SERMON
SUR
S. JAQUES, CHAP. IV. ꝟ. 3.
Vous demandez & vous ne recevez point,
parce que vous demandez mal .
IL n'y a point d'exercice de pieté,
qui soit plus important, plus
utile , plus nécessaire , plus agréable
& plus glorieux au Fidéle,
que la priére, qui est le commerce de notre
ame avec Dieu. Mais il n'y en a peut - être
aucun, dont les hommes s'aquitent avec
plus de négligence, & de froideur. C'est la
priére qui nous ouvre les tresors de Dieu,
qui attire sur nous ses plus rares faveurs, &
qui arréte ses plus terribles jugemens. C'est
par elle que Jacob fut vainqueur de Dieu
même; que Moïse triompha des Amalekites;
que Josué arréta le Soleil; qu'Elie fit tomber
de la pluie, après une tres - longue sécheresse ;
[se ; que]
que Jonas fut miraculeusement conservé
dans le poisson , qui l'avoit englouti; que
Daniel ferma la gueule des Lions, & que ses
compagnons éteignirent la force du feu. C'est
à la priére que le peuple de Dieu doit toutes
ses victoires. C'est l'Oracle des Chrêtiens
dans leurs doutes, leur sureté dans les dangers,
& c'est par elle qu'ils triomphent toujours
de leurs ennemis. C'est par la priére,
que nôtre ame se purifie, qu'elle se détache
de la terre, & qu'elle s'éléve dans le Ciel, que
la verité se découvre, que la foi devient plus
éclairée, que l'esperance se fortifie , & que
la charité se nourrit. Que ne fait-elle point?
Certainement il n'y a rien d'impossible à la
priére, non plus qu'à la foi. Mais il ne faut
pas croire que toutes sortes de priéres produisent
ces merveilleux effets. Tous ceux
qui prient, mais dont les oraisons n'ont point
les conditions que Dieu exige, ne doivent
rien attendre de ce souverain Autheur de tout
bien; Aussi il ne faut pas s'étonner, s'il y a tant
de gens dans le monde, qui ne sont point
du-tout exaucez, c'est parce qu'ils ne prient
point comme il faut.
Vous demandez, nous dit S. Jaques, mais
vous ne recevez pas, parce que vous demandez
mal .
C'est là le défaut de la plus grande partie
[des]
des Chrêtiens , & c'est un défaut qu'on ne
peut assez condamner. Si nous savions bien
tous l'art de prier , ou plutôt si nous priions
Dieu, comme sa parole nous ordonne de l'invoquer ,
nous serions les plus heureux de tous
les hommes, & nous serions toujours contens;
nous passerions la plus grande partie de notre
vie à nous entretenir avec Dieu, nous
vivrions comme des gens , qui sont toujours
avec le plus saint de tous les Etres ; rien ne
troubleroit la tranquillité de notre vie , rien
ne seroit capable de nous éfrayer, nous obtiendrions
tout ce que nous voudrions, parce
que nous ne voudrions rien, que ce que
Dieu veut, nous trouverions toujours celui
que nous cherchons, & nous recevrions ce
que nous demanderions. Mais helas ! nous
demandons , & nous ne recevons pas,parce que
nous demandons mal .
J'ay dessein aujourdhui de vous découvrir
les défauts que j'ay remarqués, soit dans nos
priéres particulieres, soit dans nos priéres
publiques. Dans ce dessein je vous ferai voir
après S. Jaques.
1. Que nous demandons mal .
2. Que c'est la grande cause, que nous ne
recevons pas ce que nous demandons.
S. Jaques avoit censuré ceux auxquels il
écrit, de ce qu'il y avoit parmi eux tant de
[dispu-]
disputes, & de contestations , & il leur en
avoit marqué la source ; D'où viennent les
combats, & les querelles entre vous? N'est-ce point
de vos voluptez, qui font la guerre dans vos
membres? Vous étes pleins de desirs , & vous n'avez
point ce que vous desirez ; vous étes envieux,
& jaloux, & vous ne pouvez obtenir. Vous-vous
querellez, & vous combatez les uns contre les
autres , & vous n'avez point , ce que vous tachez
d'avoir, parce que vous ne le demandez point ; ou
si vous demandez , vous ne recevez point , parce
que vous demandez mal .
Il paroit de son discours, qu'il y en avoit
parmi ceux auxquels il écrit, qui ne prioient
point , ou qui prioient mal. Ces mauvais
Chrêtiens n'ont eu que trop de sectateurs ; &
plût à Dieu , que nous fussions exempts des
défauts, que ce S. Apôtre reprenoit dans ceux
qui vivoient de son tems.
Tachons de nous en corriger , & accordez-
nous pour cet éfet une religieuse attention.
Il y a quelques jours que nous nous humiliâmes
extrordinairement devant Dieu, &
que nous lui promîmes de nous convertir.
Pour nous aquiter de nos promesses , il faut
demander à Dieu son Esprit qui nous convertisse,
mais il faut le demander d'une maniére,
qui engage Dieu à nous exaucer. Apprenons
donc tous à prier. Venez, Chrêtiens,
je vous enseignerai le vrai moien d'obtenir
[de]
de Dieu tout ce qui peut vous rendre heureux;
Seigneur, enseigne nous à tous à te
prier, AMEN.
PREMIER POINT.
Je ne saurois croire qu'il y ait des gens
parmi nous, qui ne prient point Dieu; Comment
pourrois-je soupçonner, que des Chrêtiens
ne fissent point ce que faisoient les Payens
mêmes? car si vous en exceptez quelques
profanes, comme étoit ce Capitaine Grec,
qui disoit, que c'étoit aux ames lâches à implorer
le secours de la Divinité , il est certain,
que les Payens étoient fort exacts à prier leurs
faux Dieux. On disoit de Socrate, que sa vie
étoit une continuelle oraison, & l'on raportoit
du fameux Scipion , qu'il ne faisoit, &
n'entreprenoit jamais rien, qu'il ne montât au
Capitole. Comment pourrois-je me persuader,
que des Chrêtiens qui sentent tous les
jours leur misère , & leur indigence , qui se
voient exposez à mille perils, qui ont besoin
d'être secourus dans une infinité d'occasions,
& qui entendent continuellement retentir à
leurs oreilles le commandement de prier
Dieu, ne voulussent point pratiquer cet exercice
de pieté?
