La
Sagesse de
L'Evangile.
Sermon
sur
I. Corint. II. 6.
24 Juin 1694
S. Pier. mat.
L'auteur venoit d'être consacré au St Ministère. Il
paroit que c'etoit son premier Sermon Mr J. Alphonse Turrettin etoit né le 13e août 1671 de Fr. Turrettin Prof. de Theol. & d'Elisabeth
Massé. Il n'avoit que 22 ans & 10 mois quand il composa ecrivit &
recita ce sermon.
Nous prêchons la sagesse par excellence : mais ce n'est pas la
sagesse de ce monde, ni des Grands de ce monde dont l'autorité
est passagere : c'est la sagesse de Dieu que nous prêchons. Il est ecrit de sa main
Aucun des Pharisiens a-il crû en lui ? On
faisoit fit ce reproche à J. C.
Jean VII. 48.
Il en
faisoit fit
depuis un semblable aux Apôtres & à leurs disciples. Ce reproche
paroit
dabord assez bien fondé. Jesus se dit le Messie, promis par Moïse
& par les Prophetes. Cependant ceux qui ont le plus etudié & Moïse &
les Prophetes, & qui devroient le mieux les entendre, sont les premiers &
les plus obstinez à reietter Jesus. Jesus propose au genre humain une
doctrine sublime , un nouveau moyen pour parvenir au bonheur. Mais
dés qu'on prêche cette doctrine aux Philosophes du siecle, il la traitent
d'extravagance. Le iugement de ces gens là , qu'on regarde comme des
Experts dans ces matieres , semble assurément former contre l'Evangile
un préiugé asses raisonnable.
M. F. Si les hommes etoient tels qu'ils doivent estre, Si ceux qui
passent pour les plus habiles etoient toujours les plus equitables , S'ils iugeoy
t touiours des choses par elles mesmes , sans se laisser préocuper , & sans se
laisser aveugler par leurs passions , ce preiugé seroit en effet tres legitime.
Mais nous voyons tout le contraire. Les Docteurs sont ordinairement les
plus entêtez. Ce sont les gens les plus fixes dans leurs sentimens. Ils n'aim
t point à etre instruits, eux qui instruisent ordinairem
t les autres ; Et ils ont
presque toujours de l'eloignement pour les veritez , ie dis meme pour les
veritez les plus claires & les mieux pronnées , dés qu'ils s'imaginent que leur
autorité pour leur reputation est interessée à les reietter. Ainsi , avant meme
que d'entrer dans l'examen de la doctrine du Seigneur Jesus , on ne
peut que regarder comme tres probable le reproche qu'il faisoit lui meme
aux Docteurs des Juifs , Qu'ils
ne croyoient point en lui , parce qu'ils
Jean V. 44
cherchoient la gloire des hommes , au lieu de chercher la gloire qui vient de
Dieu , et Que
la lumiere etant venuë au monde, ils aimoient mieux
Jean III. 19.
les tenebres que la lumiere , parce que leurs œuvres etoient mauvaises .
Pour se faire avoir donc une iuste idée de la Doctrine de l'Evangile , il
ne faut pas s'arrêter à ces circonstances exterieures , qui ne prouvent rien.
Il faut examiner cette Doctrine en elle meme. Il ne faut pas se mettre
en peine si elle a eté meprisée par tels & tels. Il faut voir si elle a merité
d'etre meprisée. Il faut considerer les veritez qu'elle enseigne, les preceptes
qu'elle donne , les biens qu'elle promet. Il faut peser les preuves qu'elle
donne de toutes ces choses. Il faut la comparer avec les plus pures lumieres
de la Raison. Il faut la comparer avec les vrais interets de l'Homme.
Il faut la comparer meme avec toutes les autres Doctrines, avec toutes les
autres Religions du Monde. Si on la considere regarde de cette maniere,
il est impossible qu'on ne convienne que c'est la Doctrine la plus excellente
qui ait iamais eté prechée, Que les veritez en sont sublimes , que les
preceptes en sont iustes, que les promesses en sont glorieuses, & les fondemens
certains , enfin que si les sages du siecle l'ont reiettée, elle a pourtant
toutes les qualitez necessaires pour plaire à de veritables sages. C'est ce que
[nous]
nous avons dessein, M. F. de vous prouver auiourdhui ; Et c'est aussi ce
que S. Paul vouloit enseigner aux Corinthiens dans les paroles de notre texte.
Comme Corinthe etoit une des villes les plus florissantes & les plus eclairées
de la Gréce, on y voyoit touiours un grand nombre des Philosophes Payens. Il s'y
trouvoit aussi tres souvent des Docteurs Juifs , par le commerce que la nation
Juive avoit alors dans ce païs là. Les uns & les autres , les Philosophes du
Paganisme & les Docteurs de la Synagogue, se moquoient de l'Evangile.
Premierem
t , les Dogmes memes leur en paroissoient absurdes. Jesus crucifié
etoit scandale au Juif , & folie au Grec. L'etat exterieur des Apostres
& des Chretiens en general , entre lesquels il n'y avoit ni beaucoup de sages
selon la chair , ni beaucoup de forts, ni beaucoup de nobles, leur inspiroit
encore du mépris pour l'Evangile. Enfin , la maniere dont l'Evangile etoit
preché , c. a. d. simplement & sans aucun des ornemens de l'Eloquence
du siecle , servoit aussi de fondement à leur mepris , & de matiere à leur
raillerie. S. Paul qui ecrit aux Fideles de Corinthe , non seulem
t pour
censurer leurs dereglemens, mais aussi pour fortifier leur foi , repond à
toutes ces difficultez , & dans le chapitre preced
t , & dans celui ci. Il fait
voir
dabord que cette Doctrine , que les Philosophes traitoient de folie, est
plus utile & plus efficace que toute la sagesse, que toute la Philosophie du
siecle , par ce qu'elle conduit les hommes à la veritable conoissance de Dieu
& à la vraie pieté , ce que tous les Philosophes n'avoient pû faire.
Où
I. Cor. I. 20. 21.
est le Sage , dit-il, où est le scribe? où le disputeur de ce siecle?
Dieu n'a-il pas rendu folle la sagesse de ce monde? Car puis que par
la Sagesse ou par la Philosophie , les hommes n'ont point connu Dieu
dans la sagesse c. a. d. dans les merveilles de la nature, le bon plaisir
de Dieu a eté de sauveur les croyans par la folie de la predication. S. Paul
montre ensuite qu'on ne devoit point etre choqué de la condition basse
& meprisée des Apostres & des Chretiens , & qu'on devoit au contraire admirer
en cela la profonde sagesse de Dieu , qui
avoit choisi les choses folles de
ꝟ. 27. 28. 29.
ce monde pour rendre confuses les sages , & les choses foibles pour rendre
confuses les fortes, & les choses viles & meprisées, meme celles qui ne sont
point pour rendre confuses celles qui sont, Afin que nulle chair ne se
glorifiât devant lui . Enfin, il fait voir que la maniere simple dont
l'Evangile etoit preché , etoit plutot glorieuse que honteuse à l'Evangile
parce que cela prouvoit que la conversion des hommes n'étoit pas dûë
à la beauté du discours & aux ornemens de l'Eloquence , mais à la seule
force des choses, à la seule efficace de la parole de Dieu & des miracles
chap. II. ꝟ. 4. 5.
qui l'accompagnoient.
Ma parole, dit-il, & ma predication n'a point
eté dans les paroles attrayantes de la sapience humaine, mais en evidence
d'esprit & de puissance; afin, aioute-il, que votre foi ne soit point
fondée sur la sapience des hommes, mais sur la puissance de Dieu. Aprés
avoir ainsi repondu aux principales obiections des Philosophes Payens contre
l'Evangile, l'Apostre declare que l'Evangile est lui meme une excellente
Philosophie , une veritable sagesse ; Non pas à la verité pour tout le
Monde , non pas pour de petis esprits, qui ne iugent des choses que par
l'aparence , mais pour tous ceux qui en jugent par les regles du bon sens,
non pas pour ceux qui n'en ont qu'une cõnoissance legere & superficielle,
mais pour ceux qui l'ont etudié avec soin, & qui le cõnoissent
à fond.
