Je suis l'Eternel , & il n'y en a point d'autre :
qui forme la lumiere , & qui crée les
tenebres ; qui fai la paix , & qui crée l'adversité :
C'est moi l'Eternel qui fai toutes ces
choses .
MES FRERES,
LA Nature, & l'Ecriture Sainte sont
deux grands Livres que Dieu nous
a mis devant les yeux,où nous pouvons
dire que nous avons un Createur & un
Maitre. Mais nous pouvons dire que dans la
Nature , Dieu est un Dieu qui se cache , ou
[qui]
qui ne se montre qu'à demi : au lieu que dans
nos divins Ecrits , c'est un Dieu manifesté , un
Dieu qui se découvre par-tout. Dans la Nature
il faut chercher Dieu derriere ses ouvrages,
il faut percer au travers la creature pour
arriver jusqu'à son Auteur ; il faut tirer le
voile , avant que l'éclat de la Divinité frape
nos yeux. De là vient que tant de gens voyent
sans voir , & qu'ils s'arrêtent bassement
aux creatures , sans remonter jusqu'à la Cause
premiere. Ils s'occupent du dehors de cette
grande machine que nous appellons le
monde.Ils en considerent les mouvemens,&
les évenemens : mais ils ne penetrent point
jusqu'au ressort qui meut toutes ces choses ,
jusqu'à cette Ame du monde , cette divine
Providence , cette main sage & puissante qui
fait tout sans se montrer. Comme Dieu n'est
pas un corps , il ne pouvoit pas se rendre
visible dans le monde , d'une maniere qui
nous convainquît malgré nous. Comme sa
puissance n'est en elle-méme que l'acte efficace
de sa volonté , ce premier mobile de
toutes choses ne pouvoit pas tomber sous
nos sens. Nous ne pouvions le connoître que
par l'aide du raisonnement , en remontant
des effets à la cause ; Et les hommes ne font
pas toujours ce retour si naturel. Ainsi Dieu
ne s'est point découvert de telle maniere
dans la nature , que des hommes dont le
peché a affoibli les lumieres , ne puissent
quelquefois manquer de l'y reconnoître.
Mais, mes Freres , si l'on peut dire en
[quelque]
quelque sorte que dans le monde le voile des
choses corporelles nous dérobe à demi la
vuë du Souverain Etre , il n'en est pas de
méme de nos Ecritures. Dieu s'y manifeste
par-tout , non à nos sens , mais à nôtre esprit.
De quelque côté que nous y portions
les yeux , la Divinité sort de toutes parts, &
quelque peinture qu'elle nous fasse Dieu paroît
toujours au coin du tableau. Ce ne sont
plus ici des évenemens dont le ressort soit
caché. Tout nous crie , c'est Dieu qui nous
fait mouvoir. Tous les Etres dépoüillez devant
lui de force & d'activité , nous annoncent
leur Auteur , nous montrent toujours à
nud la Cause premiere , & nous y menent
sans détour. Voulons-nous donc aujourdhui
une leçon qui nous soit propre , nous qui avons
vu depuis quelques années, & qui voyons
encore dans le monde tant d'évenemens
considerables qui arrétent nos yeux , mais
qui peut-étre les arrêtent trop aux causes secondes,
venons écouter ce que Dieu disoit
autrefois à Cyrus & au Peuple Iuif. Nous y
apprendrons quelle est la juste idée que nous
devons avoir du Souverain Monarque de l'Univers.
Nous y apprendrons à le reconnoître
& à l'adorer comme celui qui fait tout.
Ie suis l'Eternel, dit-il, & il n'y en a point
d'autre ; qui forme la lumiere , & qui crée les
tenebres ; qui fai la paix , et qui crée l'adversité :
c'est moy l'Eternel qui fai toutes ces
choses .
Vous voyez, Chrêtiens, que ces paroles
[nous]
nous presentent une belle & grande matiere,
dont la meditation ne peut qu'être utile
en tout temps, & le doit étre sur-tout en celui-
ci. Attachons-nous y donc avec le soin
qu'elle merite. C'est l'Eternel qui parle de
soi-méme , & qui nous parle d'un ton plus
haut qu'à l'ordinaire. Ecoutons-le, & pendant
qu'il parle,que tout le reste se taise.Non
seulement que nos langues soient muettes ,
& nos bouches fermées,pendant que nos oreilles
seront ouvertes , mais que nos distractions
s'arrêtent ; que nos desirs , nos craintes ,
nôtre impatience se calment ; que nos
differentes passions , qui sont comme une
mer émûë , s'apaisent & reconnoissent la
voix de celui qui commande aux vens & à la
mer , & ils lui obéißent . Enfin que nôtre raison
elle-méme soit docile & fasse silence ,
pour écouter ce que l'Eternel dira. Parle
donc Seigneur , car tes serviteurs écoutent.
Ie suis l'Eternel, dit-il, & il n'y en a point
d'autre ; qui forme la lumiere , & qui crée les
tenebres ; qui fai la paix, & qui crée l'aversité :
c'est moi l'Eternel qui fai toutes ces
choses .
Pour l'ordre de nôtre discours nous ferons
trois choses. Premierement nous examinerons
la verité renfermée dans les premieres
paroles du texte , c'est qu'il n'y a
point d'autre Dieu que l'Eternel : Ie suis
l'Eternel , & il n'y en a point d'autre . Secondement
nous verrons cette autre grande verité,
que c'est Dieu qui produit , qui fait tous
[les]
les évenemens malheureux ou favorables ,
les biens & les calamitez: C'est moi qui forme
la lumiere , & qui crée les tenebres ; qui fai
la paix , & qui crée l'adversité . Enfin sur
cette repetition emphatique: C'est moi l'Eternel
qui fai toutes ces choses , nous tâcherõs
d'éclaircir quelques difficultez qu'on fait
contre cette verité. Veüille cette Cause supreme
faire servir nos paroles à sa gloire,&
à vôtre salut.Amen.
I. Partie.
Mes Freres, la premiere chose qui vous
frape ici d'abord , n'est-ce pas la majesté
des paroles de nôtre texte ? Il faut avoüer
qu'il n'y a que l'Ecriture qui fasse parler
Dieu veritablement en Dieu , & ce n'est pas
là une des moindres marques de la divinité
des Livres sacrez. Le style des Prophetes, &
particulierement celui d'Esaïe , est si grand
& si sublime, qu'on ne voit presque rien dans
les Auteurs profanes qui ne soit bas & rampant
au prix. Ie suis l'Eternel, & il n'y en a
point d'autre : qui forme la lumiere , & qui
crée les tenebres ; qui fai la paix , & qui
crée l'aversité : C'est moi l'Eternel qui fai
toutes ces choses . On ne peut expliquer ces
paroles sans les rabaisser.
Mais à qui croyez-vous que Dieu parle,
& à quelle occasion ? Ne pensez pas que ce
soit pour peu de chose qu'il prend de si
grands titres & qu'il fait valoir sa puissance.
[Il]
Il parle à Cyrus; non à Cyrus déja élevé
sur le Trône, mais à Cyrus encore à naître,
Cyrus encore dans le sein du neant , cent
cinquante ans avant qu'il ait vû le jour. Il
vient de l'appeller son Berger, son Oint ; & de
dire qu'il l'a pris par la main droite,afin d'étendre
tout plat les Nations devant lui . Il
vient de lui marquer quels seront ses succés
& sa gloire; & il lui a dit que c'est lui qui l'a
appellé par son nom & qui la ceint , c'est à-
dire, preparé & fortifié,bien que Cyrus ne le
connût point .Là dessus Dieu établit sa propre
gloire, & comme s'étant fait connoître à
d'assez bonnes marques , il crie : Ie suis l'Eternel,
& il n'y en a point d'autre .
En effet il ne faloit pas d'autre preuve
qu'il est le seul Dieu, & qu'il fait les bons &
les mauvais succés, que de le voir marquer
avec certitude & le nom , & les actions de
Cyrus. Pour pouvoir predire les choses futures,
des choses aussi contingentes , aussi
dépendantes de l'action des causes libres que
l'étoit le nom qu'on devoit donner au Fondateur
de l'Empire des Perses;des choses aussi
hors d'apparence que l'étoient les conquêtes
& les changemens que ce Prince devoit
apporter dans l'Asie, en détruisant l'Empire
des Babyloniens & des Medes qui regnoient
alors;des évenemens aussi peu vrai-semblables
que l'étoit le rétablissement des Iuifs
aprés leur captivité , qui n'étoit pas méme
alors commencée : Pour pouvoir , dis-je,
predire ces choses il faut étre Dieu , étre le
[maître]
maître des évenemens, voir les choses avant
leur naissance dans leur cause, & dans les
conseils que l'on a formez. Ie ne vois pas
comment ceux qui pensent mal ou imparfaitement
de la Providence, peuvent se défendre
contre ces predictions admirables
faites à l'égard de Cyrus , & comment ils
peuvent concevoir que Dieu pût predire infailliblement
des évenemens ausquels il n'interviendroit
pas par un concours particulier,
ou plutôt qu'il ne produiroit pas lui-méme.
