peine
d'aller d'écouvrir celui de son prochain.
D'où vient donc cette passion que plusieurs
d'entre vous ont d'alterer la reputation de
leurs freres , c'est sans doute d'une secrete
prevention d'esprit qui leur persuade qu'ils
sont fort au dessus des autres. Les Pharisiens
étoyent les plus rigides Cenceurs qui
fussent parmi les Iuifs , ils relevent jusques
aux moindres choses . si les Disciples de
Iesus Christ prenent leur repas sans avoir les
mains lavées , c'est un crime qu'ils ne leur
peuvent pardonner. Que le Seigneur Iesus
mange avec les Peagers , qu'il face des miracles
le jour du Sabat , ils publient d'abord
qu'il est ennemi de Dieu, & qu'il aime les personnes
de mauvaise vie . Voilà des gens qui
veulent passer pour religieux : mais ce ne
sont que de grands hypocrites. C'est encore
aujourd'hui parmi nous le caractere
de ceux qui ne savent pas tenir en bride
leur langue ; ils ferment les yeux sur leur
conduite particuliere , ils veulent passer
pour des grands devots;mais ce n'est qu'un
faux pretexte dont ils se couvrent , il n'y a
qu'une profonde hypocrisie dans toutes
leurs démarches , & c'est ce qui fait que
leur religion est vaine , comme dit S. Iaques,
qui connoissoit parfaitement toutes les tristes
suites de ce peché.
Ie sai qu'il n'y a point de peché qui ne
donne quelque atteinte à la pieté ; Mais
toute sorte de pechés ne rendent pas nôtre
[ religion ]
religion vaine . Les fideles tombent souvent
dans des fautes que nous appellons d'infirmité;
ils sont emportés quelquefois par la
violence de leurs passions qui surprennent
leur raison & qui les deconcertent; mais
nous ne disons pas pourtant lors que nous
les voyons dans cet état qu'ils n'ont plus de
Religion , parce qu'ils en conservent toûjours
les veritables principes, quoy qu'ils
la choquent pour un peu de tems en quelqu'une
de ses saintes maximes. Quand
nous sommesb lessés à la main ou au pied,
cette partie souffre , la santé est un peu alterée,
mais on ne peut pas dire qu'elle soit
éteinte; Il n'en est pas de même des blessures
qui viennent de la bouche d'une vipere,
ce venin se répand d'abord dans toute la
masse du sang, tout le corps en souffre, &
la vie en est suffoquée. Tels sont les pronts
effets de la Calomnie , ce venin d'aspic qui
est caché sous une langue empoisonnée, se
communique à toutes les vertus Chrêtiennes,
la devotion d'un homme qui ne sait
pas tenir en bride sa langue languit , elle se
desseche, sa religion s'affoiblit, elle devient
inutile & vaine par ce mortel poison qu'elle
a succé avec la medisance.
Une montre est une des plus belles inventions
de l'esprit de l'homme,& un chef
d'œuvre de l'art; mais si le principal ressort
manque à cette machine, toutes les autres
pieces sont inutiles ; Disons la même chose
de la Religion d'un Chrêtien , c'est un
chef d'œuvre de la sagesse de Dieu , c'est
un corps composé de plusieurs parties;
mais si la Charité qui en est la principale
vient à manquer , ce n'est plus que confusion ,
le desordre se répend sur toutes les
autres vertus Chrêtiennes. Ainsi il n'est
que trop vrai que la religion qu'affecte un
homme medisant qui n'a point de Charité,
est une religion vaine dont il s'abuse.
Ce vice est d'autant plus dangereux
qu'il paroît extremement delié, & qu'il se
cache sous plusieurs formes , une loüange
donnée à contre sens,est une fine satyre, un
silence affecté quand nous entendons louër
une action qui merite d'être loüée , est aussi
l'effet de cet esprit malin qui ne trouve des
douceurs sensibles que dans la medisance.
Vous voyés à toute heure des gens de ce
caractere , les benedictions que Dieu repend
sur leurs prochains sont pour eux une
matiere de chagrin,ils cherchent toûjours
quelque pretexte pour balancer leurs bonnes
qualités, ils passent legerement sur leur
[vertu]
vertu pour étaler à loisir leurs foiblesses,
nous voyons ce desordre , nous en apprehandons
avec raison les suites sinistres.
nous sommes donc obligés de vous avertir
du peril ou vous êtes , en vous disant,
prenés garde à vous,esprits aigres , esprits
satyriques , esprits médisans qui ne savés
pas tenir en bride vôtre langue , vous rendez
vaine vôtre religion par cette mechante habitude.