Comme je veux suposer , qu'il n'y en a
point de tels , & que je ne pense pas qu'il y
[ait]
personne parmi nous , qui soit dans le
sentiment de cet heretique,dont parle
Clement
d'Alexandrie , qui croioit , qu'il ne faloit pas
prier ; Je ne veux pas m'étendre à vous prouver
la necessité de la priére, & à vous faire
bien comprendre , que Dieu veut absolument
que nous l'invoquions , & que c'est
l'hommage, & le sacrifice qui lui est le plus
agréable , parce que c'est par la
priére que
nous reconnoissons notre dépendance & son
empire, notre indigence, & ses richesses,notre
néant & sa grandeur,notre foiblesse & sa puissance,
la petitesse de nos lumieres,& son infinie
sagesse, notre corruption, & sa misericorde.
Mais s'il n'y a peut-étre personne, comme
je le veux croire , qui soit assez malheureux
pour ne prier point Dieu, on ne sauroit nier,
qu'il n'y en ait une infinité , qui le prient tres
mal.
Examinons les défauts de nos priéres, &
de ceux qui prient.
Le 1. défaut est, qu'on ne se prépare point
à la priére. Lors qu'on a à se presenter devant
un Prince, on étudie toutes ses démarches ,
on pense à ce qu'on lui doit dire , on
tache de se mettre dans un état, qui soit agréable
à celui à qui on veut parler, on médite
toutes ses expressions, afin qu'il n'y en
ait aucune qui puisse lui déplaire: Mais on
ne se prépare point, lors qu'on a à paroitre
[devant]
devant Dieu , devant cet Etre suprême , au
prix duquel tous les plus grands Rois, &
toutes les créatures ne sont rien; Quand on
se léve, & qu'on a encore les yeux, & l'esprit
apesantis par le sommeil, on prononce quelques
paroles, qu'on a aprises dès son enfance,
& on apelle cela prier Dieu ; ou lors
qu'on a passé toute la journée dans la débauche,
ou dans le jeu , à dire une infinité de
bagatelles, & souvent des impietez, quand
on est sur le point de se mettre au lit, on va
reciter ses oraisons ; on veut passer tout d'un
coup du monde à Dieu, & on s'imagine,que
notre ame puisse dans un instant, prendre
son vol jusques au Ciel; au lieu qu'il est certain,
qu'elle a besoin de s'élever peu à peu sur
les ailes de la méditation, s'il m'est permis
de m'exprimer ainsi.
C'est là le premier défaut, qui est d'autant
plus considerable, que ce défaut est peut-être
la cause de tous les autres , & que nous faisons
voir par là, que nous estimons plus les
Grands du monde que le Roi des Rois.
Et qu'on ne me dise pas, que l'on se prépare,
lors qu'on paroit devant les Souverains,
parce que, comme ils ne conoissent pas les
cœurs, la moindre irregularité, ou une expression
peu respectueuse pourroit les choquer ;
mais que Dieu , qui est le scrutateur
des cœurs & des reins ne demande, ni des
[pensées]
pensées choisies, ni des expressions étudiées.
Car quand nous parlons de nous préparer
devant Dieu, nous n'entendons pas qu'il
faille méditer des discours éloquens, pour
plaire à la Divinité, ou nous revêtir proprement,
comme on fait devant les Rois du
monde, nous entendons par se préparer, se
mettre dans un état d'humilité, exciter son
zéle & sa pieté, & faire d'autres choses, que
nous vous dirons dans son lieu.
Le 2. défaut, c'est qu'on ne pense point à
celui devant qui l'on doit se présenter , savoir,
le Dieu de l'Univers, le Créateur & le
Maitre du monde, le Roi des Anges & des
hommes , celui par qui nous subsistons, sans
qui nous ne serions point, & qui nous doit
juger un jour ; qui peut nous rendre , ou
éternellement heureux, ou éternellement
malheureux. Nous ne faisons point cette réflexion,
ni lors que nous venons dans ce
saint Temple , pour lui rendre nos hommages,
ni lors que nous le prions en particulier,
& c'est là une des grandes causes de
notre indévotion, nous ne sommes point
saisis , comme nous devrions l'étre , d'une
sainte fraieur, à l'approche de celui devant qui
les Anges & les Seraphins couvrent leurs
faces. C'est là notre second défaut.
Le 3. défaut est, que nous ne faisons aucune
réflexion sur l'honneur que Dieu nous
[fait]
fait de permettre, que nous lui exposions
nos demandes , nous qui ne sommes que des
étres finis, nous poudre & cendre, nous vermisseaux
de terre, nous miserables créatures,
nous pécheurs & tres-criminels, nous
dignes des peines éternelles. Si nous avions
autant de liberté de parler aux Grands de la
terre,& d'entrer dans leurs cabinets, que nous
en avons par rapport à Dieu , nous ne pourrions
pas assez nous récrier sur l'honneur
que nous recevrions, & nous serions même
surpris, qu'il y eût quelque Mardochée qui
ne voulût pas fléchir le genou devant nous,
comme le vouloit l'orgueilleux Aman: Cependant
nous ne pensons pas seulement à
l'honneur infini que Dieu nous fait, de vouloir
que nous aions un commerce familier
avec lui , que nous déchargions dans son
sein nos priéres, & nos soucis, & que nous
entrions, quand il nous plait, dans son Sanctuaire,
O stupidité criminelle !
4. Nous ne pensons pas non plus à notre
misére, & à nôtre indigence, & c'est là
un quatriéme défaut. Nous ne disons point
à nous-mêmes, avant que prier, ce que nous
nous devrions dire, ou nous le disons bien
foiblement, que nous ne sommes rien de
nous-mêmes, que nous ne pouvons rien ,
non pas même avoir une seule bonne pensée,
que sans la benediction de Dieu aucun
[de nos]
de nos desseins ne sauroit réüssir, que sans sa
lumiere nous ne sommes que ténébres , &
sans sa grace, que corruption; que s'il ne nous
pardonnoit nos péchez, nous n'aurions à
attendre que la condamnation & la mort
éternelle ; que s'il ne nous conduisoit nous
nous égarerions sans-cesse, & nous tomberions
de précipice en précipice ; que s'il ne nous
soutenoit, & que si sa vertu ne s'accomplissoit
soit dans nos foiblesses, nous ne saurions
manquer de succomber aux moindres tentations.
Nous ne nous disons pas que nous
sommes environnez d'une infinité d'ennemis,
cruels, fins, infatigables, & tres-puissans ,
& que par la priére nous pouvons
obtenir tout ce qui nous est nécessaire. Ha
que ces réflexions sont nécessaires pour bien
prier! mais nous ne les faisons pas, & c'est
ce qui fait que nous demandons mal .
