LE
PROCEZ
DES MAUVAIS ARBRES,
OV
LA CONDAMNATION DES
mauvais Chrétiens dans un Sermon
sur ces paroles de l'Evangile selon
S. Matth. chap. 3. V. I0.
Or la coignée est déja mise à la racine des
arbres ; Tout arbre donc qui ne fait pas
de bon fruit s'en va étre coupé & jettê
au feu .
CEst une sentence bien terrible
que celle que Dieu prononça
par la bouche de Moïse
Deut.
27. Maudit est quiconque n'est permanent
en toutes les choses qui sont écrites au
livre de la Loy pour les faire.
C'est ce qui fait
que S. Paul. envisageant la Loy ou l'œconomie
Mosaïque dans son propre caractere
[ctere]
& par son vray côté, la qualifie de
ministre de mort, & de lettre qui tue ;
au lieu que l'Evangile ou l'œconomie &
la dispensation de Christ, est selon lui, le
ministere de vie, & le moien de la reconciliation
& du salut. De là vient que
comparant ces deux Alliances ensemble,
il éleve bien haut l'Evangile au
dessus de la Loy, & donne à celui-là de
grands & signalés avantages par dessus
celle-ci, concluant en même tems
de ce principe en plusieurs endroits de
ses Epitres, qu'il y a infiniment plus d'avantage
de vivre sous l'Evangile, qu'il n'y
en avoit de vivre sous la Loy. Il est vray
en effet que la Loy par elle même étoit
un ministere de mort ; car encore qu'elle
dit, fai ces choses & tu vivras, cependant
elle ne faisoit grace à personne : c'étoit
une lettre qui tuoit tout le monde.
Et il n'est pas moins vrai aussi que l'Evangile
par lui même, est un ministere de
vie, & un moien de reconciliation & de
salut ; puis qu'il a autant d'indulgence
que la Loi avoit de rigueur, & que
la grace y est sur le Trône en la place du
jugement, & le pardon à ses côtés au
lieu de la condamnation. Ainsi l'on ne
[sauroit]
sauroit disconvenir de cette prerogative
que S. Paul donne à l'Evangile par dessus
la Loi, à moins de vouloir que la verge
de Moïse l'emporte sur le sceptre de Jesus-Christ,
& que Sina se glorifie par
dessus Sion, & Hebal par dessus Guerizim.
Mais cependant encore que l'on
ne doive point douter que la Loi ne le cede
en plusieurs choses à l'Evangile, &
que celui-ci ne l'emporte de bien loin
sur celle-là ; Et Dieu me garde de contredire
ici a S. Paul, non plus qu'en d'autres
rencontres ni sur d'autres sujets. Ne
pourroit-on pas dire neantmoins, sans
heurter cet Apôtre & sans s'opposer à
ses sentimens, qu'il y avoit en quelque
sorte & à quelque égard plus d'avantage
de vivre sous la Loi, qu'il n'y en a de vivre
sous l'Evangile ; puis qu'enfin on se
damne plus facilement sous l'Evangile,
que l'on ne faisoit sous la Loi, & que le
salut est plus difficile à obtenir sous celui-là,
qu'il ne l'étoit sous celle-ci, encore que
le salut soit maintenant plus prés de nous,
comme parle l'Apôtre. C'est un paradoxe
qui vous surprend sans doute,
mais qui cessera de vous surprendre,
quand vous en aurez compris la verité ;
[Car]
Car enfin, si les biens de l'Evangile
sont plus excellens que ceux de la Loi,
la reconnoissance y doit être aussi plus
grande, & l'ingratitude y est plus criminelle,
& plus severement punie ; s'il
y a plus de lumiere il y faut plus de sainteté ;s'il
y a plus de connoissance,il y faut
plus de vertu ; si la foi y est dans une plus
grande mesure, les bonnes œuvres y
doivent être en plus grand nombre ; si la
volonté du souverain Maître y est plus
clairement revelée, il y a plus d'obligation
à la faire, & le serviteur, qui l'aiant
connuë, ne la fait pas, y est battu de plus
de coups ; si les commandemens y sont
plus doux, l'obeïssance y doit être plus
prompte ; si l'amour de Dieu & sa charité
y éclattent davantage, ils demandent
aussi à proportion plus d'amour & de
charité reciproque ; si la grace enfin y
paroit dans tout son éclat & avec tout
son lustre, si elle y paroit, dis-je, avec
tous ses attraits & tous ses charmes, le
peché y est aussi plus grand, l'offense
plus atroce, & le mépris plus funeste.
C'est le raisonnement de
S. Paul même
dans le chap. I0. de sa lettre aux Hebreux,
que je ne presse pas ici, me contentant
[de]
de dire en un mot, que si l'Evangile est indulgent,
il est aussi severe,que s'il est plus
indulgent que la Loi, qui n'avoit point
d'indulgence , il est aussi plus severe
quand on méprise sa douceur, & qu'on
foule aux pieds ses devoirs. Je ne veux
pas aller plus loin que mon texte pour
prouver cette verité par les paroles du
premier Heraut de l'Evangile , que je
viens de lire en vôtre presence:car ses paroles
m'apprennent que Sion a des foudres
aussi bien que Sina, & Guerizim des
maledictions aussi bien qu'Hebal ; mais
des foudres & des maledictions mille
fois plus terribles & plus funestes que
celles de Sina & d'Hebal ; que Jesus-
Christ le Mediateur de la nouvelle Alliance
a une verge dans la main aussi
bien que Moyse,mais une verge mille fois
plus pesante & plus redoutable que celle
de Moyse, une verge de fer & une verge
de feu ; Que l'Evangile enfin avec toutes
ses faveurs & toutes ses graces , a des peines
& des supplices aussi bien que la Loi,
mais des peines & des supplices mille fois
plus rigoureux que ceux de la Loi.
Venez donc pecheurs, venez apprendre
de Jean Baptiste le Precurseur du
[Messie,]
Messie , à ne vous flater pas de l'impunité
de vos crimes, parce que vous vivez
sous l'Evangile qui est l'Alliance de grace,
& sachez, que si vous ne cessez de payer
le Ciel d'une ingrate & criminelle sterilité
de bonnes œuvres, & d'une malheureuse
fecondité de mauvaises, & ne commencez
à produire des fruits convenables
à la repentance, ce premier garant
des droits de l'Evangile, fulmine mille
fois plus de malheur contre vous dans nôtre
texte seulement, que Moyse le defenseur
de la Loi, n'en a jamais fulminé dans
tous ses livres, Or la coignée, dit ce Prophete
Evangelique tout irrité ; la coignée
est déjà mise à la racine des arbres ; Tout arbre
donc qui ne fait pas de bon fruit s'en va
être coupé & jetté au feu . Cette sentence
que Dieu prononce ici par la bouche de
J. Baptiste au sujet de l'Evangile violé,n'est
donc pas moins terrible, que celle qu'il
prononça par la bouche de Moïse au sujet
de la Loi transgressée & que j'ai rapportée
au commencement de ce discours.
La circonstance du tems où nous
nous rencontrons, étant à la veille de celebrer
un Jûne solemnel, pour nous
[porter]
porter à la repentance & à l'amendement,
afin de détourner de dessus nos
têtes les jugemens de Dieu dont nous
sommes menacés, justifie le choix que
nous avons fait de ces paroles,pour nous
y disposer convenablement. Saint Jean
Baptiste a prononcé autrefois ces terribles
paroles sur les bords du Jourdain,
lorsque s'occupant à la fonction du Baptême
que Dieu lui avoit commis ; comme
il vit qu'un bon nombre de Pharisiens
& de Sadduceens, dont il connoissoit
les intentions, se méloient à la foule du
peuple qui venoit de toutes pars pour
être baptisés de lui en remission des pechés,
il châtia leur temerité de cette aigre
& piquante censure,qui est contenue dans
les versets precedens, Race de viperes, qui
vous a mis au cœur de fuïr la colere qui est
à venir, faites donc des fruits convenables à
la repentance. Et ne presumez point de dire
en vous-mêmes , nous avons Abraham pour
pere : car je vous dis, moi que Dieu peut susciter
des enfans à Abraham de ces pierres mêmes.
Or la, coignée ajoûte-t-il dans les paroles
de nôtre texte, la coignée est déjà
mise à la racine des arbres : Tout arbre donc
qui ne fait pas de bon fruit s'en va être coupé
[pé]
& jetté au feu .
C'est comme s'il leur eut tenu ce discours.
Enfans criminels, produits par
des peres encore plus criminels, qui
vous a inspiré ce sentiment de crainte ?
qui vous fait approcher de mon baptême,
dans la pensée que vous pourrez vous
mettre à couvert, par ce moyen, des jugemens
de Dieu, qui vous pendent sur
la tête : & qui vous imaginez que cette
consideration jointe à celle du sang illustre
d'où vous étes sortis, savoir celui
d'Abraham qu'il a favorisé d'une façon
particuliere jusqu'ici, l'obligera à mettre
bas les foudres qu'il a dans sa main
pour accabler des coupables cõme vous:
Mais détrompez vous de cette erreur,
& sachez que le sang d'Abraham n'est
point desormais plus privilegié que celui
d'un Grec, d'un Barbare & d'un Scythe ;
et que quand même ce Pere de vôtre nation
ne fourniroit plus d'enfans à Dieu,
la puissance de ce dernier est assez grande
& assez feconde pour en pouvoir tirer
du sein des pierres-mêmes, plûtôt que
d'en manquer. Soyez donc persuadés
que tous ces anciens privileges de sang &
de naissance & toutes ces raisons étrangeres,
[geres,]
n'ont plus de poids devant ses yeux :
Il n'y a que la foi & la repentance & les
bonnes œuvres, qui ne viennent point
de nos peres, mais qui se trouvent immediatement
en nous, qui soient capables
d'arrêter le cours de ses vangeances;
au contraire comme ce sang favorisé s'est
rendu plus coupable que les autres devant
le Seigneur, en abusant de ses graces,
c'est contre lui qu'il commence à
tourner la pointe de ses jugemens ; C'est
à ces arbres, qui sont sortis de la tige d'Abraham,
aussi bien qu'à tous les autres
de cette nature, qu'il va appliquer le
redoutable trenchant de sa coignée ,
afin de les couper par la racine & les
jetter en suite dans le feu consumant de
sa colere, s'ils ne viennent à changer
leur sterilité en fecondité, & à produire
de bons fruits, en la place de ces
fruits pourris, & abominables qu'ils
produisoient auparavant.
Ce Texte enferme deux propositions
qui doivent faire les deux parties de nôtre
discours, & le sujet de vôtre attention.
La premiere de ces propositions est
comme le principe, & la derniere est
comme la conclusion qui en est tirée,
[l'une]
l'une nous avertit de ce qui est déjà fait,
& l'autre nous assure de ce qui se doit
faire : la premiere nous dit, que la coignée
est déjà mise à la racine des arbres,
& la derniere infere de là que donc tout
arbre qui ne fait pas de bon fruit s'en va
être coupé & jetté au feu. Celle-là contient
le procez des arbres criminels, celle-ci
porte la funeste execution de ce procez ;
celle-là menace, celle-ci frappe,
celle-là balance le coup, celle-ci le
laisse tomber, celle-là tonne, celle-ci foudroie,
celle-là ébranle, celle-ci abbat
& renverse, celle-là enfin épouvante,
celle-ci extermine.Nous les examinerons
toutes deux dans cet ordre que S.J. Baptiste
leur a donné, puis qu'il est naturel.
Il faut d'abord faire ici deux reflexions
avant que d'entrer en matiere, deux reflexions,
dis-je, ou deux remarques generales
qui se répandent sur tout le texte,
& qui y portent de la lumiere. La premiere
est que Saint Jean Baptiste enseignant
dans le desert de la Judée, c.d.
dans les lieux les moins habités où il y
avoit beaucoup d'arbres, & des bucherons
qui en coupoient & en abbatoient
pour servir de matiere au feu, aussi bien
[quà]
qu'à d'autres usages, il prend occasion de
ces objets qui se presentoient à sa vûe,
d'exhorter les Juifs qui venoient à son
Baptême, à faire des fruits convenables
à la repentance, & de menacer ceux qui
n'en feroient pas,d'un traittement proportionné
au sort de ces derniers. C'est une
methode que le Seigneur a observée depuis
en diverses rencontres. L'autre remarque
que nous avons ici à faire, c'est
qu'il est question en cet endroit,& d'un jugement
temporel & d'un jugement éternel,
par une menace conforme à celles
des Prophetes , qui comprennent souvent
l'un & l'autre sous les mêmes termes.
Cela posé, comme une clef & une ouverture
du texte, il faut voir maintenant
sur le premier Point, quels sont ces arbres,
à la racine desquels la coignée est dite
être mise ; quelle est cette coignée, qui
est mise à la racine de ces arbres, & cette
racine à laquelle la coignée est mise ;
& comment enfin cette coignée est
mise à cette racine, & ce que cela veut
dire dans la force de son expression & de
son idée, au style du Saint Esprit dans cette
rencontre. Pour ce qui est des arbres,
il n'est pas necessaire , je m'assûre, de
[vous]
vous avertir qu'il ne s'agit point ici d'arbres
naturels, mais d'arbres mistiques,
c.d. d'hommes : C'est ce que chacun
voit assez de lui-même sans avoir besoin
qu'on le lui dise, sur quoi il me semble
d'abord que cet aveugle de l'Evangile
n'avoit pas tort de dire que dans les premiers
efforts de sa vûe, qu'il venoit de
recouvrer par la faveur & la vertu du Seigneur
Jesus, il voioit les hommes comme
des arbres. Et je trouve que cet Ancien Philosophe,
qui est Platon lui-même,
n'avoit pas mal rencontré, lors qu'il definissoit
l'homme par un arbre renversé,
qui avoit ses racines tournées du côté du
Ciel ; puis que la pensée de celui-ci, aussi bien
que l'expression de celui-là est conforme
au sentiment & au style de l'Ecriture
sainte. Il n'y a rien de plus ordinaire
à cette derniere, que de nous représenter
les hommes de quelque condition
qu'il soient, sous la figure & sous l'embleme
des arbres. Les Rois & les Princes
qui sont la Tête, & la plus noble partie
de la societé des hommes, nous
y sont décrits par ces grands arbres, qui
portent leur cime jusques aux nues, qui
prétent leurs branches aux oiseaux pour
[y ni-]
y nicher , & fournissent leur ombre
aux autres animaux pour leur servir de
protection & de retraite. Les hommes
d'une condition moins relevée y sont aussi
marqués par des arbres proportionnés à
leur qualité. Enfin tant les bons que les
mêchans y sont compris sous la même
figure, selon les rapports qu'ils ont avec
les bons & les mauvais arbres. Ces rapports
sont si clairs & si évidens, qu'outre
que ce n'est pas ici proprement le lieu de
les expliquer, ils n'ont presque pas besoin
d'explication, chacun les pouvant
aisément connoître de lui même. Car
qui ne sait, par exemple, que la racine des
arbres represente en general le cœur des
hommes, par où ils tiennent ou à Dieu
ou au monde, de même que les arbres
tiennent à la terre par leur racine ; &
que celle-ci marque en particulier dans
les fideles, la foi, par laquelle ils tiennent
à Jesus-Christ comme à leur veritable
fondement. Qui ne sait encore que
les branches des arbres expriment les
bonnes & les mauvaises habitudes, ou
les vertus & les vices de ces mêmes hommes,
& que les fueilles de ceux-là sont
l'embleme de l'apparence & de la profession
[sion]
exterieure de ceux-ci ; de même
que les fruits de ces premiers sont l'image
des actions & des œuvres de ces derniers ?
Qui ne sait enfin, que l'Eglise est
la terre & le sol ou le fond dans lequel ces
arbres mystiques sont plantés, & que la
Parole de Dieu est cette pluie celeste dont
il sont arrosés. L'Eglise, dis-je, comme
quelques uns ont dit, est un Paradis terrestre,
& celeste tout ensemble ; terrestre,
parce qu'elle est sur la terre, & celeste
parce que sa beauté vient du Ciel & tend
au Ciel, & quelle est toute spirituelle. Les
arbres de ce Paradis sont les ames que le
Pere celeste, selon l'Evangile, y plante
en les faisant renaitre dans l'eau du Baptême.
C'est lui qui leur fait prendre racine
& qui les ente en Jesus-Christ, il les
cultive par sa Parole & par ses Sacremens,
& leur donne la vie interieure & l'accroissement
par son Esprit & par sa grace.
Ces arbres sont beaux à la vûe comme
ceux d'Eden, & il sont en même tems
chargez de fruits, parce que les vrais fideles
ne se contentent pas de faire au-dehors
des choses bonnes & saintes, qui
paroissent belles & agreables aux yeux
des hommes ; mais ils tâchent de plaire
[unique-]
uniquement à Dieu qui est le Témoin &
le Juge du fond de leur cœur, & ils s'efforcent
de lui offrir sans cesse des fruits
d'une vraye pieté & d'une charité sincere.
Car ils savent que cet Oracle de Jesus-Christ
prononcé par la bouche de
son precurseur, est aussi veritable qu'il est
terrible, que tout arbre planté dans le
Jardin de l'Eglise, qui ne porte point de
bon fruit, & d'un fruit qui soit bon au
jugement de Dieu, sera coupé & jetté au
feu.
