SERMON
Sur le
COURONNEMENT
De
Sa Majesté,
FREDERIC I.
ROI de PRUSSE,
&c. &c.
Sur ces paroles de la 1. Ep. de
S. Pierre, Ch. 2. v. 17.
Craignez Dieu. Honnorez
le Roi .
ON à dit, que la vertu est
Virtus
ordinis
amor.
August.
l'amour de l'ordre. Disons-
le de la Religion,
qui est la régle infaillible
de la solide vertu. Cõme
il est nécessaire dans l'êtat présent
du genre-humain, que la condition
des hommes soit diferente ; la Religion
prescrit à chacun, les devoirs
[qui]
qui le regardent en particulier. Et
tant plus un certain êtat interesse
la Societé en general ; d'autant plus
précises & reïterées sont les leçons,
que la Religion donne aux hommes
sur ce sujet ; Il n'est point de
condition, dou depende plus le
bien general de la Societé, que celle
des Souverains : & en est-il sur laquelle
les préceptes de la Religion
soient plus formels ? Quand on
n'est pas conduit par cet heureux
guide, on va ordinairement dans
l'une ou dans l'autre de ces extrémités :
on donne trop, ou on doñe
trop peu, a ces Têtes Augustes,
qui sont sur la terre, les Images les
plus vives & les plus sensibles du
Dieu-vivant. Les Peuples ont
quelque-fois porté leur aveuglement
si loin, qu'eblouïs de l'éclat &
de la gloire de leurs Souverains, ils
n'ont point reconnu de puissance
au dessus de la leur, & les ont mis
en la place de Dieu-même. Conduite
[duite]
impie & sacrilége ! Mais, autre
extremité, qui pour être moins
criminelle par raport à Dieu, n'est
pas moins dangereuse par rapport
a la Societé. Il se trouve des gens,
qui par un principe de Religion
mal-entendu, voudroient introduire
parmi les hommes une certaine
égalité, qui ne seroit pas
moins funeste à la Societé, qu'opposée
à cette Religion divine, sous
le voile de laquelle ils prétendent
couvrir de si pernicieux sentimens.
Mais veut-on en cela, comme en
toute autre chose importante, ne
jamais craindre de se tromper ?
Que l'on consulte les Oracles divins.
On y aprendra également,
& ce que l'on doit aux
Césars, &
ce que l'on doit à
Dieu. Que l'on
écoute sur tout l'Apotre S. Pierre,
Matth.
22, 21.
dans les paroles de notre Texte.
Craignez Dieu. Honorez le Roi.
Voila MES FRERES, deux grands
préceptes, sur l'examen desquels
doivent rouler les deux parties de
[ceDis-]
ce Discours. Le premier est si universel,
qu'il a toujours êté necessaire
à tous les hommes. Il n'y a
jamais eu personne, qui n'eut au
dessus de soi, un Etre Supréme
qu'il devoit craindre. Mais pour
le second de ces préceptes, pris a la
lettre, & dans la rigueur des termes ;
c'est aujourdhui, qu'il commence
à devenir necessaire dans cet
Etat. Aujourdhui que le Ciel, toûjours
juste, toujours prêt à couronner
la vertu, couronne tant de Vertus
Roiales, qui ont brillé depuis
tant de siecles, dans l'Auguste Maison
de Brandebourg ; & qui toutes
semblent être heureusement
reünies, dans Notre Grand Souverain.
Personne n'ignore ces vertus.
Tout le monde leur rend justice.
On les jugeoit par-tout, dignes
d'une Couronne. Et par un
évenement, qui fait la joie de tant
de Peuples, Dieu fait voir, que les
hommes ne formérent jamais de
[juge-]
jugement plus conforme à ses adorables
Decrets.
Peuples heureux, qui avez eu
jusques-à-present, l'avantage de
vivre sous un Grand Prince ; Vous
aurez desormais, celui de vivre sous
un Grand Roi. Grand, à tous
égards ; mais sur-tout Grand en
vertu ; car c'est là proprement ce
qui fait la veritable Grandeur :
comme l'avoit fort-bien compris
ce Roi de la Grece ; qui, quelque
petit que fut son Etat, ne pouvoit
soufrir., qu'on appellat en sa presence
le Roi de Perse, le Grand-
Roi. Pourquoi, disoit-il, seroit-
il plus grand que moi, s'il n'a pas
plus de vertu ?
