SERMON 
Sur ces Paroles de la I. Epître 
de S.Paul aux Corinthiens, 
Chap. XIII.ꝟ.1.2.3. 
 
  Quand je parlerois les langages de tous 
les hommes, & des Anges même, si je n'ai 
pas la Charité, je suis comme l'airain qui 
resonne, ou comme une cymbale qui retentit. 
 
 Et quand j'aurois le Don de Prophétie,& 
que je connoîtrois tous les Mystéres & toute 
la science ; Et quand j'aurois toute la foy, 
jusqu'à pouvoir transporter les montagnes ; 
si je n'ai pas la Charité, je ne suis rien. 
 
 Et quand je distribuerois tout mon bien 
pour la nourriture des Pauvres, & quand 
même je livrerois mon corps pour être 
brûlé, si je n'ai pas la Charité , cela ne me 
sert de rien . 
  
 QUAND nous lisons l'Histoire 
du Peuple d'israël , nous y 
voyons une chose étonnante ; 
[C'est] 
  
C'est que, de toutes les Loix de Dieu, 
celle qui leur avoit été proposée avec le 
plus d'évidence , celle qui leur avoit 
été inculquée de la maniere la plus forte, 
celle qui avoit été soûtenuë , & par 
les menaces les plus terribles, & par 
les promesses les plus excellentes, celle 
en un mot qu'ils devoient regarder 
comme la plus importante de toutes, 
Je veux dire la Loi qui défendoit de 
tomber dans l'Idolatrie , C'est celle-là 
néantmoins qu'ils violérent le plus souvent, 
& de la maniére la plus obstinée. 
  
Mes Freres, on peut remarquer quelque 
chose de semblable dans l'histoire 
de l'Eglise Chrêtienne. Celle de toutes 
les Loix de Jésus-Christ qu'il avoit recommandée 
avec le plus de soin, celle 
qu'il avoit voulu qu'on regardât comme 
sa Loi par excellence, celle qu'il 
avoit donnée pour la marque & la livrée 
de ses Disciples , celle enfin à laquelle 
il avoit attaché,d'une façon particuliere , 
toutes les promesses de son 
Evangile , Je veux dire la Loi de la 
Charité , C'est celle-là cependant, 
que les Chrêtiens de tous les siécles 
[semblent] 
 
semblent avoir le plus negligée. Il y a 
eu même ceci dans les Chrêtiens de 
plus étrange que dans les Juifs , c'est 
que quand les Juifs étoient Idolatres, 
on ne voit pas au moins qu'ils se glorifiassent 
de leur conformité à la Loi 
de Moyse ; Au lieu que les Chrêtiens 
qui ont le moins suivi le précepte 
de la Charité, n'ont pas laissé dans 
le même tems de se glorifier de leur 
Christianisme, & souvent même ont 
fait consister une grande partie de leur 
Christianisme, dans des sentimens & 
dans des actions toutes contraires à la 
Charité. 
  
Ce desordre commença bien-tôt. 
Il se fit remarquer dés le tems des 
Apôtres. Dés lors, l'envie, la jalousie, 
les divisions, les partialitez se glissérent 
entre les Chrêtiens ; Et les Dons même 
des Miracles , qui n'étoient destinez 
qu'à fonder l'Eglise, & par conséquent 
qu'à unir les Fidéles, furent au 
contraire une des occasions de leurs 
inimitiez & de leurs disputes. C'est 
ce qui arriva en particulier dans l'Eglise 
de Corinthe, & c'est ce qui obligea 
Saint Paul à leur représenter avec 
[tant] 
 
tant de force l'importance de la Charité , 
comme vous voyez qu'il fait dans 
nôtre texte, & comme il continuë encore 
dans la suite. 
   
                        Chap.
XII.
                    Dans le Chapitre précédent, il leur 
avoit déjà fait comprendre , que les 
Dons Miraculeux devoient les unir,  
                        ꝟ.4.5.6.
II.
                    plutôt que de les diviser ; Soit parce 
que c'étoit un même Esprit, un même 
Dieu , un même Seigneur, qui leur 
distribuoit ces différentes graces , & 
qui les leur distribuoit,comme il le trouvoit  
                        ꝟ.7.
                    à propos ; Soit parce que ces Dons 
étoient communiquez , uniquement  
*pour le bien de l'Eglise, & qu'ainsi c'étoit 
là l'unique but où ils les devoient  
                        ꝟ.I2.
& suiv.
                    rapporter ; Soit enfin parce que l'Eglise 
doit être semblable au Corps humain, 
où, quoique les membres ayent 
divers usages, on ne voit pas pourtant 
qu'ils se méprisent ou qu'ils se négligent 
les uns les autres , Au contraire ils se 
prêtent des secours réciproques, & ils 
travaillent tous de concert au bien du 
Corps dont ils font partie ; Qu'ainsi 
dans l'Eglise, quoi qu'il y ait des dons 
& des fonctions différentes, cela ne 
[doit]    doit point obliger les Fidéles à concevoir 
du mépris ou de la haine les uns 
pour les autres , Au contraire ils doivent 
s'aimer , s'aider , se secourir dans 
tous leurs besoins, & employer chacun 
leurs talens à l'édification de l'Eglise 
même. Enfin aprés toutes ces Réflexions, 
l'Apôtre veut bien que les Chrêtiens  
desirent, & desirent même avec 
ardeur , les Dons les plus excellens ; 
Mais il ajoûte qu'il va leur indiquer 
 un 
                            ꝟ.32.
                         
 chemin qui surpasse de beaucoup  tout le 
reste. Quel est ce chemin ? C'est la 
Charité, dont il fait l'éloge dans nôtre 
texte. C'est la Charité , sans laquelle 
ni le Don des Langues,ni le Don 
de Prophétie , ni la connoissance de 
tous les Mystéres , ni le pouvoir de faire 
des Miracles, ni les Aumônes les 
plus considerables, ni la Mort la plus 
illustre, ne servent de rien dans le Christianisme.  
 Quand je parlerois, dit-il, les 
langages de tous les hommes, & des Anges 
même, si je n'ai pas la Charité, je 
suis comme l'airain qui resonne, & comme 
une cymbale qui retentit. Et quand j'aurois 
le Don de Prophétie,& que je connoîtrois 
tous les Mystéres & toute la science; 
[ Et ]   
 Et quand j'aurois toute la foy, jusqu'à pouvoir 
transporter les montagnes, si je n'ai 
pas la Charité , je ne suis rien. Et 
quand je distribüerois tout mon bien pour 
la nourriture des Pauvres, & quand même 
je livrerois mon corps pour être brûlé, 
si je n'ai pas la Charité, cela ne me sert 
de rien . 
  
Voici donc, Mes Freres, de toutes 
les Vertus, celle qu'il nous importe 
le plus de pratiquer. Voici celle qui nous 
fait proprement Chrêtiens, & sans laquelle 
on ne peut se vanter d'être Disciple 
du Seigneur Jesus. Cependant 
c'est peut-être, comme j'ai déjà dit, 
une des Vertus les plus négligées , & 
elle l'est même beaucoup plus aujourd'hui, 
qu'elle ne l'étoit du tems des Apôtres, 
comme chacun le peut aisément 
connoître, pour peu qu'il considére les 
mœurs & la conduite de la plûpart des 
Chrêtiens. Ainsi, quoique l'on prêche 
fort souvent là dessus,nous n'avons pas 
crû qu'il fût inutile de le faire encore à 
cette heure, parce que des Devoirs & 
aussi nécessaires & aussi négligez que le 
sont ceux-ci, ne sauroient être trop 
recommandez. Venez donc, Fidéles, 
[méditer] 
 
méditer avec nous , Premiérement, 
quelle est la Charité, dont Saint Paul 
fait ici l'éloge,& quelles sont les conditions 
qu'elle doit renfermer pour être 
véritable ; en second lieu , combien 
cette Vertu est excellente en elle-même,& 
importante dans le Christianisme ; 
Enfin, combien toutes les autres 
choses, dont Saint Paul fait l'énumération, 
savoir, & les Dons des Miracles, 
& les actions les plus éclatantes, sont 
inutiles sans la Charité. C'est là le plan 
que nous allons suivre ; Heureux, si en 
parlant de la Charité, Dieu nous fait 
la grace d'en allumer dans vos cœurs les 
saintes flammes. Ainsi soit-il. 
   
PREMIERE PARTIE.
  
PAR la Charité dont Saint Paul fait 
l'éloge, quelques Interpretes veulent 
qu'on entende , & l'Amour de 
Dieu, & celui du Prochain ; Mais un 
Amour pur et desintéressé, & qui d'ailleurs 
soit le principe & la régle de toutes nos 
actions. Ainsi, quand il est dit 
ici entr'autres choses, qu'il ne sert de 
rien, ni de donner aux pauvres, ni d'exposer 
son corps à la Mort, à moins 
[qu'on] 
 
qu'on n'ait la Charité, cela veut dire , 
selon eux , que les plus belles actions 
sont inutiles , à moins qu'un Amour 
desintéressé de Dieu & du Prochain 
n'en soit le principe , par opposition 
même à ce qui se fait, ou par la seule 
crainte de l'Enfer, ou par le seul desir 
du Paradis. Mais, Mes freres, quoi 
qu'il soit tres-vrai que l'Amour de Dieu 
doit être le principe & la régle de toutes 
nos actions, Quoi qu'il soit vrai aussi 
que Dieu doit être aimé, non pas par 
de seules vûës d'intérêt, mais soit à 
cause de ses Perfections, qui le rendent 
infiniment aimable , soit aussi par reconnoissance 
pour les biens qu'on en a 
reçûs ; Quoi que tout cela, dis-je, 
soit tres vrai, nous n'estimons pas que 
ce soit le sens qu'il faut donner à nôtre 
texte, & par la Charité dont l'Apôtre 
parle, nous croyons qu'il faut simplement 
entendre l'Amour que nous devons 
au Prochain. Car, outre que c'est 
le sens le plus commun, que le mot de 
Charité a dans l'Ecriture , l'occasion 
même de ce Discours, qui étoit prise 
des divisions de l'Eglise de Corinthe,  
nous conduit là naturellement ; Et d'ailleurs, 
[leurs] 
 
les effets que Saint Paul attribuë 
à la Charité aprés nôtre texte, comme 
quand il dit qu'elle est patiente, qu'elle 
témoigne de la douceur, qu'elle n'est point 
envieuse, & tous les autres qu'il ajoûte 
en suite, se rapportent tous à l'Amour 
du Prochain. 
  