Mais Saint Jean Baptise nous marque
particulierement les Juifs sous ce nom
d'arbres, selon le style des anciens Profetes ,
qui les traittent quelquefois de ce
nom par excellence ; C'est ainsi que Balaam,
Nomb.24. les appelle les arbres
d'aloé que l'Eternel avoit plantés comme
des cedres auprès du fleuve. Et les autres
Profetes comparent ce peuple tantôt à un
verger, & tantôt à une vigne ;
S. Paul
suivant la même metafore Rom. II. nous fait
le portrait de ces mêmes Juifs, en
les appelant les branches naturelles, &
l'Olivier franc, sans doute pour les opposer
aux Gentils, c.d. aux autres nations
de la terre, que Dieu regardoit auparavant
[vant]
comme des arbres sauvages &
maudits qu'il ne cultivoit point, &
sur lesquels il ne faisoit pas tomber la
moindre goute de sa rosée celeste, au
lieu qu'il avoit eu un soin tout particulier
de ces arbres domestiques, dès le moment
qu'il les eut pris à sa charge. Il les
avoit conservé miraculeusement dans
l'Egypte, lors qu'ils n'étoient encore que
de foibles & miserables rejettons. Il les
avoit délivré de la hache de Pharaon,
qui avoit juré leur perte & formé le dessein
de les couper par la racine, & de
les étouffer dans leur naissance, & les
ayant transporté dans les horreurs d'un
desert, il les avoit soigné avec un soin
& un attachement inconcevable ; & enfin
après les avoir arraché de ce terroir
ingrat & sterile, il les avoit transplanté
heureusement dans le terroir gras et fertile
de Canaan , où il avoit redoublé
tous ses soins envers eux, & rempli parfaitement
tous les devoirs d'une culture achevée.
De sorte qu'il pouvoit dire de
ces arbres, ce qu'il dit ailleurs de sa vigne,
qui est la même chose. Que restoit-il
plus à faire à mes arbres que je
ne leur eusse fait ? Voilà quels sont précisement
[sement]
ces arbres que Jean Baptiste nous
propose ; quoi que cependant, comme
son discours est Prophetique & par consequent
d'une étendue qui embrasse plusieurs
siecles, il puisse regarder & regarde
en effet tous les hommes qui vivront
dans tous les âges de l'Eglise.
N'admirez vous pas le bonheur de
ces Arbres Juifs, qui avoient été plantés &
cultivés de la main de Dieu même,
avec tant de soin & d'attachement.
Mais aussi en reflechissant vôtre
vûe sur le passé, ne déplorez vous pas
leur malheur, de voir que cette même
main se présente avec une coignée, pour
les couper par la racine ; la coignée dit S. Jean
est déjà mise à la racine des Arbres .
Parler d'une coignée, c'est mettre dans
l'Esprit l'idée d'une chose tout à fait triste
& desolante. La coignée est de tous
les instrumens que la méchanique a jamais
inventé, le plus propre à la destruction,
& bien qu'elle l'ait destinée à l'architecture,
cependant elle n'édifie qu'en
détruisant ; si elle fournit aux bâtimens, ce
n'est qu'en desolant les forêts, qu'en abbattant
de deux coups, ce que la nature
a élevé par un effort de plusieurs années,
[&]
& qu'en faisant tomber à terre l'orgueil
des chênes , la beauté des pins & la
hauteur des Cedres, elle est capable de
faire plus de dégat toute seule , que la
foudre, que le marteau, & que l'épée
n'en pourroient faire toutes ensemble. Et
pour la premiere, quelque violemment &
fortement lancée qu'elle soit sur un arbre ,
elle ne le mettra jamais dans un
aussi triste & pitoyable état, que fera une
coignée, celle-ci peut encore par sa matiere
& par sa forme produire les effets
de ces deux derniers ; elle a dis-je, dans
ces deux choses, & la dureté du marteau,
& le tranchant de l'épée. C'est
pourquoi elle étoit autrefois emploiée
dans les plus grandes executions de la
guerre, & dans les plus fameux supplices
de la paix. Et pour celles-là nous
apprenons du
chap. 20. du premier livre
des Croniques, que David ayant emporté
la ville capitale des Hammonites, &
ôté la Couronne de dessus la tête de leur
Roi, fit passer la scie & la herse sur le
dos des soldats de ce Prince & les hacha
d'une coignée. Pour ce qui regarde
les supplices de la paix, la pratique
des Anciens Romains ne nous permet
[pas]
pas de douter de la verité que j'ay avancée.
Cétoit autrefois la coutume à Rome,
que les Consuls & les Dictateurs
marchassent par la ville, étant précedés
les premiers de douze, & les derniers
de vingt-quatre sergens, armés chacun
d'un faisseau de verges, au bout duquel
il y avoit une grande hache qui étoit
destinée à faire l'execution des plus
grands coupables. De sorte , Chrétiens ,
que cette coignée que Saint
Jean Baptiste propose ici aux Juifs ,
n'a rien d'abord que de triste & de lugubre
pour eux. C'est la justice de Dieu
qu'il leur représente par là, armée de toute
sa fureur ; C'est sa vengeance la plus
terrible ; Ce sont ses jugemens les plus
épouvantables, ce sont ces derniers supplices ;
C'est le Ciel, couvert de nuages
& chargé de foudres ; C'est la mort
dans son plus tragique appareil ; C'est
l'enfer avec tous ses demons & toutes ses
flames , qu'il leur met devant les yeux
pour être le partage de leurs crimes, s'ils
ne se repentent, & n'apportent du changement
aux desordres de leur vie.
Au reste il semble que ces paroles sont
tirées du
chap. I0. d'Esaïe, ou que du
[moins] moins elles y fassent allusion, quand le
Prophete parle ainsi dans ce passage
Voici
le Seigneur l'Eternel des armées ébranchera
les rameaux avec force & ceux qui sont
le plus haut élevés seront coupés, & les haut
montés seront abbaißez, il taillera les lieux
les plus épais de la forêt avec le fer, & le
Liban tombera impetueusement ou sera abbatu
par le magnifique . Ce passage est
appliqué dans un livre des Juifs à la
ruïne de Jerusalem. Et pour ce qui est
de nôtre texte, quelques-uns rapportent
cette coignée dont il est fait mention,
& qui est dite être mise à la racine des
arbres, ils la rapportent, dis-je, à la Parole
de Dieu même, ou à l'Evangile & à
sa predication. En effet la Parole de
Dieu peut aussi bien être une coignée en
cet endroit, qu'elle est un marteau chez
Jeremie, une épée chez Saint Paul &
chez Saint Jean. Et quand Dieu dit au
chap. 6. d'Osée,
je les ay charpentés
par mes Profetes, il entend qu'il l'a fait
avec la coignée de sa parole. Et on
pourroit bien dire aussi que cette coignée
est mise à la racine des arbres c.d.
appliquée au cœur & à la conscience des
hommes. D'autres la rapportent à Christ,
[d'autres]
d'autres à la mort ; & d'autres enfin au
jugement de Dieu , qui coupe & qui
tranche jusques au vif. Mais tout revient
à peu près à la même chose, puis
que le jugement de Dieu y regne par
tout. Et pour mieux connoître cette
même coignée dont Saint Jean Baptiste
parle ici, & la prendre dans toute l'étenduë
de sa rigueur, il faut la considerer
sous deux faces differantes, ou bien en
tant qu'elle porte des peines spirituelles
& éternelles contre les Juifs, ou bien en
tant qu'elle leur dénonce des peines
corporelles & temporelles. Si nous la
considerons au premier égard, elle n'est
autre chose que le Messie même ; & si
nous la regardons au dernier sens, elle
consiste dans la puissance des Romains,
que Dieu avoit reservée pour châtier
les outrages que ce peuple rebelle & ingrat
feroit à son Christ. Ne vous étonnez
pas, fidelles, si je dis que le Messie
peut être compris dans l'étendue de
cette coignée ; car cela est certain &
en voici la maniére, c'est que le Christ
aiant été promis, exhibé & préché aux
Juifs pour leur salut, devoit étre l'occasion
& la cause innocente de leur perte,
[s'ils]
s'ils venoient à le rejetter, & à mépriser
son Evangile comme ils ont fait. C'étoit ,
dis-je , cette coignée qui devoit
les retrancher de l'Alliance de Dieu, &
leur faire perdre cet illustre privilege
d'être son peuple , son héritage & son
plus précieux joiau. Et J. Christ en cette
qualité, aussi-bien qu'en d'autres, doit
étre opposé aux Profetes & aux autres
serviteurs de Dieu , qui l'ont precedé,
dont le ministere aiant été meprisé
& les personnes tuées & massacrées
par cette nation meurtriere ; Ce mauvais
traitement cependant, n'a pas été capable
de porter la justice divine à cette extremité,
d'abandonner & de rejetter entierement
ce peuple furieux, comme celle-cy
est déterminée après le mépris & le
rebut qu'il a fait de son Christ & de
son Evangile. Saint Jean Baptiste fait
donc entendre ici aux Juifs, que Dieu
ne les menace pas de peu de chose par
sa bouche, s'ils ne se repentent, en disant
que la coignée est mise à la racine des
arbres ; mais qu'il les menace d'un terrible
jugement, qui est de les retrancher
de son alliance, ce qui est veritablement
couper l'arbre par la racine. Si nous regardons
[gar-]
maintenant cette coignée dans
les châtimens temporels , dont Dieu
menaçoit le peuple des Juifs , nous ne
la trouverons point ailleurs , que dans
la puissance des Romains, que Dieu,
comme j'ai dit, avoit destinée pour punir
les outrages que cette nation feroit à son
Fils,dont il s'est effectivement servi, comme
d'un funeste tranchant, lors que ce
malheureux peuple eut comblé la mesure
de ses crimes, c'est alors que cette
furieuse coignée, étant maniée par la
main invisible & redoutable du Tout-puissant,
alla fondre sur la ville de Jérusalem,
& y fit un dégat horrible, abbattant
son Temple, renversant ses Autels &
mettant toute sa piafe & tout son orgueil
dans la poussiere. Et vous ne devez pas
douter que Saint Jean n'ait porté sa pensée
jusques-là ; puis que c'est le style ordinaire
des Profetes dont il composoit
le nombre, de nous représenter par des
coignées les expeditions de cette nature.
C'est ainsi que
Jeremie chap. 46. annonçant
à l'Eglise la derniére desolation
qu'elle devoit attendre du côté des
Caldeens, lui dit que ceux-cy viendroient
contr'elle comme des bucherons
[ar-]
armés de coignées, pour couper & ravager
ses forêts. Il est donc ici question
conjointement dans la pensée de Saint
Jean Baptiste, d'un jugement temporel
& d'un jugement spirituel, de peines temporelles
& de peines éternelles. Et l'Esprit
de Dieu oppose en même tems cette
désolation & cette ruïne dont les Juifs
étoient menacés, & qui leur devoit bientôt
arriver, à celle qu'ils avoient
soufferte auparavant du tems des Profetes,
lors, par exemple, qu'ils furent menés
captifs en Babylone, il y avoit du retour,
Dieu s'étant engagé par promesses de
les tirer de cette captivité au bout de septante
ans. Ainsi ce ne fut point là une
coignée qui fût mise à la racine des arbres
pour retrancher ce peuple de l'aliance,
puis qu'il lui conserva encore des
Profetes au milieu de cette désolation.
Mais maintenant le jugement & la vengeance
vont jusques à la racine-même
& doivent produire un retranchement
entier de la nation. La coignée est mise à
la racine des arbres . Cette expression
marque & la certitude & la proximité
du châtiment & de la peine. Je dis la
certitude qui est marquée par le tems present,
[pre-]
quand il est dit que la coignée
est mise. Je dis aussi la proximité, quand
il est ajoûté. qu'elle est mise à la racine
ou tout près de la racine des arbres.
Cette racine à laquelle la coignée est
dite être mise, marque, ou bien en premier
lieu, selon quelques uns, la racine
d'Isaï, dont il est fait mention au
chap.
II d'Esaïe, v. I. il sortira un rejetton du
tronc d'Isaï & un surgeon croitra de ses racines savoir le Messie, qui devoit sortir de
la racine de David selon la chair. Cette
racine & cette tige a été conservée
par la protection du Ciel, au milieu de
toutes les calamités, à cause de la promesse
du Christ qui en devoit sortir, le
Christ étant donc venu, elle sera arrachée
: ou bien en second lieu, selon d'autres,
c'est la confiance des Juifs en leur
pere Abraham, comme si l'Esprit de
Dieu disoit par la bouche de Jean Baptiste,
le tems viendra & est tout proche
de venir, qu'il n'y aura plus aucune
distinction entre les enfans d'Abraham
& les autres nations, mais quiconque,
de quelque nation qu'il soit, craindra
Dieu & le servira en Esprit & en verité
lui sera agréable, ou bien en troisieme
[lieu]
lieu selon d'autres encore, c'est Jerusalem
même, qui étoit comme la racine de la
nation, d'où elle tiroit & sa religion &
son gouvernement politique, & qui devoit
être rasée jusques au fondement,
sans jamais être rebâtie. Ou bien enfin
en quatriéme & dernier lieu, selon quelques
autres, c'étoit Abraham lui-même,
la tige & la source de ce peuple, non
qu'il dût être retranché dans sa propre
personne ; car il n'est pas dit que la racine
sera retranchée : mais que les arbres
mêmes seront retranchés par la racine,
c.d. que les Juifs seront comme arrachés
du sein d'Abraham, & separés de sa communion.
Mais tout cela pourtant revient
encore à la même chose dans le
fond.
Quoi qu'il en soit, il est certain que
Jean Baptiste avoit en vuë d'avertir le
peuple des Juifs d'un jugement extraordinaire,
qui alloit éclater sur lui, s'il ne
le détournoit par sa repentance, quand
il dit que cette coignée est mise à la racine
des arbres. Tout ce que les Profetes
ont fulminé autrefois de plus terrible
& de plus désolant contre la vigne
ingrate du Seigneur, toutes les plus foudroyantes
[dro-]
menaces qu'il lui ont tonné
de sa part , d'abattre sa cloison, de la
faire brouter par les bêtes sauvages , d'y
laisser croitre les ronces & les épines, de
lui fermer son Ciel, & de la mettre dans
un état à faire, & la risée & la pitié
des passans. Tout cela, dis-je, n'a rien
de comparable à cette menace de Saint
Jean Baptiste la coignée est mise à la racine
des arbres . Ce grand Jardinier de l'Evangile
est bien plus irrité que ce vigneron
de la Loi ; il a mis sa coignée à
la racine de ces arbres, Il ne l'a pas
mise ni aux branches, ni à la cime ; à
la bonne heure pour ces arbres, si cela
étoit, ce seroit une marque qu'il leur
voudroit du bien, puisqu'il ne le feroit,
qu'afin de les émonder, d'en retrancher
les superfluités, & de les rendre plus
propres à porter de bon fruit. Et c'est
ce qu'il avoit fait auparavant, n'aiant
pour ainsi dire, manié que la serpe jusques
alors : mais, helas ! aiant maintenant
changé cette serpe en coignée,
il a mis celle-ci à la racine de ces mêmes
arbres. C'est donc une marque
qu'il en veut à ceux-ci, qu'il a juré leur
perte, qu'il ne les peut plus souffrir sur
[leur]
leur pied & qu'il faut qu'il les abbatte,
qu'il les écartelle & qu'il en fasse un
bucher.
Mais quelqu'un dira ici ; pourquoi
mettre d'abord la coignée à la racine
des arbres ? ne suffit-il pas qu'elle soit
mise à leur tronc, pour produire l'effet
à quoi on le destine ; & un Jardinier
ne paroitroit-il pas ridiculement irrité
contre son arbre, si au lieu de borner
les premiers boüillons de sa colere &
l'abbatre par son pied, il se mettoit d'abord
à chercher ses racines dans la terre
pour y appliquer sa coignée ? Chrêtiens,
ce qui paroitroit peut-être ridicule dans
l'action d'un Jardinier du monde, qui en
viendroit du premier coup à cette extremité,
est ici l'effet d'une souveraine
justice, sagement & divinement irritée.
Et cette expression de mettre la coignée
à la racine des arbres, n'est ici emploiée,
que pour exagerer la rigueur & l'exactitude
du chatimẽt que le Seigneur prépare
à ces arbres malheureux, qui ne répondent
pas aux soins de sa culture ; leur dénonçant
par cette expression, que leur
malheur est sans remede, qu'ils doivent
perir sans resource & que jamais on ne
[verra]
verra pousser le moindre bourgeon après
leur coupure. En effet lors que l'on
coupe un arbre par le tronc, il n'est
pas impossible, & l'experience nous fait
remarquer, qu'il en sort quelquefois de
petits rejettons, qui s'elevans peu à peu,
viennent enfin à former un second arbre
sur les ruïnes du premier. Mais quand
la coignée a passé jusques à la racine,
alors on le voit secher & pourrir sans
donner jamais aucune marque de vigueur
& de vie. C'est donc avec raison
que Jean Baptiste dit, que la coignée est
mise, non pas à la cime, non pas aux
branches, non pas au tronc ; mais à la
racine des arbres.
N'oublions pas ici un petit mot, sur lequel
il y a deux belles remarques à faire,
c'est celui de déjà : Car Saint Jean ne se
contente pas de dire aux Juifs, que la
coignée est mise à la racine des arbres ;
mais il leur dit precisement qu'elle y est
déjà mise c.d. qu'elle y étoit mise dès le
tems qu'il leur parloit. La premiere
de ces remarques contient une verité
que nous avons déjà touchée en passant,
& à laquelle il faut donner un peu plus
d'éclaircissement, puisque c'est ici son
[veri-]
veritable lieu. C'est que ce n'est proprement
qu'au tems de Jean Baptiste, ou de
Christ & de l'Evangile revelé, que la coignée
a été mise à la racine des arbres.
Mais quoi, direz vous cependant, est-ce
qu'elle n'y étoit pas mise auparavant ?
est ce qu'elle n'avoit pas même entamé
cette racine sous la Loi ? est ce qu'elle
n'y a pas été enfoncée bien avant ? Tant
de fois que Dieu a exposé le peuple
Juif en proye à ses ennemis , tant de jugemens
qu'il a déploié sur lui, tant de
playes dont il l'a accablé, tant de têtes
qu'il a fait sauter, & tant de corps qu'il a
battu en un seul jour dans le desert. Et
après qu'il l'eut introduit en Canaan, l'arbre
ne fut-il pas coupé par la racine ? lors
que le Temple & la ville furent en captivité.
