LA PRIERE
DE
St. ESTIENNE.
ACTES 7. Vers. 60
Puis s'étant mis à genoux, il s'écria à haute
voix, Seigneur ne leur impute point ce peché .
C'Etoit un terrible homme que
Lemec : le vray fils de Cain, un
digne heritier de sa cruauté. Il
étoit encore plus emporté que
son Pere. C'étoit une Béte farouche qui ne
respiroit que le sang & le carnage. Je tuerois
un homme, disoit il à ses femmes, pour
Gen. 4.
23.
une simple blessure, je le mettrois en piéces
pour la moindre contusion. Répandre le
sang humain pour une legere playe ; détruire
le chef d'œuvre du Toutpuissant pour le
moindre coup : quelle brutalité, quelle fureur.
Vit-on jamais personne de si violent ?
Peut-on pousser plus loin son ressentiment,
& outrer davantage la cruauté ?
Ho mes Freres, que le caractere
des enfans
Ibid. 6.
2.
de Dieu est different de celui
des fils des
hommes . Ils ne voudroient pas avoir fait
le moindre tort à leurs ennemis, pour vanger
les plus grands outrages ; bien loin de
prendre plaisir à laver dans leur sang la moindre
[dre]
I Pier. 2.
23.
insulte.
Quand on leur dit injure, ils n'en
rendent point. Ils remettent tous leurs intérêts
entre les mains de Dieu qui juge justement.
I Cor.
13.
Ils endurent tout, ils suportent tout.
Ils n'opposent qu'une douceur & une patience
invincible à toutes les persecutions
Ps. 44.
23
qu'on leur fait. Ils se laissent tous les jours
mener
comme des brebis à la tuerie sans ouvrir
la bouche. Ou s'ils l'ouvrent, c'est
pour interceder pour leurs boureaux, &
pour détourner de dessus leurs testes les jugemens
qu'ils y attirent par leur cruauté.
Car non contens de ne point faire de mal
à ceux qui les persecutent avec le plus
de violence, il n'y a rien qu'ils ne facent pour
les reconcilier aveque Dieu. Si leur sang
crie de la terre au Ciel, ils tâchent d'étouffer
sa voix par les prieres ardentes qu'ils font
Rom. 5.
20.
incessamment à Dieu à ce
qu'il face abonder
sa grace là où le peché abonde si cruellement.
Nous en avons un illustre exemple dans la
personne de St. Estienne le premier Martyr
de nôtre Seigneur, qui succombant sous
les traits de ses ennemis invoquoit le Seigneur
Jesus, & lui demandoit la grace de
ceux qui le lapidoient.
Seigneur s'ecria t-il à
haute voix après s'être mis à genoux, ne leur
impute point ce peché .
Il y a deux choses à considerer dans ces
paroles. La priere de ce saint homme qui demande
[de-]
grace pour ses ennemis. Seigneur,
lui dit-il, ne leur impute point ce peché . La
manière en laquelle il le fait, étant à genoux,
& criant à haute voix : ce qui montre le desir
ardent qu'il a d'être exaucé. Mais nous
nous attacherons particulierement à la
premiere, comme la plus importante ; & ce
sera, moyennant la grace de Dieu, & l'assistance
de son bon Esprit, le principal sujet de notre discours.
Le peché dont il demande l'abolition,
c'est celui que les Juifs commettoient en le
lapidant. Il ne s'agissoit pas de quelque legere
injure, qui le privât d'une partie des
douceurs, & des commoditez de la vie :
mais d'une horrible violence qui abregeoit
ses jours, & qui le faisoit descendre de la maniere
du monde la plus cruelle au tombeau.
Ils s'étoient jettés sur ce pauvre homme, qui
s'efforçoit de leur donner les lumiéres, &
les instructions necessaires au salut, comme
des Bêtes furieuses, & l'avoient accablé de
pierres. C'étoit un crime enorme, un
meurtre horriblement criant devant Dieu,
& devant les hommes. Car I. il n'est pas
permis de répandre le sang humain. On
doit ce respect à l'Eternel
qui a créé l'homme
Gen. 1.
27.
à son image , de ne point toucher à son ouvrage ;
& le moindre attentat de cette nature
est un sanglant outrage que l'on fait
[au]
au Createur, qui ne doit pas demeurer impuni.
Aussi voyons nous que Dieu étoit
fort rigoureux aux Meurtriers sous la Loi.
Il n'y avoit point de grace & de misericorde
pour eux. Il faloit que le Meurtrier expiât
dans son sang le crime qu'il avoit commis.
Le Seigneur étoit si severe sur cet article,
qu'un homme qui en avoit tué un autre
par malheur, & sans dessein, ne pouvoit
se mettre à couvert des recherches de la justice,
qu'en se retirant dans une des villes
de Refuge, que Dieu avoit établi en Israel
pour servir d'Asyle à ces malheureux.
Quand donc St. Etienne n'auroit point eu
d'autre qualité, que celle d'un homme formé
à l'image de Dieu, les Juifs auroient été
fort criminels de le massacrer. Mais combien
y avoit-il d'autres raisons qui le devoient
garantir de leurs coups ? C'étoit un
homme innocent qui n'avoit rien fait qui
fût digne de mort. Je sçay bien qu'on l'accusoit
d'être un blasphemateur insigne, qui
s'étoit attaqué à Dieu même, qui n'avoit
épargné ni son Temple, ni ses Loix, qui
avoit foulé aux pieds ce qu'il y avoit de plus
saint & de plus inviolable en Israël ; & que
l'on avoit aposté de faux Temoins pour le
persuader au peuple. Mais je sai bien aussy,
que s'il ne faut qu'être accusé pour être
coupable, il n'y a point d'homme au monde
[de]
qui puisse faire fonds sur son innocence.
Car où est celui qui se puisse dire à couvert
des traits de la calomnie ? Dequoi les hommes
ne sont ils point capables, quand ils se
laissent une fois emporter à l'iniquité, & à
la violence de leurs passions ? Ils font des
monstres odieux des plus excellens serviteurs
de Dieu. Temoin les Chrysostomes & les
Athanases qui ont succombé plus d'une fois
sous le poids de la calomnie. Le premier ne
s'en put jamais relever, tellement qu'il finit
tristement ses jours dans un douloureux
exil depouillé de ses Dignités. Ils n'épargnent
pas même
le saint & le juste , la Justice
Act. 3.
14.
& la Sainteté même. Avec quelle horrible
indignité ont ils traité le fils eternel
de Dieu ? Ne l'ont ils pas fait passer pour un
scelerat & un impie ? ne l'ont ils pas mis au
rang des iniques ?
