LE CHOIX
DE MOYSE
EXPOSÉ
EN DEVX SERMONS
Sur Hebr. XI. ꝟ. 25.26.
Par la foy Moyse étant déja grand refusa
d'être nommé fils de la fille de Pharao ,
choisissant plûtôt d'être affligé avec le Peuple
de Dieu , que de jouïr pour un tems des delices
de peché .
Ayant estimé plus grandes richesses l'opprobre
de Christ, que les tresors d'Egypte:
Car il regardoit à la remuneration .
SERMON PREMIER.
Mes Freres,
De toutes les actions de la vie, il n'y
[en]
Sermon
I.en a point sans doute de plus importante,
ni de plus necessaire, que le choix de
la Religion , que nous devons suivre , &
de l'Eglise à laquelle nous sommes obligez
de nous ranger pour en faire profession.
Comme c'est un point, où l'on
ne peut pas se tromper sans se perdre,
& de la decision duquel depend le bonheur
ou le malheur eternel des hommes ;
on ne sauroit apporter trop
d'application ni trop de soin pour faire
ce discernement ; d'autant plus que dans
l'aveuglement dans lequel nous sommes
naturellement , & parmi le grand nombre
de Religions qu'il y a dans le monde,
il n'est pas moins difficile qu'important
de le savoir. Je say bien qu'il n'y a
personne , qui ne souhaite de connoître
la vraye Eglise , & qui n'ait de l'empressement
d'y entrer pour y faire son salut.
Mais la plûpart s'en forment une idée si
fausse & si éloignée de la verité , qu'ils
s'égarent malheureusement dans cette
recherche ; & qu'au lieu de choisir celle
qui les peut mettre dans le chemin de
la vie , ils s'attachent à d'autres qui les
engagent infailliblement dans la mort.
Comme ils ont leur cœur au monde, &
[sont]
sont prevenus de ce mauvais préjugé, Sermon
I.
que la felicité temporelle est une marque
de l'Eglise , ils suivent celle qui leur peut
procurer cet avantage , & ils ne peuvent
se ranger du côté de ceux qui sont
dans la souffrance. Mais le fidele à qui
le Saint Esprit a donné les yeux de son
entendement illuminez pour connoître
la vanité de tous les biens du monde, &
l'éternité de ceux du Ciel ; Luy qui a appris
dans l'échole de la grace, que la
croix est la livrée des enfans de Dieu,&
le chemin de la gloire , ne se laisse pas
éblouïr aux grandeurs , ni aux délices
du siécle ; Il cherche l'Eglise dans la
bassesse & dans la misere plûtôt que dans
la prosperité ; Et il ne fait pas difficulté
d'en préferer la communion , quelque
triste & persecutée qu'elle soit , à
tous les avantages du monde. C'est
ce bon choix que la foy fit faire à Moïse,
que l'Apôtre nous décrit excellemment
dans le Texte que nous venons de vous
lire , Par la foy Moïse étant déja grand,
refusa d'être nommé fils de la fille de Pharao,
choisissant plûtôt d'être affligé avec le
Peuple de Dieu , que de jouïr pour un
peu de tems des delices de peché , Ayant
[ estimé ]
Sermon
I. estimé plus grandes richesses l'opprobre de
Christ, que les tresors d'Egypte : Car il regardoit
à la remuneration .
Grand & glorieux Exemple, qui devroit
être toûjours devant nos yeux,
pour nous affermir dans la profession de
la vérité, & sur tout dans ce malheureux
siécle, où nous voyons tant de personnes
se laisser aller tous les jours à des
honteuses Apostasies , préferant les delices
& les avantages du monde , à la
Communion de Jésus-Christ & de son
Eglise , sous ombre qu'elle nous expose
à diverses persécutions. C'est ce qui
nous l'a fait choisir pour être le sujet de
nôtre méditation, afin que si nous avons
la douleur de voir divers de ces funestes
exemples , nous nous premunissions
de bonne heure contre de semblables
scandales , & apprenions à mouler nôtre
conduite sur celle de ce saint homme.
C'est en cette veuë que l'Apôtre l'a voulu
proposer aux fideles Hebreux entre
les exemples les plus memorables de la
foy des Anciens , afin de leur faire comprendre
qu'ils ne devoient pas trouver
étrange , si le Seigneur les appelloit à
souffrir , puis que leurs péres étoient
[passez]
passez par les mêmes épreuves , qu'ilsSermon
I.
ne devoient point avoir de peine de quitter
les honneurs & les avantages du siécle
pour l'Evangile du Seigneur Jésus ,
puis qu'ils voyoient que Moïse le Chef
de leur Etat, & l'une des personnes les
plus considerables qu'ils eussent jamais
eu parmi eux , avoit genereusement renoncé
aux dignitez les plus relevées &
aux plus grands biens , auxquels il pouvoit
pretendre , pour demeurer avec ses
fréres, & participer à l'opprobre de Jésus-
Christ. Considerons donc , Mes
Fréres, avec soin cet excellent tableau,
que l'Apôtre a voulu tirer ici avec son
pinceau celeste ; Examinons-en tous les
traits, puis-qu'il n'y en a point qui ne soit
merveilleusement beau , & qui ne nous
donne sujet de faire diverses refléxions
tres-importantes pour nôtre conduite;
Et si dans les actions précédentes , où
nous avons commencé à vous décrire
la vie de ce fidéle Serviteur de Dieu ,
vous avez pû remarquer déja beaucoup
de charactéres de sa foy & de sa pieté;
Je suis persuadé que vous aurez sujet de
découvrir avec plus d'évidence en cette
occasion , qui est sans contredit un des
[plus]
Sermon
I.plus beaux endroits de cette illustre vie,
la vertu de cette grande ame , & l'attachement
inviolable qu'il a eu pour la
vraye Religion, dont Dieu luy avoit donné
la connoissance.
Pour cet effet, voyons distinctement,
s'il plait au Seigneur ,les quatre choses
que l'Apôtre nous represente là dessus.
La premiére est le genereux refus , que
Moïse fit d'être appellé fils de la fille
de Pharao ; La seconde le choix
qu'il voulut faire d'être affligé avec le
peuple de Dieu,plûtôt que de jouïr pour
un tems des délices de peché. La troisiéme
est le principe de cette grande
resolution , non pas la raison, ni la prudence
de la chair , mais la foy. Et enfin
les motifs qui l'obligérent à s'y déterminer;
En ce qu'il estima plus grands richesses
l'opprobre de Christ que les
tresors d'Egypte, parce qu'il regardoit à
la remuneration.
Je n'ay pas besoin de vous dire , Mes
Fréres, par quelle rencontre Moïse vint
dans la Cour du Roy d'Egypte , puisque
vous avez veu dans les actions précédentes
la merveille que la Providence
de Dieu fit paroître dans sa conservation,
[tion,]
& comme ayant été exposé à l'âgeSermon
I.
de trois mois sur le bord du fleuve
par ses Pére & Mére , qui ne le pouvoient
plus tenir caché , fut non seulement
conservé par miracle , mais de
plus tomba heureusement entre les
mains de la Princesse d'Egypte,qui ayant
été touchée de sa beauté & de ses larmes ,
au lieu de le faire mourir , prit un
soin particulier de l'élever , & pour le
faire avec plus de facilité, elle ne le voulut
pas confier à d'autres mains, que celles
d'une des femmes des Hebreux, que
la Providence de Dieu fit être sa propre
mére , afin qu'il pût sucer la pieté & la
connoissance du vray Dieu avec le lait,
& qu'il fût en état de resister aux tentations
qu'il auroit à soûtenir dans la Cour,
quand il y retourneroit; comme sa mére
ne manqua pas , dés qu'il fut en âge de
connoissance , de le ramener à la Princesse,
qui l'adopta pour son enfant , & le
fit instruire avec beaucoup de soin dans
toute la science des Egyptiens. Sur quoy
il est bon que nous remarquions en passant
la sagesse admirable de Dieu , qui se
sert souvent des Ennemis de son Eglise,
pour procurer sa conservation , & qui
[tire]
Sermon
I.tire des choses qui semblent les plus contraires,
les moyens d'avancer son œuvre
& de venir à bout de ses desseins. Qui
est-ce qui eût pû se persuader que le
cruel Edit, que Pharaon avoit donné de
perdre tous les mâles d'Israël , seroit le
moyen dont Dieu se serviroit pour les
conserver , & pour les délivrer de leur
captivité , & que la fille de ce barbare
persécuteur seroit la conservatrice de
ceux que son pére vouloit perdre ? Cependant
vous voyez comme Dieu l'a fait
servir à cét usage contre son intention ,
& que ce fut par là que Moïse, qui devoit
être le libérateur du Peuple , fut conservé
& mis en état de travailler à cette
grande œuvre , à laquelle Dieu l'avoit
destiné. Qui est-ce qui se fût imaginé,
que l'inhumanité des fréres de Joseph,
qui le vendirent aux Madianites pour le
perdre , dût être le moyen de son exaltation
& de la conservation de toute la
famille ? Vous voyez pourtant que c'est
ainsi que Dieu en a voulu user à son
égard , & que le mauvais traittement de
ses fréres a été un échelon pour l'élever
au haut degré de Gloire où il est parvenu.
C'est ainsi que les Ennemis de l'Eglise
[glise]
servent souvent à sa conservation, Sermon
I.
lors qu'ils travaillent à sa destruction,
Dieu par sa Providence merveilleuse
tournant en bien ce qu'ils font en mal ,
& se servant saintement de leurs passions
injustes pour accomplir ce qu'il a déterminé
dans son conseil. Dieu pouvoit
bien garentir Moïse par d'autres voyes,
en le laissant toûjours avec ses fréres,mais
il veut qu'il entre dans la famille du Roy,
afin que la merveille de sa conservation
fût plus illustre, & que l'éclat de sa foy
parût davantage dans le genereux renoncement
qu'il feroit au monde.
C'est ce que l'Apôtre décrit , quand
il dit , que Moïse par la foy refusa d'être
nommé fils de la fille de Pharao ; Il remarque
premiérement l'avantage qu'il avoit
d'être entré dans la famille du Roy, parce
que dés que sa mére l'eût ramené à
Thermuthis, c'est le nom que l'historien
Juif donne à la Princesse d'Egypte, qui le
luy avoit donné à nourrir , elle l'adopta
pour son fils , selon que l'adoption étoit
déja alors en usage , soit à l'égard des
Péres , qui étans sans enfans , en cherchoient
dans des familles étrangéres ,
pour leur consolation , soit à l'égard de
[ceux]
Sermon
I.ceux qui en ayant déja, ne laissoient pas
par un effet de leur liberté , d'en prendre
d'autres, desquels ils pouvoient espérer
quelque service , ou à qui ils vouloient
procurer de l'honneur & du bien,
comme ce fut sans doute cette raison qui
porta la fille de Pharao à adopter Moïse.