Les medisans veulent passer pour des
gens d'esprit , mais d'ordinaire ils ne sont
rien moins que ce qu'ils pensent être , ce
n'est pas le caractere des honêtes gens
dans le monde,même lorsqu'ils jugent sainement
des choses,il demande plus de solidité,
un plus grand fonds,& sur tout beaucoup
de bonne foy qu'on ne trouve pas
dans les discours de ces mauvais railleurs,
ces esprits vetilleurs & mordents ont une
secheresse extrême , ils ne trouuent pas
dans leur propre fonds dequoi fournir aux
conversations raisonnables , ce sont des chiens ,
comme on a dit autrefois , mais
d'un mauvais ordre , puis qu'ils ne savent
qu'aboier & mordre.
S. Jaques ne dit pas que ceux qui ne savent
pas tenir en bride leur langue n'ont point
de Religion , comme les Athées & les impies,
il présupose au contraire , qu'ils se piquent
de passer pour devots & plus religieux
que les autres hommes; mais ce n'est
qu'un fantôme de devotion , une humilité
apparante, un zele affecté qui rend toute
leur Religion vaine , & aussi inutile pour le
salut que l'impieté de ceux qui n'ont pas
même les apparances de la vraye religion;
ce qui fait qu'ils seront punis au dernier
jour avec plus de severité que les autres,
parce qu'ils ont eu plus de connoissance,&
qu'ils ont corrompu les lumieres que Dieu
leur avoit données , par un esprit malin &
medisant qui empoisonne tout ce qu'ils disent
& tout ce qu'ils font. Concluons que
si quelqu'un veut passer pour religieux ne tenant
point en bride sa langue,mais seduisant son
coeur la Religion d'un tel homme est vaine .
Chers Freres , nous vous avons avertis
des l'entrée de ce Sermon,que c'étoit avec
un dessein premedité que nous avons choisi
les paroles de S. Jaques pour avoir occasion
de vous expliquer la matiere que je
viens de traiter maintenant: il y a plusieurs
pechés qui regnent dans cette Eglise , on
vous en a fait souuent de justes reproches,
on presse vos consciences par de vives
[exor-]
exortations , on ne vous flate point , on
vous menace de toutes les horreurs de
l'enfer pour vous faire abandonner la luxure ,
l'yvrognerie, le blaspheme , l'usure
& plusieurs autres habitudes scandaleuses
qui occupent la meilleure partie de
vôtre vie; Mais qu'arrive-t'il tandis que
nous trauaillons ouvertement à arracher
ces plantes maudites du champ du Seigneur,
Satan vient , cet ennemi , seme de nuit son
yvroye , il répand sans bruit la semence
de plusieurs autres vices qui s'élevent
sourdement dans cette Eglise , ils sont colorés
d'un beau pretexte , il les faut déveloper
pour les faire bien connoître, & pour
les faire sentir à ceux qui en sont coupables ,
telle est cette humeur aiguë & cet
esprit satyrique qui prend de jour en jour
des nouvelles racines parmi nous.
Ce n'est pas parmi le peuple que ce
vice regne le plus , l'artisan est assés occupé
de son travail , & la médisance
suit d'ordinaire l'oisivité , le peuple ne se
pique pas d'esprit , & ce peché passe aujourd'hui
pour un tour fin qu'on donne au
discours , pour un trait d'adresse , & entre
les personnes qui veulent s'élever
le plus sur leurs freres que cette mechante
habitude c'est établie , c'est par ce caractere
qu'elles prétendent se distinguer des autres,
comme si c'êtoit une vertu qui dût
leur faire honneur. A peine vos enfans
commencent-ils à parler que vous formés
leur langue à ce metier dangereux par des
exemples domestiques , vous concevés
une mauvaise opinion d'eux, s'ils ne savent
dire de bonne heure des paroles sales , des
discours piquants qui vous plaisent & que
vous prenés pour un augure d'un bel esprit
quand ils viennent en un âge plus avancé :
quel soin prenés vous, pour former
leur ame à la crainte de Dieu & au respect
qu'ils doivent avoir pour les personnes avancées
en âge? vous leurs fournissés tous
les jours des mauvais exemples, peres, meres,
enfans, tout est également déchainé
contre l'honneur du prochain , vous-vous
imaginés que ces traits piquants ne sont
que des railleries fines & particulieres aux
personnes de condition , vos fils & vos filles
qui ont succé ce venin domestique le
répandent par tout , ces coups de langue
font l'ornement & le sel de la plus part de
vos conversations , vous trouvés les entretiens
tristes & languissans , des qu'ils ne
[sont]
sont pas assaisõnés d'une humeur satyrique,
un discours serieux vous accable, des pensées
Chrêtiennes ne sont point de vôtre
goût , pour se bien divertir il le faut faire
aux depens d'autrui, & d'où que vo9 vienne
le plaisir, quelque impure qu'en soit la source,
vos cœurs sont toûjours trop ouverts à cette
joye profane qui vous coûtera cher.