5. Un cinquiéme défaut, c'est que nous ne
nous faison pas , pour la plus-part , un
plaisir de prier Dieu ; il paroit que l'on
prie Dieu par une certaine habitude, qu'on
s'est faite dès son enfance de prier le soir
& le matin ; on regarde cela comme une
tâche qui nous est imposée , & on se sent
déchargé d'un petit fardeau, quand on a
ainsi prié Dieu ; ce qui fait voir que la pluspart
n'ont aucune pieté; car si nous en avions,
& si nous aimions Dieu , autant
[que]
que nous faisons profession de l'aimer, nous
aurions de saints transports de venir nous
entretenir avec Dieu. Quel plaisir n'a-t-on
pas de parler à la personne qu'on aime?
nous aurions autant de passion de nous aller
renfermer dans notre cabinet , que David
en avoit d'aller dans le tabernacle;
mon cœur,
disoit-il, languit, mes sens ravis ne respirent
que tes parvis ; Comme le cerf alteré brame
après les eaux courantes , nous aurions toujours
soif de Dieu;nous aurions pour le moins
autant d'empressement d'aller nous entretenir
avec notre Pere celeste, qu'en a un avare
de conter ses tresors, & un courtisan de voir
son Prince, & de recevoir de lui des faveurs
considerables. On nous verroit revenir de
ce saint exercice , & sortir de nos cabinets ,
avec un visage rayonnant, comme
Moïse,
lors qu'il revint de la montagne: mais on ne
remarque pas ces mouvemens en nous ; aussi
il est certain que nous prions rarement ;
On croit avoir prié beaucoup quand on a
prié une fois, le matin & le soir, & pour le
reste de la journée on n'y pense pas.
David chantoit 7. fois le jour les loüanges de Dieu.
Les premiers Chrêtiens prioient jusques à 6.
fois, comme nous l'apprenons d'un livre qui
porte , quoi que mal à propos, le titre de
Constitutions Apostoliques , & de
Saint Chrysostome
sur le Psaume 119.
Tertullien fait mention
[de] de trois heures que l'Eglise destinoit à la priére,
&
S. Cyprien explique la raison de ces 3.
heures; ces heures étoient neuf heures du
matin , midi & 3. heures aprés midi. Les
infidéles, comme font les
Turcs, prient 5. fois;
& combien de fois ne prient pas les superstitieux?
Il est vrai, que je ne fai pas consister
la pieté dans le nombre des priéres : mais
il est certain que nous faisons voir que nous
n'aimons pas Dieu, en le priant si rarement;
au moins si dans ces deux , ou trois fois
que nous nous présentons devant Dieu, nous
l'invoquions comme nous devrions ; mais
nous ne le faisons pas, comme nous l'avons
déja vû, & comme nous le verrons encore.
Le 6.
défaut est, que nous ne demandons
jamais à Dieu l'Esprit de priére & de supplication.
On diroit , que de nous-mêmes nous
savons prier, cependant S. Paul au
chap.
VIII. de l'Epitre aux Romains,
nous dit,qu'il
faut que le Saint Esprit soulage de sa part nos
foiblesses, & qu'il fasse requête pour nous, par des
soupirs inénarrables , parce que nous ne savons
point ce que nous devons prier , &
comme il appartient. Quand nous voulons
prier, les soucis du monde, nos passions, &
mille autres choses nous agitent; qui est-ce qui
peut mieux dissiper ces soucis, & mieux
domter nos passions que le Saint Esprit ?
Comme il fait les choses profondes de Dieu,
[il n'y]
il n'y a personne qui puisse mieux nous instruire
de ce qui lui est agreable. Il y a longtems
qu'on nous réprésente cette verité,
mais nous l'oublions: ainsi nous ne demandons
point l'Esprit de priére, & ne l'aians
point , nous demandons mal. Vous demandez,
& vous ne recevez pas, parce que vous
demandez mal .
Voila les dix défauts generaux de ceux
qui prient. Il y a plusieurs défauts particuliers
dans nos priéres. Nous prions sans respect,
sans humilité, sans attention, avec froideur,
sa foi; nous ne prions point d'un cœur pur ,
nous ne prions point comme il faut au nom
de Iesus-Christ, nous ne prions point avec perseverance.
Examinons ces choses en détail.
1. Je dis que nous prions sans respect. Je
ne croi pas qu'il soit nécessaire de vous le
prouver ; on n'a qu'à voir comment nous
prions Dieu, soit dans les Temples , soit
dans les maisons particulieres , soit le matin,
ou le soir , que nous avons accoutumé de faire
nos priéres , soit à l'éntrée, & à la fin de
nos repas. Oserions-nous parler à nos Souverains
comme nous parlons à Dieu ? On n'a
qu'à voir la posture en laquelle plusieurs prient,
dans le Temple ; n'avons-nous pas la
douleur de voir dans la priére, des gens qui
rient , qui parlent , & qui peut-être se moquent
des autres? Je ne sai pas si on peut
[pousser]
pousser plus loin l'insolence. On n'a qu'à
voir la maniére en laquelle on fait prier les
enfans; Tandis qu'un Pére, ou une Mére
sont occupés à d'autres choses , on commande
à des enfans de prier ; & ces enfans, qui
voiant que leurs Péres, ou leurs Méres n'ont
pas plus de respect pour Dieu , prient aussi
eux-mêmes sans respect , & ces défauts se
perpetuent avec l'âge , au lieu que dés qu'il
s'agit de prier Dieu , on devroit tous étre
dans un profond respect, à l'exemple des Anges
qui adorent le Vivant aux siécles des siécles.
Que ce défaut est grand! N'avoir point
de respect pour le premier de tous les Etres,
pour cet être qui a le ciel pour son throne,
& la terre pour son marchepied, & qui a
fondé l'un & l'autre par sa parole. On a un
souverain respect pour des mortels, lors
qu'on les voit élevez dans quelque dignité,
& sur-tout sur un throne, environnez de
gardes, & on n'en a point pour celui par
qui les Rois régnent, & les Princes administrent
la justice , pour celui qui dispose des
couronnes , & des diadëmes , & de ceux qui
les portent, Quel déréglement!
2. Nous ne prions point aussi avec humilité;
On diroit , que nous sommes quelque
chose devant Dieu , quand on voit avec
quel orgueil nous paroissons en sa presence.