Qu'est-ce donc que Saint Paul veut 
dire, lors qu'il assûre que ni le Don des 
Langues, ni aucun autre Don extraordinaire, 
ne sert de rien sans la Charité ? 
C'est-à-dire qu'ils ne servent de rien, si 
l'on ne les employe pour le bien de l'Eglise, 
au lieu de s'en servir, comme plusieurs 
faisoient, pour y former des partis 
& des schismes ; si l'on ne les employe à 
instruire les hommes, & à convertir les 
ames, au lieu de s'en servir pour sa propre 
gloire & pour sa propre utilité ; si 
l'on ne les employe enfin d'une maniére 
à faire comprendre qu'on est animé 
d'un amour sincére pour ses Prochains. 
Que veut-il dire ensuite lors qu'il ajoûte, 
qu'il ne sert de rien de donner aux 
pauvres, à moins qu'on n'ait la Charité? 
C'est-à-dire qu'il n'y a point d'Aumônes, 
qui puissent être agréables à Dieu, 
si l'on ne les fait par le principe d'un 
[véritable] 
 
véritable Amour pour ses freres, & si 
l'on n'a,dans toute sa conduite,cet esprit 
doux & complaisant, cet esprit de paix 
& de concorde,qu'on ne manque jamais 
d'avoir quand on aime. Enfin,que veut-il 
dire quand il assûre, que c'est en vain 
qu'on s'expose à la Mort, à moins qu'on 
n'ait la Charité ? C'est-à-dire, qu'il ne 
sert de rien d'obeïr à Dieu lors qu'il 
nous ordonne de maintenir sa vérité, si 
l'on ne lui obéit aussi quand il commande 
d'aimer nôtre Prochain comme 
nous-mêmes, & si l'on ne montre qu'on 
aime son Prochain, par une conduite 
pleine de douceur, & par toutes les 
marques possibles de tendresse. 
  
Voilà en peu de mots quelle est la 
Charité que Saint Paul recommande 
aux Corinthiens. Mais, Mes Freres, 
comme bien des gens se font illusion sur 
cette matiere, soit en croiant être Charitables, 
quoi qu'en effet ils ne le soient 
pas, soi en prétendant au contraire que 
certaines personnes manquent de Charité, 
quoi qu'ils n'ayent pas sujet d'avoir 
cette pensée, il est nécessaire que nous 
nous fassions une juste idée de cette Vertu, 
& pour cela il faut considérer six 
[choses.] 
 
choses. Il en faut considérer le Principe. 
Il en faut considérer le Siége. Il en 
faut considérer les Effets. Il faut voir 
quel en doit être l'Objet. Il faut voir 
quelle en doit être la Mesure. Enfin il 
faut voir quelle est l'Influence qu'elle 
doit avoir dans toute la vie. Le principe 
de la Charité, c'est à dire de l'Amour 
du Prochain, ce doit être 
l'Amour de Dieu. Le Siége qu'elle doit 
avoir, c'est le Cœur. Les Effets qu'elle 
doit produire , ce sont tous les biens 
que nous pouvons faire, ou que nous 
pouvons souhaiter à nos Prochains. 
L'Objet qu'elle a,ce sont tous les Hommes , 
sans excepter nos ennemis. La 
Mesure qu'on lui doit donner , c'est 
d'aimer nôtre Prochain comme nous 
mêmes. Enfin, cette Vertu doit être 
répanduë dans toute nôtre conduite,& 
doit animer toutes nos actions. Mais 
tout cela mérite d'être pesé. 
  
I. Le principe, c'est l'Amour de 
Dieu. Hors d'ici donc cet amour profane, 
qui est allumé par la convoitise. 
Hors d'ici ces affections criminelles,qui 
ont le vice pour cause, & qui ne tendent 
qu'à la satisfaction de quelque passion 
[sion] 
 déréglée. Nous n'entendons pas 
même ici ces affections,& naturelles, & 
innocentes, que la proximité du sang, 
que la conformité d'humeur , que la 
considération des bienfaits reçûs , ou 
d'autres causes de cette nature, produisent 
entre les hommes. Il s'agit 
d'un sentiment infiniment plus noble 
& plus pur que tous ceux-là. C'est 
quand pénétrez de l'amour de Dieu , 
sensibles à ses graces , soûmis à ses 
Loix, nous aimons à cause de lui, ceux 
qu'il a formez de ses propres mains , 
ceux en qui il a imprimé son image, 
ceux qu'il honore de ses faveurs, ceux 
enfin qu'il nous a ordonné d'aimer. 
Quand on aime par ce principe,on peut 
dire qu'on a la Charité. Et c'est ce que 
Saint Paul enseigne, quand il dit, que  
                            I. Tim. 
I.5.
                          la Charité procéde d'un cœur pur, d'une 
bonne conscience, & d'une foi non feinte . 
   
II. Le Siége de la Charité, c'est le 
 Cœur. Il y a une Vertu commune entre 
les hommes, qui a tous les dehors 
de la Charité ; C'est l'Honnêteté Mondaine. 
La Charité est-elle douce ? 
L'Honnêteté l'est aussi. La Charité 
[rend-] 
 rend-elle des services ? L'Honnêteté 
n'en rend pas moins. La Charité donne- 
t-elle aux pauvres, console-t-elle les 
affligez, évite-t-elle de dire des injures, 
s'abstient-elle de la Médisance ? L'Honnêteté 
fait tout cela. Il n'est pas même 
jusqu'au précepte de ne rendre pas injure 
pour injure, & de faire du bien à 
nos ennemis, que l'Honnêteté ne suive 
fort souvent. Où est donc la difference ? 
C'est que l'Honnêteté est une Vertu 
toute extérieure. Ses mains agissent, 
sa bouche parle , mais son cœur n'est 
point touché. Souvent elle regarde 
avec indifférence , souvent même elle 
hait dans le fond du cœur, ceux à qui 
elle rend le plus de services. Il n'en est 
pas ainsi de la Charité. Elle est sincére 
& sans fard. Elle sent tout ce qu'elle 
témoigne, & plus même qu'elle ne témoigne. 
En un mot elle a son siége 
dans le cœur. 
 Que la Charité, dit l'Apôtre,
                                    Rom.
XII.9.
                             
 soit sans déguisement. 
   
III. Mais si la Charité réside dans 
le cœur, elle doit aussi parétre au-dehors. 
Si elle doit aussi parétre au dehors. 
Si elle doit être sincére, elle doit 
aussi montrer sa sincérité par ses Effets ; 
Car dés qu'on aime véritablement, on 
[en] 
 en donne des marques réelles. Quels 
en sont donc les Effets , direz-vous ? 
Premiérement elle ne doit faire aucun 
mal à son Prochain. Elle ne doit attenter 
ni à sa vie , ni à ses biens, ni à son  
                            Rom.
XIII.
I0.
                        honneur, ni à sa réputation. 
 La Charité, 
dit Saint Paul, ne fait point de mal 
au Prochain  ;
 Et de là il conclut que la 
Charité est 
 l'accomplissement de la Loi ,  
                            ꝟ.9.
                        parce que quand il est dit, 
 Tu ne tueras 
point, Tu ne déroberas point, Tu ne commettras 
point d'adultére, Tout cela est 
compris dans ce seul article, Tu aimeras 
ton Prochain comme toi-même. Mais 
non seulement la Charité ne doit elle- 
même faire aucun mal ; Elle ne doit 
pas non plus, ni se réjouïr du mal, ni 
envier le bien qui arrive aux autres. 
 La 
Charité n'est point envieuse, dit S. Paul 
aprés nôtre texte, & elle ne se réjouït 
point du mal . 
 Au contraire, elle doit, 
comme il dit ailleurs
,   se réjouïr avec ceux 
 
                                Rom.
XII.I5.
                             qui se réjouïssent, & pleurer avec ceux qui 
pleurent  ; Elle doit aussi faire des vœux  
                            I.Tim.
II.I.
                            
                        ardens, & des prieres sincéres pour ses 
fréres. Mais enfin , non contente des 
vœux & des prieres , elle doit leur procurer 
par ses propres soins, tous les 
[biens]   biens qui dépendent d'elle. Elle doit 
nourrir celui qui a faim, revêtir celui 
qui est nud, consoler les affligez, défendre 
ceux qu'on opprime, instruire 
les ignorans , ramener ceux qui s'égarent, 
rendre toute sorte de bons offices, 
faire tout le bien qui est en son pouvoir. 
Sur toutes choses, il faut se souvenir 
que l'Amour de Dieu étant 
le principe qui fait naître la Charité, doit 
étre la régle de toutes ses actions; C'est 
à dire, d'un côté,que pour faire du bien, 
elle ne doit commettre aucune injustice , 
ni rien faire contre son devoir , & 
de l'autre, qu'elle doit travailler principalement 
au salut de ses fréres, & que 
les autres biens qu'elle leur procure 
doivent être soûmis à celui-là. Tels 
sont les Effets de la Charité. 
 Bien-aimez ,
                                I. Jean 
III.I8.
                             
dit Saint Jean, n'aimez point de 
paroles ni de langue,mais par des œuvres 
& avec vérité. 
   IV. L'Objet de la Charité , ce 
sont 
tous les Hommes , sans aucune limitation.  
 Faites du bien à tous  , dit
                            Gal. VI. 
I0
                         Saint Paul. Le Juif peu tendre bornoit 
son amitié à ceux qui étoient de 
sa Nation ; & pour les autres, il leur 
[refu-]   refusoit 
* les plus communs devoirs 
de l'Humanité. Mais Jésus-Christ ôte 
ces distinctions. Il veut que nos Prochains, 
ce soient tous les Hommes, & 
qu'ainsi nôtre amour s'étende sur tous. 
Il n'excepte pas même nos ennemis.  
                            Matt.
V.44.
                          Aimez vos ennemis , dit-il à ses Disciples ,  
 benissez ceux qui vous maudissent , 
& faites du bien à vos persécuteurs. 
Je sai bien qu'il y a des distinctions 
à faire dans l'exercice de la Charité, 
& que nous ne pouvons , ni ne 
devons donner des marques égales 
d'amour à tous les Hommes. Mais 
premiérement, nous sommes obligez 
de n'avoir de haine pour qui que ce 
soit ; En second lieu, il n'y a personne 
à qui nous ne devions souhaiter du 
bien , & à qui nous ne devions être 
prêts d'en faire, lors que les occasions 
s'en présentent. Du reste, il est permis, 
& il est juste même , de faire un 
choix & une différence dans l'application 
de la Charité. Ainsi, Saint Paul 
[veut]     veut que l'on préfere ceux avec qui 
nous sommes unis par le lien d'une 
même Foi. Faisons du bien à tous, dit-il 
aux Galates, 
 mais principalement aux 
                                Gal. VI.
I
                             
 domestiques de la Foi. Ainsi, il est juste 
de préferer, & nos parens, & nos bienfaiteurs, 
& nos amis particuliers, & sur 
tout ceux qui sont distinguez par leur 
piété & par leur vertu. Mais tout cela 
encore doit être ménagé avec tant de 
sagesse & tant de prudence, que les distinctions 
qu'on fait n'ayent en vûë que 
de faire par là un plus grand bien , & 
que du reste, comme j'ai déjà dit, nous 
ne refusions nôtre amour à personne. 
   V. Une autre chose que nous avons 
marquée, c'est la Mesure de la Charité. 
Jésus-Christ l'a posée, lors qu'il a commandé 
d'aimer le Prochain 
comme on 
                                Matth.
XXII.
38.
                             
