LE
SOUVENIR
SALUTAIRE.
Ou
SERMON
Sur ces Paroles de l'Apocal. Chap.
II. vers.5.
C'est pourquoy souvien-toy d'où tu és
déchû, & te repens, & fay tes
prémiéres œuvres .
C E jour icy est un jour de
bonnes nouvelles, & ne
dirions nous mot ? Venez,
allons, & le faisons
entendre à la maison
du Roy d'Israël ! Ce
fut le langage de ces quatre Lépreux
du second Livre des Rois, lorsqu'ils
Ch. 7. 9.
[vi-]
virent la délivrance miraculeuse de
Samarie. Quelques momens auparavant
ils avoyent veu cette fameuse
Ville serrée de prés par une armée
victorieuse, & réduite à une extrémité
lamentable. Et tout d'un coup
ils trouvent le Camp des Syriens abandonné,
les Tentes vuides, le siége
lévé, & toutes les marques d'une
retraitte qui étoit si salutaire à leur
Ville & à leur Patrie : Sur cela ils
croyent qu'il est de leur devoir d'aller
publier une nouvelle si grande &
si ravissante, & d'aller remplir Samarie
de joye & de transports. Chers
Fréres, si Samarie fut autrefois le
partage d'Ephraim qui étoit la Tribu
la plus avantagée de toutes celles
d'Israël : Si elle commandoit au deçà
du Jordain à sept Tribus & à sept
Provinces, également riches & également
peuplées : Si en celle de Zabulon
se trouvoit la commodité
des Mers & des Ports, en
celle de Dan un peuple plein d'industrie
[dustrie]
& d'invention, en celle
d'Issachar un pays d'aise & de repos, en
celle de Nephtali des habitans aimables
&
de paroles gratieuses, en celle
d'Asser un pain gras, & des délices
Royales, en celle de
Manassé & en
celle
d'Ephraïm la portion double
de
Joseph, & toutes les bénédictions
imaginables de la Terre & des Cieux :
Si Samarie avoit à son Occident le
voisinage de
Tyr, Isle située au cœur
Esai. 23.
de la Mer, la plus expérimentée de
Ezech. 27.
toutes les Isles dans la marine, la plus
puissante en trafic, & la plus redoutable
en forces : Si en Samarie étoit
le
puis ou bien la fontaine
de Jacob,
d'où se puisoyent des eaux pures &
salutaires : Si elle fut non seulement
le réceptacle de plusieurs Sectes,
& de plusieurs faux Docteurs,
mais aussi le séjour de plusieurs Prophétes,
& depuis celui des Apôtres
de Jésus : Si au tems de Joram
elle vit fondre sur elle une puissance
formidable, & un Roy superbe
par qui ses Villes furent prises, ses
[ave-]
avenuës occupées, & ses habitans
reduits à de trés grandes extrémitez :
Si ces mêmes habitans, destituez de
secours humain, n'attendoyent plus
que de voir leur Ville saccagée, leur
liberté ravie, leurs biens enlevez,
leurs consciences tyrannisées, leurs
enfans égorgez, leurs personnes &
celles de leurs femmes & de leurs filles
exposées à la discrétion d'un Ennemy
barbare, & d'un Soldat impitoyable :
Enfin, si Samarie vît par
un effet non attendu de la bonté du
Ciel une délivrance inopinée, & la
crainte de ses habitans changée en assurance,
leur angoisse en alégresse,
leurs troubles en paix, leurs gémissemens
& leurs soupirs en des cris de
réjoüissance & en des chants de triomfe ;
Qui ne voit en tout cela un Tableau
naïf de vôtre Etat, de sa condition,
de sa situation, de ses Provinces,
& une description juste des extrémitez
où nous venons de le voir, & de la
délivrance miraculeuse qu'il a plû à
Dieu de luy accorder sur, tout en ce
[jour ?]
jour ? Et si les quatre Lépreux eurent
sujet de crier aux portes de Samarie,
& d'animer le peuple à une
sainte reconnoissance ; avouëz que les
Serviteurs de Dieu ont un grand sujet
de crier aujourd'huy, si ce n'est
dans vos ruës & dans vos carrefours,
au moins dans vos Chaires & dans vos
Temples,
Ce jour icy est un jour de bonnes
nouvelles, & ne dirions nous mot ? Autrefois Dieu voulut que les Sacrificateurs
fussent pourveus de Trompettes
d'argent, & que le son en fust
diversifié selon les sujets, quelquefois
du
retentissement bruyant , quelquefois
d'un ton moins éclatant. Certes
si jamais ce son bruyant a dû rétentir
dans la bouche de vos Sacrificateurs,
Nomb. 10. 10. 11.
sur tout dans cette Province, & dans
ce lieu qui en est le Centre, c'est à
mon avis en ce jour solennel de sacrifices
de prosperité. Mais aussi ce son
y doit estre diversifié, s'il faut qu'il
soit éclattant il faut encore qu'il soit
instructif, & s'il doit inspirer de la
[joye]
joye il doit aussi, selon l'ordre de nos
Souverains, inspirer de l'humiliation.
Nous ne sommes pas aujourdhui
dans ces Chaires pour sonner les
victoires & les triomfes. Ce n'est pas
encore icy le temps de Jubilation par
tout Israël. Une partie d'Ephraïm
soûpire encore sous le joug & sous la
verge de l'Exacteur ; la playe saigne
encore en Juda ; Egypte arme encore
contre Jerusalem, & l'interdit n'est
pas encore tout à fait osté du milieu
de Jacob. Enfin, Peuple fidéle, nous
sommes montez en cette Chaire pour
vous faire ressouvenir du passé & du
présent, & pour vous sanctifier pour
l'avenir. Car j'estime que dans nos
délivrances il n'est point de souvenir
plus important que celui de nôtre
chûte précédente, & des causes de
cette chûte ; & qu'aussi il n'est point
de réconnoissance plus agréable à
Dieu que le repentir de nos fautes, &
que le changement de nôtre conduite.
Et maintenant que Dieu reléve cet
[Etat,]
Etat, qu'il commence à lui parler de
Paix, & qu'il vient d'incliner le cœur
d'un redoutable Monarque, & vous
le rendre aussi affectionné qu'il a esté
irrité contre vous, il me semble que
j'entens cette mesme voix, qui cria
autrefois à la prémiére des sept Eglises
d'Asie, vous crier encore de son
Sanctuaire comme à la prémiére de
ces sept Provinces, C'est pourquoy
souvien-toy d'où tu es décheu, & te repens,
& fay tes prémiéres œuvres. Exhortation
comme vous le voyez qui est
double : L'une, à ce que cet Ange
d'Ephése se souvienne de sa chûte,
Et l'autre, à ce qu'on voye le fruit &
l'effet de ce souvenir. Dans la premiére
vous voyez encore. I. L'occasion
de cét avertissement, C'est
pourquoy. II. Le devoir mesme, souvien-
toy. III. L'objet de ce souvenir,
d'où tu és décheu .
Ceux qui recherchent les secrets
de la Nature remarquent trés bien
que les animaux les plus généreux &
[les]
les plus forts ont tous quelque foible,
sans excepter mesme le Lion, qui
perd toute sa force si l'on luy couvre
les yeux. Ce qui se voit dans la Nature
se remarque aussi dans la Grace.
Les plus régénérez ont tous quelque
foible, & le plus souvent quelque
2 Cor. 12. 7.
écharde en la chair , depeur qu'ils ne
s'élevent outre mesure. Job a beau
Iob. 1. 1.
estre apellé un personnage
entier &
1 Sam. 13. 14.
droit , David un homme
selon le cœur
Luc. 1. 6.
de Dieu , Zacharie un homme
juste &
vivant sans reproche , l'Ecriture sainte
ajoûte par tout un
mais, & par tout
elle remarque un foible, comme furent
les emportemens de Job, l'adultére
de David, & l'incrédulité de Zacharie,
dont la bouche
muëtte parle,
& publie la faute. L'Epouse est dite
Cant. 1. 5. 6.
estre
belle &
de bonne grace, cependant
elle étoit
brune & halée
du soleil.
Et sans aller plus loin, cét Ange de
l'Eglise d'Ephése se voit d'abord
Apoc. 2. 2. 3. 4.
comblé de loüanges, il voit
ses œuvres
étalées, son travail récommandé, sa
[ patien- ]
patience approuvée, & tout aussi-tost
il suit un
mais, ou bien un reproche,
Mais j'ay quelque chose contre toy.
Vous sçavez, Chers Fréres, que les
loüanges que se donnent les hommes
sont ordinairement flateuses, & tendent
non pas à corriger, mais à produire
un effet tout contraire. Elles
endorment l'esprit comme le Chirurgien
endort la partie qu'il veut percer.
D'ou vient que l'Empereur Sigismond,
au raport d'Æneas Sylvius,
maltraitta un homme qui le loüoit
sans l'instruire, & que Dion l'Historien
Dio Coccej. in Excerpt. Constant.
remarque que ce qui perdit Néron,
c'est qu'on le loüa toujours &
qu'on ne le reprit jamais. Icy veritablement
le Fils de Dieu loüe,
Je connoi
tes œuvres, dit il à cét Ange, &
ton travail, & ta patience, & que tu
ne peus porter les mauvais &c. mais
c'étoit pour en venir au blâme, & du
blâme à la correction. La loüange
n'étoit qu'une entrée favorable, pour
faire glisser plus doucement dans l'esprit
[prit] de ce bon Evesque un reproche
vif & pénétrant,
Tu as délaissé ta prémiére
charité. C'est de la sorte qu'un
1 Cor. 1. 4.
Paul commence la plus-part de ses Epitres
Phil. 1. 3.
par des éloges, rendant graces
Col. 1. 3. 4. &c
à Dieu de la
foy & des vertus de ceux
dont il fait voir en suite les foiblesses
& les défauts. Et la conclusion en est,
C'est pourquoy ayez souvenance.
Les reproches que se font encore
les hommes sont le plus souvent aigres,
& ne tendent qu'à diffamer &
qu'à confondre. Témoin ces reproches
Genes. 37 8.
peu charitables que font à un Joseph
1 Sam. 17. 28.
ou à un David des fréres envieux,
Jean 12. 5.
ou que fait l'infidéle Judas à une Marie
prodigue à l'égard de Jésus. Quelquefois
aussi ce sont des reproches
d'un Maitre ou d'un Juge, qui mettent
le crime dans son vray jour, pour
faire voir combien la punition en est
juste. Et j'avouë que ces reproches
sanglans que Dieu adresse à des
Caïns, à des Saüls, à des Achabs, à
des Simons, & à des Ananias, sont
[de] de cette derniere sorte. Il confond
alors sans consoler, il blâme sans corriger,
il abbat sans reléver, il perce
la playe & en fait voir la profondeur
sans ajoûter l'huile ni le baume, & ces
playes en ces sortes de scélérats sont
mortelles. Mais en cét endroit,
Celuy
qui tient les sept Etoiles en sa main
droite reproche en Pére & en Amy, il
reprend, mais aussi il instruit, il met la
sonde, mais il met aussi l'appareil, il se
sert de vinaigre, mais il se sert aussi
d'huile, pour adoucir & pour cicatriser
tout ensemble, & il tend non pas à
confondre simplement ce bon Ange,
moins encore à le jetter dans les désespoir,
non plus que fit ailleurs le reproche
de l'Ange en Bokim, la parole de
Jug. 2. 4.
