SERMON
Sur ces Paroles de la I. Epître
de S.Paul aux Corinthiens,
Chap. XIII.ꝟ.1.2.3.
Quand je parlerois les langages de tous
les hommes, & des Anges même, si je n'ai
pas la Charité, je suis comme l'airain qui
resonne, ou comme une cymbale qui retentit.
Et quand j'aurois le Don de Prophétie,&
que je connoîtrois tous les Mystéres & toute
la science ; Et quand j'aurois toute la foy,
jusqu'à pouvoir transporter les montagnes ;
si je n'ai pas la Charité, je ne suis rien.
Et quand je distribuerois tout mon bien
pour la nourriture des Pauvres, & quand
même je livrerois mon corps pour être
brûlé, si je n'ai pas la Charité , cela ne me
sert de rien .
QUAND nous lisons l'Histoire
du Peuple d'israël , nous y
voyons une chose étonnante ;
[C'est]
C'est que, de toutes les Loix de Dieu,
celle qui leur avoit été proposée avec le
plus d'évidence , celle qui leur avoit
été inculquée de la maniere la plus forte,
celle qui avoit été soûtenuë , & par
les menaces les plus terribles, & par
les promesses les plus excellentes, celle
en un mot qu'ils devoient regarder
comme la plus importante de toutes,
Je veux dire la Loi qui défendoit de
tomber dans l'Idolatrie , C'est celle-là
néantmoins qu'ils violérent le plus souvent,
& de la maniére la plus obstinée.
Mes Freres, on peut remarquer quelque
chose de semblable dans l'histoire
de l'Eglise Chrêtienne. Celle de toutes
les Loix de Jésus-Christ qu'il avoit recommandée
avec le plus de soin, celle
qu'il avoit voulu qu'on regardât comme
sa Loi par excellence, celle qu'il
avoit donnée pour la marque & la livrée
de ses Disciples , celle enfin à laquelle
il avoit attaché,d'une façon particuliere ,
toutes les promesses de son
Evangile , Je veux dire la Loi de la
Charité , C'est celle-là cependant,
que les Chrêtiens de tous les siécles
[semblent]
semblent avoir le plus negligée. Il y a
eu même ceci dans les Chrêtiens de
plus étrange que dans les Juifs , c'est
que quand les Juifs étoient Idolatres,
on ne voit pas au moins qu'ils se glorifiassent
de leur conformité à la Loi
de Moyse ; Au lieu que les Chrêtiens
qui ont le moins suivi le précepte
de la Charité, n'ont pas laissé dans
le même tems de se glorifier de leur
Christianisme, & souvent même ont
fait consister une grande partie de leur
Christianisme, dans des sentimens &
dans des actions toutes contraires à la
Charité.
Ce desordre commença bien-tôt.
Il se fit remarquer dés le tems des
Apôtres. Dés lors, l'envie, la jalousie,
les divisions, les partialitez se glissérent
entre les Chrêtiens ; Et les Dons même
des Miracles , qui n'étoient destinez
qu'à fonder l'Eglise, & par conséquent
qu'à unir les Fidéles, furent au
contraire une des occasions de leurs
inimitiez & de leurs disputes. C'est
ce qui arriva en particulier dans l'Eglise
de Corinthe, & c'est ce qui obligea
Saint Paul à leur représenter avec
[tant]
tant de force l'importance de la Charité ,
comme vous voyez qu'il fait dans
nôtre texte, & comme il continuë encore
dans la suite.
Chap.
XII.
Dans le Chapitre précédent, il leur
avoit déjà fait comprendre , que les
Dons Miraculeux devoient les unir,
ꝟ.4.5.6.
II.
plutôt que de les diviser ; Soit parce
que c'étoit un même Esprit, un même
Dieu , un même Seigneur, qui leur
distribuoit ces différentes graces , &
qui les leur distribuoit,comme il le trouvoit
ꝟ.7.
à propos ; Soit parce que ces Dons
étoient communiquez , uniquement
*pour le bien de l'Eglise, & qu'ainsi c'étoit
là l'unique but où ils les devoient
ꝟ.I2.
& suiv.
rapporter ; Soit enfin parce que l'Eglise
doit être semblable au Corps humain,
où, quoique les membres ayent
divers usages, on ne voit pas pourtant
qu'ils se méprisent ou qu'ils se négligent
les uns les autres , Au contraire ils se
prêtent des secours réciproques, & ils
travaillent tous de concert au bien du
Corps dont ils font partie ; Qu'ainsi
dans l'Eglise, quoi qu'il y ait des dons
& des fonctions différentes, cela ne
[doit] doit point obliger les Fidéles à concevoir
du mépris ou de la haine les uns
pour les autres , Au contraire ils doivent
s'aimer , s'aider , se secourir dans
tous leurs besoins, & employer chacun
leurs talens à l'édification de l'Eglise
même. Enfin aprés toutes ces Réflexions,
l'Apôtre veut bien que les Chrêtiens
desirent, & desirent même avec
ardeur , les Dons les plus excellens ;
Mais il ajoûte qu'il va leur indiquer
un
ꝟ.32.
chemin qui surpasse de beaucoup tout le
reste. Quel est ce chemin ? C'est la
Charité, dont il fait l'éloge dans nôtre
texte. C'est la Charité , sans laquelle
ni le Don des Langues,ni le Don
de Prophétie , ni la connoissance de
tous les Mystéres , ni le pouvoir de faire
des Miracles, ni les Aumônes les
plus considerables, ni la Mort la plus
illustre, ne servent de rien dans le Christianisme.
Quand je parlerois, dit-il, les
langages de tous les hommes, & des Anges
même, si je n'ai pas la Charité, je
suis comme l'airain qui resonne, & comme
une cymbale qui retentit. Et quand j'aurois
le Don de Prophétie,& que je connoîtrois
tous les Mystéres & toute la science;
[ Et ]
Et quand j'aurois toute la foy, jusqu'à pouvoir
transporter les montagnes, si je n'ai
pas la Charité , je ne suis rien. Et
quand je distribüerois tout mon bien pour
la nourriture des Pauvres, & quand même
je livrerois mon corps pour être brûlé,
si je n'ai pas la Charité, cela ne me sert
de rien .
Voici donc, Mes Freres, de toutes
les Vertus, celle qu'il nous importe
le plus de pratiquer. Voici celle qui nous
fait proprement Chrêtiens, & sans laquelle
on ne peut se vanter d'être Disciple
du Seigneur Jesus. Cependant
c'est peut-être, comme j'ai déjà dit,
une des Vertus les plus négligées , &
elle l'est même beaucoup plus aujourd'hui,
qu'elle ne l'étoit du tems des Apôtres,
comme chacun le peut aisément
connoître, pour peu qu'il considére les
mœurs & la conduite de la plûpart des
Chrêtiens. Ainsi, quoique l'on prêche
fort souvent là dessus,nous n'avons pas
crû qu'il fût inutile de le faire encore à
cette heure, parce que des Devoirs &
aussi nécessaires & aussi négligez que le
sont ceux-ci, ne sauroient être trop
recommandez. Venez donc, Fidéles,
[méditer]
méditer avec nous , Premiérement,
quelle est la Charité, dont Saint Paul
fait ici l'éloge,& quelles sont les conditions
qu'elle doit renfermer pour être
véritable ; en second lieu , combien
cette Vertu est excellente en elle-même,&
importante dans le Christianisme ;
Enfin, combien toutes les autres
choses, dont Saint Paul fait l'énumération,
savoir, & les Dons des Miracles,
& les actions les plus éclatantes, sont
inutiles sans la Charité. C'est là le plan
que nous allons suivre ; Heureux, si en
parlant de la Charité, Dieu nous fait
la grace d'en allumer dans vos cœurs les
saintes flammes. Ainsi soit-il.
PREMIERE PARTIE.
PAR la Charité dont Saint Paul fait
l'éloge, quelques Interpretes veulent
qu'on entende , & l'Amour de
Dieu, & celui du Prochain ; Mais un
Amour pur et desintéressé, & qui d'ailleurs
soit le principe & la régle de toutes nos
actions. Ainsi, quand il est dit
ici entr'autres choses, qu'il ne sert de
rien, ni de donner aux pauvres, ni d'exposer
son corps à la Mort, à moins
[qu'on]
qu'on n'ait la Charité, cela veut dire ,
selon eux , que les plus belles actions
sont inutiles , à moins qu'un Amour
desintéressé de Dieu & du Prochain
n'en soit le principe , par opposition
même à ce qui se fait, ou par la seule
crainte de l'Enfer, ou par le seul desir
du Paradis. Mais, Mes freres, quoi
qu'il soit tres-vrai que l'Amour de Dieu
doit être le principe & la régle de toutes
nos actions, Quoi qu'il soit vrai aussi
que Dieu doit être aimé, non pas par
de seules vûës d'intérêt, mais soit à
cause de ses Perfections, qui le rendent
infiniment aimable , soit aussi par reconnoissance
pour les biens qu'on en a
reçûs ; Quoi que tout cela, dis-je,
soit tres vrai, nous n'estimons pas que
ce soit le sens qu'il faut donner à nôtre
texte, & par la Charité dont l'Apôtre
parle, nous croyons qu'il faut simplement
entendre l'Amour que nous devons
au Prochain. Car, outre que c'est
le sens le plus commun, que le mot de
Charité a dans l'Ecriture , l'occasion
même de ce Discours, qui étoit prise
des divisions de l'Eglise de Corinthe,
nous conduit là naturellement ; Et d'ailleurs,
[leurs]
les effets que Saint Paul attribuë
à la Charité aprés nôtre texte, comme
quand il dit qu'elle est patiente, qu'elle
témoigne de la douceur, qu'elle n'est point
envieuse, & tous les autres qu'il ajoûte
en suite, se rapportent tous à l'Amour
du Prochain.
Qu'est-ce donc que Saint Paul veut
dire, lors qu'il assûre que ni le Don des
Langues, ni aucun autre Don extraordinaire,
ne sert de rien sans la Charité ?