Non non, Dieu a fait connoître par là ce
qu'il est, Ie suis l'Eternel, & il n'y en a point
d'autre .
Dieu se décrit par son Nom de Iehova,&
par son unité qui exclut toute autre Divinité.
Pesez bien ces paroles , mes Freres , pour
concevoir une juste ideé de Dieu, je suis l'Eternel,
& il n'y en a point d'autre . Ie suis,c'est
à Dieu seul qu'il appartient de parler ainsi.Il
n'y a que l'Etre necessaire, l'Etre immuable,
L'Eternel, qui doive dire proprement je suis.
Toutes les creatures quelles qu'elles soient,si
on leur faisoit la demande des Pharisiens
à Iean Baptiste, toi,qui es-tu? doivent répondre,
je suis un rien. En effet elles participent
encore plus du neant que de l'étre, & il y a
aussi loin entre la creature, & Dieu, qu'entre
la creature, & le pur neant. On dira,mais
entre la creature , & le neant il y a une distance
infinie. Ie l'avouë. On auroit beau
multiplier le neant à l'infini, on n'en feroit
jamais un être. Mais je dis qu'entre la creature,
[ture,]
& l'Etre tout-parfait l'espace n'est pas
moins grand. Multipliez les perfections d'un
être creé tant qu'il vous plaira, vous n'en ferez
jamais un
Eternel, un être subsistant par
soi-méme; car il implique contradiction d'être
creé,& d'être éternel tout ensemble. C'est
donc Dieu seul qui peut dire proprement
je
suis, parce qu'il persiste dans son être, qu'il
est immuable, qu'il demeur toujours le méme.
Au lieu que pour nous , quand nous disons
ie suis, notre être s'écoule à mesure que
nos paroles se prononcent, nôtre être s'enfuit
pendant que nous parlons. Et c'est pourquoi,
comme disoit autrefois un Sage Payen,
* il faut cõclure que Dieu seul est, parce qu'il est
sans succession,dans une éternité immobile &
immuable; qu'il n'est point mesuré par le temps,
& qu'il n'est suiet à aucune décadence. Devant
lui rien n'est, ni vieux, ni nouveau, ni present,
ni passé, & par le moment de son existence réelle
qu'il est toujours present, il remplit toute l'éternité .
On lisoit autrefois écrit sur le Temple de
Delphes un petit mot Grec Ei. Plutarque
introduit des gens qui en cherchent la raison,
& enfin l'interpretant par tu es, il dit que
la Divinité parloit à l'homme par une autre
sentence qu'on lisoit aussi sur ce Temple, connois-
toi-toi-même, afin que l'homme répondoit
à la Divinité par ce petit mot,tu es;c'est-à-dire,
tu es le seul Etre,l'Etre unique , necessaire,
qui subsiste independamment, & par toi-méme.
[me.]
Vn Payen a dit cela , combien devons-
nous plûtôt le dire: O Eternel, tu es. Tu es
permanent, & tes ans ne défaillent point : Car
c'est cela-méme qu'il nous fait entendre ici.
Ie suis celui qui subsiste independamment de
tout, & qui n'ai point de rivaux , ni d'égaux
dans ma puissance. Ie suis l'Eternel : C'est là
mon nom, & je ne donne point ma gloire à un
autre .
Considerez bien, mes Freres , ces paroles
de majesté, Ie suis l'Eternel, & il n'y en a
point d'autre . Qu'elles abbatent de fantômes
d'un seul coup ! Il me semble que devant elles
je vois toutes les creatures qui s'aneantissent ,
& tous les faux Dieux qui tombent,
comme Dagon devant l'Arche. Elles font
évanoüir tous ces noms creux & vains dont
les hommes ont fait des idoles , la nature, le
sort, le hazard, le destin, la fortune, la necessité,
ces mots qui ne signifient rien, si l'on entend
par là quelque chose de distingué de la
volonté & de la puissance de Dieu. Elles font
disparoitre les Demons, & leur culte. Elles
renversent l'Idolatrie, le Manichéisme, &
tout ce qui fut jamais contraire à l'unité d'un
Dieu,d'un seul principe, d'une seule puissance
éternelle, qui fait tout & qui meut tout.
Il me semble que je vois tout cela disparoitre
comme autant d'ombres qui fuyent à l'approche
du Soleil.
Croire un Dieu, un dans sa nature, unique
par exclusion à tout autre Etre qui partage
sa gloire, c'est nôtre foi, mes Freres, fondée
[sur]
sur les plus pures lumiéres de la raison, & sur
l'enseignemẽt perpetuël de nos divines Ecritures.
Ecoute,Israël, est-il dit au 6.du Deuteronome,
l'Eternel nôtre Dieu est le seul Eternel .
Les belles & les majestueuses paroles
que Moïse fait dire à Dieu sur ce sujet , au
ch. 32 Regardez maintenant que ce suis-je ;
ce suis-je moi,& il n'y a point de Dieu avec
moi. Ie fai mourir , & je fai vivre ; je navre ,
& je gueri , & il n'y a personne qui puisse
délivrer de ma main . Dans nôtre chapitre il
est dit au moins quatre fois,qu'il n'y a point
d'autre Dieu que l'Eternel. Et n'est-ce pas
la voix du Nouveau Testament , aussi-bien
que de l'Ancien?
C'est ici la vie éternelle
de te connoître seul vrai Dieu , dit Iesus-
Christ.
Nous savons, dit S. Paul au 8. de la
1. aux Corinth. que les idoles ne sont rien
au monde,& qu'il n'y a autre Dieu qu'un seul .
Et
au 4. des Ephes. Il y a un seul Dieu &
Pere de tous , qui est sur tous , parmi tous ,
& en vous tous . Au reste vous savez ,
mes
Freres , que cette unité d'essence de la Divinité
n'exclut point la pluralité des Personnes.
Nous adorons un seul Dieu , Pere ,
Fils , & S. Esprit. C'est ce Dieu unique en
son être & en sa nature , mais qui subsiste
en trois Personnes par une maniere d'être
qui nous est incomprehensible. C'est lui qui
est le Dieu
Iehova, l'Eternel, outre lequel il
n'y en a point d'autre. Ainsi,pour le dire en
passant, lorsque dans les passages des Corinthiens
& des Ephesiens que nous venons de
[citer,]
citer , il est dit qu'il y a un seul Dieu , c'est
toujours par exclusion à tout ce qui n'a pas
une méme Nature Divine & unique avec le
Pere , mais non par exclusion au Fils qui est
Dieu benit éternellement avec lui . Tout de
méme que quand il est dit dans ces passages,
qu'il y a un seul Seigneur Iesus Christ , ce
mot , seul , n'exclut pas le Pere , qui est
Seigneur avec lui. Mais il faut dire qu'à un
seul Dieu Pere , Fils , & S. Esprit appartiennent
ensemble la Seigneurie , la Domination,
l'Honneur & la Gloire. Ie suis l'Eternel ,
& il n'y en a point d'autre .
On pourroit aussi vous montrer comment
les plus pures lumieres de la raison nous menent
à connoître un seul Dieu : mais peut-
être que les raisonnemens que nous ferions
là dessus seroient trop metaphysiques pour
ce lieu, & vous le sentirez mieux en consultant
vôtre cœur , votre conscience , & l'idée
de l'Etre tout-parfait que vous trouvez
chez vous , que de longs raisonnemens ne
vous le pourroient faire entendre. Ouy le
monde ne peut avoir deux Maîtres ; & les
Payens avec leurs trente mille Dieux, selon
le compte de Varron , ne concevoient pas
neanmoins plus d'un Etre tout-parfait;Mais
ils n'étoient pas attentifs à cette idée , & ils
faisoient compatir la Divinité avec l'inferiorité
des perfections partagées. Cependant
le sages ne connoissoient qu'une
nature divine , supreme , maîtresse de tout.
Et le Peuple méme reconnoissoit au dessus
[de]
de tous ces Dieus inferieurs, un Dieu Souverain.
C'étoit celui-là seul qui meritoit le
nom de Dieu , puisque la superiorité & l'indépendance
sont évidemment des attributs
d'un Etre tout-parfait. Chrêtiens ,ce n'est
pas aujourdhui le vice du monde que de
croire la pluralité des Dieux. Presque tous
les Peuples sont revenus du penchant qui
leur faisoit faire des Dieux de toutes choses.