Ne sont-ce point là de terribles coups de
coignée,aussi funestes & aussi redoutables
que ceux dont Jean Baptiste menace presentement
ce même peuple ? Non fideles,
ce ne sont point là des coups de coignée :
En voici la raison, c'est que tous
les jugemens, que Dieu a exercé contre
cette nation, & toutes les plaies dont
il l'a visitée, avant que le Messie parut
[dans]
dans le monde, n'ont point empêché qu'il
ne l'ait toûjours regardée comme son
peuple, auquel il avoit attaché son cœur,
aussi bien que son culte , & qu'il combloit
de ses plus chéres faveurs, lesquelles
il refusoit aux autres nations de la terre.
Mais le Christ étant une fois arrivé
& ayant paru au monde cette racine
charnelle d'Abraham, ce peuple Juif a
perdu tous ces anciens privileges ; Et
bien qu'il ait été honoré le premier de
la naissance & des caresses du Messie ;
Cependant cette prérogative étoit accompagnée
de cette terrible, mais sage
condition, qu'il ressentiroit aussi le premier
les funestes effets de la colere &
de la vengance de Dieu, qui devoit le
retrancher de son alliance, s'il venoit
à mépriser cette grande faveur. Vous
voyez donc bien maintenant, Chrêtiens,
que ce n'est proprement qu'au tems de
Jean Baptiste & du Messie, que la coignée
a été mise à la racine des arbres.
Voilà la premiere remarque que j'avois à
faire sur ce petit mot. Pour la deuziéme,
vous vous souviendrez, s'il vous plait, que
S. Jean va ici au devant d'une pensée, qui
pouvoit naitre dans l'esprit des Juifs & qui
[étoit]
étoit capable de retarder leur amendement
& de les perdre. C'est que,comme il
leur avoit parlé un peu auparavant, de la
colere qui étoit à venir, & que là-dessus
il les avoit exhorté à faire des fruits convenables
à la repentance ; ils pouvoient
se flater malheureusement, que cette
colere à venir étoit encore bien éloignée,
& qu'ils avoient assez de tems pour en
prevenir les effets. Mais Saint Jean les
desabuse ici de cette erreur, & leur fait
entendre, qu'elle est à la veille de paroitre,
qu'elle est à la porte , qu'elle
va les surprendre, & les accabler, s'ils n'y
prennent garde ; & que comme ils
sont des arbres ingrats, cette même colere
à venir est une coignée qui est déjà
mise à leur racine.
Jusques ici, je n'ai rien trouvé que
de triste & de lugubre dans ces paroles,
je n'y ai remarqué que du fiel & de l'amertume,
je n'y ai découvert que des
traits de justice & de colere, je n'y ai
apperçu que des marques de mort &
de désolation ; Cependant quand je
viens à les regarder de plus-prés, j'y
trouve autant de misericorde que de justice,
j'y vois autant d'indulgence que
[de]
de rigueur, j'y découvre autant de douceur
que de severité, j'y remarque autant
de patience que de promptitude. Il
est vrai que la coignée est déjà mise à la
racine des arbres ; mais il est vray aussi
qu'elle n'a pas encore frappé son coup;
le bras du Seigneur est déja levé, la hache
est déjà balancée, mais il y a moyen
d'en arrêter l'effet, pour peu d'amendement
que ces arbres lui fassent paroître,
cela est capable de lui faire tomber cette
coignée de la main ; ou plûtôt, Chrêtiens,
disons que cette même coignée est
dans la main de Dieu, comme ces haches
des Anciens Romains étoient autrefois
dans les faisseaux de leurs sergens,
elles y étoient liées de telle sorte qu'il
falloit toûjours faire un effort pour les
avoir, lors qu'on s'en vouloit servir dans
les executions ; afin de donner par ce
moien aux juges le temps de se bien consulter ,
& de bien peser toutes choses,
avant que frapper ; de même le Seigneur
a sa coignée dans sa main,mais cette coignée
& cette main sont liées ; il faut qu'il
fasse un grand effort, quand il veut mettre
en œuvre celle-là ; Non pas à la verité
pour se consulter sur l'execution
qu'il doit faire ; car comme il est la sagesse
même ; il n'est pas capable d'aucune
précipitation, mais afin de donner à ces
arbres infertiles & ingrats le tems de produire
des fruits, qui les mettent à couvert
de son châtiment & de sa vengeance.
Voiez, s'il vous plait, avec quelle douceur
& avec quelle moderation il a
traitté ce figuier de la parabole de l'Evangile ;
Comme il y avoit déjà trois ans
qu'il cherchoit inutilement du fruit
dans cet arbre, sa patience commençant
à se lasser de l'ingratitude de ce dernier,
il s'adresse enfin au vigneron, & lui commande
expressément de le couper &
de l'arracher à cause qu'il ne servoit
qu'à faire de l'ombre, & à nuire
à la terre par sa presence. Cependant
ce vigneron ne se fut pas plûtôt
jetté à ses genoux & ne l'eut pas plûtôt
conjuré de le laisser encore une année
sur son pied, jusqu'à ce qu'il eût déchauffé,
qu'il y eût mis du fumier, & qu'il
eut apporté tous les remedes qu'il jugeroit
necessaires pour lui donner de la fecondité,
qu'incontinent ce bon maître
suspendit l'execution de son arrêt, &
donna à ce figuier tout le tems qui lui
[étoit]
étoit necessaire , pour reparer par un fertile
rapport, la sterilité & l'ingratitude
de ses premieres années. Ainsi Jean
Baptiste en cet endroit, par ces paroles,
la coignée est déjà mise à la racine des
arbres , n'a rien moins dans la pensée,
que de jetter dans le désespoir ceux auxquels
il s'adresse : Mais il veut seulement
les mettre dans une sainte consternation,
& leur faire apprehender les jugemens
de Dieu, dont ils sont menacés &
en même tems les rassurer, & relever
leur esperance abbatuë, par cette raison,
que la coignée du Seigneur à la verité
est bien proche de la racine des arbres :
Mais que pourtant elle n'est pas
encore poussée, parce que le bras de la
misericorde & de la patience de Dieu,
retient celui de sa justice,& en arrête l'effort,
& donne à ces arbres tout le tems
qu'il leur faut, pour changer leur sterilité
en fecondité, leurs feuilles & leurs
fleurs en fruits, & éviter par ce moien le
coup fatal de cette redoutable coignée.
Cependant, Chrêtiens, quoi que cette
patience de Dieu soit grande,quoiqu'elle
soit extréme, quoi qu'elle soit infinie,
elle ne laisse pas d'avoir des bornes, mais
[des]
des bornes qu'elle s'est prescrites elle même,
& quand elle est une fois parvenuë à
ce periode qu'elle s'est marqué, alors elle
se change en fureur,elle éclatte, elle foudroie,
elle perd, elle abîme ce qu'elle avoit
supporté le plus favorablemẽt, lors qu'elle
voit que ses efforts sont inutiles, & qu'elle
ne remarque aucun changement dans
les sujets de sa faveur, après qu'elle a retenu
quelque tems la foudre, & la tempête
de la colere divine, elle laisse enfin
crever cette nuë sur les têtes indignes
de son support ; après qu'elle a arrêté
longtems cette fatale coignée, qui
est tournée contre la racine de cet arbre;
si celui-ci ne s'amande, s'il ne produit de
bon fruit, elle n'empêche plus qu'il ne
sente le coup mortel de son tranchant.
C'est ce que Saint Jean Baptiste nous
apprend dans la suite, quand après avoir
dit, que la coignée est déjà mise à la
racine des arbres ; il ajoute, tout arbre
donc qui ne fait pas de bon fruit, s'en va être
coupé & jetté au feu. C'est la seconde
partie de nôtre texte. Remarquez d'abord,
qu'il ne dit pas, tout arbre qui fait
de mauvais fruit sera coupé, & jetté au
feu, mais qu'il dit, tout arbre qui ne
[fait]
fait pas de bon fruit, parce qu'il ne suffit
pas, de ne faire point de mauvais fruit, il
en faut encore faire de bon ; il ne suffit
pas de s'abstenir du mal, il faut encore
pratiquer le bien, selon la maxime
de David ; il faut non seulement cesser
de mal faire, mais il faut encore apprendre
à bien faire selon le précepte d'Esaïe.
Remarquez encore qu'il ne dit pas non plus,
tout arbre qui n'a pas fait de bon
fruit, ou qui n'en fera pas , mais tout
arbre qui ne fait pas de bon fruit, parce
qu'il faut toûjours faire de bon fruit, &
ne cesser jamais d'en produire ; Dieu ne
voulant rien d'infructueux dans sa vigne
ou dans son verger, selon cette parole
de Jesus-Christ au
chap. 15. de Saint Jean,
mon Pere taille tout sarment qui ne porte
point de fruit , en signe de quoi il maudit
le figuier sur lequel il n'avoit trouvé
que des feuilles, sans y rencontrer du
fruit, & il fit jetter dans les tenébres de
dehors le serviteur inutile, qui n'avoit
point fait valoir son talent, encore qu'il
l'eut conservé tout entier. Il ne faut donc
point se flater d'une foi lache & sterile,
puis que Dieu ne nous introduit pas
dans sa vigne, pour y demeurer les bras
croisés & sans rien faire, mais pour y
travailler & y produire du fruit. Nous
sommes créés à bonnes œuvres , ou
pour faire de bonnes œuvres, comme
dit l'Apôtre. Après ces deux remarques
génerales & communes , qu'il a fallu
faire par avance, il faut maintenant venir
un peu plus au détail. Et pour mettre
dans un plus beau jour cette seconde
partie de mon texte, & ne laisser, s'il
est possible, aucun embarras dans vôtre
Esprit, voici l'ordre que je me suis proposé
d'y tenir, & qu'il est necessaire de
vous découvrir. Je vous ferai voir prémierement
ce que c'est que ne faire
pas de bon fruit. Je vous montrerai en
second lieu quelle est la nature, & la
rigueur de la peine, qui est preparée à
cet arbre, qui ne fait pas de bon fruit :
c'est qu'il sera coupé & jetté au feu. Je
vous proposerai en troisiéme lieu, les
raisons qui font le fondement et la justice
de cette peine, je vous marquerai
enfin l'étendüe de celle-ci qui regarde
universellement tous les arbres.
Pour la premiere de ces choses, afin
de mieux connoître, ce que c'est que
ne faire pas de bon fruit, comme les
[con-]
contraires se donnent de la lumiere par
leur opposition, il faut savoir auparavant,
ce que c'est que faire de bon fruit,
& pour faire de bon fruit l'on ne doit
pas ignorer qu'il faut être un bon arbre,
selon cette parole du Sauveur, un bon
arbre ne peut porter de mauvais fruit, &
un mauvais arbre n'en peut porter qui soit
bon. Le bon arbre, dit Saint Augustin,
c'est la bonne volonté, & la bonne volonté
c'est la charité : la mauvaise volonté
c'est le mauvais arbre, c'est l'amour
propre, la bonne volonté c'est le bon arbre,
c'est l'amour de Dieu. Le bon arbre,
dis-je, c'est celui dont la racine est bonne,
je veux dire le cœur, qui est purifié par la
foi, laquelle fait produire de bon fruit,
ou de bonnes œuvres, & qui rend en
même tems, & l'arbre, & son fruit ou
l'homme & ses œuvres agréables à Dieu :
car sans la foi il est impossible de lui
plaire, & avec la foi on lui plait toûjours,
& tout ce qui lui plait est bon. Il
y a donc un bon arbre au jugement des
hommes, & il y a un bon arbre au jugement
de Dieu. Le bon arbre au jugement
des hommes, c'est celui qui a un
bon exterieur, qui produit beaucoup de
[fruits]
fruits au dehors , encore que l'interieur
puisse n'être pas tel, ou ne soit pas tel en
effet qu'il devroit être, que la racine soit
gâtée, que le cœur soit mauvais ; en un
mot un bon arbre au jugement des hommes,
ou un arbre qui paroit bon aux
hommes, mais qui n'est rien moins que
cela devant Dieu, c'est un bon hypocrite,
qui fait bien jouër son personnage sur
le theatre de l'Eglise, qui a un grand
éclat de vertu & qui se répand en des
œuvres exterieures de pieté & de charité,
où le cœur n'a point de part, si
ce n'est pour tromper les hommes, &
Dieu même s'il pouvoit, se trompant
aussi quelquefois lui-même. Car enfin
comme il y a une hypocrisie grossiere par
laquelle on trompe les autres, il y a aussi
une hypocrisie subtile par laquelle on
se trompe soi-même, en croiant faire
par amour de Dieu ce qu'on ne fait
que par amour propre. Le bon arbre
au jugement de Dieu, c'est celui qui
est tel non seulement dans l'exterieur,
mais aussi dans l'interieur , non seulement
dans les branches & dans le
tronc, mais aussi dans la racine & dans
le cœur. C'est celui qui a reçû de Dieu
[une]
une volonté vraiement bonne & dont le
cœur est animé de son Esprit & embrasé
de son amour. C'est celui enfin qui n'a
pas seulement l'apparence de la pieté &
de la charité par les œuvres exterieures
qu'il en fait, mais aussi la vertu & la
force, par le principe qui les lui fait
produire. Il ne suffit donc pas pour
être un bon arbre au jugement de Dieu,
d'avoir l'exterieur du bon arbre, il en
faut aussi avoir l'interieur. Il faut, dis-je,
être bon & dans l'interieur & dans l'exterieur,
il faut être bon universellement,
& dans toutes les parties de l'arbre, dans
la racine, dans le tronc & dans les
branches. Mais la bonté interieure, la
bonté de la racine & du cœur, fait ici
le principal, & la forme essentielle de
l'arbre que Dieu juge bon & qu'il approuve
sans quoi la bonté exterieure
quelque grande qu'elle puisse être & quelque
approuvée & même admirée qu'elle
soit des hommes, n'empêche pas que
cet arbre en qui elle se trouve ne passe
pour mauvais au jugement de Dieu, &
qu'il ne condamne au feu éternel. Ainsi
donc, c'est la volonté, c'est le cœur
que Dieu demande principalement pour
[être]
être un bon arbre, c'est la pieté, c'est la
charité, c'est l'amour de Dieu, sans quoi
on ne peut être un bon arbre à son jugement,
ni produire de bons fruits à son
goût. Et c'est en vain que l'on voudroit
s'opposer aux paroles expresses du Sauveur
dans l'Evangile, quand il dit,
Luc.6. ou faites que l'arbre c.d. que le cœur soit
bon, & alors il produira de bon fruit, ou
si l'arbre du cœur est mauvais, son fruit
sera indubitablement mauvais. Et comme
il ajoûte encore,
peut-on cueillir des
raisins sur des épines, & des figues sur
des ronces, pour dire qu'afin de faire de
bons fruits,ou de bonnes œuvres qui naissent
de l'amour de Dieu, il faut rendre
l'arbre bon, en étouffant dans cette racine
corrompuë, qui est l'amour de soi même
ou l'amour propre, cette racine de
la concupiscence ou du peché ; il faut
arracher ces épines & ces ronces de
l'enfer, qui croissant & s'élevant dans
l'ame, l'empêchent de produire de bons
fruits, ou étouffent tout le bon fruit
qu'elle pourroit produire, ces épines &
ces ronces, dis-je, des mauvais desirs, des
mauvaises inclinations & des mauvaises
habitudes, de quelque nature & de
[quel-] quelque espéce qu'elles soient. Il faut
enfin étouffer & la mere & les filles, je
veux dire qu'il faut arracher cette mauvaise
racine qui rend l'arbre mauvais, &
arracher avec elle toutes les mauvaises
plantes qui en naissent & qui nuisent au
fruit, afin que la racine étant bonne &
bien accompagnée,l'arbre & son fruit soit
bon aussi ; c'est la pensée de
Saint Augustin sur ces paroles du Sauveur,
que le
veritable amateur de Dieu, dit-il, arrache
de son cœur la racine de la cupidité
pour y planter celle de la charité ;
car cette mauvaise racine de la cupidité
ne peut non plus porter de bon fruit,
que les épines & les ronces ne peuvent
porter des raisins & des figues.
Mais après être devenu un bon arbre,
aiant arraché de son cœur, la mauvaise
racine & y aiant planté la bonne, aiant
déraciné & arraché de son même cœur
les épines & les ronces, en étouffant la
cupidité & l'amour propre, en détruisant
ses mauvaises inclinations & ses
mauvaises habitudes, il ne faut pas demeurer
sans fruit. Après, dis-je être
devenu un bon arbre, aiant reçû de
Dieu une bonne volonté, pour m'exprimer
[mer]
dans les termes de
S. Augustin, il faut
porter du fruit & du fruit qui soit bon au
jugement de Dieu même.
Tout arbre qui
ne fait pas de bon fruit sera coupé & jetté au
feu. En quoi donc consiste ce bon fruit,
il consiste en ce qu'il tient de la nature
du bon arbre, & qu'il a non l'apparence,
mais le solide de la pieté & de la vertu.