Nathan adressée à David, ou l'avertissement
2 Sam. 12. 7.
de Jésus adressé à Pierre,
Luc. 22. 61.
mais bien à le porter à une confusion
sainte, & à un répentir salutaire,
C'est
pourquoi souvien-toy d'où tu es décheu.
Dieu sans doute n'est capable ni
[ d'ou- ]
d'oubli ni de souvenir, quoy que l'Ecriture
bégaye avec l'homme par ces
sortes d'expressions. Les Anges même
n'oublient point, puis que leur
souvenir ne dépend pas de la disposition
d'un cerveau, ni d'un mouvement
d'esprits qui tantost s'arreste &
tantost se renouvelle, ni de ces idées
ou de ces impressions que d'autres objets,
d'autres d'idées, le tems & le
grand âge obscurcissent, & finalement
effacent. Aussi voyez-vous que les
Anges sont répresentez comme étans
jeunes, & dans un âge qui a la mémoire
heureuse. Il n'y a que l'homme
qui oublie aisément sur tout les choses
du Ciel. Car le péché a blessé
nôtre mémoire de même que nôtre
entendement & nôtre volonté. Il en
a êté de la prémiere désobeïssance
comme de ces maladies qui ont fait
perdre le souvenir même d'un Pere
ou d'une Mere. Aussi l'homme est
venu d'abord à oublier son Pere & son
Créateur ; & de là naissons-nous tous
[des]
des
Manassez, c'est à dire en la Langue
sainte,
des oublieurs. Car en effet
qu'est-ce que le Peché si ce n'est
un oubli ? Et que fait autre chose le
pecheur si ce n'est qu'il oublie la majesté
de Dieu, l'équité de ses Loix, la
sévérité de sa justice, la multitude de
ses Playes, les éclats de ses Foudres,
& la pésanteur de son Bras ? Que fait-
il si ce n'est qu'il s'oublie soy même,
quasi comme un Messala Corvinus
Plin. Lib. 7. C. 24.
qui vint à oublier son propre nom,
en ce que le pécheur oublie sa raison,
son jugement, son devoir, son bien
& son utilité propre, lors qu'il préfére
un plaisir passager, une passion
brutale, une douceur trompeuse, un
petit gain, ou une fumée d'honneur
& de reputation, à ce qui est
le tout
Eccles. 12. 15.
de l'homme , comme est sans doûte la
paix de Dieu, la grace de Jésus, & la
félicité du Ciel ? Israël prévarique-
t'il ? c'est qu'il
oublie celuy qui l'a fait :
Moyse doûte-t-il, en frappant le rocher ?
Hos. 8. 14.
c'est qu'il oublie tous les miracles
Nombr. 20. 11. 12.
[racles] dont il avoit déja esté l'instrument :
Aaron fond-il un veau d'or ?
c'est qu'il oublie la voix de Sinaï : David
commet-il adultére ? c'est qu'il oublie
celuy qui l'a placé sur le Trône :
Jonas fuit-il en Tarsis ? c'est qu'il oublie
qui est Dieu, & quelle est sa vocation :
Pierre enfin renie-t'il son bon
Iean 1. 42.
Maître ? c'est qu'il oublie qu'il est
Pierre, & ne se souvient plus de cette
Manth.
26. 35.
promesse,
je ne te renieray point.
Jugez donc, Fidéles, combien cette
exhortation est necessaire à l'homme
pécheur, Souvien-toy ! Veritablement
il n'en est pas besoin quand
il est question des injures, des offenses,
des pertes, des plaisirs, ou des
avantages du monde, ni quand il s'agit
de pourvoir les siens, d'accroitre
ses revenus, de procurer son avancement,
de chercher ses aises, ou de
soûtenir ses propres intérêts. L'homme
a encore une merveilleuse mémoire
pour le mal, mais pour le bien
il n'en a point, ce qui est une preuve
[con-]
convainquante de sa corruption. Les
Disciples en l'Evangile s'éveillent
bien à la voix de Jésus, mais aussi-tost
Matth. 26. 43.
ils se rendorment ; de mesme le pécheur
s'éveille assez souvent à la voix
des Ministres de Jésus, mais aussi-tost
il se rendort, tant son cerveau est appesanti
par les vapeurs de la chair. A
peine a t'il oüi la Parole, qu'il l'oublie,
comme celuy qui s'estant considéré
en un miroir
oublie aussi-tost
Iac. 1. 24.
quel il étoit , comme l'Echanson oublie
Gen. 40. 25.
Joseph dés le moment de sa délivrance,
ou bien comme l'Autruche
Iob. 39. 18.
oublie ses œufs dés qu'elle les a pondus.
Marm. Afric. Liv. 1.
Peu conservent cette précieuse
Manne comme dans
une cruche d'or ,
peu gardent en leurs cœurs avec Marie
les paroles de Jesus, peu les ruminent
Luc. 11. 51.
comme firent les deux Disciples
Luc. 24. 32.
aprés le départ du Seigneur. Si le Fils
de Dieu crie,
souvien-toy , le Tentateur
tâche de détourner ce souvenir.
Il intervient & avance d'autres
objets, il fait voir du danger à un
[Pier-] Pierre, il découvre des charmes à un
David, il réprésente l'utilité des siecles
& des lingots à un Achan, il promet
le présent siécle à un Démas. Ou
bien il empesche d'oüir ce
souvien-
toy , il divertit l'attention, il assoupit
les sens, il bouche les oreilles,
car ce n'est pas l'intérêt de son régne
que par cette voix salutaire nos consciences
soyent réveillées, nos yeux
ouverts, nos espris émûs, & nôtre
mémoire rafraichie des choses
qui apartiennent
à nôtre paix . En un mot,
pour imprimer ces idées bien avant,
il faut que Dieu les grave luy-même
au dedans de nous, comme il grava sa
Loy sur les
deux Tables ; il faut qu'il
1 Rois 19. 5. 7.
touche l'homme plus
d'une fois,
comme il toucha un Elie qui dormoit ;
il faut qu'il le blesse
à la
Gen. 32. 25.
hanche à un endroit sensible, afin
qu'il s'en souvienne ; & que d'une
voix étonnante il perce l'oreille & le
cœur d'une conscience criminelle,
Gen. 4. 10.
Adam, Homme
qu'as tu fait ? ou
2 Sam. 12. 7.
bien,
Tu és cét homme-là ? [Et] Et le mot qui se trouve dans le Texte
original est d'une singuliére emphase.
Il signifie
se ramentevoir une chose
ou se la
rappeler souvent, & avec application.
De fait ces idées salutaires doivent
sans cesse estre renouvellées, ce
Feu sacré doit être entretenu tous les
soirs & tous les matins, & ces Lampes
ont toujours besoin de nouvelle huile.
Et c'est à quoy contribuënt sans
doute les châtimens de Dieu, nos
maladies, nos disgraces, & nos délivrances
les plus merveilleuses. C'est
à cela qu'est destiné le Livre des Ecritures,
qui est ce vray
Livre de mémoires
Est. 6. 1.
qui rappelle jour & nuit aux
ames dévotes un souvenir tres-important.
C'est encore à cela que devoyent
servir tant de
Mémoriaux instituez
de Dieu sous l'Ancienne Alliance,
tant de Fêtes, & tant d'avertissemens
solennels, aussi bien que
ces
enseignes & ces monumens publics
qu'érigeoyent les Saints Hommes,
Gen. 28. 18. 35. 14.
aprés des délivrances ou des
graces signalées. Et c'est à cela même
Ios. 4. 9. &c.
[me]
que servent encore aujourd'huy les
Mémoriaux de la Grace, & la voix des
Pasteurs, qui est comme ce chant salutaire
du Coq, ou qui est cõme la voix de
ces Hérauts qui crioyent tous les jours,
Souvien-toy de ce que tu es, de ce que
tu as été, & de ce que tu feras un jour.
Et ne croyez pas, Fidéles, que nous
ayons moins besoin que vous d'un
Aye
Souvenance ! Icy le Seigneur adresse cét
avertissement à un
Ange, à un Evéque,
à un Héraut de la grace. C'étoit un
Ange,
selon que le qualifie l'Esprit de Dieu,
non pas du Ciel, mais de la Terre, un
Ange non pas tout Esprit, mais Esprit
& Chair. C'étoit l'une de ces
sept Etoiles,
mais pourtant du nombre de celles
Apoc. 9. 1.
qui sont errantes en un certain sens, &
qui parfois
tombent du Ciel en la terre .
La mémoire des plus éclairez n'est pas
toujours la plus heureuse. Ces Anges
oublient souvent ce qu'ils sont, ce
2 Cor. 12.
qu'ils doivent, & ce qu'ils préchent.
Un Paul même aprés avoir esté élevé
Gal. 11. 11.
au troisiéme Ciel a besoin d'une
écharde.
Un Céphas éclairé de tant de lumieres
[mieres] a besoin d'un Paul qui le redresse.
Les piez des Disciples ont beau estre
Iean 13. 5.
lavez par Jésus Christ, ils retouchent
aussi-tost la terre, & se soüillent de
nouveau. Et cét Ange de la prémiére
& de la plus florissante des Eglises de
l'Asie est repris non seulement de son
oubli, mais aussi de sa chûte,
Souvien-
toy d'où tu es décheu .
Les hommes nous font
ressouvenir le plus souvent de choses legéres, Maitre,
disent les Pharisiens, tes Disciples
ne lavent point leurs mains. Souvent
Matth. 15. 2.
ils nous rappellent le souvenir de choses
inutiles, comme Isaac fait inutilement
souvenir son Pére
de la beste pour
Gen. 20. 7.
l'holocauste. Parfois ils nous portent à
un souvenir criminel & pernicieus,
comme le serpent fait souvenir Eve de
Gen. 3. 1.6.
l'Arbre désirable , comme ces Fréres
qui se font ressouvenir l'un l'autre du
maitre songeur , ou comme la Servante
Gen. 37. 19.
qui fait ressouvenir que
Pierre doit
Matth. 26. 71.
estre saisi comme l'étoit Jésus. Mais
Dieu, sa Parole, & ses Serviteurs nous
[font] font
souvenir uniquement de choses
d'où dépend nôtre félicité & nôtre salut.
Eccl. 12. 3.
Aye souvenance, est-il dit ailleurs,
Exod. 20. 8.
de ton Créateur pour le servir,
du jour
du repos pour le sanctifier,
de tous les
Pse. 103. 2.
bienfaits de Dieu pour les reconnoître,
Nehem. 9. 17
de ses merveilles pour les adorer,
de la
Luc. 17. 32.
femme de Lot pour en éviter la désobeïssance,
Hebr. 13. 2. 3. 7.
de tes
Conducteurs pour
imiter leur foy,
de l'hospitalité pour
la pratiquer,
des prisonniers &
des affligez pour se figurer leurs maux & leurs
souffrances. Et dans nôtre Texte ce
fidéle Témoin fait souvenir son Ange
d'une triste
chûte, afin qu'il s'en reléve.