D'où vous pouvez déja juger de la grandeur
de sa condition , & de l'avantage
qu'il devoit y rencontrer. Si c'est un
grand bonheur d'avoir entrée dans la
maison des Grands , & d'y tenir un rang
considérable ; Quelle gloire & quel honneur
n'étoit-ce pas à Moïse d'être receu
dans la maison d'un Roy, & de n'y être
pas seulement comme un serviteur , ou
un domestique , mais d'y être considéré
comme un enfant , & de se voir en état
de pouvoir un jour monter sur le trône?
Qui est-ce qui eût pû s'imaginer , que
Moïse n'eût pas été ravi de se conserver
cet avantage, & de vivre toûjours dans
cette splendeur, où il pouvoit trouver
avec l'honneur, tous les plaisirs & toutes
les richesses qu'il eût pû souhaiter? Ce
sont comme vous savez les trois sortes
de biens aprés lesquels le monde soûpire,
& dont il fait ordinairement les
[trois]
trois grandes Idoles , l'Ambition, la Volupté ,Sermon
I.
& l'Avarice, qu'il sert avec beaucoup
d'empressement , que l'Apôtre a
voulu joindre ici pour montrer que rien
ne pouvoit manquer à son bonheur selon
le monde ; quand il parle non seulement
d'ête nommé le fils de la fille de
Pharao , qui est la plus grande gloire , à
laquelle il eût pû aspirer , mais aussi des
delices & des tresors qu'il y rencontroit.
Cependant , vous voyez qu'il en use
bien autrement, & que dés qu'il peut se
bien connaître , il fait resolution de quitter
cette sorte de vie , quelque douce
& honorable qu'elle fut en apparence,
Etant déja grand , il refusa d'être nommé
fils de la fille de Pharao. Il parle de son
âge, afin qu'on ne s'imaginât pas que le
refus qu'il faisoit , vint de quelque légereté
de jeunesse ; ou du peu d'expérience
qu'il eût dans le monde , qui l'empêchoit
de savoir encor ce que les choses
valent, comme il n'arrive que trop souvent
que la Jeunesse s'emporte à faire
des resolutions temeraires & précipitées,
sans bien considerer ce qui est de
son devoir ou de son bien ; Mais icy
Moïse est déja grand, & comme Saint
[Etienne]
Sermon
I.Etienne remarque au livre des Actes , il
Act.7.23.
avoit déja atteint l'âge de quarante ans,
lors qu'il se retira de la Cour pour aller
voir ses fréres, & par conséquent , c'étoit
dans la plus grande vigueur de son
âge , & dans un tems auquel il avoit eu
déja loisir d'éxaminer avec soin toutes
choses , & de penser meurement à ce
qu'il avoit à faire ; comme il est vray que
dans des choses importantes, & sur tout
lors qu'il est question de choisir la religion
que nous devons suivre , il ne faut
pas y aller à la legére , ni avec précipitation ;
puis que c'est la chose la plus
importante de la vie , on ne sauroit y
apporter trop de circonspection , pour
faire un bon choix, qui puisse donner la
paix à nôtre conscience , & établir le
bonheur de nôtre vie. Mais comme la
consideration de son âge fait voir la maturité
de son jugement , aussi découvre-
t-elle la force de sa foy dans une resolution
de cette nature; Car s'il n'eût pû dire
qu'il la quittoit, parce qu'il n'en avoit pas
encor connu les avantages , mais y ayant
passé quarante ans , il n'étoit pas possible
qu'il n'en eût goûté toutes les délices , &
[qu'il]
qu'il n'en pût parler par experience ; l'âgeSermon
I.
où il avoit passé , & où il étoit parvenu,
étant le tems auquel on le plus de
panchant aux vices du siécle , & auquel
on se laisse ordinairement prendre aux
grandeurs & aux douceurs de la Cour.
Ainsi la tentation étoit sans doute
plus grande aprés avoir goûté ses délices ,
que s'il n'y en avoit eu aucune part
D'où vient qu'il y en a tant,qui ayant été
élevez dans la connoissance de la vérité
en leur enfance , dés qu'ils sentent l'air
du monde , & les Grandeurs du siécle,
ils en sont bien-tôt enyvrez, & les regardent
comme leur plus grand bonheur.
Mais c'est alors que Moïse les déteste,&
qu'il fait resolution de les quitter, Il refusa
d'être nommé le fils de la fille de Pharao .
Ce n'est pas qu'il en fit un refus formel
par ses discours , du moins il n'en
est point fait de mention dans l'Ecriture ,
mais c'est qu'il le refusa en effet
par sa conduite,s'étant retiré de la Cour,
& n'ayant plus voulu avoir de part à ses
honneurs. Il en avoit déja donné quelque
marque dés son enfance, si nous voulons
ajoûter foy à ce que Josephe en rapporte,
que Pharaon luy ayant mis un jour
[le]
Sermon
I.le diadéme sur la tête , il l'en arracha, &
l'ayant jetté à terre , le foula aux pieds,
comme pour marquer le genereux mépris
qu'il commençoit à en faire dés
lors. Mais cela parut bien clairement ,
lors qu'à l'âge de quarante ans , il luy
monta au cœur d'aller visiter ses fréres,
soit que ce fut par un simple mouvement
d'affection & de tendresse, qui est
naturelle à des ames bien nées, soit que
ce fut déja par quelque secrette inspiration
de Dieu, pour le disposer au grand
employ qu'il luy vouloit donner. En effet
vous voyez dans son histoire qu'ayant
rencontré un Egyptien, qui maltraittoit
un Israëlite, il tua l'Egyptien, commençant
par ce moyen à faire la fonction de
la glorieuse charge à laquelle Dieu l'appelloit ,
& lors que la chose fut connuë,
au lieu de retourner à la Cour pour y
faire sa paix, comme il eût pû sans doute
avec facilité par le credit de la Princesse,
il se retira aux païs de Madian , pour faire
voir qu'il quittoit absolument la Cour,
& qu'il ne vouloit plus avoir de communion
avec ces Infidéles. Ainsi s'il ne
refuse pas formellement l'honneur qu'on
luy vouloit faire , il le refuse en effet par
[ses]
ses actions , & fait voir par sa conduiteSermon
I.
de quelle maniére il en faut user , lorsqu'il
est question de se détacher du monde,
& de quitter ses délices. Ce seroit
en vain qu'on protesteroit d'y renoncer ,
si nôtre vie témoigne le contraire ,
si au lieu de sortir de l'Egypte,
& de rompre tout commerce avec le
siécle , nous prenons plaisir à y demeurer ,
& à participer à ses mauvaises œuvres ;
le vray renoncement doit être de
la vie plus que de la langue , & des
mœurs plutôt que des paroles. Moïse
l'avoit bien compris , quand il fit la resolution
de se retirer de la Cour, & d'aller
demeurer avec ses fréres, & de s'interesser
dans leurs souffrances. Il fit bien
voir par là , que, quelque grand que fut
l'avantage qu'il possedoit , & quelque
glorieux que parût l'honneur où il étoit
elevé , il le postposoit pourtant volontiers
à la condition chetive & miserable
de ses fréres. Chose étrange , qu'un
honneur que mille autres personnes
eussent recherché avec empressement,
soit méprisé avec tant d'indifference!
Quoy ? n'estime-t-il rien d'être dans la
Cour d'un si Puissant Roy, & d'être tenu
[pour]
Sermon Ipour le fils d'une si Grande Princesse?
Luy paroit-il si peu de chose de se voir
parvenu à un si haut degré de gloire &
de magnificence , honoré & respecté
non seulement de toute une Cour , mais
de tout un Royaume ? Est-ce qu'il soit
insensible à l'honneur que luy a fait cette
illustre Princesse de l'avoir adopté pour
son enfant , & qu'il n'ait pas toute la reconnoissance
dont il est capable pour
une si extraordinaire faveur ? Il ne faut
pas que nous ayons une semblable pensée
de ce saint homme. Il avoit sans
doute tout le ressentiment imaginable
pour une grace si considérable , & il n'avoit
pas manqué de luy en donner déja
des marques aux occasions : Cependant
il ne laisse pas d'y renoncer , parce qu'il
ne peut pas y demeurer davantage sans
faire tort à sa conscience , & sans renoncer
à l'honneur que Dieu luy avoit fait
de l'avoir adopté pour son enfant. Il savoit
bien qu'il étoit fort obligé à celle
qui luy avoit sauvé la vie , mais il savoit
aussi qu'il étoit incomparablement plus
obligé à son Dieu , qui la luy avoit donnée,
& qui la luy conservoit tous les jours
par sa Providence , qui étoit tout ensemble
[ble]
& son Créateur & son Rédempteur,Sermon
I.
& qui l'avoit sauvé,non seulement d'une
mort corporelle,qu'il auroit souffert dans
le gouffre des eaux , mais sur tout de la
mort éternelle, & de l'abyme de la perdition.
Il n'ignoroit pas que c'étoit le
plus grand honneur auquel il pût aspirer
selon le monde , mais il étoit convaincu
aussi que tout cet honneur n'étoit pas
capable de le rendre heureux , & qu'il
n'avoit que de la vanité & du tourment
d'esprit. Il regardoit la Cour comme
un lieu de précipice , & un sejour extrémement
dangereux,où s'il y avoit quelque
douceur en apparence , il y avoit
mille amertumes à digerer , & une infinité
d'écueils funestes , contre lesquels
on voyoit tous les jours une infinité de
personnes faire malheureusement naufrage.
Il savoit bien que c'est dans les
Cours des Grands , où regnent le plus
souvent les plus grands vices , que c'est
là où l'impieté & la licence , la débauche ,
l'impureté , la dissimulation & la
tromperie , la profaneté & l'Atheïsme
sont comme sur le trône , & sur tout
dans la Cour d'Egypte , où l'ignorance
du vray Dieu ,& les épaisses tenébres du
[Paga-]
Sermon
I.Paganisme avoient rempli ce grand
Royaume de toute sorte de superstitions
& d'idolatries les plus infames ; Que
s'il avoit été en danger sur le bord du
Nil , il ne l'avoit pas moins été dans cette
Cour ; que dans celuy-là , il ne pouvoit
perdre que son corps , mais que
dans celle-cy , il étoit dans le danger de
perdre sans ressource & son cors &
son ame. C'étoient sans doute les bons
sentimens qu'il avoit succez de sa mére
avec le lait , qui luy avoit appris à faire
le discernement de la vanité & de la misére
du monde , d'avec le veritable bonheur
du Peuple de Dieu ; Et il y avoit
été d'autant plus confirmé, lors-qu'il en
avoit fait luy-même l'expérience , &
qu'il avoit reconnu le peu d'avantage
qu'il avoit à espérer , & l'horrible malheur
qu'il avoit à craindre dans cette
condition ; c'est ce qui l'oblige à faire
ce genereux refus & à se retirer d'un
lieu si dangereux. Vous direz icy peut-
être que quelque corruption qu'il y eût
dans cette Cour , Moïse pouvoit s'en
garentir , & preserver son ame de toute
idolatrie pour servir Dieu en pureté de
conscience , comme Joseph l'avoit fait
[autrefois]
autrefois dans la même Cour ; & queSermon
I.
dans cet état , il eût pû beaucoup servir
au soulagement de ses fréres , par consequent ,
qu'il eût été ce semble de la
prudence de Moïse , de s'accommoder
pour quelque tems avec le monde pour
procurer quelque repos à son peuple,
plûtôt que de mépriser l'honneur qu'on
luy avoit fait , & de perdre avec l'affection
de la Princesse d'Egypte , tout le
credit qu'il pouvoit avoir en cette Cour.