 s'aime soi-même. Je sai bien qu'on peut 
entendre par là, qu'il faut sincérement 
aimer nos Prochains,comme nous nous 
aimons sincérement nous-mêmes , & 
qu'il faut que nôtre amour pour eux soit 
agissant , comme l'est l'amour qu'on a 
pour soi même. Mais il y a plus ici ; 
Il y a le degré, jusqu'où doit aller l'amour 
de nos freres. C'est que leurs 
[intérets]   
intérets doivent se confondre avec nos 
propres intérets. Nous devons regarder 
leurs maux comme nos maux, & 
leurs avantages comme les nôtres. En un mot, 
nous devons en user avec eux, 
de la même maniere que nous souhaiterions 
qu'ils en usassent avec nous, posé 
que nous fussions en leur place. Je sai 
que l'Amour propre écoute avec peine 
un précepte comme celui-ci. Cette 
communion d'intérets lui paroît impraticable ; 
& il met toûjours une différence 
presqu'infinie entre soi & les autres. 
Mais dans le fond, il n'y a rien là, 
qui ne soit tres-possible & même tres-aisé. 
En effet, sans parler des Exemples 
illustres de la Charité qui sont dans 
l'Ecriture, Qui ne sait combien l'amitié 
mondaine a de force pour nous 
unir, & pour confondre nos intérets ? 
Ainsi, pourquoi la Charité Chrêtienne 
n'aura-t-elle pas autant d'efficace que 
les amitiez mondaines en ont ? Qui ne 
sait même que ce que l'Evangile nous 
ordonne dans cette occasion , c'est ce 
qu'une simple honnêteté fait témoigner 
à tous les gens du Monde ? Ainsi, si 
le Mondain fait profession d'aimer les 
[autres] 
 
autres hommes comme il s'aime soi-même, 
s'il fait profession d'être aussi 
fâché de leurs maux que des siens propres , 
Pourquoi le Chrêtien ne sera-t-il 
pas , d'une maniére sincére & réelle, 
ce que le Mondain fait profession d'être ? 
  VI. Enfin, le dernier caractére, 
que nous avons donné à la Charité, 
c'est qu'elle doit régler toute nôtre vie, 
& animer toutes nos actions. 
 Marchez 
                                Ephes.
V.2 
                             
 dans la Charité , dit Saint Paul, c'est-à-dire, 
qu'elle soit la régle de toute vôtre 
conduite ; 
 Et que toutes vos actions,
                                I.Cor.
XVI.I4.
                             
dit-il ailleurs , soïent faites en charité. 
Quantité de gens suivent la Charité, 
dans quelques occasions & à quelques 
égards ; Mais ils la négligent en d'autres. 
On en voit qui donnent aux pauvres, 
mais qui en même tems se laissent 
aller à la colére ou à la médisance. On 
en voit, qui, comme Particuliers , se 
croïent obligez d'être charitables; Mais 
quand ils sont membres de certains 
Corps , ils prétendent en être dispensez. 
Tous ces partages sont condannables. 
Il faut que la Charité regne sans 
cesse en nous, & qu'elle soit toûjours 
[sem-]   
semblable à elle-même. Il faut qu'elle 
anime nos actions, qu'elle conduise nos 
paroles, quelle régle même nos pensées. 
Il faut qu'elle influë dans tous nos 
desseins, & dans toutes nos résolutions ; 
Que le Particulier l'exerce, en qualité 
de Particulier ; Que l'homme Public 
l'éxerce dans sa Charge. A moins que 
de cela, l'on ne peut pas dire qu'on ait 
une vraïe Charité. 
  
Mais, Mes Freres, en voilà assez sur 
les Caractéres de cette Vertu. Chacun 
se peut juger là dessus soi-même. Chacun 
peur sentir si l'amour qu'il a , ou 
qu'il se vante d'avoir pour ses freres , a 
pour principe l'Amour de Dieu. Chacun 
peut sentir si c'est un amour bien 
sincére , & bien véritable. Chacun 
peut sentir s'il en fait les œuvres, soit 
en ne faisant point de mal au Prochain, 
soit en lui faisant au contraire tout le 
bien qui lui est possible. Chacun peut 
voir aprés cela, si son amour s'étend à 
tous les Hommes, & même à ses ennemis. 
Chacun peut voir encore s'il aime 
ses Prochains de la maniére dont il 
s'aime soi même, & s'il entre dans leurs 
intérets, comme dans ses intérets propres. 
[pres.] 
 
Chacun peut voir enfin si ces sentimens-là 
se répandent dans toute sa 
conduite, & s'il ne se dément jamais à 
cet égard. Ce qu'il y a de sûr , c'est 
que ceux qui n'ont pas ces saintes dispositions, 
manquent d'une Vertu qui est 
d'un côté tres-excellente en elle-même, 
& qui de l'autre est tres-importante 
& tres-nécessaire dans le Christianisme ; 
comme nous allons tâcher de le 
montrer dans nôtre seconde Partie. 
    
SECONDE PARTIE.
  
JE dis , Mes Fréres , que la 
Charité est tres-excellente 
par elle-même ; Et c'est ce qui paroît 
de quelque maniére qu'on vueille regarder. 
Déjà , c'est la nature mêmeI. 
qui nous l'inspire ; Car, puisque la nature 
nous a tous faits semblables, puisque 
la nature nous a tous faits , afin 
que nous vivions ensemble, puis que 
la nature aussi nous a faits tels , que 
nous avons tous besoin du secours & 
de l'assistance des autres hommes, ne 
nous dit-elle pas assez clairement que 
nous nous devons aimer les uns les 
autres ? D'ailleurs, qui ne sait que nous 
[avons] 
 
avons tous certaines pentes naturelles 
& invincibles à la Charité ? Qui ne 
fait , par exemple , que nous avons 
tous un penchant naturel à la Compassion , 
Jusques-là qu'on ne peut, ni voir 
le mal d'autrui , ni seulement en entendre 
parler , sans en ressentir une 
douleur secréte, Jusques-là même qu'il 
arrive souvent , que des récits tragiques, 
quoi que faux, ne laissent pas d'arracher 
des larmes ? Tant il est vrai 
que nous sommes tous faits naturellement 
pour nous entr'aimer. Et c'est 
pour cela, que tous les sentimens , qui 
ont quelque rapport à la Charité, s'appellent 
 Humanité dans le Monde, parce 
qu'en effet rien n'est plus convenable 
à la nature de l'Homme , ni 
plus conforme au penchant de son 
cœur. 
  
 II.Que si l'on consulte ensuite la Justice , 
qu'y a-t-il de plus juste que la 
Charité ? Car , puisque chacun souhaite 
d'être aimé, puisque chacun souhaite 
qu'on lui fasse du bien, puisque 
chacun même se plaint des autres, 
quand ils lui refusent leurs services; 
Quoi de plus juste que d'en user nous 
[mêmes,] 
 mêmes, comme nous souhaitons qu'on 
en use avec nous ? Et c'est ce que Jésus-Christ 
fait tres-bien sentir dans 
cette belle Sentence , qui porte avec 
elle les caractéres & les preuves de son 
equité, 
 Ce que vous voudrez, dit-il, que  
                                Matt. 
VII.12.
                             
 les hommes vous fassent , faites le leur 
aussi à vôtre tour  : Sentence, qui fut si fort 
approuvée par un 
* Empereur Payen, 
qu'il la faisoit graver dans son Palais, & 
sur les Edifices publics , qu'il la faisoit 
publier par un héraut, quand on punissoit 
quelque Criminel, & qu'il l'avoit 
lui-même tres-souvent dans la bouche. 
   
Je demande encore , Est-il rien III. 
de si noble que la pratique de la 
Charité ? En effet, qui sont ceux que 
nous regardons comme des ames basses 
& rampantes ? Ne sont-ce pas 
ceux qui pensent sans cesse à leur profit 
[fit]  
 particulier ? Qui sont au contraire 
ceux que nous regardons comme des 
ames grandes & élevées ? Ne sont-ce 
pas ceux qui sont plus touchez du bien 
public que de leur bien propre ? Ne 
sont-ce pas ceux qui sacrifient, & leurs 
biens, & leurs peines, & leur vie, pour 
l'utilité des autres Hommes ? C'est-à-dire 
ceux qui sont animez d'un esprit 
conforme à la Charité ? Qu'on lise 
l'histoire de tous les Siécles, & de tous 
les Peuples du Monde ; Qu'on voye 
qui sont ceux qu'on a le plus loüez, 
qu'on a le plus admirez, qu'on a le plus 
chéris, à qui l'on a le plus dressé de statuës ; 
Ne sont-ce pas ceux qui se sont distinguez 
par le bien qu'ils ont fait 
aux Hommes ? Mais ce qui reléve sur 
tout la Charité, c'est qu'elle sert plus 
que toute autre chose à nous rendre 
semblables à Dieu. Ouï, 
 Dieu est Charité ,  
                            Jean 
V.8.
                         dit l'Apôtre Saint Jean. La Charité 
n'est pas seulement la plus illustre 
de ses Perfections, & le plus beau rayon 
de sa Gloire ; C'est , pour ainsi dire, 
son Essence même. Toute la Nature 
prêche hautement l'infinie Charité de 
Dieu , puisque ce n'est que pour faire 
[du]   du bien, & pour donner des marques 
de sa Bonté , que Dieu a formé un si 
grand nombre d'Etres. Toutes les œuvres 
de la Providence publient aussi la 
Charité de Dieu , puisque tout , jusqu'aux 
plus petites choses, a un rapport 
visible au bien des Hommes. Sur tout, 
la Charité de Dieu se fait voir dans le 
support qu'il a pour les mêchans , & 
dans les biens dont il les comble ;  
 Car il fait lever son Soleil sur les bons &  
                                Mat. V. 
45.
                             
 sur les mauvais, & il fait tomber sa pluye 
sur les justes & sur les injustes. Mais ce 
qui surpasse encore tout cela, c'est l'incomprehensible 
Charité de Dieu , qui 
éclate dans l'Evangile. Qu'est-ce donc, 
Qu'est-ce donc qui peut le plus servir 
à nous rendre semblables à cet 
E'tre Parfait ? N'est-ce pas d'aimer tous les 
Hommes, comme nous voyons qu'il 
les aimes ? N'est-ce pas de répandre sur 
eux nos biens ? N'est-ce pas de leur 
pardonner leurs fautes ? N'est-ce pas 
en un mot d'être imitateurs de cette 
immense Charité de Dieu ? Certes, 
cette conduite a paru si Divine à toutes 
les Nations de la Terre , que si la 
Superstition a élevé des Hommes sur 
[le]   le trône de la Divinité, 
* c'étoyent 
des Hommes qui avoient rendu des 
services tres-considerables,ou au Genre 
humain,ou a leur Patrie. 
   