Tout sembloit nous promettre
ce nouveau degré de gloire, dans
nôtre Auguste Souverain. La Noblesse
de son Sang ; la vaste êtendue
de ses Etats ; le rang qu'il tenoit
dêja, parmi les plus Grands Princes.
Cette puissance, qui depuis
[si long-]
si long-temps, à si fort interessé
presque toutes les Puissances de
l'Europe ; qui s'est faite si redouter
des uns, pendant qu'elle êtoit
l'appui, & la ressource des autres :
cette puissance, à la faveur de laquelle,
tant de Peuples vivent heureux ;
& qui, contrainte quelquefois
de repousser de Redoutables
Ennemis, à conquis des Provinces,
dans presque aussi-peu de tems,
qu'il en faudroit pour le raconter ;
tant de gloire égaloit dêja Nôtre
Souverain aux Premiers Monarques
de la Terre ; demandoit une
Couronne.
Mais, disons pourtant quelque
chose de plus glorieux encore.
C'est sur-tout sa pieté, que Dieu
couronne aujourdhui. Le Sceptre,
qu'acquiert la seule puissance
des Princes, est souvent un fruit
de la Tyrannie & de l'injustice .
Mais celui, que la Providence met
aujourdhui dans la main de Nôtre
[Auguste]
Auguste Prince, est un fruit de sa
pieté, un Sceptre de Justice, formé
dans le Ciel, des propres mains du
Tout-puissant. Dieu à sans-doute
destiné depuis tous les Siecles, une
Couronne Im͂ortelle, à de si grandes,
de si solides vertus . Mais
comme si sa Misericorde ineffable
s'impatientoit en-quelque-sorte,
& n'en pouvoit differer la recompense,
jusques apres cette vie ; elle
orne aujourdhui, de toute la gloire
dont on peut briller sur la terre,
cette Tête, qui doit porter dans le
Ciel, la Couronne de l'Immortalitè.
Dans un si grand èvenement, auquel
toute lEurope est atentive, &
qui met des HOSANNA, des acclamations
de Joie, dans la bouche
de tant de Peuples, qu'il est doux.
d'obeïr à des ordres, qui nous autorisent
à vous exprimer maintenant
les sentimens de notre cœur !
Pendant que le Ciel nous instruit,
[par]
par la gloire du Souverain, de la faveur
dont il honnore les Peuples,
nous alons tacher de vous instruire
de l'usage, que les Peuples doivent
faire des bien-faits du Ciel.
Nous vous exhorterons, avec l'Apotre
S. Pierre, à Honnorer le Roi,
que Dieu nous donne en sa grace.
Et de-peur que l'excellence du
Bien-fait ne vous frape si-fort,
que vous y faciez plus d'atention
qu'a la bonté du bien-faiteur ;
nous ferons nos efforts, pour vous
empêcher de separer jamais deux
prèceptes si liez, si indissolubles ;
Craignez Dieu. Honorez le Roi .
La crainte de Dieu, que S. Pierre
recommande dans ce Texte, n'est
point proprement cette fraieur
servile, qu'inspire la pensée de la
justice de Dieu, & de la severitè de
ses jugemens. Une crainte qui ne
part que de ce principe, est le caractère
des Dèmons & des ames criminelles.
C'est ordinairement
[dans]
dans les méchans, le premier degrè
de leur suplice- C'est elle qui
produit ces alarmes, ces remords,
ces desespoirs qui sont les suites
du crime. C'est elle qui faisoit voir
par-tout à Cain rebelle, la main du
Tout-puissant armèe pour le punir :
& c'est elle qui porta le perfide
Judas à se precipiter, dans les transports
de son desespoir. Mile exemples
nous font voir, combien une
telle crainte a êté funeste aux
hommes : & pour peu qu'on y face
atention, on comprend bien-tot
combien elle est injurieuse à Dieu,
qu'elle regarde comme un Maitre
severe, toujours irritè, toujours
implacable ; Dans qui elle ne decouvre
que cette main terrible, qui
lance la foudre sur les têtes criminelles,
& qui ne laisse jamais voir
aux hommes, cette main aimable
du Dieu de misericorde, qui toujours
prêt à favoriser le pècheur
repentant, répand sans-cesse sur lui
[les]
les plus précieux tresors de sa
grace. Il n'y a que des Tyrans
qui puissent trouver de la gloire
dans une Pareille crainte, & qui soyent
Oderint
si timeant :
capables de dire ; Qu'ils me haissend,
pourvû qu'ils me craignent : &
si la veritable crainte de Dieu pouvoit
être separée de son amour,
Dieu diroit sans-doute plutôt ;
Qu'ils ne me craignent point, pourvû
qu'ils ma'iment.
