SERMON
SUR
L'honeur que les Sujets doivent
rendre a leurs Souverains.
Honorez le Roi .
MES FRERES,
IL ne peut jamais être hors de saison
pour nous, de vous entretenir du
devoir des Sujets envers leurs Souverains.
Il entre nécessairement,
il tient meme le premier rang, dans cette
partie si essentielle de la Morale, qu'on appelle
la Justice, & qui consiste à rendre, à chacun
des hommes, ce qui lui appartient. S. Paul
nous en recommande éxpressément la prédication,
en la personne de Tite, lors qu'il lui ordonne
[don-]
Ch. iii. 1.
d'
éxhorter les membres de son Troupeau,
d'
être soûmis aux Principautez & aux Puissances . Mais s'il est jamais plus à propos, s'il est jamais
plus nécessaire, de traitter une matiere si
importante, n'est ce pas dans un temps tel que
celui-ci ? C'est pour cela que nous avons choisi
notre Texte, pour être le sujet de notre Meditation.
Les termes en son fort courts,
mais le sens en est d'une longue êtendue.
Tout ce que les Sujets doivent faire à l'égard
de leurs Souverains, est sommairement compris
dans ce Precepte,
Honorez le Roi . Meditons
le donc dans la premiere Partie de ce
Discours, & dans la seconde, nous ferons
quelques Reflexions, qui se rapporteront directement
à la circonstance du temps.
Nous avons aujourdhui un grand avantage.
Sans nous flatter, sans présumer de
nous mêmes, nous sommes asseurez par avance,
d'arriver au but que l'on se propose,
sur quelque sujet que l'on parle ; c'est de
persuader. Tout même temoigne en vous,
que votre persuasion n'est point à produire,
qu'elle est toute produite, & dans un si haut
degré, qu'il nous seroit impossible de l'augmenter.
Nous ne pourrons que vous prêter
notre voix ; Toutes les facultés, toutes les
affections de votre ame, viendront, voleront
d'elles mêmes, au devant de tout ce que nous
dirons. Tout l'avantage que vous retirerez
de notre Ministère, ce sera peut être que
nous éclairerons plus distinctement vôtre persuasion,
& que nous donnerons quelque ordre,
aux pensées & aux mouvemens, que
l'ardeur de votre Zèle pour notre Monarque,
fait naitre confusément & en foule, dans vôtre
[tre]
esprit & dans vôtre cœur.
Roi des Nations ,
Jer. x. 7.
Maitre absolu de l'Univers, pour expliquer
ce que nous Te devons, en la personne
de Tes Lieutenants sur la terre, Veuille nous
éclairer de Tes divines lumieres, & nous
Esa. L, 4.
donner
la langue des bien appris . Amen.
Puis que le devoir des Sujets envers leurs
Souverains, est, comme nous venons de le
remarquer, une partie de la Morale, les
Saints Apôtres auroient manqué, dans un
Point très important & capital, s'ils avoient
negligé de le recommander aux Chrêtiens.
Mais outre cette raison générale, ils en avoient
d'autres particulieres, qui les obligeoient
à inculquer souvent ce devoir dans
leurs Ecrits, aussi bien que dans leurs Prédications.
Sous pretexte que les Adorateurs
de Jesus Christ, le regardoient comme
leur Roi, on les accusoit de vouloir se soustraire
à l'autorité des Princes. On suivoit
en cela le même esprit, dont les Juifs avoient
été animez contre Nôtre Seigneur, en le
traduisant devant le Tribunal du Gouverneur
Romain, comme un rebelle, qui avoit
Luc. xxii.
2.
defendu de payer le Tribut à Cesar, &
porté même les attentats de sa Rebellion, jusqu'à
se faire Roi. D'ailleurs parmi les Sectes,
Jean xix.
12.
qui s'étoient dèja élevées dans le Christianisme,
il y avoit des Libertins, qui abusant
de cette grande & consolante Verité, que nôtre
Redempteur nous a aquis la liberté des
Enfans de Dieu, prétendoient que l'Evangile
affranchissoit les Fidelles, du joug de toute
sorte d'autorité humaine, & qu'il ne devoit
plus y avoir entre les hommes aucune Dignité,
[nité,]
aucune Superiorité, ni même aucune
Distinction.
C'est ce que S. Pierre & S. Jude nous font
entendre bien clairement. L'un & l'autre
disent en parlant de ces Libertins,
qu' ils
2 Pierr. ii.
10.
meprisoient la domination, & qu'ils n'avoient
Jude viii.
point horreur de blamer, de condamner les Dignités .