Le Diable qui avoit profité de la persuasion
vive qu'avoient les hommes de la presence
de la Divinité par-tout , pour leur faire
partager la nature Divine à presque tous
les Etres , a cherché depuis une autre voye:
Et comme si les traces de la Divinité dans
le monde,& ses empreintes dãs nôtre cœur,
s'étoient effacées en vieillissant , c'est par
l'Athéïsme qu'il tâche de perdre aujourdhui
beaucoup de gens. On peut dire que de tant
de Dieux que le monde a autrefois reconnus,
à peine veut-on à present en reconnoître
un , & croire le veritable Dieu Combien
a-t-on vû d'erreurs sur la Providence?
combien de gens se croyant étre sages sont
devenus fous , pretendans expliquer tout
sans Dieu , rendre raison du monde & de
ses merveilles,sans recourir à cette Cause suprême ?
O grand Dieu ,
tu es pourtant le
méme que nos peres ont adoré d'ancienneté ;
le méme
qui a fondé la terre sur un rien ; le
monde n'a point changé de Maître,
* tu travailles
jusqu'à maintenant .
a Certes le Dieu
[d'éter-]
d'éternité est Iehova , qui a creé les bornes
de la terre , il ne se laße point , & ne se travaille
point . Ouy, mes Freres , ce que Dieu
fait , prouve qu'il est, & qu'il est le seul Eternel.
Et ne me demandez point ce qu'il fait.
Il fait tout , il produit , il conduit , il
dirige tous les évenemens : Il forme la lumiere,
& il crée les tenebres ; il fait la paix,
& il crée l'aversité. C'est moi, dit-il , l'Eternel
qui fai toutes ces choses .
II. Partie.
Qu'est-ce ici, peut-on demander d'abord
que la lumiere , & les tenebres ? Faut-il
entendre ces mots dans un sens propre, ou
dans un sens figuré? Mes Freres, il est vrai
sans doute,que c'est Dieu qui a créé au commencement
ce corps subtil , ce feu celeste
que nous appellons la lumiere. Dieu dit que
la lumiere soit , & la lumiere fut . C'est lui
qui l'a rassemblée dans ces globes qui roulent
superbement sur nos têtes. C'est lui qui
fait lever son Soleil sur les justes & sur les
injustes ; de sorte qu'il peut tres-bien dire
dans ce sens: C'est moi qui forme la lumiere,
& qui crée les tenebres .C'est-à-dire,c'est moi
qui ai fait tous ces corps lumineux que vous
voyez au dessus de vous ; ces corps si riches
en leur matiere , si vastes en leur étenduë,si
rapides & si réglez dans leurs mouvemens,
& dont les puissantes influences se font sentir
[tir]
jusqu'au fonds de la mer,& jusques dans
les entrailles de la terre.C'est moi qui fai sortir
le Soleil tous les matins
a comme un époux
de sa chambre nuptiale . Voyez,humains, cette
lumiere éclatante qui dore les nuës , &
qui rejoüit toute la nature. Voyez les tenebres
qui viennent en suite étendre leur sombre
voile pour laisser les hommes dans le
repos & le silence. Considerez cette vicissitude
du jour & de la nuit qui ne se trouble
jamais;où la lumiere , & les tenebres partagent
l'année , comme s'ils l'avoient pesée
dans une balance.
C'est moi l'Eternel qui fai
toutes ces choses .
Mais quelque veritable que cela soit ,
je ne sai si c'est ce que Dieu nous veut dire
ici. J'ai plus de penchant à croire que la
lumiere
& les tenebres sont la méme chose
ici que la
paix & l'aversité . Dieu fait
la lumiere ,
& et la paix ; c'est-à-dire,les biens, la
prosperité , les succés heureux. Dieu fait
les tenebres & l'aversité ; c'est à-dire,qu'il
envoye les châtimens , les afflictions , les
disgraces , les mauvais succés. C'est le style
frequent de l'Ecriture,de marquer la joye &
la prosperité par le terme de
lumiere .
b La
lumiere est semée pour le juste,la joye & pour
ceux qui sont droits de cœur , dit le Psalmiste.
Et encore ailleurs,
c La lumiere s'est levée
en tenebres à ceux qui sont droits ;C'est-
à-dire,que du milieu de l'affliction les gens
de bien voyent revenir la prosperité.
[ Quand ] a Quand j'attendois le bien,disoit Iob,le mal
m'est avenu ; & quand j'esperois la lumiere ,
les tenebres sont venuës . Où vous voyez partout
que dans cette opposition de lumiere
& de tenebres , l'un signifie, un état de joye
& de prosperité;l'autre , un état de tristesse
& de malheur.La raison en est assez aisée
à comprendre.Tout rit , tout brille dans la
bonne fortune ; tout paroit sombre & noir
dans l'affliction.La joye est comme un rayon
qui éclaire les yeux. La prosperité réjoüit ,
embellit , environne d'éclat , à peu-prés
comme la lumiere. Mais l'affliction couvre
nos yeux de tenebres. C'est ce qui faisoit
dire autrefois à S. Chrysostome au Peuple
d'Antioche affligé:
a Le Soleil ne luit plus
comme à l'ordinaire.Ce n'est pas que ses rayons
ayent rien perdu de leur éclat, mais nos yeux
qui sont couvers du nuage de la douleur , ne
le voyent plus avec sa premiere clarté .
Pour le terme de paix , il emporte ici generalement ,
santé , tranquilité , bonheur ,
succés favorable. C'est un style si ordinaire
aux Saints Ecrits,qu'il est presque inutile d'en
donner des exemples. De là venoient ces demandes:
Y a t-il paix? pour dire,tout va-t-il
bien? De là ces souhaits & ces salutations des
Hebreux: Paix vous soit , pour dire , je vous
souhaite santé & prosperité. De là venoient
enfin ces façons de parler si frequentes , aller
en paix , envoyer quelqu'un en paix. Le
mot d'aversité qui lui est opposé,signifie generalement
[nerale-]
tous les maux de peine , toutes
les disgraces & les miseres qui nous arrivent.
Venons à la chose-même. Dieu dit que
c'est lui qui fait la lumiere , & la paix .C'est-à-
dire, que c'est lui qui produit & qui donne
ce qu'on appelle biens , abondance , prosperitez.
C'est lui qui dispose , qui conduit ,
qui régle & qui borne les évenemens heureux.
Il crée les tenebres & l'aversité ; c'est-à-
dire,que c'est lui qui envoye les disgraces imprevuës ,
& les châtimens soudains. C'est lui
qui prepare , qui dirige , qui arrête , ou qui
avance tout ce que les hommes appellent
maux physiques , accidens fâcheux , évenemens
contraires. Enfin c'est lui qui fait toutes
ces choses ; c'est-à-dire,que c'est lui qui produit
ce mélange de biens & de maux , cette
vicissitude de prosperité & d'aversité qui regne
dans le monde en general,& dans la vie
de chaque homme en particulier. Il en est en
quelque sorte des évenemens comme de la
terre , où l'on voit tant de varieté ; ici des
campagnes fertiles , ailleurs des deserts incultes;
là des montagnes , ici des vallées.
Ainsi dans l'histoire du monde ce sont tantôt
des élevations qui font toucher les
hommes aux nuës ; tantôt des abbaissemens
qui les remettent dans la poudre. Aujourdhui
la paix , demain la guerre; ici l'abondance ,
ailleurs la disette: Mais par-tout c'est
un méme Dieu qui fait le bon & le mauvais
sort,& qui est toujours infiniment sage dans
la dispensation de ces divers évenemens. Seroit-
il possible, Chrêtiens , que nous doutassions
[assions]
de toutes ces choses;nous qui faisons
profession de croire la Providence de Dieu?
Qui est-ce qui dit que cela a été fait, & l'Eternel
ne l'a point commandé ? dit Ieremie au
3.
de ses Lamentations.
Les biens & les maux
ne viennent-ils pas du mandement du Tres-
haut ? On me dira , qui est-ce qui ne sait pas
cela , que c'est Dieu qui fait tout? Et moi ie
vous dirai, qui est-ce qui en est persuadé comme
il le doit? Nous sommes depuis bien longtemps
à l'école de l'Ecriture;mais je suis assuré
que ses leçons n'ont pû encore vaincre tout
nôtre aveuglement , & toute nôtre incredulité
là dessus. Il faut donc que je vous rappelle
un peu ce que cette Ecriture nous dit. S'agit-
il de biens en general? Elle nous dit
a que
toute bonne donation,& tout don parfait vient
d'enhaut , descendant du Pere des lumieres .