Nous proposons, dit-il, une sagesse entre les parfaits .
[M. F. ]
M. F. Quoi que la Religion Chretienne soit aujourdhui dominante,
elle ne laisse pas d'etre extrement meprisée dans le Monde. On ne
voit plus de Philosophes Payens qui s'en moquent. Mais on voit des
gens parmi les Chretiens qui la tournent en ridicule , qui la regardent & qui
font gloire de la regarder comme une folie , comme une foiblesse & un
entêtement des petits esprits. Et entre ceux meme , qui font profession de la
respecter , la plupart y font si peu d'attention dans le cours ordinaire de
la vie, & prennent si peu de soin d'en pratiquer les maximes, qu'on a
lieu de croire qu'ils la meprisent au fonds; ou, que s'ils la regardent en
general comme veritable , parce que dés leur enfance on les a accoutumez
à la regarder ainsi , ils n'en ont iamais bien senti la beauté & l'importance,
& ils ne sont pas bien convaincus que leur bonheur ou leur
malheur y soit attaché. Il est donc necessaire de faire voir aux Chrêtiens
la beauté & l'excellence de leur Religion, il est necessaire de leur prouver
qu'elle est tres digne de l'homme , qu'elle est tres propre à leur procurer
un parfait bonheur, enfin qu'elle est pleine de sagesse, & que
ce sont ceux qui la meprisent & qui la negligent qu'on peut avec raison
traiter d'insensez. C'est cette importante verité, M. F. dont nous
allons tâcher de vous convaincre. Dieu vueille que nos efforts ne soient
pas sans fruit. Amen.
Avant que de prouver l'excellence de la Doctrine Chretienne, il
faut voir qui sont ceux qui sont en etat, & de l'entendre & d'en
bien iuger. Ce sont les Parfaits . Nous proposons, dit S. Paul, une
sagesse entre les parfaits . Il est vrai que l'expression de l'originalέν τοῖς τελεῖσις
pourroit etre raportée aux choses memes que l'Evangile propose, &
qu'on pourroit la traduire de cette maniere. Nous proposons une sagesse
qui consiste dans les choses parfaites , c. a. d. dans de grandes veritez,
dans de sublimes mysteres. Il est pourtant plus naturel, & plus conforme
à l'usage des termes, de raporter cela aux personnes à qui l'Evangile
est annoncé, comme fait notre Version, & comme sont la plupart
des Interpretes.
Qui sont donc ces
Parfaits , pour qui l'Evangile est plein de sagesse?
M. F. On peut avoir là dessus deux ou trois idées, qui forment
chacune un sens tres iuste & tres beau. Premierem
t on peut entendre
par ces Parfaits , des gens raisonnables, qui ne iugent pas des choses
comme les enfans ont coutume de faire , c. a. d. par les seules aparences
& par les legeres impressions d'un plaisir present , mais qui en
iugent par les regles du bon sens, & par leurs vrais interets, En un mot
des hommes faits en discernem
t & en cõnoissance. C'etoit la disposition,
où S. Paul vouloit que fussent les Corinthiens, quand il leur disoit dans le
14
e de cette Epitre ,
Mes freres, ne soyez pas des enfans en sens, mais soyez
I. Cor. XIV. 20.
de petis enfans en malice , & quant au sens , soyez des hommes parfaits
ou des hommes faits . Cette disposition d'esprit est toujours tres necessaire;
car enfin il
est necessaire de faut touiours faire un bon usage de sa raison,
et
dejuger sainement des choses; Mais on peut dire qu'elle l'est sur
tout, lors qu'il s'agit de iuger de l'Evangile, parce que l'Evangile a contre
lui, & les aparences, & les conseils de la chair. L'Auteur de l'Evangile
est un crucifié. Les predicateurs de l'Evangile sont
des miserables des
gens d'une naissance basse, d'un emploi vil. On ne remarque dans leur
predication ni Eloquence, ni Erudition, ni sublimité. D'ailleurs les loix
de l'Evangile sont dures à la chair. Elles nous privent de mille plaisirs.
Elles nous exposent à mille maux. Faut-il s'étonner que des gens qui
ne iugent des choses que sur les aparences & que sur les impressions des sens
regardent l'Evangile comme une folie? Voulez-vous , dit S. Paul aux
Corinthiens, voulez-vous etre convaincus de l'Excellence de l'Evangile? N'en
jugez pas comme des enfans, Jugez-en, comme des gens raisonnables doivet
faire. Ne vous arretez pas aux aparences & aux circonstances exterieures.
Examinez le fond même de notre doctrine. Voyez quel en est le but, quel
en est l'esprit. N'écoutez point là dessus vos preiugez. Ne suivez
point vos passions. Ne suivez que les regles du bons sens, & que vos vrais
interets. Tant que vous ne serez pas dans cette sage disposition , notre doctrine
vous paretra toujours extravagante ; mais dés que vous y serez entrez, elle
vous paretra pleine de sagesse. Nous proposons une Sagesse entre les Parfaits .
On peut attacher une autre idée au mot de Parfaits .Les Païens
apeloyt ainsi ceux qui etoyt initiez dans les secrets de la Philosophie
τελει῀ουν .
ou dans les mysteres de la Religion. Rendre parfait , c'etoit initier,
τελει῀ουσθαι .
c'etoit introduire dans ces mysteres ; Etre rendu parfait, c'etoit y etre
גמרים
initié, y estre introduit. Les Juifs avoient aussi leurs Parfaits ; Ils apeloyt
ainsi leurs Docteurs les plus habiles. Les Auteurs Ecclesiastiques empruntent
de là ces termes, & les apliquent aux nouveaux Chretiens, lors
qu'ils avoyt eté admis à la participation des sacremens. Ils apelent meme
τὸ τελειον , τελετή ,
τελείωσις .
tres souvent & le Bateme & l'Eucharistie les Mysteres de Perfection ou de
Consommation , parce que c'etoyent les derniers pas qu'avoient à faire les
nouveaux Chretiens, & qu'ils n'y etoient admis qu'aprés avoir passé
par tous les degrez de la Discipline de l'Eglise. On distinguoit ainsi dans
ἀτελέζεροι .
ce tems là deux sortes de Catechumenes, les moins parfaits qui n'assistoyt
τελειώτεροι .
qu'à une tres petite partie du service de l'Eglise, & les plus parfaits , qui
assistoient à tout le service, si ce n'est à la celebration des mysteres. Mais
sans nous étendre là dessus, remarquons que S. Paul peut fort bien faire
allusion dans notre texte à ceux que les Juifs & les Payens apeloient
Parfaits , c. a. d. aux initiez dans les mysteres. Cela etant, sa pensee
est celle ci, Que pour recõnetre l'Excellence de l'Evangile, il ne suffit pas
d'en avoir une conoissance legere & superficielle, Il faut le conestre à fonds; Il faut
en avoir sondé les mysteres les plus cachez, Il faut en avoir
penetré les veritez les plus relevées , Il faut meme (Car c'est là propremt
y etre initié) Il faut s'estre soumis dans la pratique, Il faut en
avoir pratiqué executé les regles, Il faut en avoir éprouvé soi meme les
fruits & les avantages.