C'est-à-dire qu'ils ne servent de rien, si
l'on ne les employe pour le bien de l'Eglise,
au lieu de s'en servir, comme plusieurs
faisoient, pour y former des partis
& des schismes ; si l'on ne les employe à
instruire les hommes, & à convertir les
ames, au lieu de s'en servir pour sa propre
gloire & pour sa propre utilité ; si
l'on ne les employe enfin d'une maniére
à faire comprendre qu'on est animé
d'un amour sincére pour ses Prochains.
Que veut-il dire ensuite lors qu'il ajoûte,
qu'il ne sert de rien de donner aux
pauvres, à moins qu'on n'ait la Charité?
C'est-à-dire qu'il n'y a point d'Aumônes,
qui puissent être agréables à Dieu,
si l'on ne les fait par le principe d'un
[véritable]
véritable Amour pour ses freres, & si
l'on n'a,dans toute sa conduite,cet esprit
doux & complaisant, cet esprit de paix
& de concorde,qu'on ne manque jamais
d'avoir quand on aime. Enfin,que veut-il
dire quand il assûre, que c'est en vain
qu'on s'expose à la Mort, à moins qu'on
n'ait la Charité ? C'est-à-dire, qu'il ne
sert de rien d'obeïr à Dieu lors qu'il
nous ordonne de maintenir sa vérité, si
l'on ne lui obéit aussi quand il commande
d'aimer nôtre Prochain comme
nous-mêmes, & si l'on ne montre qu'on
aime son Prochain, par une conduite
pleine de douceur, & par toutes les
marques possibles de tendresse.
Voilà en peu de mots quelle est la
Charité que Saint Paul recommande
aux Corinthiens. Mais, Mes Freres,
comme bien des gens se font illusion sur
cette matiere, soit en croiant être Charitables,
quoi qu'en effet ils ne le soient
pas, soi en prétendant au contraire que
certaines personnes manquent de Charité,
quoi qu'ils n'ayent pas sujet d'avoir
cette pensée, il est nécessaire que nous
nous fassions une juste idée de cette Vertu,
& pour cela il faut considérer six
[choses.]
choses. Il en faut considérer le Principe.
Il en faut considérer le Siége. Il en
faut considérer les Effets. Il faut voir
quel en doit être l'Objet. Il faut voir
quelle en doit être la Mesure. Enfin il
faut voir quelle est l'Influence qu'elle
doit avoir dans toute la vie. Le principe
de la Charité, c'est à dire de l'Amour
du Prochain, ce doit être
l'Amour de Dieu. Le Siége qu'elle doit
avoir, c'est le Cœur. Les Effets qu'elle
doit produire , ce sont tous les biens
que nous pouvons faire, ou que nous
pouvons souhaiter à nos Prochains.
L'Objet qu'elle a,ce sont tous les Hommes ,
sans excepter nos ennemis. La
Mesure qu'on lui doit donner , c'est
d'aimer nôtre Prochain comme nous
mêmes. Enfin, cette Vertu doit être
répanduë dans toute nôtre conduite,&
doit animer toutes nos actions. Mais
tout cela mérite d'être pesé.
I. Le principe, c'est l'Amour de
Dieu. Hors d'ici donc cet amour profane,
qui est allumé par la convoitise.
Hors d'ici ces affections criminelles,qui
ont le vice pour cause, & qui ne tendent
qu'à la satisfaction de quelque passion
[sion]
déréglée. Nous n'entendons pas
même ici ces affections,& naturelles, &
innocentes, que la proximité du sang,
que la conformité d'humeur , que la
considération des bienfaits reçûs , ou
d'autres causes de cette nature, produisent
entre les hommes. Il s'agit
d'un sentiment infiniment plus noble
& plus pur que tous ceux-là. C'est
quand pénétrez de l'amour de Dieu ,
sensibles à ses graces , soûmis à ses
Loix, nous aimons à cause de lui, ceux
qu'il a formez de ses propres mains ,
ceux en qui il a imprimé son image,
ceux qu'il honore de ses faveurs, ceux
enfin qu'il nous a ordonné d'aimer.
Quand on aime par ce principe,on peut
dire qu'on a la Charité. Et c'est ce que
Saint Paul enseigne, quand il dit, que
I. Tim.
I.5.
la Charité procéde d'un cœur pur, d'une
bonne conscience, & d'une foi non feinte .
II. Le Siége de la Charité, c'est le
Cœur. Il y a une Vertu commune entre
les hommes, qui a tous les dehors
de la Charité ; C'est l'Honnêteté Mondaine.
La Charité est-elle douce ?
L'Honnêteté l'est aussi. La Charité
[rend-]
rend-elle des services ? L'Honnêteté
n'en rend pas moins. La Charité donne-
t-elle aux pauvres, console-t-elle les
affligez, évite-t-elle de dire des injures,
s'abstient-elle de la Médisance ? L'Honnêteté
fait tout cela. Il n'est pas même
jusqu'au précepte de ne rendre pas injure
pour injure, & de faire du bien à
nos ennemis, que l'Honnêteté ne suive
fort souvent. Où est donc la difference ?
C'est que l'Honnêteté est une Vertu
toute extérieure. Ses mains agissent,
sa bouche parle , mais son cœur n'est
point touché. Souvent elle regarde
avec indifférence , souvent même elle
hait dans le fond du cœur, ceux à qui
elle rend le plus de services. Il n'en est
pas ainsi de la Charité. Elle est sincére
& sans fard. Elle sent tout ce qu'elle
témoigne, & plus même qu'elle ne témoigne.
En un mot elle a son siége
dans le cœur.
Que la Charité, dit l'Apôtre,
Rom.
XII.9.
soit sans déguisement.
III. Mais si la Charité réside dans
le cœur, elle doit aussi parétre au-dehors.
Si elle doit aussi parétre au dehors.
Si elle doit être sincére, elle doit
aussi montrer sa sincérité par ses Effets ;
Car dés qu'on aime véritablement, on
[en]
en donne des marques réelles. Quels
en sont donc les Effets , direz-vous ?
Premiérement elle ne doit faire aucun
mal à son Prochain. Elle ne doit attenter
ni à sa vie , ni à ses biens, ni à son
Rom.
XIII.
I0.
honneur, ni à sa réputation.
La Charité,
dit Saint Paul, ne fait point de mal
au Prochain ;
Et de là il conclut que la
Charité est
l'accomplissement de la Loi ,
ꝟ.9.
parce que quand il est dit,
Tu ne tueras
point, Tu ne déroberas point, Tu ne commettras
point d'adultére, Tout cela est
compris dans ce seul article, Tu aimeras
ton Prochain comme toi-même. Mais
non seulement la Charité ne doit elle-
même faire aucun mal ; Elle ne doit
pas non plus, ni se réjouïr du mal, ni
envier le bien qui arrive aux autres.
La
Charité n'est point envieuse, dit S. Paul
aprés nôtre texte, & elle ne se réjouït
point du mal .
Au contraire, elle doit,
comme il dit ailleurs
, se réjouïr avec ceux
Rom.
XII.I5.
qui se réjouïssent, & pleurer avec ceux qui
pleurent ; Elle doit aussi faire des vœux
I.Tim.
II.I.
ardens, & des prieres sincéres pour ses
fréres. Mais enfin , non contente des
vœux & des prieres , elle doit leur procurer
par ses propres soins, tous les
[biens] biens qui dépendent d'elle. Elle doit
nourrir celui qui a faim, revêtir celui
qui est nud, consoler les affligez, défendre
ceux qu'on opprime, instruire
les ignorans , ramener ceux qui s'égarent,
rendre toute sorte de bons offices,
faire tout le bien qui est en son pouvoir.
Sur toutes choses, il faut se souvenir
que l'Amour de Dieu étant
le principe qui fait naître la Charité, doit
étre la régle de toutes ses actions; C'est
à dire, d'un côté,que pour faire du bien,
elle ne doit commettre aucune injustice ,
ni rien faire contre son devoir , &
de l'autre, qu'elle doit travailler principalement
au salut de ses fréres, & que
les autres biens qu'elle leur procure
doivent être soûmis à celui-là. Tels
sont les Effets de la Charité.
Bien-aimez ,
I. Jean
III.I8.
dit Saint Jean, n'aimez point de
paroles ni de langue,mais par des œuvres
& avec vérité.
IV. L'Objet de la Charité , ce
sont
tous les Hommes , sans aucune limitation.
Faites du bien à tous , dit
Gal. VI.
I0
Saint Paul. Le Juif peu tendre bornoit
son amitié à ceux qui étoient de
sa Nation ; & pour les autres, il leur
[refu-] refusoit
* les plus communs devoirs
de l'Humanité. Mais Jésus-Christ ôte
ces distinctions. Il veut que nos Prochains,
ce soient tous les Hommes, &
qu'ainsi nôtre amour s'étende sur tous.
Il n'excepte pas même nos ennemis.
Matt.
V.44.
Aimez vos ennemis , dit-il à ses Disciples ,
benissez ceux qui vous maudissent ,
& faites du bien à vos persécuteurs.
Je sai bien qu'il y a des distinctions
à faire dans l'exercice de la Charité,
& que nous ne pouvons , ni ne
devons donner des marques égales
d'amour à tous les Hommes. Mais
premiérement, nous sommes obligez
de n'avoir de haine pour qui que ce
soit ; En second lieu, il n'y a personne
à qui nous ne devions souhaiter du
bien , & à qui nous ne devions être
prêts d'en faire, lors que les occasions
s'en présentent. Du reste, il est permis,
& il est juste même , de faire un
choix & une différence dans l'application
de la Charité. Ainsi, Saint Paul
[veut] veut que l'on préfere ceux avec qui
nous sommes unis par le lien d'une
même Foi. Faisons du bien à tous, dit-il
aux Galates,
mais principalement aux
Gal. VI.
I
domestiques de la Foi. Ainsi, il est juste
de préferer, & nos parens, & nos bienfaiteurs,
& nos amis particuliers, & sur
tout ceux qui sont distinguez par leur
piété & par leur vertu. Mais tout cela
encore doit être ménagé avec tant de
sagesse & tant de prudence, que les distinctions
qu'on fait n'ayent en vûë que
de faire par là un plus grand bien , &
que du reste, comme j'ai déjà dit, nous
ne refusions nôtre amour à personne.