S'agit-il de maux , ie dis,de maux de peine &
de miseres :
b Y a-t-il quelque mal dãs la Cité
que l'Eternel n'ait fait ? nous dit le Prophete
Amos. Recevons-nous les pluyes du Ciel
qui fertilisent nos campagnes,qui verdissent
nos prés,qui font germer nôtre froment?c'est
Dieu , nous dit l'Ecriture, qui donne les
c pluyes qu'il vous faut,en leur temps. L'Eternel
t'ouvrira son bon tresor , assavoir , les
Cieux, pour donner la pluye telle qu'il faut à
ta terre en sa saison, & pour benir toute l'œuvre
de tes mains . La terre est-elle affligée par
des sterilitez & des secheresses? ne savez-vous
pas ce qui est dit au
Psaume 107. que
c'est
[ l'Eter- ]
l'Eternel qui reduit les fleuves en desert &
les sources d'eaux en secheresse , la terre fertile
en terre salée , à cause de la malice de ceux
qui y habitent . La Paix fait-elle fleurir les
Villes & le commerce,apporte-t'elle l'abondance
dans les maisons? enrichit-elle les familles?
C'est Dieu qui fait
a habiter
l'homme
sous sa vigne & sous son figuier ;C'est Dieu qui
environne son Peuple de
Villes munies ;C'est
lui
b qui
répand la frayeur sur les ennemis
tout à l'entour : C'est lui qui conduit les vaisseaux
en Tarscis , & qui les charge d'or d'Ophir;
C'est Dieu qui dõne le revenu de la mer;
c qui fait sortir le pain de la terre ;
d qui
bâtit la maison , enfin qui donne paix & repos
au Pays. La guerre vient-elle avec ses ravages
faire trembler l'habitant paisible , desoler
les Provinces , arracher les biens à leurs
possesseurs,& porter le fer & le feu par-tout,
que dit là dessus l'Ecriture? C'est Dieu qui
appelle les Assyriens contre Ierusalem; ces
peuples armez sont
la verge de sa fureur ; ces
guerres sont les fleaux de son indignation.
C'est lui qui fait fondre le cœur ; c'est lui qui
dresse les mains à la bataille ; c'est lui qui abbat
le cheval & le cavalier ; c'est lui qui sauve
& delivre. En un mot,
Mes Freres , la Parole
de Dieu nous represente toutes les creatures
comme une grande armée qui marche
aux commandemens du Createur, pour
faire les biens ou les maux. Et sans parler des
miracles,il faudroit étre étranger de l'histoire
Sainte , pour ignorer que tout ce qu'elle dit ,
tout ce qu'elle rapporte, nous crie hautement
que c'est l'Eternel qui forme la lumiere , & qui
crée les tenebres; qui fait la paix, & qui crée
l'aversité .
Peut-étre que quelque profane , quelque
pretendu esprit fort nous dira ici : C'est le
style des Hebreux de mêler Dieu par-tout ,
de dire qu'il fait tout; mais ce style ne prouve
rien. C'est un grand mot , dit-on , que
celui-ci, Dieu fait tout ; c'est le mot de l'ignorance.
Parce que les hommes n'approfondissent
point la nature, qu'ils ne connoissent
pas les causes & le comment de ce qu'ils
voyent arriver, ils font comme on disoit autrefois ,
descendre Dieu de la machine pour
le dénouëment de ce qu'ils ne peuvent expliquer.
Voyez , mes Freres, l'insolence de l'impieté:
Sa meilleure raison est son impudence
à railler le reste du genre humain, & à s'inscrire
en faux contre le consentement general
des Peuples, & contre les preuves de fait
que nous apportons. Mais quoi qu'elle puisse
dire, ce mot Dieu fait tout n'est point simplement
une maniere de parler des Hebreux,
c'est le langage de la verité,& la Philosophie
la plus éclairée & la plus exacte parlera toujours
ainsi. Ouy,tout ce qui prouve une Divinité,
une Nature éternelle & toute-puissante,
prouve aussi que c'est Dieu qui gouverne tout,
& qui agit dans tous les évenemens.
[Ie]
Ie ne puis mieux m'assurer de cette verité
qu'en examinant ces deux choses;Premierement
ce que renferme l'idée de cette Divinité
que j'ai une fois prouvée & reconnuë :
Secondement ce que ie connois des causes
secondes de leur force & de leur maniere
d'agir ; & ce qu'on me peut dire pour expliquer
les évenemens sans Dieu.Quand ie
considere l'idée que ie me dois former de la
Divinité , concevrai-ie cette Divinité comme
une nature sans action , un Etre dans une
perpetuelle indolence , à qui le monde
étant comme échapé, par hazard , ne doit
qu'une naissance fortuite ? Me ferai-ie avec
les Epicuriens,un Dieu qui ne veut pas troubler
son repos,& qui demeure les bras croisez
dans le Ciel? Ah! une telle Divinité oisive ,
aveugle , impuissante , n'est pas mon
idée de l'Etre tout-parfait. Ie ne puis croire
un tel Dieu , sans aneantir la Divinité. Ie
n'aurois pas si-tôt formé une telle idée que je
rougirois de l'avoir conçûë , & que ie briserois
mon idole. Que ferai-ie donc? Me partagerai-
je avec Aristote autrefois sur la question
de la Providence , entre ceux qui lui
donnoient tout , & ceux qui ne lui donnoient
rien ? Dirai-ie qu'elle preside sur les Etres
superieurs & celestes , mais la déchargerai-
ie du soin des évenemens de ce monde
inferieur, en disant que son action ne s'étend
pas au delà des Spheres des Planetes?
Mais ce ne seroit pas là encore mon Etre tout
parfait; car les soins seroient bornez, ou par
[impuis-]
impuissance d'agir , & ainsi ce ne seroit pas
un Etre tout-puissant , ou par manque de le
vouloir , & ainsi il ne seroit pas tout-bon.
Quoi! Est-ce qu'il y auroit une plus grande
étenduë dans l'ouvrage que dans l'Ouvrier?
Dieu auroit-il fait quelque chose qui fût ensuite
indépendante de lui,& qu'il ne pût plus
ni connoître ni gouverner? Non non, ni
Epicure , ni Aristote n'ont iamais eu ici le
suffrage des sages Payens mémes, & ces pensées
vont à renverser entierement la Religion.
On auroit beau vouloir élever la Divinité
d'une main , ce seroit la renverser de
l'autre que de lui ôter son action , son concours,
son influence dans toutes les creatures
& dans touts les évenemens. On auroit
beau se peindre un Dieu glorieux ,
on ne lui verroit guéres d'adorateurs , si on
ne le regardoit plus comme le dispensateur
des biens & des maux. Otez-lui son sceptre,
& vous lui trouverez plus de suiets. En
verité il faut renoncer aux lumieres de la
raison , & aux sentimens de la conscience ,
il faut traiter de folie tout le culte religieux,
& toutes les prieres que les hommes rendent
à Dieu pour lui demander son secours
& ses delivrances, si l'on ne conçoit pas que
Dieu agit dans tous les évenemens , qu'il
les prevoit , les ordonne , les prepare , les
execute , les dirige selon le bon plaisir de sa
volonté .
Ie passe plus loin, mes Freres, je consulte
ce que je connois des causes secondes.
[Ie n'en]
Ie n'en vois que de deux ordres; les unes qui
agissent sans choix,sans raison, sans intelligence;
les autres qui agissent avec connoissance
& liberté. A l'égard des premieres
quelles qu'elles soient,je demande,par quelle
force elles agissent? C'est par le mouvement,
dira-t-on. C'est assez, cela suffiroit pour
nous fournir bien des raisonnemens , s'ils
étoient également proportionnez à tout le
monde. Car il s'ensuit que si les creatures
n'ont pas le mouvement d'elles-mémes, elles
n'agissent point d'elles-mémes. Or sont-
ce les creatures qui ont donné l'impression
du mouvement à la matiere? Sont-ce elles
qui en ont établi les loix, & qui en conservent
la méme quantité dans le monde?Qu'on
m'explique comment elles font passer le
mouvement d'un corps dans un autre? Ie
vois que les plus habiles Philosophes sont
obligez de dire, que c'est la volonté de Dieu
seul qui fait la communication des mouvemens ;
de sorte que le mouvement de tous
les Etres est une marque perpetuelle, invincible,
concluante de l'influence continuelle
de Dieu. Creatures, repondez-nous & glorifiez
votre Createur : Agissez-vous toutes
seules, & par vous-mémes ? Vous mouvez-
vous toutes seules ? Avez-vous deviné les
fins de vos actions? Sçavez-vous comment
vous pouvez communiquer vôtre mouvement,
le continuer, le partager ? Ah! mes
Freres, si les creatures inanimées nous pouvoient
répondre, elles nous crieroient toutes:
[tes,]
Regardez au dedans de nous, nous n'avons
ni force, ni vie que celle que la main de
Dieu nous donne. Nous sommes sans intelligence :
comment donc pourrions - nous
former des évenemens pour des fins qui
nous sont inconnues?