Les vains prejugés des hommes charnels,
& les mauvaises pratiques qu'ils font tous les
jours pour perdre leurs ennemis, ne font
tort à un accusé que dans l'esprit de leurs
semblables. Ce sont des voiles épais qui
peuvent derober pour un tems son innocence
aux yeux des hommes ; mais qui ne l'alterent
point : à peu prés comme ces nüages
obscurs qui nous ôtent la vüe du Soleil ; mais
qui ne diminuent rien de son éclat & de sa
beauté. St. Etienne étoit accusé, il est
[vray.]
vray. Il étoit même condamné par une
populace furieuse qui se fermoit les yeux,
Act. 7.
57.
&
se bouchoit les oreilles dans la crainte d'être
forcée par ses raisons à mettre bas les armes
qu'elle avoit prises pour le mettre en
piéces. Il en étoit plus à plaindre. Mais
il n'en étoit pas moins innocent. Les soins
que le Seigneur prit de sa consolation, en se
faisant voir à lui dans toute sa gloire, & l'assurant
de dessus son Throne de sa protection,
& de son amour, parlent hautement en sa faveur,
& sont plus que suffisans pour confondre
l'Enfer, & fermer la bouche à la Synagogue.
Mais y a-t-il rien de plus terrible
que d'oprimer un innocent, pour le
faire perir malheureusement ? Les Payens
Eph.
même qui
étoient sans Dieu au monde en ont
eu horreur, & ne s'y sont portés qu'avec
la derniere repugnance. Tout le monde
fait les efforts que fit Pilate tout profane
et & tout aveugle qu'il étoit, pour sauver Jesus,
parce qu'il le trouvoit innocent, & les
peines étonnantes qu'il eut à le condamner.
Je suis persuadé qu'il ne l'auroit jamais fait,
s'il n'eût aprehendé pour sa fortune, la
grande Divinité des mondains, à qui il n'y
a rien qu'ils ne sacrifient. Si les moins éclairés
& les plus abandonnés de tous les hommes
ont respecté l'innocence, s'ils ont eu
tant de peine à se declarer contr'elle, ne devoit
[voit]
elle pas être sacrée & inviolable à des
hommes élevés dans l'Ecole du vray Dieu,
& parfaitement instruits par sa Loi dans la
connoissance du bien & du mal ? Il n'y a
point de doute que cette circonstance n'agravât
considerablement leur crime, & ne les
rendist doublement coupables devant Dieu.
Ils avoient encore une autre raison d'épargner
son sang, qui regarde les liaisons étroites
qu'ils avoient avec lui. C'étoit leur
Frere, & n'y a-t-il pas sans comparaison plus
de mal a soüiller ses mains du sang de ses freres,
qu'à les tremper dans celuy d'un étranger ?
Je ne doute point que Saül ne se
fust rendu plus criminel, en faisant passer au
fil de l'épée la ville de Nob dont les habitans
étoient Israëlites, qu'en détruisant
les Gabaonites, si le nom de l'Eternel que
Josüé avoit employé dans l'Alliance qu'il
fit avec eux n'eût du les mettre à l'abry
de ses injustices & de ses violences. Il y a
même lieu de croire que cette circonstance
qui agravoit le mal qu'il leur fit, n'empêcha
pas que Dieu ne fût encore plus offensé de la
mort de ses enfans. Car il la punit bien
plus severement. Il s'en vangea & sur sa
personne & sur ses heritiers. Il leur en cousta
& la couronne & la vie. Au lieu qu'il se
contenta de punir l'autre sur les enfans de
ses Concubines. Que les Juifs qui lapiderent
[rent]
St. Etienne le regardassent comme leur
Frere, il n'est pas besoin de le prouver. Car
qui est ce qui ne sait qu'il étoit comme eux
de la race d'Israël, de la famille d'Abraham :
qu'il contoit ces venerables Patriarches entre
ses Ancêtres : qu'il avoit été formé de ce
sang si pretieux & si chery du Ciel, qui couloit
dans les veines de ses ennemis ? Cet attentat
me paroit encore plus noir que celuy
des Freres de Joseph qui eurent l'inhumanité
de le jetter dans une fosse, à dessein
de l'y laisser perir de faim & de froid. Je ne
le trouve pas moindre que celuy de Cain
qui meurtrit si méchamment le juste Abel.
Le sang de ce fidelle Martyr
ne crie pas de
Heb. 12.
24.
meilleures choses , que celuy de ce Frere infortuné
qui sollicite si hautement la vengeance
du Tout puissant.
Encore si ç'avoit été un particulier, mais
c'étoit une personne publique, honorée de
la vocation d'enhaut. C'étoit un homme
que Dieu avoit apellé au service de son Eglise,
un Ministre du Dieu vivant. Ne devoient
ils pas reverer son Caractere ? Ne leur
devoit il pas être sacré ? Les peuples les
plus stupides & les plus barbares ont de
grands égards pour tous ceux qui portent
les livrées de leur Prince, & qui sont chargés
de leur faire savoir sa volonté. Que
dis-je, ils puniroient rigoureusement un
[homme]
homme qui auroit attenté à la vie d'un messager
depesché par leurs Ennemis pour venir
traitter avec eux. Ce sont de ces fautes
publiques condamnées également de tous
les hommes : & qu'ils ne pardonnent point
quand ils sont en état de s'en vanger vous savés
aveque quelle vigueur David tout bon
& tout humain qu'il étoit poursuivit la reparation
de l'affront que l'on avoit fait à ses
Ambassadeurs chés le Roy des Ammonites.
Il ne fit point de difficulté de le laver
dans le sang d'une partie de ses sujets. Et
qu'auroit-il fait si on les avoit meurtris, s'il
avoit été obligé de vanger leur mort, aussi
bien que l'injure qu'ils avoient receuë. Si
c'est une faute si punissable de s'attaquer aux
Ministres d'un Prince terrien' lors même
que nous n'en dependons point, & que nous
sommes en guerre ouverte avec lui : que
pouvoit-il y avoir de moins pardonnable
que le crime des Juifs, qui s'étoient jettés
avec tant de fureur sur un des Serviteurs
de l'Eternel ? Il n'est pas seulement
le Roy
des Roys, & le Seigneur de tous les Seigneurs ,
Apoc.
le Souverain Monarque du Ciel & de la
terre. On ne le doit pas seulement regarder
comme le plus grand de tous les Roys ;
comme un Prince plus élevé au dessus des
plus grands Monarques, que le plus puissant
ne l'est au dessus du moindre de ses sujêts.