 IV. Aprés cela , Mes Freres, que ne 
peut-on pas dire des usages de la 
Charité , non seulement à l'égard de 
ceux à qui elle fait du bien, mais sur 
tout à l'égard de ceux qui la pratiquent ? 
Quoi de plus contraire à nôtre 
repos, Quoi de plus contraire à nôtre 
bonheur, que tous les sentimens, & 
de colére, & de haine, & de jalousie, & 
de vengeance, enfin que toutes les passions 
qui sont opposées à la Charité ? 
Quoi au contraire de plus agréable & 
de plus satisfaisant, que tous les sentimens 
de douceur, de bien-vueillance, 
de tendresse, que la Charité nous inspire ? 
Quel plaisir de pouvoir se regarder 
soi-même, comme le Pere, comme le 
Protecteur , de ceux à qui on fait du bien ? 
[bien ?]  
 Non, les Mondains diront ce 
qu'ils voudront des différens plaisirs 
dont ils jouïssent ; Nous osons assurer 
qu'ils n'en ont aucun, qui approche de 
celui-ci. D'ailleurs , quel moyen plus 
sûr pour être aimez, pour être servis, 
pour être secourus dans tous nos besoins 
par les autres Hommes , que de 
les aimer nous-mêmes, & que de les 
servir dans les occasions ? Quoi même 
de plus propre à toucher le cœur de 
nos ennemis les plus implacables, & à 
changer 
* leur haine en amitié ? 
   
Mais enfin , disons que si la Charité V. 
est avantageuse à ceux qui la pratiquent , 
elle est sur tout infiniment 
utils à toute la Societé. Car enfin d'où 
viennent tant de querelles, tant de procés, 
tant de meurtres, & sur tout tant 
de guerres sanglantes, qui bouleversent 
si souvent les Etats, & qui sont si funestes 
au Genre humain ? N'est-ce pas du 
defaut de Charité ? N'est-ce pas de ce 
qu'on cherche à s'élever les uns sur les 
autres, & de ce qu'on sacrifie tout à sa 
[gloire]  
 
gloire & à son profit ? Mettez au contraire 
la Charité. Vous verrez d'abord 
cesser tous ces desordres. On 
ne fera aucun tort à personne, & l'on 
n'en recevra aucun. Il n'y aura parmi 
nous ni envie, ni jalousie ni haine. Nous 
serons heureux par les avantages des 
autres , & nous ne penserons tous 
qu'à nous aider & à nous secourir réciproquement. 
Ainsi , la Société ne sera, 
pour ainsi dire, qu'une seule famille, où 
l'on verra regner une paix, une union, 
une concorde, que rien de sauroit troubler ; 
Ou pour mieux dire, la Terre elle-même 
deviendra un vrai Paradis, où 
l'on goûtera des douceurs infinies. 
Concluons donc qu'il n'est rien de 
plus juste, de plus excellent, ni de plus 
utile, que la pratique de la Charité, à 
la regarder en elle-même. Mais j'ai 
ajouté qu'elle est tres importante,& capitale 
même dans le Christianisme ; Et 
c'est ce qu'il est aisé de faire voir. 
   I.  II. Effectivement, c'est la Charité, 
que le Seigneur Jésus recommande 
le plus, & qu'il fait regarder par 
tout comme l'essence & comme le but  
                            Jean 
XV.12.
                         de toute sa Doctrine. 
 C'est ici, dit-il, 
[ mon ]   
 mon commandement, mon commandement 
capital, mon commandement par 
excellence , que vous vous aimiez les 
uns les autres . Il appelle même ce commandement,  
 un commandement nouveau  ; 
                            Jean 
XIII.34.
                         Non pas pour dire qu'il étoit inconnu, 
avant que Jésus fut venu au Monde, car 
à cet égard Saint Jean reconnoît que 
c'est 
 un commandement ancien  ; Mais il 
                            I. Jean 
II.7.
                         est 
 nouveau  dans le Christianisme, parce que 
Jésus lui donne une force toute 
nouvelle, parce qu'il y insiste beaucoup 
plus que ne faisoient tous les autres Docteurs , 
& qu'il en fait même le but, & 
le principal point de toute sa Doctrine.  
 C'est à ceci, dit encore Jésus-Christ, C'est 
                                Jean XIII.35.
                             
 à ceci que l'on connoîtra que vous étes mes 
Disciples, si vous vous aimez les uns les 
autres . Chaque Religion avoit certaines 
marques, qui la distinguoient des 
autres Religions. Chaque Secte de 
Philosophes, chaque Société de Docteurs, 
avoit, ou certains sentimens, ou 
certaines coûtumes particulieres, qui la 
caractérisoient. Voulez-vous savoir la 
marque que prend Jésus, pour distinguer 
son Eglise ? C'est l'Amour réciproque 
de ses Sectateurs. Lisez les Divins 
[vins]   Sermons qu'il faisoit, pendant qu'il 
étoit sur la terre ; Vous verrez qu'il insiste 
perpétuellement sur les devoirs de la 
Charité. Tantôt il déclare qu'on est  
                            Matt. V. 
5. 7. 9.
                         bienheureux, quand on est doux, quand 
on est pacifique, quand on est plein de  
                            
                                ꝟ.22
                         miséricorde. Tantôt il ordonne de s'abstenir 
de tous les termes injurieux. Tantôt 
il montre que la colére est aussi criminelle 
que l'homicide. Tantôt il fait  
                            
                                ꝟ.23.34.
                         voir que la Miséricorde doit aller devant 
tous les sacrifices,& qu'ainsi quand 
on a quelque différent , il faut plutôt 
quitter son sacrifice , que de ne se pas  
                            
                                ꝟ.39. 40. 41. 42.
                         réconcilier. Tantôt il enseigne qu'il 
faut renoncer à tout sentiment de vengeance, 
& qu'il faut être doux & bienfaisant 
pour ceux qui nous demandent 
des graces. Tantôt il presse le grand  
                            
                                ꝟ.44.
45.&c.
                         devoir de l'Amour des ennemis, & il 
montre que c'est sur tout en cela qu'il 
faut imiter nôtre Pere Céleste. Tantôt  
                            Luc. 
XVI. I9.
&c.
                         sous l'image d'un mauvais Riche, il 
montre combien on est criminel, quand 
on ne donne pas de son bien aux Pauvres.  
                            Matt. 
XVIII.
                         Tantôt sous l'image d'un serviteur 
cruel, qui ne veut rien céder à ses 
compagnons, quoique son Maître lui ait 
[quitté]   quitté une dette considerable,il fait voir 
l'injustice de ceux qui prétendent que 
Dieu leur pardonne leurs péchez,& qui 
ne veulent rien pardonner à leurs freres. 
Tantôt enfin, faisant la description 
                            Matt. 
XXV. 
35.&c.
                         du Grand Jour du Jugement, il fait voir 
que les Hommes seront sur tout jugez, 
suivant l'application qu'ils auront apportée 
aux œuvres de la Bénéficence.En 
un mot,il faudroit que nous récitassions 
d'un bout à l'autre tous les Evangiles, 
qui voudroit rapporter tout ce que dit 
Jésus sur l'importance de la Charité. 
   
Mais s'il y insiste si fort dans ses Discours , II. 
il n'y insiste pas moins dans 
ses Actions, & c'est à cet égard sur tout 
qu'il nous présente un Modéle parfait à 
imiter. Lisez toute l'Histoire de ce Divin 
Sauveur , depuis le tems qu'il prit 
nôtre nature , jusqu'à ce qu'il fut élevé 
dans le Ciel ; Vous n'y verrez qu'un 
exercice continuel de Charité. C'est la 
Charité, qui le fait descendre du Trône 
de sa Gloire , pour se venir charger de 
nos foiblesses.C'est elle qui le fait aller de 
bourgade en bourgade,de ville en ville, 
pour prêcher les Mystéres du Royaume 
des Cieux.C'est elle qui lui fait faire tous 
[ses] 
 ses Miracles, car ils ne tendent tous qu'à 
l'utilité & au soulagement des Hommes. 
C'est elle qui le fait vivre dans la 
bassesse, dans la pauvreté, dans le mépris , 
& qui lui fait souffrir une mort 
pleine de douleurs & d'ignominie. C'est 
elle enfin qui tire de sa bouche, au milieu 
même de ses tourmens,une tendre priére 
pour ses bourreaux : Tel est l'Exemple 
de Jésus-Christ, & tel est le chemin  
                            Matt. 
XI. 29.
                            Jean 
XIII.15.
                         où il veut qu'on le suive. 
 Apprenez de 
moi, dit-il,à être doux . 
   Ie vous ai donné ces 
exemples, afin que vous suiviez mes traces . 
Et c'est ici mon commandement , que 
vous vous aimiez l'un l'autre, 
 comme je 
 
                                Jean 
XV.I2.
                             vous ai aimez. 
    III. Que si du Maître nous passons 
aux Disciples , il ne nous feront pas 
sentir moins fortement l'Importance  
                            Jaq.II.8
                            
Jaq.I.27 
                            
Rom. 
XIII.I0
                            
I.Tim.
I.I5.
                         de la Charité. C'est, selon eux, 
 La Loi 
Royale  , C'est
   la Religion pure & sans 
tache  , C'est 
 l'accomplissement de la Loi  , C'est
   la fin du commandement , c'est-à-dire 
de tout l'Evangile,
 C'est le premier  
                            Gal. V.
22
                            
Colos.
III.I4.
                         des
   fruits de l'Esprit , C'est 
 le lien 
de la perfection , qui joint & qui couronne 
toutes les Vertus. C'est elle qu'ils 
veulent que nous pratiquions, préférablement 
[blement]   à toutes les autres : 
 Sur toutes  
                                I. Pier.
IV.8.
                             
 choses, dit S. Pierre, ayez une ardente 
Charité entre vous . C'est à elle qu'ils 
rapportent, & tous les Dogmes, & toutes 
les Pratiques de la Religion Chrêtienne. 
Parlent-ils de l'Amour incompréhensible, 
que Dieu a eu pour nous 
en nous donnant son Fils ? Ils en tirent 
d'abord cette conséquence , que  
 puis que Dieu nous a ainsi aimez, nous  
                                I. Jean.
IV. II.
                             
 nous devons aussi aimer les uns les autres. 
Parlent-ils de l'Amour ineffable du Fils, 
qui s'est présenté pour nous en sacrifice ? 
Ils en concluent aussi incontinent, 
que nous devons 
 marcher en charité,  
                                Ephes. 
V. 2.
                             
 comme Christ nous a aimez, & s'est donné 
soi-même pour nous. Parlent-ils de l'Eglise ? 
Ils la font concevoir, tantôt 
comme une seule famille, où l'amour 
fraternel doit toûjours régner, tantôt 
come un Corps , dont les divers 
membres doivent être sans cesse unis 
d'intérets. Parlent-ils du Baptême ? 
Ils nous font souvenir qu'
 un même  
                                I. Cor. 
XII.I3.
                             