On peut donner un 3
e sens aux
Parfaits de notre texte. On
peut entendre par là tous ceux en general qui ont le genie le plus
élevé, qui ont le plus de lumiere ; ceux meme que les Juifs & les
Payens apeloy
t parfaits, leurs plus habiles Docteurs, leurs plus grands
Philosophes. Suivant cette idée, S. Paul voudra dire qu'on trouve dans
l'Evangile une sagesse digne de l'admiration de plus grands genies, & que
tout ce qu'il y avoit d'habiles gens & chez les Juifs & chez les Payens
n'auroy
t pû s'empêcher d'en etre ravis , S'ily avoient voulu faire une
serieuse reflexion. Effectiuement, la Religion du Seigneur Jesus est
x
pour les plus habiles, comme pour ceux qui le sont
moins.propre pour tout le monde,
x Elle est mal cõnuë dans l'eglise Romaine,
où l'on ne croit pas qu'elle ait rien de propre pour le vulgaire, & où l'on
[empeche]
empêche que le vulgaire n'en ait aucune cõnoissance. Mais elle etoit aussi
fort mal cõnuë par ces Payens , par un Celse, par un Porphyre, par un
Julien , qui l'apeloyt la Religion des ignorans & des idiots. Si elle a des
veritez simples & aisées , pour ceux qui n'ont pas beaucoup de lumiere , elle
en a de grandes & de sublimes , pour ceux qui ont l'esprit plus élevé. Si elle
a du lait pour les petis enfans, elle a de la viande solide pour ceux dont
l'âge est plus avancé. C'est une riviere que les agneaux passent à gué, &
où les Elefans nagent. Non seulemt on y trouve & des veritez simples, & des
veritez sublimes ; on peut dire même , que dans ses veritez les plus simples,
que dans les principes les plus familiers , on trouve , lorsque l'on les envisage
bien , une beauté merveilleuse, une profonde sagesse. Mais , M. F.
il ne suffit pas de le dire, Il faut le prouver ; Et c'est ce que nous
allons tâcher de faire d'une maniere propre à toucher convaincre tout esprit raisonnable.
Nous proposons , dit S. Paul , une sagesse .
x Qu'est
propremt donc que cette
x
On voit bien qu'il fait allusion à ceste science que les
Grecs apeloyent Sagesse ou Philosophie.
Mais science ?
qu'on apele Sagesse ou Philosophie? Qu'est-ce qu'elle se propose?
Qu'est-ce qu'elle fait? Elle fait , ce me semble , ces trois choses. Premierem
t elle eclaire notre esprit , en nous proposant de grandes & d'importantes veritez,
en nous expliquant , autant qu'il se peut , la nature de tou
tes s les
choses êtres, en
nous découvrant les causes secretes des effets surprenans qui frapent nos yeux.
C'est ce qu'on apele la partie
speculative de la Philosophie. En 2
d lieu,
elle regle nos mœurs. C'est ce qu'on apele la partie
practique de la Philosophie.
On y trouve d'abord des regles generales pour tous les hommes , dans quelqu'etat
& dans quelque condition qu'ils soient ; C'est ce qu'on apele proprement la
Morale. On y trouve des regles particulieres pour la conduite des familles;
C'est ce qu'on apele
l'Economique. On y trouve des regles particulieres pour
le gouvernement des Etats; C'est ce qu'on apele la
Politique. Enfin,
la Philosophie doit nous rendre heureux. C'en est là le grand but; C'est là
la grande promesse de ceux qui l'enseignent. Si nous faisons donc voir
que l'Evangile nous enseigne de grandes & d'importantes veritez, si nous
faisons voir qu'il nous donne des regles sûres pour toute notre conduite , si nous
faisons voir qu'il nous propose un moyen aisé & infaillible pour etre heureux,
si nous faisons voir que ce qui chaque le plus & dans les dogmes , & dans
les preceptes & dans les promesses de l'Evangile , est au fond tres sage & tres bien
lié avec tout le reste , Si nous faisons voir enfin que & dans les dogmes,
& dans les preceptes , & dans les promesses , toutes les autres Doctrines sont infiniment
inferieures à l'Evangile , nous aurons bien prouvé , ce me semble,
que l'Evangile est en effet la plus excellente Philosophie , la plus parfaite
Sagesse qui ait iamais eté enseignée. Or c'est ce que nous allons montrer en détail.
I. Pour commencer par les Dogmes , voici en peu de mots ce que
l'Evangile nous enseigne. Il nous donne dabord une grande idée de Dieu.
Il nous le represente comme un Etre tout parfait , comme un Esprit infini,
souverainement puissant , souverainement sage, souverainemt iuste, souverainemt
bon. Il nous enseigne que Dieu a creé le Monde, & qu'il le
gouverne par sa Providence ; Qu'il a fait d'un seul sang tout le genre
humain, & qu'il lui a donné des Loix pour se conduire ; Que l'homme
etoit sorti innocent & heureux des mains de Dieu , mais qu'il etoit tombé
bientot dans la rebellion & dans la misere ; Que de là étoit venuë &
cette profonde ignorance, & cette basse superstition, & ce dereglement general
des mœurs qu'on avoit vû se répandre dans le monde ; Que de là etoyent
[aussi]
aussi venus tous ces desordres, tous ces malheurs, toutes ces divisions, toutes ces
guerres , enfin ce prodigieux nombre de maladies & la mort meme, où les
hommes ont touiours eté suiets ; Que Dieu avoit laissé durant plus
rs siecles
tous les peuples marcher dans leurs voyes, & qu'il n'avoit favorisé de ses Revelations
particulieres que la seule Nation Juive , qui n'avoit pas laissé de tomber
elle-meme dans une grande corruption ; Qu'enfin Dieu touché de pitié envers
tous les peuples leur a fait prêcher à tous la repentance & la remission des
pechez ; Qu'il a envoyé son Fils unique, son Fils bien aimé au monde ,
Qu'il l'a meme exposé à une mort cruelle & honteuse , afin que ceux
qui croient en lui & qui se rangeront sous sa Discipline , ne perissent point
mais qu'ils ayent la vie eternelle ; Qu'au reste Dieu doit iuger un iour
Act. XVII. 31.
le Monde universel en iustice par l'homme qu'il a determiné ; Qu'alors
ceux qui lui auront eté fideles & qui auront fait tous leurs efforts pour
plaire seront eternellem
t heureux, &
les mechans au contraire seront eternellement
malheureux.
Telle est la doctrine de l'Evangile. On en fait l'eloge en meme tems
qu'on en fait le plan. Cependt pour en mieux sentir l'Excellence, remarquons
y ces quatre caracteres. Le 1r que ce sont là des veritez grandes &
sublimes. Le 2d que ce sont des veritez tres utiles & tres importantes. Le 3e
qu'elles sont toutes tres bien liées & avec nos lumieres naturelles, & les unes avec
les autres; Je dis toutes , sans excepter celles qui semblent d'abord les moins
raisonnables. Le 4e enfin que ce sont des veritez certaines & indubitables.
1. Premieremt donc se peut-il rien de plus beau , & de plus sublime que
cette doctrine ? Peut-on avoir une plus grande, une plus noble idée de
Dieu, de sa nature, de ses vertus, de ses actions, de sa conduite à l'égard
des hommes ? Quelle difference de cette idée , à toutes celles qu' avoient là des9
& les Payens, & les Juifs eux-memes. Les Dieux des Payens
etoyt chargez de crimes ; Il y en avoit de larrons, de menteurs, d'incestueux.
Leur Jupiter lui-meme, leur Dieu souverain etoit le plus criminel de tous.