V. Une autre chose que nous avons
marquée, c'est la Mesure de la Charité.
Jésus-Christ l'a posée, lors qu'il a commandé
d'aimer le Prochain
comme on
Matth.
XXII.
38.
s'aime soi-même. Je sai bien qu'on peut
entendre par là, qu'il faut sincérement
aimer nos Prochains,comme nous nous
aimons sincérement nous-mêmes , &
qu'il faut que nôtre amour pour eux soit
agissant , comme l'est l'amour qu'on a
pour soi même. Mais il y a plus ici ;
Il y a le degré, jusqu'où doit aller l'amour
de nos freres. C'est que leurs
[intérets]
intérets doivent se confondre avec nos
propres intérets. Nous devons regarder
leurs maux comme nos maux, &
leurs avantages comme les nôtres. En un mot,
nous devons en user avec eux,
de la même maniere que nous souhaiterions
qu'ils en usassent avec nous, posé
que nous fussions en leur place. Je sai
que l'Amour propre écoute avec peine
un précepte comme celui-ci. Cette
communion d'intérets lui paroît impraticable ;
& il met toûjours une différence
presqu'infinie entre soi & les autres.
Mais dans le fond, il n'y a rien là,
qui ne soit tres-possible & même tres-aisé.
En effet, sans parler des Exemples
illustres de la Charité qui sont dans
l'Ecriture, Qui ne sait combien l'amitié
mondaine a de force pour nous
unir, & pour confondre nos intérets ?
Ainsi, pourquoi la Charité Chrêtienne
n'aura-t-elle pas autant d'efficace que
les amitiez mondaines en ont ? Qui ne
sait même que ce que l'Evangile nous
ordonne dans cette occasion , c'est ce
qu'une simple honnêteté fait témoigner
à tous les gens du Monde ? Ainsi, si
le Mondain fait profession d'aimer les
[autres]
autres hommes comme il s'aime soi-même,
s'il fait profession d'être aussi
fâché de leurs maux que des siens propres ,
Pourquoi le Chrêtien ne sera-t-il
pas , d'une maniére sincére & réelle,
ce que le Mondain fait profession d'être ?
VI. Enfin, le dernier caractére,
que nous avons donné à la Charité,
c'est qu'elle doit régler toute nôtre vie,
& animer toutes nos actions.
Marchez
Ephes.
V.2
dans la Charité , dit Saint Paul, c'est-à-dire,
qu'elle soit la régle de toute vôtre
conduite ;
Et que toutes vos actions,
I.Cor.
XVI.I4.
dit-il ailleurs , soïent faites en charité.
Quantité de gens suivent la Charité,
dans quelques occasions & à quelques
égards ; Mais ils la négligent en d'autres.
On en voit qui donnent aux pauvres,
mais qui en même tems se laissent
aller à la colére ou à la médisance. On
en voit, qui, comme Particuliers , se
croïent obligez d'être charitables; Mais
quand ils sont membres de certains
Corps , ils prétendent en être dispensez.
Tous ces partages sont condannables.
Il faut que la Charité regne sans
cesse en nous, & qu'elle soit toûjours
[sem-]
semblable à elle-même. Il faut qu'elle
anime nos actions, qu'elle conduise nos
paroles, quelle régle même nos pensées.
Il faut qu'elle influë dans tous nos
desseins, & dans toutes nos résolutions ;
Que le Particulier l'exerce, en qualité
de Particulier ; Que l'homme Public
l'éxerce dans sa Charge. A moins que
de cela, l'on ne peut pas dire qu'on ait
une vraïe Charité.
Mais, Mes Freres, en voilà assez sur
les Caractéres de cette Vertu. Chacun
se peut juger là dessus soi-même. Chacun
peur sentir si l'amour qu'il a , ou
qu'il se vante d'avoir pour ses freres , a
pour principe l'Amour de Dieu. Chacun
peut sentir si c'est un amour bien
sincére , & bien véritable. Chacun
peut sentir s'il en fait les œuvres, soit
en ne faisant point de mal au Prochain,
soit en lui faisant au contraire tout le
bien qui lui est possible. Chacun peut
voir aprés cela, si son amour s'étend à
tous les Hommes, & même à ses ennemis.
Chacun peut voir encore s'il aime
ses Prochains de la maniére dont il
s'aime soi même, & s'il entre dans leurs
intérets, comme dans ses intérets propres.
[pres.]
Chacun peut voir enfin si ces sentimens-là
se répandent dans toute sa
conduite, & s'il ne se dément jamais à
cet égard. Ce qu'il y a de sûr , c'est
que ceux qui n'ont pas ces saintes dispositions,
manquent d'une Vertu qui est
d'un côté tres-excellente en elle-même,
& qui de l'autre est tres-importante
& tres-nécessaire dans le Christianisme ;
comme nous allons tâcher de le
montrer dans nôtre seconde Partie.
SECONDE PARTIE.
JE dis , Mes Fréres , que la
Charité est tres-excellente
par elle-même ; Et c'est ce qui paroît
de quelque maniére qu'on vueille regarder.
Déjà , c'est la nature mêmeI.
qui nous l'inspire ; Car, puisque la nature
nous a tous faits semblables, puisque
la nature nous a tous faits , afin
que nous vivions ensemble, puis que
la nature aussi nous a faits tels , que
nous avons tous besoin du secours &
de l'assistance des autres hommes, ne
nous dit-elle pas assez clairement que
nous nous devons aimer les uns les
autres ? D'ailleurs, qui ne sait que nous
[avons]
avons tous certaines pentes naturelles
& invincibles à la Charité ? Qui ne
fait , par exemple , que nous avons
tous un penchant naturel à la Compassion ,
Jusques-là qu'on ne peut, ni voir
le mal d'autrui , ni seulement en entendre
parler , sans en ressentir une
douleur secréte, Jusques-là même qu'il
arrive souvent , que des récits tragiques,
quoi que faux, ne laissent pas d'arracher
des larmes ? Tant il est vrai
que nous sommes tous faits naturellement
pour nous entr'aimer. Et c'est
pour cela, que tous les sentimens , qui
ont quelque rapport à la Charité, s'appellent
Humanité dans le Monde, parce
qu'en effet rien n'est plus convenable
à la nature de l'Homme , ni
plus conforme au penchant de son
cœur.
II.Que si l'on consulte ensuite la Justice ,
qu'y a-t-il de plus juste que la
Charité ? Car , puisque chacun souhaite
d'être aimé, puisque chacun souhaite
qu'on lui fasse du bien, puisque
chacun même se plaint des autres,
quand ils lui refusent leurs services;
Quoi de plus juste que d'en user nous
[mêmes,]
mêmes, comme nous souhaitons qu'on
en use avec nous ? Et c'est ce que Jésus-Christ
fait tres-bien sentir dans
cette belle Sentence , qui porte avec
elle les caractéres & les preuves de son
equité,
Ce que vous voudrez, dit-il, que
Matt.
VII.12.
les hommes vous fassent , faites le leur
aussi à vôtre tour : Sentence, qui fut si fort
approuvée par un
* Empereur Payen,
qu'il la faisoit graver dans son Palais, &
sur les Edifices publics , qu'il la faisoit
publier par un héraut, quand on punissoit
quelque Criminel, & qu'il l'avoit
lui-même tres-souvent dans la bouche.
Je demande encore , Est-il rien III.
de si noble que la pratique de la
Charité ? En effet, qui sont ceux que
nous regardons comme des ames basses
& rampantes ? Ne sont-ce pas
ceux qui pensent sans cesse à leur profit
[fit]
particulier ? Qui sont au contraire
ceux que nous regardons comme des
ames grandes & élevées ? Ne sont-ce
pas ceux qui sont plus touchez du bien
public que de leur bien propre ? Ne
sont-ce pas ceux qui sacrifient, & leurs
biens, & leurs peines, & leur vie, pour
l'utilité des autres Hommes ? C'est-à-dire
ceux qui sont animez d'un esprit
conforme à la Charité ? Qu'on lise
l'histoire de tous les Siécles, & de tous
les Peuples du Monde ; Qu'on voye
qui sont ceux qu'on a le plus loüez,
qu'on a le plus admirez, qu'on a le plus
chéris, à qui l'on a le plus dressé de statuës ;
Ne sont-ce pas ceux qui se sont distinguez
par le bien qu'ils ont fait
aux Hommes ? Mais ce qui reléve sur
tout la Charité, c'est qu'elle sert plus
que toute autre chose à nous rendre
semblables à Dieu. Ouï,
Dieu est Charité ,
Jean
V.8.
dit l'Apôtre Saint Jean. La Charité
n'est pas seulement la plus illustre
de ses Perfections, & le plus beau rayon
de sa Gloire ; C'est , pour ainsi dire,
son Essence même. Toute la Nature
prêche hautement l'infinie Charité de
Dieu , puisque ce n'est que pour faire
[du] du bien, & pour donner des marques
de sa Bonté , que Dieu a formé un si
grand nombre d'Etres. Toutes les œuvres
de la Providence publient aussi la
Charité de Dieu , puisque tout , jusqu'aux
plus petites choses, a un rapport
visible au bien des Hommes. Sur tout,
la Charité de Dieu se fait voir dans le
support qu'il a pour les mêchans , &
dans les biens dont il les comble ;
Car il fait lever son Soleil sur les bons &
Mat. V.
45.
sur les mauvais, & il fait tomber sa pluye
sur les justes & sur les injustes. Mais ce
qui surpasse encore tout cela, c'est l'incomprehensible
Charité de Dieu , qui
éclate dans l'Evangile. Qu'est-ce donc,
Qu'est-ce donc qui peut le plus servir
à nous rendre semblables à cet
E'tre Parfait ? N'est-ce pas d'aimer tous les
Hommes, comme nous voyons qu'il
les aimes ? N'est-ce pas de répandre sur
eux nos biens ? N'est-ce pas de leur
pardonner leurs fautes ? N'est-ce pas
en un mot d'être imitateurs de cette
immense Charité de Dieu ? Certes,
cette conduite a paru si Divine à toutes
les Nations de la Terre , que si la
Superstition a élevé des Hommes sur
[le] le trône de la Divinité,
* c'étoyent
des Hommes qui avoient rendu des
services tres-considerables,ou au Genre
humain,ou a leur Patrie.