Car si le veritable Chrétien qui est le
bon arbre Evangelique, doit avoir non
seulement l'exterieur de la pieté & de
la charité, ce qui ne passe que pour les
feuilles & les branches de l'arbre, mais
aussi l'interieur, l'ame & le cœur, qui
est comme la racine du bon arbre, son
fruit participe aussi à cette qualité ou ses
œuvres sont des productions ou des fruits
de l'amour de Dieu. C'est ainsi , dis-je
que le fidele & le vrai chrétien étant enraciné
dans la charité selon l'exhortation
de l'Apôtre,
Ephes.3. dans la charité
ou dans l'amour de Dieu qui fait
le bon arbre, ce bon arbre produit aussi du
fruit qui est agréable à Dieu. Si vous
demandez à Saint Augustin, quel est ce
bon fruit que Jesus-Christ demande à
tous les fidelles pour être sauvés, il
vous répondra sur ce pied-là, & selon
[ce] ce principe de Saint Paul, que nous avons
posé avec lui, qu'il n'y a point de bon
fruit que celui qui nait de la racine de
la charité ; C'est pourquoi il n'y a qu'à
voir si l'amour de Dieu a pris racine dans
le cœur, car il n'y a point d'arbre qui
n'ait ses racines, si l'amour de Dieu, dis-je,
a pris racine dans le cœur pour juger
de nôtre fruit, s'il est veritablement bon;
car si l'on fait des actions & des œuvres,
qui soient bonnes en elles-mêmes & par
leur nature, mais qui ne naissent pas de
ce principe, qui ne viennent pas de cette
source, tout ce fruit que l'on produit
n'est pas de bon fruit, parce qu'il
ne procede pas de cet amour de Dieu
dominant dans le cœur. Ces actions,
dis-je, & ces œuvres que l'on fait, quoi
que bonnes en soi, & quant à leur substance
ne partant pas cependant de ce
bon principe, ne naissant pas de cette
bonne racine, de la charité & de l'amour
de Dieu, ne sont pas de bons fruits
tels que Dieu les demande, mais plûtôt
des mauvais fruits, comme venant d'un
mauvais principe, venant de la racine
corrompuë de l'amour propre, & de la
concupiscence,que
S.Augustin appelle un
[re-]
rejetton d'impureté que le Démon met
dans l'homme ; car selon les veritables
fondemens de la morale & de la religion
chrêtienne, il n'y a que deux principes
& deux racines de toutes nos actions,
la cupidité & la charité ; comme la cupidité
& l'amour propre est la racine de
toutes les mauvaises, aussi la charité &
l'amour de Dieu est la racine de toutes
les bonnes. Si donc l'amour de Dieu est
enraciné dans l'ame, ce bon arbre portera
de bon fruit , autrement comme
l'arbre n'est pas bon, comme l'arbre est
mauvais, le fruit ne sauroit être bon, le
fruit ne sauroit être que mauvais.
Si l'on demande maintenant quelle
est la régle de ce bon fruit, ou de ces
bonnes œuvres, je répons que cette régle
est double ou génerale, ou particuliére ,
ou superieure , ou inferieure &
subordonnée. La régle générale & superieure,
c'est la Parole de Dieu & sa
Loi ; La régle particuliére inferieure &
subordonnée, c'est la condition de chaque
personne en particulier, ou de chaque
chrétien, & de chaque arbre Evangelique,
à quoi son fruit & ses œuvres
doivent être proportionnées ; c'est la
[grace]
grace que Dieu fait à chacun & les faveurs
qu'il lui accorde. Chacun, dis-je,
dans son état & dans sa condition doit
tâcher d'être un aussi bon arbre qu'il le
doit, & de porter s'aussi bon fruit que
Dieu le commande & avec autant d'abondance
qu'il le faut. Ce bon fruit
donc qui est,comme nous avons dit,le solide
de la pieté & de la vertu, se doit
trouver en chacun selon sa vocation, &
l'était ou Dieu l'a mis, car Dieu demande
à chacun du fruit qui ait du rapport
avec les graces qu'il lui a faites, & avec
l'état où il l'a mis. Il ne suffit pas de
considerer qu'on est chrétien & baptisé,
il faut considerer de plus qu'on a été tres
particulierement favorisé de Dieu, afin
que cette abondance & cette surabondance
de graces produise une abondance
& une surabondance de fruits de fidelité,
de reconnoissance , d'amour. Il
faut, dis-je, considerer que l'on doit être
des arbres de Dieu, plantés de sa main,
au lieu où l'on est dans le jardin de son
Eglise ; Le juste fleurira devant Dieu, dit
David, étant planté dans la maison du
Seigneur. C'est ce que chacun doit
examiner & voir s'il se trouve en un
[lieu]
lieu où il ait sujet de croire que Dieu l'a
mis, & s'il sert Dieu dans ses dons ou
dans ceux d'un autre : car Dieu place
chacun selon les dons qu'il lui accorde,
& l'on se place soi-même, quand
on choisit un état & un emploi contre
les dons qu'on a reçû. Etant ainsi
un arbre de Dieu, planté de sa main,
cultivé par ses soins, arrosé de sa Parole,
il faut faire voir de son fruit, puis que
c'est par là qu'on peut en juger, il faut,
dis-je porter du fruit non des feuilles qui,
selon S. Gregoire Pape, sont les paroles,
les fruits sont les actions & les œuvres.
Il ne suffit pas de porter du fruit, mais
il faut que ce soit de bon fruit, tel
que nous avons dit qu'il devoit être
pour plaire au goût de Dieu, que ce
fruit soit accommodé à l'état & à la condition
particuliere de l'arbre,qu'il s'y rapporte.
Cela étant posé par forme de principe,
que pour faire de bon fruit, il faut
être un bon arbre, & que l'arbre n'étant
pas bon, son fruit, quelque apparence de
bonté qu'il ait devant les hommes, ne
sauroit être veritablement bon devant
Dieu, & qu'enfin ce bon fruit devant
[tenir]
tenir de la nature du bon arbre en général,
doit avoir du rapport à l'état & à
la condition de chaque arbre en particulier,
pour entrer mieux présentement
dans la pensée de Saint Jean Baptiste, &
dans celle du Saint Esprit même, s'énonçant
par sa bouche, & penetrer le sens
& la force de son expression, quand il
parle de ne faire pas de bon fruit, il faut
comparer cette expression, & avec celle de
faire de bon fruit, & avec celle
d'en faire de mauvais, selon le style de
l'Ecriture sainte. Faire de bon fruit
dans le style sacré, ce n'est pas simplement
faire quelque bonne œuvre, produire
quelque action de justice & observer
quelque commandement de Dieu.
Mais c'est avoir l'habitude, la forme &
le fond de la sainteté & de la justice, &
en produire les actions dans toutes les
occasions que le ciel nous en presente : de
même que faire de mauvais fruit, ou
faire le peché, ce n'est pas seulement
tomber dans quelque crime, commettre
quelque action contraire à la Loi de
Dieu, & violer quelques unes de ses ordonnances ;
mais c'est être confirmé
dans la malice, c'est s'abandonner entierement
au peché, c'est en faire sa tâche
& son métier ordinaire, & le boire
comme le poisson fait l'eau, ainsi qu'en
parle Job. C'est pourquoi le fidele que
Dieu a régéneré par son S. Esprit, passe
dans la même Ecriture pour ne faire point
de peché ;
celui qui est est né de Dieu ,
dit Saint
Jean l'Evangeliste,
I. Epit. 3.9. ne fait
point de peché ; non pas pour dire, qu'il
n'en commette tous les jours un assez
bon nombre, qui l'obligent d'en demander
à Dieu le pardon, dans la priere que
le Seigneur nous a enseignée. Mais parce
qu'il y tombe plûtôt par l'infirmité de
sa nature, & par les restes de sa corruption,
que par le penchant d'une volonté
absolument déterminée dans le vice.
Or puis que faire le peché, ou faire de
mauvais fruit, & ne faire pas de bon
fruit, sont une même chose en des expressions
differentes, selon que l'Ecriture
Sainte a coutume de comprendre
sous des termes negatifs le sens affirmatif,
& au contraire comme cela se pourroit
justifier par une infinité d'exemples,
s'il n'étoit assez connu. Vous voiez bien
sur ce principe & par cette regle, que
quand il est ici parlé, de ne faire pas de
[bon]
bon fruit, il ne s'agit pas précisement
d'une simple suspension & interruption
de bonnes œuvres, comme il n'est pas
question non plus de ne produire aucun
fruit qui ne soit entierement parfait,
& qui ne se ressente pas de la moindre
corruption, autrement il n'y auroit aucun
arbre, non seulement dans le jardin
du monde mais même dans le verger de
la grace, qui pût éviter la coignée &
le feu du Seigneur : mais qu'il s'agit particulierement
d'une négligence entiere
de la sanctification & des bonnes œuvres,
& d'un engagement & abandonnement
au peché & à l'injustice si absolu
& si universel qu'il determine l'homme,
cet arbre mystique de l'Evangile,à ne
produire aucun fruit, qui ne soit penetré
& entiérement gâté de la corruption
de sa nature. Ainsi, Chrêtiens, ne faire
pas de bon fruit, ce n'est pas seulement
être un arbre sterile & ne produire rien;
ce n'est pas seulement produire du fruit
inutile, comme quelques arbres de la nature,
ou du fruit utile à la verité, mais
qui n'est qu'un fruit d'amour propre, ou
d'hypocrisie & de vaine gloire, qui sert
aux autres & qui nuit à celui qui le fait,
mais que c'est sur tout par ce style de
l'Ecriture, produire du fruit mauvais,du
fruit pernicieux, du fruit gaté, du fruit
pourri, du fruit empesté & empoisonné,
qui porte avec soi la mort dans la
bouche, ou plûtôt dans le cœur de ceux
qui en goutent, & qui corrompt par son
venin le fruit sain & entier des autres
arbres. Ne faire pas, dis-je, de bon fruit,
par ce style d'opposition ou de diminution
familier à l'Ecriture, c'est faire du
fruit mauvais, du fruit d'impieté, d'Atheïsme
& de profaneté, du fruit d'impenitence,
du fruit de malice, & du
fruit d'iniquité.
Un arbre qui ne produit que de cette sorte
de fruit, ou qui n'en fait pas de bon,
comme il faut & par un principe de foi
& de pieté, par un principe de charité
& d'amour de Dieu ; mais par amour
propre, par interêt, par hypocrisie &
par vaine gloire, un tel arbre ne doit
pas s'attendre à demeurer long-tems sur
son pied. Voici le grand Jardinier de
l'Evangile, qui vient avec sa coignée à
la main, pour faire la revuë de son verger.
Arbre dénaturé tu n'échapperas
[pas]
pas le tranchant de cette coignée, tu as
beau te cacher dans la foule des autres
arbres ; tu as beau faire parade de tes
feuilles & de tes fleurs ; tu as beau étaler
une belle pompe, qui donne dans la vuë
des hommes ; Le maître à qui tu as à faire
a les yeux trop perçans, pour se laisser
tromper à ces apparences, puisque
tu n'as pas fait de bon fruit, tu seras coupé,
tout arbre qui ne fait pas de bon fruit
s'en va être coupé ; C'est donc ici la
menace du Ciel & son jugement contre
ces arbres qui ne font pas de bon
fruit, qu'il nous fait maintenant examiner.
Cette menace est si certaine,
ce jugement est si assuré, que le terme de
l'original pour nous en convaincre davantage,
est conçu dans le tems présent ;
comme si la chose étoit déjà arrivée : Car
il y a proprement, que tout arbre qui ne
fait pas de bon fruit, est coupé & jetté
au feu. Cette expression, dis-je, dans
le tems présent pour le futur marque
deux choses, elle marque d'un côté la
certitude & la proximité de l'évenement,
& de l'autre l'exigence de la chose
même, à peu-près comme dans ces
paroles d'un auteur Grec, Si vous me
preferez celui-là je m'en vay c.d. je m'en
iray certainement & au plûtôt. Je dis aussi
l'exigence de la chose même, car enfin
ce qui se doit faire, ou qui a coutume
de se faire, s'énonce ordinairement dans
le tems présent, comme dans ces autres
paroles d'un autre auteur Grec, qui est
le Poëte
Euripide je ne sais si je vai par ce
chemin ou par l'autre c.d. si je dois aller.
Ainsi tout arbre qui ne fait pas de bon
fruit est coupé & jetté au feu, c.d sera
bien-tot coupé & jetté au feu, comme
aussi il le doit être en éfet, & a coutume
de l'être. Au reste Saint Jean Baptiste
continuë dans la metaphore qu'il a commencée ;
aiant comparé les Juifs, aussi
bien que les autres hommes, aussi bien
que les chrêtiens à des arbres, il compare
maintenant le châtiment que le Seigneur
destine à ceux qui ne se seront pas
aquittés de leur devoir, à une coupure, &
à du feu, qui sont les deux moiens ordinaires
dont on a de coutume de perdre les arbres.
Ceci dans la premiere vuë qui
regarde les Juifs, semble être pris du
chap. 15. d'Ezechiel, oû le Profete introduit
Dieu parlant de cette sorte,
fils
de l'homme, que vaut le bois de la vigne
[ plus ]
plus que l'autre bois, savoir après qu'il a
été taillé de son sep, que valent les sarmens
plus que les branches qui sont aux arbres des
forets, en prendra-t-on du bois pour faire quelque
ouvrage, ou en tirera-t-on quelque croc,
pour y pendre quelque chose, voici on le met
au feu pour y être consumé, le feu a aussi-tot
consumé les deux bouts & le milieu est en
feu, peut-il servir à quelque ouvrage ? Ce
qui est appliqué dans la suite aux habitans
de Jerusalem, c.d. aux Juifs.
Or pour commencer par le premier
supplice des arbres criminels, qui est la
coupure,
tout arbre qui ne fait pas de bon
fruit s'en va être coupé . C'est ici d'abord
comme l'explication symbolique de cet
ordre de Dieu dans les guerres d'Israël
contre les Cananeens en assiegeant
leurs villes,
quand tu tiendras une ville
assiégée plusieurs jours, dit-il, au chap. 20.
du Deuteronome , la battant pour la prendre,
tu ne ravageras point ses arbres fruitiers
avançant la coignée dessus, tu ne les couperas
point, mais tu dégateras & couperas
seulement les arbres que tu connoitras n'être
point fruitiers ; aussi
Philon Juif explique
cela symboliquement en plus d'un
endroit de ses écrits, de même en ce
lieu, tout arbre qui ne fait pas de bon
fruit s'en va être coupé. Dieu , chers
freres, coupe ses arbres mystiques, je veux
dire, les hommes en plusieurs maniéres,
dont je vous marquerai ici les principales.
Premierement il les coupe spirituellement ,
quand il les retranche
de son alliance, quand il les prive
de sa grace, quand il les éloigne de son sanctuaire,
& les bannit de sa communion.
C'est ainsi que Jesus-Christ nous
dit,
Jean 15. que son Pere taille tous les
sarmens qui ne portent point de fruit.
C'est de cette maniére qu'il a coupé ces
branches naturelles , dont Saint Paul
nous parle, dans le lieu que j'ai déjà allegué
ci-devant, savoir le peuple Juif,
lors que cette malheureuse nation l'eut
obligé par son infidelité à faire ce grand
divorce, qui la separe maintenant d'avec
lui. Et les Gentils, arbres sauvages, peuple
hors de l'alliance ont profité du retranchement
de ces branches naturelles,
aiant été introduits en leur place dans
cette bien-heureuse communion,& entés
sur cet olivier franc, afin d'être faits participans
de sa racine & de sa graisse,
comme parle le même Apôtre, c'est encore
[core] d'une pareille coupure qu'il a châtié
ces belles & florissantes Eglises, que
les Apôtres avoient plantées dans la
Grece , dans l'Asie , dans l'Egypte , &
dans tout l'Orient, sur les ruïnes desquelles
le Mahumetisme, cet abominable verger
s'est élevé ; & même tout de nouveau
& à nôtre vuë, combien d'Eglises
ont été coupées & retranchées de cette
sorte. En second lieu Dieu coupe par
les maux & par les aflictions qu'il envoie
aux hommes, & qui sont comme autant
de tranchans, dont il se sert pour
abbatre l'orgueil de ces arbres ingrats,
qui s'élevent fierement contre le Ciel,
sans donner jamais aucun fruit à la terre.
David me fournit cette pensée dans le
Pseaume 34. où faisant en racourci le
portrait de tous ses maux, il dit que Dieu
l'avoit comme retranché de devant ses
yeux. Ce fut par de semblables coups
de coignée qu'il coupa autrefois cet arbre
fameux de Daniel, qui touchoit le
ciel par sa hauteur & couvroit toute
la terre de son ombre. Voici la forme
de son procez, elle est considerable, écoutez
la s'il vous plait.
Coupez l'arbre dit
l'Eternel, par la voix de son Ange,
[chap.]
chap.4. coupez cet arbre, ébranchez ses rameaux
& jettez à terre ses branches . C'est
encore de cette sorte qu'il a coupé ces
arbres domestiques, savoir les Juifs, par
l'entremise des Romains, dont il s'est
servi, comme d'une coignée, ainsi que
vous l'avez ouï ci-dessus , afin de les
ébrancher & de les tailler en piéces.
Mais vous saurez que Dieu coupe ses
arbres de cette deuxiéme maniére, par
deux motifs bien differens, selon les sujets
sur lesquels il s'occupe. Quelquefois
il coupe des arbres en sa colere, par un
pur motif de vengeance, & bien qu'il ne
les perdre pas entierement pour lors, cependant
ce qu'il en fait ne tend qu'à leur
ruïne & à leur destruction, c'est le traitement
qu'il fait aux méchans, & à ces
arbres desesperés qui ont rendu inutiles
tous les soins de sa culture. Quelquefois
aussi, bien qu'il semble couper de certains
arbres, comme les Davids & les
Jobs, avec autant & plus de rigueur que
ceux-là ; si est ce qu'il ne le fait que pour
une fin, qui leur est avantageuse & salutaire.
Enfin Dieu coupe par la mort.
C'est le Prophete Daniel qui me l'apprend,
au
chap.9.26 de ses revelations,
[lors] lors que prédisant celle que le Messie
devoit souffrir, pour le redemption, &
le salut des hommes, il prononce hautement,
qu'il seroit
coupé & retranché suivant la pensée d'Esaïe, qui avoit dit avant
lui pour le même sujet,
qu'il seroit retranché
de la terre des vivans,
Esaïe 53. Les autres coupures dont Dieu chatie ses
arbres, ne sont jamais si exactes, qu'elles
ne laissent quelque chose après elles, &
qu'on n'apperçoive encore quelque marque
& quelque reste de vie dans ces arbres
coupez. Et de fait quand Dieu
commanda de couper l'arbre de Daniel,
il défendit en même tems de toucher à
son tronc & à ses racines : mais cette
derniere coupure est si rigoureuse, & si
penetrante, qu'elle ne laisse pas la moindre
fibre, ni le moindre filet à ce pauvre
arbre, pour tirer quelque suc de la
terre, elle racle tout, elle emporte tout.