Le Dieu des Chretiens est parfaitemt saint , & parfaitemt iustes. Les Dieux
des Payens etoyt materiels , de là vient qu'ils les servoyt d'une maniere
toute materielle. Les Juifs, quoique mieux instruits de Dieu,
le concevoyt la plupart d'une maniere presqu'aussi grossiere ne laissoient pas d'en avoir des idées fort imparfaites. L'Evangile seul nous
aprend bien clairemt que Dieu est esprit , & qu'il veut etre servi
d'une maniere spirituelle en esprit & en verité. Aprés tout, les Dieu des Payens etoyt des Dieux
cruels & farouches; Dans l'Ancien Testamt, Dieu ne montre presque pas
sa iustice ; c'est l'Eternel des Armées, le Dieu des Vengeances, le Grand,
le terrible. L'Evangile seul nous le represente plein de Bonté & de
Misericorde. Si l'Evangile nous donne une grande idée de Dieu , ne nous
donne-il pas aussi une idée bien noble de l'Homme ? Il nous le represente
comme le Chef d'œuvre des mains de Dieu son Createur, comme l'obiet de
ses Bontez les plus tendres , comme reservé pour l'Immortalité. Mais
sur tout , se peut-il rien de plus merveilleux, que le qui est employé mystere de notre
Redemption ? Dieu lui meme , du haut de son Ciel,
envoye au Monde son propre Fils , afin que par sa vie & par sa
mort , par sa predication & par son Exemple, il nous conduise au
souverain bonheur. Peut-on nier que ces dogmes, ie dis meme à les
regarder comme de pures suppositions, ne soient grands & admirables ; Et
y a-il iamais eu de Religion , y a-il iamais eu de Philosophie, qui en ait enseigné
de si sublimes ?
[En]
2. En 2d lieu , se peut-il rien de plus important que tous ces dogmes ?
Combien de choses inutiles ne nous enseigne pas la Philosophie? Combien
peu de choses utiles nous enseigne-elle? Ici tout nous est important ,
tout nous interesse. Nous y aprenons ce que nous sommes, d'où nous
sommes venus, & ce que nous deviendrons. Nous y aprenons qui est celui
à qui nous devons l'être, & avec l'être tous les biens que nous possedons.
Nous y aprenons quelle est l'origine de tous nos maux, & qu'il en est le
remede. Enfin nous y aprenons quels sont nos vrais interets, & en quoi
consiste notre souverain bien.
3. Mais ce qu'il faut sur tout remarquer , c'est que tous ces dogmes
sont tres bien liez , & avec nos lumieres naturelles , & les uns avec les autres.
Otez l'Evangile. Tout est obscur, tout est incomprehensible dans la nature.
Posez l'Evangile. Tout devient clair, tout devient aisé à comprendre.
Quand jous iettons les yeux sur la structure de cet Univers , sur la
beauté des parties qui le composent, sur la liaison qu'elles ont les unes
avec les autres, & sur leurs usages differens ; Quand nous considerons sur
tout cette merveilleuse disposition des parties de notre corps , ce raport
exact qu'elles ont toutes , iusqu'aux plus petites , à leurs fins particulieres ,
Quelle raison pouvons-nous rendre de toutes ces choses , si nous
ne disons qu'elles sont toutes l'ouvrage d'un Dieu, infinimt puissant,
infinimt bon, infinimt sage, tel, en un mot, que l'Evangile nous le represente?
de meme, Quand nous faisons reflexion sur l'Homme,
sur cette etenduë infinie de cõnaissances dont il est capable, sur cette
facilité merveilleuse avec laquelle il develope & il met en œuvre toutes ses
cõnaissances, sur cette penetration surprenante qui rapele le passé,
qui perce dans l'avenir, & que les bornes memes de l'Univers ne sauroyt
borner ; sur ces nobles idées qu'il a, & de la Divinité , & du iuste &
de l'injuste, idée qui sont d'autant plus vives & plus distinctes que
l'Homme est plus parfait & plus éclairé ; sur cette force , sur cette
intrepidité dont un petit nombre de pensées peut le revêtir, iusqu'à
lui faire entreprendre & à lui faire soufrir les choses du monde les
plus difficiles ; enfin , sur ses immenses desirs, que tous les biens du
monde ne remplissent point, & que le seul infini peut satisfaire :
Parlons sincerement , Quand nous meditons sur toutes ces choses, pouvons-
nous nous resoudre à reduire l'homme à la condition des bêtes,
pouvons-nous nous persuader qu'il ne soit autre chose qu'une vile
portion de matiere , qu'il ne soit au monde que pour manger & pour
boire, & qu'il ne doive durer qu'autant que durera cette vie? Et ne
trouvons-nous pas bien plus raisonnable ce qu'en dit l'Evangile quand
il nous assure qu'il a une ame immortelle , que Dieu lui a donné
des Loix pour le conduire , qu'il est au monde pour glorifier Dieu
en executant ses Loix, & que s'il le fait, un bonheur infini luy est
reservé apres cette vie? Voilà le beau côté de l'Homme. Si nous
en considerons presentement le côté fâcheux, ces erreurs, ces egaremens
qui lui sont si ordinaires, cette prodigieuse pante qu'il a à se rendre
esclave tantôt d'un périssable metal, tantôt d'une brutale passion,
tantôt d'une vaine fumée, ces excés horribles d'iniustice & de
où il tombe si souvent, ces haines implacables , ces guerres
sanglantes qu'une folle ambition ou qu'un miserable interêt excite ;
Si nous pensons en meme tems à combien de maladies, à combien de
miseres il est exposé ; Quelle raison rendre de toutes ces choses, Commt
les concilier avec les Grandeurs de l'Homme , si l'on ne dit avec
l'Evangile, que l'Homme est décheu de l'Excellence de son origine , &
qu'il est tombé par sa propre faute dans une extreme corruption & dans
une grande misere. Aprés tout, Quand on pense combien Dieu est bon
& combien il aime ses creatures , on a de la peine à s'imaginer qu'il laisse
tous les Hommes dans ce triste etat; Ainsi, l'on trouve fort raisonnable
ce que l'Evangile nous annonce, & de la Misericorde de Dieu, & de
l' œuvre de notre salut.
Il est vrai que nous n'eussions pas pû découvrir, par nos seules
lumieres naturelles, le moyen admirable que Dieu a employé pour notre
Redemption. Mais dés que Dieu nous l'a revelé, nous le trouvons
trés bien lié avec nos lumieres naturelles. Quoi donc, direz-vous,
paroit-il raisonnable que le Fils de Dieu vienne dans le au Monde dans
un etat vil & meprisé, qu'il naisse dans une étable, qu'il passe pour
le fils d'un Charpentier, qu'il n'ait pas meme un lieu ou il puisse reposer
sa tête, & qu'enfin il finisse ses iours comme un scelerat, par un suplice
cruel & infame? Ouï, M. F. quelqu'etrange que cela paroisse, on
le trouve tres sage & tres raisonnable , quand on l'examine sans prevention.
Dieu veut enseigner aux homme à ne conter pour rien la vie presente,
à mépriser les Honneurs, les Richesses, le Plaisirs des sens, pour ne penser
& pour n'aspirer qu'aux biens eternels d'une vie à venir. N' est-il
pas à propos que celui qui viendroit t pour annoncer cette doctrine,
soit dépouillé lui meme de tous ces avantages temporels, dont il voudroit veut
détacher les hommes ? Dieu veut enseigner aux hommes à souffrir avec
patience tous les maux qui leur arrivent; N'etoit est-il pas à propos,
que celui qui les exhorteroit à cette patience, leur en donnât e en meme tems
un exemple illustre dans sa personne? D'ailleurs, rien ne montre mieux
combien Dieu est iuste, rien ne montre mieux, combien il a d'honneur pour le
peché, que de voir qu'il aime mieux exposer à la mort son propre
Fils, que de no9 pardonner les nos pechés sans sacrifice. Mais encore ,
direz vous, n'auroit-il pas mieux valu que le Fils de Dieu eût
paru dans le Monde comme un conquerant, revêtu de toute sa gloire,
& accompagné de ses anges ? Avec cet equipage, n'auroit-il pas plus
aisémt sûrement etabli son Regne, n'auroit-il pas plus aisément converti le
Monde? Encore un coup. Cela n'auroit pas si bien répondu, ni au
but de sa venuë, ni à la nature de son Regne. Le Regne de
Jesus n'est pas de ce monde. Une splendeur mondaine ne lui auroit donc
pas convenu. Jesus conquerant auroit peut-etre plus aisémt trionfé
des corps: Mais Jesus crucifié trionfe plus heureusement des cœurs.