[jêts,]
Il faut considerer que c'étoit le Dieu
de ce peuple ; qu'il n'y a point de temoignages
qu'il n'eust receu de son affection. La
moindre des obligations qu'il avoit à l'Eternel
suffisoit pour l'engager à avoir en grande
recommandation tout ce qui luy pouvoit
apartenir. Il devoit toute sorte de respect
& de soûmission à ceux qui luy parloient
en son nom. Quoy M. F. Salomon
tout Roy qu'il étoit ne voulut pas toucher
au sacrificateur Abiathar, quoi qu'il le trouvât
engagé dans le parti de ses ennemis, qu'il
fust entré dans la conspiration qu'ils avoient
faite pour le dethroner ; parce qu'il étoit
au service de Dieu. La consideration de son
Maistre luy sauva la vie. Il lui pardonna
parce qu'il avoit porté l'Arche de l'Eternel.
Et les Juifs sevissent contre un innocent revêtu
d'un caractere qui n'étoit pas moins
considerable, dans le tems qu'il travaille
actuellement aux fonctions de son Ministere.
C'étoit s'attaquer à Dieu luy même. Toutes
les injures que l'on fait à ses Serviteurs
retombent sur luy. Tous les coups qu'on
leur porte sont autant de traits que l'on décoche
contre le Ciel. C'étoit un crime de
leze Majesté divine. Il ne pouvoit y avoir
d'attentat plus noir & plus criant.
Ce qui acheve de faire voir la grandeur de
ce crime, c'est le but & le dessein de l'envoy
[voy]
de ce fidelle Ministre de J. Ch. Car sa
commission n'étoit pas de la nature de celle
que Dieu donna autrefois à Jonas, quand il
l'envoya à Ninive ; ou celle qu'avoit Nathan
lors qu'il ala trouver le Roi David
pour lui denoncer les Jugemens de Dieu,
ensuite du crime qu'il avoit commis contre
Urie. C'étoit un Ministre de paix, de
reconciliation & de grace, qui ne cherchoit
que leur consolation & leur salut. S'il découvroit
leurs playes, s'il y enfonçoit bien avant
la sonde, ce n'étoit que pour les consolider,
& les guerir. Tout son Ministere ne tendoit
qu'à les obliger à reconnoitre leurs fautes,
pour en demander pardon à Dieu, &
avoir part à sa grace qu'il nous offre misericordieusement
en J. Ch. Que diriés vous
d'un esclave qui se jetteroit sur un homme
qui viendroit pour briser ses fers, s'il entreprenoit
de luy casser la tête de ses chaînes ?
Quel jugement feriés vous d'un criminel
condamné à la mort, qui poignarderoit le
messager qui luy presenteroit des lettres de
grace ? Vous les regarderiés sans doute l'un
& l'autre comme des furieux, comme les
plus méchans & les plus abominables de tous
les hommes. Nest ce pas la précisément le
crime des Juifs pour qui St. Etienne prie si
ardemment ?
Et que l'on ne me dise point que c'étoient
[de]
de pauvres gens qui avoient bonne intention ;
qu'ils témoignoient du zele pour la
gloire de Dieu ; & qu'ils s'imaginoient luy
rendre un grand service de deffaire le monde
d'un ennemy de la Synagogue. Car ce
n'est pas assés d'avoir du zele, & d'être bien
intentionné pour justifier des actions condamnées
par les Loix Divines, ou pour en
diminuer l'horreur & les excuser. Hoza n'étoit-
il pas bien intentionné quand il avança
sa main pour soûtenir l'Arche ? Il semble
qu'il n'y avoit rien de plus excusable que son
action qui partoit d'un bon principe, de
l'attachement qu'il avoit au Tabernacle de
son Dieu ; & avec tout cela il ne laissa pas
d'en être puny sur le champ. Il luy en coûta
la vie, parce qu'il avoit touché de ses mains
profanes la chose du monde la plus sainte,
contre la deffense expresse de l'Eternel. Saül
n'allegue-t-il pas aussi ses bonnes intentions,
pour colorer la rebellion & la desobeissance
qu'il avoit fait paroître, en épargnant le bétail
des Amalekites que Dieu lui avoit commandé
de metrre à l'interdit ? Ne disoit il pas
que s'il avoit gardé une partie de leurs
bœufs & de leurs brebis, ce n'étoit pas pour
son interêt, qu'il n'avoit pas eu en veüe de
s'enrichir de leurs depouilles, mais de les sacrifier
à l'Eternel & d'en faire fumer la graisse
sur son Autel ? Dieu se paya-t-il de ces vaines
[nes]
excusés ? Ne le dépouilla-t-il pas de la
Royauté, pour avoir desobei à sa voix : luy
faisant connoître qu'il ne prend point plaisir
aux Holocaustes ; qu'il préfere l'obeissance
& la soumission qu'il nous demande aux
plus excelens sacrifices.
Les voyes qui paroissent
Prov. 16.
25.
les plus droites à l'homme tendent souvent
à la mort. A la Loy & au temoignage .
Si on ne se tient attaché
à cette Regle, si on
Esaie 8.
ne suit le chemin qu'elle nous prescrit,
il
n'y a point de matin à attendre, point de salut
à esperer.
Leur zele ne doit pas être plus estimé que
leurs intentions. C'est un grand nom que
les hommes les plus corrompus donnent
tous les jours aux actions les plus criminelles :
un beau masque, qui ne sert que trop
souvent à déguiser des passions infames. Qui
est ce qui n'auroit pris le mécontentement
de Judas, qui blâmoit une sainte femme de
quelques liberalités qu'elle avoit fait au Seigneur
Jesus, pour une marque de son zele,
& de l'affection qu'il avoit pour le bien des
pauvres ; si l'Ecriture ne nous avoit apris
que c'étoit l'effet de son avarice, & de son
avidité ? Les Hypocrites & les Superstitieux
n'en font ils pas tous les jours parade, lors
qu'ils se déchaînent le plus violemment contre
les enfans de Dieu ? Et n'est-il pas vray
qu'ils commettent les dernieres horreurs
[dans]
dans l'emportement d'un zele furieux &
aveugle ? Je veux qu'il y eût du feu, & même
beaucoup de feu dans la conduite des
Juifs. Mais ce n'étoit pas ce feu celeste que
l'on trouve sur l'Autel, le seul que
Dieu agrée dans nos sacrifices. C'étoit un feu
impur & charnel montant de l'Abîme, qui
n'est bon que pour les sacrifices des Demons
qui aiment le sang, & ne se repaissent que de
carnage. Le vrai zele ne sçait ce que c'est
de faire la guerre aux serviteurs de Dieu, &
de produire de faux temoins contr'eux
pour les deshonorer & pour les perdre. Il
ne sçait ce que c'est que répandre du sang.