En effect, MES FRERES, cette
crainte douce, tendre, paisible,
qu'inspirent la beautè de Dieu, sa
bontè, sa misericorde ; ce respect,
que l'on a pour un Etre si parfait ;
cette circonspection où est toujours
une ame fidelle, pour ne rien
faire qui puisse dêplaire a un Dieu
si aimable & si bon : c'est sans-doute
une crainte bien plus digne de
l'homme, bien plus glorieuse à
Dieu, que cette crainte d'esclave
dont nous venons de parler.
Ce n'est pas, que la fraieur
[q'uin-]
qu'inspire la pensée de la Puissance,
& de la Severité de Dieu, ne soit
quelque fois utile. l'Ecriture Sainte
Jer. 5,
22.
la recommande souvent.
Ne me
craindriés-vous point, dit l'Eternel,
& ne seriés-vous point épouvantés devant
ma face. Moi qui ai donné pour
bornes à la Mer, le sable, qu'elle ne passera
point ? Cette fraieur est souvent
une disposition à la penitence :
peut-être en est elle quelque fois le
premier degré. Mais tousjours
est-il certain, qu'elle ne formera jamais,
elle seule, une veritable
pietè.
Disons donc, MES FRERES, que
la vraie crainte de Dieu n'a pas
moins pour objet sa Bontè, sa Liberalitè,
sa Misericorde ; que sa Puissance,
sa Severité, sa Justice : ou
plutôt que c'est un assemblage de
tous les sentimens, que forment
dans une ame toutes les perfections
de Dieu ; l'impression qu'y font
en general toutes ses vertus. En
[un mot]
un mot, la crainte de Dieu n'est
point differente de ce qu'on apelle
en general, la pieté : l'un & l'autre
de ces deux termes comprend generalement
tous les devoirs & toutes
les vertus de l'ame fidelle.
Maintenant
Deut.
10, 12.
o Israël, disoit Moïse, que
demande de toi l'Eternel ton Dieu, sinon
que tu le craignes ? C'est à former cette crainte dans
le cœur des hommes, que tendent
toutes les démarches de Dieu ; c'est
le grand but de toutes les Alliances
qu'il à traitées avec eux, de tous les
Prêceptes qu'il leur donne dans sa
Parole : c'est à cela que se raportent
sur-tout tant de belles maximes,
que nous donne le Sage, dans
le Livre de l'Ecclesiaste.
Le but de
Eccles.
12, 15.
tout ce Discours, dit-il à la fin de son
Livre, c'est ceci ; crain Dieu, & garde
ses Commandemens ; car c'est là le tout
de l'homme.
Cette crainte est en effet le Tout
de l'homme, à tous êgards. Elle
[fait]
fait toute sa gloire & sa perfection ;
puis qu'à parler proprement,
l'homme n'est véritablement hom͂e,
je veux dire raisonnable, qu'autant
qu'il craint Dieu. Mais cette crainte
est encore le Tout de l'homme à un
autre égard. C'est sur elle que roulent
ses plus grands intérets. D'elle
que dépend tout son-heur.
O que
bien heureux est quiconque craint l'Eternel !
Ps. 128,
1.
Disoit dans cette vuë le Profete
Roial,
au Pseaume 128.
Puis donc, que cette crainte interesse
si fort le bon-heur de
l'homme, & qu'il est par conséquent
si dangereux, de se faire illusion là
dessus ; il semble que nous devrions
entrer dans un plus grand dêtail,
& vous en marquer des caractéres
plus précis : Mais la solennité
de ce jour demandant de nous des
réflexions particulieres, sur cette
grande circonstance. Je me contenterai
de vous dire, qu'un
homme qui craint Dieu, respecte
[par-]
par-tout son image, & particulierement
dans la Majestè des Souverains.
Craignez Dieu. Honnorez le
Roi.