Nous ne considerons pas que nous sommes
[de]
de pauvres mendians, & que notre vie dépend
de Dieu. Ouï, riches, bien que vous ayez
beaucoup de biens , ce qui enfle souvent votre
cœur, vous étes pourtant des mendians
devant Dieu , il dépend de Dieu de vous
reduire à la derniere misère, & sans Dieu
toutes vos richesses ne vous seroient d'aucun
usage ; sans lui le pain & les viandes delicates,
que vous mangez, ne vous nourriroient
pas, & toutes vos richesses ne sauroient
vous garentir d'une maladie, & de la mort:
Les Grands de la terre jugent de ce qu'ils
font devant Dieu, par ce qu'ils font devant
les hommes : cependant il est certain que
leur élevation , leur authorité, & leur puissance
n'empéchent pas qu'ils ne soient eux
mêmes de pauvres mendians; Ils ne tiennent
le haut rang qu'ils occupent, que de
la liberalité de Dieu, qui peut en un moment,
les en faire descendre : Nous ne considerons
pas encore , que nous sommes des
criminels, & des criminels qui meritent la
mort , nous nous présentons devant Dieu,
comme si nous étions innocens & saints , &
comme si Dieu étoit obligé de nous écouter,
& de nous exaucer : nous serions fort
indignez qu'un criminel condamné à la mort
nous demandât sa grace avec insolence, &
nous demandons, avec un orgueil insuportable,
à Dieu le pardon de nos péchez. Ha!
[se peut]
se peut-il que la poudre s'égale, en quelque
façon , au Dieu de l'Univers? que de pauvres
créatures ne reconnoissent pas ce qu'elles
font devant leur Créateur , que des criminels
dignes des plus grands supplices osent
parler insolemment à leur Juge?
3. Nous prions Dieu sans attention , La
plus-part roulent leur priere sur leur langue,
comme un torrent ; on recite les priéres
qu'on a aprises , comme des perroquets , &
souvent nous les achevons sans nous être
bien aperçûs que nous les avons commencées:
Peut-on se moquer plus ouvertement
de Dieu, que de lui parler , sans penser à ce
qu'on lui dit? & se peut-il que des créatures ,
qui n'ont rien , que de la bonté de leur
Créateur , lui demandent des graces desquelles
dépend leur bonheur , sans aucune aplication?
Nous blâmons ceux de l'Eglise Romaine ,
qui recitent leurs chapelets, & leurs litanies
&c. sans savoir ce qu'ils disent, &
nous les imitons ; car il vaudroit autant que
nous parlassions une langue qui nous fût inconnuë.
Nous sommes donc beaucoup plus
blâmables qu'eux. Ces pauvres gens croyent ,
que pourvû qu'ils débitent leurs prieres Latines,
cest-assez , quoy qu'ils ne les entendent
pas : mais nous savons certainement , que
nous offensons Dieu en priant de cette maniére
[niére.]
Combien de gens, qui, dans les Temples,
chantent des Psaumes qui sont de veritables
priéres , sans sçavoir ce qu'ils chantent?
Combien qui se lévent pour prier ,
& qui n'écoutent point ce qu'on dit ; qui
tournent leurs yeux de tous côtez pour regarder ,
& pour voir si on les regarde ?
Comment apellerons-nous cela ? c'est faire
semblant de prier Dieu , & ne penser qu'au
monde, quelle impieté!
4. Il y en a, qui ne prient pas tout-à-fait
sans attention, mais ils ont des distractions
infinies, je ne parle pas de ceux qui en ont,
malgré eux, & qui tachent de les dissiper,
je parle de ceux qui entretiennent leurs distractions,
& qui s'y laissent aller sans peine :
certainement ce défaut est plus grand qu'on
ne pense. Et qu'on ne me dise pas , que l'on
ne peut fixer son esprit ; c'est une erreur. Si
nous avions à nous présenter devant un
Prince pour défendre notre vie , nous y
penserions si bien , que nous ne penserions
à autre chose ; & il n'y a point d'homme qui
aiant une affaire importante , & qui lui tient
au cœur , ait ces égaremens d'imaginations.
Ainsi ces distractions volontaires marquent,
que nous n'avons point de respect pour Dieu,
& que nous n'avons pas trop à cœur notre
salut. Quand nous avons à nous presenter
devant Dieu, nous ne sçavons point renvoyer
[voyer]
nos affaires , & nos soucis ; nous voudrions
penser à Dieu & au monde en même
tems ; c'est comme si nous voulions regarder
le ciel, en même tems, du même œil que
nous regardons la terre ; nous ne savons
point fermer la porte de notre cabinet au
monde, nous y laissons entrer toutes les
pensées mondaines , tous les obiets de vanité,
ce qui fait bien voir que le monde ne
nous est pas crucifié.
5. Il y en a, qui n'ont pas ces distractions,
ou qui en ont peu, & qui prient avec attention;
mais en quoi consiste leur attention ?
c'est quand ils sont au Temple , à suivre le
Ministre qui prie, & la priére qu'on lit, & ils
la savent souvent par cœur : mais ils écouteroient
avec une même attention , ou une
histoire qu'on leur reciteroit , ou une autre
chose qui leur seroit indifferente , ou de
beaux vers qu'ils voudroient aprendre ; Ces
gens-là ne pensent pas qu'ils demandent à
Dieu des graces , qui leur sont d'une absoluë
necessité, & que sans ces graces ils ne sauroient
être heureux; & ils ne sentent pas
trop leurs besoins. Ce défaut est d'autant
plus grand,que peu de gens s'en aperçoivent.
Je suis persuadé , que si on demandoit à
un homme , qui sort de la priere , & qui
a suivi le Pasteur , en recitant après luy les
mots que le Pasteur prononce , quoy qu'il
[n'ait]
n'ait pas trop fait de réflexions sur ce qu'il
demande à Dieu; si dis-je, on lui demandoit,
s'il a bien prié Dieu , il ne manqueroit pas
de dire , qu'il croit l'avoir fait, & il seroit
fort content de sa dévotion : cependant ce
pauvre homme s'abuse miserablement. Il n'a
pas prié Dieu, mais il a recité une priére,
dont il a entendu les termes.
6. La froideur avec laquelle nous prions
est un grand défaut. Certainement si nous
demandions à un homme une faveur , aussi
froidement que nous demandons des graces
à Dieu , il ne se persuaderoit jamais que
nous eussions veritablement besoin de ce que
nous lui demandons ; & c'est pourtant avec
cette froideur, que nous recherchons les biens
du ciel; ce qui prouve clairement, ou que
nous ne nous soucions pas trop de ces biens
celestes, que nous n'en concevons pas l'excellence ,
ni le malheur qu'il y a d'en être
privez , ou que nous nous flatons que Dieu
nous les donnera, de quelque maniere que
nous l'invoquions, & cela fait que nous ne
les obtenons pas, Vous demandez, mais vous
ne recevez pas , parce que vous demandez
mal .