Il ne fait pas même la guerre, au moins sous
l'Evangile, aux personnes les plus ennemies
de Dieu. Il laisse l'épée charnelle aux Princes
& aux Magistrats, à qui Dieu l'a mise en
main pour punir les crimes commis contre
les deux tables de la Loi : & se contente de
Apoc.
celle
de l'Esprit qui est incomparable pour
renverser les Forteresses de l'idolatrie & du
mensonge. Il se contente de travailler à la
destruction de l'erreur & du vice, sans attenter
à la vie de ceux qui s'y abandonnent. Il
n'y a qu'un faux zele, un zele brutal & aveugle
qui soit capable de ces excés. L'Esprit
qui les animoit n'étoit point l'Esprit de
Christ qui est un Esprit de douceur & de
charité. C'étoit l'Esprit du Demon, qui
[est] est un Esprit de fureur, un Esprit
meurtrier
I. Jean.
dés le commencement . C'est celuy qu'ils avoient
montré quand ils s'étoient jettez avec
que tant de fureur sur le Seigneur J. ce
mauvais Esprit qui fut cause de la mort de
nôtre Sauveur, qui attacha le
Seigneur de
I. Cor.
2. 8.
gloire à un bois maudit.
S'il y a quelque chose qui diminüe tant
soit peu l'horreur d'un pareil emportement,
c'est l'ignorance & l'aveuglement où étoient
les Juifs, quand ils sont tombés dans
ces excés de rage & de cruauté. Et cela empesche
à la verité qu'on ne les confonde avec
ceux qui péchent contre le St. Esprit, qui
est le comble de l'iniquité. C'est dans
cette veüe sans doute que St. Paul leur representoit
qu'ils avoient le zele de Dieu, mais
sans connoissance ; au moins si on peut étendre
son discours jusques à ceux qui avoient
étendu leurs mains sacrileges sur le SAINT
DES SAINTS. Car j'aurois assés de penchant
à croire qu'il ne regarde que ceux des
Juifs que l'amour qu'ils avoient pour les institutions
de Moyse empêchoit d'embrasser
l'Evangile ; mais qui tout attachés qu'ils étoient
à ses ordonnances condamnoient dans
leur cœur les violences que l'on commettoit
pour les deffendre. Si l'Apôtre porte plus
loin sa pensée, il leur represente leur aveuglement,
non pour leur fournir les moyens
[d'ex-]
d'excuser leurs impietés & leurs excés, mais
pour leur faire comprendre que leurs crimes
n'étoient pas de la nature de ceux qui sont
absolument irremissibles, & les engager par
ce moyen à avoir recours à la Misericorde
divine. Cela est si vray qu'il se met lui même
au rang de ces malheureux ; attribüant
toutes les persecutions qu'il avoit fait à l'Eglise
au trouble & â l'agitation d'une passion
aveugle. Et cependant il est si éloigné de
s'excuser, qu'il se considere à cet égard comme
I. Tim.
1. 15.
le premier de tous les pecheurs.
Quelque grand que fût le crime des Juifs,
St. Etienne ne desespere point d'en obtenir
le pardon : sans doute parce que, comme
nous l'avons deja touché, ce n'étoit point
I. Jean.
encore
le peché à mort , pour qui il est inutile
de prier, n'y ayant point de ressource pour
ceux qui en sont coupables. Il le demande
à son bon Maistre.
Seigneur, s'écrie t-il ne leur
impute point ce peché. Il s'adresse, comme
vous voyés, au fils de Dieu. Et cela
suffit pour faire voir qu'il le regardoit comme
Rom.
9. 5.
Dieu benit éternellement avec le Pere :
car l'invocation tient un rang considerable
entre les honneurs & les hommâges que la
Creature doit à son Createur. C'est une des
principales parties du culte religieux qui n'apartient
Ibid.
10. 4.
qu'a luy.
Comment invoqueront ils
disoit St. Paul, celuy en qui ils n'ont point cru.
[Mais] Mais la grace que ce saint homme demande à
J. Ch. pour ses ennemis, justifie de plus en
plus les sentimens qu'il avoit de sa Personne
Divine. Car qui est-ce qui peut faire grace
à un criminel, si ce n'est le Souverain ?
Qui est ce qui peut pardonner les pechês sinon un
Marc.
2. 7.
seul Dieu ? disoient autrefois les Juifs.
C'est
moy, c'est moy, qui efface les forfaits ; & qui
Es. 43.
25.
n'auray point souvenance de tes iniquités , s'écrie
l'Eternel luy même, pour détourner
le peuple d'Israël des vanités, en qui il mettoit
toute sa confiance. Le seul nom de
SEIGNEUR qu'il luy donne met cette
verité dans un grand jour. Car il répond à
celuy de JEHOVA : ce nom prétieux
que Dieu a choisy pour se distinguer particulierement
des Creatures. Il est si grand &
si illustre, que les Princes du monde les plus
fiers ont fait scrupule de s'en servir en diverses
rencontres : le trouvant beaucoup au dessus
des plus grandes dignités qui se voyent
sur la terre.
Et ici on s'étonne qu'il sollicite l'abolition
d'un crime dont il semble qu'il devoit
poursuivre ardemment la punition. Ne devoit
il pas demander plûtôt le secours de sa justice,
que d'implorer sa clemence ? N'auroit-
il pas mieux fait de le pousser & de l'animer
à la vengeance, que de travailler à le flechir,
& à desarmer son courrour ? Ne devoit-il
[pas]
pas avoir un vif ressentiment des injures
qu'on luy faisoit ? Ne luy étoit-il pas permis
de haïr des gens qui le persecutoient avec
tant de rage ? Ne devoit-il pas faire des
vœux pour leur destruction ; bien loin d'en
faire pour leur salut ? Encore si leur haine
s'étoit attachée uniquement à sa personne.
Mais elle s'attachoit principalement à sa Religion.
C'étoient des ennemis de Dieu, &
non les siens en particulier. C'étoit à Dieu
même qu'ils s'attaquoient. Ce n'étoit que
pour obscurcir sa gloire, & pour ruiner son
Empire qu'ils luy faisoient une si dure guerre :
& peut-on haïr trop fortement ceux
qui font la guerre à Dieu, & à ses fidelles ?
Il semble que l'on n'a point de mesures à garder
avec des gens qui font l'œuvre du Demon,
& qui se servent des moyens du monde
les plus injustes pour l'avancer. Je ne
doute point, M. F. que St. Etienne n'eût
senty vivement la pesanteur des coups qui
l'accabloient. Il n'étoit pas de fer, ou de
bronze. Sa chair, qui n'étoit pas d'autre
trempe que la nôtre, en avoit esté violemment
troublée ; & s'il eût suivy ses mouvemens,
il auroit asseurément rendu la pareille
à ses ennemis : il n'auroit rien oublié pour
faire tomber sur eux les foudres du Ciel.
Mais il avoit été nourri dans une trop bonne
Gal. 1.
êcole,
pour prendre conseil de la chair & du
[sang]
sang dans cette occurrence. Il avoit été élevé
dans le sein d'un Pere
qui ne demande
Ezech.