Mais, dira-t-on,les hommes au moins agissent
avec connoissance & liberté. Ce sont
eux qui font les évenemens qui les regardent;
ce sont eux qui réglent leur propre
sort.En verité, mes Freres,ceux qui connoissent
un peu nôtre foiblesse peuvent-ils parler
ainsi? Ie ne pretens point attaquer la liberté
de l'homme : mais avec sa liberté est-il le
maître de ce qui se passe hors de lui? Est-il
souvent le maître de ce qui se passe chez lui-
méme en son propre corps ? Quelle liaison
nécessaire voit-on entre la volonté,& les évenemens
ou les actions du dehors ? O vous
qui pretendez avoir une si grande part dans
les évenemens qui vous arrivent,expliquez-
nous un peu comment, & par quelle force
vous faites les choses?Vous savez,sans doute,
bien exactement,quelle est la force mouvante
des corps,quels en sont les degrez, combien
il en faut pour chaque action. Dites-
moi seulement par quelle liaison vôtre parole,
un air frapé par vôtre langue, va penetrer
dans l'ame de vôtre voisin. Dites-moi seulement
ce qui lie vôtre ame avec vôtre corps,
& ce qui fait que vous remuez vôtre bras par
vôtre volonté.Certes si l'on faisoit bien réflexion
à toutes ces choses,on verroit aisement
[qu'une]
qu'une experience cõtinuelle nous doit convaincre
que tous les évenemens dépendent
de Dieu. Aprés cela un impie m'alleguera-
t-il pour expliquer ces choses , que c'est le
hazard, la necessité , la nature qui les forme?
Ces mots ne sauroient éclairer mon esprit:
Ces pretendus principes,lorsqu'on ne
suppose point un Dieu,ne sont que des noms
qui ne signifient rien : Et cette réponse,en
me faisant voir qu'on ne sauroit rendre raison
des évenemens sans Dieu , me confirme
dans la croyance de ma verité, que c'est l'Eternel
qui fait toutes choses .
Ouy, mes Freres, il fait tout. Et que les
profanes, ne demandent point ridiculement
par quels ferremens, ou par quelles machines
il agit? C'est par le seul acte de sa volonté.
Il fait tout sagement & puissamment,faisant
sortir la lumiere des tenebres , conservant
ses enfans dans les plus grandes confusions,
triomphant de tous les obstacles , &
rapportant tout à sa gloire. Vn Poëte Grec
paroît avoir eu une belle idée de la Divinité,
lorsqu'il represente en quelque lieu Iupiter
le plus grand des Dieux , qui dit aux
autres, que quand ils s'attacheroient tous à
une chaine dont il tiendroit le bout, & qu'ils
y joindroient tous les hommes pour essaier
ensemble de l'arracher de sa place, ils
auroient beau faire,qu'ils ne l'ébranleroient
pas ; mais que pour lui il les tiendroit tous
suspendus, & les enleveroit , & les meneroit
à son plaisir. Nous pouvons dire que
[toutes]
toutes les Creatures, Cieux, Elemens,Anges,
Hommes, Demons tiennent à la chaine
de la Providence de Dieu , & sont suspendus
par sa main sur le neant. Il demeure
toujours le méme, immobile , immuable,
ferme, tout-puissant. Toutes les causes
secondes ne peuvent le faire détourner
le moins du monde de sa fin , & il les mene
toujours où il veut ; il en fait tout ce qu'il
lui plait. Ie ne m'étonne donc pas s'il dit avec
tant de force, Ie suis l'Eternel, & il n'y en
a point d'autre ; qui forme la lumiere, & qui
crée les tenebres; qui fai la paix , & qui
crée l'aversité , & s'il repete avec tant d'emphase ,
c'est moi l'Eternel qui fai toutes
ces choses . Disons quelque chose des difficultez
qu'on apporte contre cette verité.
Ce doit étre le sujet de nôtre troisiéme
Point.
III. Partie.
Il me semble que je vois ici l'homme qui
veut raisonner avec Dieu, encore qu'il ne
soit que poudre & cendre . Le pot de terre
veut débattre avec celui qui l'a formé . Ecouterons-
nous ou ses objections, ou ses plaintes ?
Mes Freres, je repousse ici d'abord,&
j'éloigne toutes les difficultez qu'on pourroit
faire, tirées du peché de l'homme. Mon
texte parle des biens & des maux physiques,
des évenemens bons ou mauvais , c'est-à-
dire,heureux & commodes à l'homme , ou
[affli-]
affligeans & defavorables.Il parle des maux
de peine , & non du mal moral , c'est-à-dire,
du peché. Dieu n'est point auteur du peché,
& l'on nous accuse envain de le dire.
Nous en détestons la seule pensée. C'est
à l'homme, & au Demon qu'il le faut laisser
tout entier ce malheureux peché , c'est là
leur ouvrage. Dieu le prevoit , le permet ,
& fait en tirer sa gloire en plusieurs manieres,
sans entrer en aucune sorte dans la malice
de l'action. Cela nous suffit. Aprés cela
qu'on nous embarrasse de difficultez , j'avoüerai
qu'il y a des profondeurs dans les
manieres d'agir de la Providence que ie ne
penetre pas.Mais les difficultez qui environnent
la verité ne me feront iamais abandonner
deux choses qui me sont également
claires & certaines:L'Vne,que la Providence
gouverne tout , que Dieu fait la paix ,
& l'aversité ; Et l'autre,que Dieu n'est point
l'auteur du peché.
Voici d'autres difficultez qui frapent plus
directement nôtre texte. Dieu dit , c'est
moi qui forme la lumiere & les tenebres , c'est
moi qui fai toutes ces choses . Mais si cela
est , d'où viennent donc les confusions du
monde, & de combien d'accusations Dieu
se charge-t-il par là ? D'où vient que cette
lumiere & ces tenebres paroissent si mal partagées ?
Que la paix est souvent pour le méchant ,
& l'aversité pour l'homme de bien?
Ah! si le monde étoit gouverné par la Providence
& par l'autorité d'un Dieu, jamais on
[ ne ver- ]
ne verroit Phalaris , & Denis regner ; Rutilius ,
& Camillus exilez, & Socrate perir
par le poison , disoit le Payen Cecilius,dans
Minucius Felix.
Ces sortes d'objections ne viennent pas
seulement des ennemis de Dieu. Son Peuple
méme , ses enfans les sentent , les pensent,
les proferent quelquefois.Asaph avouë,
a que si ses pieds ont presque failli , parce qu'il
a porté envie aux insensez, voyant la prosperité
des méchans . Et Iob parloit ainsi à ses
amis.
b Regardez-moi , & soyez étonnez , &
mettez le doigt sur la bouche. Méme quand
il m'en souvient je suis éperdu, & le tremblement
saisit ma chair. Pourquoi vivent les
méchans,& vieillissent,mémes sont plus avantagez
en pouvoir ? Leur race se maintient en
leur presence avec eux, & leurs rejettons devant
leurs yeux. Leurs maisons ne sont que
paix sans frayeur,la verge de Dieu n'est point
sur eux, & toutefois ils ont dit au Dieu Fort,
retire-toi de nous, & nous ne voulons point de
la science de tes voyes .
Nous en disons autant aujourd'hui. Et si
l'on nous permettoit à nous Refugiez d'étaler
toutes nos plaintes, nous grossirions les
accusations contre Dieu,du compte de tous
nos malheurs. Aussi il faut l'avouër , s'il y a
quelque chose qu'on puisse objecter contre
la Providence , le Papisme & ses longues
prosperitez sont ce qu'on pourroit apporter
avec le plus de couleur.Les Tyrans ont bientôt
[tôt]
pris fin, les plus longues tyrannies n'ont
jamais duré fort long-temps : Mais Dieu a
souffert le Paspime , chargé d'erreurs & d'iniquitez ,
& superbe de ses succés. Dieu a
souffert & souffre encore depuis tant de siecles ,
celle qui dit , je suis Reine & ne verrai
point de deüil .
Mes Freres ; pour répondre à ces difficultez ,
je dis d'abord,que quand je regarde
la Providence qui s'étend à tout, & dans
tous les siecles , dont les desseins sont éternels,
dont les vûës & les fins sont infinies ;
cette Providence qui embrasse dans son
étenduë le passé , le présent , & l'avenir ; &
que je voi de tems en tems sortir de quelque
coin du monde , & naître comme de
terre, de petits hommes qui viennent accuser
la Providence,& dire comme quelques
Israëlites du temps d'Ezechiel ,
a les voyes
de Dieu ne sont pas bien réglées ; en verité
ce n'est plus des difficultez , que je trouve
dans la conduite de Dieu , que je suis surpris ,
mais de la hardiesse de l'homme &
de son extravagance. Pour bien juger des
voyes de Dieu , il faudroit qu'il y eût quelque
proportion entre nous & lui, entre nôtre
intelligence & la sienne ; il faudroit que
nous fussions entrez dans ses conseils secrets ;
que nous pussions comparer ses actions
avec leur fin; que nous pussions,d'un
coup d'œil considerer tous les évenemens
presens , passez,& à venir.
b Mais qui est-ce
[ qui ]
qui a connu la pensée du Seigneur?Ou qui est-
ce qui a été son conseiller ? Ou qui est-ce que
lui a donné le premier , & il lui sera rendu?