Quoi! se peut-il qu'un malade demande
avec tant d'ardeur la guerison de son corps,
à un homme , qu'il croit le pouvoir guerir ;
qu'un pauvre miserable , qui n'a pas de quoi
[sou-]
soutenir sa vie, demande du pain avec tant
d'instance ; qu'un coupable condamné au gibet
implore sa grace, avec de si grands transports ,
& que nous demandions froidement
le pardon de nos péchez, l'illumination
de nos entendemens , la sanctification
de nos cœurs , la consolation de nos
ames , la paix de nos consciences , la Foi,
l'Esperance & les autres vertus , des biens
éternels , la felicité?Ha que ce défaut est criminel!
7. Il y a des gens, qui semblent prier Dieu
avec chaleur ; ce sont des gens qui échaufent
ordinairement leur imagination, qui, quand
il leur arrive quelque disgrace sont extraordinairement
éloquens dans leurs douleurs,
qui ont alors des élevations admirables ;
il semble que leur cœur brule, & dans ce
moment ces gens poussent des priéres fort
vehementes: mais helas ! ce n'est que leur
imagination qui est échaufé, par la douleur,
& non leur cœur proprement qui prié;
ils ne peuvent pas le reconnoitre lors qu'ils
sont ainsi échauffez; mais dès que la douleur
est passée,leurs priéres sont aussi froides
qu'auparavant ; ce qui prouve que l'ardeur
qu'elles avoient auparavant, n'est pas celle avec
laquelle il faut prier.
8. Il y a un défaut qui n'est pas moins
grand que les précedens , c'est que nous
[ne]
ne prions pas avec foy , & avec confiance.
On ne sauroit douter , que ce ne soit un
grand défaut , après avoir ouï Saint Jaques ;
si quelcun a besoin de sagesse , qu'il la
demande à Dieu, qui la donne à tous benignement ;
mais qu'il la demande en foy , ne
doutant nullement ; car celui qui doute est semblable
au flot de la mer agité du vent. Que cet
homme-là ne s'attende pas de rien recevoir du
Seigneur . La verité est que nous n'avons
presque point de confiance en Dieu. Quand
nous demandons à un ami, à un protecteur,
à un homme genereux & honête, quelque
faveur , nous ne doutons pas , qu'il ne nous
l'accorde , & cependant nous sçavons , que
ceux à qui nous nous adressons sont des
hommes , & par consequent des gens qui
peuvent changer à nôtre égard,qui sont naturellement
inconstans , qui peuvent avoir des
raisons de nous refuser ce que nous leur demandons,
& qui souvent n'ont pas le pouvoir
de faire ce que nous voudrions. Et nous n'avons
point de confiance en Dieu,qui peut tout,
qui est nôtre Pére, & qui nous a donné son
fils ; car que peut-il refuser , qui nous soit
veritablement salutaire , après ce don inestimable ?
Ce défaut de confiance est cause ,
que nous ne nous adressons presque jamais
à Dieu qu'à l'extrémité , nous cherchons
toutes les autres voyes pour obtenir ce que
[nous]
nous desirons, & quand nous n'en trouvons
plus, nous allons à Dieu, parce que nous
ne sçavons plus que faire; au lieu qu'il faudroit
toûjours commencer par luy. Quand
quelcun est malade , il apelle plûtôt son Medecin
à son aide , que Dieu à son secours ;
mais quand on est bien mal & que les Medecins
font plus craindre qu'esperer , on apelle
tous les Ministres , & encore ne conte-
t-on pas beaucoup sur leurs priéres ; car si
l'on guerit , on prêche plus l'habilité du medecin,
qu'on ne benit Dieu de sa délivrance.
9. Il y a un autre défaut, qui est encore
plus grand que les autres ; c'est que nous ne
prions point d'un cœur pur, nous demandons
souvent pardon à Dieu des péchez
que nous avons commis , & que nous voulons
encore commettre; dans le tems que
plusieurs prient Dieu , ils pensent au péché
qu'ils veulent faire , ils méditent quelque
dessein de vengeance, ou de luxure. Peut-
on plus outrager la Divinité? de quels suplices
ne seroit pas puni un criminel, qui en
même tems qu'il demande sa grace pour un
crime , commettroit ce crime-là-même ?
C'est ce que font plusieurs personnes. Nous
sçavons que Dieu est la Sainteté-même, qu'il
ne peut voir le péché , sans le punir ; &
non seulement nous sommes assez malheureux
[heureux]
pour commettre des péchez sans
nombre , mais nous avons encore l'insolence
de lui en demander le pardon , sans avoir
fait la resolution de les quiter. O cieux! soyez
en étonnez.
10. Un autre
défaut de nos priéres, c'est
que nous ne prions pas comme il faut, au
nom de Jesus-Christ ; Je sai bien, que nous
finissons toutes nos oraisons par le nom de
ce Divin Sauveur , & par la priére qu'il nous
à enseignée: mais ce n'est que nôtre langue
qui le dit, & non nôtre cœur ; nous ne
sentons pas comme nous devrions , que ce
n'est que par Christ , que nous avons accés
à Dieu, que ce n'est que par son sang ,
que nous avons la liberté d'entrer dans les
lieux Saints ; que ce n'est que lui qui peut
rendre nos sacrifices agréables, & qu'une oraison ,
comme le disoit
Saint Augustin , qui
ne se fait pas par Jésus-Christ, se convertit
en péché ; nous faisons profession de dire que
nous ne meritons rien devant Dieu ; & nous
condamnons ceux qui croyent meriter ; mais
dans le fond , nous croyons avoir quelques
merites: Ceux qui ont quelque rang dans le
monde , ceux qui sont distinguez par quelque
endroit , par leur savoir , par leurs richesses ,
par leur authorité ; Ceux qui vivent
moralement bien, croyent, quoi qu'ils disent,
meriter plus que les autres : Helas ! nous ne
[meri-]
meritons que la mort & la condamnation,
& ce n'est que pour l'amour de Jesus-Christ
que Dieu daigne nous écouter.