Afin donc de mettre la Religion Chrêtienne,
à couvert d'un reproche si faux, si
odieux ; & en même temps pour munir les
Fidelles contre une erreur, si opposée à une
des plus grandes obligations de la Morale ;
par conséquent si condamnable en elle même ;
d'ailleurs si contraire au bien de la Societé ;
par conséquent si funeste aux progrès de l'Evangile,
& si capable de faire armer contre lui
les Puissances du Monde ; les Apôtres prenoient
un soin particulier, de faire sentir
aux Chrêtiens, combien, leur Religion
les obligeoit indispensablement, à se soumettre
à l'autorité des Princes, quand ils
ne commandoient rien de contraire à la
Foi & aux bonnes moeurs. On ne peut douter
que ce ne soit là le dessein de St. Pierre,
dans l'endroit d'où nôtre Texte est tiré.
"Rendez vous, dit-il au 13 verset, Rendez
"vous sujets à tout ordre humain pour l'amour
"du Seigneur : soit au Roi comme à
"celui qui est par dessus tous ; soit aux
"Gouverneurs, comme à ceux qui sont envoyez
"de par lui, pour exercer vangeance
"sur les malfaiteurs, & à la louange de
"ceux qui font bien. Car telle est la volonté
"de Dieu, qu'en faisant bien vous
"fermiez la bouche à l'ignorance des hommes
[" mes]
"fols." Il exhortoit ainsi les Chrêtiens
de son temps, à dissiper par leur soûmission
aux Rois & aux Magistrats, les faux & pernicieux
préjugés, dont les ennemis de la Religion
Chrêtienne, êtoient prévenus contre
elle à cet egard. Il ajoute, comme Libres, &
non point comme ayant la liberté pour couverture
de malice, mais comme Serviteurs de Dieu .
Peut on ne point voir, que cette Reflexion
portoit directement contre ces Libertins,
dont nous venons de parler, & qui furent
l'origine des infames Gnostiques, qu'on peut
appeller la honte & l'opprobre du nom Chrêtien ?
L'Apôtre poursuit en ces termes.
Portés honeur à tous ; Aimés la fraternité ;
Craignés Dieu ; Honorés le Roi. Comme s'il
disoit "Ayés de la consideration & du respect,
"pour tous les hommes de quelque
"Religion qu'ils puissent estre. Aimez
"particulierement ceux qui sont vos Freres
"en Jesus Christ ; & comme vous devez
"Craindre Dieu, vous devez aussi Honorer
"le Roi. Ce sont là deux devoirs qu'il
"n'est point permis de séparer. comme
"il ne suffiroit pas d'honorer le Roi sans
"craindre Dieu ; aussi ne suffit il point de
"craindre Dieu sans honorer le Roi."
Par ce terme il ne faut pas entendre uniquement
les Testes Couronnées, les Princes
qui portent le Titre de Roi, ou d'autres
équivalents. Il désigne en général tous
ceux qui exercent le Pouvoir Souverain
dans les Etats, sous quelque forme de Gouvernement
que ce soit. Quelque diversité
qu'il y ait à cet égard entre les Etats, ils ont
[tous]
tous ceci de commun, que le plus petit & le
plus foible, est revêtu de même que le plus
êtendu & le plus puissant, d'une autorité suprême,
qui decide en dernier ressort & souverainement,
des biens & de la vie de ceux
qui le composent ; de sorte que tandis qu'ils
en sont membres, ils en dependent absolument
& sans reserve. Mais comme il est
impossible, que hors des Monarchies hereditaires,
cette autorité s'exerce, à moins qu'il
n'y ait des personnes préposées pour cela, ou
pendant toute leur vie, ou pendant un
terme limité : ces personnes doivent être
regardées, comme si c'étoient de veritables
Rois ; parce qu'encore qu'ils n'en portent
point l'auguste nom, ils ne laissent pas d'en
avoir la réalité, par raport à l'éxercice, puis
qu'ils font tout ce que les rois peuvent
faire.
Tel est le sujet dont il s'agit dans nôtre
Texte. Que nous est-il prescrit à son égard ?
De l'Honorer. C'est là une idée générale,
qu'il faut diversifier, selon les differens sujets,
auxquels elle peut être appliquée.
Nous avons vû que dans ce même verset,
l'Apôtre nous recommande de porter Honeur à
tous , & il se sert du même terme qu'il employe,
lors qu'il nous ordonne d' Honorer le
Roi . Voila donc deux sortes d'honeur fort
differentes, qui sont exprimées par un même
terme. C'est ce qui nous aprend deux
choses. La premiere, qu'il y a un certain
honeur d'égard & d'honesteté, qui est dû à
tous les hommes généralement, à cause de
l'éxcellence de leur espèce, faite à l'image
[de]
de Dieu, qui doit être respectée par tout où
elle se trouve ; d'autant plus que tous les
hommes la possedent dans une parfaite égalité.