Il étoit
décheu le bon Ange, mais
non pas de sa connoissance ni de ses lumiéres,
non pas de son caractére ni de
son rang, non pas de la dilection ni de
la grace de son maitre, dont rien
ne
peut separer le fidéle. Il étoit
décheû,
Rom. 8. 38.
mais non pas de tout mouvement de
piété ou de charité, car il avoit encore
cela de bon
qu'il haïssoit & la doctrine
Apoc. 2. 6. 15.
& les actes des Nicolaïtes , secte qui
[por-]
portoit au libertinage, & qui renversoit
la foy de la piété tout ensemble. De
quoy donques, direz-vous, étoit décheu
cét Evéque, ou bien son Eglise, à
qui l'Esprit vient de rendre un témoignage
si magnifique ? Le verset précédent
le dit, Tu as délaissé ta prémiére
charité. Ce prémier feu étoit non pas
éteint mais amorti, l'ardeur de cét Ange
étoit ralentie, son zéle étoit réfroidi,
& ses mains étoyent devenuës pesantes.
Cette belle Eglise étoit devenuë moins
exemplaire, moins charitable, moins
hospitaliére, & moins prompte soit à
avancer la vérité, soit à recueillir les
exilez, soit à soulager les pauvres & à
consoler les affligez. Cét arbre planté
par la main de Jésus, & cultivé par son
Apôtre, avoit jetté des racines trop
avant dans la terre, & tenoit un peu
trop aux biens du monde, dont il étoit
devenu moins communicatif. Et c'est
cela même dont son charitable Maitre
luy rappelle le souvenir, souvien-toy
d'où tu és décheu . Car c'est là la prémiére
[miére]
démarche d'un repentir salutaire,
de comparer le présent avec le passé,
& de se souvenir des graces qu'on
avoit cy devant receuës, des douceurs
qu'on avoit goutées, des œuvres loüables
qu'on avoit faites, & d'une félicité
dont on est décheu par sa propre
faute. C'est alors qu'un David pleure
quand il pense aux jours de jadis & au
temps du siecle passé , ou qu'un prodigue
pleure quand il se souvient de son
état en la maison de son Pére , ou qu'un
Pierre pleure quand aprés le regard de
Jésus il fait reflexion sur son prémier
courage & sur sa prémiére innocence,
& qu'une bonne ame est touchée vivement
quand au souvenir du passé elle
joint la consideration de son changement
& de sa misere présente.
Je ne trouve pas étrange qu'avoir
délaissé sa prémiére vertu soit icy appellé
une chûte. C'est sous ce nom que
le Péché nous est réprésenté dans les
saintes Ecritures. Elles parlent souvent
de l'homme, d'Israël, & du fidéle
[le]
comme étant
tombé,
trébuché,
décheu,
& cette expression est aussi familiére
à S. Paul. Et de fait le premier
Rom. 5. 15. 17.
homme avoit esté créé
droit. Il étoit
sur ses pieds dans le Paradis, il regardoit
1 Cor. 10. 12.
le Ciel, il levoit la tête, il marchoit
Gal. 6. 1.
sans honte & sans crainte, il étoit en
Eccles. 7. 29.
une posture de Maître & de Dominateur,
& veritablement il étoit
debout.
On pouvoit dire de luy ce que l'Epouse
dit de son Epous mystique,
Regardez
Cant. 3. 11.
le Roy Salomon avec la Couronne dont
sa Mére l'a couronné au jour de ses
Epousailles, & au jour de la liesse de
son cœur. Il fut véritablement le Roy
des hommes & des animaus, sa justice
fut sa Couronne, le Créateur fut sa Mére,
le jour de sa création fut celuy de
ses Epousailles avec Eve, le Paradis fut
sa Maison Royale, & l'Alliance de
Dieu fut comme ce
lit magnifique ou
comme ce superbe
Trone sur lequel il
Cant. 3. 7. 9.
reposoit seurement. Mais envisagez
je vous prie ce même homme aprés sa
désobeïssance, car le voilà
tombé ! Regardez
[gardez] ce Prince des hommes avec sa
Couronne renversée, sa parure déchirée,
sa gloire ternie, & son innocence
perduë pour jamais ! Voyez, Fidéles,
comme il baisse les yeux, comme
il regarde la terre, comme il rougit de
sa foiblesse couvert de honte & de confusion,
comme
il se cache de devant
l'Eternel , & comme il
tremble à la
voix divine. Il est étendu, il est couché
par terre, il se vautre dans la poussiére,
Luc. 10. 30.
il est
navré de plusieurs coups comme l'homme de la Parabole. Et sa
chûte non seulement est lourde, dans
ce beau jour qui l'éclairoit, non seulement
elle est honteuse à un homme de
sa force, non seulement elle est dangereuse
par une blessure, mais elle est mortelle,
& en tombant il se tuë, comme
fait le pauvre Eutyche, car il tombe
Act. 20. 9.
de trop haut, puisqu'il tombe du Ciel
dans
l'abime.
Il est bien vray qu'il plut à la miséricorde
de Dieu de le relever bien-tost aprés.
Ce charitable Samaritain dés
[lors]
lors le voyant en ce triste état fut
émeu de compassion. Cét Ange de
grace luy dit comme à Pierre,
léve
Act. 12. 7.
toy légérement , ou comme Jésus dit
au Paralytique
léve toy & marche , &
ce bras puissant le prit par la main, le
soûtint par sa vertu, & le redressa par
sa misericorde. Cependant depuis
cette fatale chûte l'homme n'a fait
que ramper sur
là terre, il ne marche
que pesamment, il ne regarde le Ciel
qu'avec peine, il se traine par maniére
de dire là où Dieu & son devoir
l'appellent, il
cloche tout le reste de
ses jours avec Jacob, & il trébuche
presque à châque démarche. Car enfin
autant de fois que l'homme péche,
autant de fois il tombe, & en tombant
il se blésse. J'avouë que les chûtes
du vray fidéle sous l'alliance de la
grace ne sont plus mortelles, mais
elles sont cependant criminelles, elles
sont dommageables, elles offensent
Dieu, elles blessent l'ame, elles
troublent la conscience, elles obscurcissent
[cissent] la grace, elles
contristent l'Esprit
de Dieu , & elles irritent le Saint
d'Israël, car Dieu, disoit Job,
conte
Iob. 14. 16. 17.
tous nos pas, il n'accepte rien de nos
péchez, & il cachette tous nos forfaits
comme en une bougette. Je tombe aussi
d'accord que toutes les
chûtes ne sont
pas égales. Il y en a de trés-lourdes
en ceux qui ont reçû plus de lumiéres
& plus de graces, & telles ont esté les
chûtes, par exemple, des Anges dans
le Ciel, d'Adam dans le Paradis,
d'Aaron dans le Désert, de Salomon
dans sa Gloire, & de Pierre dans la
Cour de Caïphe à la vuë de Jésus. Il
y en a de plus honteuses que beaucoup
d'autres ne sont, comme il est
honteus à un homme grave de se laisser
choir par imprudence, à un Capitaine
de fuir, à un Magistrat de prévariquer,
à un Pére de donner mauvais
exemple, ou à un Pasteur qui enseigne
Rom. 2. 21.
autruy
de ne point s'enseigner soy
même : Il y en a qui sont d'autant plus
blamables qu'elles sont plus volontaires,
[res,] témoin ce
conseil secret de Simeon
Gen. 69. 6.
& de Lévi, ces
péchez de fierté
Nomb. 15. 30.
dont parloit Moyse, & cette légéreté
Esai. 69. 7.
à répandre le sang que déplorent les
Rom. 3. 15.
Saints hommes de Dieu & qui se voit
si fort en nos jours, sans excepter le
fait malicieus de David au regard
d'Urie. Il y en a de tout à fait criminelles
en une infinité d'hommes qui
se vendent au péché avec Achab, qui
1 Rois 21. 25.
péchent
la main élevée, & qui se précipitent
de gayeté de cœur dans le vice
& dans les dissolutions. Il y en a
de tout à fait mortelles & dont l'homme
ne se reléve jamais, comme sont
celles dont parle S. Paul, & celles des
Hebr. 6. 4. 6. & 10. 26.
Judas, des Juliens, des Spiras, & de
beaucoup d'Apostats, devenus de
cruels persécuteurs aprés avoir eu des
lumieres convaincantes, & aprés avoir
gouté la bonne parole , aussi bien que
les puissances & les vertus de l'Evangile,
& même une partie de l'Antiquité
a mis en ce rang la chûte du
grand Salomon. Enfin il y en a aussi
[de] de plus innocentes, comme celles
Gal. 6. 1.
qui viennent
de surprise, ou d'ignorance,
ou de foiblesse, & pour lesquelles
Nombr. 15. 30. 31.
Dieu avoit ordonné en sa Loy
des offrandes & des sacrifices, au lieu
que toute chûte volontaire & tout
péché de rébellion devoit estre puni
de mort.
Il ne faut pas doûter, Chers Fréres,
que la
chûte de ce bon Ange
n'ait esté de la derniére sorte, & plûtost
un effet de l'infirmité humaine
que d'un dessein malicieus. Et qui
est-ce d'entre les hommes mortels,
qui ne soit sujet à tomber de la sorte ?
Le juste tombera
sept fois par jour, &
même
septante & sept fois. Celui
qui
s'estime estre debout doit bien prendre
1 Cor. 1. 12.
garde qu'il ne tombe . Le naturel de
l'homme y contribuë sur tout, lequel
est de soy même changeant & inconstant,
comme une girouëtte à tout
vent, comme ces nuées que le vent
emporte aisément, ou comme ces
nasselles que le courant des eaux entraine
[trai-] sans difficulté. Tout ce qui
au-dedans de l'homme y contribuë
encore, la chair, la convoitise, les passions,
le péché qui y habite, & la loy
qui est en ses membres. Tout ce qui
est au devant de l'homme y contribuë
Rom. 7. 17. 23.
semblablement, les mauvais exemples,
les sollicitations du monde, les
charmes de la terre, & la
montre des
Matth. 4. 8.
Royaumes du monde & de leur gloire .
Tout ce qui est à l'entour de l'homme
ou tout ce qui luy arrive, contribuë
de même à le faire choir, soit la pauvreté
Prov. 30. 8. 9.
soit les richesses, soit la disette
soit l'abondance, soit les biens soit
les maus, soit une grande prospérité
soit une extréme disgrace. Tout ce qui
est derriére l'homme & tout ce qu'il
ne voit pas produit encore le même
effet, savoir les embuches que luy
dresse ce Lion rugissant qui
sans cesse
rode à l'entour de nous , ou les piéges
1 Pier. 5. 8.
que dressent des ennemis des séducteurs
& des faus fréres, que la haine,
l'envie & la médisance possedent. En
[un] un mot tous les lieus où l'homme se
trouve sont ou des lieus de tentation
& des lieus glissans, ou des chemins
pleins de mauvais pas & pleins
de
pierres d'achoppement ; soit qu'il se
Gen. 9. 21.
trouve
au milieu de son tabernacle avec Noë, soit qu'il se trouve dans
une Egypte avec Abraham & avec ses
descendans, ou dans une solitude
avec Lot, ou dans un désert avec les
fréres de Joseph, ou dans un Palais
Royal avec David, ou dans un lieu
de débauche avec le Prodigue, ou
dans une compagnie étrangere avec
Pierre, ou même dans un lieu de dévotion
Act.20. 9.
avec Eutyche
cependant que
Paul traitte de la Parole .