11. Un autre grand défaut de nos priéres,
c'est que nous nous lassons de demander
à Dieu les mêmes choses, & de prier toûjours ,
nous voudrions qu'une seule priére
sufît, ou ne reciter que quelques priéres pour
obtenir ce que nous demandons. Nous voudrions
que Dieu nous exauçât dans le moment
que nous élevons nos cœurs vers luy,
& nous renvoyons de jour en jour d'obéïr
à ses commandemens. Si nous étions bien
persuadez de l'éxcellence des biens que nous
demandons, & du besoin que nous en avons,
nous les demanderions, jusques à ce qu'on
nous les eût donnez, nous chercherions jusques
à ce que Dieu se fût fait trouver à nous,
nous heurterions à la porte du ciel , jusques
à ce qu'elle nous eût été ouverte; mais nous
trouvons l'exercice de la priére penible , &
nous en usons , comme ces gens du monde,
qui croiroient se rabaisser trop , s'ils demandoient
plusieurs fois les mêmes choses. C'est
là un défaut de nos priéres.
12. Mais allons plus loin , un des grands
défauts de nos oraisons , c'est que dans le
même tems que nous faisons les priéres
qu'on nous a enseignées , nôtre cœur demande
d'autres choses. En même tems que
[nous]
nous disons , ton Nom soit sanctifié , plusieurs
disent que notre reputation soit étendue dans
le monde , & que nôtre nom soit connu ; Lors
que notre bouche dit , Ton régne vienne , nous
demandons du cœur de pouvoir régner sur les
autres. Dans le même tems que nous disons
à Dieu , Ta volonté soit faite , notre cœur dit,
que notre volonté soit faite , accorde-nous, Seigneur,
non ce que tu veux , mais ce que nous
voulons. Dans le même tems que nous disons
Donne-nous notre pain quotidien , notre cœur
dit, donne-nous des richesses , des plaisirs , des
grandeurs &c. Dans le méme tems que notre
bouche dit, Pardonne nous nos péchez,
comme nous pardonnons , notre cœur dit , Pardonne ,
nous-Séigneur , mais permets nous de
ne pardonner point à nos fréres . Ainsi nous
nous moquons de Dieu , & notre bouche
est contraire à notre cœur , nous sommes des
hypocrites, on diroit que nous faisons la
priére, que Jesus-Christ nous a enseignée, &
nous en faisons que celle que notre passion
nous dicte.
13. Cela me fait penser à un autre défaut,
qui aproche de celui que je viens d'indiquer.
C'est que nous demandons à Dieu des choses
qui sont absolument contraires à sa volonté.
Nous voudrions que Dieu contentât nos
passions ; & nous le prions de nous accorder
des choses que nous n'oserions pas demander
[mander]
aux hommes, & que nous ne voudrions
point que les hommes seussent que
nous demandons à Dieu. Un Payen disoit,
a qu'il faloit parler avec les hommes, comme
si Dieu nous écoutoit, & qu'il faloit
parler à Dieu, comme si les hommes nous
entendoient, & qu'il ne faloit pas demander
à la Divinité , ce que nous ne voudrions
pas que les hommes seussent: mais
pour nous, nous parlons souvent avec les
hommes , comme s'il n'y avoit point de
Dieu, qui nous écoutât, & nous disons à
Dieu des choses que nous ne voudrons pas
que les hommes entendissent ; nous faisons
même ces priéres, cent fois le jour, & nous
les faisons même avec ardeur. Il est vray
que nous en avons quelque fois honte. Un
homme, qui a reçû un violent affront , souhaite
de trouver les occasions de se vanger;
& les disciples mêmes-de Jésus-Christ demandoient,
que le feu du Ciel décendît sur
les Samaritains. Ici je ne saurois m'empêcher
de faire sentir une illusion que se font
de certaines gens , ils s'imaginent que les
ennemis qu'ils ont , sont les ennemis de
Dieu , & ils croient , que comme il leur est
permis de demander à Dieu, qu'il confonde
les ennemis de sa verité, il leur est permis de
demander aussi à Dieu qu'il extermine leurs
[propres]
propres ennemis , quoi qu'il y ait une très-
grande difference.
14. Un autre défaut de nos priéres , c'est
que nous demandons des choses qui nous
seroient pernicieuses; comme si un enfant
nous demandoit une pierre , au lieu de pain,
& un serpent , au lieu de poisson , pour me
servir de la comparaison de Jésus-Christ:
nous demandons que Dieu nous donne de
grandes richesses , & nous ne considerons
pas que dans ces richesses nous pourrions
oublier Dieu , & le renier , comme le disoit
Agar. Plusieurs demandent que Dieu leur
donne des enfans, & ils ne considérent pas,
que peut-être ces enfans seront le sujet de
leurs larmes, ou qu'ils en seront idolatres.
15. Un autre défaut, qui est considerable,
c'est que dans nos priéres nous n'avons pas
assez égard à la vocation dans laquelle
nous sommes, & nous ne demandons pas
ce qui est conforme à cette vocation , ou
plûtôt nous demandons ce qui y est contraire.
Il y a des choses qui conviennent à
un Magistrat, d'autres à un Pasteur, d'autres
à un Marchand, d'autres à un homme de
guerre, d'autres à un Pére de famille, & d'autres
à un enfant.
16. Un grand défaut de nos priéres, c'est
que lors que nous demandons les choses
corporelles , nous ne les demandons point
[avec]
avec cette condition , que Dieu les jugera
nécessaires, pour avancer sa gloire , & pour
notre salut: en quoi nous sommes beaucoup
moins sages que ce Payen , qui disoit, Donne-
moi ce qui m'est propre, & salutaire,
bien que je ne te le demande point, & ne
me donne point ce qui peut me nuire, encore
que je te le demande.
De plus il nous arrive ordinairement,
que lors que nous suivons le panchant de
notre cœur , nous demandons les biens corporels,
avant les spirituels. Au lieu que nous
devrions chercher premiérement le Régne
de Dieu & sa justice, les choses de la terre occupent
les premiéres notre Esprit. Dès que
nous somme reveillez, nous y pensons d'abord,
nous dirions volontiers , si nous osions,
Seigneur, donne-nous de grandes richesses,
éléve-nous dans les honneurs, aprés cela,
donne-nous, si tu le trouves à propos, ton
Esprit, au lieu qu'il faudroit commencer par
demander à Dieu son Esprit, & sa crainte.
17. Ce n'est pas un petit défaut dans nos
priéres , que nous demandons avec plus d'ardeur
les biens corporels que les biens spirituels;
car cela fait voir qu'il y a un grand
déréglement en nous, c'est que nous estimons
plus le corps que l'ame, le present qui passe,
que l'avenir éternel, des biens perissables ,
que des biens qui ne finiront point. Nous
[sou-]
souhaitons toujours d'être éxaucez dans les
priéres que nous faisons, pour demander
à Dieu ce qui regarde nôtre corps , & nous
craignons quelquefois d'être exaucez , lors
que nous demandons des biens spirituels,
comme
Saint Augustin le confesse de luy-
même.