Quoi qu'on puisse dire que S.
Pierre a voulu désigner par le titre
de Roi, generalement tous les Souverains,
il-y-a pourtant de l'aparence
qu'il avoit principalement
en vüe l'Empereur Romain, sous
la Domination duquel étoient les
Provinces, qu'habitoient les Fidéles
dispersès, ausquels il adresse son
Epistre. J'avouë que les Romains
ne donnoient pas alors le titre de
Roi à leurs Souverains. Ce nom
leur étoit trop odieux, depuis la tyrannie
de leurs premiers Rois ; &
sur-tout depuis le dernier qui les
* 564.
ans. depuis
Tarquin
le
Superbe
jusques â
Neron.
avoit gouvernès. Ils se souvenoient
encore, combien ce nom leur
avoit été funeste. L'espace de prés
de
*six Siecles n'en avoit peu éfacer
le souvenir ; & ils ne pouvoient encore
entendre sans horreur prononcer
[non-]
le nom de Roi. Les Empereurs
n'etoient pourtant pas
moins absolus, que l'avoient été les
Rois. Souvent leur domination
n'etoit pas moins cruelle & moins
tyrannique. Mais les Peuples, en
cela moins sensibles à leur état present
qu'a leur êtat passé, trouvoient
une espéce de consolation dans
leurs maux, à ne pas donner le titre
de Roi à ceux qui les leur faisoint
Soufrir. Mais ce titre, qui n'etoit
point receu parmi les Romains,
étoit le plus receu parmi les Juifs ;
du nombre desquels étoient, & les
Fidéles ausquels S. Pierre écrivoit,
& S. Pierre lui-même ; & c'est peut-
être la raison pourquoi l'Apostre
s'en sert plûtot que de celui d'Empereur.
Ajoutons une autre raison, qui
ne me paroit pas moins solide, que
celle-là. Le nom de Roi étoit odieux.
Celui à qui S. Pierre le donne,
étoit l'Empereur Néron, qui regnoit
[gnoit]
dans ce temps-là ; C'est-à-
dire, le Tyran le plus cruel qui fut
jamais ; un Monstre ; l'Horreur de
tout le Genre-Humain. Cependant,
dit l'Apotre, c'est ce Roi méme,
dont le regne est si cruel, la persoñe
si odieuse, que vous devés honnorer.
Pour apprendre aux Peuples,
qu'aucune raison ne les dispense
jamais, d'honnorer leurs Souverains :
parce-que, quoi que Dieu
les leur donne quelque-fois en sa
colére, c'est pourtant toùjours sa
main qui les leur donne. Ces remarques
suffisent, & pour la personne,
que, selon les aparences, S.
Pierre avoit principalement en
vüe ; & pour le titre qu'il lui donne.
Mais, comme nous l'avons dêja insinuè,
c'est pourtant ici, dans le
fonds, un précepte general, qui
comprend les devoirs de tous les
Peuples envers leurs Souverains.
Le premier de ces devoirs, c'est
le Respect. Il n'est rien de plus respectable
[spectable]
sur la Terre, que ces Personnes
Augustes, que la Providence
apelle au gouvernement
des Peuples, & qui, par leur êlevation,
sont des Images si expressives
de la Majesté du Dieu-vivant
· Ils
sont sur la Terre les Lieutenans
du Roi du Ciel ; les dépositaires de
sa Puissance, & de son Autorité.
C'est sa main divine, qui les a êlevés
au dessus des autres hommes,
& qui les a placés sur le trone.
C'est
Prov. 8,
15.
par moi que les Rois regnent, & que les
Princes administrent la Justice.
Mais disons encore, que cette
même main, qui a mis le Diadême
sur le front des Rois, a gravé en
même tems des caracteres de Majesté,
qui impriment le respect dans
les ames les plus farouches. N'est-
ce-pas cette Majestè, qui a quelquefois
dêconcertè les sélerats, les plus
dêterminés ; & qui a fait tomber
de leurs mains parricides, le fer qui
menaceoit la tête des Souverains ?
[De-]
De-sorte que l'on a peu dire de ces
Personnes Augustes, ce que l'Ecriture
dit de Dieu ; qu'un seul de
leurs regards a confondu leurs ennemis.