IV. Aprés cela , Mes Freres, que ne
peut-on pas dire des usages de la
Charité , non seulement à l'égard de
ceux à qui elle fait du bien, mais sur
tout à l'égard de ceux qui la pratiquent ?
Quoi de plus contraire à nôtre
repos, Quoi de plus contraire à nôtre
bonheur, que tous les sentimens, &
de colére, & de haine, & de jalousie, &
de vengeance, enfin que toutes les passions
qui sont opposées à la Charité ?
Quoi au contraire de plus agréable &
de plus satisfaisant, que tous les sentimens
de douceur, de bien-vueillance,
de tendresse, que la Charité nous inspire ?
Quel plaisir de pouvoir se regarder
soi-même, comme le Pere, comme le
Protecteur , de ceux à qui on fait du bien ?
[bien ?]
Non, les Mondains diront ce
qu'ils voudront des différens plaisirs
dont ils jouïssent ; Nous osons assurer
qu'ils n'en ont aucun, qui approche de
celui-ci. D'ailleurs , quel moyen plus
sûr pour être aimez, pour être servis,
pour être secourus dans tous nos besoins
par les autres Hommes , que de
les aimer nous-mêmes, & que de les
servir dans les occasions ? Quoi même
de plus propre à toucher le cœur de
nos ennemis les plus implacables, & à
changer
* leur haine en amitié ?
Mais enfin , disons que si la Charité V.
est avantageuse à ceux qui la pratiquent ,
elle est sur tout infiniment
utils à toute la Societé. Car enfin d'où
viennent tant de querelles, tant de procés,
tant de meurtres, & sur tout tant
de guerres sanglantes, qui bouleversent
si souvent les Etats, & qui sont si funestes
au Genre humain ? N'est-ce pas du
defaut de Charité ? N'est-ce pas de ce
qu'on cherche à s'élever les uns sur les
autres, & de ce qu'on sacrifie tout à sa
[gloire]
gloire & à son profit ? Mettez au contraire
la Charité. Vous verrez d'abord
cesser tous ces desordres. On
ne fera aucun tort à personne, & l'on
n'en recevra aucun. Il n'y aura parmi
nous ni envie, ni jalousie ni haine. Nous
serons heureux par les avantages des
autres , & nous ne penserons tous
qu'à nous aider & à nous secourir réciproquement.
Ainsi , la Société ne sera,
pour ainsi dire, qu'une seule famille, où
l'on verra regner une paix, une union,
une concorde, que rien de sauroit troubler ;
Ou pour mieux dire, la Terre elle-même
deviendra un vrai Paradis, où
l'on goûtera des douceurs infinies.
Concluons donc qu'il n'est rien de
plus juste, de plus excellent, ni de plus
utile, que la pratique de la Charité, à
la regarder en elle-même. Mais j'ai
ajouté qu'elle est tres importante,& capitale
même dans le Christianisme ; Et
c'est ce qu'il est aisé de faire voir.
I. II. Effectivement, c'est la Charité,
que le Seigneur Jésus recommande
le plus, & qu'il fait regarder par
tout comme l'essence & comme le but
Jean
XV.12.
de toute sa Doctrine.
C'est ici, dit-il,
[ mon ]
mon commandement, mon commandement
capital, mon commandement par
excellence , que vous vous aimiez les
uns les autres . Il appelle même ce commandement,
un commandement nouveau ;
Jean
XIII.34.
Non pas pour dire qu'il étoit inconnu,
avant que Jésus fut venu au Monde, car
à cet égard Saint Jean reconnoît que
c'est
un commandement ancien ; Mais il
I. Jean
II.7.
est
nouveau dans le Christianisme, parce que
Jésus lui donne une force toute
nouvelle, parce qu'il y insiste beaucoup
plus que ne faisoient tous les autres Docteurs ,
& qu'il en fait même le but, &
le principal point de toute sa Doctrine.
C'est à ceci, dit encore Jésus-Christ, C'est
Jean XIII.35.
à ceci que l'on connoîtra que vous étes mes
Disciples, si vous vous aimez les uns les
autres . Chaque Religion avoit certaines
marques, qui la distinguoient des
autres Religions. Chaque Secte de
Philosophes, chaque Société de Docteurs,
avoit, ou certains sentimens, ou
certaines coûtumes particulieres, qui la
caractérisoient. Voulez-vous savoir la
marque que prend Jésus, pour distinguer
son Eglise ? C'est l'Amour réciproque
de ses Sectateurs. Lisez les Divins
[vins] Sermons qu'il faisoit, pendant qu'il
étoit sur la terre ; Vous verrez qu'il insiste
perpétuellement sur les devoirs de la
Charité. Tantôt il déclare qu'on est
Matt. V.
5. 7. 9.
bienheureux, quand on est doux, quand
on est pacifique, quand on est plein de
ꝟ.22
miséricorde. Tantôt il ordonne de s'abstenir
de tous les termes injurieux. Tantôt
il montre que la colére est aussi criminelle
que l'homicide. Tantôt il fait
ꝟ.23.34.
voir que la Miséricorde doit aller devant
tous les sacrifices,& qu'ainsi quand
on a quelque différent , il faut plutôt
quitter son sacrifice , que de ne se pas
ꝟ.39. 40. 41. 42.
réconcilier. Tantôt il enseigne qu'il
faut renoncer à tout sentiment de vengeance,
& qu'il faut être doux & bienfaisant
pour ceux qui nous demandent
des graces. Tantôt il presse le grand
ꝟ.44.
45.&c.
devoir de l'Amour des ennemis, & il
montre que c'est sur tout en cela qu'il
faut imiter nôtre Pere Céleste. Tantôt
Luc.
XVI. I9.
&c.
sous l'image d'un mauvais Riche, il
montre combien on est criminel, quand
on ne donne pas de son bien aux Pauvres.
Matt.
XVIII.
Tantôt sous l'image d'un serviteur
cruel, qui ne veut rien céder à ses
compagnons, quoique son Maître lui ait
[quitté] quitté une dette considerable,il fait voir
l'injustice de ceux qui prétendent que
Dieu leur pardonne leurs péchez,& qui
ne veulent rien pardonner à leurs freres.
Tantôt enfin, faisant la description
Matt.
XXV.
35.&c.
du Grand Jour du Jugement, il fait voir
que les Hommes seront sur tout jugez,
suivant l'application qu'ils auront apportée
aux œuvres de la Bénéficence.En
un mot,il faudroit que nous récitassions
d'un bout à l'autre tous les Evangiles,
qui voudroit rapporter tout ce que dit
Jésus sur l'importance de la Charité.
Mais s'il y insiste si fort dans ses Discours , II.
il n'y insiste pas moins dans
ses Actions, & c'est à cet égard sur tout
qu'il nous présente un Modéle parfait à
imiter. Lisez toute l'Histoire de ce Divin
Sauveur , depuis le tems qu'il prit
nôtre nature , jusqu'à ce qu'il fut élevé
dans le Ciel ; Vous n'y verrez qu'un
exercice continuel de Charité. C'est la
Charité, qui le fait descendre du Trône
de sa Gloire , pour se venir charger de
nos foiblesses.C'est elle qui le fait aller de
bourgade en bourgade,de ville en ville,
pour prêcher les Mystéres du Royaume
des Cieux.C'est elle qui lui fait faire tous
[ses]
ses Miracles, car ils ne tendent tous qu'à
l'utilité & au soulagement des Hommes.
C'est elle qui le fait vivre dans la
bassesse, dans la pauvreté, dans le mépris ,
& qui lui fait souffrir une mort
pleine de douleurs & d'ignominie. C'est
elle enfin qui tire de sa bouche, au milieu
même de ses tourmens,une tendre priére
pour ses bourreaux : Tel est l'Exemple
de Jésus-Christ, & tel est le chemin
Matt.
XI. 29.
Jean
XIII.15.
où il veut qu'on le suive.
Apprenez de
moi, dit-il,à être doux .
Ie vous ai donné ces
exemples, afin que vous suiviez mes traces .
Et c'est ici mon commandement , que
vous vous aimiez l'un l'autre,
comme je
Jean
XV.I2.
vous ai aimez.
III. Que si du Maître nous passons
aux Disciples , il ne nous feront pas
sentir moins fortement l'Importance
Jaq.II.8
Jaq.I.27
Rom.
XIII.I0
I.Tim.
I.I5.
de la Charité. C'est, selon eux,
La Loi
Royale , C'est
la Religion pure & sans
tache , C'est
l'accomplissement de la Loi , C'est
la fin du commandement , c'est-à-dire
de tout l'Evangile,
C'est le premier
Gal. V.
22
Colos.
III.I4.
des
fruits de l'Esprit , C'est
le lien
de la perfection , qui joint & qui couronne
toutes les Vertus. C'est elle qu'ils
veulent que nous pratiquions, préférablement
[blement] à toutes les autres :
Sur toutes
I. Pier.
IV.8.
choses, dit S. Pierre, ayez une ardente
Charité entre vous . C'est à elle qu'ils
rapportent, & tous les Dogmes, & toutes
les Pratiques de la Religion Chrêtienne.
Parlent-ils de l'Amour incompréhensible,
que Dieu a eu pour nous
en nous donnant son Fils ? Ils en tirent
d'abord cette conséquence , que
puis que Dieu nous a ainsi aimez, nous
I. Jean.
IV. II.
nous devons aussi aimer les uns les autres.
Parlent-ils de l'Amour ineffable du Fils,
qui s'est présenté pour nous en sacrifice ?
Ils en concluent aussi incontinent,
que nous devons
marcher en charité,
Ephes.
V. 2.
comme Christ nous a aimez, & s'est donné
soi-même pour nous. Parlent-ils de l'Eglise ?
Ils la font concevoir, tantôt
comme une seule famille, où l'amour
fraternel doit toûjours régner, tantôt
come un Corps , dont les divers
membres doivent être sans cesse unis
d'intérets. Parlent-ils du Baptême ?
Ils nous font souvenir qu'
un même
I. Cor.
XII.I3.