 Esprit nous a tous baptisez, afin que nous 
formions un même Corps. Parlent-ils de 
la Cene ? Ils nous font remarquer, que  
 nous qui sommes plusieurs, nous sommes un  
                                I. Cor. 
X.I7.
                             
[ seul ]   
 seul pain & un seul corps , parce que nous 
avons part au même pain . Quelquefois 
ils joignent la plûpart de ces choses, &  
                            Ephes.
IV. 3.4.
5.6.
                         afin qu'on conserve 
 l'unité de l'Esprit par 
le lien de la paix, ils remarquent qu'il y a 
 un seul Corps , un seul Esprit, une seule 
Vocation, une même Esperance ; Qu'il y a 
 un seul Seigneur, une seule Foi, un seul 
Baptême, enfin un seul Dieu & Pere de 
tous . Mais ce que les Apôtres pressent 
le plus, c'est que la Charité est si essentielle 
& si nécessaire dans le Christianisme, 
que sans elle tout est inutile. Ils  
                            Galat. 
V.6.
                         disent qu'
 en Christ, ni la Circoncision, ni le 
prépuce ne servent de rien, ni la Foi même, 
si elle n'agit & ne se montre par la 
Charité. 
 Ils disent que sans la Charité, 
on ne sauroit être en état de grace.  
                            I. Jean 
III.I4.
                          A ceci nous connoissons, dit S. Jean, que 
nous sommes passez de la mort à la vie, savoir 
si nous aimons nos fréres. Ils disent 
qu'il est faux qu'on aime Dieu, à moins  
                            5. Jean 
IV.20.
                         qu'on n'aime ses Prochains ; 
 Si quelcun 
dit qu'il aime Dieu, & qu'il haïsse ses fréres , 
il est menteur. Ils disent même 
qu'on ne connoît pas Dieu, c'est-à-dire 
qu'on ne le connoît pas d'une maniere 
utile & efficace, quand on n'aime pas ses freres. 
[freres.]     Celui qui n'aime pas, n'a pas connu  
                                I. Jean 
IV. 8.
                             
 Dieu, car Dieu est Charité. Enfin ils 
élévent la Charité par dessus tous les 
Dons & toutes les Vertus,comme Saint 
Paul fait dans nôtre texte, & dans tout 
le reste de ce Chapitre. 
   Que dirons-nous de plus ? Voulez-vous 
IV. voir l'effet des instructions des 
Apôtres, dans la conduite des prémiers 
Chrêtiens ? Vous les verrez aussi qui 
s'attachent à la Charité plus qu'à toute 
autre chose, & qui ne se distinguent 
presque que par là. Témoin les Fidéles 
de Jérusalem , qui n'étoyent 
 qu'un  
                                Act. IV.
32.
                             
 cœur & qu'une ame. Témoin ceux du 
tems de 
† Tertullien, dont les Payens 
disoient en les admirant , 
 Voyez combien 
ces Chrêtiens s'aiment. Témoin 
*Lucien , 
ce fameux impie, qui dans le 
tems qu'il raille les Chrêtiens de leur 
trop grande facilité à faire du bien aux 
gens sans les connoître, dans le même 
tems il rend un témoignage authentique 
à leur Charité. Et l'Empereur Julien, 
l'un des plus grands ennemis de 
l'Eglise Chrétienne, ne peut s'empêcher 
[cher]     d'alléguer aux Payens la surprenante 
Charité des Chrêtiens, comme 
un exemple qui leur faisoit honte. Il 
témoigne même dans 
† une lettre qu'il 
écrivoit à un Prêtre Payen , que les 
Chrêtiens ne se contentoient pas de 
soulager ceux de leur Religion , mais 
qu'ils étendoyent leur bénéficence jusques 
sur les Payens mêmes, c'est-à dire, 
sur leurs ennemis. 
†  C'est une honte, 
dit-il, que pendant que les Iuifs ne permettent 
pas qu'il y ait aucun d'entr'eux 
qui mendie, & pendant que ces Galiléens 
impies ( c'est ainsi qu'il appelloit les 
Chrêtiens ) ne soulagent pas seulement 
leurs pauvres, mais même ceux d'entre 
nous, on nous voye cependant négliger un 
devoir si nécessaire. Et que n'aurions-nous 
point à dire des Chrêtiens, qui se 
rendoient eux-mêmes miserables, qui 
quelquefois même vendoient leur liberté, 
pour pouvoir soulager les autres ? 
Mais cela peut suffire pour vous faire 
[com-]     
comprendre l'extrême importance de 
la Charité. Ainsi ce qui nous reste présentement 
à faire, c'est de la comparer 
en peu de mots avec les autres choses 
dont Saint Paul parle, C'est-à-dire, & 
avec les Dons Miraculeux, & avec les 
actions les plus éclatantes. Tout cela, 
au jugement de Saint Paul,ne servoit de 
rien sans la Charité.  Quand je parlerois, 
dit-il, les langages de tous les hommes, 
& des Anges même, si je n'ai pas la 
Charité, je suis comme l'airain qui resonne, 
ou comme une cymbale qui retentit. 
Et quand j'aurois le Don de Prophétie, & 
que je connoîtrois tous les Mystéres & toute 
la science ; Et quand j'aurois toute la foy, 
jusqu'à pouvoir transporter les montagnes, 
 si je n'ai pas la Charité, je ne suis rien. 
Et quand je distribuerois tout mon bien 
pour la nourriture des Pauvres, & quand 
même je livrerois mon corps pour être 
brûlé, si je n'ai pas la Charité, cela ne me 
sert de rien . 
    
TROISIE'ME PARTIE.
  
 LEs Dons Miraculeux , dont l'Apôtre I. 
parle , étoient alors communs 
dans l'Eglise. Il y a même des 
[gens] 
 
gens qui croient que tous les Fidéles 
y avoient part, bien qu'avec inegalité, & 
en des maniéres différentes. Quoi qu'il 
en soit, Saint Paul en marque plusieurs 
sortes. ( I ) Il parle d'abord du Don des 
Langues, qui fut distribué si solennellement 
le jour de la Pentecôte , & qui 
étoit si nécessaire pour la manifestation 
de l'Evangile.Mais quand Saint Paul en 
parle, il le suppose dans la grande étenduë ; 
  Quand je parlerois, dit-il, non pas 
quelques langages , comme on faisoit 
alors, mais les langages des hommes , ou de 
tous les hommes . Il va plus avant,& il suppose 
même qu'il sache la maniére dont 
les Anges se communiquent entr'eux 
leurs pensées ; Quand je parlerois les 
langages de tous les hommes , & des 
Anges même. ( 2 ) Il parle aprés cela du 
 Don de Prophétie  ; soit que nous devions 
entendre par là la connoissance de l'avenir , 
dont on voit en effet que quelques 
personnes étoient favorisées du 
tems des Apôtres ; soit que cela marque 
simplement le Don d'entendre les 
Prophéties, & d'expliquer l'Ecriture. 
( 3 ) Il pose en troisiéme lieu,  la connoissance 
de tous les Mystéres, & de toute 
[ te ] 
 
 la science  ; C'est-à-dire , sur tout, la 
connoissance de tous les Mystéres de 
l'Ancien Testament, & de tout ce qu'il 
y avoit de plus difficile & de plus caché 
dans le Christianisme. On ne peut 
pas douter qu'il n'y eut alors des Dons 
de cette nature, qui aidoient aux Apôtres 
à découvrir, & le sens des anciens 
Oracles , & le but des Ceremonies, & 
d'autres choses de cette nature; Et c'est 
sans doute ce que Saint Paul appelle 
dans le Chapitre précédent  le Don de 
connoissance & le Don de sagesse . Mais on 
peut étendre ceci plus loin, & dans la 
connoissance de tous les Mystéres , on 
peut comprendre aussi tout ce qu'il y 
avoit de plus difficile & de plus sublime, 
soit dans l'Ecole des Docteurs Juifs, 
soit dans celle des Sages Payens. (4) De-là 
il passe au Don des Miracles, qui étoit 
aussi tres-commun alors, & qui consistoit 
principalement à guerir les malades, 
à chasser les Démons, & à infliger 
des peines corporelles , & quelquefois 
même la mort, à ceux qui étoient rebelles 
aux Apôtres. Mais quand Saint 
Paul parle de ce Don-là, il le suppose 
aussi dans le plus haut degré , jusqu'à 
[pou-] 
 
pouvoir faire ce qu'on regardoit comme 
une des choses les plus difficiles. 
  Quand j'aurois, dit-il, toute la foi, c'est-à-dire , 
la foi des Miracles,, jusqu'à pouvoir 
transporter les Montagnes .  (5) Enfin, 
aprés tous ces Dons merveilleux, l'Apôtre 
allégue deux actions excellentes, 
qui, dans les Persécutions qu'on souffroit 
alors, pouvoient souvent être pratiquées. 
L'une est,  de donner tous ses 
biens , pour la nourriture des pauvres , 
comme on avoit fait à Jérusalem ; L'autre 
est,  d'exposer son propre corps au feu , 
ce qui n'est pas non plus sans exemple 
dans l'histoire de l'Eglise Chrêtienne. 
   II.Telles sont les choses dont Saint Paul 
parle. Toutes choses qui pouvoient 
tres-souvent être séparées de la Charité. 
Car ( I ) pour ce qui est des Dons 
Miraculeux , ils se pouvoient trouver 
dans des gens corrompus ; Témoin ceux 
qui diront à Christ au dernier jour,  
                            Matt. 
II.
                                22.
                          Seigneur, n'avons-nous pas fait des Miracles 
en ton Nom , n'avons-nous pas Prophétisé 
en ton Nom , n'avons-nous pas 
chassé les Diables en ton Nom ? Mais auxquels 
il dira pourtant, 
 Ie ne vous connois 
[ point,]   
 point, Retirez-vous de moi, vous qui faites 
le mestier de l'iniquité. Mais que ces 
Dons là sur tout se trouvassent dans des 
gens sans Charité , dans des gens qui 
s'en servissent uniquement pour leur 
propre gloire, & pour se faire des partisans , 
& non pas pour l'utilité & pour 
l'édification de l'Eglise, c'est ce qui paroît 
par l'exemple même des Corinthiens 
à qui Saint Paul écrit. (2) Pour 
ce qui regarde l'Aumône, il semble d'abord 
qu'il est difficile de la séparer de 
la Charité. Mais cependant la chose 
est tres-possible, & arrive même tres-souvent. 
En effet, plusieurs ne donnent 
aux pauvres, que par la simple 
honte de refuser. Plusieurs donnent 
pour être vûs des hommes, & par une 
pure ostentation. Plusieurs donnent 
afin de reüssir plus aisément dans leurs 
desseins. Plusieurs même alors donnoient 
apparemment par la seule crainte 
des Apôtres , & pour ne s'exposer 
pas aux mêmes peines qu'Ananias & 
Saphira. Plusieurs par conséquent donnoient 
sans Charité, comme plusieurs 
le font aujourd'hui. (3) Enfin, pour 
ce qui est d'exposer sa vie, quand ce seroit 
[roit] 
 
même pour la Religion, on le pouvoit 
faire sans Charité. On le pouvoit faire 
par vaine gloire,comme plusieurs Philosophes 
Payens. Et, en supposant même 
qu'on le fit par un pur amour pour 
la Religion, on pouvoit d'ailleurs avoir 
des defauts contraires à la Charité. On 
pouvoit être sujet à la colére, sujet 
à la médisance. on pouvoit manquer 
de support & de condescendance pour 
ses Prochains : Comme en effet on voit 
tous les jours des gens qui souffrent 
pour la Religion, & qui sont néantmoins 
sujets à tous ces vices. 
  