Les Peuples n'ont peu s'empecher
de reconnoitre, dans cette
Majesté des Princes, quelque chose
de divin : & Dieu lui-même, d'ailleurs
si jaloux de sa gloire, qu'il a
juré de ne la pas doñer a un autre,
leur en a pourtant communiqué
une portion si considerable ; qu'il
les honnore d'un nom, qui semble
Ps. 82,
6.
les élever au dessus de là condition
humaine.
J'ai dit, vous étes Dieux .
Quand on considere en effet, tant
de Peuples soûmis quelque-fois à
un seul septre ; tant de miliers
d'hommes, c'est-adire, de creatures
qui aiment naturellement l'
independence & la
libertè, subir
pourtant volontairement la domination
d'un seul homme, d'un
homme mortel comme eux ; ne
[diroit]
diroit-on pas, qu'il y a là dedans
quelque chose de plus qu'humain ?
Mais quand on voit ce même hom͂e,
sans sortir de son cabinet, faire
agir à sa volonté un nombre infini
d'autres hommes, gouverner de
vastes Etats, animer de nombreuses
armées ; il semble, en quelque
sorte, que l'on voit cet Etre Supréme,
qui meut tout sans se mouvoir.
Est-il rien de si capable de
nous inspirer du respect, & de la
veneration ?
Mais, comme nous avons dit de
la crainte de Dieu, qu'elle doit être
inseparable de l'amour ; il le faut
dire encore du respect, que l'on doit
aux Souverains. Un respect, sans amour,
est un caractere d'esclave,
qui ne marquant que la servitude
dans les Sujets, ne fait jamais beaucoup
d'hoñeur aux Maitres. J'avouë
qu'il y-a quelque-fois des Princes,
que leur conduite ne rend guere
aimables. Il semble même, que les
[pre-]
préceptes soient assés inutiles sur
ce sujet. Il ne dêpend pas toujours
de nous, d'aimer, ou de n'aimer pas.
Il faut, pour être aimé, qu'un objet
nous plaise ; & qu'il s'insinuè, presque
de lui-même, dans les cœurs.
Cela êtant, il semble que les maximes,
qui regardent l'amour que
l'on doit aux Souverains, devroient
être adressées aus Souverains eux-
mêmes, qui pour être aimés, doivent
se rendre aimables. Ce seroit
inutilement qu'on exhorteroit des
Sujets, à aimer un bon Prince : leur
cœur, pour le chérir, n'atend pas les
préceptes ; & les conseils. Et d'ailleurs,
je ne sçai s'il ne seroit pas êgalement
inutile, d'exhorter les
Peuples, à aimer des Tyrans, qui
semblent quelque fois n'avoir êté
mis à leur tête, que pour les desoler
& les détruire. Cependant, puis que
Dieu nous exhorte si souvent à l'amour
du Prochain ; il faut bien, que
ce mouvement ne soit pas entierement
[ment]
involontaire, & qu'il dépende
en même tems, & des qualités de
l'objet aimè, & des dispositions de
celui qui aime. Et d'ailleurs, s'il y-a
toujours, dans quelqu'homme que
ce soit, quelque chose que nous devons
aimer ; même dans les mèchans
& les persecuteurs, pour qui
l'Ecriture nous demande de l'amour :
on trouvera toujours, à plus-
forte raison, quelque chose d'aimable,
dans les Princes qui le paroissent
d'abord le moins ; ne fut-ce
que l'image de Dieu, qu'ils portent
d'une façon particuliere, la Gloire &
la Majesté, dont Dieu les a revétus.
Mais si l'on doit aimer tous les
Souverains, quelle que soit leur domination ;
quel amour ne doit-on
pas à ces bons Princes, dont la domination
est douce, qui n'emploïent
toute leur Grandeur & leur
Puissance qu'a rendre leurs Sujets
heureux ; ces veritables Abimélecs,
qui trouvent plus de gloire à être
[les]
les Peres des Peuples, qu'à être
leurs Souverains ? Quel amour ne
doit-on pas à ces Princes, qui toûjours
occupés du soin de leurs Etats,
moins tranquiles en cela,
moins heureux, si je l'óse dire, que
les moindres de leurs Sujets, donnent
leurs soins les plus assidus,
leurs plus precieux momens, à la
felicité des Peuples ; & semblables,
en quelque sorte, à cette Intelligence
Infinie, qui gouverne l'Univers,
veillent sur nous, tandis
qu'à la faveur de leurs Soins, nous
pouvons mener une vie douce &
tranquile ?