Qui est-ce qui s'est assis avec lui pour consulter
sur ses decrets éternels ? Qui est-ce
qui a fondé son intelligence ? Nous-nous moquerions
d'un homme qui voudroit juger
d'un ouvrage d'esprit , du dessein, & du dénouëment
d'une piece,par dix vers entendus
en passant;& nous sommes assez peu raisonnables
pour juger des vûës de Dieu & du systeme
de la Providence , si je puis ainsi parler ,
par le petit rôle que nous joüons en
courant sur le theatre du monde , ou que
nous y voyons jouër pendant le moment de
nôtre passage ici-bas.
Mais , dira-t-on , les plaintes anciennes
nous font voir que les choses ont toujours
été à peu-prés de méme. Ie vais donc répondre
plus precisement à ce que l'on dit.
Et premierement je pose en fait qu'on exagere
extrémement les pretendus desordres,
& les inégalitez qu'on veut qu'il y ait dans
la distribution des biens & des maux , que
la Providence fait aux bons & aux méchans.
Il n'est point vrai qu'il y ait toujours une si
grande difference :
* Méme accident arrive
au juste & au méchant , comme dit l'Ecriture.
Si l'Eglise est quelquefois affligée , elle
est quelquefois florissante. Un Peuple n'est
pas toujours la terreur & le fleau de ses voisins ,
il a ses déroutes & ses décadences. Si
[un]
un homme de bien a des soirs où le deüil
loge chez lui, il a des matins où le chant de
triomphe s'y rencontre : Et un méchant éprouve
souvent de fâcheux retours aprés
ses prosperitez. En un mot on peut dire que
la Providence partage assez le vent à chacun ,
& qu'elle ne le fait pas toujours soufler
du méme côté , ni pour le méme vaisseau.
La santé & la maladie , le gain & la
perte , les richesses & la pauvreté, l'aggrandissement
& la ruïne , me paroissent tellement
partagez dans ce monde , que je ne
puis point convenir avec ces murmurateurs,
qui veulent que la balance soit toujours
panchée du mauvais côté.
La seconde chose que je pose , mes Freres,
c'est qu'il n'y a rien de si équivoque que
ce que les hommes appellent vertu ; rien de
si douteux que les jugemens que nous faisons
sur la probité d'autrui. Vice & Vertu
sont souvent des noms que nous attachons
à ce qui ne l'est point. L'apparence de la
pieté nous dupe quelquefois , l'hypocrisie
nous impose , & méme des vices éclatans
nous paroissent de grandes vertus. Telles
ont été souvent les qualitez & les actions
de ceux que le monde a honorez des plus
grands titres , & que l'antiquité Payenne a
ornez de plus d'éloges. De sorte que sous
tant de masques qui nous déguisent la verité
des choses,comment pouvons nous penser
que la vertu,je dis la veritable vertu,est toujours
mal heureuse,& que la tristesse & l'affliction
[fliction]
ne sont que pour les gens de biens ?
Ah! s'il y avoit quelque vertu pure, sans tache ,
sans défaut , nous aurions quelque
raison de pretendre que la Providence la
devroit épargner en tout, ne travailler que
pour elle,l'environner toujours de lumiere.
Mais en est-il dans ce monde quelque vertu
de cet ordre ? Et vous étonne-zvous si
des vertus aussi mêlées de crasse & de terre
que sont celles des gens de bien-méme ,
éprouvent aussi un mêlange de bonheur &
de malheur ?
En troisième lieu,posons, je vous prie, &
nous poserons vrai,que les biens & les maux
exterieurs que la Providence dispense en
cette vie,ne font pas precisement par eux-
mémes des heureux , ou des malheureux.
Ce riche mondain dont il semble que la
Providence benit tous les desseins & fait réüissir
tous les projets ; cet homme comblé
d'honneurs & de richesses , n'est pas souvent
aussi heureux que vous le pensez. Vous
ne voyez pas que Dieu,qui a attaché des peines
naturelles à l'iniquité & aux passions
criminelles,le trouble par ses propres vices.
Il est insatiable , mal-content, inquiet dans
son abondance. Au contraire ce pauvre,cet
homme affligé , persecuté , qui vous paroît
malheureux , à cause de cette pauvreté ou
de ces afflictions qu'il souffre , ne l'est pas
pour cela autant que vous le croyez. Si dans
ce pretendu malheur,il a d'ailleurs une conscience
tranquille , pleine de paix & de ioye
[par]
par le S. Esprit , un cœur ferme & en repos
par une parfaite resignation à la volonté de
Dieu , par l'assurance de la remission de ses
pechez , & par une esperance bien fondée
d'étre heureux un iour ; cet homme n'est pas
miserable comme vous vous l'imaginez. Iustifions
donc la Providence , puisque dans
cette vie méme elle donne des dédommagemens
aux bons , en revanche des maux exterieurs
qu'ils peuvent souffrir. Elle leur donne
des biens plus veritables, plus réels , plus
interieurs , plus propres à l'homme , que ne
font ces autres choses externes que le vulgaire
appelle, biens. Comme aussi à l'opposite
elle a assez attaché d'épines à la prosperité
mondaine , & assez de peines naturelles aux
vices , pour contrebalancer tout ce que les
méchans ont d'ailleurs de bonheur. Ainsi
qu'on n'allegue plus , afin de nier , ou d'accuser
la Providence , que la paix, & l'aversité
tombent d'une maniere mal réglée.Dieu envoye
des maux aux gens de bien, je le veux ,
mais il ne les rend pas necessairement malheureux
par là. Il les a pourvûs au dedans
d'autres remedes , d'une consolation & d'une
joye plus forte que leurs disgraces. Il envoye
des biens aux méchans ; mais ces biens
qui ne sont que des effets naturels de l'ordre
general que Dieu suit dans la nature, & dans
le gouvernement du monde : ces biens, dis-
je, ne suffisent point pour les rendre heureux.
Ou,pour mieux dire, Dieu partage de
telle sorte les biens dont il les comble au
[dehors]
dehors, & les peines secretes qu'il fait naître
dans leur ame , que tout bien compté, leur
état ne doit & ne peut le faire accuser d'injustice.
Enfin, mes Freres, souvenons-nous que
la lumiere & les tenebres , qui sont également
pour les bons , & les méchans en cette vie ,
sont des effets de cette Providence generale,
dont Dieu a établi les loix en creant le monde.
Ce sont des suites de ces loix sages &
uniformes que Dieu s'est posées d'abord, &
qu'il ne change pas à tous momens.D'ailleurs
ce qui leur arrive,maux, & biens, reste dans
l'ordre naturel. Pourquoi donc se plaindre
que Dieu laisse des biens aux méchans? leur
partage est assez petit pour ne le leur pas envier ,
puisqu'il n'est que pour cette vie : Et
la bonté de Dieu envers tous est assez admirable ,
pour que ton œil ne soit pas malin
de ce qu'il est bon .
Qu'on ne dise donc plus qu'il faudroit pour
l'honneur de la Religion , & pour convaincre
les hommes de sa verité , que la distinction
fût plus sensible au dehors , entre le croyant
& l'infidele , & que les peines & les récompenses
marquassent dés cette vie la difference
que Dieu en fait. Cela pouvoit avoir
quelque lieu sous la Loi. Il semble qu'il faloit
que Dieu distinguât les Israëlites des
autres Peuples par leurs prosperitez, pour
verifier ses promesses : & l'on diroit que
c'est pour cela qu'il a eu si souvent recours
aux miracles , afin de corriger, si je puis
[ainsi]
ainsi dire , le cours ordinaire des choses, qui
ne leur étoit pas assez favorable. Mais sous
la Religion Chrêtienne qui nous presente une
autre vie , & qui nous appelle à un autre
ordre de biens que ceux que Dieu dispense
dans la nature , ce ne sont pas les évenemens
presens , les biens & les maux de cette vie
qui peuvent faire la distinction du Chrêtien
d'avec l'infidele. Il n'est pas necessaire que
Dieu travaille à les distinguer par là : Les
biens & les maux qui arrivent dans ce siecle ,
n'étant pas proprement ceux que Dieu a
promis à la foi, ou qu'il a attachez à l'incredulité.
Ce n'est point par ceux-là qu'il faut
juger de la vraye ou de la fausse Eglise , ni
de l'amour de Dieu , & de la vertu Chrêtienne.