Une legion d'Anges auroit pû forcer les hommes à se ranger sous ses
Loix : Mais une troupe de pauvres pescheurs , qui n'ont d'autres e force
que la parole meme qu'ils annoncent , est bien plus propre à amener les
pensées prisonnieres sous son obeïssance. Nous reprochons aux Mahometans
que leur Religion ne s'est établie que par la seule force des armes.
Si Jesus fût venu au monde comme un conquerant, ou pourroit nous
faire le meme reproche. Nous avons donc raison de conclurre, comme
nous l'avons posé, Que les veritez de l'Evangile sont tres bien liées, &
avec nos lumieres naturelles, & les unes avec les autres, & Que celles-là
meme qui nous semblent d'abord les moins raisonnables , sont dans le fond
pleines de sagesse.
4. Nous avons aiouté une 4e chose, c'est que ces veritez sont
non seulement grandes & sublimes, non seulement utiles & importantes,
non seulement tres bien liées & avec nos lumieres naturelles & les unes avec
[les autres ;]
les autres, Mais encore certaines & indubitables. O que ce caractere se
trouve peu dans la Philosophie du siecle ! Ce n'est presque qu'un miserable
amas de peut-êtres. Tout y est douteux, tout y est problematique. Le
pour & le contre y peuvent le plus souvent être soutenus avec une égale
facilité. Ici au contraire tout est certain, tout est hors de douteindubitable. Quand il n'y auroit
que la beauté de ces dogmes, Quand il n'y auroit que la liaison qu'elles ils
ont & avec nos lumieres naturelles, & les uns avec les autres, cela pourroit
suffire pour les prouver. Mais il y a plus. Il y a des Faits illustres, &
qu'on ne peut revoquer en doute. Les Miracles du Seigr Jesus, sa Resurrection,
son Ascension, l'effusion du S. Esprit, les miracles de Apotres, &
ceux en general des premiers Chrestiens. Si ces Faits sont vrais, on ne
peut douter que notre Doctrine ne le soit aussi. Mais qu'ils soient vrais,
c'est ce qu'on n'a aucune raison de mettre en doute. Ce ne sont point
des miracles Faits cachez, comme tous ces pretendus miracles dont on se vantoit
chez les Payens, & ceux dont on se vante encore dans le Papisme ; Ce sont des Faits
publics, des Faits bien circonstanciez, des Faits arrivez en presence d'une
infinité de témoins. Ceux qui les raportent , ne doivent point nous être
suspects. Ce sont des gens qui les ont vûs de leurs propres yeux, des gens
de bon sens & qu'on ne sauroit soupçonner d'etre visionnaires , des gens avec cela
d'une vie irreprochable , des gens d'une naissance, d'une condition, d'une
profession à ne former pas de grands & d'ambitieux desseins , des gens qui
n'auroient osé avancer des Faits comme ceux-là, s'ils eussent eté faux,
parce qu'on auroit pû fort aisément mettre en evidence leur imposture,
des gens, enfin, qui sont prêts à souffrir & qui soufrent effectivemt les
plus cruels suplices & la mort meme pour soutenir la verité de leur temoignage.
M. F. Je ne sache trouve aucun Fait dans l'histoire ancienne, qui
ait des caracteres de verité plus incontestables. Je ne sai même s'il en
arrive aucun de nos jours, dont nous puissions avoir de plus fortes preuves,
si nous n'en sommes pas les témoins nous-memes. S'il y a donc de la
folie à douter de tous les Faits de l'Histoire ancienne, S'il y a de la
folie à douter de tous les Faits que nous n'avons pas vûs nous-memes
sans exception, il y en a assurémt à douter & des Faits de l'Evangile,
& des dogmes qu'ils confirment.
II. En voilà assez pour ce qui regarde les Dogmes. Passons aux
préceptes, & faisons en voir aussi la beauté & la sagesse. Voici en peu de
mots ce que l'Evangile nous ordonne, & à l'egard de Dieu, & à l'egard des
autres hommes, & à l'egard de nous memes. A l'egard de Dieu, il nous ordonne
de l'estimer souverainement, de l'aimer de tout notre cœur, de nous
soumettre à sa volonté, de nous confier en sa bonté, de faire tous nos efforts
pour lui plaire, de pratiquer exactemt tout ce qu'il nous commande, de
l'invoquer dans nos besoins, & de lui témoigner notre reconnoissance pour
toutes les graces qu'il nous a faites. A l'egard des autres hommes, il
nous ordonne de les aimer comme nous nous aimons nous-mêmes, d'en
user avec eux comme nous voudrions qu'ils en usassent avec nous, d'être
touiours doux, officieux, complaisans, de faire du bien aux pauvres, de pardonner les iniures, d'aimer
& de servir ceux meme qui nous haïssent & qui nous persecuttent, enfin
de rendre à tous ce que nous leur devons, selon les differens etats où ils
sont, & selon les relations que nous avons avec eux ; Peres, & ou enfans;
Maitres, & ou serviteurs; Magistrats, & ou peuple. A l'egard de nous-mêmes,
il nous ordonne d'observer les regles d'une exacte temperance , d'une iuste
moderation, d'une sage modestie ; de n'avoir de l'atachement ni pour les
Honneurs , ni pour les Plaisirs, ni pour les Richesses; d'aspirer à des Honneurs,
[à]
à des Richesses, à des plaisirs infinimt plus considerables, ie veux dire à
ceux de la vie à venir ; de nous servir de nos biens que nous avons sans
excéz es & sans insolence; de souffrir les maux que la Providence nous envoye
avec patience & avec soumission.
Tels sont les preceptes de l'Evangile. Qu'ils sont beaux, Qu'ils sont
raisonnables , Qu'ils sont utiles ! Qu'ils conviennent bien à l'Homme,
Qu'ils sont bien dignes de Dieu ! Mais, M. F. pour en mieux sentir
toutes les beautez, remarquons y ces quatre caracteres. Le 1r. Qu'ils sont
tres justes & tres raisonnables; Le 2d qu'ils sont purs & sans mélange.
Le 3e qu'ils sont tres utiles avantageux, meme par raport à cette vie, & à l'egard des
particuliers, & à l'egard de la Societé toute entiere. Le 4e qu'ils sont
apuïez sur des motifs tres forts & tres convainquans. A quoi nous ajouterons
en 5e lieu que nous avons un modele accompli de toutes ces vertus dans la
personne du Seigr Jesus.
1. Premieremt donc y a-t-il rien de plus iuste & de plus raisonnable
que tous ces preceptes ? Y a-il rien de plus iuste que ceux qui regardt
la Divinité? Dieu est infiniment parfait. N'est-il pas iuste que nous
l'estimions souverainement ? Il nous a donné tous les biens que nous possedons.
N'est-il pas iuste que nous l'aimions de tout notre cœur, & que nous lui
rendions nos actions de graces ? Il est notre Maitre, & il peut nous rendre eternellemt
heureux ou malheureux. N'est-il pas iuste que nous le craignions,
& que nous facions tous nos efforts pour lui plaire? Il est tout bon & tout
puissant. N'est-il pas iuste que nous ayons en lui une entiere confiance,
& que nous nous adressions à lui dans tous nos besoins? Enfin, il est tout
sage. N'est-il pas iuste que nous nous soumettions à sa volonté? Ce
que l'Evangile nous ordonne à l'egard des autres hommes n'est pas moins
raisonnable. Ils sont tous nos freres. Nous sommes tous faits pour vivre ensẽble
Nous avons tous besoin du secours les uns des autres.