 III. Mais que dit l'Apôtre de toutes ces 
choses, quand elles se trouvent sans la 
Charité ? Il dit qu'elles sont tout à fait 
inutiles. Quand je parlerois, dit-il, 
toutes les langues , si je n'ai point la 
Charité, je suis comme l'airain qui resonne , 
& comme une cymbale qui retentit ; 
C'est-à-dire , j'ai bien un talent , qui a 
quelque éclat dans le Monde, mais je 
n'ai rien dans le fond de véritablement 
estimable, ni qui puisse attirer l'approbation 
de Dieu. Quand j'aurois, ajoute-t-il, 
le Don de Prophétie, avec tous 
[les] 
 
les autres Dons, si je n'ai pas la Charité, 
 je ne suis rien  , C'est-à-dire, je ne 
suis rien par rapport au Christianisme ; 
J'ai bien le dehors d'un Chrêtien, mais 
je n'en ai pas la réalité. Et quand je 
donnerois tout mon bien aux pauvres, 
& que j'exposerois même mon propre 
corps au feu , si je n'ai pas la Charité, 
 cela ne me sert de rien , C'est-à-dire, de 
rien pour être aimé de Dieu , de rien 
pour être Disciple de Christ , de rien 
pour avoir part à ses promesses. 
  Effectivement , à regarder d'abord 
toutes ces choses ensemble, de quelle 
utilité peuvent-elles nous être, pendant 
qu'une Vertu nécessaire nous manque ?  
 Lors que l'on péche dans un seul point, on  
                                Jaq. II. 
10.
                             
 est coûpable de tous , dit Saint Jaques;C'est-à-dire, 
qu'il est aussi vrai qu'on est coûpable 
devant Dieu , qu'il est aussi vrai 
qu'on a mérité les effets de sa colére, 
que si toute la Loi étoit violée. Cela 
étant, dequoi peuvent servir tous les 
Dons les plus excellens , toutes les 
actions les plus éclatantes, quand nous 
manquons à des devoirs aussi essentiels 
& aussi nécessaires, que le sont ceux de 
la Charité ? Mais sur tout, y-a-t-il quelque 
[que]   
chose au Monde , qui nous puisse 
servir dans le Christianisme, sans une 
Vertu dans laquelle l'essence du Christianisme 
consiste, sans une Vertu que 
Jésus a donnée pour être la marque de 
ses Disciples, sans une Vertu que ses 
Apôtres pressent préférablement à toutes 
les autres, sans une Vertu enfin, de 
laquelle le salut dépend, d'une façon 
particuliére ? Quand donc j'aurois 
tous les Dons possibles, & que je ferois 
les plus belles actions, tout  cela ne me 
sert de rien  ,&   je ne suis rien  sans la Charité. 
  
Que si vous prenez en particulier 
les Dons Miraculeux dont l'Apôtre 
parle, il est aisé de voir qu'ils n'étoient 
d'aucun prix, quand la Charité en étoit 
séparée. En effet, pourquoi étoient-ils 
donnez ? N'étoit-ce pas pour le bien 
de l'Eglise ? N'étoit-ce pas pour faciliter 
la manifestation de l'Evangile ? N'étoit-ce 
pas pour pouvoir amener tous 
les Peuples au salut ? Ainsi, quand on 
ne rapportoit pas ces Dons-là à cet usage, 
quand on s'en servoit au contraire 
pour un but tout opposé, quand on s'en 
servoit pour diviser l'Eglise, & pour s'élever 
[lever] 
 
au dessus de ses freres, bien loin de 
mériter par là quelque loüange, au contraire 
on étoit d'autant plus blâmable, 
& d'autant plus coûpable devant Dieu, 
que les Dons qu'on avoit étoient plus 
illustres. C'étoient sans doute de fort 
beaux talens, que de pouvoir parler 
toutes les langues, que de pouvoir prédire 
l'avenir, que de pouvoir pénétrer tous 
les Mystéres, que de pouvoir, par sa 
seule parole, changer mille choses dans 
la nature. Mais avoüés pourtant que, 
si ces talens-là ne produisent pas quelqu'effet 
utile, ils ont un éclat bien peu 
estimable. Et aprés tout, que sont ces 
talens ? Ne sont-ce pas de purs effets 
de la Liberalité de Dieu ? Ainsi , tout 
ce qu'on en peut justement conclurre, 
c'est la bonté de Dieu qui les donne: 
Mais pour ce qui est de ceux qui les reçoivent, 
il n'y a que le bon usage qu'ils 
en font, c'est-à-dire qu'il n'y a que la 
Charité, qui les rende dignes d'estime. 
Quand donc je parlerois toute sorte de 
langues, & que j'aurois tous les autres 
Dons,  je ne suis rien sans la Charité. 
  
A l'égard des œuvres de la Bénéficence, 
il est visible qu'elles tirent aussi 
[tout] 
 tout leur prix de la Charité. Car enfin, 
si c'est par des motifs de honte, d'ostentation, 
d'intérêt, que l'on distribuë
 ses 
biens aux pauvres, il est clair que cette 
distribution n'est d'aucune valeur dans 
la Christianisme. Alors on reçoit bien  
                            Matt. 
VI.2.
                          sa recompense , 
comme dit le Seigneur 
Jésus, mais on la reçoit seulement du 
Monde, parce qu'effectivement , c'est 
le Monde seul que l'on a en vûë. Mais 
pour ce qui est de la Divinité, elle a un 
mépris extrême pour ces choses ; Elle 
les conte pour rien. Quand donc je 
donnerois tout mon bien aux pauvres,  
 je ne suis rien sans la Charité . 
   
Enfin , il faut faire le même jugement 
de ceux qui exposent leur corps à 
la mort. Un phrénétique le pourra faire ; 
Meritera-t-il par là d'être estimé ? 
Un Calanus, un Peregrinus l'ont fait par 
vanité dans le Paganisme ; Faudra-t-il  
que Dieu leur en tienne conte ? Mais 
supposé même qu'on le fasse par un véritable 
desir de plaire à Dieu, & par zéle 
pour son service ; C'est , je l'avouë, 
une belle action, une action noble, une 
action héroïque : Mais est-ce assez, 
comme j'ai déjà dit, de s'aquitter de 
[l'un] 
 
l'un de ses Devoirs, pendant que l'on en 
néglige un autre,absolument nécessaire ? 
Qu'importe à l'Ennemi de quelque côté 
qu'il entre dans la Ville qu'il assiége ? 
Qu'importe au Démon quel que soit le 
vice qui l'introduise dans nôtre cœur ? 
S'il n'y entre pas par l'Apostasie , il lui 
suffit d'y avoir entrée par le defaut de 
Charité ; Et cette seconde brêche est 
pour le moins aussi dangereuse que 
l'autre. Quand donc j'exposerois mon 
propre corps au feu , fût-ce pour la 
cause de l'Evangile, si je n'ai pas la Charité, 
  cela ne me sert de rien. 
  Ainsi, Mes Freres, vous voyez que 
S. Paul exécute bien ce qu'il avoit promis. 
Il avoit promis de marquer quelque 
                            I. Cor. 
XII. 3I.
                         chose de beaucoup plus grand que 
les Dons des Miracles. Et voici la Charité, 
qui non seulement est plus excellente 
& plus belle que tous ces Dons-là, 
mais sans laquelle ils sont tous inutiles, 
& sans laquelle les actions même 
les plus éclatantes ne servent de rien. 
Cela étant ainsi , n'étoit-ce pas là un 
motif bien fort & bien convainquant 
pour porter à la paix les Chrêtiens de 
Corinthe ? Car enfin , quelqu'ardeur 
[qu'ils]   
qu'ils pûslent avoir pour les Dons Miraculeux , 
ils en devoient avoir beaucoup 
plus encore pour une Vertu beaucoup 
plus importante & plus utile que 
tous ces Dons, & par conséquent ils 
ne devoient rien faire, qui fût contraire 
à la Charité & à la paix de l'Eglise.Mais 
sans nous étendre davantage , sur le 
sens de nôtre texte,par rapport aux Corinthiens, 
il est tems de nous l'appliquer 
à nous mêmes,& nous vous demandons 
encore pour cela quelques momens 
d'attention. 
    
CONCLUSION.
  