Vous donc , qui que vous soyez , qui dites
encore à Dieu , Tu fais tout , Seigneur , &
cependant tu laisses prosperer les méchans ;
je vous demande , êtes-vous Chrêtiens ?
Laissez ces mauvaises difficultez aux profanes ;
laissez-les à ceux qui sont sans Dieu &
sans esperance au monde . Adorez la Providence.
N'en doutez jamais un moment pour
tout ce qui peut arriver. Laisser le Papisme
se glorifier de ses prosperitez. Un homme de
cette Religion croit fortement, qu'elle est la
bonne , parce que son parti a d'heureux succés
temporels , & que le parti Protestant est
foible , & souvent affligé. Comme cet
homme a une Religion charnelle , je ne
m'étonne pas que ses pensées le soient aussi,
[si , &]
& qu'il raisonne si mal. Mais ces sortes de
jugemens ne viennent que de prevention ,
& des fausses idées qu'il s'est formées de la
Religion. N'imitons jamais ces pensées pleines
d'erreur & de prejugé. Iamais proprement
& precisement les bons ou les mauvais
succés qui arrivent sans miracle , & qui ne
sont point predits , ne décident de la verité
d'une Religion qui regarde l'autre vie. Ce
qui nous doit suffire pour le Papisme, c'est
que ses prosperitez, & ses persecutions contre
les enfans de Dieu , nous ont été predites,
& ont été necessaires pour châtier le
monde, & pour épurer l'Eglise. C'est encore ,
que ses prosperitez ne sauroient aller
jusqu'à engloutir entierement la vraye Religion.
C'est de plus que la fin de ses prosperitez
nous a été aussi marquée , & que Dieu
viendra se justifier , en détruisant la Babylone
mystique, avant que de détruire le monde,
comme pour faire cesser les plaintes de
ses enfans , avant que de les rendre entierement
heureux.
Conclusion.
Arrêtons-nous ici , Chrêtiens , c'est assez
de raisonnemens & de preuves sur les veritez
de nôtre texte , il s'agit d'en tirer quelque
usage present , & par rapport aux circonstances
où nous nous trouvons.
Il semble que ce temps ressemble assez
à un crepuscule , aux premiers momens de
[l'aurore,]
l'aurore, où le jour va se lever , mais où les
tenebres ne sont pas encore dissipées. Le
voyageur qui se leve, se réjouït de voir les
premieres pointes de la lumiere , qui commencent
à percer la noirceur des nuës ; il
regarde derriere soi une longue & épaisse
nuit qui commence à plier ses voiles , &
les tenebres qui vont fuïr , Il anticipe par
l'esperance la venuë du Soleil qui va luire,&
il se prepare à joüir de sa lumiere avec joye.
Ie dirai plus , ce temps ici, & nôtre texte
ressemblent fort à la nuée des Israëlites, qui
étoit lumiere & tenebres. Il y a du mêlange,
un double côté , comme il y en a presque
toujours dans les choses humaines. Mais
dans ce temps, aussi-bien que dans nôtre
texte , ne voyons-nous par un méme Dieu
qui fait la lumiere , & l'aversité ; un Dieu
auteur des biens & des maux, que nous devons
adorer dans tout ce qu'il fait?
Une nouvelle agreable frape nos oreilles.
Aprés avoir demandé si long-temps, y a-t-il
Paix? La voix publique répond comme
par un favorable écho, Il y a Paix. Un cri de
joye, un alleluiach, une voix de chant de
triomphe commence à s'entendre dans nos
ruës. Bonne nouvelle! O que les pieds sont
beaux de ceux qui annoncent la Paix , si ardamment
desirée,& si long-temps attenduë!
Enfin la Divine Bonté a écouté favorablement
les vœux de tant de Nations , & s'est
[laissée]
laissée toucher aux plaintes de l'Europe
affligée. Beni soit Dieu de ce qu'aprés un
si grand deluge de maux , il veut bien faire
sortir du lieu des assemblées publiques,comme
d'une autre Arche, des colombes avec
des rameaux d'olive ! Beni soit Dieu de ce
qu'aprés une guerre juste & necessaire , que
nos Souverains ont été obligez de soûtenir
pour leur propre sureté , & pour les interêts
communs & la liberté de l'Europe , il
rend enfin à ces Souverains,qui ont toujours
aimé la Paix , ce bien si doux qu'ils ont
cherché! Que l'idée de la Paix est charmante !
qu'elle éloigne de maux,qu'elle ramene
de biens ! Nos frontieres n'entendront
plus le son du cornet, & le retentissement bruyant
de l'allarme . L'épée ne sera plus enyvrée
de sang, elle r'entrera dans le fourreau &
se tiendra coye . La terre ne sera plus baignée
des larmes de tant de Peuples , & jonchée
de tant de corps morts. L'habitant reviendra
relever sa maison, posseder en tranquilité
son heritage. Il ne craindra plus le
soldat & l'exacteur, le pillage & l'incendie,
ou les taxes fâcheuses d'une excessive contribution.
Le laboureur ensemencera ses
guerets, & il moissonnera lui méme le fruit
de ce qu'il aura semé. L'oiseau carnacier,
& la bête des champs ne feront plus leur
curée de tant de cadavres. On ne verra
plus tant de fils dans leur vigueur , faire descendre,
par une mort prematurée, les cheveux
blancs de leurs parens au sepulchre, &
[con]
contre l'ordre de la nature devancer leurs
peres au tombeau. Nos esprits ne seront plus
remplis , comme ils l'ont été pendant neuf
ans , des idées affreuses de saccagemens &
d'incendies, d'assauts, & de prises de Villes.
On n'entendra plus parler de ces feux épouvantables
lancez au milieu des airs , qui vont
consumer les maisons , appauvrir les hommes ,
changer les Villes en buchers, & faire
voir sur la terre une image de l'enfer. On ne
se plaindra plus des dépenses excessives.Nos
dépoüilles n'enrichiront plus nos ennemis.
Nos vaisseaux ne craindront plus les Pirates.
Nôtre commerce fleurira , l'une & l'autre
Mer s'en réjoüiront. Les sciences & les arts
reprendront un nouveau lustre. L'abeille ,
comme a dit quelqu'un , fera son miel dans
le casque du soldat ; & la justice, dont la voix
n'est pas toujours écoutée au milieu du bruit
des armes , prononcera tranquillement ses
arrêts. Quelle douce esperance ! Quel bonheur
commençons-nous à voir dans l'avenir !
Mais qui nous la donne cette esperance?
Qui fait luire à nos yeux un tel bonheur?
N'est-ce pas Dieu , ce Dieu qui forme la lumiere
& qui fait la Paix? C'est moi l'Eternel
qui fai toutes ces choses . Ie sai que les hommes
entrent dans cette œuvre , que les desirs
des Peuples , que les inclinations favorables
des Souverains,que l'habileté des politiques,
l'addresse & la sagesse des negotiateurs contribüent
à cela. Dieu fait tout, mais il ne fait
pas tout sans moyens & sans instruments.
Il employe les causes secondes. Il envoye
des ouvriers, des bâtisseurs, des reparateurs.
Il se sert d'eux pour guerir la terre & reparer
ses desolations :
* Et
bienheureux sont ceux
qui procurent la paix . Bienheureux sont ceux
qui travaillent à la donner aux Peuples, lorsqu'ils
le font avec la droiture d'intention,la
sagesse,l'équité qu'ils doivent.Ils sont dignes
de loüange & de reconnoissance. Ils s'attirent
beaucoup de gloire, & meritent d'avoir part
dans les vœux & les prieres des fideles.Mais
aprés tout;ces glorieux instrumens du bonheur
des Peuples , s'ils connoissent & s'ils
craignent Dieu, savent bien que c'est à lui
seul qu'appartiennent veritablement l'honneur
& la gloire. Ils doivent eux-mémes ,
rendre tout à ce Dieu qui est si jaloux de ses
droits.
C'est moi, dit-il , qui fai ces choses .
Peuples attentifs à ce qui se passe , las de la
guerre , desireux de la Paix , réjoüis de la
voir éclorre , sachez, dit l'Eternel, que c'est
moi qui la donne , qui l'avance ou qui la recule ;
qui affermis le repos ou qui le rends
chancelant & incertain , quand , & comment
il me plaît. Demandez-vous pourquoi il est
ainsi & ainsi ? Pourquoi les choses se concluent
en tel temps , & non plûtôt ? Pourquoi
la Paix se fait avec de telles conditions?
Les hommes ont déliberé , mais j'ai présidé
sur tout cela : C'est moi l'Eternel qui par
differentes raisons fais ainsi toutes ces choses.