C'est cet amour reciproque des
Princes pour leurs Sujets, des Sujets
pour leurs Princes, qui fait leur
commun bonheur. Il n'est rien, que
des Sujets ne puissent esperer, d'un
Prince qui les aime ; rien qu'un
Prince ne puisse attendre des Sujets
dont il est chéri.
La Fidelité & l'obeïssance suivent
[neces-]
necessairement le Respect & l'Amour.
Les Sujets ne doivent jamais
manquer à l'un ni à l'autre de ces
devoirs· L'Infidelité & la perfidie
sont des crimes qui font horreur,
& dont il semble qu'on ne devroit
jamais trouver d'exemple parmi
les hom͂es : mais quels crimes sont-
ce, lors qu'ils se commettent contre
des Souverains, dont la condition
& le bonheur, interessent ordinairement
le bonheur, & la condition
de tant de miliers de Personnes ? De
tels crimes sont si horribles, & devant
les hom͂es, & devant Dieu, que
la justice divine n'atend presque jamais
à les punir, jusques aprés cette
vie ; & que, parmi ceux qui s'en sont
rendus coupables, on en a vû peu,
qui n'aient fait une fin tragique, &
qui, en laissant une memoire odieuse
à tous les hommes, n'aient laissé
sur leur Posterité une malediction
particuliere. Cela, joint à ce que
l'on doit craindre encore de cette
[Justice]
Juistce éxacte, qui rendant un jour
à chacun selon ses oeuvres, punira
les crimes à proportion de leur
grandeur, doit être profondement
gravè dans le cœur de tous les Sujets
en general ; mais, surtout, dans
le cœur des Ministres, à qui le Prince
est obligé de confier une partie
des soins de son Etat, & dont par
consquent, la fidelité est d'une si
grande importance.
Enfin, tous ces sentimens, de Respect,
d'Amour, de Fidelité, pour
nos Souverains, doivent paroitre
dans une obeïssance exacte, respectueuse,
agréable, aux ordres qu'ils
nous donnent : soit que ces ordres
regardent les Loix Generalles
de l'Etat : soit qu'ils nous regardent
en particulier ; soit, sur-tout,
dans ces grandes conjonctures, ou
le Souverain est obligé de deffendre
ses Peuples, contre des Puissances
Etrangeres. Comme il s'agit
êgalement alors, & de la gloire du
[Prince]
Prince, & du bien de l'Etat ; les Sujets
ne doivent pas êpargner leur
sang, & beaucoup moins encore
leurs biens. C'est alors qu'il faut
que les Souverains puissent dire, ce
* Elizabeth
Reine
d'Angl.
Cambdenus
Lib.
Hist.
que disoit une grande
*Reine : Mes
tresors sont entre les mains de mes
sujets ; & c'est là que je ne manque
jamais de les trouver dans le besoin.
De cette Obeïssance & cette Soumission
aux ordres du Souverain
dêpend le principal bonheur des
Peuples, la plus grande Seureté des
Etats : com͂e l'avoit tres-bien compris
un Roi de Sparte, à qui quelquun
ayant dit ; que son Etat êtoit
si florissant, parce que le Roi y sçavoit
bien commander ; dites plutot,
respondit-il, que c'est parce que
les Sujets sçavent bien obeïr.
Mais, cette obeïssance n'est pas
moins conforme aux Loix de la Religion,
que necessaire au bien de la
Societé. Rendez vous sujets à tout
[ ordre ]
ordre humain, pour l'amour de Dieu :
Soit au Roi, comme à celui qui est par
dessus les autres ; soit aux Gouverneurs,
comme a ceux qui sont envoiés par lui,
pour exercer vengeance sur les malfaiteurs,
& à la louange de ceux qui font
bien. Ce sont les paroles de l'Apotre
S. Pierre, deux ou trois versets
avant nôtre Texte. De cet ordre
general, le Saint Esprit descend
quelque fois jusques aux devoirs
particuliers, & jusques aux subsides
mêmes, que les Peuples doivent
Rom. 13,
7.
fournir.