J'avouë qu'il auroit pû le faire, si les
choses eussent été alors dans l'état auquel
elles étoient du tems de Joseph,
lors qu'il étoit dans la faveur du Roy,
qui l'avoit fait Gouverneur de toute
l'Egypte, qu'il favorisoit ses fréres pour
l'amour de luy , & qu'il les laissoit jouïr
d'une pleine liberté dans le païs qu'il
leur avoit donné. Mais alors , ces choses
avoient absolument changé de face,
Un autre Roy s'étant levé qui n'avoit
pas connu Joseph , & qui se portoit ouvertement
à persecuter ce peuple , & à
en chercher la destruction , il n'auroit
pas pû souffrir ceux qui auroient embrassé
ses intérets ; ainsi n'y ayant point
de milieu à prendre , ou de renoncer à
[la]
Sermon
I.la Communion du Peuple de Dieu , ou
de quitter la Cour ; Moïse choisit le
second sans hésiter , & aime mieux aller
souffrir avec le Peuple de Dieu, que de
demeurer dans la Cour d'Egypte & d'y
jouïr des délices du peché. Belle leçon,
mes Fréres,de ce que les Fidéles doivent
faire en de semblables occasions. Tandis
que les honneurs du monde ne nous
empêchent pas de servir Dieu, & de
faire profession de sa verité , nous pouvons
bien les posseder , mais dés qu'ils
deviennent incompatibles avec la Religion,
& qu'on ne peut pas les retenir sans
renier Jésus-Christ & la verité de son
Evangile , dés-là il faut suivre l'exemple
de Moïse, & choisir plûtôt d'être affligé
avec le Peuple de Dieu , que de jouïr
pour un tems des delices du peché.
Mais examinons un peu de plus prés,
mes Fréres , & son refus & son choix,
qui ne sont pas moins étonnans l'un
que l'autre. Il refuse les honneurs , &
il choisit l'ignominie , il refuse les plaisirs
& les douceurs de la vie , & il choisit
l'affliction & les douleurs ; Il refuse les
tresors , & il choisit la misére. N'étes-
vous pas surpris d'une si étrange resolution?
[tion?]
& ne direz-vous pas qu'il est ennemiSermon
I.
de son propre bonheur , & qu'il ne
merite pas les avantages qu'il a , puisqu'il
en fait si peu de cas ? Il voit un
peuple captif, un peuple affligé & persecuté ,
sur lequel on aggrave tous les jours
le joug d'une cruelle servitude ; Et pour
luy , il se voit dans une glorieuse condition ,
où rien ne luy peut manquer , où
il peut jouïr de tous les plaisirs , de tous
les honneurs , & de toutes les richesses
qu'il pouvoit desirer. Cependant il aime
mieux la condition de ce miserable peuple
captif & persecuté,que toute la prosperité
d'Egypte , il préfére l'opprobre à
la gloire , l'affliction aux delices , la povreté
aux richesses , & la servitude à la liberté.
Combien y en avoit-il parmi ce
peuple , qui eussent souhaitté d'avoir
cet avantage , & qui auroient été ravis
de pouvoir par-là se tirer de la malheureuse
servitude sous laquelle ils gemissoient ?
Mais Moïse en agit bien autrement ,
il quitte sans peine la Cour avec
toute sa pompe , pour se joindre à la
triste condition de ses fréres , & il aime
mieux souffrir avec eux , que de régner
& de triompher avec le monde. Ne le
[blâ-]
Sermon
I.blâmons pas pourtant , mes Fréres , il a
choisi la bonne part qui ne luy sera jamais
ôtée , il a bien seu distinguer le
vray d'avec le faux , la réalité de l'apparence,
& le bonheur solide & éternel ,
d'avec ce qui n'en a que l'ombre fausse
& trompeuse. Il quitte la Cour , Je l'avouë ,
mais une Cour impie & idolatre,
où il ne pouvoit que se perdre , & il se
range dans la Communion du Peuple
de Dieu , où il étoit assuré de trouver le
moyen de sauver. Il renonce à des
grands honneurs , il est vray , mais à des
honneurs vains & périssables , qui devoient
le précipiter dans une ignominie
éternelle , & il choisit la Croix & les
souffrances, mais des souffrances legéres
& momentanées, qui devoient être suivies
d'un bonheur & d'une gloire immortelle.
Il se prive de beaucoup de
délices & de plaisirs , mais des délices
criminelles & empoisonnées , qui tirent
aprés soy des regrets & des amertumes
insupportables , & il vient boire de la
coupe d'affliction & de calamité, qui luy
devoit procurer la coupe du salut & de
l'immortalité. Enfin il méprise les tresors
de l'Egypte , mais des tresors corruptibles,
[ruptibles,]
que le larron peut dérober, &Sermon
I.
que la rouïlle peut gàter, pour embrasser
la povreté , mais une povreté glorieuse,
qui le doit mettre dans la possession des
veritables richesses & des tresors incorruptibles
de l'éternité. N'avoit - il pas
donc raison , mes Fréres , d'en agir
comme il a fait , puis-qu'il trouvoit un si
grand avantage dans ce refus & dans
ce choix ? Il choisit plûtôt d'être affligé
avec le Peuple de Dieu .
Je n'ay pas besoin de vous dire que
par le Peuple de Dieu , il marque l'ancien
Israël , que Dieu avoit choisi pour son
peuple d'entre toutes les nations de la
terre , & il avoit honoré de son Alliance ;
Car quoy que tout ce qu'il y a
de peuples dans le monde, puissent bien
s'appeller le Peuple de Dieu à l'égard
de sa Providence, parce qu'il les a tous
créez par sa puissance , & qu'il les conserve
par sa bonté , & qu'il a un empire
absolu sur eux,& qu'en ce se sens Dieu ne
soit pas seulement le Dieu des Juifs, mais
aussi des Gentils ; Il est vray pourtant
que la Postérité de Jacob étoit d'une
façon particuliére le Peuple de Dieu , &
que Dieu en avoit voulu être le Dieu,
[non]
Sermon
I.non seulement comme Créateur &
comme Seigneur , mais aussi comme
Redempteur & comme Pére , non seulement
par l'empire de sa Providence,
mais aussi par le régne de la Grace , parce
qu'il l'avoir aimé , & qu'il l'avoit élû
exclusivement à tout autre pour l'honorer
de sa connoissance , pour le favoriser
de ses graces,& pour le rendre son peuple
péculier , & le plus précieux joyau
qu'il eût sur la terre. C'étoit ce Peuple
seul, à qui il avoit donné ses loix & ses
promesses qui pouvoit se glorifier d'être
la seule Eglise du Seigneur , qui étoit
receuë dans sa Communion, & qui avoit
droit à son héritage. Cependant, quelque
grand & glorieux que fut cet avantage ,
il ne laissoit pas d'être étrangement
combattu par la malheureuse condition
dans laquelle ce Peuple se rencontroit,
que l'Apôtre veut marquer , quand
il dit , qu'il étoit affligé . Il est vray qu'il
étoit extrémement affligé , non seulement
en ce qu'il étoit pélerin & étranger
sur la terre, mais de plus à cause de la
dure servitude sous laquelle il gemissoit,
voyant tous les jours augmenter ses
maux par de nouvelles persécutions;
[le]
le cruel Tyran qui les tenoit en esclavageSermon
I.
ne se contentant pas de les attacher
au vil & contemptible métier de
faire des briques , & de les charger extraordinairement
par ses Commissaires
impitoyables , qui leur imposoient avec
une rigueur extraordinaire une tâche
beaucoup plus grande qu'ils ne pouvoient
faire , & rendoient déja par ce
moyen leur vie amére & douloureuse;
Mais sur tout, par l'Edit sanglant & inhumain
qu'il avoit fait publier , de tuer &
de jetter dans la riviére tous les mâles des
Hébreux qui viendroient au monde , &
par l'ordre qu'il avoit donné aux sages
femmes de les mettre à mort, pour pouvoir
en éteindre en peu de tems toute
la race ; ô fureur & inhumanité épouvantable !
N'étoit-ce pas assez , barbare
Tyran, pour assouvir ta rage contre ce
povre peuple , d'avoir tourmenté si
cruellement les péres , que tu veuilles
encor pousser ta passion jusques sur les
enfans , & sur des enfans sortans du ventre
de leurs méres ? Que t'ont fait ces
petites créatures innocentes pour les persecuter
dés le ventre,en leur faisant donner
la mort au moment qu'ils commencent
[cent]
Sermon
I.à jouïr de la vie , & en ne voulant
point qu'ils aient d'autre berceau que le
cercueil ? N'as-tu point de pitié de cét
âge tendre , & de ces cris & de ces larmes,
qui ont souvent attiré la compassion
des bêtes farouches ? Et ne songes-
tu point , que ce Dieu qui leur a donné
la vie, & qui tire sa loüange des petis enfans
& de ceux qui allaitent , écoutera
leurs cris & leurs gemissemens, & vangera
sur ta Personne & sur celle de tes
enfans , le crime détestable que tu commets
en la leur? C'est ce que ce méchant
Roy ne manqua pas d'expérimenter
dans le jugement épouvantable que
Dieu déploya sur luy , où l'on voit par
une juste retribution, que Dieu le punit
par cela même en quoy il avoit peché,
non seulement par la mort de tous les
premier-nez de l'Egypte , qu'il fit passer
au fil de l'épée de l'Ange destructeur ,
jusqu'à celuy qui devoit seoir sur son
Trône , mais aussi en l'abîmant luy-même
avec toute son armée dans les eaux
de la Mer rouge , comme il avoit voulu
faire perir dans les eaux du Nil tous les
enfans Ebreux.
C'étoit là la triste condition de ce
[peuple]
peuple affligé , qui luy faisoit pousser desSermon
I.
cris amers vers le ciel, puis-que la terre
étoit insensible à ses larmes. Jugez je
vous prie , mes Fréres , quelle devoit
être la grandeur de l'angoisse , & l'extrémité
de la douleur de ces povres
péres , & plus encor de ces tendres méres ,
lors qu'elles se voyoient arracher
leurs enfans de leur sein , pour être jettez
dans les ondes impitoyables. Jugez
combien de larmes elles versoient , combien
de sanglots elles jettoient , je ne
dis pas à la veuë , mais à la seule pensée
de cette horrible exécution ; Et s'ils
pouvoient avoir aucun moment de repos
ni de plaisir , s'ils n'étoient pas toûjours
dans une affliction inconcevable?