 I. D'ABORD, Mes Fréres, qu'il nous 
soit permis d'appliquer en general 
aux Eglises, ce que S. Paul dit des Particuliers. 
Vous savez qu'il y a une grande dispute, 
entre les différentes Societez 
Chrêtiennes, pour savoir quelle est la 
véritable Eglise. Les uns apportent certaines 
marques , par où ils prétendent 
que l'on en juge ; Et les autres en apportent 
 Bellarmin.d'autres. Un Docteur de Rome 
en pose jusqu'à quinze, entre lesquelles 
sont ce qu'il appelle la  Lumière Prophétique , 
& ce qu'il appelle la   Gloire des Miracles. 
[ cles. ] 
 
Les Protestans prétendent au contraire, 
que plusieurs de ces marques ne 
sont pas justes, & que plusieurs même 
ne conviennent point à la Communion 
Romaine. Là-dessus on écrit , on répond, 
on replique, & l'on pourroit faire 
une Bibliothéque des seuls volumes 
qui ont été faits sur les Marques de l'Eglise. 
Mais voici l'Apôtre S. Paul, qui 
abrége la dispute. Le voici qui nous indique 
une Marque , mais une Marque 
qui est incontestable ; & qui est d'ailleurs 
aisée à discerner, dans le cas dont 
il s'agit. Cette Marque, c'est  la Charité . 
Car enfin, s'il est vrai que, sans la Charité, 
on ne sauroit être un vrai Chrêtien, 
ne doit-on pas dire aussi que, sans 
elle, il n'y a point de véritable Eglise ? 
Sur tout quand on pense que c'est la 
Marque que Jésus-Christ lui-même 
avoit donnée, pour distinguer ses Disciples. 
Je prens donc cette Marque, & je 
tâche de voir si elle se trouve dans l'Eglise 
Romaine. Mais que vois je, grand 
Dieu ! dans cet examen ? Je ne trouve 
par tout que violences , que persécutions , 
que cruautez. Là je vois les prisons , 
les cachots, les galéres, toutes 
[rem-] 
 remplies de pauvres Chrêtiens, dont le 
seul crime est de ne vouloir croire que 
la pure Parole de Dieu. Ici je vois même 
des feux allumez, & des potences 
dressées , pour ceux qui ont eu la hardiesse 
de se plaindre des usurpations, & 
des abus de l'Eglise de Rome. Là je 
vois des Massacres, dont la seule pensée 
est capable de faire fremir ; je dis des 
Massacres autorisez & approuvez par 
la Cour de Rome, comme il paroît, & 
par les Monumens les plus authentiques 
de l'Histoire , & même par des 
† Médailles frappées sur ce sujet. Ici je 
vois d'autres cruautez, d'autant plus à 
craindre qu'elles sont plus cachées; Car, 
à l'exemple d'un Prince 
* Arien,on trouve 
le secret de persécuter, sans vouloir 
parétre persécuteur, & sous l'apparence 
d'une douceur feinte , on ne laisse pas 
[de]     
de faire bien du mal. Sur toutes choses, 
je vois un Tribunal, dont l'injustice 
& la barbarie égalent tout ce qu'ont fait 
les plus cruels Tyrans,un Tribunal dressé 
par les Papes , un Tribunal composé 
d'Ecclésiastiques , un Tribunal qui seroit 
établi dans tous les païs de la 
Chrétienté, si les Papes avoient été les 
Maîtres. O je m'arrête ici ; je ne veux 
plus rien voir ; Les seules procédures 
de ce Tribunal-là , que l'on appelle 
pourtant le Saint Office , me tiendront 
lieu desormais de tous les Livres de 
Controverse. Par cela seul , j'ai droit 
de conclurre que l'Eglise Romaine est 
une fausse Eglise , puis qu'elle exerce 
des cruautez aussi outrées que celles-là, 
que ces cruautez y sont autorisées par 
les Conciles & par les Papes, & que ce 
sont par conséquent des suites nécessaires 
de ses Principes. Par cela seul, j'ai 
droit de conclurre que c'est une Eglise 
Anti-Chrêtienne ; Car la marque de 
Christ ne peut être autre chose que la 
cruauté & la barbarie. Pour cela seul, je 
dois l'abandonner. 
 [Mais,]   
 II.Mais , Mes Freres , aprés cet 
usage, qui regarde la fausse Eglise, tirons 
en d'autres de nôtre sujet, qui nous 
regardent de plus prés nous-mêmes. 
Saint Paul, comme vous l'avez vû, nous 
y a enseigné deux choses ; L'une, ce 
qui est simplement accessoire, L'autre, 
ce qui est tout à fait capital, dans la Religion 
Chrêtienne. Ce qu'il représente 
comme accessoire , ce sont tous les 
Dons extraordinaires, ce sont les actions 
les plus éclatantes ; Tout cela, selon 
lui, n'est estimable , qu'autant qu'il est 
joint avec la Charité. Ce qu'il représente 
comme capital , c'est la Charité 
elle-même. Pour ce qui est des Dons 
extraordinaires , comme ils ne subsistent 
plus aujourd'hui, il n'est pas nécessaire 
d'en parler d'avantage. Ce qu'il 
y a , c'est qu'il faut étendre ce qu'en dit 
ici Saint Paul, à tous les Dons ordinaires 
que nous pouvons avoir aujourd'hui, 
à toute la connoissance des Véritez 
de la Religion, à toute la persuasion 
des Dogmes de l'Evangile, enfin 
à toutes les actions, qui sont séparées 
de la Charité. Effectivement, ( I ) s'il 
étoit inutile de pouvoir parler toute 
[sorte] 
  
sorte de Langues, à moins qu'on n'eût 
la Charité , Est-ce que nous devons 
nous glorifier, quand,à force de travaux 
& de veilles, nous avons rangé dans nôtre 
cerveau quelques mots tirez de différentes 
Langues ? Est-ce qu'on doit aussi 
s'estimer beaucoup, quand on a aquis 
quelque facilité à exprimer ses pensées, 
& à le faire même heureusement ? Certes, 
ce sont de beaux Dons, il est vrai ; 
Mais c'est lors qu'on s'en sert pour instruire 
les Hommes, lors qu'on s'en sert 
pour les porter au bien, lors qu'on s'en 
sert enfin à des usages conformes à la 
Charité. Hors de là,ce n'est que  de l'airain 
qui sonne, & qu'une cymbale qui fait 
du bruit . (2) De même, s'il étoit inutile 
alors, d'avoir reçû une connoissance miraculeuse 
de tous les Mystéres, à moins 
qu'on n'eût la Charité, Est-ce que nous 
autres , qui aprés quarante & soixante 
années d'étude , sommes obligez d'avouër 
franchement que nous ne savons  
presque rien, Est-ce, dis-je, que nous 
sommes en droit de nous glorifier de 
nos connoissances ? Certes, nonobstant 
toute leur petitesse, elles ne laissent pas 
d'avoir leur usage ; Mais c'est lors qu'on 
[les] 
 
les rapporte à l'édification de l'Eglise, à 
la conversion des Hommes, enfin à des 
œuvres de Charité. Sans cela,  nous ne 
sommes rien. ( 3 ) De même encore, si 
la Foi des Miracles, si cette Foi que 
Dieu accompagnoit d'une efficace si 
surprenante, si cette Foi qui bouleversoit, 
s'il faut ainsi dire, toute la Nature, 
étoit inutile sans la Charité, Est-ce que 
la simple persuasion des Véritez de l'Evangile, 
souvent mêlée de tant d'obscuritez , 
souvent affoiblie par tant de doutes , 
sera elle-même de quelque 
prix ? Elle est tres-utile, il faut l'avouër ; 
Mais c'est seulement lors qu'elle est efficace, 
c'est seulement lors qu'elle se 
montre par les effets de la Charité. Et 
quoi, à vôtre avis, est-ce une vraye Foi 
que celle qui est stérile ? Est-ce être 
bien persuadé, & de tout ce que Dieu 
a fait pour nous, & de tout ce que Jésus 
a souffert, & de tout ce qu'il nous 
promet, & de tout ce dont il nous menace, 
enfin de tout ce qu'il nous propose , 
pour nous porter à la Charité, 
que de n'être pas embrasé par là d'un 
amour ardent pour nos fréres ? D'ailleurs, 
si les simples lumiéres, si la simple persuasion, 
[persua-] 
 
étoit aussi utile que bien des 
gens le croient, ne pourroit-on pas dire 
alors du Démon même, qu'il auroit les 
qualitez les plus excellentes,& les plus 
utiles dans le Christianisme ? De plus encore, 
seroit-ce un Dessein bien digne de 
la Divinité,que de proposer simplement 
aux Hommes quelques Dogmes abstraits 
& stériles, & que de vouloir simplement 
qu'ils les crûssent, sans être obligez à 
aucune autre chose ? Ce dessein là meriteroit-il 
que le Fils de Dieu descendist 
sur la Terre , qu'il se revêtist de nôtre 
nature , qu'il souffrist une mort honteuse, 
qu'il brisât ensuite les portes du sépulchre, 
& qu'il remontât dans le Ciel, 
pour nous y préparer des Biens infinis ? 
Au contraire, n'est-ce pas un Dessein, 
tres-digne de la Divinité, tres-digne de 
la grandeur de l'Evangile, que de vouloir 
inspirer aux Hommes des sentimens 
dignes de leur nature , que de vouloir 
établir entr'eux la paix, la tranquillité, 
la concorde, & par conséquent 
le bonheur,enfin que de vouloir les unir 
ensemble par le lien de la Charité ? Concluons 
donc encore que, quand nous 
[au-] 
 
aurions toute la persuasion possible des 
Mystéres, si nous n'avons pas la Charité, 
  cela ne nous sert de rien . ( 4 ) Enfin, si 
Saint Paul dit qu'il étoit inutile, & de 
donner tous ses biens aux pauvres, & de 
s'exposer soi-même à la mort, à moins 
qu'on n'eût la Charité, Avons-nous sujet 
de nous assûrer sur quelques œuvres 
extérieures , infiniment moins belles 
que celles-là ? Avons-nous sujet de 
conter beaucoup, comme font néantmoins 
plusieurs d'entre nous, sur ce que 
nous sommes dans l'Eglise de Dieu, sur 
ce que nous fréquentons son Temple,sur 
ce que nous le prions, sur ce que nous 
chantons ses loüanges, sur ce que nous 
faisons quelques Aumônes, & quelques 
autres actes de piété ? Avons-nous même 
lieu de nous glorifier , & de nous 
assûrer de nôtre salut , simplement 
parce que nous souffrons quelque chose 
pour l'Evangile ? Tout cela, il est 
vrai, sont de bonnes œuvres, des œuvres 
dignes de loüange ; Mais tout cela 
encore est inutile sans une vraïe 
Charité. 
  
 III. Qu'est-ce donc, Mes Freres, Qu'est-ce 
qui est utile, préférablement à toute 
[autre] 
 
autre chose ? Qu'est-ce qui fait l'essence 
du Christianisme, qui donne du prix 
à tous nos talens, qui couronne toutes 
nos bonnes œuvres, enfin qui nous assûre 
le Ciel ? Sans contredit, c'est  la Charité , 
comme S. Paul nous le fait comprendre, 
& comme nous l'avons prouvé 
dans ce Discours : Mais une Charité 
pure ; Mais une Charité sincére ; Mais 
une Charité vive & agissante ; Mais une 
Charité qui aime tous les Hommes,sans 
excepter nos ennemis ; Mais une Charité 
qui fasse pour les autres tout ce que 
nous voudrions qu'ils fissent pour nous; 
Mais une Charité enfin, qui ne se démente 
jamais, & qui anime toute nôtre 
vie. Que je tremble , Mes Freres , 
quand je fais réflexion sur tous ces Caractéres 
de la Charité, & quand je considére 
en suite combien ils sont rares 
parmi nous ! La Charité, disions-nous, 
doir être pure , elle doit procéder de 
l'Amour de Dieu. Mais j'en atteste vos 
consciences, si ce qui forme toutes nos 
amitiez, n'est pas, ou l'interêt , ou le 
plaisir, & tres-souvent même le vice. 
La Charité, disions-nous encore, doit 
être sincére, & dans le fond du cœur. 
[Mais] 
 