Rendez, dit S. Paul, à
qui le tribut, le tribut ; à qui le péage,
le péage ; à qui la crainte, la crainte ;
à qui l'honneur, l'honneur. Le Fils
de Dieu, pendant les jours de sa
chair, a voulu se conformer lui-
même à un ordre si necessaire au
bien public : & si quelque fois, sa
pauvreté le mettoit hors d'êtat d'y
Matth.
17, 27.
satisfaire ; plûtot que d'y manquer,
il faisoit des miracles, en obligeant
des poissons à lui en fournir les
[moiens.]
moiens. De sorte que l'on voioit
alors, celui à qui la nature faisoit
hommage, & paioit le tribut ; faire
hommage lui-même, & paier le
tribut aux Puissances de la Terre.
Mais, avant que de finir, il est necessaire
que nous facions attention,
& à la liaison de ces deux Preceptes ;
Craignez Dieu. Honorez le Roi ; & à
l'ordre dans lequel S. Pierre les a
placés, & que nous devons leur
donner nous-mêmes, dans les devoirs
qu'ils nous prescrivent.
Je dis, MES FRERES, qui la liaison
de ce deux Preceptes est digne
de nôtre attention. Ils dêpendent
tellement l'un de l'autre, qu'ils ne
peuvent être separés. Il n'y a
point de véritable Crainte de Dieu,
où les Souverains ne sont point
Honnorés ; & les Souverains ne
sçauroient être véritablement
Honnorés, où il n'y a point point de
Crainte de Dieu. C'est cette
Crainte, qui fait êgalement, & le
[bon-]
bonheur des Rois, & la felicité
des Peuples ; parce qu'elle leur inspire
êgalement leurs devoirs. Que
n'auroient pas à craindre les Peuples,
du pouvoir qui rend les Rois
les Arbitres de leur sort & de leur
vie, si ce pouvoir n'êtoit reglé par
la Crainte de Dieu ? Que n'auroient
pas à craindre les Rois, de l'inquietude
& de la legereté des
Peuples, si la Crainte de Dieu ne
les retenoit dans leur devoir. Il
n'est rien de plus terrible, que les
maux qui ont desolé le Genre-Humain,
lors que Dieu, dans sa colére,
a ôté cette digue du cœur
des uns ou des autres : mais lors
que les uns & les autres en ont êtè
animès, rien n'a êté capable de
troubler leur commune felicité.
J'ai dit encore, que l'ordre que
S. Pierre à observé, en nous donnant
ces deux Preceptes, est digne
de Remarque. La Crainte de Dieu
y precede l'Honneur que lon d oit
[aux]
aux Rois ; non seulement, parce
que, comme nous l'avons dêja insinuè,
la Crainte de Dieu est le vrai
Principe de cet Honneur : mais surtout,
parce que, ce que l'on doit
aux Souverains doit toûjours ceder
à ce que l'on doit à Dieu, qui est
également le Roi, & des Peuples.
& des Rois de la Terre.
Je n'insiste pas d'avantage, Chrêtiens,
sur ce que les Sujets doivent
à leur Souverain. Vous le sentés
vous-mêmes, vous le pratiqués
si exactement, que bien loin
quil soit necessaire de vous adresser
des exhortations là-dessus,
votre exemple peut servir d'instruction
à tous les autres Peuples.
Je suis même persuadé, que ce que
nous venons de vous dire ne repond
pas assés a vos sentimens ; &
que trouvant en vous bien des
mouvemens, pratiquant tous les
jours envers votre Souverain bien
des devoirs, dans le dêtail desquels
[quels]
nous n'avons peu nous engager ;
vous avés trouvè en cela
notre Predication deffectueuse.
Nous n'avons donc qu'à vous exhorter,
à suivrer les mouvemens
de votre cœur, à pratiquer ce que
vous sentés. Si jamais sentimens
ne furent plus beaux ; si jamais devoirs
ne furent mieux pratiqués ;
il n'en fut jamais de plus justes. Si
jamais il n'y eut Souverain plus respecté,
plus chéri, mieux servi de
ses Peuples ; il n'en fut jamais, dont
la Domination fut plus douce,
dont les Peuples aient êté plus heureux.