18.
point la mort du pecheur, mais sa conversion,
& sa vie. Il avoit devant les yeux l'exemple
de son Sauveur, qui a souffert la même
contradiction des pecheurs, qui a veu ces
mêmes Juifs qui le lapidoient encore plus
acharnés à sa ruïne, & qui n'a pas laissé d'interceder
pour eux, dans le tems qu'ils faisoient
les derniers efforts pour aneantir les
decrets de Dieu.
Pere, s'écria-t-il du haut
de la Croix où ils l'avoient attaché, aprés
l'avoir couvert d'oprobre & d'injures,
Pere
Luc. 23.
34.
pardonne leur, car ils ne savent ce qu'ils font.
Ce fidelle Disciple
plein du même Esprit , sacrifie
Act. 7.
55.
comme son bon Maistre les passions
les plus justes & les plus innocentes à la charité.
C'est ainsi que la plus-part des Martyrs
ont été disposés. On les a souvent entendus
sur les échafauts & sur les buchers, au milieu
des suplices les plus rigoureux, implorer
la misericorde de Dieu pour leurs juges
& pour leurs boureaux. C'est là asseurement
le vray caractere du Chrêtien, une
marque certaine que l'Esprit de Dieu qui ne
respire que la charité, habite en luy. S'il se
trouve des gens qui soient autrement disposés,
ce n'est point l'Esprit de Dieu qui agit
en eux : c'est la chair qui y exerce encore ses
[pas-]
passions & sa tyrannie, cette malheureuse
Gal.
chair qui combat contre l'Esprit , qui resiste
toûjours à ses mouvemens, qui s'y oppose
avec un orgueil, & une fierté inconcevable.
Ibid.
Ceux qui sont de Christ ont crucifié la chair
avec ses affections & ses convoitises. N'est-
ce pas ce que le Seigneur répresentoit
à ses Disciples, lors qu'irrités de l'affront
que les Samaritains firent à leur adorable
Maistre, en luy fermant les portes de leur
ville, ils voulurent faire descendre le feu du
Ciel pour les consumer ?
Vous ne savés,
Luc. 9.
55.
leur dit-il, de quel Esprit vous étes : leur
faisant comprendre par la severité de cette
censure, que la passion qui les animoit étoit
une passion terrienne & mondaine, bien éloignée
des sentimens & des inclinations que
l'Esprit de Dieu inspire à ses enfans :
une
Rom. 8.
affection de la chair qui est ennemie de Dieu,
qui ne se rend point sujette à sa Loy, & qui
ne sçait ce que c'est de s'y soûmetre .
Et que l'on ne se mette point icy à l'ombre
des Prophetes, qui ont fait d'horribles
imprecations contre les ennemis de Dieu, &
se sont fait honneur de la haine & de l'aversion
qu'ils ont eu pour eux. Car nous ne
sommes point Prophetes. Nous ne connoissons
point comme eux par Esprit de Prophetie
ceux qui sont l'objet de la reprobation
divine. Nous ne savons point qui sont ceux
[qu'il]
qu'il a devoüés aux flammes éternelles.
Il ne nous a point mis en la bouche, comme à
ses saints hommes, les maledictions qu'il
veut faire tomber sur ses ennemis. Nous
ne sommes point les Ministres de sa Justice,
& les executeurs de ses jugemens, comme
les Prophetes : nous sommes les enfans de sa
grace. Ce n'est point à nous à exercer sa
vengeance contre les pecheurs, mais à attirer
sur eux les graces qu'il nous a communiquées,
à prier pour leur reconciliation
& leur salut. Toute la peine que nous leur
devons souhaiter, c'est la confusion que produit
la reconnoissance du peché, & le deplaisir
que l'on a d'avoir offensé Dieu, fait
la guerre aux saints, & desolé ses Troupeaux ;
une vive
componction de cœur , qui
Act. 2.
37.
leur puisse être salutaire ; une sainte
tristesse
qui produit la vraye repentance, dont on ne se
2 Cor. 7.
10.
repent jamais . Tout le reste vient du Malin,
c'est un effet de nôtre impatience, ou
de nôtre orgueil, qui nous porte à
regimber
Act. 9.
contre l'éguillon . C'est ce qui fait que nous
nous prenons aux causes secondes des maux
dont Dieu nous visite, & qu'il nous dispense
avec uue sagesse infinie, ou pour nous
éprouver, ou pour nous châtier, ou pour
nous tenir en bride : & souvent pour toutes
ces raisons ensemble. Il faut avoir le
cœur d'une bête, & l'ame d'un chien, pour
[s'arrê-] s'arrêter à mordre la pierre dont on a été
frapé ; au lieu de regarder au bras qui la lance.
Les hommes du monde les plus furieux,
& les plus acharnés à notre ruïne,
ne sont que des instrumens en la main de
Dieu pour faire son œuvre. Il nous le
dit lui même de Nebucadnetsar, un des plus
grands & des plus cruëls ennemis que l'Eglise
Esai.
ait jamais eu. Il nous declare souvent
qu'il
n'étoit que la verge de son indignation,
& le bâton de sa fureur.
Il est certain qu'il
n'arrive point mal dedans le monde, ni dans
Jerem.
l'Eglise, que Dieu ne dispense, & qu'il ne
dirige par sa bonne Providence. Et s'il se sert
de la mauvaise disposition des peuples, de
leurs passions, & de leurs violences pour
nous corriger, comme les Magistrats se servoient
autrefois des bêtes feroces pour punir
les crimes, ou les Chirurgiens du fer & du feu
pour guerir les playes inveterées, pour extirper
des membres pourris : qui ne voit qu'au
lieu de s'irriter contre les hommes, on devroit
plûtot
s'humilier sous la main puissante
Jâq.
de Dieu : car il resiste aux orgueilleux,
mais il fait grace aux humbles.
N'est-ce-
pas ce que fit David, lorsque Semei insultoit
si insolemment à sa disgrace, qu'il le
poursuivoit avec tant de fierté ? Il remonta
d'abord à la premier cause de tous ses
malheurs.
C'est l'Eternel, s'écria-t-il, qui
[ luy ]
luy a dit maudi David : & ne voulut pas
2 Sam.
16, 10.
souffrir qu'on luy fit le moindre mal.
C'étoit un grand Roy qvi se voyoit traité
de la
manięre du monde la plus indigne
par
un chien mort ; un sujet rebelle qu'il
Ibid, 16.
9.
n'avoit jamais offensé. Il n'avoit qu'à dire
une parole, pour le faire mettre en pieces.