Particuliérement l'homme déchoit
fort aisément de sa prémiére charité &
de ses prémiéres vertus. Dans le chemin
de la grace l'on y descend plus
aisément que l'on n'y monte, car le
chemin est fort roide ; de même que
l'on y recule plus aisément que l'on
n'y avance, car le courant du monde
[&]
& des affections nous emporte. Et je
n'excepte pas en cecy même les plus
régénérez, fussent-ils des Anges dans
le Ciel de l'Eglise, comme l'étoit celuy
qui est réprésenté dans nôtre Texte,
& que quelques uns ont crû avoir
esté Timothée, ou bien fussent-ils des
Samsons en force, des Davids en graces,
des Pierres en zéle, & des Pauls
en lumiéres. Il en prend tout au contraire
de la charité & de la vertu, que
des convoitises & des passions. Comme
celles-cy naissent avec nous, aussi
vont-elles toujours en croissant, &
l'on ne s'en dépoüille qu'avec la vie.
Ce mouvement nous étant naturel il
est aussi permanent, & il est plus rapide
dans la suite qu'au commencement.
Au contraire l'homme se relâche
aisement à bien faire, parce
que ce dernier mouvement ne luy est
pas naturel, aussi est-il d'abord rapide
& véhément, mais ensuite tardif
& pesant. Il en est quasi comme
de la santé & des maladies, celle-
[là]
là s'altére aisément, mais celles-cy ne
se chassent pas avec la même facilité :
Ou bien il en est comme des bonnes
herbes, & comme de l'yvroye & des
plantes nuisibles ; celles-là s'arrachent
sans peine & reviennent difficilement,
mais celles-cy ont beau
estre arrachées, la semence en demeure,
& trouvant un terroir favorable
elles repoussent incessamment.
Sur tout la charité est comme un feu
au dedans de l'homme, qui se ralentit
ou qui s'éteint plus aisément qu'il
ne s'augmente ou qu'il ne persévére.
Le diable & le monde luy ôtent le
plus souvent sa nourriture, puis que
les occasions qui nous portent au bien
sont rares, & que celles qui nous portent
au mal sont fréquentes. Ils jettent
encore sans cesse de l'eau, par
maniére de dire, dans ce feu divin,
comme est l'amour de soy même, l'amour
du monde, l'amour des richesses
& des honneurs, tandis qu'ils versent
de l'huile dans le feu de nos passions,
[sions,]
& qu'ils fournissent continuellement
à celles-cy la nourriture qui
les entretient. Car comme la flamme
naît d'une fort petite étincelle, &
que tout luy sert d'aliment, disons le
même des vices qui sont opposez à la
charité. Dés que la haine par exemple
& que la jalousie se sont emparées
de l'esprit des fréres de Joseph, tous
les jours
ils le haïssent encore plus fort ,
Gen. 28. 5. 8. 11.
& non seulement son hoqueton, ses
actions, & ses paroles servent de
nourriture à cette
mauvaise beste,
mais même des
songes, des imaginations,
& des fantomes. Et au lieu
que mille bienfaits portent à peine
un Saül à quelques mouvemens de
charité envers David, il ne faut
qu'un petit ombrage, & que le langage
de quelques
femmes, pour changer
1 Sam. 18. 8. 9.
cette amitié en une haine irréconciliable.
Remarquez aussi, Mes tres-chers
Fréres, que si l'homme déchoit &
tombe aisément, il a au contraire bien
[de]
de la peine à se relever. De soy même
il n'a aucune force pour cela.
Le
Jean. 5. 4. 6.
Sacrificateur même & le
Lévite,
c'est à dire les Ministres de la Parole,
ne peuvent pas non plus le relever. Il
faut pour cét effet l'assistance du bon
& du miséricordieus
Samaritain, qui
est descendu de la Jérusalem d'enhaut
vers cette Jérico terrestre. Les
Anges de la grace ont beau mouvoir &
préparer l'eau du Lavoir, un misérable
demeure
gisant à terre, jusques à
Luc. 10. 31. 32.
ce que la vertu de Jésus fasse qu'il
se
léve & qu'il marche. Autant de fois
que l'homme tombe, autant de fois
faut-il que Dieu
étende la main de sa
Grace & qu'il l'empoigne, comme il
fit à Pierre qui sans cela périssoit.
Prov. 24. 16.
Le juste, disoit le Sage, cherra sept fois
Ps. 37. 24.
& sera relevé , mais c'est d'autant que
l'Eternel luy soutient la main. Et sans
cét effet de la Grace, sans cette vertu
divine accompagnée d'une lumiére
céleste, que seroit-ce, hélas, de
l'homme pécheur ! Puis que même toutes
[tes] les choses qui devroyent servir
à le redresser, comme sont au dedans
de luy ses lumiéres naturelles, sa raison,
sa prudence, & son sçavoir, &
hors de luy les bénédictions, ou la patience,
ou les châtimens, ou bien les
délivrances du Ciel, sont converties
par la corruption de l'Homme, par
les Courretiers d'iniquité, & par les
émissaires de Satan, en des piéges &
en des occasions qui le font tomber.
Car tout cela, sans l'aide de la Grace,
luy est ce que furent les playes à
Pharao, ce que fut l'autorité Royale
à Saül, ce que furent les merveilles
de Dieu à un Peuple de cou roide, ce
que furent les vertus de Jésus Christ
à l'endurcie Corazin, ce que fut la
prédication de l'Evangile, cette
odeur
de vie & cette
puissance à salut, à des
Pharisiens & à des Philosophes, & ce
que devoit estre enfin aux incrédules
le Sauveur du monde, savoir
un rocher
Esai. 8. 14.
de trébuchement , comme il a esté
Luc. 2. 24.
mis pour le relévement de plusieurs en
Israël.
[Mais]
Mais, ô Justice adorable, qui veut
que l'homme tombe par la peine aussi
aisément qu'il tombe par le crime !
Une chûte ne manque jamais d'en attirer
une autre, & celle qui est honteuse
& criminelle en cause une qui
est triste & douloureuse. Les Anges
déchoyent-ils de leur intégrité, Adam
déchoit-il de son innocence,
Saül déchoit-il de ses commencemens
louäbles, Salomon déchoit-il
de sa sapience, tout Israël déchoit-il
de la crainte & du service de son Dieu,
des Eglises & des Républiques viennent-
elles à déchoir de leur prémiére
simplicité & de leur prémier zéle,
qu'arrive-t'il enfin ? C'est qu'on les
voit aussi déchoir de leur félicité, de
leur dignité, de leur tranquillité, &
de leur gloire ? Autant d'exemples
que nous voyons dans l'Ecriture de
la prémiére de ces chûtes, autant en
voyons nous de la derniére, sans excepter
ni les Moyses, ni les Aarons,
ni les Helis, ni les Davids, ni les
[Ezé-]
Ezéchias, ni les Jonas. Et la désobeissance
de ce dernier fut bien
la
charge la plus pesante qui fit enfoncer
le Navire dans lequel il étoit, &
qui précipita ce pauvre homme dans
les gouffres & dans les abimes de la
mer. La chûte lamentable d'un froid
& d'un indulgent Héli est différée jusques
à la grande vieillesse, mais enfin
tout d'un coup
il tombe à la renverse
1 Sam. 4. 18.
& en meurt. Et sans chercher ailleurs
des preuves de cette vérité, que
l'exemple de l'Eglise d'
Ephese nous
suffise en ce lieu. Elle fut autrefois la
prémiére & la Métropolitaine de
toute l'Asie, son Chandelier repandit
sa lumiére par toute la terre, les
noms d'un Paul, d'un Jean, d'un Timothée,
& d'un Onésime, la rendirent
vénérable ; & quant au temporel
elle séjournoit dans une Ville qui
étoit le siége des Proconsuls, l'abord
des Nations, & la prémiére entre les
Villes de l'Asie, pour sa grandeur,
pour son trafic, & pour son opulence.
[ce.]
Et cependant aprés estre décheuë
entiérement de toutes ses prémiéres
œuvres, elle est aussi décheuë de toute
sa splendeur, & est devenuë un repaire
de serpens.
Enfin j'estime que l'homme quel
qu'il soit ne déchoit jamais dans le
spirituel, qu'il n'ait à attendre quelque
chûte dans le temporel. Mais où
les Pharaons, les Saüls, & les Hérodes
tombent sans resource, & sont
précipitez en un moment , là les bien-
aimez de Dieu en tombant sont soûtenus
de sa main, qui les tient ferme,
les panse, les console, & finalement
les reléve. Et le moyen d'estre bientost
relevez, c'est celuy qui est préscrit
en nôtre Texte, Et te repens, &
fai tes prémiéres œuvres.
C'est icy, Peuple fidéle, le vray
souvenir que demande le Fils de
Dieu, savoir celuy qui méne au repentir.
Il est un souvenir de certaines
chutes qui ne fait pas ordinairement
cét effet. C'est lors qu'on se
[sou-]
souvient d'estre décheu ou de sa grandeur,
ou de son authorité, ou de ses
richesses, ou de sa liberté, ou de sa
réputation. Ce souvenir est cuisant
& cause des larmes à un Esaü, des
frayeurs à un Saül, du deuil à un Achab,
des cris & des plaintes à une
Rachel
pleurant ses enfans , & des lamentations
Jer. 31. 15.
à un Peuple asservi aux
Assyriens ;
Je convertiray vos festes
Amos. 8. 6.
solennelles en deuil, & tous vos cantiques
en lamentation. Mais il n'y a que
le souvenir de nos fautes & de nos
foiblesses, celuy d'estre décheu de
la charité, de la crainte de Dieu, du
sentiment de sa paix & des asseurances
de sa grace, qui cause le
repentir,
qui perce le cœur à un David, qui humilie
un Manassé, qui arrache des
larmes de repentance à un Pierre, &
qui rameine l'Enfant Prodigue de ses
égaremens & de ses débauches. Le
souvenir seul encore de nos désobeïssances
ne suffit pas. Car le Diable ne
se souvient que trop d'où il est décheu,
[cheu,] Caïn & Judas ne se souviennent
que trop
du sang innocent, un
Doëg ne se souvient que trop de ses
Ps. 52. 1.
outrages, car il
s'en vante & s'en glorifie,
Esai. 3. 9.
& il n'y en a que trop qui
publient
leurs péchez comme Sodome. Il
est donc question en cét endroit d'un
souvenir qui soit accompagné de déplaisirs
& de regrets, aussi bien que
d'un changement & d'un amendement
saint, souvien-toy
& te repens.