Les plus vils de tous les Esclaves, ne
participent pas moins à la nature humaine,
que les plus grands de tous les Potentats.
La seconde chose que nous apprenons ici ;
c'est qu'il y à pourtant un certain Honeur
particulier, que les Sujets doivent rendre à
leurs Souverains.
En quoi consiste cet Honeur ? C'est d'abord
dans des démonstrations de respect, de vénération,
& de soûmission, qui aillent au plus
haut point dans le genre civil, conformément
à ce qui s'observe en chaque Etat, ou
par des Loix expresses, ou par de simples
coûtumes. Les Grecs ne pouvoient point
souffrir, que l'on honorât les Rois, jusqu'à
se prosterner en leur présence. C'est ce
qu'ils regardoient comme un Sacrilège, prévenus
de cette fausse idée, qu'un si grand
signe d'honeur, ne pouvoit apartenir qu'à la
Divinité. Il n'en étoit pas de même, dans
l'Egypte & dans l'Asie. On y honoroit les
Rois, & même en general tous ceux à qui
l'on vouloit temoigner un grand respect, en
se prosternant devant eux, & bien plus en
mettant la face contre terre. Nous voyons
dans l'Histoire sainte, que cette maniere d'honorer,
étoit en usage parmi le Peuple de
Dieu. Elle y étoit fort legitimement, parce
qu'il ne s'agissoit que d'un honeur purement
humain & civil ; par conséquent il ne pouvoit
porter aucun préjudice au culte Religieux,
dont Dieu seul doit être l'objet.
[Autre-]
Autrement auroit elle êté pratiquée par tant
de Saints Hommes ; par des Prophètes, &
même dans le temps qu'ils faisoient, les fonctions
les plus solemnelles de leur Mission
Divine ? Il n'en faut pas davantage pour
nous convaincre, de la ridicule & brutale
superstition de ces Fanatiques, qui croiroient
blesser la Religion, s'ils se prosternoient
devant les Princes, & bien plus, comble
d'éxtravagance ! s'ils se découvroient pour
les saluer. Encore une fois, il ne s'agit ici
que d'un honeur, qui ne sauroit choquer en
rien la Religion, puis qu'il n'a rien que
d'humain & de civil. Ainsi on doit le pratiquer
sans scrupule de conscience, & même
avec plaisir, en se conformant à l'usage qui
se trouve êtabli dans chaque Païs, & qui est
si different, que ce qu'on regarde en de certains
Etats, comme une grande marque de
respect, passe en d'autres pour une éxtrême
incivilité. C'est le sort de tout ce qui depend
de l'institution des hommes. La diversité
de leurs genies, fait que les uns admettent
& louent, ce que les autres ne peuvent
ni approuver ni même souffrir ; parce
qu'ils le regardent dans des vües differentes,
& opposées les unes aux autres.
Les grandes démonstrations de respect &
de vénération, dont nous avons fait la premiere
partie, de l'honeur qu'il faut rendre
aux Rois, parce que c'est celle qui frappe
les sens, doivent être accompagnées d'un
respect interieur, qui reponde à ces demonstrations
éxterieures. Il est vrai qu'elles doivent
les contenter, sans qu'ils recherchent curieusement,
[rieuse-]
ce qui se passe dans l'ame de
ceux qui les leur donnent ; parce qu'il est de
leur équité, de les prendre pour sincères, à
moins qu'ils n'ayent des raisons de croire ou
de soupçonner, qu'elles ne sont que de pures
grimaces, de simples cérémonies du corps,
où le cœur n'a point de part. Mais au fonds,
n'honorer les Rois qu'éxterieurement, c'est
leur dérober la principale & la plus importante
partie, de l'honeur qui leur est dû.
C'est violer l'ordre de la Nature ; elle veut
qu'il y ait une juste harmonie, entre les actions
éxterieures du corps, & les mouvemens
interieurs de l'ame ; & que même les mouvemens
interieurs de l'ame soient la source
& le principe des actions éxterieures du
corps : de sorte que nos respects éxterieurs
ne soient qu'un effet, qu'un signe, qu'une
démonstration, de nos respects interieurs.
Oui l'hypocrisie est criminelle en tout ; dans
l'Etat, aussi bien que dans l'Eglise : dans
la Politique, aussi bien que dans la Religion.