Il n'étoit pas même necessaire qu'il
s'en meslât. Il n'avoit qu'à laisser faire
ses gens. Mais bien loin de lâcher la bride à
ses serviteurs, il s'oppose à leur ressentiment,
quelque juste, & quelque raisonnable
qu'il fût, & permet qu'il se retire
en paix dans sa maison, sans luy donner la
moindre marque de son indignation. Faut-
il s'étonner si le Seigneur eut pitié de luy,
s'il le rétablit dans ses dignités, & luy
donna une pleine & entiere victoire de
ses ennemis ?
Car à qui est-ce que l'Eternel
regarderoit, si ce n'est à celuy qui a le coëur
brisé, qui baise la main & respecte la verge
dont il le frape qui adore ses jugemens avec
un profond silence ? Trouverons-nous
étrange que nos maux continuënt, &
qu'ils augmentent de jour en jour, puisque
nous sommes si differens de cet excellent
serviteur de Dieu ?
Non seulement on ne doit point rendre
le mal pour le mal à ses ennemis, mais il
faut
surmonter le mal par le bien ,
en travaillant
Rom. 12.
21.
[vail-] à leur procurer tous les thresors de la
grace. C'est l'esprit de nôtre Martyr, &
le devoir de tous les Fidelles. L'ecriture nous
engage positivement à ne leur refuser aucun
des bons offices de la charité.
Si ton ennemi
Prov. 25.
à faim, nous dit-elle, donne luy à manger.
Rom. 12.
S'il a soif, donne luy à boire : paroles qui
sous le nom des choses les plus necessaires à
la vie comprennent tous les autres biens.
Et afin que l'on ne croye pas que ce discours
ne regarde que nos ennemis particuliers,
& qu'il y ait une autre loy pour les
ennemis publics, les Persecuteurs & les
impies qui font la guerre à Dieu & à ses
enfans, qui les haïssent uniquement parce
qu'ils aiment Dieu, & font profession de
Mat. 5.
sa verité : écoutés ce que notre Seigneur
nous dit dans son Evangile.
Aimés vos
ennemis, benissès ceux qui vous maudissent,
priès pour ceux qui vous courent sus, & qui
Rom. 12.
vous persecutent .
Benissés les, & ne les maudissés
point , dit l'Apôtre des Gentils en
suivant les traces de son grand Maistre. Où
vous voyés que la charité n'a point de bornes,
qu'elle s'étend jusques aux ennemis
de Dieu, à ceux-là même qui persecutent
son Eglise, & qvi sevissent le plus
cruellement contre ses enfans. L'exemple
que nôtre Seigneur allegue pour allumer
ce feu sacré dans nos ames, nous confirme
[firme] de plus en plus dans cette pensée.
C'est celuy
du Pere. Celeste, qui fait luire
son soleil sur les bons & sur les mauvais ;
qui donne sa pluye aux uns, & aux autres ;
qui distribuë les benedictions de la terre à
ceux qui font par être le plus d'aversion pour
luy, comme à ceux qui ont un parfait
attachement à son service. Nous en avons
encore un autre qui n'est pas moins pressant
en la personne de J. Ch.
mort pour nous lors
Col. 1.
21.
que nous étions ses ennemis en pensées & en
mauvaises œuvres.
Il a même répandu son
sang pour ses boureaux. Car combien y a-
t-il eu de Juifs qui étant revenus de leurs égaremens
ont eu part au merite de sa mort, &
éprouvé sa clemence ?
Il nous a laissé ce patron
Pier.
afin que nous suivions ses traces.
Et il
ne faut point s'en éloigner, si nous voulons
que Dieu nous avouë pour ses enfans, &
J. Ch. pour ses Freres.
En effet comment Dieu ne désavouëroit-
il point des creatures qui n'auroient point de
charité ? C'est là son Esprit.
Dieu est charité .
1. Jean.
Rom. 8.
9.
Or celuy qui n'a point l'Esprit de Dieu,
celuy là n'est point à luy . Comment
avouëtoit-
il des gens qui se trouveroient dans une
perpetuelle opposition avec luy ? Et je vous
prie ne serions-nous pas tous les jours en
contradiction avec Dieu : ne romprions-
nous pas sans cesse les mesures qu'il a pris
[de]
de toute éternité dans son Conseil, s'il étoit
permis de haïr tous ceux qui ont declaré la
guerre à Dieu, & de faire des imprecations
contr'eux, pour les maudire ? Nous maudirions
souvent, par une erreur pire que celle
de Balaam, ceux que l'Eternel veut benir.
Seroit-ce une disposition digne de ses enfans ?
Ne devons-nous pas seconder ses desseins, &
nous conformer à ses inclinations, pour
nous montrer dignes de l'honneur de nôtre
Adoption ? Tel est aujourd'huy un grand
ennemy de Dieu, & des plus acharnés à la
ruïne de ses Troupeaux, qui sera peut-être
demain au rang de ses Confesseurs & de ses
Martyrs. Combien de fois a-t-on veu les
Persecuteurs se convertir dans le plus violent
accés de leur rage ? L'Esprit de Dieu souffle
où il veut. Il vivifie, quand il luy plaît, les
cadavres les plus endurcis, & triomphe
des cœurs les plus endurcis. Que sais-tu,
ô homme qui que tu sois, qui te déchaines
si furieusement contre tes ennemis, si le moment
que tu prens pour les maudire n'est
point celuy que l'Eternel à choisy pour leur
donner les premiers sentimens de son amour,
& commencer à repandre sur eux ses benedictions ?
Et cela posé, ne te trouverois-tu
pas toy même faire la guerre à Dieu ? Ne traverserois-
tu pas au moins ses desseins ? Si
nôtre Saint Martyr eût été animé du même
[es-]
esprit ; qu'il eût maudit tous ceux qui contribuerent
à sa mort, & qui s'interessoient
dans son suplice, il eût proscrit un Saul, que
Dieu regardoit déja d'un œil misericordieux,
& qu'il apella peu de tems aprés
à la communion de son Fils. Il auroit prive
l'Eglise d'un excellent instrument dont
Dieu s'est servy tres utilement pour l'edifier.
Elle auroit perdu ce grand Apôtre, qui à
plus contribüé luy seul que tous ses Compagnons
à l'établissement du Regne de nôtre
Sauveur. Car vous savés qu'il étoit complice
de la mort d'Etienne. Il gardoit les
Act. 8. Ibid. 22.
habits de ceux qui le lapidoient, & repaissoit
ses yeux avec plaisir d'un si inhumain
spectacle. Mais il pensoit à toute autre
chose, il le benissoit, il prioit pour luy. Et
ce fut peut-être une des raisons qui obligea
le Seigneur à hâter sa conversion. C'est
peut-être à ses soûpirs & à ses prieres que l'Eglise
est redevable des grands services que
Jâq.
l'Apôtre luy a rendus. Car si
la priere
du juste est d'une grande efficace, quand elle est
faite avec foy : celles que les Martyrs font
dans le combat doivent avoir encore plus de
force & de vertu. Il n'y a rien qu'elles ne
puissent obtenir de la misericorde de Dieu.