Mais la justice de Dieu n'en demeure
pourtant pas là ; elle a trop d'interêt à la
punition des mauvais arbres, pour ne
les punir qu'à demi, comme elle feroit,
si elle se contentoit de les couper : C'est
pourquoi elle passe bien plus avant, &
après les avoir coupés, elle les jette encore
[core]
dans le feu. Saint Jean Baptiste
nous l'assure dans les dernieres paroles
de nôtre texte, lors qu'aiant dit, que
tout arbre qui ne fait pas de bon fruit,
s'en va être coupé, il ajoute incontinent
qu'il sera jetté au feu. Ce seroit être
bien peu versé dans l'Ecriture Sainte, que
de ne savoir pas, que quand elle nous
parle de feu, elle n'entend pas toûjours
précisement, & à la lettre, un feu de
la nature de celui qui occupe nos foyers,
& qui a toûjours fait la plus belle occupation
des Philosophes, ou le plus beau
sujet de leur speculation, & feroit même
aujourdhui l'admiration des autres hommes,
si la necessité ne l'avoit rendu si
commun : Mais qu'entre plusieurs sens
qu'elle donne à ce mot,selon les sujets auquels
elle l'applique, elle nous marque
particulierement deux choses par là, lorsqu'il
est question de châtiment & de peine,
comme en cet endroit.Premierement
elle a coutume de nous représenter
par ce terme les Jugemens de Dieu les
plus severes & les plus épouvantables,
qu'il exerce sur les hommes dans cette
vie même ; Comme quand David souhaitte
au
Ps. 140. que Dieu fasse tomber
[ses] ses ennemis dans le feu, c.d. qu'il les
abîme sous les coups d'une vengeance
extraordinaire ; & comme quand il est
dit
Apocalipse 14. que la grande paillarde
sera brûlée dans le feu à la fin des siecles
c.d. qu'elle souffrira une pleine &
entiere destruction ; & le feu est sans
contredit la plus belle image que le Saint
Esprit auroit sû choisir , pour nous exprimer
l'exactitude & la severité merveilleuse
de ces jugemens extraordinaires
de Dieu ; parce que c'est le corps le plus
vif , le plus actif , & le plus violent de
la nature, & qui semble n'avoir été produit,
que pour la ruine & la destruction
des autres : En effet ceux d'entre les Philosophes ,
qui, à mon avis, ont le mieux
pénétré dans sa nature jusques ici, n'y savent
reconnoître qu'un certain mouvement
& une forte & violente agitation,
d'une matiere subtile & déliée,qui ébranle ,
qui secouë , qui détache les parties
grossieres des corps , que la nature a le
mieux unies , faisant voler les unes en
fumée , & reduisant les autres en cendres :
de sorte qu'il n'y a rien dans le
monde qui soit capable de resister à sa
force , à sa violence & à son activité ;
[les] les metaux les plus fermes & les plus
solides, le fer même qui en est le maître
& qui les dompte , les pierres enfin
les plus dures & les cailloux les plus
impenetrables sont fondus & amolis par
sa chaleur : C'est pourquoi Dieu le reserve
pour faire cette grande dissolution de
la masse de l'univers au dernier jour, ainsi
que Saint Pierre nous l'assûre , disant
que les Elemens seront dissous par la
chaleur.Belle image par consequent,mais
tres-belle image de la force, de l'activité,
& de la violence de ce mêmes jugemens
de Dieu. En second lieu le feu est
souvent emploié dans cette même Ecriture,
pour nous marquer les derniers supplices ,
& les peines éternelles que Dieu
destine aux méchans après cette vie ;
c'est ainsi qu'elle nous parle
d'un étang
de feu & de souffre dans l'
Apocalypse
chap. 21. & qu'elle nous fait mention
dans l'Evangile du feu qui ne s'éteint
point , non seulement , à l'égard de lui
même , qui ne meurt jamais , comme
dit un Ancien , mais encore , parce qu'il
n'éteindra & ne consumera jamais la
malheureuse pâture de ses flames. Je remarque
trois sortes de feu dans la nature;
[il]
il y a du feu qui a de la chaleur & de
la lumiére tout ensemble ; il y a du feu
qui a de la lumiére , mais qui n'a presque
point de chaleur , du moins qui soit sensible ,
il y a enfin du feu qui a de la chaleur ,
mais qui n'a point de lumiére : ce
dernier feu est en quelque sorte l'image
de ce feu éternel , qui brûle dans les
tenebres de dehors , mais qui ne les
éclaire point. Mais pourquoi chercher
une image d'une chose que l'on ne connoit
pas , comme ce feu de la gehenne?
Car enfin je ne déciderai pas ici avec
quelques uns, si ce feu éternel de la gehenne
ou de l'enfer est un feu materiel,
aussi bien que celui de la nature , quoi
qu'infiniment plus subtil , plus ardent,
plus actif & plus violent ; Et je ne dirai
pas non plus positivement avec d'autres,
qu'on ne sauroit accuser avec justice ceux
qui sont dans ce sentiment, de pecher
quant au droit , ni contre les principes
de la vraie philosophie , ni contre ceux
de la bonne Théologie,parce, disent-ils,
qu'il n'y a rien ni du côté de Dieu , ni du
côté de la nature qui repugne à cela , &
qui empêche que ce Souverain juge de
l'Univers , ne puisse affliger & punir par
[un]
un feu materiel,non seulement des corps,
mais des esprits mêmes , comme ils pretendent
qu'il leur seroit aisé de le justifier ,
s'ils vouloient l'entreprendre , comme
quelques uns ont fait par des principes
assez clairs & évidens.
Mais quelles que soient leurs raisons &
leurs prétentions là-dessus , nous aimons
mieux quant à nous , mettre le doit sur
la bouche avec la Filosofie & la Théologie
modeste , que de prononcer rien
de décisif sur une matiére aussi perilleuse
& aussi délicate que celle-ci ; veu
qu'en fin il y auroit toûjours beaucoup de
temerité d'entreprendre de décrire précisement
quelle est la nature de ce feu
incomprehensible de la justice de Dieu,&
de ses ardeurs éternelles de l'enfer. Ainsi
afin de nous tromper pas dans cette
rencontre , où la temerité & la presomption
ne manque jamais de faire
naufrage : contentons nous de conserver
dans nôtre Esprit les Idées que l'Ecriture
Sainte nous fournit des supplices de
l'autre vie , sans déterminer jamais rien
sur la maniére de leur rigueur & de
leur severité ; celle-là nous dépeint ces
derniers avec les crayons les plus noirs
[& les]
& les plus horribles que la nature nous
présente ; elle nous parle de feu , de
souffre , de tenebres , de pleurs , &
de grincemens de dents. En un mot il
semble qu'elle soit en peine de trouver
des termes assez lugubres pour nous
en exprimer toute l'atrocité. Cependant
ce qu'elle nous en dit, suffit pour
nous faire concevoir ce qui est necessaire
que nous sachions sur ce sujet , où l'ignorance
accompagnée d'une sainte vie,
qui nous éloigne de ces tourmens , est
préferable à la connoissance que le plus
éclairé de tous les Anges en pourroit
avoir. Voila donc Chrêtiens , quel
est dans toute son étenduë, sans le specifier ,
ce feu où doivent être jettez ces
arbres qui ne font pas de bon fruit ; feu
temporel de la colere & de la vengeance
de Dieu dans ce monde, & feu éternel
de son jugement & de sa malediction
dans l'autre.
Comme la qualité de juste n'est jamais
separée de celle de Juge en Dieu ;
aussi vous ne devez pas douter, que ce
traittement qu'il fait aux mauvais arbres
ne soit accompagné d'autant de justice,
pour le moins, que de severité ; & pour
vous en convaincre encore plus fortement ,
je m'en vai vous proposer les raisons
qui peuvent établir cette justice , &
faire le fondement de ce procedé rigoureux
de Dieu, aussi bien qu'elles sont l'endroit
le plus considerable de nôtre discours,
& celui qui par consequent,vous
demande un redoublement d'attention.
Ces raisons se doivent prendre de
l'obligation indispensable qu'ont tous
les arbres , que Dieu a planté dans son
verger ; à lui produire de bon fruit dans
leur saison. Et cette obligation regarde,
Dieu , le prochain & nous-mêmes. Je
dis premierement qu'elle regarde Dieu,
parce que ce dernier étant l'Auteur de
cet arbre, qui'l a planté , qui le conserve
& le cultive continuellement , par
les soins de sa providence & de sa grace;
il faut de toute necessité , que celui-ci
le reconnoisse par un fertile rapport de
bon fruit. Je dis en second lieu,qu'elle
regarde le prochain , parce que comme
dans la nature , un fruit renferme toujours
en soi, la semence, le grain & le pepin
qui en peut produire d'autres : de même
dans la grace & dans la societé Chrétienne,
[tienne,]
nos bonnes œuvres qui font ces
bons fruits , ont en elles-mêmes un certain
principe de fecondité qui en fait
produire d'autres à nôtre prochain ,
quand il nous en voit faire , & comme
Dieu nous a chargé du salut de ce prochain ,
qui est attaché aux bonnes œuvres
qu'il fait , nous sommes obligés de
le prévenir par les nôtres. Je dis enfin,
qu'elle nous regarde nous mêmes, entant
que si nous avons au dedans de nous
quelque seve & quelque suc, il faut que
nous les poussions au dehors & que nous
les convertissions , non seulement en
fleurs & en feuilles mais aussi en fruit. Si
nous avons,dis-je la foi, qui est cette seve
& ce suc, il faut que nous la justifions par
les œuvres. Cette même obligation des
arbres Evangeliques à porter de bon fruit,
qui les expose justement à la peine quand
ils manquent à le faire , est si grande &
si universelle, qu'elle embrasse toutes les
saisons de l'année. Il y auroit de l'injustice
à un Jardinier du monde , qui
voudroit exiger du fruit de son arbre hors
de sa saison, lors que l'hiver l'a dépouïllé
de sa verdure,qu'il a glacé sa seve, qu'il a
reserré ses pores, & arrêté le cours & l'agitation
de ces petits sucs alimentaires
qui font toute sa vigueur & toute sa vie. Et
quand je lis dans l'Evangile, selon les termes
de nôtre version françoise,que le Sauveur
étant pressé de la faim, & aiant jetté
de loin les yeux sur un figuier, où il avoit
apperçu des feuilles ; comme il s'en fut
approché , pour y chercher du fruit , &
qu'il n'en eut point trouvé , il le maudit,
quoi que ce ne fût pas la saison des figues:
Encore que je ne condamne pas cette version
en cet endroit , cependant j'estime
davantage la pensée de quelques savans
& judicieux critiques , qui au lieu de ces
paroles de la version , car ce n'étoit pas le
tems des figues , lisent ainsi, car c'étoit là
le tems des figues , puis que le terme de
l'original peut souffrir l'un & l'autre de
ces sens , sans autre changement que celui
d'un accent, & d'une virgule ; & que
le dernier justifie merveilleusement le
procedé du Seigneur , que le premier
semble taxer d'injustice, & qui même au
rapport de Saint Augustin a donné occasion
à quelques Païens d'en faire un sujet
de raillerie contre le Sauveur du monde ;
ou bien je dirai en suivant nôtre version,
que si Jesus a maudit ce figuier
[pour]
pour n'y avoir point trouvé de figues,
quoi que ce n'en fût pas la saison , c'étoit
pour nous apprendre par cet exemple,
qu'il n'y avoit point de tems où nous fussions
dispensés de lui produire du fruit ;
mais que nous devions être des copies
de ces arbres de l'Orient, qui en sont toûjours
chargés , au rapport d'un Auteur
moderne , ou plûtôt de cet arbre merveilleux,
qui est planté au milieu du Paradis
de Dieu , lequel en produit tous
les mois de l'année. C'est pour cela
encore que Saint Jean n'a pas dit au tems
passé , que tout arbre qui n'a pas fait de
bon fruit, ni au tems futur, que tout arbre
qui ne fera pas de bon fruit ; mais qu'il,
s'est énoncé au tems present, disant que
tout arbre qui ne fait pas de bon fruit,
sera coupé & jetté au feu ; puis que cette
obligation ne souffre point de relache ; il
n'y a point de contre-tems,point d'hyver,
point d'arriere-saison pour les arbres de la
grace;que dis-je,qu'il n'y a point d'hyver?
Ils ont leurs hyvers aussi biẽ que les arbres
de la nature;mais ces hyvers ne les exẽptent
point de produire du fruit,comme les
hyvers de ceux-ci les en dispensent.Quels
sont ces hyvers-là Mes freres. Ce sont
les afflictions, les croix,les souffrances , &
les persecutions que Dieu envoye quelquefois
à son Eglise,& à ses fidelles ; mais
c'est alors que ces arbres mystiques sont
le plus obligez à lui produire du fruit:
c'est alors dis-je, que leur foy , leur patience
& leur constance en doivent être
toutes chargées. Celui qui demeure sec
& sterile dans ces mauvais jours, est une
plante bâtarde que le Pere n'a point plantée ,
& qui tôt ou tard sera déracinée.
Et au lieu que naturellement les arbres
fruitiers ne portent qu'une sorte de fruits,
Dieu nous appelle à en produire de
toutes sortes. Celui-là ne sera pas un
arbre fructueus dans le verger du Seigneur ,
& auquel il prenne plaisir , qui
ne produira qu'une sorte de fruit , fût-
il le meilleur fruit du monde , il en faut
produire de toutes les Especes. Ce qui
dispense encore les arbres du monde de
produire du fruit , & qui les met au dessus
des plaintes du Jardinier , quand ils
manquent à le faire , est , ou quand ils
ont été plantés dans un mauvais sol , ou
quand ils sont mal cultivés & mal entretenus,
qu'on ne les déchausse jamais,qu'on
leur refuse le fumier & la graisse qui leur
[est]
est necessaire , qu'on ne les émonde
point, qu'on laisse enfin ronger leurs boutons
& leurs fleurs à la vermine : Tous
ceci n'a point de lieu à l'égard des arbres
Evangeliques : le Seigneur les a
planté dans un tres-bon sol , qui est son
Eglise ; il les cultive continuellement par
les soins de sa grace; il les déchausse par
les menaces de sa Loi ; il ne leur refuse
point la graisse de son Evangile , savoir
ses promesses salutaires ; il les émonde
avec la serpe de sa Parole ; enfin par ses
divines exhortations il en éloigne la vermine,
savoir le Diable , le monde , le peché,
la chair & toutes ses convoitises,
qui sont comme des armées d'hanetons,
qui viennent fondre sur ces arbres fleuris,
couper leurs boutons, & ruïner toutes
les esperances du Jardinier. Cela
étant, Chrétiens, l'obligation ne demeure-
t-elle pas toute entiére à ces mêmes
arbres de produire de bon fruit , &
le jugement du Seigneur n'est-il pas tout
à fait juste,lors que n'en produisant point,
il les coupe & les jette au feu. Je ne pense
pas qu'après ce que nous venons de dire,
il y ait personne, qui ne soit entierement
convaincu de la justice de ce procedé.
Mais fideles, si ce jugement est juste,
il est aussi universel , & regarde generalement
tous les arbres Mystiques. Tout
arbre , dit Saint Jean , qui ne fait pas de
bon fruit s'en va être coupé & jetté au feu .
Tout arbre de quelque ordre,de quelque
dignité , de quelque éminence qu'il puisse
être, qui ne fait pas de bon fruit s'en va
être coupé & jetté au feu. Ces arbres des
montagnes , je veux dire , les Grands &
les Princes de la terre ne sont pas plus
privilégiés que les arbres des valées ,
j'entens les hommes du commun:ces cedres
& ces pins , qui semblent morguer
le Ciel par l'orgueil de leur cime , je parle
des ambitieux élevés aux honneurs, tomberont
aussi-bien sous les coups de cette
coignée, & feront aussi-bien jettés dans
les ardeurs de ce feut , que les moindres
arbrisseaux , j'entens les plus méprisés
d'entre les hommes. Ces chênes indomptables ,
qui poussent leurs racines
jusques aux entrailles de la terre , & qui
semblent n'en pouvoir jamais être arrachés
par aucune violence ; je parle des
puissans & des riches avares , ils seront
aussi bien coupés,déracinés & brûlés,que
les plus chetives d'entre les plantes, j'entens
[tens]
les plus foibles & les plus pauvres
des hommes : Ces arbres de la Palestine,
qui sont les Juifs , n'ont point ici d'avantage
par dessus ceux de la Grece , de la
Barbarie & des autres endroits du monde ,
au contraire c'est à eux que cette
menace s'adresse premiérement,comme
vous l'avez oüi , selon cette sage dispensation
de Dieu , qui décharge toûjours
les premiers coups de sa colere , sur ceux
qu'il a les premiers favorisés de ses graces,
lors qu'ils viennent à en abuser. En
un mot quelque arbre que ce soit & en
quelque lieu qu'il se trouve , s'il ne fait
pas de bon fruit , ou si en aiant fait de
mauvais,il ne s'amende, est exposé à être
abbattu par les coignée redoutable du Seigneur,
& précipité dans les flames éternelles
de son terrible jugement.