N'est-il pas iuste que nous nos aimions, & que nous tachions de nous rendre utile
les uns aux autres ? Les preceptes même de l'Amour des Ennemis & du pardon
des iniures, qui sont particuliers à la Religion Chrétienne, sont tres iustes &
tres raisonnables. En effet, nos ennemis ne laissent pas d'estre nos freres. S'ils
manquent à ce qu'ils nous doivent, nous ne sommes pas dispensez nous-memes
de ce que nous leur devons. D'ailleurs, c'est faire une iniustice, que de se
vanger soi-même. C'est troubler l'ordre, c'est s'attribuer un droit qui est propre
à Dieu Aprés tout, il est sûr que c'est un excellent moyen & pour terminer
les differens, & pour nous faire aimer nos ennemis, que de les aimer nous-
memes, & que de leur rendre le bien pour le mal. Tout C ce que l'Evangile nous commande
par raport à nous-mêmes, est aussi tres conforme à la Raison & à la
Justice. Mais quoi? direz-vous, quand l'Evangile nous fait mepriser & les Honneurs, &
les Richesses, & les Plaisirs de cette vie, peut-on dire que cela soit raisonnable?
Il l'est assurément ; car enfin, n'est-il par raisonnable de mepriser de petis
biens, quand on en peut avoir de fort grands? N'est-il pas raisonnable, de
negliger des plaisirs, souvent imaginaires, touiours imparfaits, quand on en
peut avoir de tres parfaits & de tres solides? Mais quoi, direz-vous encore,
Quand J. C. nous ordonne de renoncer à nous-mêmes, & de nous haïr nous-mêmes,
peut-on dire, que ce precepte soit conforme à la Raison? Il l'est assurémt,
& pour en convenir il ne faut que voir ce que c'est que renoncer à soi-même,
& que se haïr soi-même dans le sens de J. C. Ce n'est pas ne s'aimer absolumt
plus soi-même. Ce n'est pas souhaiter d'etre malheureux. Ce n'est point cela.
C'est bien se priver de quelques plaisirs. C'est bien renoncer à de fortes habitudes.
C'est même quelquefois renoncer à tous ses interets temporels; M'ais c'est
faire tout cela pour plaire à un Dieu à qui nous sommes redevables de tous
les biens que nous possedons, & qui doit nous rendre eternellemt heureux, si nous nous
conformons à sa volonté Y a-il rien de plus raisonnable? Vous voyez
[donc]
donc, M. F. que tous les preceptes de l'evangile sont tres raisonnables & tres iustes
& que ceux-là meme qui nous paroissent d'abord les moins sages, sont en effet
remplis de sagesse.
2. Nous aioutons y remarquons une seconde chose caractere: C'est qu'ils sont purs & sans mélange,
On n'y voit point de ces folles Loix, dont la Religion Payenne estoit composée.
On n'y voit point ce grand nombre de ceremonies, que Dieu avoit commandées,
dirai-ie ou permises à la foiblesse des Juifs. Toutes les Loix de l'Evangile
sont bonnes, utiles, raisonnables en elles-mêmes. Il prescrit On y voit à la verité un culte
exterieur, mais ce culte exterieur est plein de sagesse. On y voit quelques Ceremonies,
quelques sacremens, Mais elles ces ceremonies sont simples & en petit nombre, tres
propres à eclairer & à apliquer l'esprit, tres propres à lui donner de iustes idées
des choses divines. Enfin, s'il faut servir Dieu de quelque maniere, comme
personne n'ose le nier, il faut assuremt les servir comme l'Evangile nous l'ordonne.
3. Mais ce qu'il faut sur tout remarquer, c'est que les preceptes de l'Evangile
sont tres utiles, même par raport à cette vie. Pour en convenir, vous n'avez, M. F.
qu'à vous representer une societé de gens, qui vivroient tous selon ces preceptes, qui
s'atacheroient à adorer le Createur de l'Univers, qui se tiendroient touiours dans les
bornes de la Temperance & de la Modestie, & qui en useroient constamm
t avec leur
prochain, comme ils voudroient que leur prochain en usât avec eux. Je vous laisse
iuger si cette societé ne seroit pas tres heureuse & tres agreable. On ne feroit
tort à personne aucune iniustice ; Et l'on n'en recevroit aucune. On ne sauroit ce que c'est que de tromper;
On ne sauroit aussi ce que c'est que d'être trompé. On n'auroit rien à craindre de
l'iniustice la violence ni la cruauté des Hommes. L'amour des richesses & des Honneurs , ne
causeroit ni envie, ni ialousie, ni haine. Il n'y auroit ni guerres, ni divisions, ni
proc
ez és. Nous ne penserions tous qu'à nous faire plaisir & qu'à nous rendre utiles
les uns aux autres. Les peuples seroient touiours soumis à leurs Princes. Les Princes n'abuseroient
iamais de leur autorité. Les enfans auroient une iuste deference pour leurs
peres. Les peres seroient
aussi touiours equitables envers leurs enfans.
x On ne s'attireroit aucune
x
Il n'y auroit point de pauvres, Il n'y auroit point de
miserables. maladie par son intemperance. On ne verroit aucune querelle causée par la débauche.
L'esprit enfin dans une parfaite tranquillité, Le corps aussi sain que notre infirmité naturelle
le peut permettre, & l'un & l'autre iouïssant des innocens plaisirs
que dont l'Evangile
nous
acorde laisse l'usage nous ne voudrions iamais quitter une si aimable vie, si nous n'esperions
d'en posseder une autre exemte de toutes les incommoditez qui
nous sont
inimitables sur la terre.
Encore un coup. Jugez si Disons-le encore, M. F. Cette societé ne servit
elle pas un vrai
Paradis, &
si la doctrine qui donne ces Loix n'est
-elle pas en effet une excellente Philosophie,
une parfaite Sagesse?
Il est vrai que ce n'est là qu'une belle idée. Il est vrai que les gens de bien se
trouvent mêlez parmi des mechans, & que les mechans sont & plus puissans, & en plus grand
nombre que les autres. Cela fait que ceux qui veulent vivre selon les preceptes de J. C.
ne sont pas à beaucoup prez és si heureux, qu'ils le seroient si chacun vivoit de la meme
maniere. On ne peut pourtant nier qu'il n'y ait divers preceptes dans l'Evangile,
dont la pratique nous est tres avantageuse dans cette vie, nonobstant la corruption
qui regne aujourdhui. Il faut mettre dans ce rang le precepte de la sobrieté & de la
Temperance ; Car quelque déreglé qu'on soit dans le Monde, il nous est toujours utile
pour notre santé & pour notre repos d'etre temperans & sobres. Il faut mettre
dans ce rang le precepte de la Douceur & de la Complaisance; car il est sûr
qu'un homme doux & complaisant sera touiours & plus aimé & plus heureux qu'un
homme colere & emporté. Il faut mettre dans ce rang le precepte de l'Humilité
& de la Modestie. Tous les hommes ont naturellement un grand fonds d'orgueil; Cependt
il n'en est point qui ne haïsse l'orgueil & qui n'aime l'Humilité dans les autres.
Il faut encore mettre dans ce rang le précepte de la Patience, qui est en effet
un veritable précepte de prudence. De la maniere dont les choses vont dans le
Monde, il n'est point d'homme qui ne se trouve oposé à une infinité de maux
inevitables ; Rien n'est si propre à les adoucir que la patience. Et quand ces maux viennt
de l'iniustice & de la cruauté de nos ennemis, rien n'est encore si propre
à fléchir nos ennemis que notre patience que la patience à leur toucher le cœur et à les flechir. Enfin on peut encore mettre dans ce rang le precepte de la
sincerité & de la droiture. Le Monde est rempli de fourbes. On dit qu'il faut l'etre pour s'avancer,
& il est vrai qu'on s'avance quelquefois par cette voye. Mais cela n'arrive pas touiours,
[et]
& souvent on a lieu de se repentir d'avoir trompé. Ainsi, le plus sûr est, meme
dans ce monde corrompu, d'agir touiours de bonne foi.