C'est pourquoy l'ancienne Eglise ne manquoit
gueres à leur demander le secours de
leurs prieres dans ses besoins.
[Quoy]
Quoy qu'il en soit, il faloit que la charité
de ce saïnt homme fût bien extraordinaire,
pour produire de si merveilleux effets.
On admire celle de Moyse, qui souhaitoit
d'être effacé du Livre de vie pour ses
Freres. Mais nôtre Martyr en devoit avoir
pour le moins autant pour ses ennemis, que
le Legislateur d'Israël en temoignoit à ses
Freres, pour travailler à leur salut dans le
moment qu'ils s'employent avec tant de fureur
a sa perte. Il faloit que celle que J.
Ch. à eu pour nous eût fait une profonde
impression dans son ame ; qu'elle en eût
banny toutes les passions de la nature, &
s'en fût renduë absolument la maîtresse ;
qu'elle y regnast avec un empire souverain ;
qu'il fût tout penetré de son feu celeste,
& que la flamme en fût bien violente,
pour fondre toutes les glaces d'un hyver
aussi rude que celuy de la persecution qu'il
essuyoit, & luy faire aimer des personnes si
dignes de l'aversion de Dieu & des hommes.
Ce qui releve encore le prix de sa charité,
& acheve d'en justifier la grandeur, ce
sont les dispositions qu'il fait paroître en
priant. Car il ne le fait pas foiblement, du
bout des levres, & par manière d'aquit,
comme la pluspart des hommes. Sa priere
est accompagnée de toute l'humilité & de
toute l'ardeur dont il étoit capable. Son
[humi-]
humilité paroit en ce qu'il se jette par terre,
pour presenter sa requête. Il se mit à genoux ,
dit le saint Historien : son zele & sa
devotion dans les cris qu'il pousse vers le
Ciel. Car il ne parloit pas simplement ;
il crioit à haute voix . Il n'avoit pas pris
toutes ces precautions, lors qu'il avoir prié
pour soy même. Au moins saint Luc ne
nous dit rien de semblable. Et n'en peut-
on pas conclûre qu'il se mettoit moins en
peine de son salut que de celuy de ses prochains ?
C'est le vray caractere d'une charité
heroïque, qui regarde bien moins à ses
intérêts qu'à celuy des autres : le dernier
effort de la vertu, d'aimer son prochain
plus que soy même : le plus haut degré de
la perfection que Dieu exige des hommes
sous l'Evangile, & dont il nous a donné un
modelle incomparable en nôtre Sauveur.
Venés à l'école de ce Saint Martyr, vous
qui paroissés si fiers & si impatiens dans vos
maux. Où sont ceux d'entre vous qui ayent
autant souffert que luy ? Il y en a peu qui
ayent
resisté jusqu'au sang, en combatant
Heb. 12.
contre le peché.
Et cependant combien y en
a-t-il qui se plaindroient volontiers de ce que
Dieu souffre encore de ses ennemis ? Il ne
tiendroit pas à eux que la terre ne s'ouvrist,
& qu'ils ne descendissent tous vifs dans le
gouffre.
Considerés, mes chers Freres considerés
[fide-] bien
quelle a été l'issüe de sa conversation .
Ibid. 13.
7.
Il est mort, comme il avoit vêcu,
avec toutes les marques d'une pieté solide,
d'une foy sincere, & d'une charité non feinde.
Il a glorifié Dieu jusques au dernier
soûpir. Sa vertu ne s'est jamais dementie.
Il a perseveré constamment dans ses voyes
jusques à la mort. Il ne l'a pas seulement
glorifié par ses paroles, mais par ses actions,
par son humilité, sa douceur, sa patience,
& son esperance ferme & inebranlable ; &
sur tout par le soin qu'il a pris de reconcilier
les hommes à Dieu, en faisant leur paix,
& leur procurant la remission de leurs crimes.
On le lapidoit, & il prioit. Il succomboit
sous une gréle de coups, & il
n'ouvroit pas seulement la bouche pour se
plaindre. S'il faisoit entendre sa voix,
c'étoit pour interceder pour ses boureaux.
S'il elevoit ses mains, ce n'étoit que pour
détourner les maledictions du ciel de dessus
leurs testes impies. Il negligeoit le soin
de sa conservation, pour penser à leur salut.
Patience admirable ! charité inoüie !
Vertus heroïques & celestes ! Vertus vrayment
dignes d'un disciple de l'agnaeu divin,
qui s'est laissé égorger sans ouvrir sa
bouche, & qui a fait l'expiation de nos
pechés par le merite
Inifini du sacrifice
qu'il a offert volontairement pour nous en la croix.
[Mais] Mais ce n'est pas assés d'admirer ces vertus :
il faut qu'elles servent à regler nôtre
conduite. Que sa patience mortifie nôtre
orgueil : que sa charité enflamme la nôtre,
& nous porte à demander à Dieu la conversion
de nos ennemis avec autant ou
pl s d'ardeur, que nous en témoignons pour
leur destruction. Sacrifiés aujourd'huy
toutes vos haines, & tous vos ressentimens
à ce grand exemple de debonnaireté que le
Seigneur vous presente, pour ne penser
qu'à prier Dieu qu'il leur pardonne, qu'il
les éclaire, qu'il les sanctifie, & qu'il les
amene à luy. Quelle gloire à l'Eternel, si
le Seigneur exauçant nos voeux, les obligeoit
à se venir prosterner à ses pieds, & à
luy crier comme autrefois Saul,
Seigneur,
que veux-tu que nous facions ? Ne seroit-
Act. 9.
elle pas aussi grande que s'il les mettoit en
poussiere, & qu'il les brisât absolument sous
nos pieds ? Quelle joye pour l'Eglise, qui
se rejoüit sur la terre, aussi bien que les
Anges dans le ciel, de la conversion des pecheurs ?
Nôtre joye ne seroit-elle pas aussi
Luc. 15.
10.
parfaite que celle qu'eurent les Israëlites,
quand ils virent les corps morts des Ægyptiens
miserablement flotans sur les bords
de la Mer Rouge.
Quel que puisse être le succés de nos prieres,
il est certain que c'est le sacrifice le plus
[agrea-]
agreable que nous puissions faire à l'Eternel,
le plus propre à desarmer sa colere, & à
changer le cœur de tous ceux qui vous haïssent.
Pr. 16.
7.
Car
quand Dieu prend plaisir aux
voyes de l'homme il apaise ses ennemis.
Il
use de gratuité envers celuy qui use de gratuité.
Ps. 18.