Je vois bien , qu'il vous semble , que
je vais un peu trop vîte , & trop loin , &
que vous auriez quelque envie de m'arrêter
ici pour me dire , s'il est bien vrai
que cette menace de Saint Jean Baptiste
soit aussi universelle que je viens de la faire
passer , soit aussi universelle en effet
qu'elle paroit dans sa bouche ; puis qu'il
y a ici de grandes exceptions, qui semblent
[blent]
casser son universalité , car enfin
ne voit-on pas plusieurs arbres, qui ne
font pas de bon fruit, à l'égard desquels
cependant,elle ne s'execute point? Combien
de fois par exemple , est ce que les
élus manquẽt à faire de bon fruit,& combien
de fois en produisent-ils de mauvais,
sans qu'ils soient neantmoins coupés , ni
jettés au feu pour cela?Et au contraire ne
s'en trouve-t-il pas plusieurs,qui font quelquefois
de bon fruit , & qui cependant
ne laissent pas d'être coupés & jettés au
feu, ou dans ce siecle, ou dans celui qui
est à venir. Ouy , Chrétiens , cette menace
de Saint Jean Baptiste , est aussi universelle
que je viens de le dire ; & je n'y
ajoûte rien qu'elle n'ait en effet, je marche
sur les traces du precurseur du Messie,
& je ne vay pas plus vîte ni plus loin que
lui , quoi que pourtant vôtre doute ne
laisse pas d'être raisonnable. C'est pourquoi
je tâcherai d'y satisfaire. Et pour
cela je vous prie de remarquer avec moi
après un savant Théologien sur ce passage,
premiérement , qu'il y a de deux
sortes d'arbres mystiques , qui font du
bon ou du mauvais fruit , les uns ne les
font que jusques à un certain tems, & les
[au-]
autres le font toute leur vie. Il faut encore
considerer , qu'il y en a qui produisent
du fruit mêlé,qui est tantôt bon & tantôt
mauvais ; & d'autres qui n'en produisent
que de mauvais. De plus il faut savoir,
que les menaces que Dieu fait dans l'Ecriture
Sainte , se peuvent reduire à quatre
chefs. Les unes marquent simplement
le droit qu'il a de punir sa créature & les
peines que celle-ci merite pour ses crimes :
Les autres marquent l'execution
de ce droit dans la punition effective de
cette même créature: Les unes encore
sont absoluës , & ne dépendent d'aucune
condition, & celles-ci ont un évenement
infaillible & ne manquent jamais
de s'executer; & les autres sont attachées
à de certaines conditions , & ne s'accomplissent
que lors que ces conditions
ont lieu. Il faut enfin observer que les
menaces de Dieu s'accomplissent , &
s'executent en deux maniéres ; quelquefois
elles s'accomplissent ouvertement,
& à la vuë de tout le monde , quelquefois
aussi elles s'éxecutent sourdement,
en secret & sans bruit. Pour appliquer
maintenant ceci à nôtre sujet. Je dis
premiérement , que Jean Baptiste ne menace
[nace]
pas ici de la coupure & du feu ces
sortes d'arbres , qui ne font de mauvais
fruit que jusques à un certain tems, & qui
viennent puis après à se repentir , & à
en produire de bon : mais qu'il menace
ceux qui n'en produisent toute leur vie
que de mauvais , sans jamais s'amender.
Je dis en second lieu, que cette menace
de Saint Jean, marque plûtôt ce que merite
tout arbre, qui ne fait pas de bon fruit,
que non pas ce qui lui arrive toûjours,
parce que la douceur de l'Evangile tempere
quelquefois la rigueur de la Loi , &
dispense toûjours les arbres, quand ils se
repentent de la peine que celle-ci leur impose
impitoiablement. Je dis en troisiéme
lieu que cette même menace n'est
pas absolue, mais conditionnelle, & qu'elle
présupose toûjours l'impenitence dans
les sujets qu'elle regarde pour obtenir
son effet , sans quoi elle ne s'éxecute jamais.
Je dis enfin qu'il arrive font souvent,
que des arbres qui ne sont pas
coupés visiblement de la main de Dieu,
ne laissent pas d'en être coupés secrettement
& d'être precipités dans le feu
éternel encore qu'ils parussent dans ce
monde en être fort éloignés.
[Pro-]
Profitons maintenant ,Chrêtiens à la
gloire de Dieu , & à nôtre propre salut,
des choses que nous venons d'ouïr. Apprenez
ici pecheurs , à trembler à la présence
du Seigneur , puis que la coignée
est déja mise à la racine des arbres : vous
connoissez la force, vous n'ignorez pas la
rigueur , & vous êtes bien informez de
la pesanteur de cette coignée. La parabole
de l'Evangile que ce Souverain
Seigneur vous fait annoncer tous les
jours , les exhortations qu'il vous adresse ,
& les menaces qu'il tonne contre
vous , sont la tête de cette même coignée ,
avec quoi il frappe sur la racine
de cet arbre : mais prenez garde qu'il ne
tourne le tranchant : dérobez-vous donc
à ce coup mortel ; prevenez le par vôtre
amendement ; faites pour cela des fruits
convenables à la repentance:Quoi? sera-
t-il dit, qu'il se trouve dans le verger de
l'Eglise des arbres assez malheureux pour
voir cette furieuse coignée à leur pied, &
à leur racine sans se mettre en devoir
d'en parer le coup par un prompt & serieux
amendement. Je ne pense pas qu'il
y eût aucun arbre dans la nature, s'il étoit
sensible , lequel quand il verroit venir
[contre]
contre lui son Jardinier irrité avec la hache
à la main dans le dessein de le perdre,
ne tâchât d'arrêter sa colere par quelque
signe qui lui donneroit de meilleures esperances
pour l'avenir. Et nous qui sommes
des arbres animés, qui voions nôtre
Divin Jardinier tout en feu avec une hache
étincelante , & toute rouge pour
nous détruire ; demeurerons-nous immobiles
à l'aspect d'un si terrible appareil?
ne serons-nous touchez d'aucune fraieur?
ne formerons-nous aucun dessein de détourner
cet horrible fracas , qui va fondre
sur nous , si nous n'y prenons garde.
La main de Dieu, cette terrible main, a-t-
elle jamais frappé des coups plus pesans
& plus terribles, que ceux qu'elle frappe
maintenant ; sa colere a-t-elle jamais paru
plus embrasée contre les pechés des
hommes , contre les pechés des Chrétiens;
l'a-t-on jamais vû plus irritée contre
son peuple & contre son Eglise? Il faudroit
être en éfet plus qu'aveugle & plus
que stupide, pour ne pas connoître , que
c'est à present, si jamais, que le Seigneur
est descendu dans son verger , pour retrancher
par ses jugemens,toutes les plantes
steriles qui s'y rencontrent, que c'est,
[dis-]
dis-je, à présent plus que jamais, que s'accomplit
la Prophetie de Jean Baptiste
dans nôtre texte , la coignée , est déja
mise à la racine des arbres , c'est pourquoi
tout arbre qui ne fait pas de bon fruit
s'en va être coupé & jetté au feu . Quels
ravages, quels dégats , quelle désolation,
n'a point fait cette coignée ? Je ne dirai
pas dans le monde, par les guerres,
qui ont fait couler tant de sang & dépeuplé
tant de Provinces ; mais je dirai
dans l'Eglise. Combien de figuiers coupez
dans ce verger? combien de seps arrachés
dans cette vigne , combien dis-
je, d'héritages désolés , combien de sanctuaires
renversés , combien de troupeaux
dissipés , combien d'Eglises florissantes,
qui n'étoient pas pires que nous,
sont maintenant reduites à la cruelle famine
de la Parole de Dieu , parce qu'elles
n'en ont pas profité ? Grand avertissement
pour les autres , grand avertissement
pour nous. L'histoire profane rapporte ,
qu'il y avoit dans l'Egypte une
statue de Sennacherib , avec cette
inscription , regarde moi , & apprens
en me voiant à craindre Dieu. Les jugemens
que Dieu a déploiés sur les autres,
[& qu'il]
& qu'il déploie encore de tout côté à
l'entour de nous , font l'office de cette
statuë à nôtre égard , & nous crient
d'un ton menaçant. Regardez aux désolations
de vos freres , & apprenez en
les voiant à craindre Dieu. Voiez combien
il est sévére vengeur du mépris de sa
Parole, & de la transgression de ses Loix,
& comment sa colere se revele aujourdhui
du Ciel sur l'impieté & l'injustice
des hommes, sur l'impieté & l'injustice
des Chrétiens , je dis des Chrétiens reformés ;
sur l'impieté & l'injustice de ces
malheureux,qui détiennent la verité Celeste
& Evangelique en injustice, par le
déréglement de leurs mœurs & de leur
conduite ; Profitez donc de l'exemple
& du malheur des autres , de peur que
continuans comme eux à abuser des graces
de Dieu , vous ne soiez à vôtre tour
traittés de même qu'eux. Le jugement
est près , le mal est à la porte, le décret
est sur le point d'enfanter , pour me
servir de l'expression du Prophéte Sophonie.
Voici selon la parole du Prophéte
Jeremie , le mal va sortir d'une
nation à l'autre. Considerons donc,
mes Freres, le malheur des autres comme
[me]
une marque de la colere de Dieu
allumée contre nous , & comme un
avertissement qu'il nous donne , que si
nous continuons à nous rendre coupables
de la même ingratitude , & de la
même rebellion , il déploiera infailliblement
sur nous le même jugement & la
même vengeance. En éfet , sommes
nous meilleurs qu'eux , ne sommes-nous
pas coupables des mêmes crimes , &
peut être de plus grands ? N'avons-nous
pas abusé & n'abusons-nous pas encore
tous les jours des mêmes graces , &
encore de plus grandes , & par consequent
n'avons-nous pas sujet de craindre
le méme traittement qu'eux, & encore
un plus rude ? Qui sait si nôtre mesure
ne sera pas bien tôt comble , aussi bien
que la leur ? Qui sait si Dieu nous conservera
toûjours comme une Goscen
dans la lumiére , pendant qu'ils sont
dans les ténebres d'une horrible calamité
& d'une horrible desolation ? Qui
sait s'il nous accordera toûjours ce calme
& cette prosperité dont nous jouïssons
dépuis si longtems , pendant qu'ils sont
accablés des flots de cette furieuse tempête
qu'il a fait tomber sur eux, & qui
nous accabler si nous ne profitons de
leur malheur, si nous n'en faisons nôtre
apprentissage , si nous ne devenons sages
à leurs dépens ? Que ne devons-nous
donc point faire , pour prévenir nôtre
ruïne , & détourner l'orage qui nous menace ?
Ignorons-nous qu'il en est des
jugemens de Dieu , non seulement comme
d'une coignée , qui ravage & desole
les forêts , mais encore comme du feu,
à quoi ils sont aussi comparez dans nôtre
texte , comme du feu , dis-je , qui
s'étant pris au coin d'un vieux bâtiment,
passe incontinent d'un bout à l'autre , &
va toûjours en s'augmentant , jusqu'à ce
qu'il ait reduit en masure & en cendre
tout ce qu'il envelope de ses flames , si
l'on ne se hâte de l'éteindre. Ainsi, mes
Freres, les jugemens de Dieu passent ordinairement
d'un peuple à l'autre , d'une
Eglise à l'autre , d'une famille à l'autre ,
d'un particulier à l'autre , avec la
même promptitude que le feu , si l'on
ne se hâte d'en éteindre la flame par les
larmes d'une veritable repentance. Voici,
dit encore Jeremie, au nom de Dieu,
ou Dieu lui même par la bouche de ce
Prophete , après avoir représenté la coupe
[pe]
de sa fureur , faisant le tour de divers
peuples , & passant de l'un à l'autre,
voici, je commence d'envoier le mal sur
la ville, sur laquelle mon nom est reclamé.
Et vous en seriez vous exempts
en quelque sorte , vous n'en serez nullement
exempts. Quoi ! mes Freres ; Dieu
n'a pas épargné Jerusalem la Sainte , ni
son Temple , où il avoit mis son Nom &
établi son Thrône , il n'a pas épargné
son peuple ni son héritage , pourquoi
nous épargneroit-il , si nous imitons
Jerusalem & l'ancien peuple , dans sa
rebellion & dans ses crimes ? Sur tout
puis que nous voions que l'embrasement
est allumé en Sion, & que nous découvrons
visiblement les approches de ses
flames devorantes. Quelle assurance
pouvons-nous avoir , que nous n'en serons
pas consumez , & que Dieu nous
garantira des jugemens dont il visite les
autres , pendant que nous continuerons
à vivre dans les mêmes pechez , qui les
ont attirez sur eux , en continuant, dis-
je, dans les mêmes vices, on doit s'attendre
à la même punition que l'on ne sauroit
échapper. Et quand même vous
seriez un anneau en la main droite de
Dieu, comme dit Jeremie, vous serez arrachés.
Vous aurez beau crier le Temple,
le Temple,le Temple de l'Eternel, cõme
faisoient les Juifs , vous aurez beau reclamer
non seulement la Loi & ses privileges,
mais aussi l'Evangile & ses avantages ,
vous aurez beau alleguer la réformation,
la pureté de la doctrine , &
la sainteté du culte , c'est ce qui aggravera
vôtre condamnation , & sera la
coignée qui vous retranchera par la racine;
sur quoi donc & sur qui,je vous prie,
fondons nous l'esperance de nôtre conservation
dans ces tems malheureux &
déplorables? Sur quoi dis-je ? est-ce sur
nos forces , sur la prudence de nos
conseils , sur la finesse de nôtre politique ,
sur nos vertus , sur nos merites ?
Mais tout cela n'est que chimere , tout
cela n'est que mensonge , tout cela n'est
que neant. Sur qui aussi , est ce sur les
hommes , & sur leur secours, sur la bonne
foi des Alliés , sur leurs promesses,
sur leur engagement? Mais les hommes
sont la foiblesse même, & leur secours
n'est que vanité , leur bonne foi qu'infidelité ,
leur promesse que fausseté , &
leur engagement que tromperie ; &
[quand]
quand cela ne seroit pas, aiant le soufle
dans leurs narines , il ne leur appartient
pas de délivrer : C'est donc sur Dieu
même , que nous fondons cette esperance ,
sur Dieu , dis-je, qui a été jusques
ici nôtre Protecteur & nôtre protection,
nôtre Soleil & nôtre bouclier ; Mais
pourquoi le provoquons nous par nos
crimes à retirer sa protection de dessus
nous , & pourquoi l'obligeons-nous par
nôtre ingratitude , & par nôtre rebellion
à devenir nôtre ennemi , & à nous livrer
en proie à ceux qui en veulent à
nôtre liberté & à nôtre religion. Quelle
assurance,encore une fois, pourrions nous
avoir , & quel sujet n'avons-nous pas
plûtôt de tout craindre, puis que le Juge
est à la porte , & qu'il nous crie comme
à l'Eglise d'Ephese ; souviens toi d'où
tu es déchu , & te repens , & fai les
premiéres œuvres , autrement je viendrai
bien-tôt à toit & j'ôterai ton chandelier
de son lieu , si tu ne te repens , si
vous ne vous amandez, vous perirez , dit
l'Ecriture. Pensons donc à nous , il ne
faut plus se flater , on ne l'a que trop fait;
il ne faut, dis-je, plus se flater , le tems
presse , la main de Dieu est levée, le nuage
s'obscurcit,l'éclair brille , le tonnerre
gronde , & la foudre est prête à être
lancée sur nous , & la tempête à tomber
& à nous accabler. Il faut se resoudre
ou à s'amander ou à perir; A
s'amander dis-je , ou à perir, comme
ceux qui au lieu de le faire endurcissent
leur cœur à la voix de Dieu. Aujourdhui
donc que nous oions sa voix, n'endurcissons
point nos cœurs ; à s'amander
encore une fois ou à perir sans resource ;
Car enfin lors que Dieu est une fois
venu en jugement contre un peuple , &
qu'il a commencé à frapper , il redouble
toûjours ses coups , & ajoûte plaie
sur plaie , jusqu'à ce qu'il se soit entierement
amandé, ou qu'il l'ait entierement
détruit. Plus la patience de Dieu est
grande , plus elle supporte long-tems un
peuple & une Eglise , plus elle attend
les pecheurs à repentance , plus aussi est
elle sévére,& plus frappe-t-elle de rudes
coups , lors qu'elle est une fois irritée &
poussée à bout par l'ingratitude & par
l'impenitence. Dieu recompense toûjours
la lenteur de ses jugemens par leur
sévérité. Plus ses canons marchent lentement ,
plus ils se déchargent furieusement
[ment]
dès qu'ils sont arrivés. Il a enfin
des pieds de laine & de plomb pour venir
en jugement, pour venir à la vengeance,
mais il a des bras de fer , pour fraper &
briser impitoiablement ; Plus dis-je , les
jugemens de Dieu sont lents , plus ils
ont tardé à venir , & plus ils sont sévéres
& terribles , étans une fois venus. Ne
craignons-nous point que cette petite
nuée , qui se forme & qui nous fait déja
trembler ne se grossisse davantage , comme
celle d'Elie , qu'elle n'aille toûjours
en croissant & s'augmentant jusqu'à ce
qu'elle ait couvert tout nôtre horison de
tenebres. Ne craignons nous point que
ce grand calme , dont nous jouïssons
dépuis long-tems , ne soit semblable à
ce silence , dont il est parlé au
chap. 8.
de l'Apocalipse ; qui fut suivi du son de
la premiére trompette , d'une grêle épouvantable ,
mêlée de feu & de sang. Les
Naturalistes nous disent , que Dieu a
comme une espece de complaisance , &
de bonté particuliere pour de certains
oiseaux , que l'on nomme des Alcions,
en sorte qu'il tient la mer calme l'espace
de 18. jours ou environ, pour leur donner
le tems de pondre leurs œufs,& d'éclorre
leurs petits sur le rivage. Le méme Dieu
& Pere par une grace & une bonté extraordinaire ,
entretient en nôtre faveur
dépuis près d'un siecle , le calme dans
nos contrées , pour nous donner le tems
de faire du fruit convenable à la repentance.
Mais si nous tardons plus longtems
à le faire , il est à craindre que ce
long calme , ne nous soit bien funeste.