Vous voyez donc qu'il y plus
rs. preceptes dans l'Evangile, dont la pratique
nous est tres utile, meme par raport à cette vie,
nonobstant la corruption qui regne auiourd'hui quoi-que la plupart des hommes se conduisent d'une autre maniere. J'avouë qu'on ne peut pas dire la meme chose de tous
les Preceptes, & qu'il y
en a quelques-uns, qu'il seroit plus avantageux de violer dans de certaines rencontres.
J'avouë par exemple , que dans un tems de persecution il seroit plus avantageux
selon le Monde d'abandonner l'Evangile, que de confesser le Seig
r Jesus devant les
hommes. Et c'est par raport à ce tems de persecution que S. Paul disoit que
si nous
I. Cor. XV. 19.
n'avions esperance en Christ que pour cette vie seulement, nous serions les plus miserables
de tous les Hommes . Mais si dans ces occasions & dans quelques autres,
l'Evangile se trouve contraire à nos interets mondains, cette perte est bien reparée
d'un coté par
le la delivrance d'un malheur eternel que nous evitons par là, & de l'autre par la
gloire eternelle, que nous nous procurons.
4. Et c'est ce malheur
eternel & cette gloire
eternelle que nous apelons les
x
& un 4e avantagegrands motifs de l'Evangile, & que nous
remarquons comme un 4
e caractere
x de
la Morale Chretienne. C'est ici, c'est ici veritablem
t que notre Sainte Philosophie
trionfe de toutes les autres. Elle est fondée sur la roche. Toutes les autres
ne
semblent sont bâties que sur le sable. c'est un foible motif pour des vertus difficiles,
pour des vertus oposées à nos interets
presens, que la seule beauté
de ces vertus memes. Mais ce sont des motifs bien forts & bien convainquans
que la crainte d'une misere eternelle, & que l'esperance d'un bonheur infini;
sur tout, quand on a des preuves, & de cette misere & de ce bonheur, aussi
certaines que celles de l'Evangile.
5. Autre avantage de la Morale Chretienne, C'est qu'elle nous propose
avec de parfaites loix, un parfait Modele dans la personne du Seigr
Jesus. Mais, M. F. sans nous etendre là dessus, passons à la
preuve de notre IIIe Point, savoir que l'Evangile, & l'Evangile seul peut nous
rendre heureux, & qu'à cet egard comme à tous les autres c'est la plus excellente
Philosophie qui ait iamais eté enseignée.
III. Pour nous rendre heureux, il faut faire deux choses. Il faut
nous delivrer des maux qui nous pressent. Il faut nous procurer les biens
qui nous manquent. L'Evangile fait l'un & l'autre.
Premt il nous delivre de nos doutes, de ces terribles doutes où nous serions
& sur ce qui regarde la Divinité, & sur ce qui nous regarde nous memes, &
sur notre origine & sur notre fin. Il ne se peut rien de plus affreux
que ces doutes, Il ne se peut rien de plus contraire au bonheur. La
Philosophie Payenne n'en delivre tiroit pas. Au contraire, elle y conduisoit
elle meme. L'Evangile seul, comme nous l'avons montré, nous donne
des lumieres tres satisfaisantes sur toutes ces choses.
En 2d lieu, l'Evangile nous delivre de nos passions, de ces passions
violentes & inquietes, qui troublent sans cesse notre repos, & qui bouleversent
si souvent les societez.
En 3e lieu, l'Evangile nous garentit des incommoditez que nos
vices nous attireroyent. Il nous garentit des maux qu'attire l'intemperance,
par la temperance qu'il nous prescrit. Il nous garentit des maux
qu'attirent les fraudes & les iniustices, par les regles de droiture & d'équité
qu'il nous donne.
En 4e lieu, pour ce qui est des maux qui nous sont inevitables,
l'Evangile nous aide à les suporter, par les puissantes consolations qu'il
nous donne. C'est ici encore, que la Philosophie Chretienne trionfe. Zenon
vouloit, qu'on ne sentit pas la douleur. Cela etoit ridicule. Cela etoit
impossible. Il y en a qui croient, que la meilleure consolation consiste à
Hoc ipsum est quod me malè habet.
penser que nos maux sont sans remede. Mais c'est cela meme qui m'afflige,
repondit Auguste, que l'on vouloit consoler de cette maniere. Les consolations
[que]
que l'Evangile nous donne , sont bien plus raisonnables & bien plus fortes.
Il nous enseigne que tous nos maux nous sont dispensez par une Providence
sage & bienfaisante, qu'ils nous sont dispensez pour notre bien, pour corriger
nos vices, pour exciter notre vertu, pour nous detacher des choses sensibles, &
que si nous savons en faire un bon usage, ils produiront en nous un poids de gloire
excellemnt excellente. Ne sont-ce pas là de bien puissantes consolations?
Aprés tout, l'Evangile nous deslivre de la crainte de la mort. Oter
l'Evangile, la mort est assurément la chose du monde la plus epouvantable
parce qu'on ne sait point ce qui doit la suivre. Aussi voions-nous que c'est
un éveil, où tous les Philosophes ont echoüé. Ceux meme qui auroyt le plus
Philosophé sur la mort pendant leur vie, ont tremblé à son aproche.
L'Evangile seul nous enseigne à ne la pas craindre, parce qu'il donne
le moyen de la voir suivie d'un parfait bonheur.
Si l'Evangile guerit nos maux, il nous procure aussi des biens tres solides.
Dans cette vie il nous communique une ioye, une tranquillité, un contentement,
que rien au monde ne sauroit troubler, & qui sont assurement de tous les
plaisirs les plus réels & les plus sensibles. Dans la vie à venir, il nous fait esperer
un bonheur parfait, un bonheur qui ne finira iamais, un bonheur dont nous
iouïrons en corps & en ame, un bonheur ataché, comme nous l'avons fait voir, à des conditions tres equitables,
un bonheur enfin, dont ne nous ne saurions douter, puisque celui qui nous l'a
promis, en iouït bien lui meme. Y a-il iamais eu de Philosophie, qui ait pû
procurer de si grands biens? Y en a-il iamais eu aucune, qui ait si bien sû
nous rendre heureux?
Presentement, M. F. nous vous laissons iuger à vous memes, s'il y aI.
de la sagesse à mepriser l'Evangile. Une Doctrine, qui nous enseigne
des Veritez grandes & sublimes, des veritez de la derniere importance, des veritez
tres bien liées & avec nos lumieres naturelles & avec les unes avec les autres, des
veritez fondées sur des preuves indubitables ; Une Doctrine, qui nous prescrit
des Loix tres raisonnables, des Loix tres parfaites, des Loix tres utiles &
pour le bonheur des particuliers & pour le repos de la Societé, des Loix apuiées
sur les motifs du monde les plus pressans ; Une Doctrine, qui nous delivre
de tous nos maux, qui leve nos doutes, qui guerit nos passions, qui nous
garentit d'une infinité d'incommoditez atachées à nos vices, qui nous donne de
fortes consolations contre les tous les maux qui nous arrivent, qui nous aprend
meme à ne point craindre la mort ; Une doctrine, qui nous procure une
paix, une ioye, un contentement inexprimable dans cette vie & qui nous fait
esperer apres notre mort une glorieuse Immortalité ; parlons en J'en atteste vos consciences,
Une doctrine comme cella là merite-elle d'estre meprisée, merite-elle d'estre
tournée en ridicule, & ceux qui le font ne sont-ils pas de vrais insensez?