18. C'est encore un défaut, qu'à l'égard
des biens spirituels, nous demandons avec
plus d'ardeur d'être délivrés des peines de l'Enfer,
que d'étre affranchis du peché, & de
ces biens qui nous attachent au monde ; nous
demandons avec plus de ferveur de posseder
la gloire du ciel, & la felicité du Paradis, que
la sainteté, & cependant nous devrions
souhaiter plus d'être délivrés du péché, que
de ses peines, & désirer plus fortement la
sainteté , que la félicité. L'amour propre
peut nous faire faire les premieres priéres,
mais il n'y a que l'amour de Dieu , qui nous
fasse faire les secondes.
19. Enfin , car je m'apperçois que j'ay
déjà passé les bornes destinées à ces exercices,
le grand défaut dans nos priéres, c'est que
nous demandons souvent des choses à Dieu
dans une méchante veuë, comme le dit Saint
Jaques dans le verset , que je vous explique.
Vous demandez , & vous ne recevez
pas , parce que vous demandez mal, afin de
l'employer à vos voluptez.
[On]
On demande d'avoir de l'esprit, & des
sciences, non pour avancer la gloire de Dieu,
pour défendre sa verité,pour édifier son Eglise,
mais pour aquerir de la reputation , pour
faire parler de soi, pour se faire admirer ;
en un mot, pour se distinguer des autres. On
demande d'avoir des richesses, non pour faire
du bien aux pauvres , pour faire des fondations,
pour soutenir des familles ; mais
pour paroitre plus dans le monde , pour
bâtir de superbes édifices, pour meubler
richement des maisons , pour ne refuser
rien à ses sens, pour avoir tout ce qu'on
souhaite.
On demande d'avoir de la santé, non pour
l'emploier à travailler à l'œuvre de sa vocation,
non pour soulager les miserables &
pour secourir ceux qui sont malades, mais
pour se bien divertir, pour faire bonne chére,
pour faire des voyages de plaisir.
On demande d'être dans les honneurs,
non pour servir sa patrie, pour maintenir les
innocens, , pour défendre la cause de la veuve,
pour recompenser les vertueux , & pour
punir les vicieux ; mais pour avoir un rang
dans le monde, pour pouvoir abaisser ceux
qu'on n'aime pas , pour se prévaloir de son
autorité. Et que ne dirois-je pas , si je voulois
parcourir les autres choses qu'on demande?
[Mais]
Mais il tems de finir; car le tems ne
me permet pas de passer aux deux autres
Points, de vous montrer que ces défauts
nous empêchent d'étre exaucez, selon ce que
dit S. Jaques. Vous demandez, & vous ne recevez
pas, parce que vous demandez mal , & de vous
donner ensuite les conditions de la Priére.
APPLICATION
N'étes-vous pas surpris, Mes F. que dans le
premier exercice de pieté que nous apprenons
dans notre enfance, & que nous pratiquons
tout le reste de nos jours , nous y commettions
tant de défauts. Si nous péchons, mêmes
en faisant nos priéres, de combien de
péchez ne sommes-nous pas coupables? Notre
pieté n'est point aujourd'hui divisée en
une foule de cultes & de services , comme
elle étoit sous la Loi; Nos priéres sont nos
sacrifices & nos oblations , & cependant
nous nous en aquitons si mal.
Quand je fais réflexion sur les causes de
tous ces défauts, j'en trouve plusieurs.
La 1. est, que nous ne nous faisons point
l'idée de Dieu, que nous devrions nous en
faire. Il est vrai, que si l'on nous demande
ce que c'est que Dieu, nous disons, que c'est
le plus parfait , le plus puissant , & le plus sage
de tous les étres ; qu'il est infiniment élevé
[vé]
au dessus de tout ce qui existe , que nous
ne subsistons que par lui , que nous sommes
ses créatures , que nous tenons de lui la vie,
le mouvement & l'être, qu'il est le Roi des
Rois, que toute la nature dépend de ses ordres,
qu'il est l'arbitre de tous les événemens,
l'Auteur de tout bien , le dispensateur de
toutes les graces, le Juge de l'Univers ; que
toutes les créatures obeïssent à ses ordres,
que d'une parole il peut bouleverser le ciel
& la terre, & les reduire en poudre , & que
ne disons - nous pas ? Mais nous n'agissons
point comme des gens qui sont persuadez
de ces veritez, & il semble sur-tout, que dans
nos priéres nous oublions ces réflexions. C'est
là une grande cause du peu de respect , &
d'humilité que nous faisons paroitre dans nos
oraisons ; car si nous pensions bien à ce que
Dieu est, & à ce que nous sommes, nous nous
aneantirions devant lui.
La 2. cause des défauts de nos priéres, c'est
que nous sommes plus frappez des choses
sensibles que des invisibles ; on ne se fait pas
une assez grande idée des biens que l'on demande;
on ne pense pas que la foi est plus précieuse
que l'or, & l'esperance que l'argent.
Si nous voyions une montagne en feu, si nous
entendions des voix & des tonnerres, comme
on en ouït sur Sinaï: Si nous contemplions
un throne tout resplendissant de lumiére;
[miére,]
si Dieu se présentoit à nous, comme
Jesus-Christ se présenta à Saint Jean, un tel
objet nous rempliroit de frayeur , & nous
serions devant lui dans une profonde humilité ;
mais nous ne voions point Dieu: Miserables
que nous sommes ! Il est vrai que
nous ne voyons pas l'invisible , mais ne voions
nous pas ce monde qu'il a fait? ne s'est-
il pas comme réprésenté dans les Saintes Ecritures ,
où nous le pouvons contempler comme
dans un miroir? comment donc disons-
nous que nous ne voyons pas Dieu?
La 3. Cause de l'imperfection de nos priéres,
c'est que dans le fond nous n'aimons pas
Dieu; nous disons que nous l'aimons, nous
avoüons qu'il n'y eut jamais d'objet qui meritât
plus notre amour , cependant dans le
fond nous nous trompons nous-mémes : Car
si nous l'aimions, ne prendrions-nous pas
plaisir d'être continuellement avec lui , de
nous entretenir avec lui, & de lui ouvrir
notre cœur? & ne lui demanderions-nous pas
son amour avec de violens transports? Et
quoi ! se peut-il que nous n'aimions pas ce
Dieu qui nous a tant aimez?