Qui est-ce qui n'eût été rebuté par là
de se joindre à un peuple si infortuné, qui
n'étoit pas seulement l'objet du mépris,
mais aussi de la passion & de la violence
du monde ? Cependant c'est ce que
Moïse fait ; Les autres eussent fuï cette
communion , & luy la cherche. Il aime
mieux être affligé avec le Peuple de
Dieu , que de jouïr des délices de peché;
Voyez donc icy, mes Fréres, deux véritez
bien importantes , La premiére,
[Quelle]
Sermon
I. Quelle est la condition de l'Eglise dans
ce monde , c'est de souffrir , & d'être affligée ;
c'est là sa portion & sa marque,
c'est pour cela qu'elle porte le nom de
militante , parce qu'elle a toûjours de fâcheux
combats à soûtenir contre le Diable
& le Monde,jusqu'à ce qu'elle triomphe
dans le Ciel. Bien-loin donc que la
prospérité, ou le repos temporel puisse
être sa veritable marque, & qu'on doive
juger par là de sa verité ou de sa fausseté,
comme pretendent ceux de Rome:
C'est à la croix & à la souffrance qu'on
la reconnoit ; Il n'appartient qu'à Babylone
Apoc.18.
7
de dire ,
Ie suis Reine , & je ne
verray jamais le deuil : Mais pour la Sion
du Seigneur, elle se glorifie dans ses souffrances,
& elle les considére comme la
veritable marque de la Communion &
de la conformité qu'elle a avec son divin
Chef. Elle sait qu'ayant été prédestiné
à être conforme à son image , il faut
qu'elle le soit dans la sainteté & dans la
croix , avant qu'elle le puisse être dans la
gloire. Qu'elle est obligée de combattre
& de souffrir avec luy sur la terre,
avant qu'elle régne & qu'elle triomphe
avec luy dans le ciel ; & que puis qu'il
[a été] a été consacré par afflictions , il faut
Sermon
I. qu'elle le soit de même à son exemple,
puis que c'est pour cela qu'il a souffert
pour nous donner un patron afin que
nous suivions ses traces : N'entendez-
vous pas le Seigneur Jésus , qui nous en
avertit ,
Si quelcun veut venir aprés moy,
Matt.16.
24.
qu'il renonce à soy-même, & qu'il charge
sur soy sa croix, & qu'il me suive : N'entendez-
vous pas la voix de ses Apôtres ,
qui disent , que c'est
par beaucoup de
Act.14.
22.
tribulations qu'il faut entrer dans le Royaume
des Cieux , Que
si quelcun veut vivre
2.Tim.
3. 12.
selon pieté en Christ, il souffrira persecution;
C'a été la condition de l'Eglise dans tous
les siécles, & dans quelque âge que vous
la considériez, vous la trouverez toûjours
dans le combat & dans la souffrance ,
portant l'opprobre de son Sauveur , &
marquée de son sang : Et si bien Dieu
luy a donné de tems en tems quelque
calme & quelque relâche , & n'a pas
voulu que ses ennemis prevalussent sur
elle , & qu'elle fût accablée sous la pesanteur
de leurs coups ; Il est vray
pourtant qu'elle a toûjours été affligée ,
& qu'elle peut bien dire avec le Psalmiste,
Ils m'ont tourmenté dés ma jeunesse,
Ps.129.1
[ ils ]
Sermon
I. ils m'ont tourmenté ; Voyez - là dés le
commencement du monde haïe & persecutée
dans la personne du juste Abel,
contemplez-la dans celle du fidéle Abraham
& des autres Patriarches , errante,
vagabonde , & étrangére sur la terre ,
exposée à la haine & à la persécution
des Cananéens : Considerez-la dans la
suite des tems , lors qu'elle a été renfermée
dans l'ancien Israël ; Ne la verrez-
vous pas presque toûjours affligée &
persecutée dans l'Egypte , dans Canaan ,
& dans Babylone ? Vous n'avez
qu'à lire son histoire dans l'ancien Testament
pour reconnoître la verité de
ce que je dis : Et si vous passez dans le
Nouveau , Ne serez-vous pas obligez
d'avouër la même chose , quand vous
apprendrez le triste état où elle a été, &
les cruelles persecutions qui luy ont été
suscitées de tems en tems par les Juifs,
par les Payens, & par les hérétiques,qui
n'ont rien oublié pour la perdre ? Je n'ay
pas dessein de vous faire icy le tableau
de ses souffrances, ni de vous décrire les
horreurs des persécutions & des maux
qu'on luy a faits , dont la funeste idée
ne pourroit que remplir vôtre esprit de
[douleur]
douleur & de tristesse : Il suffit de vousSermon
I.
dire que tout ce qu'on peut s'imaginer
de plus ignominieux & de plus infame,
de plus violent & de plus rigoureux, de
plus inhumain & de plus barbare , a été
mis en œuvre pour les tourmenter. Ne
vous étonnez donc pas , Mes Fréres , si
vous la voyez encor aujourd'huy dans
l'affliction & dans les larmes : Comme
le Diable & le Monde sont toûjours les
mêmes contr'elle , je veux dire, pleins
de haine & de fureur , il ne faut pas trouver
étrange, s'ils ne se lassent pas de la
persécuter , & si voyans que leur fin approche,
ils redoublent leurs efforts pour
venir à bout de leur damnable dessein.
Si les Oracles anciens ne nous l'avoient
pas tant de fois predit ; Si Jésus-Christ
& ses Apôtres ne nous y avoient pas preparé
si souvent , & si l'état de l'Eglise
ancienne & nouvelle ne nous en fournissoit
pas des exemples si convainquans ;
cela nous pourroit peut-être surprendre.
Mais aprés des déclarations si authentiques
& si formelles , aprés de si grands
exemples , pourquoy trouverions-nous
mauvais d'être traitez comme les Saints,
& de marcher sur les traces de cette
[grande]
Sermon
I.grande nuée de témoins qui ont éprouvé
la haine du diable & du monde ?
C'est ce qui nous ameine à la seconde
reflexion, que nous avons à faire sur ces
paroles, qui regarde la conduite de Moïse
envers le Peuple de Dieu , & qui nous
apprend quelle doit être la nôtre. Il
sembloit que Moïse avoit un beau pretexte
de se retirer d'avec ce peuple,
voyant le miserable état auquel il étoit
reduit : mais bien - loin de cela , il s'y
arrête , & choisit cette condition plûtôt
que de demeurer dans la Cour d'Egypte,
& d'y jouïr de toute sorte d'avantages.
N'est-ce pas pour nous faire comprendre ,
que le devoir du fidéle dans l'affliction
de l'Eglise , n'est pas de la quitter
& de s'en separer comme les hypocrites
& ceux qui croient à tems , qui,
quoy qu'ils eussent receu la Parole avec
joye au commencement , tandis qu'il n'y
avoit rien qui leur donnât de la peine,
dés que la persecution survient , ils sont
scandalisez & se retirent lâchement de sa
communion : Mais c'est de participer à
ses souffrances & d'être affligé avec elle ;
car puis que nous sommes tous les
mẽbres de ce bienheureux Corps, n'est-
[il]
il pas juste que nous ayons tous le même
Sermon
I. sentiment, & que nous prenions part
à ses maux,non seulement pour compatir
aux souffrances de ceux qui sont dans la
calamité , mais aussi pour nous disposer
avec courage à porter nôtre part de cette
croix , & à souffrir gayement avec
nos fréres pour une si bonne cause,quand
Dieu nous y appelleroit ? C'est ce que
l'Apôtre recommande avec tant de soin
à son cher Timothée de
n'avoir point de
2. Tim. 1.
8.
honte du témoignage du Seigneur , mais de
participer aux souffrances de l'Evangile : C'est ce qu'il dit qu'il pratique luy-même,
quand il nous assure qu'il se
réjouït en
Col. 1. 24.
ses souffrances , & qu'il accomplit le reste
des afflictions de Christ en sa chair pour son
Corps qui est l'Eglise ; C'est à quoy Saint
Pierre exhorte les Chrétiens
,
Bien-aimez,
1. Pierre.
4.12.
ne trouvez pas étrange quand vous
étes jettez comme dans la fournaise pour vôtre
épreuve , comme si quelque chose de
surprenant vous arrivoit ; mais en participant
aux souffrances de Christ , réjouïssez-
vous, afin qu'außi à la revelation de sa Gloire,
vous-vous rejouïßiez en vous égayant .
C'est ainsi que Moïse choisit d'être
affligé avec le Peuple de Dieu ; il parle
[de]
Sermon
I.de choix , non seulement pour l'opposer
au refus qu'il faisoit d'être nommé le fils
de la fille de Pharaon,mais sur tout pour
faire voir qu'il n'y avoit rien qui le contraignît
à faire cette resolution , qu'il la
faisoit volontairement & sans contrainte,
que ce n'étoit pas un simple mouvement
de sa nature , mais un effet de sa raison
illuminée par la grace , qui luy faisoit
comprendre qu'il ne pouvoit rien faire
de meilleur ni de plus avantageux pour
luy. En effet , comme l'homme est
une créature raisonnable , il faut qu'il
agisse par raison dans toutes ses operations
morales , & bien-loin qu'il puisse
être dépouïllé de sa liberté pour être
engagé aveuglément & contre son gré à
suivre quelque chose , il ne sauroit agir
raisonnablement, qu'il n'agisse librement
& volontairement pour choisir ce qui
luy semble bon. Il est vray que sa raison
& sa volonté sont souvent tellement
engagées au bien ou au mal,qu'il n'est pas
dans la liberté de l'homme de choisir ou
l'un ou l'autre , étant absolument & necessairement
déterminé à l'un plutôt
qu'à l'autre ; par exemple , dans l'état
de peché , l'homme étant esclave de sa
[cor-]
corruption , il ne peut se porter qu'auSermon
I.
mal, quoy qu'il le choisisse toûjours tres-
librement & tres-volontairement ; Dans
celuy de la gloire , lors qu'il sera parfaitement
sanctifié , il choisira toûjours le
bien sans pouvoir se porter au mal ; mais
de quelque maniére qu'il agisse , il le fait
toûjours tres-librement & sans aucune
contrainte. Ce que nous devons remarquer
contre nos Adversaires, pour
refuter la calomnie dont ils chargent
nôtre doctrine , comme si parce que
nous enseignons la grandeur de la corruption
de l'homme, & l'efficace toute-
puissance de la Grace, nous détruisions la
veritable liberté de l'homme , pour le
changer en un tronc ou en une pierre ;
au lieu que nous laissons toûjours à
l'homme,en quelque état qu'il se rencontre ,
sa liberté essentielle , qui consiste à
agir selon les lumiéres de la raison & sans
contrainte , pour choisir ce qu'il juge luy
être le plus convenable. Et c'est dans
cette vûë que nous disons aprés Saint
Paul,que Moïse choisit d'être affligé avec
le Peuple de Dieu, plutôt que de jouïr
des délices de peché, c'est à dire, qu'il se
détermina à se ranger du côté du Peuple
[ple]
Sermon
I.de Dieu quelqu'affligé qu'il fût, plutôt
que de demeurer avec les Egyptiens.
Mais pour pouvoir mieux juger de la justice
de ce choix, examinons-en le principe.