Mais j'en atteste vos consciences, si ce 
ne sont pas de pures grimaces, que presque 
toutes les marques d'amitié, qu'on 
se donne les uns aux autres. La Charité 
ne doit faire aucun mal ; Elle ne doit attaquer, 
ni la vie, ni les biens, ni l'honneur 
de nôtre Prochain. Mais j'en appelle à 
l'expérience, s'il n'y en a pas plusieurs 
parmi nous, qui font des actes d'injustice, 
qui font des actes de violence, & 
qui ternissent, autant qu'ils peuvent, la 
réputation de leurs Prochains. La Charité 
ne doit, ni souhaiter le mal, ni s'en 
 réjouïr , quand il est arrivé ; Au contraire, 
elle doit voir avec plaisir les avantages 
de nos Fréres. Mais j'atteste encore 
vos consciences, s'il ne regne pas 
dans la plûpart de nous des sentimens 
d'envie, de jalousie, de malignité, & si 
nous ne souhaitons pas avec ardeur l'abbaissement 
& la ruïne de ceux qui nous 
font ombrage. Je ne veux pas aller plus 
avant. Je laisse à vos consciences à vous 
parler sur les autres articles, & à rendre 
témoignage, ou à vôtre bonne conduite, 
ou aux defauts de vôtre Charité. Je 
ne veux pas même répéter ici toutes les 
raisons que j'ai alleguées de l'importance 
[ce] 
 
de cette Vertu. Vous en avez pû 
sentir la force, si vous avez voulu nous 
écouter. Le seul article qu'il est bon de 
presser, dans une saison comme celle-ci, 
& dans un tems où l'on se prépare à 
faire bien-tôt les Collectes, c'est la nécessité 
de l'Aumône, soit envers tous 
les Membres de Jésus-Christ, soit principalement 
envers ceux de nos fréres, 
que la Tempête a conduits parmi nous. 
  
Mes Freres, Là dessus il faut rendre IV. 
justice à la Charité de plusieurs bonnes 
Ames, & de plusieurs Familles pieuses, 
qui ont tres-bien fait leur devoir. Il faut 
même rendre témoignage, & à la grande 
piété de nôtre Magistrat, & à la disposition 
tendre & généreuse de tout le 
Corps de cette Eglise. Ouï, vos Aumônes, 
Peuple de GENEVE, sont montées 
jusques aux Cieux, & j'ose dire 
même que vôtre exemple a eu une influence 
toute particuliére sur les autres 
Etats Protestans, & n'a pas peu servi à 
l'accueil qu'ils ont fait aux tristes, mais 
vénérables débris de tant de florissantes 
Eglises. Mais il ne suffit pas d'avoir bien 
commencé ; Il faut continuër de la même 
maniére, & ne se lasser point de faire 
[re] 
 
du bien. J'avouë qu'il y a des incommoditez 
à souffrir dans cette rencontre. 
Mais la Charité ne veut-elle pas 
que l'on se gêne un peu en faveur de ses 
fréres ? Et d'ailleurs , il faut bien examiner, 
si c'est la nature qui se plaint en 
nous, & qui a sujet de se plaindre, ou si 
ce n'est point nôtre avidité, nôtre avarice, 
nôtre luxe, qui ne sauroit souffrir 
qu'on lui retranche rien. J'avouë encore 
qu'on est porté à dire, Un tel n'a pas 
fait telle chose, Pourquoi ferois-je plus 
que lui ? Mais il faut se souvenir que, ni 
sur l'Aumône, ni sur aucun autre devoir, 
les exemples ne nous excusent point. 
Chacun portera son propre fardeau ; Et 
malheur à ceux qui auront été lâches. 
Mes Freres, Mettons-nous en la place 
de ceux qui ont besoin de nôtre assistance. 
Voyons ce que nous voudrions alors 
qu'on nous fît, & usons-en de même à 
l'égard des autres. Helas ! qui sait ce 
que Dieu nous reserve, & si aprés avoir 
servi d'asyle, nous ne serons point contraints 
d'en chercher un ? Moïse disoit 
au Peuple d'Israël,  Vous aurez soin de 
l'étranger , car vous avez été étrangers en 
Egypte. C'est ce que doivent se dire à 
[elles-] 
 elles-mêmes plusieurs Familles d'entre 
nous. Comme elles ont eu le bonheur 
autrefois d'être favorisées dans cette 
Ville, elles doivent avoir les mêmes 
égards, pour ceux qui sont dans un cas 
semblable. Et quoi ? Mes Fréres,Qu'est-ce 
que demandent les grandes bénédictions 
dont Dieu nous favorise,& en particulier 
l'état florissant où nôtre Commerce 
se trouve aujourd'hui ? Cela demande-t-il 
que nous nous relâchions 
dans l'exercice de la Charité ? N'est-ce 
pas au contraire un nouveau motif,pour 
nous la faire augmenter ? Et ne seroit-ce 
pas une flétrissure éternelle pour cette 
Eglise, si dans le tems où Dieu nous fait 
le plus de bien , nous commencions à 
devenir durs & insensibles à l'égard de 
nos fréres ? O si l'on donnoit à la Charité 
la moitié seulement de ce qu'on donne 
au Luxe , nous n'aurions plus besoin 
de toucher cet article ; Les pauvres seroient 
largement partagez ; Et il nous 
faudroit faire comme Moïse, qui ayant 
                            Exod. 
XXXVI.
6.7.
                         déja tout ce qu'il faloit pour construire 
le Tabernacle, fit cesser les presens des 
Israëlites. Mais que nous sommes loin 
de cet heureux état ! Quand il s'agit de 
[parer]   
parer nos maisons, Quand il s'agit de 
nous parer nous-mêmes, on ne sait ce 
que c'est que de l'esprit d'épargne; C'est 
au contraire à qui dépensera le plus. 
Mais dés qu'il s'agit de donner, ou de 
céder quelque chose aux Membres du 
Seigneur Jésus, on se plaint, on murmure, 
on crie, comme si l'on alloit être 
ruïné. Je ne dis rien à l'égard du Luxe; Il 
semble que le pli est pris ; Il semble que 
le mal est presque sans remede : Et tout 
ce qu'on pourra dire là dessus sera désormais 
de tres-peu d'usage, à moins qu'on 
n'augmente considérablement la sévérité 
des Loix Civiles. Je dirai seulement 
que ceux qui sont si fixes à se distinguer, 
& par leurs habits, & par leurs ameublemens , 
font voir qu'ils ont une vanité 
bien puérile & bien mal-entenduë; Car 
il vaudroit autant que l'on passât sa vie 
à ajuster des poupées, que de la passer 
à s'orner soi-même , & à orner des parois. 
Mais voulez-vous savoir un moyen 
bien plus sage & bien plus noble, pour 
vous faire estimer ? Cherchez le dans 
la Charité ; Car y a-t-il rien de plus estimable, 
rien de plus noble, rien de plus 
élevé, que de rendre heureux, que de 
[rendre] 
 
contens autant de gens qu'il 
nous est possible ? Y a-t-il rien même, 
comme j'ai déjà dit, qui donne tant de 
joye à un esprit bien fait, que de penser 
qu'il rend la vie supportable & douce à 
des malheureux, qu'il nourrit l'un, qu'il 
revêt l'autre, qu'il aide l'un de ses conseils , 
qu'ils soûtient l'autre par son crédit ? 
C'est-là assurément de tous les 
plaisirs, & le plus pur, & le plus sensible. 
Aprés cela, Mes Freres, tournons un 
peu la vûë sur ce qui se passe aujourd'hui 
dans l'Europe. Regardons ce que font 
tant de Souverains & tant d'Etats Protestans, 
en faveur de nos Fréres Fugitifs, 
nonobstant les sommes immenses 
qu'ils sont obligez d'employer à la 
Guerre. Considerons même ce qui se 
passe dans l'Eglise Romaine à l'égard 
des Aumônes ; Combien on y fait de 
fondations pieuses, Combien de dons 
aux Hôpitaux ; Combien on y voit de 
Gens de qualité aller eux-mêmes visiter 
les pauvres, & entrer dans tout le 
détail de leurs souffrances & de leurs 
besoins. Car, il faut l'avouër, l'Eglise 
Romaine, qui a d'ailleurs un Esprit si 
contraire à la véritable Charité, comme 
[me] 
 
nous l'avons montré tout à l'heure, 
ne laisse pas de nous présenter de 
beaux exemples à l'égard de l'Aumône. 
Elle en diminuë , il est vrai, le 
prix , par le faux mérite qu'elle y attache, 
& par la crainte d'un Feu imaginaire, 
qui en est le grand ressort ; Elle 
en diminuë même le prix, par les 
vûës purement mondaines, qu'elle se 
propose souvent en cela ? Mais aprés 
tout , ce sont de beaux exemples , à 
n'en regarder que le dehors , & des 
exemples même qui nous font honte. 
Mais enfin, pourquoi chercher tant de motifs ? 
Ceux de l'Evangile ne suffisent-ils pas ? 
N'est ce pas assez que la 
paix de l'ame , que la satisfaction intérieure , 
que nous en retirerons de la 
Charité ? N'est-ce pas assez, que l'Amour 
de Dieu, que son Approbation, 
que sa Grace ? N'est-ce pas assez que 
la gloire de dévenir semblables à Dieu, 
d'être les imitateurs du Seigneur Jésus , 
d'être les Temples du Saint Esprit ? 
N'est-ce pas assez enfin que l'Espérance 
d'un Bonheur éternel & infini ? 
  
Courage donc, Fidéles, montrons 
[dés] 
 dés aujourd'hui , & par l'exercice de 
l'Aumône, & par celui de tous les devoirs 
que la Charité nous impose, que 
nous avons 
appris Christ comme il faut, 
que nous ne nous contentons pas de 
connoître son Evangile , que nous ne 
nous contentons pas d'en faire profession 
au dehors, que nous ne nous contentons 
pas d'en faire quelques œuvres 
extérieures , Mais que Christ regne 
dans nos cœurs, qu'il en posséde toutes 
les affections, qu'il en régle toutes les 
démarches , & sur toutes choses que 
c'est sa Charité , qui y tient le premier 
lieu. Alors, pour me servir des termes 
d'un Prophéte , 
nôtre lumiére sortira 
                            Esaïe 
LVIII.
8.9.
                         
comme l'Aurore, nôtre justice ira devant 
nous, & la Gloire de l'Eternel 
sera nôtre arriére-garde. Alors, si nous 
invoquons l'Eternel, l'Eternel nous exaucera ; 
Si nous crions à lui,il dira,Me voici. 
Alors, nous aurons un riche trésor, 
                            I. Tim. 
VI. I9.
                         un bon fondement dans le Ciel. Alors, 
enfin, nous serons assurez, que quand Jésus 
viendra pour juger le Monde, il regardera 
comme fait à lui-même tout ce 
que nous aurons fait au moindre de ses 
[Mem-]   
Membres, & que pour une misérable 
 pite, pour un verre d'eau que nous aurons 
donné, il nous rendra une vie 
éternelle. AINSI SOIT-IL. 
 FIN.