J'ai ce penchant, je connoi que cette
inclination est mon foible ; mais je fais,dites
vous, tant de bonnes actions , je suis
fort assidu aux exercices de devotion , dans
ma famille & dans ce temple , j'ai pitié des
pauvres & les assiste de mon bien , le malheurs
des personnes affligées me touchent
sensiblement , seroit-il possible aprés cela
que ma Religion fût vaine , parce que je
ne sai pas tenir en bride ma langue ? Oüy, &
c'est une verité celeste sur laquelle vous
devés faire une sainte reflexion aujourd'hui,
car tous les biens que vous faites ne
sont pas capables de balancer les maux qui
naissent de vôtre medisance , ce n'est point
à vous à faire des compensations avec
Dieu , vous devés savoir vôtre devoir , il
ne suffit pas de ce remplir en quelqu'une
de ses parties, si vous manqués en d'autres
essentielles comme est celle-cy, vous perdés
tout l'honneur de cette riche recompense
que Dieu a promise à ses fideles serviteurs.
Il importe fort peu à Satan de quelle maniere
il avance son regne , pourveu qu'il
nous perde il est toûjours satisfait , la
voye du monde est large , l'Evangile vous le
dit, la foule court dans cette carriere malheureuse ,
l'esprit qui y anime les pecheurs
agit diversement , il y a des larrons ,
on y voit des luxurieux , on y trouve
des débauchés , mais les medisans courent
aussi dans ce chemin de perdition,
& leur fin ne sera pas moins triste que celle
des autres , leur Religion est vaine , & cela
suffit pour les rendre eternellement malheureux.
Prenés une sainte resolution en ce jour
qui va commencer une nouvelle année,
de renoncer à cette méchante habitude
dans laquelle plusieurs d'entre vous ont
vieilli , peut-être n'en avez vous pas bien
connu toutes les consequences , un usage
fort répandu parmi nous est un torrent qui
vous a entrainés , & une devotion apparante
vous a retenus dans ce vice , ouvrés
aujourd'hui les yeux au danger mortel qui
vous menace , si vous perseverés dans
[cette]
cette humeur , répandés à l'avenir l'huile
de vos saintes consolations dans les playes
que vôtre langue a faites , songés a vôtre
salut , travaillés avec douceur à celui de
vos freres , qu'un esprit de Charité paroisse
dans toute vôtre conduite , supportés
les foiblesses de vôtre prochain , tendés
lui la main pour le redresser si vous
voyés qu'il tombe , profités de sa chûte ,
pour ne heurter pas aprés lui contre
un même écueil, & si quelqu'un de
vous est debout par la foy , qu'il veille,
qu'il prie , & qu'il prenne garde de ne pas
tomber .
Que les peres & les meres soyent
plus appliqués qu'ils n'ont été jusques ici à
l'éducation de leurs enfans , étudiés bien
leur naturel, & si vous voyés qu'ils ayent du
panchant à la médisance,allés au devant de
cette inclination maligne,corrigés,châtiés,
c'est une sainte severité que vous devés
exercer en une occasion si importante.
Quand vous voyés que de méchantes herbes
croissent dans vos jardins,vous y portés
la main & le fer même, s'il est necessaire
pour en couper les racines ; regardés en
vos enfans cette humeur vicieuse , cet
esprit malin & moqueur comme une
plante maudite qui fructifieroit abondamment
par toute sorte de mauvaises œuures,
coupés la de bonne heure , arrachés-en si
vous pouvés jusques aux moindres fibres;
mais gardés-vous sur tout de leur être un
sujet de scandale , il n'y a rien de si dangereux
que les exemples domestiques ; car il
faut un miracle de la grace de Dieu pour
persuader à un enfant qu'il peche lors qu'il
ne fait que marcher sur les traces de ceux
dont il a receu la naissance.
Vous avés accoûtumé de faire en ce jour
des souhaits mutuels pour le cours heureux
de cette année , l'accomplissement de vos
vœux dépend en partie de vous , changés
de maniere de vivre & vous verrés que les
benedictions de Dieu succederont à ses
jugemens, soyés sobres dans vos repas, retenus
dans vos discours, & chastes dans vos
discours, & chastes mêmes dans vos pensées,
allés vous reflechir en particulier dans
vos maisons sur les exhortations que nous
vous avons faites , ne soyés pas si profanes
que d'en faire un jeu d'esprit, & de railler
sur un sujet terrible où il ne s'agit pas de
moins que de vôtre condamnation eternelle,
si vous perseverés dans la dureté de
vos cœurs, ou du salut de vos ames si vous obeissés
[obeissés]
à la voix du Sauveur du monde. Dieu
veuille donner en ce jour une efficace extraordinaire
à sa parole , afin qu'elle soit
pour vous un ministere de reconciliation
& de paix, un ministere encore pour recevoir
les graces du S.Esprit qui vous rende
des nouvelles creatures,formées & façonnées sur
l'image de nôtre Seigneur Iesus Christ , auquel
de même qu'au Pere & au S. Esprit soit
honneur, gloire, empire & magnificence
eternellement. AMEN.