L'Apôtre nous dit, que ce fut
par la foy qu'il fit ce bien-heureux choix,
pour dire que ce ne fut pas un mouvement
de la nature , mais de la grace , ni
une action de la chair , mais de l'Esprit.
En effet , si Moïse eût consulté la chair
& le sang dans cette affaire,s'il eût écouté
le conseil de la raison & de la prudence
humaine , croyez-vous qu'il eût jamais
pû faire cette resolution ? Ne luy
auroit-elle pas suggeré que c'étoit une
chose absurde & ridicule de préferer les
maux aux biens , la misére à la félicité,
la povreté aux richesses, l'esclavage à la
liberté, & la mort à la vie ? Ne luy auroit-
elle pas conseillé de demeurer dans
la Cour du Roy & de jouïr de l'honneur
qu'il y possedoit , plutôt que de s'exposer
volontairement & sans necessité à l'opprobre
& à la misére ? Que nul ne doit
avoir en haine sa chair ni chercher sa destruction ,
que c'étoit être ennemi de
soy-même , que de quitter des biens
qu'on a , pour embrasser une condition
[pleine]
pleine de malheur & d'ignominie : C'étoitSermon
I.
ainsi que la chair pouvoit raisonner
pour le détourner de son genereux dessein.
Mais la foy qui envisageoit les choses
d'une vûë bien differente , en jugeoit
bien autrement ; c'est elle qui luy ouvrit
les yeux de l'esprit pour faire le discernement
des vrais biens & des vrais
maux, qui pesant dans la balance du Sanctuaire
les maux du Peuple de Dieu avec
les avantages de l'Egypte , corrigea le
jugement de la chair, & le porta à rejetter
ce qu'elle estimoit le plus désirable;
& à choisir ce qu'elle jugeoit le plus
desavantageux. C'est ce qu'il ne sera
pas malaisé de reconnoître, si nous considerons
de plus prés les diverses raisons
qu'il a eu de faire ce choix, que l'Apôtre
a voulu toucher en peu de mots, tant à
l'égard du Peuple de Dieu , que de la
Cour du Roy d'Egypte & des avantages
qui s'y rencontroient ; quand il dit qu'il
aima mieux être affligé avec le Peuple de
Dieu , que de jouïr pour un tems des délices
de peché . La premiére consideration combattoit
le scandale de la croix,& l'achoppement
que les calamitez & les persécutions
ont accoûtumé de donner aux
[hom-]
Sermon
I.hommes; & l'autre servoit à le prémunir
contre les promesses & les charmes
du monde , qui sont les deux plus dangereuses
voyes , que le Demon employe
pour ébranler nôtre foy , & pour la détourner
de la profession de la verité. Je
dis que la foy de Moïse a combattu le
scandale de la croix à l'égard de l'affliction
de ce peuple , en luy representant
que cela ne devoit point le rebuter , parce
que quoy qu'il fût affligé & miserable ,
il étoit pourtant le Peuple de Dieu,
avec lequel Dieu avoit traitté son Alliance ;
Un Peuple que Dieu avoit favorisé
d'une infinité d'avantages ; qu'il
regardoit comme son héritage & son
plus précieux joyau ; Celuy qu'il avoit
honoré de sa connoissance , & à qui seul
il avoit donné ses promesses , chez qui
par consequent on pouvoit trouver la
Religion & le salut exclusivement à tous
les autres peuples de la terre, ce qui fait
Deut. 33.
29.dire ailleurs à Moïse
, Que tu es heureux,
Israël , qui est le peuple semblable à toy?
Ps. 147.
10.
Et à David,
Qu'il a donné ses statuts à Iacob ,
& ses ordonnances à Israël, qu'il n'a
pas fait ainsi à toutes les nations , de sorte
qu'on ne pouvoit pas se separer de sa
[Commu-]
Communion, sans se separer de la CommunionSermon
I.
de Dieu même , & se priver du
salut. D'ailleurs , la foy luy faisoit envisager
les afflictions de ce Peuple , comme
des témoignages de l'amour de Dieu
envers luy , plutôt que comme des marques
de sa colére ; elle luy representoit
que c'est ainsi que Dieu châtie celuy
qu'il aime, non pas pour le perdre, mais
pour le sauver , & pour l'exemter de
perir avec le monde. Que c'étoit le
chemin que la Providence avoit marqué
pour aller à la Gloire ; Que s'il y
avoit de la peine à essuyer & de l'amertume
à dévorer, c'étoit une peine & une
amertume bien douce, puis qu'elle étoit
si glorieusement recompensée , & que
tout ce que Dieu faisoit sentir de mal
aux siens, il le tournoit en bien pour leur
salut. Enfin , cette même foy luy faisoit
comprendre que ces souffrances , bien
loin de luy causer du deshonneur , luy
étoient honorables & glorieuses , puis
que c'étoient les souffrances & l'opprobre
de Christ qu'il enduroit à son occasion
& pour sa cause. Jugez donc , si
Moïse n'avoit pas raison de quitter la
Cour d'Egypte , pour se ranger avec le
[Peu-]
Sermon
I.Peuple de Dieu, puis que toute la splendeur
des Rois du monde n'a rien à comparer
avec la gloire du ciel, & le bonheur
de ceux qui sont dans l'alliance de
Dieu.
Mais si la foy l'obligeoit à faire ce
choix en considerant la condition du
Peuple de Dieu,elle en avoit un nouveau
motif , qui n'étoit pas moins puissant ,
quand elle luy faisoit tourner les yeux &
les pensées du côté de l'Egypte & de
ses avantages ; Elle y voyoit bien de la
pompe & de la magnificence , de douces
& d'agréables délices qui étoient
capables de chatouiller son esprit & de
le tenter; mais elle luy apprenoit en même
tems que ce n'étoient que des délices
de peché, comme l'Apôtre s'en exprime,
renfermant dans deux mots tout
ce qui en pouvoit faire voir la vanité &
le venin. Il parle de délices , pour marquer
les biens & les plaisirs du corps, qui
ne tendent qu'à contenter les sens , & à
assouvir les convoitises de la chair, en luy
procurant l'aise & le repos qu'elle cherche ,
telles que sont celles du manger &
du boire, de la vûë & de l'ouïe, du goût
& de l'odorat, & de tous les autres appas
[& charmes]
& charmes de la volupté, qui ont accoutuméSermon
I.
d'enyvrer & d'entêter les hommes.
C'est de ces délices que Salomon
avoit voulu goûter , lors qu'il n'a rien
épargné à ses sens pour chercher , mais
vainement, quelque satisfaction dans les
biens du monde. C'est de ces délices
que les hommes de la terre se repaissent,
& dans lesquelles ils font consister leur
souverain bien. Mais Saint Paul ne dit
pas seulement que ce sont des délices,
mais pour en mieux marquer la corruption
& la vanité , il ajoûte que ce sont
des délices de peché , c'est à dire, qui ne
sont jamais sans peché , & qui ne consistent
que dans l'exercice du peché , qui
engagent l'homme dans le crime , & qui
le plongent dans toute sorte de dissolutions.
En effet, qui est - ce qui ne sait
que les plaisirs de la chair sont toûjours
criminels , & que quoy qu'ils puissent
par fois être légitimes & permis à l'égard
de l'objet , ils deviennent injustes & illicites
dans la maniéres dont l'homme en
jouït , & dans l'abus qu'il en fait. Par
exemple , si Dieu nous permet de manger
& de boire pour sustenter nôtre vie,
n'est-il pas vray que ce plaisir devient
[criminel]
Sermon
I.criminel , quand on se laisse aller à l'yvrognerie
& à la gourmandise ; si on
peut légitimement se réjouïr dans l'usage
des biens qu'il nous donne , quand on
s'en sert honêtement & dans la crainte
de Dieu , qui peut douter que l'usage
n'en soit criminel , quand nous les appliquons
à mal faire , & que nous y mettons
nôtre affection , qu'au lieu de nous
en servir nous en devenons esclaves ? En
un mot , toutes les délices que les hommes
cherchent dans le monde sans la
grace , sont des délices empoisonnées,
qui sous une douceur bien agréable en
apparence , renferment un venin mortel,
& ne manquent pas de perdre ceux qui
s'y plongent. Ce sont des pommes de
Sodome, qui au dehors ont la plus belle
apparence du monde, mais qui au dedans
ne sont que cendre & pourriture :
Demandez au plus grand & au plus sage
des Rois , si aprés en avoir voulu faire
Eccles. 1.
1. 2.
l'essay pour satisfaire ses convoitises , il
ne reconnoit pas que ce n'est que vanité
& rongement d'esprit. Ce sont ces
criminelles délices qui ont perdu le premier
monde , & qui perdront le second,
qui ont causé la ruine de Sodome & de
[Gomor-] Gomorrhe, & de grand nombre d'Etats
Sermon
I. & de Villes fleurissantes , dont on n'a
plus aucune trace que dans l'histoire.
Ce sont elles qui attirent sur les mondains
& sur les enfans du siécle le supplice
inévitable , dont ils sont menacez ,
parce que les jettant dans l'oisiveté &
dans la débauche, dans le luxe & dans la
luxure , il n'est pas possible qu'ils ne
soient précipitez dans un malheur éternel ,
selon la régle de la justice de Dieu,
qui punissant le peché par son contraire ,
fait sentir des tourmens sans fin à
ceux qui avoient goûté de toute sorte
de plaisirs & de délices. C'est ce que
l'Apôtre a voulu marquer , quand il ajoûte
que ce n'est que pour
un peu de tems ,
pour marquer la briéveté de leur durée,
& les suites fâcheuses qu'elles doivent
avoir , ce qui ne doit pas peu contribuer
à y renoncer ; Car quand elles seroient
aussi honêtes qu'elles sont criminelles,
il suffiroit de savoir qu'elles ne durent
que bien peu de tems pour s'en détacher ;
il en est comme d'une fleur qui
fleurit au matin, & qui se séche & se
flétrit le soir :
Toute chair est comme
I. Pierre
1. 21.
l'herbe , & la gloire de la chair comme la
[ fleur ]
Sermon
I. fleur de l'herbe ; l'herbe est sechée & la fleur
est chûte ; comme le Kikajon de Jonas
dont l'ombre l'avoit réjoüy pour
quelques heures , mais qui s'étant seché
bien-tôt aprés par le moyen d'un ver
qui le rongea , luy causa beaucoup plus
de douleur. En effet puis que ce sont
des délices du siecle, peuvent-elles plus
durer que le siecle même, & que le monde,
dont la figure passe & qui est sujet à
vanité ? Mais outre qu'elles se terminent
avec la vie , qui n'est que pour quelques
momens au prix de l'éternité , qui
est-ce qui ne sait qu'elles sont passagéres
& muables, qui se changent même durant
la vie , par les étranges révolutions
qui arrivent tous les jours , en des amertumes
& des douleurs bien cuisantes ?