La 4. Cause,c'est que dès l'enfance on n'inspire
pas assez aux enfans la crainte qu'ils doivent
avoir de Dieu, & le besoin qu'ils ont de
sa grace. On leur dit bien en general , qu'il
faut craindre Dieu ; on les fait prier Dieu ;
[mais]
mais tout cela se fait si foiblement, qu'il ne
faut pas s'étonner, si quand on est venu à un
âge plus avancé, on prie Dieu sans savoir ce
qu'on dit, parce qu'on a ainsi prié Dieu, dans
l'enfance. Ha! si de bonne heure on nous
faisoit bien conoitre ce que c'est que Dieu, &
que nôtre bonheur ou nôtre malheur dépendent
de lui : si dès qu'on parle de Dieu dans
nos maisons, nous étions tous dans le respect:
si nos enfans nous voyoient aneantis
en la presence de cet Etre Souverain , ils
seroient saisis du même respect , & cela feroit
de vives impressions dans leurs ames.
La 5. Cause de ce que nous ne prions pas
Dieu comme il faut , est que plusieurs regardent
la priére comme une chose inutile. Il
y en a qui ne croient pas que Dieu les entende ,
& qu'il se mêle des choses d'ici-bas;
d'autres qui disent, A quoi sert de prier, puisque
tous les événemens sont réglez? d'autres,
qui, quoi qu'ils sachent qu'il y ait une Providence,
& que Dieu leur ait ordonné de
prier , en sorte qu'on ne peut lui refuser cet
homage , sans impieté , agissent pourtant ,
comme si ces priéres ne servoient de rien.
La 6. Cause est,que la plupart des Chrêtiens
vivent dans le crime ; les uns dans l'impureté,
les autres dans des haines implacables ,
d'autres dans de mêchantes pratiques ; Comment
est-ce que de telles gens pourroient
[prier]
prier Dieu ? Comment oseroient-ils presenter
des ofrandes qu'ils savent lui être abominables?
L'on a fort bien dit , que mener à
Dieu une conscience criminelle, c'est lui mener
un témoin , c'est se faire son procez, c'est
se livrer entre les mains de sa sévére Justice.
Ces impies ne sauroient se flater que Dieu
les exauce; ainsi ils font bien semblant de
l'invoquer, mais ils ne l'invoquent point en
éfet.
7. L'amour du monde est une 7. Cause.
Quand nous venons pour prier Dieu , notre
cerveau est rempli de mille idées mondaines.
Une ame ainsi ocupée pourroit-elle donner
place aux idées de la Grandeur de Dieu? Et
les vertus Chrêtiennes, qui composent la devotion
pourroient-elles compatir avec ces
mouvemens que le commerce du monde
nous communique ? Comment veut-on qu'on
soit en état de prier Dieu, quand on sort de
la débauche, ou qu'on a quité le jeu, ou
qu'on a passé mal la journée à se rejouïr, &
que notre esprit est encore agité?
8. Les divers soucis, & les inquietudes
que nous avons, tantot pour nous- mêmes ,
tantot pour les autres , sont une 8me. Cause:
Car ces soucis font que nous n'écoutons
point ceux qui nous parlent , & que nous
ne nous écoutons pas nous-mêmes , lors que
nous parlons à Dieu; au lieu que le vrai
[moien]
moien de se défaire de ces soucis seroit de
prier Dieu avec ardeur.
9. Ajoûtons, que nous nous donnons trop
d'afaires. Un Marchand, qui est tout ocupé
de son negoce,plein de crainte & d'esperance,
ne pense à d'autres choses. Un autre n'a l'esprit
rempli que de procez. Un autre est ocupé
dès le matin à mille autres choses. On s'imagine
que pourvû qu'on ne fasse tort à
personne, on peut se charger d'afaires, pour
gagner innocenment du bien, & on ne voit
pas , qu'on n'est pas innocent , quand on s'ôte
le tems de prier Dieu, & de bien prier
Dieu.
10. On ne sent pas assez sa misére. C'est
une autre Cause des Défauts de nos priéres.
En voici une preuve. Quand un homme
a de violentes douleurs, ou qu'il se croit
près de la mort, il prie Dieu avec bien
plus d'ardeur qu'auparavant, parce qu'il sent
son état. Et quoi, n'avons-nous point d'autres
maux que des maux temporels? Les maux &
les misères de nôtre ame ne sont-elles pas de
plus grande consequence ? & ne devrions-nous
pas nous préparer toujours à nôtre fin , &
penser que chaque jour nous pouvons mourir?
Mais helas! nous ne le faisons pas,
nous ne sentons pas nos maux spirituels, &
nous croions devoir vivre long-tems. Quel
aveuglement!
[11. Voici]
11. Voici encore une autre Cause. On fait
tout ce qu'on peut pour diminuër son zéle,
& rien pour l'augmenter ; Où sont ceux qui
aiant remarqué, que le Jeûne enflamme leur
dévotion , jeûnent pour prier Dieu avec plus
d'ardeur ? On lit même des livres qui détournent
de la pieté , & on fait mille choses ,
qui distraient de la dévotion ; mais
que fait-on pour augmenter sa pieté?
12. Plusieurs n'ont point les heures de leur
dévotion réglées. Il est certain que l'habitude
fait beaucoup chez nous. Quand on a
accoutumé de manger à de certaines heures,
& qu'on ne le fait pas, on s'aperçoit qu'on
a besoin de nourriture. Si on se faisoit donc
une sainte habitude de prier Dieu, à certaines
heures, & que cela fût réglé , nôtre conscience
nous presseroit , lors que nous ne le
ferions pas; mais souvent tout est réglé chez
nous, que l'heure de prier.
13. D'ailleurs on ne regarde pas les défauts
de la priere, comme des péchez, mais seulement
comme des imperfections. Helas! ne
nous abusons pas , Mes Freres, on ne peut
pas outrager plus la Divinité, qu'en priant
mal.
14. Enfin, la grande cause de l'imperfection
& des défauts de nos prieres , c'est que
nous ne pensons point à la mort , ni au jugement;
[gement;]
car si nous y pensions tous les
jours, nos priéres seroient tres-ferventes.
Ah! Chrêtiens , pourquoi n'y pensons-
nous pas ? y a-t-il quelque chose au monde,
qui doive plus nous ocuper?
Dieu veuille nous faire la grace d'y bien
penser,& nous faire si bien conoitre les défauts
de nos priéres, que nous travaillions à les corriger
incessamment. Dieu veuille nous donner
à tous son Esprit de priére, afin que
l'invoquant , comme il nous l'ordonne ,
nous puissions obtenir ce que nous lui demandons,
sa grace sur la terre, & sa gloire
dans le Ciel. AMEN.