Il est entier à celuy qui est entier.
Mais il est severe à celuy qui est dur .
Il
est misericordieux à tous ceux qui usent de
misericorde envers les hommes. Ils ne perdent
point le fruit & le travail de leur charité.
Qui est-ce qui vous feroit du mal, si
vous vous teniés collés au bien ? Les maux
même, s'il se trouvoit encore des gens assés
méchans & assés abandonnés pour vous en
Rom. 8.
27.
faire, vous tourneroient en bien.
Car toutes
choses aident ensemble au bien de ceux qui
aiment Dieu , qui s'attachent à luy plaire
& à faire sa volonté.
Mais si nons devons prier pour les ennemis
de l'Eglise, pour ses Persecuteurs &
ses Boureaux : à plus forte raison pour ses
Protecteurs, ses nouriciers, & ses apuis ;
pour tous ceux qui s'interessent dans ses
maux, & qui étant vivement touchés de ses
afflictions, travaillent à sa consolation, &
à son salut. Ce sont les premiers objets de
nos soins. Nous devons étre tout de feu
pour leurs intérêts : toûjours prêts à leur
rendre tous les devoirs d'une charité sincere.
[re.]
Nous devons
étre en joye avec ceux qui
Ibid.
12, 15.
sont en joye ; & en pleurs avec ceux qui sont
en pleurs.
Nous devons partager leurs peines
& leurs plaisirs, & n'étre avec eux qu'un
cœur & qu'une ame.
Souvenés vous en, M. Ch. F. Souvenés
vous que nous sommes tous membres les uns
des autres ; ou plûtôt que nous sommes les
membres de Ch. qui est la charité même.
Relevons nos mains qui sont lâches , & prions
Heb. 12.
12.
sans cesse pour le bien & pour le salut de tous
nos Freres. I. Pour les Puissances à qui la
bonne Providence nous a soûmis ; afin que
l'Alliance que Dieu a faite avec leur Republique
puisse étre eternelle, & qu'elle comble
& les peuples & leurs Gouverneurs de
toutes les benedictions qu'elle nous promet.
Que l'impieté & le vice soient à jamais bannis
de l'Etat ; qu'il prospere également &
en paix & en guerre ; qu'il soit toûjours heureux
dans ses entreprises : tellement qu'il
n'y ait personne dans l'étendüe de ses Provinces,
qui n'ait de jour en jour de nouveaux
sujets de glorifier Dieu, & de s'attacher
encore plus fortement à son service.
Travaillons en suite à la consolation des autres
enfans de Dieu ; & sur tout à celle de
l'Eglise, qui est le corps sacré dont ils sont
les membres. Vous savés que c'est la Mere
qui nous a engendrés. La
Jerusalem d'en
Gal.
[ haut ]
haut n'est-elle pas Mere de nous tous ? Et
pourrions-nous oublier nôtre commune
Mere ? Ne nous en souviendrions-nous pas
sur tout dans le triste & le deplorable état où
elle se trouve reduite en tant de lieux ?
Que
Ps. 137.
ma langue s'attache à mon palais, & que
ma droite s'oublie elle-même, si je t'oublie
Jerusalem : si je ne fais tous les jours de ma
vie des prieres & des vœux pour ta delivrance.
Nous devons demander incessamment à
Dieu, qu'il ne luy impute point les pechés
qui ont allumé sa colere, qu'il les couvre
tous de sa charité, afin qu'elle puisse éprouver
sa misericorde & sa clemence. Ne craignons
point de redoubler nos cris. N'aprehendons
point de l'importuner par
nos clameurs. Il faut lutter constamment
avec luy, jusques à ce qu'il ait pitié
de sa poudre, qu'il releve ses ruïnes, & repare
toutes ses bréches.
Vous ne sauriés marquer trop d'attachement
& pour la Mere & pour ses enfans.
Mais ce n'est rien que vôtre affection paroisse
dans vos paroles, si elle n'éclate principalement
dans vos actions. Mes petits
enfans, dit St. Jean, n'aimés point de langue,
ni de parole, mais d'œuvre & de verité.
Prenés garde à ne leur refuser aucun des
témoignages de vôtre amour. Gardés vous
bien de refuser vos lumieres aux ignorans,
[vos]
vos consolations aux affligés, vos remontrances
aux pecheurs, vos secours aux necessiteux
& aux indigens. Verriés-vous un de
vos Freres dans la necessité & dans la misere,
sans luy tendre la main secourable ? N'auriés-
vous point de pitié des membres de
vôtre Sauveur ? Le moyen d'accorder une
dureté si prodigieuse avec la charité qu'il
nous demande & par sa parole & par son
exemple ? Vous ne sauriés
communiquer trop liberalement
aux necessités des Saints ;
Rom. 12.
13.
car elles sont grandes, & elles augmentent
de jour en jour. Vous y étes obligés par
le respect que vous devés à vos Magistrats,
qui vous y exhortent aujourd'huy par nôtre
entremise. Mais vous y étes encore engagés
par une plus grande authorité que la
leur, quelque venerable qu'elle vous puisse
étre. C'est celle de nôtre Seigneur, qui
vous en sollicite par le sang pretieux qu'il a
répandu pour vous en la croix. Quelle reconnoissance
ne luy devons-nous point pour
une grace si extraordinaire ? Et quelle autre
marque luy pourriés-vous donner de
vôtre ressentiment pour ses bienfaits ?
Nôtre
Ps. 16. 2.
bien ne va point jusques à luy. Et il est
difficile de rien faire qui luy soit plus agreable,
que de
recréer les entrailles des Saints .
Philem.
7.
Refuseriés-vous aux membres de J. Ch. le
pain que vous devés même à ses ennemis ?
[Ne] Ne leur accorderions-nous pas les biens de
la nature, nous qui devons travailler de tout
nôtre pouvoir à procurer les fruits de la grace
infiniment plus exquis aux personnes du
monde les plus éloignées de la Communion
Gal. 6.
10.
de nôtre Sauveur ?
Faisons du bien à tous,
mais principalement aux Domestiques de la
Foy.
Elargissons-nous en aumônes envers
Heb. 13.
16.
les pauvres membres de J. Ch.
Car Dieu
prend plaisir à ses Sacrifices.
Il en flairera
la bonne odeur. Elle servira à apaiser sa
colere, & à avancer la delivrance de son
pauvre peuple. Et nous jouïrons encore
des benedictions de sa grace sur la terre en la
compagnie des Saints, en attendant qu'il
nous eleve dans le Ciel, pour recevoir la
couronne qu'il a promisé à leur perseverance.
Dieu nous en face la grace. A luy Pere,
Fils & Saint Esprit, un seul Dieu en trois
Personnes divines, soit honneur & gloire,
force & empire à jamais. AMEN.