Esprit nous a tous baptisez, afin que nous
formions un même Corps. Parlent-ils de
la Cene ? Ils nous font remarquer, que
nous qui sommes plusieurs, nous sommes un
I. Cor.
X.I7.
[ seul ]
seul pain & un seul corps , parce que nous
avons part au même pain . Quelquefois
ils joignent la plûpart de ces choses, &
Ephes.
IV. 3.4.
5.6.
afin qu'on conserve
l'unité de l'Esprit par
le lien de la paix, ils remarquent qu'il y a
un seul Corps , un seul Esprit, une seule
Vocation, une même Esperance ; Qu'il y a
un seul Seigneur, une seule Foi, un seul
Baptême, enfin un seul Dieu & Pere de
tous . Mais ce que les Apôtres pressent
le plus, c'est que la Charité est si essentielle
& si nécessaire dans le Christianisme,
que sans elle tout est inutile. Ils
Galat.
V.6.
disent qu'
en Christ, ni la Circoncision, ni le
prépuce ne servent de rien, ni la Foi même,
si elle n'agit & ne se montre par la
Charité.
Ils disent que sans la Charité,
on ne sauroit être en état de grace.
I. Jean
III.I4.
A ceci nous connoissons, dit S. Jean, que
nous sommes passez de la mort à la vie, savoir
si nous aimons nos fréres. Ils disent
qu'il est faux qu'on aime Dieu, à moins
5. Jean
IV.20.
qu'on n'aime ses Prochains ;
Si quelcun
dit qu'il aime Dieu, & qu'il haïsse ses fréres ,
il est menteur. Ils disent même
qu'on ne connoît pas Dieu, c'est-à-dire
qu'on ne le connoît pas d'une maniere
utile & efficace, quand on n'aime pas ses freres.
[freres.] Celui qui n'aime pas, n'a pas connu
I. Jean
IV. 8.
Dieu, car Dieu est Charité. Enfin ils
élévent la Charité par dessus tous les
Dons & toutes les Vertus,comme Saint
Paul fait dans nôtre texte, & dans tout
le reste de ce Chapitre.
Que dirons-nous de plus ? Voulez-vous
IV. voir l'effet des instructions des
Apôtres, dans la conduite des prémiers
Chrêtiens ? Vous les verrez aussi qui
s'attachent à la Charité plus qu'à toute
autre chose, & qui ne se distinguent
presque que par là. Témoin les Fidéles
de Jérusalem , qui n'étoyent
qu'un
Act. IV.
32.
cœur & qu'une ame. Témoin ceux du
tems de
† Tertullien, dont les Payens
disoient en les admirant ,
Voyez combien
ces Chrêtiens s'aiment. Témoin
*Lucien ,
ce fameux impie, qui dans le
tems qu'il raille les Chrêtiens de leur
trop grande facilité à faire du bien aux
gens sans les connoître, dans le même
tems il rend un témoignage authentique
à leur Charité. Et l'Empereur Julien,
l'un des plus grands ennemis de
l'Eglise Chrétienne, ne peut s'empêcher
[cher] d'alléguer aux Payens la surprenante
Charité des Chrêtiens, comme
un exemple qui leur faisoit honte. Il
témoigne même dans
† une lettre qu'il
écrivoit à un Prêtre Payen , que les
Chrêtiens ne se contentoient pas de
soulager ceux de leur Religion , mais
qu'ils étendoyent leur bénéficence jusques
sur les Payens mêmes, c'est-à dire,
sur leurs ennemis.
† C'est une honte,
dit-il, que pendant que les Iuifs ne permettent
pas qu'il y ait aucun d'entr'eux
qui mendie, & pendant que ces Galiléens
impies ( c'est ainsi qu'il appelloit les
Chrêtiens ) ne soulagent pas seulement
leurs pauvres, mais même ceux d'entre
nous, on nous voye cependant négliger un
devoir si nécessaire. Et que n'aurions-nous
point à dire des Chrêtiens, qui se
rendoient eux-mêmes miserables, qui
quelquefois même vendoient leur liberté,
pour pouvoir soulager les autres ?
Mais cela peut suffire pour vous faire
[com-]
comprendre l'extrême importance de
la Charité. Ainsi ce qui nous reste présentement
à faire, c'est de la comparer
en peu de mots avec les autres choses
dont Saint Paul parle, C'est-à-dire, &
avec les Dons Miraculeux, & avec les
actions les plus éclatantes. Tout cela,
au jugement de Saint Paul,ne servoit de
rien sans la Charité. Quand je parlerois,
dit-il, les langages de tous les hommes,
& des Anges même, si je n'ai pas la
Charité, je suis comme l'airain qui resonne,
ou comme une cymbale qui retentit.
Et quand j'aurois le Don de Prophétie, &
que je connoîtrois tous les Mystéres & toute
la science ; Et quand j'aurois toute la foy,
jusqu'à pouvoir transporter les montagnes,
si je n'ai pas la Charité, je ne suis rien.
Et quand je distribuerois tout mon bien
pour la nourriture des Pauvres, & quand
même je livrerois mon corps pour être
brûlé, si je n'ai pas la Charité, cela ne me
sert de rien .
TROISIE'ME PARTIE.
LEs Dons Miraculeux , dont l'Apôtre I.
parle , étoient alors communs
dans l'Eglise. Il y a même des
[gens]
gens qui croient que tous les Fidéles
y avoient part, bien qu'avec inegalité, &
en des maniéres différentes. Quoi qu'il
en soit, Saint Paul en marque plusieurs
sortes. ( I ) Il parle d'abord du Don des
Langues, qui fut distribué si solennellement
le jour de la Pentecôte , & qui
étoit si nécessaire pour la manifestation
de l'Evangile.Mais quand Saint Paul en
parle, il le suppose dans la grande étenduë ;
Quand je parlerois, dit-il, non pas
quelques langages , comme on faisoit
alors, mais les langages des hommes , ou de
tous les hommes . Il va plus avant,& il suppose
même qu'il sache la maniére dont
les Anges se communiquent entr'eux
leurs pensées ; Quand je parlerois les
langages de tous les hommes , & des
Anges même. ( 2 ) Il parle aprés cela du
Don de Prophétie ; soit que nous devions
entendre par là la connoissance de l'avenir ,
dont on voit en effet que quelques
personnes étoient favorisées du
tems des Apôtres ; soit que cela marque
simplement le Don d'entendre les
Prophéties, & d'expliquer l'Ecriture.
( 3 ) Il pose en troisiéme lieu, la connoissance
de tous les Mystéres, & de toute
[ te ]
la science ; C'est-à-dire , sur tout, la
connoissance de tous les Mystéres de
l'Ancien Testament, & de tout ce qu'il
y avoit de plus difficile & de plus caché
dans le Christianisme. On ne peut
pas douter qu'il n'y eut alors des Dons
de cette nature, qui aidoient aux Apôtres
à découvrir, & le sens des anciens
Oracles , & le but des Ceremonies, &
d'autres choses de cette nature; Et c'est
sans doute ce que Saint Paul appelle
dans le Chapitre précédent le Don de
connoissance & le Don de sagesse . Mais on
peut étendre ceci plus loin, & dans la
connoissance de tous les Mystéres , on
peut comprendre aussi tout ce qu'il y
avoit de plus difficile & de plus sublime,
soit dans l'Ecole des Docteurs Juifs,
soit dans celle des Sages Payens. (4) De-là
il passe au Don des Miracles, qui étoit
aussi tres-commun alors, & qui consistoit
principalement à guerir les malades,
à chasser les Démons, & à infliger
des peines corporelles , & quelquefois
même la mort, à ceux qui étoient rebelles
aux Apôtres. Mais quand Saint
Paul parle de ce Don-là, il le suppose
aussi dans le plus haut degré , jusqu'à
[pou-]
pouvoir faire ce qu'on regardoit comme
une des choses les plus difficiles.
Quand j'aurois, dit-il, toute la foi, c'est-à-dire ,
la foi des Miracles,, jusqu'à pouvoir
transporter les Montagnes . (5) Enfin,
aprés tous ces Dons merveilleux, l'Apôtre
allégue deux actions excellentes,
qui, dans les Persécutions qu'on souffroit
alors, pouvoient souvent être pratiquées.
L'une est, de donner tous ses
biens , pour la nourriture des pauvres ,
comme on avoit fait à Jérusalem ; L'autre
est, d'exposer son propre corps au feu ,
ce qui n'est pas non plus sans exemple
dans l'histoire de l'Eglise Chrêtienne.
II.Telles sont les choses dont Saint Paul
parle. Toutes choses qui pouvoient
tres-souvent être séparées de la Charité.
Car ( I ) pour ce qui est des Dons
Miraculeux , ils se pouvoient trouver
dans des gens corrompus ; Témoin ceux
qui diront à Christ au dernier jour,
Matt.
II.
22.
Seigneur, n'avons-nous pas fait des Miracles
en ton Nom , n'avons-nous pas Prophétisé
en ton Nom , n'avons-nous pas
chassé les Diables en ton Nom ? Mais auxquels
il dira pourtant,
Ie ne vous connois
[ point,]
point, Retirez-vous de moi, vous qui faites
le mestier de l'iniquité. Mais que ces
Dons là sur tout se trouvassent dans des
gens sans Charité , dans des gens qui
s'en servissent uniquement pour leur
propre gloire, & pour se faire des partisans ,
& non pas pour l'utilité & pour
l'édification de l'Eglise, c'est ce qui paroît
par l'exemple même des Corinthiens
à qui Saint Paul écrit. (2) Pour
ce qui regarde l'Aumône, il semble d'abord
qu'il est difficile de la séparer de
la Charité. Mais cependant la chose
est tres-possible, & arrive même tres-souvent.