Tel qui se voit aujourd'huy glorieux sur
le thrône , se trouvera demain mal-heureux
dans les fers ; Tel qui étoit dans l'abondance ,
tombera tout à coup dans
une povreté extréme ; Tel qui se gorgeoit
de toute sorte de plaisirs, ne mange
plus que du pain d'angoisse , & n'est
abbreuvé que de fiel & d'amertume. Si
Nebucadnezar plein d'orgueil insupportable ,
se glorifie dans la grandeur &
[dans]
dans la magnificence de Babylone, N'est- Sermon
I.
ce pas icy Babylone la grande que j'ay bâtie
par la puissance de ma force ? N'entend-il
pas à l'instant une voix funeste qui pour
l'humilier, le renvoye parmi les bêtes ?
Si Beltsazar se réjouït avec les Grands de
sa cour dans un magnifique festin , s'il est
plongé dans toute sorte de délices , &
s'il se divertit agréablement,ce luy semble,
en profanant avec impieté les vaisseaux
sacrez du Temple de Dieu , il
voit bien-tôt une main terrible qui écrit
sur la paroy sa condamnation, & qui luy
fait changer le visage & trembler le
cœur. Si l'enfant prodigue, aprés avoir
receu la part des biens de son pére , se
jette dans la débauche , & ne refuse rien
à ses sens pour se divertir , il fait tôt
aprés une triste expérience de la vanité
de toutes ces délices de peché , quand
étant reduit à la derniére misere , il n'a
pas dequoy se rassasier des gousses des
pourceaux.
D'où vous voyez , mes Fréres, que
l'Apôtre a bien raison d'appeller les plaisirs
du siecle , des délices de peché , qui
ne sont que pour un peu de temps , &
que Moïse n'en a pas moins de faire le
[choix]
Sermon
I.choix qu'il a fait , aimant mieux d'être
affligé avec le Peuple de Dieu , que de
jouïr pour un peu de temps des délices
de peché. Il ne faut pas s'imaginer pourtant ,
que cette genereuse resolution se
soit faite sans difficulté ; Il y a bien apparence
que la chair y a resisté,& a tâché
de l'en divertir , en luy representant les
biens qu'il quittoit, & les maux qu'il s'attiroit
infailliblement. Quoy ? luy disoit-
elle, serois-tu si fol & si mal-avisé ,
que de faire un si mauvais choix , & de
quitter ce que tant d'autres personnes
recherchent avec tant d'empressement.
Tu es dans l'honneur & dans la gloire, &
tu ne peux attendre avec ce peuple que
toute sorte d'opprobres & d'ignominie;
Tu peux jouïr de mille plaisirs,& tu vas te
précipiter dans mille peines ; Tu as en
ta main toutes les richesses d'Egypte , &
tu sais que tu ne dois attendre que la
derniére misere en demeurant avec ceux
de ta nation. Quoy? es-tu si ennemi de
ton propre bonheur que de préferer la
povreté d'un peuple esclave à la dignité
d'un grand Prince , & d'être privé de
tout ce qu'il y a de plus doux & de plus
avantageux dans la vie , pour t'exposer
[à tout]
à tout ce qu'il y a de plus rude & de plusSermon
I.
fâcheux ? Le monde veut te faire marcher
sur des fleurs & boire dans un torrent
de délices , il est prêt de te combler
de biens & de gloire ; Et tu ne vois
de l'autre côté que disgraces,qu'amertumes
& que miseres ; faudroit-il pas que
tu eusses perdu le sens pour te rendre volontairement
malheureux, & sous la vaine
esperance de quelque bien à venir ,
douteux & incertain , qui n'est qu'une
fausse illusion, dont tu te flattes , quitter
le present qui est réel & veritable ? Voila
comme la chair tâchoit sans doute à l'ébranler.
Mais tous ces discours ne furent
pas capables de le toucher , la Grace
l'emporta sur la Nature , & la foy prevalant
par dessus la raison , luy donna
un conseil incomparablement plus
salutaire. Je sai bien , lui dit-elle , que
si tu demeures à la Cour du Roy , tu y seras
élevé à de grands honneurs, & à des
emplois considerables: Mais souvien-toi,
que c'est l'Egypte , & que tu es parmi un
peuple idolatre qui n'a point de connoissance
de Dieu ni de part à son alliance.
Tu es dans la Cour d'un Roy , qui
est le Tyran & le persécuteur de l'Eglise,
[Et que]
Sermon
I.Et que te servira-t-il d'être élevé pour un
peu de tems aux honneurs de la terre, qui
ne sont que du vent & de la fumée, & de
perdre pour toûjours la dignité glorieuse
d'enfant de Dieu & d'héritier de son
Royaume , pour être précipité dans une
ignominie éternelle ? Tu y trouveras ,
je l'avouë, beaucoup de plaisirs & de délices
du monde. Mais souvien-toi que ce
sont des délices de peché, qui bien loin
de contenter ta passion , ne font que
l'enflammer davantage, bien-loin de te
donner aucun repos ni aucune paix à ton
ame , sont toûjours accompagnées du
ver rongeant de la conscience, & suivis
de mille remords & de mille douleurs.
Tu ne manqueras pas d'y rencontrer des
richesses en abondance, autant & même
au delà de ce que tu peux souhaiter, mais
souvien-toy que ce sont des tresors d'impieté ,
& des richesses perissables , que la
main du larron peut ravir, & que la dent
de la tigne peut gâter , qui ne sont pas
capables de te délivrer d'aucun mal , ni
de te procurer aucun contentement
d'esprit ; Quoy ? voudrois-tu mettre
en balance la terre contre le Ciel , un
moment contre l'éternité , la Créature
[contre]
contre le Créateur , le monde contreSermon
I.
Dieu , & ce qui n'est que vanité & rongement
d'esprit,contre la vraye & la parfaite
félicité ? Que te servira-t-il de gagner
tout le monde, s'il te faut faire perte
de ton ame ? & quel avantage auras-tu
de posseder tous les tresors d'un grand
Royaume , & même de toute la terre , si
tu le pouvois , si tu te prives de la grace
de Dieu , & de la communion de ton
Sauveur , en quoy consiste uniquement
ton souverain bien ? Vaut-il pas mieux
donc d'être affligé avec le peuple de
Dieu , que de jouïr pour un temps des
délices de peché ? Je say bien que la
condition de ce povre peuple est miserable
selon le monde, mais tant y a que
c'est le Peuple de Dieu, à qui il a donné
ses promesses, & qu'il veut rendre éternellement
heureux. Je n'ignore pas
encore qu'il luy faut souffrir beaucoup
& être dans l'opprobre , mais c'est une
souffrance bien-heureuse & un opprobre
glorieux, puis que c'est l'opprobre
de Christ, & la souffrance pour sa cause.
J'avouë qu'à ne regarder cet état que
dans l'extérieur, il n'y a rien de plus chetif
ni de plus miserable , mais si tu penetres
[netres]
Sermon
I.au delà du voile , quelle gloire &
quelles douceurs n'y découvriras-tu
pas ? Tu n'auras pas l'honneur d'être le
fils de la fille d'un Roy de la terre , mais
tu auras celuy d'être le fils du Roy des
Rois , & du Seigneur du Ciel & de la
terre. Tu n'y jouïras pas des délices criminelles
du peché, mais tu y rencontreras
les délices éternelles du Paradis de
Dieu , dans la contemplation de sa face,
& dans la jouïssance de sa gloire. Tu n'y
possederas pas de tresors caduques &
perissables de la terre , mais tu y auras les
richesses incorruptibles du ciel qui ne
periront jamais , & qui ne te sauroient
être ravies par quelque accident que ce
soit. Juge donc s'il ne t'est pas infiniment
plus avantageux d'abandonner la
Cour de Pharaon , & de te priver de ses
délices , pour te ranger avec tes fréres
dans la communion du peuple de Dieu.
C'est ainsi que la foy le persuada de faire
le choix qu'il fit, & de ne s'en départir
jamais, en aimant mieux d'être affligé
avec le Peuple de Dieu , que de jouïr
pour un temps des délices de peché.
Plût à Dieu, mes chers Fréres, que
ce grand exemple fût toûjours devant
[nos]
nos yeux & dans nôtre cœur ! Plût àSermon
I.
Dieu que tout ce qu'il y a de Chrétiens
qui ont embrassé la verité de
l'Evangile & la pureté de la Religion ,
y fissent une reflexion bien serieuse , &
entrassent dans les mêmes sentimens !
Cette seule consideration suffiroit pour
les retenir dans la profession de la verité,
& pour les affermir dans la communion
de la vraye Eglise : Nous n'aurions
pas la douleur de voir aujourdhuy
les lâches apostasies de tant de personnes,
que la crainte des maux,dont on les
menace, & l'esperance des biens qu'on
leur promet , fait quitter lâchement la
Religion pour suivre le monde & se
joindre à la fausse Eglise. On ne verroit
pas tant de malheureux Demas qui
abandonnent Jésus-Christ, parce qu'ils
aiment le present siécle, tant de profanes
Esaüs, qui pour un potage de lentilles,
c'est à dire , pour des chetifs biens du
monde , vendent méchamment leur
droit d'ainesse, & renoncent à l'avantage
glorieux qu'ils ont d'être comme les premiers-
nez de Dieu,& les heritiers de son
Royaume ; tant de temporaires timides
& tiédes , qui ayans receu la Parole
[au]
Sermon
I.au commencement avec joye, dés que la
persécution survient, & qu'il faut perdre
leurs biens & leurs commodités pour la
cause de Dieu, ont honte de l'Evangile,
& sont scandalisez & se retirent , & ne
font point de difficulté de fléchir le genouil
devant l'Idole , de retourner sous
le joug de l'Antechrist , & d'abjurer la
sainte Religion dont Dieu leur avoit
donné la connoissance. Miserables , qui
n'ont jamais bien consideré le funeste
choix qu'ils font , & ce qu'ils perdent
dans le gain qu'ils pensent de faire : Ils
se flattent de l'esperance de gagner beaucoup
dans le monde , & ils perdent la
seule chose necessaire ; ils courent aprés
les biens perissables de la terre , & ils
abandonnent les thresors incorruptibles
du ciel; ils cherchent les délices du peché ,
& ils se privent de celles du Paradis.
Est-il possible , lâches deserteurs ,
que vous soyez si aveuglez,que de ne voir
pas le malheur de vôtre condition , & la
ruine du parti que vous avez choisi ? Je
veux que vous y rencontriez tous les
avantages que vous pouvez souhaiter sur
la terre,que le monde vous ouvre tous ses
thresors , qu'il vous éleve à ses plus
[grandes]
grandes dignitez , & qu'il vous favoriseSermon
I.
de ce qu'il a de plus doux & de plus
charmant , quoy que l'on n'experimente
que trop souvent que ce ne sont que des
promesses trompeuses & d'agréables illusions ;
mais quand il y auroit autant de
réalité en ses promesses qu'il y a de vanité
& de mensonge ; En conscience,
tout ce que vous pouvez gagner en le
suivant peut-il & doit-il être contrepesé
à ce que vous perdez , je veux dire , l'amour
de Dieu , la paix de vos consciences,
l'assurance de sa grace , & l'esperance
de vôtre salut ? Que vous servira-
t-il de gagner tout le monde , s'il vous
faut perir malheureusement avec luy en
faisant perte de vôtre ame ? Quel
avantage vous sera-ce de posseder les
plus grands honneurs de la terre , quand
même vous seriez élevé à la gloire du
thrône , si avec cela il faut perdre la dignité
d'enfant de Dieu & d'heritier de
son Royaume ? Est-ce ainsi que vous
imitez l'exemple de ce saint homme
de Dieu dont nous venons de parler?