Cependant il y en a qui le font, & des gens meme qui veulent passer
dans le monde pour
tres iudicieux & tres de beaux Esprits, & pour des gens sages. Mais assurément, il n'y
ont pensent pas bien
pensé ou plutot, il
n'y ne
ont veulent pas y bien
voulu penser.
x Ils
les detournent
x
Ils detournent les yeux de dessus les beautez & les
avantages de la Religion. les yeux de dessus les terribles consequences de leurs
propres principes. Il ne les
attachent que sur quelques miserables doutes, qu'ils se sont formez
contre l'Evangile eux-memes, ou que d'autres leur ont suggerez. Le moyen, disent-ils, Le moyen de se convaincre de tous ces
Mysteres de l'evangile, d'un Dieu manifesté en chair, d'un Dieu en trois
personnes, & et de la Resurection de nos corps? Mais ces gens-là qui crient
tant contre nos mysteres, n'ont-ils iamais pensé qu'ils admettent eux-memes
les mysteres du monde les plus incomprehensibles? Ils croient que le hazard
a pû mettre cet univers dans l'estat où nous le voïons. Ils croient que le hazard
a pû faire cette disposition surprenante des parties de notre corps. Ils croient que
la matiere est capable de penser.
Il croient qu'elle est capable de ce prodigieux
nombre de conoissances & de ces merveilleuses facultez que nous sentons en nous-
memes. Quand on croit des choses si peu croyables, doit-on rien trouver d'incomprehensible?
[d'ailleurs] D'ailleurs, combien de mysteres, combien de choses incomprehensibles ne sommes-
nous pas forcez tous les iours
de à recõnetre dans la nature ? Qui a iamais
expliqué ce que c'est que notre memoire ? Qui a iamais expliqué comment ce
nombre infini d'idées se conserve dans notre cerveau, sans aucune confusion,
sans aucun mélange ; & comment nous les pouvons devéloper avec tant de
facilité & avec tant d'ordre? S'il y a des mysteres en nous-memes, faut-il
s'étonner qu'il y en ait dans l'Infini, faut-il s'etonner qu'il y en ait dans
Qui a iamais expliqué comment nos corps ont eté formez dans
le ventre de nos meres, Qui a iamais expliqué comment se forme la moindre
plante? Aprés cela, faut-il s'étõner que nous ne puissions pas bien
comprendre commt nos corps ressusciteront? les choses divines?
+ Disons la verité. On reiette
L'Evangile la Religion, parce qu'on l
e a
veut reietter. On y cherche des doutes ; A force d'en chercher, on en trouve.
On l
e a reiette, non pas tant parce qu'
il elle propose des mysteres incomprehensibles
que parce qu'
il elle prescrit des Loix difficiles. C'est un frein, qu'on est bien
aise de rompre, afin de pouvoir ensuite, sans remors & sans resistance, se
conduire comme l'on voudra. Mais cela n'est-il pas bien ridicule? Changera-
on les choses par sa pensée? Fera-on qu'il n'y ait en effet point d'Enfer
à craindre, en se persuadant qu'il n'y en a point. Je n'aioute qu'une chose
mais une chose qui est sensible, c'est que si nous nous trompons, nous qui
suivons le parti de l'Evangile, il ne peut point nous en arriver de mal.
Tout au plus, nous nous privons de quelques plaisirs, souvent pernicieux en
eux-memes, toujours tres petits & tres peu considerables ; Tout au plus
nous nous exposons à quelques legeres incommoditez ; Au contraire, si
les Impies se trompent, Grand Dieu! quelles affreuses suites aura leur
erreur! Cela seul, cela seul devroit les faire penser à eux-memes,
& leur faire voir combien le parti qu'ils prennent est peu assuré, &
combien le notre est sage.
II.M. F. S'il y a de la folie à reietter l'Evangile, il n'y en a pas
moins à l'embrasser & à n'en suivre pas les maximes. Cependant c'est
ce que nous faisons presque tous. Nous regardons la Doctrine du Seigr Jesus
comme tres certaine ; Et nous vivons, comme si elle estoit fausse. Nous
convenons que ses preceptes sont sages, raisonnables, propres à nous procurer
un parfait bonheur ; Et nous ne laissons pas de les negliger dans la pratique.
Nous craignons un Enfer, Nous esperons un Paradis; Et nous agissons comme si
l'Enfer & le Paradis estoient des Chimeres. Changeons Corrigeons, M. T. C. F. changeons
une conduite si folle. Ecoutons la raison. Ecoutons notre interêt. Nous savons
si bien profiter de nos lumieres, & des avis qu'on nous donne sur les choses à l'égard des affaires du
monde. Suivons-les de meme, dans ce qui est notre grande affaire, dans ce
qui regarde l'Eternité.
Il y a une chose qui nous en empeche. Le present nous touche. Nous ne
pensons guere à l'avenir. La vie eternelle, dans son eloignement ne fait
pas autant d'impression sur notre esprit, que la vie presente. Et bien, c'est
par la vie presente que nous vous prendrons ; Car enfin la sagesse Chrêtienne
n'est pas seulement bonne pour le Ciel, Elle est aussi bonne pour la
terre. Elle n'assure pas seulement le Paradis au Fidele, Elle fait descendre
dés cette vie le Paradis dans son cœur. Represente-vous, M. F. le
sage Chrêtien. Il est plein de l'amour de Dieu. Il est plein de l'amour
des autres hommes. Il en use avec tout le monde, comme il voudroit qu'on
en usât avec lui. Il ne fait tort à personne. Il ne trompe personne.
Cela le fait aimer, cela le fait estimer generalement. Il n'est agité par aucune passion incommode. Les empressemens de l'ambition,
les inquietudes de l'avarice, les fureurs de la colere, la rage de l'envie, lui
sont inconnuës. Il n'a point des manieres rudes & hautaines qui le facent
haïr par les autres. Il est touiours doux, humble, modeste, complaisant.
Il force meme ses ennemis à l'aimer, par sa bonté & par sa Douceur.
Il est promt à secourir les malheureux, & par là il dispose tout le monde
à le secourir dans ses besoins. Il ne s'attire aucune maladie par ses excéz es.
Il souffre avec patience tous les maux qui lui arrivent. Enfin il est egalemt
[tranquille]
tranquille dans tous les estats où il se trouve, parce qu'il est touiours persuadé
que Dieu l'aime, qu'il ne lui envoye aucune disgrace que pour son bien,
& qu'il doit le rendre eternellement heureux. Travaillez, Chrêtiens,
travaillez tous tant que vous etes, à etre les originaux de ce beau portrait.
Travaillez à prouver par votre vie ce que nous venons de prouver
par notre Discours, que l'Evangile est en effet une tres excellente Philosophie,
une tres parfaite sagesse.
Nous finissons, M. F. en felicitant les Ministres des l'EvangileIII.
& en nous felicitant nous-memes de l'Excellence de notre Emploi. C'est
le plus grand, c'est le plus utile qui soit au monde. Il s'agit de rendre
les Hommes sages & Heureux. Il s'agit de leur aprendre de grandes &
d'importantes veritez, Il s'agit de leur donner des regles sûres pour leur
conduite. Il s'agit de leur montrer le veritable chemin du bonheur.
Il s'agit d'etablir les Principes les plus necessaires pour la subsistance
& pour le bonheur de la société. Il s'agit de fonder la bonne foi &
la probité sur les grands motifs de la vie à venir. Y a-il rien
de plus noble, y a-il rien de plus utile que cet emploi? Pour le
mepriser, ne faut-il pas avoir l'esprit bien mal fait, ne faut-il pas
avoir les vûës bien courtes? Dieu vueille, que nous en comprenions
bien nous-memes la Beauté & l'Excellence, afin que nous nous
en aquitions d'une maniere qui y reponde. Dieu vueille que vous
en soyez vous-memes bien convaincus, afin qu'en deferant à nos
instructions, vous deveniez sages à salut. Ainsi soit-il.