Par le péché l'homme s'est éloigné
de son Dieu, par le repentir il s'en
rapproche. La prémiére vertu qui
fut l'innocence étant éteinte, Dieu a
voulu qu'il y eust une seconde vertu
qui fust accessible à l'homme criminel,
savoir la Repentance. Celle-là a
esté prescrite dans la Loy, & celle-cy
l'est dans l'Evangile. Et ce repentir
est l'unique acte par lequel l'homme
se reléve de ses chutes, comme c'est
l'unique porte par laquelle il rentre
dans la maison de son Pére céleste, l'unique
[nique]
dégré par lequel il monte vers
le Trône de la Grace, & l'unique parure
que Dieu requiert en un pécheur
depuis que l'Homme a esté
dépouillé
Gen. 3. 7.
de la robbe d'innocence. Mais afin
que ni un Ange ni des fidéles d'Ephése
ne s'imaginassent pas que ce
repentir consiste dans un simple regret, ou
dans un mouvement de contrition,
ou dans un désaveu de bouche, ou
dans une bonne résolution qui souvent
n'est qu'un éclair & qu'un feu de
paille, ou dans ce que l'Eglise primitive
appelloit
Pénitence, comme elle
appelloit des témoignages publics de
contrition, & comme un habit noir
est appellé
deuil, nôtre Texte ajoûte
incontinent,
Et fay tes prémiéres
œuvres.
C'est là, Fidéles, le propre & l'essentiel
du repentir, savoir un retour
à ses prémiéres œuvres. Et ce n'est
pas tant contre Luther que contre le
Fils de Dieu que Rome a foudroyé
un anathéme, qui se voit en la Bulle
[de]
de Leon X. à la fin du Concile de Latran,
parce que Luther avoit dit que
la meilleure pénitence c'est
la nouvelle
vie.
Fay des œuvres, dit icy l'Esprit
à l'Eglise d'Ephése. Car il n'avoit
garde de luy dire ce qui étoit inconnu
alors, confine toy dans un
Désert, renferme toy dans un Convent,
affuble toy d'un Froc, confesse
toy à mes Prétres, va t'en en Pélérinage,
ou rachéte tes péchez par Argent !
Fay des œuvres ! O que c'est
une belle harmonie quand le
repentir est au dedans, & quand
les œuvres paroissent au dehors ! Ce sont là les
Heb. 4. 12.
deux effets du
Glaive à deus tranchans ,
2 Rois 2. 9.
c'est là ce
double Esprit que
doivent demander avec Elisée tous
Gen. 27. 12.
les fidéles, c'est là avoir
les mains aussi
bien que
le cœur & que la voix de
Esai. 1. 16.
Jacob, savoir
se repentir du mal & faire
le bien .
Fay des œuvres ! Car le Fils
de Dieu ne se contente pas ou de mines
ou des paroles. Il cherche dans les
arbres de son Jardin non pas des fueilles
[les] ni des fleurs, mais des
raisins &
Esai. 5. 2. 4.
des
figues. Et ce ne luy est pas assez
Matth. 21. 19.
qu'un Esaü pleure, qu'un Saül se lamente,
qu'un Achab se couvre d'un
sac, que Juda
courbe la teste comme le
Esai. 58. 5.
jonc , ou que ce Traitre confesse d'avoir
trahi le sang innocent .
Fay des
Matth. 27. 4.
œuvres ! Car c'est à quoy aboutit toute
la doctrine de Jésus Christ, & le
plus savant dans le Royaume des
Cieus n'est pas celuy qui connoit le
plus, mais celui qui
fait le plus. Le
vray portrait d'un homme, disoit
Agésilaus, ce sont ses actions, aussi le
Plut.
vray portrait d'un Chrétien c'est la
pratique
des œuvres, & quiconque
ne les fait pas, disoit Tertullien, quiconque
s'éloigne de cette régle,
il
n'est plus réputé Chrétien parmi nous.
Apolog.
C. 46.
Tous les Grecs, disoit un Payen, connoissent
fort bien la vertu, mais il
Plut. Lacon.
n'y a que les Lacédémoniens qui la
pratiquent, aussi pouvons nous bien
dire le prémier de tous les Chrétiens,
mais le dernier, qui est de
faire [ des ]
des œuvres, est le caractére des vrais
Chrétiens.
Sur tout faut-il remarquer à mon
avis que cét avertissement s'adresse à
un
Ange, ou bien à un Pasteur, & à
un Evéque. Et Jésus ne luy dit pas,
Ange
prophétise, enquiers toy des
Act. 1. 7.
temps à venir
que le Pére a mis en sa
propre puissance ! Il ne luy dit pas non
1 Cor. 2. 1. &c.
plus, parois en Chaire
avec des paroles
atrayantes, observe toutes les régles
de l'éloquence & de la sapience humaine ,
ayes soin sur toutes choses de
ta reputation, maintien ton authorité,
fomente ton party, avance tes
créatures, pratique la prudence du
siécle, ou sois toujours avec l'épée au
poing & avec les armes à la main ! Il
ne s'avise pas encore de dire à son Evéque,
vieillis dans la contemplation,
étudie de nouvelles subtilitez, recherche
de nouveaus mystéres, découvre
de nouvelles lumiéres, détruis
ce que d'autres ont bâti, multiplie
Tit. 3. 9.
les questions & les débats , ou bien
[révo-] révoque en doute les véritez les plus
établies, & accorde ma doctrine avec
ton raisonnement !
Fay, luy dit il, &
enseigne
à faire par ta voix & par ton
exemple,
applique toy principalement
Tit. 3. 8.
à bonnes œuvres , car tout le reste sont
des viandes creuses, ce sont des nuées
sans eaus, ce sont des lampes sans
huile, ce sont des feuilles sans fruit,
c'est un
airain qui résonne, sans instruction
1 Cor. 13. 1.
& sans édification, en un
2 Tim. 2. 23.
mot ce sont des choses
inutiles & vaines.
Tit. 3. 9.
Et il exhorte d'autant plus cét
Evéque à
faire des œuvres, qu'il l'avoit
établi dans son Eglise pour estre
son
Ange & son ministre, pour estre
un Chef & un Conducteur, une sentinelle
&
une guette en Israël. Aussi
veut-il que comme un Ange il soit revétu
Esai. 21. 11. 12.
de vétemens blancs , que comme
une Etoile il répande de vives lumiéres,
que comme un Chef il ne dise
pas
Allez, mais avec un César
Venez
mes amis , que comme un Conducteur
il marche à la teste & montre le chemin,
[min,] & que comme une guette & une
Act. 20. 28.
sentinelle
il prenne garde à soy même
& à tout le troupeau. Et au lieu de
s'adresser à toute l'Eglise le Fils de
Dieu ne s'adresse qu'à
l'Ange, comme
s'il luy eust dit, Tu seras responsable
de la conduite de ton Eglise, &
je redemanderay de tes mains le sang
& les iniquitez du Peuple.
Et quelles œuvres est-ce que le Seigneur
demande de cét Evéque ? Fay
tes prémiéres œuvres, luy dit-il. Jésus
auroit dit à beaucoup d'autres,
fuy tes
prémiéres œuvres, ton prémier
train, ou ta conversation précédente,
en quoy consiste la conversion
des pécheurs. Et nôtre
prémiére œuvre
c'est le péché, c'est la convoitise,
c'est l'affection de la chair, c'est tout ce
qui porte l'image du prémier Homme.
Il n'y a rien de bon en nous que
Jean. 3. 3.
nos secondes œuvres, que tout ce qui
Tit. 3. 5.
vient d'une
seconde naissance, ce qui
Eph. 4. 23.
part du
nouvel homme, & ce qui porte
Col. 3. 10.
l'image du dernier Adam. Et comment
[ment]
est-ce donc que l'Esprit recommande
icy à l'Ange de faire les prémiéres
œuvres ? Je diray d'entrée,
Fidéles, que quantité de choses
sont d'autant plus recommandables
qu'elles sont anciennes, ou qu'elles
sont les prémiéres. Vous savez
l'estime qu'on fait d'un vin vieux,
d'un vieux baume, de vieil or, de
vieilles medailles, de vieus autheurs,
de vieus amis, ou de vieilles connoissances.
Aussi pouvons nous bien dire
que la vieille & la prémiére foy dans
l'Eglise, la vieille & la prémiére doctrine
dans la Religion, la vieille & la
prémiére simplicité dans les Meurs,
les vieilles & les prémiéres maximes
dans l'Etat, les vieilles & les prémiéres
œuvres dans la Régénération, sont
celles qu'on doit estimer estre les
meilleures. L'esprit de l'homme le
porte ordinairement à des choses
nouvelles ; mais c'est un effet ou de
son ambition, ou de son inconstance.
Et que c'auroit esté une belle chose si
[l'Hom-]
l'Homme eût continué dans sa prémiére
innocence, ou si l'Eglise eût
conservé sa prémiére pureté, ou si ses
Docteurs fussent demeurez dans la
prémiére traditive !
C'étoyent bien encore les prémiéres
œuvres qui devoyent témoigner
du repentir de cét Evéque : S'il est
vray que ce sont celles qui ont précédé
la désobeïssance & le péché de
l'Homme, comme aussi elles sont les
prémiers fruits de la régénération &
de la grace. Mais particuliérement
la prémiére charité & le prémier zéle
de cét Ange avoyent esté tres loüables.
Le commencement avoit esté
trés-beau, comme il arrive le plus
souvent, & comme l'Histoire sainte
louë les prémiéres œuvres d'un Saül,
ou d'un Salomon, ou d'un Roboam,
ou d'un Joas, ou d'un Amazia. Mais
enfin, comme vous l'avez vû, cét
Ange en étoit décheu, la chair avoit
prévalu par dessus l'esprit, & l'amour
propre par dessus celle de Jésus. Et ce
[qui]
qui devoit luy estre & à son Eglise la
prémiére & la plus importante tâche,
comme le doit estre tout ce qui est
ordonné de Dieu, tout ce qui méne à
Dieu, & tout ce qui intéresse sa gloire,
n'étoit plus ce semble mis dans ce
prémier rang. Enfin disons que les
œuvres de la charité, de l'humilité,
de la patience, & d'un zéle ardent,
sont véritablement
les prémiéres œuvres,
puis que c'est par elles que l'Eglise
Chrétienne a commencé à se
rendre recommandable. La prémiére
Eglise a le plus excellé en ces prémiers
fruits d'une véritable foy. Ils
en ont esté le plus bel ornement, &
les œuvres ont esté
cette gloire au dedans,
Ps. 45. 14. 15.
& ces vétemens de broderie avec
lesquel cette Epouse mystique a esté
présentée à son Epous. Car que fut
l'Eglise Apostolique, qu'a esté la Primitive,
si ce n'est une Ecole de toutes
les vertus, une maison de Paix, un
lieu de Priéres, un Hôtel Dieu, un
Palais de la Charité, & un Hôpital
[pour] pour toutes sortes de misérables ?