Moïse quitte l'Egypte avec toutes ses
douceurs & ses avantages , pour demeurer
avec ses fréres tout miserables qu'ils
[sont,]
Sermon
I.sont ; il aime mieux être afligé avec
le peuple de Dieu, que de jouïr pour un
temps des délices du peché:Et vous quittez
lâchement Jesus-Christ & son Eglise
pour courir aprés le monde & pour
jouïr de ses délices ? Moïse préfere l'opprobre
& les souffrances de Christ à la
gloire & à la pompe de la Cour de
Pharaon & aux tresors d'Egypte ; Et
vous êtes si enyvrez des plaisirs
trompeurs de la terre , que vous ne faites
point de difficulté de les préferer
aux délices immortelles du Ciel. Quoy?
Ne craignez-vous point que ce fidéle
serviteur de Dieu ne se leve en jugement
contre vous pour vous condamner ?
Il n'avoit pas les lumiéres que
vous avez , il ne voyoit encor que fort
obscurément les mysteres de la Grace;
Cependant il ne laisse pas d'abandonner
tout ce qu'il y avoit de plus grand
& de plus pompeux dans le monde pour
en jouïr ; Et vous qui vivez dans le
grand jour de l'Evangile , & qui voyez
à découvert tous ses mysteres accomplis ,
vous étes si peu touchez de leur
excellence, que vous les foulez aux
pieds pour des chetifs & miserables
[biens]
biens du monde : Quelle honte ! queSermon
I.
ceux qui vivoient sous l'obscurité de la
Loy ayent eu plus de zéle & de fermeté,
que ceux qui vivent dans la clarté de
l'Evangile , & que la chair vous ait fait
faire un choix tout contraire à celuy que
Moïse fit par la foy ! Que pouvez-vous
alleguer pour excuser vôtre infidélité?
Direz-vous que c'est la connoissance de
la verité & le desir de vôtre salut , qui
vous ait engagé à cela ? Mais comment
le pouvez-vous dire, puis que vôtre conscience ,
si vous la voulez écouter , vous
doit convaincre que vous quittez une
Religion toute pure & toute sainte , où
l'on n'enseigne ni ne pratique rien que
ce que Jesus-Christ & ses Apôtres nous
ont ordonné , pour en embrasser une qui
est pleine d'erreurs, de superstitions , &
d'idolatries, & dans la profession de laquelle
vous ne sauriez trouver le repos de
vôtre conscience, ni la jouissance du salut ?
Direz-vous encore, que quoy que
vous ayez embrassé une autre Religion,
vous n'avez pas absolument renoncé à
celle dont vous aviez fait profession
auparavant ; que vous en retenez encore
toutes les veritez & les créances ; Qu'il
[n'y]
Sermon
I.n'y a pas une si grande difference de l'une
à l'autre, que l'on ne puisse bien s'accorder.
Je say bien que c'est une des
raisons les plus spécieuses qu'on employe
aujourd'huy pour endormir les
consciences , & pour les attirer plus facilement
dans l'erreur ; C'est par cet
artifice qu'on a gagné diverses ames foibles
& simples , qui n'ont pas assez d'instruction
pour y resister ; Mais il est
tout vrai qu'il n'y a rien de plus injuste
ni de plus contraire à la verité. Quoy?
peut - on servir à deux maîtres ? Et
Dieu souffrira-t-il qu'on cloche des deux
2. Cor. 6.
14.15.
côtez ? Quelle communion y a-t-il de
la lumiére avec les tenebres , quel accord
entre Christ & Belial , quelle
part a le fidéle avec l'infidéle , & quel
rapport y a - t - il du Temple de Dieu
avec les Idoles ? Comment peut-on
accorder la Parole de Dieu avec les Traditions
des hommes ? le merite des
œuvres avec la doctrine de la Grace ? le
Sacrifice propitiatoire de la Messe avec
l'unité du Sacrifice tout parfait de la
Croix ? la presence corporelle de Christ
dans le Sacrement avec son Ascension
dans le Ciel ? le retranchement de la
[coupe]
avec le commandement que Jésus-Sermon
I.
Christ fait à tous ses fidéles d'en
boire ? la Transsubstantiation avec le
pain que le Seigneur donne à ses Disciples ?
le Purgatoire avec l'efficace du
Sang de Christ qui nous nettoye de tout
peché ? la tyrannie du Pape avec l'empire
de Jésus-Christ ? l'Invocation des
Saints & le service des Images avec le
culte religieux que Dieu veut qu'on lui
rende exclusivement à tout autre ? &
une infinité d'autres doctrines qu'on y
enseigne , qui sont des inventions des
hommes, & qui n'ont point de fondement
dans la Parole de Dieu ? Ne me
dites pas que vous n'étes pas obligé de
les croire si vous ne voulez , qu'on ne
demande de vous que d'entrer dans la
Communion de Rome , & d'en faire la
profession , laissant pour le reste vôtre
conscience dans la liberté d'en croire ce
qu'elle veut : Car outre que ce sont
des piéges qu'on vous tend pour vous
enlacer, qui, quand il n'y auroit autre
chose , vous devroient faire ouvrir les
yeux , pour découvrir la tromperie de
vos seducteurs , & la fausseté de la Religion
à laquelle on vous attire ; Ne voyez
[vous]
Sermon
I.vous pas que ce qu'on exige de vous est
directement contraire à ce que Dieu
vous ordonne , & que vous ne sauriez le
leur accorder sans violer ses ordres, sans
blesser mortellement vôtre conscience,
& sans renier le Seigneur Jesus ? Il
vous commande de le glorifier de corps
& d'esprit , & de le confesser de bouche
aussi bien que de le croire de cœur ; il
déclare hautement , que qui le reniera
devant les hommes , il le reniera devant
son Pére & les saints Anges ; Et vous
vous imaginez que vous pouvez impunément
faire profession extérieure d'une
Religion qui luy est contraire , fléchir
le genouil devant l'Idole , & assister à
un service où il est deshonoré. Qu'est-
ce que vous appellerez renier Jésus-
Christ si cela ne l'est ? Je sai bien qu'on
cherche des adoucissemens & des couleurs
pour couvrir l'énormité de cette
faute , & pour donner une idée plus
avantageuse de cette Religion. Mais
je suis persuadé qu'il n'y a point de
personne judicieuse, qui ne reconnoisse
aisément pour peu de lumiére qu'il ait,
que ce n'est que du fard, dont on tâche
de couvrir sa turpitude , & un faux masque
[que]
dont on veut la deguiser , qu'ilSermon
I.
n'est pas difficile de découvrir à qui y
apportera un peu d'application. Il n'y a
qu'à considerer la veritable créance de
Rome, comme elle est enseignée dans
ses livres, & le service qui y est publiquement
établi & pratiqué , pour reconnoitre
la fausseté des idées sous lesquelles
on veut la representer , & que c'est se
tromper grossiérement , que de s'imaginer
de pouvoir l'accorder avec la Religion
que nous professons, & de prendre
ce vain pretexte pour se revolter.
Je dis que ce n'est qu'un vain pretexte,
que vous prenés,& que si vous voulez en
déclarer la veritable cause , vous avouërez
que c'est l'amour du monde & des
délices du peché qui vous ont gagné;
c'est la crainte de perdre vos biens , &
d'être reduit à la povreté & à la misére,
c'est le desir des honneurs & des richesses
du siécle , qui vous a porté à
faire cette funeste resolution , dans la
pensée de vous bien établir dans le monde ,
de gagner les bonnes graces de vôtre
Prince, & d'avancer vôtre maison &
vos affaires. Au lieu qu'en demeurant
dans la Religion vous ne pouviez rien
[esperer]
Sermon
I.esperer de semblable ; il n'y avoit rien
à attendre que toute sorte de persécutions
& de disgraces. Mais , ô ames lâches
& mercenaires, sont-ce là des raisons
qui doivent entrer en consideration
quand il s'agit du salut ? Faut-il que
l'amour du monde soit plus forte que
l'amour de Dieu,& que les délices criminelles
du péché l'emportent par dessus
les joyes éternelles du Paradis ? la
passion des biens , la bonne grace d'un
Prince de la terre vous sera-t-elle plus
prétieuse que les faveurs du Roy du ciel,
& craindrez-vous plus la disgrace d'un
homme mortel,que la colére & la malediction
du Dieu vivant?J'avouë que vous
devez rechercher avec soin la protection
& la faveur du Prince sous la domination
duquel Dieu vous a assujetti, vous
ne devez rien négliger pour luy donner
des marques de vôtre fidélité & de vôtre
obéissance , quand il faudroit en venir
jusques-là que de mettre vos biens
& vôtre vie pour son service. Mais il
faut vous souvenir toûjours qu'en rendant
à César ce qui est à César, il faut
rendre devant toutes choses à Dieu ce
qui luy appartient : Que c'est luy seul
[qui]
qui a l'empire de vôtre conscience, quiSermon
I.
veut que vous la luy conserviez uniquement ,
sans que les hommes quelques
grands qu'ils soient y aient aucun droit.
C'est à luy seul aussi à qui vous devez
regarder quand il est question de la Religion.
Tandis que le Prince ne vous
demandera rien qui soit contre vôtre
conscience & contre le service que vous
devez à Dieu , vous étes obligez de luy
obéïr ; mais dés qu'on ne peut agréer
au Prince qu'en violant la Loy de Dieu,
& en abandonnant la pureté de son service;
dés lors il faut suivre la maxime des
Apôtres , & dire sans crainte , Qu'il
vaut mieux obéïr à Dieu qu'aux hommes .
Je say bien que par ce moyen il n'est
pas possible que vous n'attiriez sur vous
beaucoup de miséres , & que vous ne
vous voyez exposez aux persécutions qui
accompagnent la profession de l'Evangile ;
Mais pourquoy les trouvez-vous si
étranges & si rudes , puis que vous savez
que c'est la livrée des disciples de Jesus
Christ, & le chemin à la gloire ? Et s'il
est vray que les souffrances du temps
present ne sont pas à contrepeser à la
gloire que nous attendons, qu'elles sont
[legéres]
Sermon
I.legéres & courtes , au lieu que la gloire
est infinie & éternelle , pourquoy s'effrayer
d'un mal qui ne dure qu'un moment,
& qui est suivi d'un bonheur qui
n'a point de fin ? Pourquoy apprehender
la colére des hommes, qui ne peuvent
que tuër le corps , & ne craindre
pas plutôt la justice sevére & inexorable
de Dieu qui peut jetter le corps &
l'ame dans la gehenne ? O si les hommes
pensoient bien combien c'est chose
terrible de tomber entre les mains du
Dieu vivant , s'ils se representoient souvent
les horribles peines qu'il denonce
aux Apostats & aux infidéles , qu'il les
reniera devant son Pére & devant les
Anges , qu'il les éloignera éternellement
de sa presence , & que leur part
sera dans l'étang de feu & de souffre , où
leur tourment doit durer aux siécles des
siécles , ils ne seroient pas si malheureux
que d'abandonner lâchement le Seigneur
Jesus , & d'avoir honte de son
Evangile.