Il est, dis-je, à craindre , que ce long
support dont Dieu nous favorise , ne soit
suivi d'un terrible jugement , si on ne le
détourne par une repentance & un
amandement extraordinaire. Il y a, comme
j'ai dit , près d'un siecle , que nous
jouïssons d'une profonde paix dans ces
contrées , ce qui n'est pas d'un trop bon
présage , puis que par là nous avons passé
le terme de la plus longue paix , que
Dieu eût accordée à son ancien peuple,
au tems des Juges , & ainsi nous avons
à apprehender un funeste revers, à moins
que Dieu par une bonté particuliere, ne
fasse en nôtre faveur une exception aux
régles de sa conduite , & il n'y a qu'une
entiere & totale reformation de nos
mœurs , & de nôtre vie , qui puisse l'obliger
à cela. C'est donc ici où nôtre
[devoir]
devoir & nôtre interêt se trouvent mêlés
ensemble d'une façon toute particuliére,
& qui les rend du tout inséparables. Je
dis nôtre devoir , qui est de nous amander ,
mais de nous amander de la bonne
sorte , puis que Dieu nous y appelle par
la voix de ses terribles jugemens , qui
se promenent sur la terre , & qui sont
comme la ronde autour de nous. Je
dis aussi nôtre interêt , parce qu'autrement
nôtre ruïne est infaillible , n'y aiant
point d'autre moien de prevenir les jugemens
de Dieu , & le porter à prolonger
le terme de nôtre paix, & ne l'obliger
pas à proférer cette terrible sentence ,
qui est chez le
Prophete Amos,
je ne lui en passerai plus . Dieu enfin,
mes Freres , nous traitte dépuis longtems
comme le figuier de l'Evangile , il
nous épargne dans sa misericorde , il
nous attend en patience ; il nous cultive
par le ministére de sa Parole, il fait découler
sur nous la rosée de sa grace &
de sa benediction ; Mais si bien-tôt nous
ne portons des fruits convenables à la repentance ,
il nous retranchera jusques à
la racine , & nous jettera dans le feu qui
ne s'éteint jamais.
[Pre-]
Prenons garde sur tout , fideles , de
ne nous roidir par contre la coignée
du Seigneur , s'il lui arrive jamais de
nous en faire sentir quelque coup,
par quelque châtiment qu'il nous envoie ;
mais s'il nous entame au dehors
par l'afliction , laissons nous entamer au
dedans par la contrition. Dirai-je cependant,
à la confusion de plusieurs, que
ce qui n'étoit qu'une réverie dans l'esprit
de quelques Philosophes anciens, est devenu
une verité dans le Christianisme.
Ces Philosophes dans la pensée , qu'ils
avoient,que tous les arbres étoient sensibles
& animés , ne rendoient point d'autre
raison , pourquoi le premier coup
de hache , que reçoit un arbre, entre toujours
beaucoup plus avant , que ceux qui
lui sont donnés après? sinon que ce même
arbre se trouve surpris la premiére
fois qu'il est entamé , & qu'ensuite venant
à se reconnoître , il se reserre & se
roidit contre les secondes atteintes. N'est
ce pas là, je vous prie , la maxime de
la plus-part des arbres Chrétiens : lors
que le Seigneur vient à les frapper de sa
coignée par quelque affliction dont il les
châtie , ils cedent au premier coup qu'ils
[en]
en reçoivent , & le laissent quelquefois
entamer un peu avant par la crainte qui
les surprend ; mais ils se roidissent aussitôt
contre les autres coups , par l'endurcissement
de leur cœur & par leur impenitence.
Cependant, comme l'arbre de
la nature a beau se roidir contre la coignée ,
& résister aux coups de celle-ci,
il faut toujours qu'il y succombe ; aussi
l'arbre de la grace a beau faire la même
chose au regard de la coignée du Seigneur ,
& y apporter encore mille fois
plus de resistance ; comme cette coignée
est infiniment plus forte, & plus penetrante
que l'autre , il faut necessairement
que cet arbre tombe à la fin, & qu'il souffre
une coupure infiniment plus exacte
& plus rigoureuse que celle-là. Et au
lieu que les hommes emploient plusieurs
coups de hache , pour couper un arbre
par le pied & le faire tomber ; la main
de Dieu peut abbatre d'un seul coup de
sa coignée, plusieurs arbres tout à la fois,
& les perdre sans resource. Et c'est là
une terrible coupure, quand un arbre
criminel , je veux dire , un homme vicieux
& méchant, est subitement retranché
de ce monde , & accablé du jugement
[ment]
de Dieu , & envoié aux flames
éternelles. Craignons donc, mais craignons
de la bonne sorte , un Dieu Tout-
puissant & fortement irrité, qui a une si
forte & si redoutable coignée , dans la
main ; Mais, que dis-je, une coignée,c'est
trop peu pour un Dieu aussi puissant , &
pour un Maître aussi sévére que lui. Il
en a bien davantage, il en a des millions
pour nous détruire , & il peut faire de
toutes ses créatures les instrumens de
nôtre perte. Dieu, dis-je, peut mettre, &
il met en éfet cette coignée en diverses
mains , pour punir les ingrats & les rebelles.
Quelquefois il la met dans la
main des Anges , quelquefois dans celle
des Demons , & quelquefois dans
celle des hommes meme , qui sont presque
aussi cruels & aussi impitoiables que
les Demons , quand ils servent d'instrument
à la colere & à la veangeance divine.
En éfet si vous étes surpris des ravages
qu'a fait cette coignée de Dieu, par
la main de l'Ange destructeur , soit en
Egypte , où elle donne la mort à tous
les premiers-nés du païs , soit dans le
Camp de Sennacherib , où elle défait
185. mille hommes en une seule nuit. Si
[vous]
vous vous étonnez du dégat qu'a fait
cette même coignée par la main du Demon
à l'égard de Job & de sa famille ;
faites reflexion , je vous prie , sur les
terribles & funestes executions qu'elle
fait par la main des hommes , sur tout
par celle des Princes, lors que Dieu
les arme les uns contre les autres pour
le châtiment des peuples , & particuliérement,
lors qu'il les arme contre son
Eglise. Vous en avez un exemple tout
recent , qui ne mourra jamais dans la
memoire des hommes.
Dieu cependant , Mes Freres , avant
que d'en venir à cette extremité de couper
& de retrancher les peuples & les
Eglises par ses jugemens , tient longtems
la main suspenduë, & la hache levée ,
& même il plante celle-ci au pied
de l'arbre avant que de la lever & de
lâcher les derniers éfets de sa colere.
Ainsi quand Noé bâtissoit l'Arche avant
le déluge , il ne faut pas doute que les
profanes dont le monde étoit alors rempli ,
aussi bien qu'aujourdhui, ne se moquassent
de lui comme d'un insensé,
qui bâtissoit un grand coffre de bois sur le
sommet d'une montagne de peur d'être
[noié]
Neantmoins cette arche étoit une
coignée plantée au pied de l'arbre , &
une dénonciation prochaine des jugemens
de Dieu ; ainsi encore quand Jonas
prédisoit à ceux de Ninive, que dans
quarante Jours cette grande ville seroit
renversée , cette prédiction étoit une
coignée que Dieu levoit sur elle , &
qu'il ne lâcha cependant pas, à cause que
ce peuple se repentit. Ainsi de plus,
quand Jesus-Christ disoit aux Juifs
Matth.
21. le Roiaume de Dieu vous sera ôté ,
& qu'il pleuroit sur Jerusalem , prédisant
sa ruïne , c'étoit encore une coignée que
Dieu plantoit au pied de cet arbre , &
une prédiction de la coupure dont il est
parlé dans nôtre texte. Sur tout lors
qu'à la mort de Jesus-Christ les noires
tenebres couvrirent la Judée , pendant
que le païs d'alentour jouïssoit de la clarté
du Soleil , Dieu préavertissoit par là
que des tenebres d'une épaisse ignorance
couvriroit bien-tôt la nation des Juifs,
pendant que les autres peuples seroient
éclairés de la lumiére de l'Evangile.
L'histoire Judaïque nous apprend qu'environ
trente-huit ans après la mort de
Jesus-Christ, les portes du Temple de
[Je-]
Jerusalem , qui ne pouvoient s'ouvrir
qu'à grand'peine & à l'aide d'une multitude
d'hommes qui les poussoient avec
l'épaule , s'ouvrirent d'elles-mêmes à
minuit, & qu'une voix sortit du Temple,
disant , sortons d'ici ; toutes ces choses
étoient autant de coignées que Dieu levoit
pour retrancher & détruire ce peuple,
qui avoit rejetté son alliance. C'est
ainsi, mes Freres , que Dieu a planté sa
coignée au pied de l'arbre à nôtre égard,
par l'exemple de tant d'Eglises coupées
& renversées , qu'il nous met devant les
yeux. Et pour parler non seulement
d'un troupeau & d'un peuple entier, mais
aussi de châque particulier , autant qu'un
homme impie & profane voit d'exemples
des jugemens de Dieu, dans les autres, &
autant qu'il lui arrive de revers & de facheux
accidens à lui-même , soit dans
son corps , soit dans ses biens , soit dans
sa fortune , ce sont autant de coignées
que Dieu prépare à sa perte, & autant
d'acheminemens qui le conduisent à
sa ruine.
Prenons donc , mes freres, en general
& en particulier, les coups de la colere
de Dieu , & allons au devant des
[maux]
maux dont il nous menace , en prenant
le sac & le cendre d'une serieuse repentance
& d'une profonde humilité. Gardons-
nous bien de lever la tête comme
ces grands arbres steriles , qui ne servent
qu'à la pompe & à l'apparence ; car nous
ne manquerions pas d'être abbatus honteusement,
& sévérement par le tranchant
de cette coignée : Mais courbons
nous devant nôtre Dieu & nôtre Souverain
Maître , comme des arbres chargez
& accablés , non pas de fruit dont
nous sommes vuides , mais de honte &
de confusion pour nôtre sterilité & pour
nôtre mauvais regard. Abbatons-nous à
ses pieds, afin qu'il ne nous abatte pas. Jugeons-
nous nous-mêmes& nous coupons
avec le fer d'une sainte douleur, & d'une
sévére mortification , afin qu'il ne
nous juge pas lui-même , & ne nous
coupe pas de son impitoiable coignée.
Coupons cette cime de nôtre ambition,
de nôtre luxe & de nôtre vanité. Jettons
à terre ces branches seches de nôtre
avarice , de nôtre dureté pour les
pauvres & de nôtre froideur pour le
service de Dieu. Mettons bas ces branches
pourries de nos débauches, de nos
[plaisirs]
plaisirs infames & de nos sales voluptés.
Retranchons enfin ces malheureuses
racines , qui nous tiennent attachés
au monde , à la terre, à la chair & au
peché, & par où nous en tirons tout le
venin, afin que ce grand Dieu ne vienne
pas à nous couper par le tronc &
par le pied , & à nous retrancher de
cette bien-heureuse racine de son aliance ,
& de sa communion ; ce retranchement
étant le plus funeste de tous est
celui que Saint Jean Baptiste , a particuliérement
dessein de nous faire apprehender.
Craignons donc d'être coupés & retranchés
par le Seigneur , & craignons
d'être jettés dans le feu de son jugement,
& de sa vengeance ; si, dis-je, cette premiére
menace , la coignée est déja mise
à la racine des arbres , n'est pas capable
de nous donner de la terreur ;
tremblons du moins à la deuziéme. Tout
arbre qui ne fait pas de bon fruit s'en
va être coupé , puis qu'elle est universelle,
& que l'experience en a déja justifié
& justifie encore tous les jours la
verité ; elle l'a déja justifié dans ces arbres
domestiques & naturels, je veux dire
les Juifs , que Dieu avoit cultivés
avec tant de soin & d'exactitude , & qui
n'aiant pas répondu à une culture si pleine
& si achevée , ne sont plus maintenant
que de miserables branches coupées
éparpillées dans tous les endroits du monde ,
& foulées sous les pieds des hommes.
Qui n'adorera, dis-je, le juste jugement
de Dieu sur cette nation si favorisée
du Ciel , laquelle dépuis plus de 16.
siecles a toûjours été dans la captivité
& dans la dispersion, sans Rois, sans Loix,
sans Prophetes, sans Temple, sans Autel,
sans forme de gouvernement. Aprés
un si terrible exemple de la vengeance
de Dieu , sur ces arbres naturels & domestiques ;
Nous qui sommes des arbres
sauvages de nôtre nature , ne devons
pas attendre un traittement plus doux, si
nous venons à imiter leur ingratitude.
C'est l'avertissement charitable que Saint
Paul nous donne au
chap. 11. de sa Lettre
aux Romains,
si Dieu dit-il n'a point épargné
les branches naturelles ; garde qu'il ne
t'épargne point aussi; regarde donc la benignité,
& la sévérité de Dieu , savoir sa sevérité
sur ceux qui sont trebuchés , & la benignité
envers toi, si tu perseveres en sa benignité,
[ au- ]
autrement tu seras aussi coupé . Chaque
Chrétien , chacun de nous est ce figuier,
est cét arbre , planté dans la vigne de
Dieu ; qui est l'Eglise , & planté de la
main de Dieu , il sembleroit qu'après un
si grand bonheur , il n'y auroit rien à
craindre. Cependant c'est une chose
bien terrible qu'après avoir été ainsi
planté dans la terre de Dieu, enté de
la mains de Dieu & cultivé de la main de
Dieu , il menace de couper cet arbre &
de l'arracher d'une terre si sainte par un
malheur que l'on peut appeller infini ;
puis qu'il est la privation d'un bien infini,
qu'il menace , dis-je, de le couper , de
l'arracher & de le jetter au feu , c. d.
d'en faire l'objet de sa plus sévére vengeance
& de son plus terrible jugement.
Ce qui nous doit rendre attentifs à bien
considerer en ce point, la conduite si juste
& en même tems si étonnante de
Dieu , sur ces arbres mystiques de la
grace , dont nous composons le nombre ,
& à bien reconnoître tout ce qui
peut causer un si grand mal , afin de le
prévenir après l'avoir connu. Comme,
dis-je , Dieu nous a rendus ses arbres
vivans qu'il a planté dans le Paradis
de son Eglise , il demande aussi que
nous portions du fruit. C'est pourquoi,
il est dit dans l'Evangile; qu'il vint chercher
du fruit dans cet arbre , & qu'il
n'en trouva point. C'est ce qui nous
doit faire apprehender le jugement
de Dieu , qui nous voit tels que nous
sommes, & qui peut-être ne trouve en
nous aucun fruit solide & veritable , lorsque
nous ne nous mettons point en peine
de nôtre état , & que nous prenons
en nous des feuilles pour des fruits c. d.
des paroles ou des pensées steriles , pour
des actions & pour une pleine volonté;
Dieu, dis-je, qui le Juge & de l'arbre
& du fruit , aiant planté cet arbre , &
l'aiant cultivé pour lui faire produire du
fruit, veut que ce fruit soit proportionné
à la culture qu'il lui a donnée, pour lui
être agréable & avoir son approbation &
sa recompense gratuite , il ne demande
pas seulement qu'il soit bon en general,
mais qu'il soit bon, selon les graces & les
faveurs qu'il a faites à l'ame qui le doit
porter , comme nous avons vû.
Il est dit dans l'Evangile , qu'il y avoit
déja trois ans , que Dieu attendoit du
fruit du figuier , Helas ! combien y en
[a-t-il]
a-t-il qu'il a souffert , & qu'il souffre encore
long-tems , qu'il a souffert & qu'il
souffre non seulement des trois & des
quatre ans , mais des dix , des vingt
& des cinquante ans & davantage. Nous
voions cependant que Dieu a des bornes
dans sa patience , & qu'il met un terme
après lequel il laisse agir sa Justice , si on
n'a le soin de le prévenir ; il paroit
même par là que Dieu conte les années
qu'il y a que nous sommes à son service,
& nous souvent , nous ne les contons
point , que dis-je ; souvent , nous ne les
contons presque jamais , nous ne nous
en servons point , comme d'un motif
pour reparer le tems perdu , & pour
nous exciter à mieux faire à l'avenir.Nous
ne craignons point qu'il dise de nous,
pourquoi cet arbre infructueux occupe-t-
il inutilement la terre , pourquoi, dis-je,
cette ame sterile & ingrate,qui ne s'applique
à aucune action de pieté & de charité
solide , occupe-t-elle inutilement la
terre de mon Eglise en croiant l'orner
de quelques feuilles dont elle se pare &
sur lesquelles elle s'appuie. Celui, selon
Saint Gregoire Pape, occupe inutilement
la terre, qui ne remplit pas la place qu'il
tient, par de bonnes œuvres qui y soient
proportionnées ; Ainsi, pour ne point occuper
la terre inutilement , il faut faire
de bonnes œuvres convenablement à la
place que nous occupons par la grace de
Dieu , chacun selon sa vocation & le
rang qu'il tient dans le monde.
Aprenons donc bien ici , qu'il suffit à
un Chretien pour se perdre , de ne point
porter de fruit , ou de n'en porter que
peut & imparfaitement , & non d'une maniére
proportionnée aux graces qu'on
a reçües de Dieu ; la seule sterilité &
inutilité est criminelle dans le Christianisme ,
où tout Chrêtien a été planté.
comme un bon arbre pour porter d'excellens
fruits. C'est ce qui le distingue
des gens du monde , qui selon que Saint
Paul dit des Païens , ne portent , ou ne
font que des œuvres infructueuses. Il
faut donc bien prendre garde à ceci, de
peur que nous trompans en un point si
important , nous ne soions mis au rang
des arbres , que l'on coupe & que l'on
jette au feu , parce qu'ils n'ont point de
bon fruit ; Au contraire si nos ames ne
sont point steriles , mais vraiement fecondes ,
& que Dieu y trouve du fruit,
[quand]
quand il viendra en chercher , il benira
l'arbre , & le fruit étant à son gout,
& étant solide demeurera éternellement
selon la Parole de Jesus-Christ
Jean 15.