Peuples, qui avès eu le bonheur
de naître sous cette Domination ;
qui, accoutumès à être toujours
heureux, n'avès jamais êprouvè
le sort des autres Peuples ; comparez
quelque fois votre condition
a la leur ; & vous trouverés, que
quand votre respect pour votre
Souverain, votre amour, votre
[soû-]
soûmission, votre fidelitè, surpasseroient
le respect, l'amour, la fidelité
de tous les Peuples de la Terre ;
vous ne feriés, que ce qu'on ne
sçauroit refuser, au meilleur Prince
qui fut jamais.
Et vous, MES FRERES, qui êtes
nés sous une autre Domination ;
comparez votre condition presente
à votre condition premiere ;
& jugez, si vous auriés jamais crû,
que l'on peût être sujet, & être en
même tems aussi heureux que
vous l'êtes. Pour vous faire comprendre
toute l'étenduë de votre
bonheur, je ne vous dirai pas ; que
le Ciel, aprés vous avoir fait sortir
de la Domination d'un Roi, vous
donne encore un Roi aujourdhuy.
Ce seroit, peutêtre, plutot capable
de vous alarmer ; que de vous consoler.
Mais nous vous dirons, que
ce Nom de Roi, qui êtoit autrefois
un Nom si terrible pour vous ; qui
vous anonçoit, presque toujours,
[quel-]
quelque chose de funeste ; ce Nom,
dont vos Persecuteurs autorisoient
toujours les maux qu'ils vous faisoient
souffrir ; ce Nom, que l'on
voioit toûjours à la tête de ces Arrets
que l'on prononçoit contre
votre Liberté, votre Conscience,
votre Vie ; ce Nom, en un mot, qui
peutêtre faisoit sur vous l'impression,
que nous vous avons dit qu'il
faisoit sur les Anciens Romains ; ce
Nom sera desormais pour vous un
Nom de consolation ; il ne vous inspirera
que de la joïe, parce qu'il
vous annoncera toujours quelque
bonheur.
Quel Respect, quel Amour,
quelle Soûmission, quelle Fidelitè
n'a-ton pas lieu d'attendre de vous ?
Ces devoirs, auquels rien n'a jamais
êté capable de vous faire manquer ;
ni la Severité du Gouvernement,
ni tout ce que vous avés souffert,
soit à lêgard de vos Biens, soit dans
votre Liberté, soit par raport à
[votre]
vôtre Conscience ; & tout cela,
contre les Loix les plus inviolables,
& les Sermens les plus solennels ;
cette Fidelité, que rien n'a jamais
êtè capable d'ébranler, & à laquelle
vos Ennemis mêmes ont êté forcès
de rendre justice, sera surtout desormais
en exemple à tout les autres Peuples.
Enfin, MES FRERES, ayant à cœur,
comme nous le devons, la gloire &
la Grandeur de notre Monarque ;
souvenons nous que, quelque-petits
que nous soions, nous pouvons
y contribuer en quelque maniere.
La Benediction, que Dieu rêpan sur
les Princes & sur les Etats, dêpend
fort de la maniere dont vivent les
Peuples. Tachons donc, par une
vie sainte, une conduite Chretieñe,
une pieté semblable à celle de nôtre
Auguste Souverain, d'attirer sur sa
Personne Sacrée, & sur toute la
Maison Roialle, la Benediction Divine ;
Faisons sans-cesse, pour cela,
[des]
des prieres, & des voeux ardens !
J'exhorte, avant toutes choses, dit Saint
2. Tim.
2, 1. 2.
Paul à Timothée, que l'on face des prieres,
des supplications, & des actions-de-graces,
pour les Rois, & pour tous ceux
qui sont constitués en dignité. Faisons-
en, MES FRERES, pour notre Auguste
Monarque. Prions le Seigneur,
qu'il continuë a repandre sur sa Personne
les Biens les plus précieux de
la Terre, & du Ciel ! Qu'il affermisse
son Trone sur la Justice !
Quil en
soit, en quelque maniére, de son
Septre, comme de celui de Juda,
qui devoit subsister jusques à la venüe
du Redempteur ! Que celui de
Sa Majesté subsiste jusques à cette
Grande Venuë du Seigneur, qui
doit terminer les Siecles, & être
ègalement,
pour les Souverains, &
pour les Sujets, qui auront bien
rempli leurs devoirs pendant cette
vie, le com͂encement d'un Regne
Eternel, & d'une
Felicitè parfaite ! Amen.
Fin.