De là, mes Freres, il s'ensuit, sans doute,
que nous devons lui rendre graces de tout
[ce qu'il]
ce qu'il y aura pour nous d'avantageux &
de bon dans cette Paix. Mais je ne m'étens
pas là dessus.Ie ne veux pas anticiper le
tems. Nous aurons sans doute nos jours solennels
d'actions de graces,quand les choses
seront plus pleinement achevées & plus établies.
Ou plûtôt ne craignons point de commencer
& d'avancer nôtre reconnoissance &
nos loüanges. Soyons reconnoissans envers
la Divine Bonté qui nous a conservez dans la
guerre méme, & qui n'a point absolument
éloigné la paix arriere de nous ; mais nous
a fait habiter en assurance. Heureux entre
tous nos voisins,
* il a renforcé les barres de
nos portes , il a beni nos enfans au milieu de
nous, il a rendu nos contrées paisibles au milieu
de toutes les desolations que les autres
ont souffertes dans la guerre ! Mais que ne
fera-t-il point dans la Paix ? Reconnoissons
que pendant la durée de la guerre il nous à
accordé plusieurs avantages. Remercions-le
de ce que la Paix y met le sceau, & nous en
assure la possession. Nous avons rendu graces
pour des Royaumes devenus libres,pour des
victoires gagnées , pour des Villes prises
avec gloire, pour le Roi de la Grand'Bretagne
miraculeusement conservé. La Paix ne
met-elle pas le couronnement & le sceau à
toutes ces choses?N'assure-t-elle pas davantage
ce Prince, ses Royaumes, & nôtre tranquillité?
Quel sujet de rendre graces !
Mais, mes Freres, ne dirions-nous rien
[des]
des tenebres qui restent encore, & qui couvrent
nôtre ancienne Gaussen? Ne dirions-
nous rien de l'obscurité qui nous envelope
encore nous Refugiez, & qui nous cache
nôtre sorte? Ne dirions-nous rien de nos
malheurs passez & presens, & de l'incertitude
où nous sommes pour l'avenir ? Ah
que ceux qui sont en joye, & avec lesquels
nous voulons l'étre aussi , quoi qu'il arrive,
nous permettent,sans troublerl eur bonheur,
de nous souvenir de nôtre misere & de nôtre
aversité qui n'est point passée ! C'est Dieu
qui l'a faite , nos pechez en sont la cause, &
la justice de Dieu l'a produite. Ici la leçon
est plus difficile pour nous que pour les autres.
Il est doux, il est aisé de rendre graces
à un Dieu qui forme la lumiere , & qui donne
la Paix. Mais il est bien plus difficile de se
soûmettre à un Dieu qui n'envoye que l'aversité.
Faisons-le pourtant, mes Freres, faisons-
le avec une humilité, une patience, une repentance
qui desarme nôtre Dieu. Nous
sentons nos maux presens, avec le souvenir
des passez, & l'avenir nous inquiéte. Mais
ne murmurons jamais. C'est un Dieu juste &
punissant, qui par la fumée de ses narines,
a formé nos tenebres. Nous l'avons merité.
C'est lui qui a creé nôtre aversité,& qui l'a fait
sortir du sein de nos prosperitez precedentes.
Donnons-lui gloire. Que dirions-nous,
l'Eternel est juste. Seigneur,tu fais toutes ces
choses. Ie t'adore, ô mon Dieu, méme dans
ce qui me paroit le plus rude & le plus incomprehensible.
[com-]
I'adore ta Souveraineté ;
car n'es-tu pas le maître de faire ce qu'il te
plaît , de distinguer ceux que tu veux ; de
donner les biens à d'autres Peuples, & de
nous envoyer les maux, selon ton bon-plaisir ?
I'adore ta justice ; car quand nous souffririons
encore sans esperance , nôtre impenitence
ne le merite-t-elle pas? Iadore en
méme tems ta bonté; car quoi qu'il en soit ,
n'y a-t-il pas pour nous du bien? N'y a-t-il
pas du fruit dans l'affliction , & n'y a-t-il
pas encore pour nous de l'esperance?
Ouy, Mes Freres , il y a de l'esperance.
Si nôtre aurore n'est point encore levée ,
elle pourra venir. Consolons-nous,celui qui
a créé nôtre aversité , est celui-là-méme qui
forme la lumiere , qui donne de beaux
jours à son Eglise quand il veut , & qui n'a
qu'à parler pour dissiper nos plus épais nuages ,
& pour chasser nos calamitez , comme
le vent chasse les nuës. Courage;ayons bonne
esperance. Quand Dieu commence à
guerir la terre , il ne le fait pas tout d'un
coup ; aprés avoir travaillé pour un Pays, il
travaille ensuite pour un autre. Nous pourrons
avoir nôtre tour dans la nature. La lumiere
cõmence par un bout du Ciel,& s'étend
successivement jusqu'à l'autre bout :La joye
pourra ainsi passer de nos amis jusqu'à nous.
Aprés tout,que gagnerions-nous à murmurer ,
à nous agiter , quand les choses
ne seroient pas telles que nous les souhaitons ?
Est-ce à nous à prescrire à Dieu
[les]
les temps ? Que pouvons-nous faire que de
nous soûmettre à sa volonté, l'attendre patiemment ,
nous convertir , prier , & quoi
qu'il arrive ne rien faire pour nous soutraire
par de mauvais moyens aux ordres de sa
Providence? Ce qui fait nos défiances , nos
impatiences , ce n'est pas tant l'interêt que
nous prenons au bien de l'Eglise en general ,
que nôtre interêt propre & particulier.
Nous n'aimons pas à étre envelopez & embarrassez
dans les malheurs de l'Eglise.Nous
n'aimons pas à nous trouver dans le mauvais
moment des évenemens fâcheux , ni à nous
rencontrer sous le coin du bâtiment,lorsqu'il
crolle & qu'il tombe. Nous voudrions
n'avoir notre part que dans les jours de lumiere
& de paix. Mais est-ce à nous à choisir
& à regler nôtre destinée ? Sçavons-nous ce
qui nous est le plus propre , & ce qui est le
plus convenable à la gloire de Dieu ? Si nous
avions bien compris nôtre neant devant lui,
si nous avions bien compris quelle place
nous pouvons tenir dans ses desseins ; qu'à
peine sommes-nous un point dans l'étenduë
des siecles, & dans la multitude des creatures
passées,presentes, à venir ; nous trouverions
infiniment ridicule que des vers de terre
comme nous sommes , contrôllent la Providence ,
la revoquent en doute, l'accusent,
parce que dans certains momens de ses desseins
& de ses actions , nous n'avons pas une
place ou une situation aussi commode que
nous voudrions. Aprés tout , à quoi te sert-
[il de]
il de te remuer & de t'agiter , ver de terre ?
C'est Dieu qui fait la lumiere & les tenebres :
tu n'y saurois rien changer. Tu fais d'aussi
vains efforts,quand tu résistes à Dieu , que
ces Barbares qui tirent des fleches au Soleil.
Heureux plûtôt si nous savons entrer avec
joye dans les ordres de la Providence , &
nous sacrifier à ses volontez, par une soûmission
entiere , dans quelque situation qu'elle
nous mette, & dans les maux,soit generaux,
soit particuliers.
Ouy, mes Freres , ce que nous avons dit
pour les affaires publiques,nous devons nous
l'appliquer pour tout ce qui nous arrive en
particulier. Pensons continuellement que
c'est Dieu qui produit, qui dirige les évenemens.
Et par cette pensée d'un Dieu present
qui conduit tout, devenons sages pour bien
penser de la Providence. Sages pour nous y
soûmettre,nous, nos passions , nos affaires :
Sages dans les maux : Ie me suis tû , & n'ay
point ouvert la bouche , parce que c'est toi
qui l'as fait . L'Eternel l'a donné , l'Eternel
l'a ôté , le nom de l'Eternel soit béni . Sages
dans les biens pour en adorer l'Auteur , &
lui rendre graces comme nous devons.
Ioignons à cela des vœux. Souhaitons que
rien n'arrête la pleine & parfaite conclusion
de la Paix: Que rien ne retarde le chariot ,
& n'enclouë aucune de ses rouës. Souhaitons
que tous les Alliez y soient compris , & que
tous les Peuples en joüissent. Puissions-nous
voir une Paix generale, qui ne laisse aucune
[semen-]
semence de guerre nouvelle ! Veüille nôtre
grand Dieu nous faire luire cette Paix,comme
un Arc-en-Ciel qui nous assure qu'il n'y
aura plus de Deluge en nos jours. Veüille ce
Souverain Maître du monde nous rétablir
aussi nous fugitifs , & rendre le repos à nos
pauvres freres , & la Paix à Ierusalem.Dieu
veüille qu'ainsi nôtre lumiere aille en croissant
comme celle de l'aube du jour , jusqu'à
ce que nous parvenions à l'heritage des
Saints, en la lumiere. Amen.
FIN.