Tout n'y étoit
qu'un cœur & qu'une
ame, l'Amour y étoit comme sur son
Trone, les Tables y étoyent pour les
Pauvres aussi bien que pour les Riches,
les biens y étoient communs,
les visites assiduës, les collectes journaliéres,
les offices mutuels, les assemblées
fréquentes, la sincérité grande,
& la constance admirable. Et lors
que les persécutions ont esté veuës,
lors que les prisons ont esté ouvertes,
les glaives aiguisez, les feus allumez,
les échaffaux dressez, & les massacres
commencez, c'a esté alors un temps
d'œuvres. Mais insensiblement l'aise
& le repos, le luxe & les richesses, les
Mîtres & les Dignitez, l'ambition &
la mauvaise conduite de ces
Anges de
l'Eglise, ont fait disparoitre ces
prémiéres
Gen.41. 20. 24.
œuvres. Les Vaches maigres
ont dévoré les grasses, & les Epys
pleins & beaus sont devenus vuides
& flétris. Et il semble que l'Eglise
Chrêtienne ait esté représentée par
[cette] cette
Statuë mysterieuse dont la Tête
Dan. 2. 31. &c.
étoit d'or, mais la Poitrine & les
Bras d'argent, le Ventre & les Hanches
de fer, & enfin les Piez & de fer
& de terre.
Et pour achever mes remarques
sur nôtre Texte, vous m'avouërez
icy que le Seigneur étoit en droit de
demander quelque chose de plus que
les prémiéres œuvres. Il pouvoit exiger
de cét Ange une charité plus ardente
que la premiere, une sainteté
plus grande, un travail plus assidu, &
une justice plus accomplie. Il avoit
sujet de commander que ce mesme
Ange payast les arrerages, & qu'il recompensast
la perte du temps passé,
& l'intermission de tant de bonnes
œuvres. Mais ce dous & charitable
Sauveur se contente d'un retour aux
prémiéres œuvres, & il quitte l'Ange
avec son Eglise de tout le passé. Ce
bon Pere se contente du retour de ses
enfans à leur prémier devoir, aussi
bien que fit le
Pére du fils debauché.
Luc. 15. 20.
[Il] Il n'agit pas avec les siens en Maitre
& en Juge, & il ne les traitte pas comme
des esclaves & des criminels, car
il est luy mesme leur Plége & leur Avocat.
Et ne prenez que l'exemple
de Pierre son disciple de qui il ne demande
que la premiere disposition &
les premiers mouvemens, en-suite
d'une chûte si lourde & d'une abjuration
si horrible, & son bon Maitre se
contente de cette confession ingénuë,
Jean. 21. 15. 16
Seigneur tu sais que je t'aime .
O que c'est une belle chose quand
Dieu parle & que l'Homme écoute,
quand le Seigneur crie,
Aye souvenance & que le pécheur
revient à soy-
mesme avec le Prodigue, quand il reprend
un cœur d'homme avec Nebucadnezar,
& d'un
Manassé & d'un
oublieur qu'il étoit il devient un
Simeon & un enfant d'obeïssance ! Il
s'est vû des
chûtes & des blesseures si
Plin. Valer. Max.
prodigieuses, qu'elles ont fait perdre
tout le souvenir du passé, & que des
personages savans ont oublié à lire,
[com-] comme aussi l'on dit que cela est arrivé
dans ces derniers temps au fameus
Jansenius Evéque de Gand. A Dieu
ne plaise, Mes tres chers Fréres, que
la derniere & l'épouvantable chûte
de cét Etat luy ait fait perdre le
souvenir & de sa condition & de ses œuvres
precedentes ! Et puisse-t'il au
contraire luy arriver aprés cette derniere
blesseure comme il arriva, selon
le recit de Petrarque, au Pape Clement
Petr. de Memor.
VI. dont la memoire se reveilla
si fort par une blesseure à la tête, qu'il
n'oublia jamais plus rien.
Vous avez sans doûte ou autant ou
plus de motifs à ce souvenir salutaire,
que n'en eut autrefois l'Eglise
d'Ephese. Car si j'excepte la fondation
& la presence Apostolique, &
les prerogatives de ce premier âge
dont elle a esté honorée, on m'avouëra
que vôtre Republique a fait voir
en nos jours une autre Ephese, mais
bien plus avantagée en benedictions
& en faveurs. Quant aux spirituelles,
[les,]
vous n'étiez pas autrefois moins
Idolatres que le fut ce siége
de la grande
Act. 19. 28.
Diane , & Dieu n'a pas moins allumé
Eph. 2. 11. 12.
le
Chandelier de sa connoissance
au milieu de vous, & n'y a pas repandu
moins de graces, soit pour le nombre
de ceux à qui
la porte de son Evangile
a esté ouverte, soit pour la patience
de vos Peres, soit pour la sincerité
de leur zele, & l'excellence de
leur charité. Et quant aux avantages
de la terre, si Ephese fut la premiere
entre toutes les Republiques de l'Asie,
si ses Gouverneurs furent des Proconsuls,
si sa situation fut maritime, si
ses Ports furent abordez de tous côtez,
si toutes les Nations y trafiquerent,
& si les Arts & les Sciences y
fleurirent, avouëz que cette République
de Hollande l'emporte de
beaucoup par dessus l'ancienne Ephése,
en toutes ces prérogatives. Mais
aussi là où il fut dit à cette prémiere
Eglise,
Souvien-toy, autrement je
viendray à toy bien-tost , helas ! quant à vôtre
[à vô-] République, & quant à un grand
nombre d'Eglises qui y étoient florissantes,
ce n'est plus
Je viendray, car Seigneur
tu és venu, & tu és venu
bien-tost, c'est à dire subitement, &
comme un éclair, ou comme le larron
vient en la nuit, tes ailes ont esté
comme des ailes d'Aigles, & tes
Chariots ont esté comme des chariots
de feu, & comme un tourbillon.
Ce Peuple icy n'a pas voulu se
ressouvenir de toy à la voix de tes
Profétes, aussi luy as-tu parlé finalement
avec une barre à la main. Et tu
en as presques usé envers nous comme
en usa autrefois Absalom envers
Sam. 14. 29. 30.
Joab ; car aprés qu'il l'eut convié à
venir vers luy, aprés qu'il luy eut envoyé
divers messagers, & qu'il luy
eut réïteré ses exhortations & ses priéres,
enfin il commanda à ses serviteurs
de mettre le feu dans
le champ & dans les
orges de Joab. Et veuilles,
adorable Jésus, qu'il se trouve que
les instrumens de ta colére, qui ont brulé
[bru-]
nôtre moisson, & qui ont ravagé
nos orges, nos Campagnes,
nos Villes, & nos Provinces ayent
produit le même effet, que
produisirent ces serviteurs d'Absalom
en la personne de Joab !
Je m'asseure, Peuple Chrétien,
qu'une infinité de personnes dans ces
Provinces n'ont pas besoin d'estre
exhortées à se souvenir de leurs pertes
& de leurs disgraces, pendant cette
funeste guerre. Et je ne condanne
pas ce souvenir, car il est juste, il
est raisonnable, & même il est nécessaire,
s'il est vray que Dieu frappe afin
qu'on le sente, & qu'il est trés-bon
qu'un patient soit sensible. De fait
les disgraces de cét Etat, soit les publiques
soit les particulieres, ont esté
si grandes & si extraordinaires, qu'il
faut que le souvenir en passe jusques à
la derniére génération. Ouy ! souvenez-
vous & Souverains & Sujets, &
Magistrats & Citoyens, quel étoit ce
dégré de gloire & de puissance auquel
[vous]
vous avez vû cette République devant
sa chûte, & quelle a esté bien-tost aprés
certe extremité d'ignominie &
d'impuissance, dans laquelle vous l'avez
vûë tomber tout d'un coup. Elle
étoit comme une Ville munie, ses colonnes
étoient comme des colonnes de
fer, & ses murailles comme des murailles
d'airain, elle avoit étendu ses
limites jusques aux extrémitez de l'Orient,
elle étoit comme la Dame des
Royaumes , l'arbitre des différens, le
frein des usurpateurs, la terreur de
ses ennemis, l'asyle des oppressez,
la curiosité des Etrangers, le magasin
& presque l'abrégé de tout l'Univers.
Elle étoit fermée de tous côtez par
tant de Mers & de Riviéres & d'Ecluses,
environnée de tant de Forteresses,
enceinte de tant de Trésors,
pourvûë de tant de Munitions, peuplée
de tant d'Habitans, & elle avoit
à sa disposition des Flottes si rédoutables
& une Milice si nombreuse, qu'elle
en paroissoit estre inaccessible à
[tou-]
toutes les forces de la terre : Et cependant
vous avez vû cette même République
en peu de semaines, & qui
plus est en peu de jours, de florissante
renduë désolée, de libre devenuë
esclave, de souveraine devenuë sujette,
de riche devenuë épuisée, d'abondante
en tout devenuë destituée
de tout, & de l'étonnement qu'elle
étoit des Peuples & des Nations devenuë
presque le jouët & l'opprobre,
non seulement des Sceptres & des
Couronnes, mais aussi des Crosses &
des Mitres qui dans un autre temps
se prosternoyent devant Vous, comme
Gen. 37. 7.
des petites
gerbes devant la
gerbe impérieuse de Joseph, & comme des
Ps. 62. 10. 11.
Roitelets devant le redoutable Salomon.
Mais particuliérement que
cette admirable Province icy se souvienne,
qu'elle a vû ses Places frontiéres
subjuguées, ses Bourgades mises
au sac, ses Campagnes désolées,
ses Villes émeuës, ses Peuples soulevez,
ses Trésors épuisez, ses Riches
[re-] reduits à la pauvreté, & un Roy
étranger prest d'y estre reçeû en Maitre
& en Conquérant, & d'y établir
le culte de l'Idole, & le service de
ceus qui de nature ne sont point Dieus !
Gal. 4. 8.
Que ce même Lieu où je vous parle se
souvienne, que
sa fuite a esté en hyver ,
Matth. 24. 20.
qu'il a vû dans la saison la plus
rigoureuse une multitude presque innombrable
de femmes, de filles,
d'enfans, & de vieillards, chercher
un foible asyle dans l'enceinte de foibles
Murailles, & que de cruels destructeurs,
des hommes de sang, des
Nérons & des Barbares ont esté préts
dy porter le fer &
de feu, & d'exécuter
ce bel ordre de leur impitoyable
Chef,
Allez, pillez, tuez, violez,
Adv. Fidéle p. 72.
brulez, & s'il se peut faire quelque
chose de plus exécrable, faites-le !
Et enfin que châcun en son particulier
se souvienne, que
celuy qui est debout
1 Cor. 10. 12.
doit prendre garde qu'il ne tombe !
& que les plus asseurez se mirent sur
les exemples de ceus qui, dans le
[cœur]
cœur de cét Etat, se sont vûs en peu
d'heures précipitez du plus haut faîte
de prospérité dans les derniers malheurs !