Mais s'il y a à craindre pour des arbres,
qui,comme le figuier de l'Evangile,
occupent inutilement la terre , s'il y a
à craindre pour ces arbres steriles , qui,
comme la femelle du cyprès ne produisent
rien ; s'il y a encore à craindre pour
ceux, qui, comme le mâle de cet arbre,
produisent une infinité de fruits , mais
ce ne sont que des fruits inutiles ; S'il y
a enfin à craindre pour ceux qui ne font
pas de bon fruit , que ne doivent point
craindre ceux qui n'en produisent que de
mauvais. Ils auront les uns & les autres
le sort de ces arbres qu'ils auront imité,
le cyprès étant coupé ne renait plus.
C'est pourquoi il étoit autrefois emploié
dans les funerailles , à border les tombeaux ,
& à marquer les maisons où il y
avoit des morts : De même ces arbres
inutiles, ces pommiers de Sodome, qui
ne produisent que du fruit d'une belle
montre ; & d'une belle apparence au déhors :
mais qui ne contient que de la
cendre & de la pourriture au dedans ;
ces arbres , dis-je , qui ne servent qu'à
empêcher la terre, de leur ombre, comme
le figuier de l'Evangile,seront coupés
& arrachés , mais on ne verra pas renaitre
le moindre rejetton après leur
coupure ; & si Dieu les releve au dernier
jour par sa toute-puissance, ce ne
sera que pour les précipiter d'une plus
lourde chûte dans le feu éternel. Mais
si ce traittement est destiné à des arbres,
qui ne produisent point de fruit , ou qui
n'en produisent que d'inutile ; que restera-
t-il pour ces arbres abominables , qui
n'ont jamais produit & ne produisent que
des fruits conformes à leur nature , par
lesquels ils corrompent la societé des
hommes , & ternissent entierement la
gloire de Dieu:fruits de blasphêmes,fruits
de scandale, fruits d'orgueil, fruits d'envie,
fruits de meurtre, fruits de paillardise,
fruits d'adultere, fruits d'yvrognerie,
fruits d'avarice , fruit de rapine , fruits
de médisance , fruits enfin gâtés & corrompus
de toutes les maniéres imaginables.
Ne doutez point , Fideles , que l'atrocité
des tourmens éternels ne soit redoublée
pour ces malheureux. Ils seront,
ils seront coupez avec mille fois
[plus]
plus de rigueur & de sévérité que les
autres ; & ils brûleront éternellement
dans un feu mille fois plus ardent , &
dans des flammes mille fois plus cuisantes
qu'eux.
Craignons donc , d'être coupés &
retranchés par le Seigneur, & craignons
d'être jettés dans le feu de sa colere &
de son jugement , que ce feu ardent que
sa justice a allumé, pour brûler ces mauvais
arbres & pour les reduire en cendre,
soit capable par un éfet opposé,de glacer
nôtre cœur, de crainte & de tremblement.
C'est déja beaucoup que d'être
coupé par le tranchant d'une coignée
divine : Mais j'ose dire que ce n'est presque
rien au prix d'être jetté dans un feu,
dont le soufle d'un Dieu a excité les flames.
Vous entendez bien de quel feu
je parle. S'il n'y avoit que le premier, ce
méchant arbre en seroit quitte , pour
être arraché de la terre où Dieu l'a planté ,
pour être séparé de la communion
de ce dernier , pour être privé des influances
de sa grace ; & pour perdre enfin
l'être qu'il lui a donné. Tout cela
dit à la verité , une fort grande perte
pour celui qui la souffre. Mais être
[jetté]
jetté dans le feu que Dieu a préparé aux
méchans , dit encore outre toutes ces
choses , excepté la derniére , des souffrances
positives & extremes , & pour le
corps & pour l'ame dans toute une éternité.
Si ce feu éternel détruisoit & consumoit
en brulant , comme fait le feu ordinaire,
ces arbres malheureux qui y seront
jettés , auroient du moins cette
miserable consolation , de trouver après
plusieurs siecles , la fin de leurs maux
dans celle de leur être. Mais bien loin
de détruire & de consumer la matiére de
ses flames, il la r'anime , il la fortifie , il
la conserve dans son être, afin de l'affliger
toûjours plus cruellement ; & s'il
m'est permis d'avancer ici quelque chose
de surprenant , je dirai que ce feu par
une vertu étrange & tout à fait inconcevable
produit en même tems des éfets
opposés: car il détruit & il conserve , il
perd & il rétablit ; il consume & il fortifie ;
il fait mourir & il r'anime ; il aneantit
& il redonne l'être : Et dans cette
prodigieuse vicissitude de destruction &
de conservation , de perte & de rétablissement ,
de consomption & de force,
de mort & de vie,d'annihilation & d'être,
[il]
il afflige , il tourmente , il devore
joûjours constamment & impitoiablement.
Que l'idée de ce même feu , qui,
faisoit autrefois trembler Saint Augustin,
soit donc toûjours présente à nôtre Esprit,
afin de nous empêcher de commettre
des actions, qui nous exposent au malheur
de ceux qui y seront jettés ; &
de nous porter à en faire d'autres qui
nous éloignent entierement. Mais
le meilleur secret & le moien le plus assuré
pour éviter ce malheur dont la seule
pensée & la seule crainte peut faire
un grand supplice ; c'est de cesser d'être
des arbres steriles & infructueux, pour
devenir des arbres fertiles & fructueux,
c'est de cesser de faire de mauvais fruit,
pour n'en produire desormais que de bon,
& le produire en tout tems & en toute
saison, le produire constamment & perseveramment ,
en imitant à cet égard de
certains arbres de l'Egypte, dont un Historien
nous parle, sur lesquels on voit
toûjours en même tems, & du fruit meur
& du fruit prêt à meurir, & du fruit naissant,
de sorte que l'on y peut remarquer
& admirer tout à la fois, comme trois
saisons de l'année , l'Automne , l'Eté &
[le]
le Printems , qui semblent y être confondus.
Mais pourquoi aller chercher
des exemples en des païs étrangers &
éloignés ; puis que nous avons dans le
nôtre de petits arbrisseaux, qui nous font
la même leçon , encore que nous n'y
prenions pas garde. Ce n'est pas, dis-je,
assez de produire de bon fruit , il faut en
produire toûjours , comme on le voit
par ce qui est dit du figuier dans l'Evangile ,
il portoit de bon fruit , mais il n'en
portoit pas toûjours; & le Fils de Dieu
dit d'un tel arbre, cette terrible parole,
pourquoi occupe-t-il inutilement la terre.
Outre le fruit qu'il faut porter toûjours
& en tout tems, il en faut encore porter
autant qu'il est necessaire , pour corriger
nôtre vie passée , selon la parole de
Saint Jean Baptiste , faites des fruits convenables
à la répentance . En disant des
fruits de repentance , il marque sans
doute de bons fruits , n'y aiant point
de vraie repentance sans foi & sans
amour de Dieu. Mais en disant des
fruits convenables à la repentance , il
veut qu'il y ait une proportion entre la
repentance & les pechés. C'est-pourquoi
Saint Basile ne craint pas de
[dire]
dire que celui qui a tué un homme,doit
trouver un martyr dans la repentance,
afin que comme il a ôté la vie à un autre,
il se l'ôte en quelque sorte à lui-même.
Il ne faut pas seulement, que ce fruit soit
proportionné , mais encore qu'il croisse
toûjours,selon qu'il est parlé dans l'Evangile
Marc 4. d'un fruit qui croissoit toûjours.
La semence Divine croit & monte
toûjours. Il faut toûjours avancer dans
la pieté & dans la sanctification , il faut
que la charité prenne toûjours de nouveaux
accroissemens dans nôtre ame. Il
nous est tres-important de penser à ceci,
car en n'avançant point, nous reculerons,
& les mêmes fruits, qui étant venus à
leur parfaite maturité , auroient été
cueillis comme tres-bons : pour être demeurés
verts , & n'avoir point continué
à profiter, seront rejettés, ausi-bien que
ceux qui seroient gâtés. Mais si vous
voulez vraiement faire de bon fruit, aiez
soin avant toutes choses d'être un bon
arbre , & d'avoir en vous la racine du
vrai bien , qui est l'amour de Dieu dominant
dans vôtre cœur , sans quoi
vous ne pouvez, ni être un bon arbre, ni
produire de bon fruit. Et s'imaginer
[cela] cela, ce seroit être aussi simple qu'un
homme, qui planteroit seulement des bâtons
sans racine , & qu'il s'imagineroit
qu'il en viendroit de bons arbres, qui lui
rapporteroient de bons fruits. Vous
voulez porter de bon fruit , & neanmoins
vous voulez demeurer un mauvais
arbre , Dieu demande le cœur , & c'est
le cœur neanmoins que vous ne voulez
point lui donner. Pensez vous faire de
bonnes œuvres,qui naissent de l'amour de
Dieu, sans étouffer dans vous cette racine
corrompuë qui est l'amour de vous mêmes.
Souvenons-nous au reste, que pour
être de bons arbres, il faut avoir, non
l'apparence & le vuide , mais la realité
& la solidité de la vertu , & qu'il faut
porter, non des fleurs & des feuilles d'hypocrisie ,
mais du fruit de sincerité & de
verité. Il ne suffit pas,dis-je, d'avoir seulement
des feuilles , c. d. des paroles ;
mais il faut des fruits, c. d. des actions,
& il faut produire ces fruits pour Dieu
selon l'exhortation de Saint Paul
Rom. 7. de même qu'il les faut produire par lui
c.d. par son Esprit,afin d'être des fruits de
Dieu , & non pas des fruits de l'homme,
comme sont ceux que l'homme produit
[par]
par son propre Esprit. Il n'y a point de
bons fruits,selon S.Augustin,que ceux qui
ont la charité pour racine , les autres ne
sont pas des fruits de vie, mais des fruits
de mort, comme dit Saint Paul, dont la
vanité a été la source, & nôtre amour
propre , le veritable principe. Ce n'est
donc point par les feuilles , ni par
un bel exterieur , que nous devons
juger de nous-mêmes , mais par
la bonté du fruit ; encore pourroit-on
dire que ce n'est pas même toûjours par
le fruit , qu'il faudroit juger de l'arbre,
mais par la racine , puis que c'est proprement
elle qui rend l'arbre bon. Rien
n'est bon, quoi qu'il le paroisse, s'il ne sort
d'une bonne racine , & rien n'est mauvais ,
quoi qu'il le paroisse, lors qu'il sort
d'un bon principe. Le fruit que le Seigneur
nous demande , comme à de bons
arbres , c'est, comme nous avons dit, le
solide de la pieté & de la vertu, qui se
doit trouver en chacun selon sa vocation
& l'état où Dieu l'a mis. Il y a des arbres
qui portent une quantité de belles
fleurs , mais qui ne rapportent point
de fruit, tels sont ceux qui ont une belle apparence
devant les hommes , mais qui
[n'ont]
n'ont pas le cœur droit devant Dieu.
Au contraire il y a d'autres arbres qui
ne portent point de fleurs , mais dont le
fruit est excellent , comme le figuier tel
est l'homme , tel est le Chrêtien qui fait
du bien sans le dire , qui ne cherche
point d'être regardé des hommes , mais
d'être approuvé de Dieu. Enfin si le
plus grand avantage des arbres de la nature
consiste dans leur fruit, je dis dans
la bonté & dans l'excellence de leurs
fruits , c'est aussi là le grand & singulier
avantage de ces arbres de la grace. Ha !
que le verger du Seigneur seroit agréable
à ses yeux, s'il n'étoit planté que de bons
arbres;Ha! qu'il s'y promeneroit souvent
en sa benediction,ha! qu'il feroit pleuvoir
sur lui de graces & de faveurs. On lui
verroit bien-tôt jetter à terre cette coignée,
on la lui verroit bien-tôt briser sous
ses pieds , on lui verroit bien-tôt éteindre
le feu de sa colere , & changer sa
rigueur en des caresses éternelles. Ainsi,
Chrétiens , pour finir cette action , il
est tems qu'après vous avoir éfraiés ,
nous vous rassurions, en vous faisant entendre ,
que si ces paroles de Saint Jean
Baptiste nous donnent de la terreur d'un
[côté]
côté, elles nous relevent aussi de l'autre,
& font nôtre consolation & nôtre joie,
aussi bien que nôtre crainte & nôtre abbattement.
Car enfin s'il est vrai que
la coignée soit mise à la racine des arbres ,
ne savez-vous pas que cette coignée
est dans la main de nôtre Pere, qui
n'a que de la douceur , de la patience,
& de l'amour pour nous, & qui dans sa
plus grande colere, se souvient toûjours
de faire misericorde , nous n'avons qu'à
ne nous rendre pas indignes de sa bonté
& de sa patience par nôtre ingratitude:
mais à y répondre par une sainte & humble
reconnoissance. Nous n'avons qu'à
mettre bas les armes avec quoi nous lui
avons fait la guerre jusques ici, & il mettra
aussi bas de son côté celles avec quoi
il menace de nous attaquer. Nous lisons
au
2. Sam. 20. que Joab assiegeant la
ville d'Abel , une femme prudente lui
demanda,pourquoi il vouloit détruire une
Mére en Israël , c.d. une des villes capitales ,
& que Joab lui répondit, que son intention
n'étoit pas de détruire la ville,
mais qu'il vouloit seulement qu'on lui
livrât un homme rebelle qui étoit dans la
ville , lequel avoit levé la main contre
le Roi ; que cela étant fait, il se retireroit
& laisseroit la ville en paix. Quand Dieu
nous menace & nous presse par ses jugemens,
son intention n'est pas de nous
perdre , mais il veut que nous lui livrions
ce Sceba , c'est homme rebelle qui est
dans la ville , savoir nôtre propre cœur ,
qui leve la main contre Dieu par l'insolence
de ses passions. Ce Pere de
compassion ne nous abandonnera point,
si nous nous convertissons à lui de tout
nôtre cœur, & au lieu de nous détruire,
il nous conservera, au lieu de nous abbattre
il nous affermira, au lieu de nous retrancher
de son alliance, il nous y établira
plus fortement. Si nous sommes de
bons arbres , qui rapportions du fruit en
nôtre saison, cõme celui du Pseaume premier;
Dieu prendra plaisir en nous, il nous
cultivera de plus en plus par sa grace, il
nous arrosera de la pluie de son Ciel , &
versera sur nous les plus douces influances
de sa benediction & il nous environnera
de la haye de sa providence. Si nous
sommes comme la Palme qui se releve
sous le poids dont on la charge , si
nous sommes , dis-je, comme la Palme
par nôtre constance & par nôtre patience,
[ce]
il nous fera porter du fruit dans nôtre
vieillesse toute blanche , ainsi qu'il est
dit au
Pseaume 91. Et bien que nôtre
fruit ne soit pas parfait , & qu'il tienne
toûjours quelque chose de l'imperfection
du terroir & du naturel sauvage
de l'arbre , il ne laissera pas de le cueillir
& de l'avoir pour agreable , parce qu'il
aura égard à ce qu'il y a du sien en cette
rencontre & à ce que Jesus Christ à satisfait,
non seulement pour nos pechés, mais
aussi pour l'imperfection de nos bonnes
œuvres. Ainsi donc enfin , Mes Freres,
Dieu nous aiant planté dans son Eglise,
comme des arbres qu'il s'est consacré,
si nous sommes enracinés en la Foi, comme
dit S. Paul, aux
Coloss. chap. 3. & si
cette racine jette ses branches , qui sont
les vertus Chrétiennes , & si ces branches
sont chargées de fruits, qui sont les
bonnes œuvres. Que Satan , le Monde
& l'Antechrist suscitent tant qu'il leur
plaira des vents & des orages impetueux,
pour tâcher de nous renverser , ils pourront
bien nous dépouiller de nos feuilles
& de nôtre ornement exterieur, mais
ils ne pourront jamais nous déraciner,
parce que nôtre foi est fondée sur la Parole
& sur les promesses de Dieu , qui
ne peut mentir , & est un effet de
nôtre élection éternelle qui est immuable.
Joint que , comme Dieu a donné
des racines fortes aux arbres , qui sont
aux sommets des rochers , parce qu'ils
sont plus exposés aux vents , & sont plus
rudement battus des orages;aussi donne-
t-il une foi plus ferme à ceux de ses élus,
qu'il expose aux persecutions , & leur accorde
des forces selon la mesure de la
tentation qu'il leur envoie , pour la pouvoir
soutenir , & en avoir une heureuse
issuë. Etant donc des arbres de cette
nature, & avec tous ces avantages, bien
loin que Dieu nous coupe par un effet
de sa justice , comme ces arbres malheureux
qu'il a condamné aux flames éternelles ,
il nous fera fleurir ici-bas en sa
benediction, & quand nous viendrons à
tomber par la mort, nôtre chûte nous sera
salutaire, puis que nous ne tomberons que
pour être un jour relevés glorieusement,
afin de ne tomber plus jamais ; il nous
arrachera de la terre pour nous transplanter
dans le Ciel, où nous porterons
des fruits excellens, comme cet arbre de
vie, qui est planté au milieu du Paradis de
[Dieu,]
Dieu , qui sera nôtre modele & dont
nous ferons les copies. Nous tomberons ,
dis-je , non pour être precipités
dans l'enfer , & y brûler avec les demons,
és siecles des siecles dans le feu éternel;
mais pour être élevés dans le Ciel, & y
brûler éternellement avec les Anges,
dans les flames de l'amour de Dieu. C'est
alors, qu'étant au dessus de l'apprehension
d'être coupés & jettés au feu , parce
que nous serons en état de ne manquer
point à nôtre devoir ; nous verrons
couleur heureusement à nos pieds les ruisseaux
éternels de ses delices dont il
nous rafraichira sans fin. A lui, Pere ,
Fils & Saint Esprit, soit honneur , gloire
& louange és siecles des siecles, Amen.
FIN.