En effet, plusieurs ne donnent
aux pauvres, que par la simple
honte de refuser. Plusieurs donnent
pour être vûs des hommes, & par une
pure ostentation. Plusieurs donnent
afin de reüssir plus aisément dans leurs
desseins. Plusieurs même alors donnoient
apparemment par la seule crainte
des Apôtres , & pour ne s'exposer
pas aux mêmes peines qu'Ananias &
Saphira. Plusieurs par conséquent donnoient
sans Charité, comme plusieurs
le font aujourd'hui. (3) Enfin, pour
ce qui est d'exposer sa vie, quand ce seroit
[roit]
même pour la Religion, on le pouvoit
faire sans Charité. On le pouvoit faire
par vaine gloire,comme plusieurs Philosophes
Payens. Et, en supposant même
qu'on le fit par un pur amour pour
la Religion, on pouvoit d'ailleurs avoir
des defauts contraires à la Charité. On
pouvoit être sujet à la colére, sujet
à la médisance. on pouvoit manquer
de support & de condescendance pour
ses Prochains : Comme en effet on voit
tous les jours des gens qui souffrent
pour la Religion, & qui sont néantmoins
sujets à tous ces vices.
III. Mais que dit l'Apôtre de toutes ces
choses, quand elles se trouvent sans la
Charité ? Il dit qu'elles sont tout à fait
inutiles. Quand je parlerois, dit-il,
toutes les langues , si je n'ai point la
Charité, je suis comme l'airain qui resonne ,
& comme une cymbale qui retentit ;
C'est-à-dire , j'ai bien un talent , qui a
quelque éclat dans le Monde, mais je
n'ai rien dans le fond de véritablement
estimable, ni qui puisse attirer l'approbation
de Dieu. Quand j'aurois, ajoute-t-il,
le Don de Prophétie, avec tous
[les]
les autres Dons, si je n'ai pas la Charité,
je ne suis rien , C'est-à-dire, je ne
suis rien par rapport au Christianisme ;
J'ai bien le dehors d'un Chrêtien, mais
je n'en ai pas la réalité. Et quand je
donnerois tout mon bien aux pauvres,
& que j'exposerois même mon propre
corps au feu , si je n'ai pas la Charité,
cela ne me sert de rien , C'est-à-dire, de
rien pour être aimé de Dieu , de rien
pour être Disciple de Christ , de rien
pour avoir part à ses promesses.
Effectivement , à regarder d'abord
toutes ces choses ensemble, de quelle
utilité peuvent-elles nous être, pendant
qu'une Vertu nécessaire nous manque ?
Lors que l'on péche dans un seul point, on
Jaq. II.
10.
est coûpable de tous , dit Saint Jaques;C'est-à-dire,
qu'il est aussi vrai qu'on est coûpable
devant Dieu , qu'il est aussi vrai
qu'on a mérité les effets de sa colére,
que si toute la Loi étoit violée. Cela
étant, dequoi peuvent servir tous les
Dons les plus excellens , toutes les
actions les plus éclatantes, quand nous
manquons à des devoirs aussi essentiels
& aussi nécessaires, que le sont ceux de
la Charité ? Mais sur tout, y-a-t-il quelque
[que]
chose au Monde , qui nous puisse
servir dans le Christianisme, sans une
Vertu dans laquelle l'essence du Christianisme
consiste, sans une Vertu que
Jésus a donnée pour être la marque de
ses Disciples, sans une Vertu que ses
Apôtres pressent préférablement à toutes
les autres, sans une Vertu enfin, de
laquelle le salut dépend, d'une façon
particuliére ? Quand donc j'aurois
tous les Dons possibles, & que je ferois
les plus belles actions, tout cela ne me
sert de rien ,& je ne suis rien sans la Charité.
Que si vous prenez en particulier
les Dons Miraculeux dont l'Apôtre
parle, il est aisé de voir qu'ils n'étoient
d'aucun prix, quand la Charité en étoit
séparée. En effet, pourquoi étoient-ils
donnez ? N'étoit-ce pas pour le bien
de l'Eglise ? N'étoit-ce pas pour faciliter
la manifestation de l'Evangile ? N'étoit-ce
pas pour pouvoir amener tous
les Peuples au salut ? Ainsi, quand on
ne rapportoit pas ces Dons-là à cet usage,
quand on s'en servoit au contraire
pour un but tout opposé, quand on s'en
servoit pour diviser l'Eglise, & pour s'élever
[lever]
au dessus de ses freres, bien loin de
mériter par là quelque loüange, au contraire
on étoit d'autant plus blâmable,
& d'autant plus coûpable devant Dieu,
que les Dons qu'on avoit étoient plus
illustres. C'étoient sans doute de fort
beaux talens, que de pouvoir parler
toutes les langues, que de pouvoir prédire
l'avenir, que de pouvoir pénétrer tous
les Mystéres, que de pouvoir, par sa
seule parole, changer mille choses dans
la nature. Mais avoüés pourtant que,
si ces talens-là ne produisent pas quelqu'effet
utile, ils ont un éclat bien peu
estimable. Et aprés tout, que sont ces
talens ? Ne sont-ce pas de purs effets
de la Liberalité de Dieu ? Ainsi , tout
ce qu'on en peut justement conclurre,
c'est la bonté de Dieu qui les donne:
Mais pour ce qui est de ceux qui les reçoivent,
il n'y a que le bon usage qu'ils
en font, c'est-à-dire qu'il n'y a que la
Charité, qui les rende dignes d'estime.
Quand donc je parlerois toute sorte de
langues, & que j'aurois tous les autres
Dons, je ne suis rien sans la Charité.
A l'égard des œuvres de la Bénéficence,
il est visible qu'elles tirent aussi
[tout]
tout leur prix de la Charité. Car enfin,
si c'est par des motifs de honte, d'ostentation,
d'intérêt, que l'on distribuë
ses
biens aux pauvres, il est clair que cette
distribution n'est d'aucune valeur dans
la Christianisme. Alors on reçoit bien
Matt.
VI.2.
sa recompense ,
comme dit le Seigneur
Jésus, mais on la reçoit seulement du
Monde, parce qu'effectivement , c'est
le Monde seul que l'on a en vûë. Mais
pour ce qui est de la Divinité, elle a un
mépris extrême pour ces choses ; Elle
les conte pour rien. Quand donc je
donnerois tout mon bien aux pauvres,
je ne suis rien sans la Charité .
Enfin , il faut faire le même jugement
de ceux qui exposent leur corps à
la mort. Un phrénétique le pourra faire ;
Meritera-t-il par là d'être estimé ?
Un Calanus, un Peregrinus l'ont fait par
vanité dans le Paganisme ; Faudra-t-il
que Dieu leur en tienne conte ? Mais
supposé même qu'on le fasse par un véritable
desir de plaire à Dieu, & par zéle
pour son service ; C'est , je l'avouë,
une belle action, une action noble, une
action héroïque : Mais est-ce assez,
comme j'ai déjà dit, de s'aquitter de
[l'un]
l'un de ses Devoirs, pendant que l'on en
néglige un autre,absolument nécessaire ?
Qu'importe à l'Ennemi de quelque côté
qu'il entre dans la Ville qu'il assiége ?
Qu'importe au Démon quel que soit le
vice qui l'introduise dans nôtre cœur ?
S'il n'y entre pas par l'Apostasie , il lui
suffit d'y avoir entrée par le defaut de
Charité ; Et cette seconde brêche est
pour le moins aussi dangereuse que
l'autre. Quand donc j'exposerois mon
propre corps au feu , fût-ce pour la
cause de l'Evangile, si je n'ai pas la Charité,
cela ne me sert de rien.
Ainsi, Mes Freres, vous voyez que
S. Paul exécute bien ce qu'il avoit promis.
Il avoit promis de marquer quelque
I. Cor.
XII. 3I.
chose de beaucoup plus grand que
les Dons des Miracles. Et voici la Charité,
qui non seulement est plus excellente
& plus belle que tous ces Dons-là,
mais sans laquelle ils sont tous inutiles,
& sans laquelle les actions même
les plus éclatantes ne servent de rien.
Cela étant ainsi , n'étoit-ce pas là un
motif bien fort & bien convainquant
pour porter à la paix les Chrêtiens de
Corinthe ? Car enfin , quelqu'ardeur
[qu'ils]
qu'ils pûslent avoir pour les Dons Miraculeux ,
ils en devoient avoir beaucoup
plus encore pour une Vertu beaucoup
plus importante & plus utile que
tous ces Dons, & par conséquent ils
ne devoient rien faire, qui fût contraire
à la Charité & à la paix de l'Eglise.Mais
sans nous étendre davantage , sur le
sens de nôtre texte,par rapport aux Corinthiens,
il est tems de nous l'appliquer
à nous mêmes,& nous vous demandons
encore pour cela quelques momens
d'attention.
CONCLUSION.
I. D'ABORD, Mes Fréres, qu'il nous
soit permis d'appliquer en general
aux Eglises, ce que S. Paul dit des Particuliers.
Vous savez qu'il y a une grande dispute,
entre les différentes Societez
Chrêtiennes, pour savoir quelle est la
véritable Eglise. Les uns apportent certaines
marques , par où ils prétendent
que l'on en juge ; Et les autres en apportent
Bellarmin.d'autres. Un Docteur de Rome
en pose jusqu'à quinze, entre lesquelles
sont ce qu'il appelle la Lumière Prophétique ,
& ce qu'il appelle la Gloire des Miracles.
[ cles. ]
Les Protestans prétendent au contraire,
que plusieurs de ces marques ne
sont pas justes, & que plusieurs même
ne conviennent point à la Communion
Romaine. Là-dessus on écrit , on répond,
on replique, & l'on pourroit faire
une Bibliothéque des seuls volumes
qui ont été faits sur les Marques de l'Eglise.
Mais voici l'Apôtre S. Paul, qui
abrége la dispute. Le voici qui nous indique
une Marque , mais une Marque
qui est incontestable ; & qui est d'ailleurs
aisée à discerner, dans le cas dont
il s'agit. Cette Marque, c'est la Charité .
Car enfin, s'il est vrai que, sans la Charité,
on ne sauroit être un vrai Chrêtien,
ne doit-on pas dire aussi que, sans
elle, il n'y a point de véritable Eglise ?
Sur tout quand on pense que c'est la
Marque que Jésus-Christ lui-même
avoit donnée, pour distinguer ses Disciples.