O combien y a-t'il eu de ces
Beltsazars qui avoient le cœur joyeus,
combien de ces Nabals qui étoyent
trés-accommodez, combien de ces
Hérodes qui piaffoyent sur des siéges
Judiciaus, combien de ces Riches
qui ne songeoyent qu'à bâtir des maisons
& des gréniers, & combien de
bons ou Gentilshommes ou Habitans,
qui reposoyent à leur aise sous
leur vigne & sous leur figuier , & voilà
ils sont cheus, & sont tombez dans
un moment ! On a vû leurs personnes
maltraittées, leurs Châteaux brulez,
leurs maisons de plaisance ruinées,
leurs cloisons dépecées, leurs
forets coupées, leurs prairies inondées,
leur bétail enlevé, leur épargne
& leur abondance, leurs parures
& leurs choses désirables, leurs femmes
& leurs vierges, exposées ou
à la proye, ou à l'insolence, ou
à la cruauté des Barbares.
[ce]
Ce souvenir, Chers Fréres, même
aprés une heureuse délivrance est
trés-utile, & ce miroir est trés-instructif.
Mais ce n'est pas là le principal
souvenir que demande Jésus Christ,
ce n'est encore là qu'un souvenir de la
chair, & puissent ces belles Provinces
se ressouvenir d'une autre chute,
qui est de leurs prémiéres œuvres, &
de ce qui fut autrefois leur ornement
le plus beau, & leur parure la plus
éclattante ! Hollande ! dit encore aujourd'huy
ce me semble ce misericordieus
Seigneur, Je connoi tes prémiéres
œuvres, & j'ay vû le temps, que
tu as enduré, que tu as eu patience,
que tu as travaillé pour mon nom, &
que tu as haï les actes & la doctrine
des Nicolaïtes : J'ay vû le temps auquel
tu ne connoissois ni l'impieté de
Sodome, ni les abominations d'Egypte,
ni le faste de Babylone, ni le
luxe de Tyr, ni les péchez des Nations :
Je me souviens de ce temps
auquel on voyoit le zéle dans tes Eglises,
[ses,]
la devotion dans tes Assemblées,
la justice dans tes Tribunaus, l'intégrité
dans tes Conseils, la concorde
dans tes Gouverneurs, la piété dans
tes Familles, & la simplicité dans tes
Habitans : J'y vû les jours auxquels
ma parole étoit respectée, mes Serviteurs
honorez, mes Sabbats sanctifiez,
les blasphémes punis, les scandales
réparez, & auxquels sur tout la
Jeunesse, qui tost ou tard donne des
Pasteurs aux Eglises, des Docteurs
aux Ecôles, des Régens aux Villes,
& des Ministres à l'Etat, étoit sainement
instruite, soigneusement disciplinée,
& sagement conduite à un même
but, & portée à une douce harmonie
dans la Police & dans l'Eglise : J'ay
vû ces heureus temps auxquels le respect
de mes Ecritures tenoit la Raison
cette fiére & cette présomptueuse Servante,
qui s'est toujours élevée contre
Sara la Maitresse , dans le devoir &
dans la soumission ; L'intérêt de mon
Regne prevaloit en mes Profétes par
[des-]
dessus les intérêts de la Chair ; Et l'on
remarquoit dans tes Chaires & dans
tes Ecoles moins de subtilité & plus
de sainteté, moins d'ostentation &
plus de zéle, moins de recherche de
nouveaux mystéres & plus de pratique
d'anciennes & de
prémiéres œuvres : Enfin ô Ephése d'aujourdhuy !
j'ay vû le temps auquel tu étois avec
plus de
charité & avec moins de pompe,
un Asyle aux pauvres refugiez,
un Hôpital aux pauvres languissans,
une Nourrice aux affamez, une Mere
aux Orfelins, & une Protectrice
aux veuves & aux oppressez. Voilà
quelles furent tes
prémiéres œuvres,
Rom. 1. 8.
œuvres de bonne odeur, & œuvres
renommées par tout le monde ! Maintenant
ô Hollande ! considére tes dernieres
œuvres, examine ta derniere
conduite, repasse sur la derniere constitution
de tes Villes, de tes Eglises,
de tes Assemblées, de tes Conseils,
de tes Tribunaux, de tes Ecóles,
de ta Jeunesse, juges en sans déguisement
[se-]
& sans flatterie, & souvien-
toy, souvien-toy d'où tu és décheuë !
Aprés cela, Peuple Fidéle, faut-il
trouver étrange si une
chute a precedé
l'autre, si Dieu a mis enfin la coignée
à la racine, & s'il a coupé &
Dan. 4. 20.
ébranché ce
grand Arbre qui se faisoit
voir par toute la terre ? Cette Justice
adorable a fait voir en vôtre République,
ce dont elle menaçoit son
Nomb. 33. 55. &c.
peuple par des Moyses & par des Josuëz,
Jos. 23. 13.
& ce qui s'est vû en divers
exemples tres-memorables. La posterité
Ezech. 23. 3. 8.
de Jacob vint-elle à
paillarder à la façon des Egyptiens & a en imiter
les abominations ? Dieu l'asservit
bien-tost aprés à cette même Egypte.
Les Juifs peu aprés la mort de Salomon
vinrent-ils
à faire selon les abominations
1 Rois 14. 24. 25.
des Nations , voilà qu'aussi-
tost Sesac ou Sesostris, le superbe Dominateur
des ces mêmes Nations,
monta contre Jerusalem, & la dépouilla
Hos. 7. 8.
de ses trésors. Ephraïm vint-
il
à se mêler avec les Peuples , & à imiter
[ter] le faux culte des Assiriens ? Dieu
luy dénonce aussi qu'Assur seroit
la
Eai. 10. 5.
verge de sa colére, & le bâton de son
indignation . Le bon Ezéchias éléve-
t'il son cœur à la façon de Babylon,
& dit-il aux Ambassadeurs de
celle-cy, Ce sont icy mes Trésors, c'est
icy
ma gloire & ma magnificence ? Voicy
Esai. 39. 1. 2. 6.
venir les jours, luy dit aussi-tost le
Prophéte, que tout ce que tes Peres ont
amassé en leurs trésors sera emporté en
Babylon ! Les Perses au temps de leur
dernier Monarque vinrent-ils à imiter
diverses coutumes des Grecs, dont
quelques unes passerent mêmes jusques
à la Cour de Darius ? Voicy que
M. Ant. Sabellic. L. 4. Ennead. 4.
que bien-tost aprés ils passerent sous
le joug & sous la domination de ces
mêmes Grecs. Avouëz, Chrêtiens,
que vous venez de voir quelque chose
de semblable dans vos Provinces !
Car il a plû à la Souveraine Providence
que cette même Nation, dont la
vôtre n'avoit que trop pris les modes
& les coutûmes, & n'avoit que trop
[imi-] imité le luxe & la licence, soit devenuë
en peu de tems la verge de sa colére, &
Ios. 23. 13.
vous ait été
un fleau à vos côtez, &
comme des pointes à vos yeux .
Mais gloire soit à ce Pere des misericordes,
de ce que vous apellant
aujourd'huy à un souvenir triste &
douloureux, il vous apelle aussi à
un souvenir agreable, & ravissant !
Car il vous apelle, ô Nation trop
heureuse ! en vous souvenant de vôtre
chûte, à vous souvenir aussi des
miracles que Dieu a faits pour vous
relever. Et d'abord, que de miracles
en la naissance si peu attenduë,
en la conservation, en l'exaltation,
& en toute la conduite, aussi bien
qu'en toutes les qualitez personnelles
de l'Ange Tutélaire de cét Etat ?
O que Rome l'ancienne ne vante
plus les merveilles de la naissance,
ou de la conservation, ou de l'établissement
de ses Scipions, de ses
Fabius, & de ses Augustes ! Que l'Histoire
plus récente ne nous parle plus
de ces Dieu-donnez, & de ces présens
[sens]
extraordinaires du Ciel, pour
le salut des Peuples ! Il faut que l'envie
même reconnoisse qu'aprés les
merveilles qui se sont vuës en la naissance
des Isaacs & des Samsons, en la
conservation des Josephs & des Davids,
en l'exaltation aussi bien que
dans les exploits des Gédéons, ou des
Judes ce sang Illustre des Hasmonéens,
& finalement en la conduite
& aux qualitez admirables d'un
jeune Salomon ou d'un jeune Josias,
il ne s'est rien vû de si miraculeus
qu'en tout ce qui paroit & qui brille
en ce jeune Héros, dont l'Exclusion
a esté vôtre
chûte, & dont l'Etablissement
à esté vôtre
délivrance. O que de
miracles depuis ce prémier miracle
que Dieu a fait en vôtre faveur ! Aussi
e fait-il ressouvenir de cette prémiere
merveille que Dieu fit en Egypte
pour la délivrance du peuple d'Israël ;
lors que ce qui paroissoit un
Serpent nuisible, mais nuisible a des Egiptiens,
& a des ingrats, devint en la
Exod. 4. 3. 4.
[main] main de Moyse une
Verge miraculeuse,
laquelle fut le salutaire Instrument
Exod. 4. 7.
de tant d'autres
signes, & de tant d'autres
merveilles. Ouy ! encore une
fois
souvien-toy, Peuple Belgique,
de toutes celles que Dieu a faites
pour ta conservation & pour ta défense,
dés le moment que cét Etat, comme
un autre Moyse, a
pris en sa main cette Verge véritablement divine.
Que de prodiges & au dedans & au
dehors, & sur les Eaus & sur la Terre !
Et que de
choses merveilleuses devant
les yeux de toutes les Nations se
Belg. Restit.
sont vuës en Israël ! Aussi n'en attendez
pas de moy le détail, puis que
nous l'avons donné ailleurs, & qui de
vous ne sçait pas de quelle façon Dieu
par cette
Verge a calmé au dedans
les orages, bouleversé des conseils
infidéles, rangé une populace émeuë,
& au dehors a arrêté un torrent impetueus,
borné un fier Conquérant, &
marqué par maniére de dire des lignes
qu'il ne passeroit point ? Qui de vous
[ne]
ne sçait pas de quelle façon Dieu a encore
humilié des Flottes orgueilleuses,
& foudroyé des vaisseaux Foudroyans ;
de même qu'il a garenti vos
Côtes, conservé vos Chefs, ramené
vos Navires, & montré qu'il commande
aussi aux Vents & aux Mers ?
Qui ignore dans ce Lieu-cy de quelle
façon Dieu l'a préservé contre la derniere
désolation, & comment il a
fait fondre miraculeusement des glaces
qui alloyent estre pernicieuses à
Vous, à vos Familles, & à tout vôtre
Etat ? En un mot qui ne sçait pas les
dernieres merveilles, que Dieu a faites
par ce divin Instrument, soit pour
reprendre des Forteresses munies,
soit pour châtier un Archevéché qui
a dû estre le commencement de vôtre
délivrance, comme il avoit esté celui
de vos maus, soit pour mettre de l'épouvante
dans l'esprit de ceux qui
vous en donnérent, & pour leur faire
rendre vos Villes & vos Provinces
aussi subitement qu'ils les avoyent
prises ?