Pour nous , mes Fréres , à qui Dieu
a fait la grace de suivre le sentiment de
Moïse , & de nous conformer au bon
choix qu'il a a fait , nous qui avons embrassé
[brassé]
le Seigneur Jesus , & qui faisonsSermon
I.
profession de le choisir par dessus toutes
les choses du monde , & de vouloir
tout abandonner pour nous attacher
inviolablement à son service. Benissons
Dieu de la grace qu'il nous a faite , &
affermissons - nous de plus en plus dans
cette sainte resolution. Qu'il n'y ait
rien qui soit capable de nous faire changer ,
ni la douceur des promesses dont
le monde nous flatte , ni la rigueur des
menaces dont il nous effraye , ni les
biens dont il nous veut enrichir , ni les
maux dont il pourra nous tourmenter.
Souvenons-nous que nous avons choisi
la bonne part , qui ne nous sera jamais
ôtée,qui vaut incomparablement mieux
que tout ce que le monde renferme de
plus grand & de plus magnifique. Quand
on nous offriroit l'avantage que Moïse
pouvoit avoir , & quelque chose même
de plus pour n'être pa seulement appellés
fils de la fille du Roy , mais pour
être Rois nous mêmes d'un grand
Royaume ; refusons genereusement &
sans hésiter avec Moïse un parti, qui
quelqu'avantageux qu'il paroisse ne peut
qu'être ruïneux à nôtre salut. Je veux
[même,]
Sermon
I.même, que l'on nous flatte de l'esperance
de posseder tous les Royaumes du
monde , comme le Tentateur l'offrit à
nôtre Seigneur ; Qu'il ne nous arrive
jamais d'hésiter un moment sur ce que
nous avons à faire , disons hardiment
avec nôtre Seigneur , Va arriére de moy
Satan , j'aime mieux être affligé avec le
peuple de Dieu,que de jouïr de tous les
avantages malheureux que tu m'offres ,
J'aime mieux porter l'opprobre de mon
Sauveur aprés luy , que d'être élevé aux
plus grandes dignitez que tu pourrois
me donner : Que me servira-t-il de
jouïr pour un temps des délices de peché,
si elles doivent être suivies des tourmens
éternels ? ou , que je sois à mon
aise dans le monde , si je ne le puis faire
qu'au préjudice de ma conscience & de
mon salut ? Ne vaut-il pas mille fois
mieux que je demeure dans la Communion
du peuple de Dieu quelqu'affligé
qu'il soit , dans laquelle je suis assuré de
trouver la paix de ma conscience & l'assurance
de mon salut ? Quitteray-je la
communion des Saints , pour l'Egypte
impie & profane du monde ? la lumiére
de la verité , pour les tenebres de l'erreur,
[reur,]
la pureté du service de Dieu, pourSermon
I.
un culte superstitieux & idolatre , le
puits d'eau vive , pour des cîternes crevassées
qui ne tiennent point d'eau, &
les promesses fermes & immuables du
Roy de gloire , pour les vaines & trompeuses
paroles des Grands du monde?
Dieu me garde d'avoir jamais une pensée
si criminelle ; Qu'il me fortifie plutôt
si puissamment par la vertu de son
Esprit , que je puisse surmonter toutes
les tentations qui me seront livrées , &
que je luy demeure fidéle jusques à la
mort.
Il est vray qu'en faisant cette resolution ,
il faut se disposer à souffrir & à
charger la Croix de nôtre Maître , il faut
se préparer à voir la terre & l'enfer armez
contre nous , qui nous haïrons &
qui nous persécuteront à toute outrance,
mais que cette souffrance est douce,
puis qu'elle est pour la cause de Dieu;
que cette Croix est glorieuse , puis
qu'elle nous rend conformes à nôtre
bon Maître ! Laissons laissons courir
les mondains aprés les vains honneurs &
les délices empoisonnées du siécles, contentons-
nous d'avoir pour nôtre part le
[Seigneur]
Sermon
I.Seigneur Jésus , le Prince de la gloire ,
& la source inépuisable de toute sorte
de biens : Qu'il fasse luy seul toute nôtre
consolation & toutes nos délices,
& ne souffrons jamais qu'on nous ôte ce
précieux thresor pour quelle chose que
ce soit. Quel bonheur sera le nôtre,
mes Fréres , si nous pouvons une fois
faire cette bonne resolution & l'executer
constamment ? Où est aprés cela le
danger qui nous fasse craindre , ou la
calamité pour grande qu'elle soit qui
soit capable de nous troubler ? Que le
Diable & que le Monde déployent toute
leur rage pour nous tourmenter &
pour nous perdre, nous serons à couvert
de tous leurs traits enflammez sous le
bouclier de nôtre grand Capitaine &
dans la Communion de nôtre bien-
heureux Sauveur : Leurs coups ne
pourront porter tout au plus que sur nos
corps & sur nos biens ; mais ils ne sauroient
toucher à nôtre ame, ni à nôtre
salut qui est entre les mains de Dieu.
S'ils nous privent des biens caduques de
cette vie, il ne leur est pas possible de
nous ôter les biens eternels de celle qui
est à venir ; S'ils nous dépouillent de
[nos]
de nos dignitez, ils ne nous enleverontSermon
I.
jamais l'honneur d'être enfans de Dieu
& les fréres de Jésus-Christ. S'ils nous
chassent de nos maisons & de nôtre patrie,
ils ne peuvent pas nous priver de
nôtre patrie celeste & de cette maison
éternelle qui n'est point faite de main.
Enfin si Dieu leur permet souvent de
nous ôter la vie du corps qu'il nous faut
quitter tôt ou tard ; Il ne souffrira jamais
qu'ils touchent à celle de l'ame
qui doit durer éternellement. Aprés
cela, pourquoy craindrons - nous leurs
efforts quels qu'ils puissent être ? pourquoy
ne nous consolerons-nous de toutes
les pertes que nous pouvons souffrir
en suivant le Seigneur Jesus , puis qu'elles
sont si heureusement recompensées?
Mais souvenons-nous , mes Fréres,
que pour pouvoir faire ce bon choix
avec Moïse, il faut renoncer de bonne
heure au monde & à sa convoitise , &
détacher son cœur de la terre & du peché ;
Car tandis que nous aimerons le
monde & ses délices , tandis que nous
aurons de l'attachement pour la terre
& pour ses biens , il n'est pas possible que
nous aimions Jésus Christ , & que nous
[em-]
Sermon
I.embrassions son Evangile ; nul ne
peut servir à deux maîtres, Jesus Christ
& le monde ne peuvent pas loger dans
Jaq. 4.
4.
un même cœur ,
Adulteres & adulteresses,
dit S. Jaques ne savez-vous pas
que l'amour du monde est inimitié contre
Dieu,& qui voudra se rendre ami du monde,
ne peut pas être ami de Dieu ? S. Jean
I. Jean
2. 15.
en parle de même,
N'aimez point, dit-il,
le monde ni les choses qui sont au monde,
Quiconque aime le monde, l'amour du Pére
n'est point en luy . C'est sans doute la veritable
cause de la malheureuse chûte de
plusieurs, qu'on voit quitter avec scandale
la veritable Religion , aprés en
avoir fait long-temps profession ; Quelque
couleur qu'ils luy donnent, il n'y en a
point d'autre, c'est le monde, c'est l'ambition,
c'est la sensualité qui les a perdus,ce
sont les délices de peché dont ils étoient
enyvrez. Comme ils n'avoient jamais
aimé veritablement Jesus Christ , quelque
profession qu'ils en fissent , & que sa
parole n'avoit point pris racine dans leur
cœur , il ne faut pas s'étonner s'ils ont
enfin levé le masque , & s'ils ont lâchement
abandonné sa communion pour
suivre le monde. Voulons nous donc,
[mes]
mes Fréres , nous garentir de ce funesteSermon
I.
malheur , & nous mettre en état de
demeurer fermes jusqu'à la fin dans la
profession de la verité , bannissons de
nos cœurs l'amour du monde qui est
incompatible avec celuy de Jesus Christ,
arrachons de nos ames toutes ses infames
convoitises , qui nous y tiennent engagez :
n'ayons plus de passion pour les
délices criminelles du peché ; souvenons-
nous que ce sont des délices d'un
moment , qui sont suivies de mille
douleurs, que ce sont des délices empoisonnées,
que nous ne saurions goûter qu'elles
ne nous donnent la mort ; Et si Dieu
nous a fait la grace de sortir une fois de
l'Egypte spirituelle du monde , n'ayons
jamais la pensée d'y retourner. Mais
sachons que ce n'est pas assez d'en être
sorti de corps , si on ne s'en retire de
cœur ; Il ne suffit pas de l'avoir quitté,
quant à ses erreurs, si on ne l'abandonne
aussi quant à ses vices : autrement,
que nous serviroit - il d'avoir renoncé à
ses superstitions & à ses idolatries , si
nous nous laissons gagner à ses debauches?
Si l'on voit au milieu de nous les
mêmes pechez qui y regnent , l'impieté ,
[té,]
Sermon
I.la luxure , l'orgueil , l'avarice , la
vangeance , l'injustice , & d'autres passions
semblables ; nous ne serons pas
condamnez comme des superstitieux &
des idolatres , mais nous ne laisserons
pas de perir comme des impies & des
profanes , comme des mauvais Chrétiens,
qui faisans profession des connoitre
Dieu , le renient par leurs œuvres.
Et nôtre condition sera d'autant plus
malheureuse , que nous ne pechons pas
par ignorance , mais par malice, & que le
serviteur qui a connu la volonté du maître,
doit être battu de plus de coups.
Dieu nous garde , mes Fréres , de tomber
dans ce deplorable malheur ; Travaillons
plutôt de tout nôtre pouvoir
à répondre à la vocation dont Dieu nous
a honorez , à justifier l'innocence & la
verité de nôtre doctrine par la pureté
de nôtre vie, & à nous attacher si fortement
à la vraye Eglise qui est la Communion
des Saints , que nous en portions
les caractéres par la sainteté de nôtre
conduite ; afin qu'aprés avoir été les
membres de l'Eglise militante sur la
terre , nous puissions être receus dans la
communion bien-heureuse de l'Eglise
[triom-]
triomphante dans le ciel, où nous n'auronsSermon
I.
plus rien à craindre ni à souffrir,
mais où nos afflictions & nos combats
étans heureusement terminez par la gloire,
& par l'immortalité bien - heureuse
dont le Seigneur couronnera nôtre fidélité
& nôtre patience, nos pleurs & nos
gemissemens seront changez en des cantiques
éternels de loüanges & d'actions
de graces à nôtre grand Liberateur.
Ainsi soit-il.