Je prens donc cette Marque, & je
tâche de voir si elle se trouve dans l'Eglise
Romaine. Mais que vois je, grand
Dieu ! dans cet examen ? Je ne trouve
par tout que violences , que persécutions ,
que cruautez. Là je vois les prisons ,
les cachots, les galéres, toutes
[rem-]
remplies de pauvres Chrêtiens, dont le
seul crime est de ne vouloir croire que
la pure Parole de Dieu. Ici je vois même
des feux allumez, & des potences
dressées , pour ceux qui ont eu la hardiesse
de se plaindre des usurpations, &
des abus de l'Eglise de Rome. Là je
vois des Massacres, dont la seule pensée
est capable de faire fremir ; je dis des
Massacres autorisez & approuvez par
la Cour de Rome, comme il paroît, &
par les Monumens les plus authentiques
de l'Histoire , & même par des
† Médailles frappées sur ce sujet. Ici je
vois d'autres cruautez, d'autant plus à
craindre qu'elles sont plus cachées; Car,
à l'exemple d'un Prince
* Arien,on trouve
le secret de persécuter, sans vouloir
parétre persécuteur, & sous l'apparence
d'une douceur feinte , on ne laisse pas
[de]
de faire bien du mal. Sur toutes choses,
je vois un Tribunal, dont l'injustice
& la barbarie égalent tout ce qu'ont fait
les plus cruels Tyrans,un Tribunal dressé
par les Papes , un Tribunal composé
d'Ecclésiastiques , un Tribunal qui seroit
établi dans tous les païs de la
Chrétienté, si les Papes avoient été les
Maîtres. O je m'arrête ici ; je ne veux
plus rien voir ; Les seules procédures
de ce Tribunal-là , que l'on appelle
pourtant le Saint Office , me tiendront
lieu desormais de tous les Livres de
Controverse. Par cela seul , j'ai droit
de conclurre que l'Eglise Romaine est
une fausse Eglise , puis qu'elle exerce
des cruautez aussi outrées que celles-là,
que ces cruautez y sont autorisées par
les Conciles & par les Papes, & que ce
sont par conséquent des suites nécessaires
de ses Principes. Par cela seul, j'ai
droit de conclurre que c'est une Eglise
Anti-Chrêtienne ; Car la marque de
Christ ne peut être autre chose que la
cruauté & la barbarie. Pour cela seul, je
dois l'abandonner.
[Mais,]
II.Mais , Mes Freres , aprés cet
usage, qui regarde la fausse Eglise, tirons
en d'autres de nôtre sujet, qui nous
regardent de plus prés nous-mêmes.
Saint Paul, comme vous l'avez vû, nous
y a enseigné deux choses ; L'une, ce
qui est simplement accessoire, L'autre,
ce qui est tout à fait capital, dans la Religion
Chrêtienne. Ce qu'il représente
comme accessoire , ce sont tous les
Dons extraordinaires, ce sont les actions
les plus éclatantes ; Tout cela, selon
lui, n'est estimable , qu'autant qu'il est
joint avec la Charité. Ce qu'il représente
comme capital , c'est la Charité
elle-même. Pour ce qui est des Dons
extraordinaires , comme ils ne subsistent
plus aujourd'hui, il n'est pas nécessaire
d'en parler d'avantage. Ce qu'il
y a , c'est qu'il faut étendre ce qu'en dit
ici Saint Paul, à tous les Dons ordinaires
que nous pouvons avoir aujourd'hui,
à toute la connoissance des Véritez
de la Religion, à toute la persuasion
des Dogmes de l'Evangile, enfin
à toutes les actions, qui sont séparées
de la Charité. Effectivement, ( I ) s'il
étoit inutile de pouvoir parler toute
[sorte]
sorte de Langues, à moins qu'on n'eût
la Charité , Est-ce que nous devons
nous glorifier, quand,à force de travaux
& de veilles, nous avons rangé dans nôtre
cerveau quelques mots tirez de différentes
Langues ? Est-ce qu'on doit aussi
s'estimer beaucoup, quand on a aquis
quelque facilité à exprimer ses pensées,
& à le faire même heureusement ? Certes,
ce sont de beaux Dons, il est vrai ;
Mais c'est lors qu'on s'en sert pour instruire
les Hommes, lors qu'on s'en sert
pour les porter au bien, lors qu'on s'en
sert enfin à des usages conformes à la
Charité. Hors de là,ce n'est que de l'airain
qui sonne, & qu'une cymbale qui fait
du bruit . (2) De même, s'il étoit inutile
alors, d'avoir reçû une connoissance miraculeuse
de tous les Mystéres, à moins
qu'on n'eût la Charité, Est-ce que nous
autres , qui aprés quarante & soixante
années d'étude , sommes obligez d'avouër
franchement que nous ne savons
presque rien, Est-ce, dis-je, que nous
sommes en droit de nous glorifier de
nos connoissances ? Certes, nonobstant
toute leur petitesse, elles ne laissent pas
d'avoir leur usage ; Mais c'est lors qu'on
[les]
les rapporte à l'édification de l'Eglise, à
la conversion des Hommes, enfin à des
œuvres de Charité. Sans cela, nous ne
sommes rien. ( 3 ) De même encore, si
la Foi des Miracles, si cette Foi que
Dieu accompagnoit d'une efficace si
surprenante, si cette Foi qui bouleversoit,
s'il faut ainsi dire, toute la Nature,
étoit inutile sans la Charité, Est-ce que
la simple persuasion des Véritez de l'Evangile,
souvent mêlée de tant d'obscuritez ,
souvent affoiblie par tant de doutes ,
sera elle-même de quelque
prix ? Elle est tres-utile, il faut l'avouër ;
Mais c'est seulement lors qu'elle est efficace,
c'est seulement lors qu'elle se
montre par les effets de la Charité. Et
quoi, à vôtre avis, est-ce une vraye Foi
que celle qui est stérile ? Est-ce être
bien persuadé, & de tout ce que Dieu
a fait pour nous, & de tout ce que Jésus
a souffert, & de tout ce qu'il nous
promet, & de tout ce dont il nous menace,
enfin de tout ce qu'il nous propose ,
pour nous porter à la Charité,
que de n'être pas embrasé par là d'un
amour ardent pour nos fréres ? D'ailleurs,
si les simples lumiéres, si la simple persuasion,
[persua-]
étoit aussi utile que bien des
gens le croient, ne pourroit-on pas dire
alors du Démon même, qu'il auroit les
qualitez les plus excellentes,& les plus
utiles dans le Christianisme ? De plus encore,
seroit-ce un Dessein bien digne de
la Divinité,que de proposer simplement
aux Hommes quelques Dogmes abstraits
& stériles, & que de vouloir simplement
qu'ils les crûssent, sans être obligez à
aucune autre chose ? Ce dessein là meriteroit-il
que le Fils de Dieu descendist
sur la Terre , qu'il se revêtist de nôtre
nature , qu'il souffrist une mort honteuse,
qu'il brisât ensuite les portes du sépulchre,
& qu'il remontât dans le Ciel,
pour nous y préparer des Biens infinis ?
Au contraire, n'est-ce pas un Dessein,
tres-digne de la Divinité, tres-digne de
la grandeur de l'Evangile, que de vouloir
inspirer aux Hommes des sentimens
dignes de leur nature , que de vouloir
établir entr'eux la paix, la tranquillité,
la concorde, & par conséquent
le bonheur,enfin que de vouloir les unir
ensemble par le lien de la Charité ? Concluons
donc encore que, quand nous
[au-]
aurions toute la persuasion possible des
Mystéres, si nous n'avons pas la Charité,
cela ne nous sert de rien . ( 4 ) Enfin, si
Saint Paul dit qu'il étoit inutile, & de
donner tous ses biens aux pauvres, & de
s'exposer soi-même à la mort, à moins
qu'on n'eût la Charité, Avons-nous sujet
de nous assûrer sur quelques œuvres
extérieures , infiniment moins belles
que celles-là ? Avons-nous sujet de
conter beaucoup, comme font néantmoins
plusieurs d'entre nous, sur ce que
nous sommes dans l'Eglise de Dieu, sur
ce que nous fréquentons son Temple,sur
ce que nous le prions, sur ce que nous
chantons ses loüanges, sur ce que nous
faisons quelques Aumônes, & quelques
autres actes de piété ? Avons-nous même
lieu de nous glorifier , & de nous
assûrer de nôtre salut , simplement
parce que nous souffrons quelque chose
pour l'Evangile ? Tout cela, il est
vrai, sont de bonnes œuvres, des œuvres
dignes de loüange ; Mais tout cela
encore est inutile sans une vraïe
Charité.
III. Qu'est-ce donc, Mes Freres, Qu'est-ce
qui est utile, préférablement à toute
[autre]
autre chose ? Qu'est-ce qui fait l'essence
du Christianisme, qui donne du prix
à tous nos talens, qui couronne toutes
nos bonnes œuvres, enfin qui nous assûre
le Ciel ? Sans contredit, c'est la Charité ,
comme S. Paul nous le fait comprendre,
& comme nous l'avons prouvé
dans ce Discours : Mais une Charité
pure ; Mais une Charité sincére ; Mais
une Charité vive & agissante ; Mais une
Charité qui aime tous les Hommes,sans
excepter nos ennemis ; Mais une Charité
qui fasse pour les autres tout ce que
nous voudrions qu'ils fissent pour nous;
Mais une Charité enfin, qui ne se démente
jamais, & qui anime toute nôtre
vie. Que je tremble , Mes Freres ,
quand je fais réflexion sur tous ces Caractéres
de la Charité, & quand je considére
en suite combien ils sont rares
parmi nous ! La Charité, disions-nous,
doir être pure , elle doit procéder de
l'Amour de Dieu. Mais j'en atteste vos
consciences, si ce qui forme toutes nos
amitiez, n'est pas, ou l'interêt , ou le
plaisir, & tres-souvent même le vice.
La Charité, disions-nous encore, doit
être sincére, & dans le fond du cœur.