[Mais]
Mais vous attendez sans doute,
Vous tous qui m'écoutez, que je recommande
particuliérement
le souvenir de cette heureuse & de cette
admirable journée qui fait aujourd'huy
le sujet de nos joyes & de nos
triomfes. Et il n'y a point de doute,
Peuple Hollandois ! que tu ne
doives imprimer ce même jour dans
ton souvenir, & le marquer dans tes
Régîtres, comme l'un des plus signalez
& des plus salutaires de tous. Josaphat
Roy bon & fidéle s'étoit engagé
1 Rois 22. 4.
avec Achab, & luy avoit dit,
Fay
ton conte de moy comme de toy , & de
mes forces comme de tes forces. Nos
Freres nous en vouloyent, comme
autrefois Israël en voulut par une erreur
Jos. 22. 12.
aux enfans de Ruben & de Gad,
leurs Freres & leurs Confédérez.
Une Nation liée avec celle-cy par
tant d'interêts, comme sont ceux de
Sang, de Religion, d'Amitié, de
Commerce, & d'une Cause commune
contre des desseins ambitieux, étoit
[toit] devenuë selon les apparences nôtre
irréconciliable Ennemie. Une
chère Sagunte, ancienne amie & ancienne
alliée. passoit pour une superbe
Cartage. Vous étiez l'objet de la
colére & de l'indignation d'un Monarque,
qui a toujours esté l'objet de
vos respects & de vos vœus. Vos priéres
& vos déferences sembloyent
desormais estre inutiles, les cœurs paroissoyent
endurcis & les oreilles
bouchées à toutes vos offres, les combats
& les ravages, les brandons & les
feus, les foudres & les éclats se préparoyent
de nouveau, aussi bien que
des charges au cœur de l'Etat, que
vos Péres n'ont pû porter. Et voicy
tout d'un coup que Dieu se montre en
Sion, qu'il précipite
le conseil des
Iob. 5. 12. 13.
pervers, qu'il surprend les sages en
leurs ruses, qu'il dissipe les discours
des cauteleus , qu'il confond les artifices
& qu'il renverse les projets de
ceux qui souffloyent un Esprit de division !
Voicy qu'il fléchit le cœur de
Laban [ La- ] envers Jacob, qu'il incline le
Gen. 31. 24.
cœur de son
Oint envers le respectueux
1 Sam. 24. 17.
David, qu'il appaise
ce Frere irrité
Gen. 33. 4. 10.
& puissant lequel court au devant
de son puiné & l'embrasse, & qu'il éclaire
l'esprit & change les pensées du
2 Chron. 19. 2.
bon
Josaphat ! Voicy qu'il
dessille les
yeux de ceux qui prenoyent des amis
pour des ennemis, tout au contraire
de ce que firent
ces Syriens qu'Elisée
2 Rois 6. 19. 20.
mena en Samarie , & qu'il vient de
faire en sorte, qu'Israël
ne parle plus
Ios. 22. 33.
de monter en bataille à l'encontre des
Tribus innocentes ! Des hommes
trop interessez tâchoyent de mettre
Iug. 0. 13.
un esprit mauvais entre Abimelech &
Sichem, je veus dire entre le Roy &
son Parlement ; mais le Souverain arbitre
de toute la Terre a fait, comme
il fit autrefois en
Hebron, que le cœur
2 Sam. 5. 1. 2. 3.
du roy & les cœurs du Peuple ont
conspiré à une même paix & à une
même alliance, laquelle de desesperée
qu'elle paroissoit, est subitement
devenuë conforme à vos demandes
[&] & à vos souhaits. Et pour tous ces
miracles Dieu s'est encore servi de
cette Verge merveilleuse qu'il vous
a mise en main, & de cét Homme de
sa dextre qu'il vous a donné en ses
misericordes, & de qui vous pouvez
bien dire ce que dirent de leur Autel
les deux Tribus reconciliées à Israël,
Il est témoin entre nous que l'Eternel
Ios. 22. 34.
est le Dieu .
Aprés quoy, Chers Freres, je n'ay
plus rien à vous dire, si ce n'est
Ayez
souvenance ! mais aussi,
Faites vos
premieres œuvres ! Certes quand cét
heureux changement ne se seroit pas
encore vû jusques icy, qu'au moins ce
jour de grace fasse ce que n'ont pû les
jours de calamité. Car comment envisager
ce bon Pere mettant bas la
plus redoutable de ses Verges, nous
tendant, comme fit Assuerus à Esther,
Esth. 5. 2. 2.
la Verge de sa grace, nous baisant
d'un baiser de paix, nous attirant
par
des liens d'amitié & par des cordeaux
Hos. 11. 4.
d'humanité , & nous faisant oublier
[tout]
Iob. 11. 16.
tout nôtre
tourment, de même que
l'on
ne se souvient plus des eaux qui sont
passées ! Comment voir au milieu de
nous des changemens si heureus, des
délivrances si grandes, des merveilles si
surprenantes, & ces mêmes prodiges
qu'on a vû constamment dans toutes les
disgraces de vôtre Etat, avec d'autres
encore qui sont aujourd'huy plus étonnans ?
Comment voir reparoître les
délivrances des Judées, des Samaries,
& des Jérusalems, ou voir renaître les
temps des Josaphats, des Ezéchias, &
des Maccabées, puis que l'impieté même
reconnoit que c'est icy
le doit de
Dieu, que ce sont des machines descenduës
du Ciel, & des ressorts maniez
& gouvernez de sa Main toute-puissante ?
Comment, dis-je, faire la moindre
réflexion sur tant de merveilles, &
voir aujourd'huy se léver en une sombre
& en
un noire nuit ce même Soleil qui
Amos 8. 9.
s'étoit
couché en plein Midy , sans estre
ou convaincus en nôtre incrédulité, ou
touchez en nos cœurs, ou réveillez en
[nos] nos consciences, ou ravis dans nos
Esprits, & animez à donner gloire au
Saint d'Israël ? Car quant à moy je suis
fortement persuadé que parmi tant de
milliers d'ames qui habitent dans ces
Provinces, il y en aura un nombre sans
comparaison plus grand qu'il n'y eut en
Israël au temps d'Elie le Prophéte, qui
1 Rois 19. 18.
feront revivre dans vos Villes & dans
vos Bourgades, dans les Colléges &
dans les Familles, dans cette Cour &
dans ce Lieu-cy, ces
prémiéres œuvres qui en furent cy devant la gloire & la
couronne.
Et c'est par là, Peuple Fidéle, que
l'on verra aussi renaître les
prémiéres bénédictions. C'est par ce
moyen
qne Dieu achévera ce qu'il a
commencé, qu'il couronnera vôtre
Paix, qu'il rangera un Monarque inflexible,
qu'il brisera ce grand Colosse
Dan. 11. 34.
par la petite
Pierre que luy même a
taillée de sa Roche, & qu'il vous rendra
semblables à
Gad, car si une
Troupe ennemie
a couru sur vous, vous
Gen. 49. 19.
[ cour- ]
courrez sur Elle à la fin . C'est de la
sorte qu'on verra retourner les Provinces
à l'Etat, les Villes aux Provinces,
la splendeur aux Villes, la graisse aux
Campagnes, la prospérité au Commerce,
la seureté à la Navigation, l'aise
& le repos aux Habitans de cette Terre.
C'est ainsi que Dieu vous conservera
ce cher Dépost que vous voyez de
son Amour, ce Gage de son Alliance,
cette Lampe de son Israël, l'Ame de vôtre
Etat, la Force de vôtre Lion, le Lien
de vos Fléches, le Défenseur de vôtre
Foy, le Restaurateur de vôtre Liberté,
le Conservateur de vôtre Paix, le Fleau
de vos Ennemis, & la vraye
Epée de
Iug. 7. 18.
L'ETERNEL, & de NASSAU. Mais
particuliérement c'est cet heureus amandement
& ce saint
repentir, qui
réjouïra les Anges du Ciel, qui édifiera
les hommes, qui convertira les pécheurs,
qui contentera la Majesté divine,
qui appaisera vos consciences,
qui calmera vos troubles, & qui rélevera
vos esprits & vos cœurs dans
[tou-]
toutes vos chûtes & dans toutes vos
visitations.
O que sont heureuses ces ames Chrétiennes,
qui étant
décheuës quant à la
chair se rélevent quant à l'esprit, & qui
quittent sans regret la
portion du mauvais
Riche pour celle de la bonne Marie !
O que sont heureus ces Fidéles qui pour
se souvenir salutairement de Dieu & de
Jésus, demandent à ce même Jésus,
non pas de pouvoir
oublier toutes leurs
autres connoissances & toutes leurs lumiéres,
comme l'on dit que fit un fameus
Tostat. in 3. Reg. C. 3. q. 2. de Alb. Magno.
Moine, mais bien de pouvoir
bannir hors de leur mémoire & le Monde
& la Chair !
O que bienheureus sera
celuy qui empoignera ces enfans de Babel,
Ps. 137. 9.
qui les froissera contre la pierre ,
Exod. 1. 22.
& qui tâchera de les étouffer dés leur
naissance
dans le fleuve d'une vraye Pénitence !
Que ceux-là aussi sont heureus
qui ayant esté
relevez par la grace de
Dieu de quelque
chûte dangereuse, ou
d'un péril évident, ou d'une maladie
mortelle, ou d'une écharde cuisante,
[ou]
ou bien de la patte d'un Ennemy, de la
griffe d'un Lion, & de la main d'un
Philistin, se souviennent que Dieu a
usé de gratuité envers eux ; & c'est bien
là le moins qu'ils doivent à Dieu que ce
Souvenir ! Heureus encore ceux qui
étans décheus d'un état relevé, & dans
lequel ils s'estimoyent estre debout, font
une reflexion semblable à celle que fit
Philippe de Macédoine, car aprés estre
cheu, voyant l'étenduë de son corps
Plut.
sur la poussiére, Grand Dieu, dit-il,
que nous tenons peu de place, & le monde
ne nous sauroit contenir ! Heureus
de même tous ceux qui dans des jours
de réjouïssance, comme est celuy-cy,
se souviennent de ce que sont toutes nos
joyes & tous nos plaisirs ! Et qui dans
l'état le plus affermi se souviennent qu'il
n'y a rien de stable sous le soleil, & que
nous sommes tous icy bas comme avec
un pié sur une boule, & dans un état
chancelant ! Enfin que vous serez heureuses,
Ames Fidéles, vous qui ne
voyez en ce monde que des œuvres d'iniquité,
[ni-]
& qui ne faites vous mêmes
que des œuvres qui tiennent toutes du
péché, & qui sont toutes tachetées
comme l'étoyent les Brebis de Jacob,
Gen. 30. 22. & 37. 31.
ou toutes ensanglantées comme l'étoit
le Hoqueton de Joseph, que vous
serez heureuses, si à ce sujet vous aspirez
à l'Eglise des prémiers-nez, en laquelle
nous ferons tous nos
prémiéres œuvres, œuvres de l'état d'Innocence,
œuvres des Anges & des Séraphins, &
œuvres qui ne se voyent que dans le
Royaume de la véritable Paix !
AINSI SOIT-IL !