[Mais]
Mais j'en atteste vos consciences, si ce
ne sont pas de pures grimaces, que presque
toutes les marques d'amitié, qu'on
se donne les uns aux autres. La Charité
ne doit faire aucun mal ; Elle ne doit attaquer,
ni la vie, ni les biens, ni l'honneur
de nôtre Prochain. Mais j'en appelle à
l'expérience, s'il n'y en a pas plusieurs
parmi nous, qui font des actes d'injustice,
qui font des actes de violence, &
qui ternissent, autant qu'ils peuvent, la
réputation de leurs Prochains. La Charité
ne doit, ni souhaiter le mal, ni s'en
réjouïr , quand il est arrivé ; Au contraire,
elle doit voir avec plaisir les avantages
de nos Fréres. Mais j'atteste encore
vos consciences, s'il ne regne pas
dans la plûpart de nous des sentimens
d'envie, de jalousie, de malignité, & si
nous ne souhaitons pas avec ardeur l'abbaissement
& la ruïne de ceux qui nous
font ombrage. Je ne veux pas aller plus
avant. Je laisse à vos consciences à vous
parler sur les autres articles, & à rendre
témoignage, ou à vôtre bonne conduite,
ou aux defauts de vôtre Charité. Je
ne veux pas même répéter ici toutes les
raisons que j'ai alleguées de l'importance
[ce]
de cette Vertu. Vous en avez pû
sentir la force, si vous avez voulu nous
écouter. Le seul article qu'il est bon de
presser, dans une saison comme celle-ci,
& dans un tems où l'on se prépare à
faire bien-tôt les Collectes, c'est la nécessité
de l'Aumône, soit envers tous
les Membres de Jésus-Christ, soit principalement
envers ceux de nos fréres,
que la Tempête a conduits parmi nous.
Mes Freres, Là dessus il faut rendre IV.
justice à la Charité de plusieurs bonnes
Ames, & de plusieurs Familles pieuses,
qui ont tres-bien fait leur devoir. Il faut
même rendre témoignage, & à la grande
piété de nôtre Magistrat, & à la disposition
tendre & généreuse de tout le
Corps de cette Eglise. Ouï, vos Aumônes,
Peuple de GENEVE, sont montées
jusques aux Cieux, & j'ose dire
même que vôtre exemple a eu une influence
toute particuliére sur les autres
Etats Protestans, & n'a pas peu servi à
l'accueil qu'ils ont fait aux tristes, mais
vénérables débris de tant de florissantes
Eglises. Mais il ne suffit pas d'avoir bien
commencé ; Il faut continuër de la même
maniére, & ne se lasser point de faire
[re]
du bien. J'avouë qu'il y a des incommoditez
à souffrir dans cette rencontre.
Mais la Charité ne veut-elle pas
que l'on se gêne un peu en faveur de ses
fréres ? Et d'ailleurs , il faut bien examiner,
si c'est la nature qui se plaint en
nous, & qui a sujet de se plaindre, ou si
ce n'est point nôtre avidité, nôtre avarice,
nôtre luxe, qui ne sauroit souffrir
qu'on lui retranche rien. J'avouë encore
qu'on est porté à dire, Un tel n'a pas
fait telle chose, Pourquoi ferois-je plus
que lui ? Mais il faut se souvenir que, ni
sur l'Aumône, ni sur aucun autre devoir,
les exemples ne nous excusent point.
Chacun portera son propre fardeau ; Et
malheur à ceux qui auront été lâches.
Mes Freres, Mettons-nous en la place
de ceux qui ont besoin de nôtre assistance.
Voyons ce que nous voudrions alors
qu'on nous fît, & usons-en de même à
l'égard des autres. Helas ! qui sait ce
que Dieu nous reserve, & si aprés avoir
servi d'asyle, nous ne serons point contraints
d'en chercher un ? Moïse disoit
au Peuple d'Israël, Vous aurez soin de
l'étranger , car vous avez été étrangers en
Egypte. C'est ce que doivent se dire à
[elles-]
elles-mêmes plusieurs Familles d'entre
nous. Comme elles ont eu le bonheur
autrefois d'être favorisées dans cette
Ville, elles doivent avoir les mêmes
égards, pour ceux qui sont dans un cas
semblable. Et quoi ? Mes Fréres,Qu'est-ce
que demandent les grandes bénédictions
dont Dieu nous favorise,& en particulier
l'état florissant où nôtre Commerce
se trouve aujourd'hui ? Cela demande-t-il
que nous nous relâchions
dans l'exercice de la Charité ? N'est-ce
pas au contraire un nouveau motif,pour
nous la faire augmenter ? Et ne seroit-ce
pas une flétrissure éternelle pour cette
Eglise, si dans le tems où Dieu nous fait
le plus de bien , nous commencions à
devenir durs & insensibles à l'égard de
nos fréres ? O si l'on donnoit à la Charité
la moitié seulement de ce qu'on donne
au Luxe , nous n'aurions plus besoin
de toucher cet article ; Les pauvres seroient
largement partagez ; Et il nous
faudroit faire comme Moïse, qui ayant
Exod.
XXXVI.
6.7.
déja tout ce qu'il faloit pour construire
le Tabernacle, fit cesser les presens des
Israëlites. Mais que nous sommes loin
de cet heureux état ! Quand il s'agit de
[parer]
parer nos maisons, Quand il s'agit de
nous parer nous-mêmes, on ne sait ce
que c'est que de l'esprit d'épargne; C'est
au contraire à qui dépensera le plus.
Mais dés qu'il s'agit de donner, ou de
céder quelque chose aux Membres du
Seigneur Jésus, on se plaint, on murmure,
on crie, comme si l'on alloit être
ruïné. Je ne dis rien à l'égard du Luxe; Il
semble que le pli est pris ; Il semble que
le mal est presque sans remede : Et tout
ce qu'on pourra dire là dessus sera désormais
de tres-peu d'usage, à moins qu'on
n'augmente considérablement la sévérité
des Loix Civiles. Je dirai seulement
que ceux qui sont si fixes à se distinguer,
& par leurs habits, & par leurs ameublemens ,
font voir qu'ils ont une vanité
bien puérile & bien mal-entenduë; Car
il vaudroit autant que l'on passât sa vie
à ajuster des poupées, que de la passer
à s'orner soi-même , & à orner des parois.
Mais voulez-vous savoir un moyen
bien plus sage & bien plus noble, pour
vous faire estimer ? Cherchez le dans
la Charité ; Car y a-t-il rien de plus estimable,
rien de plus noble, rien de plus
élevé, que de rendre heureux, que de
[rendre]
contens autant de gens qu'il
nous est possible ? Y a-t-il rien même,
comme j'ai déjà dit, qui donne tant de
joye à un esprit bien fait, que de penser
qu'il rend la vie supportable & douce à
des malheureux, qu'il nourrit l'un, qu'il
revêt l'autre, qu'il aide l'un de ses conseils ,
qu'ils soûtient l'autre par son crédit ?
C'est-là assurément de tous les
plaisirs, & le plus pur, & le plus sensible.
Aprés cela, Mes Freres, tournons un
peu la vûë sur ce qui se passe aujourd'hui
dans l'Europe. Regardons ce que font
tant de Souverains & tant d'Etats Protestans,
en faveur de nos Fréres Fugitifs,
nonobstant les sommes immenses
qu'ils sont obligez d'employer à la
Guerre. Considerons même ce qui se
passe dans l'Eglise Romaine à l'égard
des Aumônes ; Combien on y fait de
fondations pieuses, Combien de dons
aux Hôpitaux ; Combien on y voit de
Gens de qualité aller eux-mêmes visiter
les pauvres, & entrer dans tout le
détail de leurs souffrances & de leurs
besoins. Car, il faut l'avouër, l'Eglise
Romaine, qui a d'ailleurs un Esprit si
contraire à la véritable Charité, comme
[me]
nous l'avons montré tout à l'heure,
ne laisse pas de nous présenter de
beaux exemples à l'égard de l'Aumône.
Elle en diminuë , il est vrai, le
prix , par le faux mérite qu'elle y attache,
& par la crainte d'un Feu imaginaire,
qui en est le grand ressort ; Elle
en diminuë même le prix, par les
vûës purement mondaines, qu'elle se
propose souvent en cela ? Mais aprés
tout , ce sont de beaux exemples , à
n'en regarder que le dehors , & des
exemples même qui nous font honte.
Mais enfin, pourquoi chercher tant de motifs ?
Ceux de l'Evangile ne suffisent-ils pas ?
N'est ce pas assez que la
paix de l'ame , que la satisfaction intérieure ,
que nous en retirerons de la
Charité ? N'est-ce pas assez, que l'Amour
de Dieu, que son Approbation,
que sa Grace ? N'est-ce pas assez que
la gloire de dévenir semblables à Dieu,
d'être les imitateurs du Seigneur Jésus ,
d'être les Temples du Saint Esprit ?
N'est-ce pas assez enfin que l'Espérance
d'un Bonheur éternel & infini ?
Courage donc, Fidéles, montrons
[dés]
dés aujourd'hui , & par l'exercice de
l'Aumône, & par celui de tous les devoirs
que la Charité nous impose, que
nous avons
appris Christ comme il faut,
que nous ne nous contentons pas de
connoître son Evangile , que nous ne
nous contentons pas d'en faire profession
au dehors, que nous ne nous contentons
pas d'en faire quelques œuvres
extérieures , Mais que Christ regne
dans nos cœurs, qu'il en posséde toutes
les affections, qu'il en régle toutes les
démarches , & sur toutes choses que
c'est sa Charité , qui y tient le premier
lieu. Alors, pour me servir des termes
d'un Prophéte ,
nôtre lumiére sortira
Esaïe
LVIII.
8.9.
comme l'Aurore, nôtre justice ira devant
nous, & la Gloire de l'Eternel
sera nôtre arriére-garde. Alors, si nous
invoquons l'Eternel, l'Eternel nous exaucera ;
Si nous crions à lui,il dira,Me voici.
Alors, nous aurons un riche trésor,
I. Tim.
VI. I9.
un bon fondement dans le Ciel. Alors,
enfin, nous serons assurez, que quand Jésus
viendra pour juger le Monde, il regardera
comme fait à lui-même tout ce
que nous aurons fait au moindre de ses
[Mem-]
Membres, & que pour une misérable
pite, pour un verre d'eau que nous aurons
donné, il nous rendra une vie
éternelle. AINSI SOIT-IL.
FIN.