C'est Dieu lui même qui nous crie
Honorez le Roi , par le Ministere de St. Pierre,
un des plus éxcellents organes de sa
voix. L'Apôtre nous fait bien entendre,
que c'est là, non un conseil de prudence
humaine qu'il donne aux Chretiens,
mais un commandement qu'il leur adresse
de la part de Dieu, lors qu'il dit
au verset
13. Rendez vous sujets à tout ordre humain
pour l'amour du Seigneur . C'est à dire visiblement,
pour obeïr, & pour plaire au Seigneur,
puis qu'il vous le commande. Dieu
est un Legislateur Spirituel ; c'est à nos personnes
toutes entieres qu'il donne ses Loix :
[&] & par conséquent nous devons les éxécuter
de l'esprit & du corps tout ensemble. Appliquons
ici ce que St. Paul dit aux Romains,
qu'il faut être sujets aux Princes,
non seulement pour ne point s'attirer leur
juste colère, en manquant éxterieurement à
la soûmission qui leur est dûe ; mais encore
Ch. xiii. 15.
à cause de la conscience . Voici donc un devoir
qui regarde
la conscience, & par conséquent
tout ce qu'il renferme, ou qui s'en
déduit, doit venir du fond de nôtre ame, qui
seule est le siège de nôtre
conscience ; & nous
devrions fidélement nous en aquitter, quand
même nous n'aurions rien à craindre, de la
part des Princes en la violant.
Au reste le respect interieur que nous
devons aux Rois, n'est pas déterminé dans
son éxercice comme l'éxterieur, par l'institution
des hommes, où il y a souvent beaucoup
de bizarres contrarietés ; & à proprement
parler, on ne peut donner ici aucune Regle.
Tous les hommes ont également dans l'ame,
les mêmes sentimens de respect, considerez
en eux mêmes, & dans leur nature, comme
ils ont les mêmes sentimens de plaisir ou de
douleur. On ne sauroit leur aprendre à sentir
ni l'un ni l'autre ; il en est de même de
tout ce qui consiste en quelque sensation.
Ainsi il est impossible d'enseigner à personne,
comment on doit sentir du respect en général ;
& il n'est point nécessaire. Il suffit que
l'on veuille en estre animé, puis que cela
depend uniquement de la volonté. L'ame
prend aussi tost d'elle même, toutes les routes
qui tendent à cette fin ; ou plustost elle est
[saisie]
saisie de tous les mouvemens, qui constituent
la nature & l'éssence d'un respect interieur.
Tout ce que l'on peut faire, c'est de l'éxciter,
en montrant les fortes raisons, qui
prouvent qu'on en doit être penétré. Si nous
cherchons ces fortes raisons, sur la matiere
que nous traitons, nous les trouverons
suffisamment dans cette Maxime, d'une
verité sensible & palpable.
"Que tout honeur,
"& par conséquent tout respect, soit
"éxterieur, soit interieur, doit être plus ou
"moins grand, selon qu'il y a plus ou
"moins, d'éxcellence & de dignité dans son
"objet." Car de là il s'ensuit évidemment,
qu'il n'y a rien entre les hommes, qui doive
être aussi respectable, aussi digne d'être
honoré, que la Majesté des Souverains.
Leur dignité est dans leurs Etats, au dessus
de toute autre.
Le Roi, dit nôtre Apôtre,
est au dessus de tous . Il étoit bien eloigné du
système, de ceux se disent à faux ses
Successeurs, & qui se portant * dans le Temple
2 Thess
ii. 2.
de Dieu, dans l'Eglise Chretienne, comme
s'ils êtoient la Divinité elle même, s'élèvent
sur tout ce qui est nommé Dieu
dans ce bas Monde, c'est à dire sur les Princes
qui sont nommés Dieux, même par le
saint Esprit. Bien plus ils vont jusqu'à prétendre,
qu'ils ont droit de dispenser & absoudre
les sujets du serment de fidelité, & de
disposer du Temporel des Princes, & de
leurs Couronnes. Encore s'ils n'avoient eu
cette prétention qu'en Theorie ; mais combien
de fois l'ont ils mise en pratique, même
contre les Empereurs, qu'ils devoient respecter
[specter] comme êtans leurs propres Souverains ?
Combien en ont ils deposé ; & quels torrens
de sang, n'ont ils pas fait si souvent répandre,
en Italie & dans toute l'Allemagne,
pour maintenir de si Sacrileges attentats ?
Oracles sacrés, que vôtre Divinité est bien
éclattante, puis que vos prédictions sur ce
sujet, ont été si visiblement accomplies, par
des événemens, que toute la sagacité humaine,
n'auroit pû mettre avant leur arrivée,
que dans les espaces imaginaires de la
plus absolue impossibilité ! Qui auroit jamais
pû songer, que des Princes si naturellement
jaloux de leurs droits, les eussent pourtant
sacrifiés à l'Evêque qui a son Siege dans
Apoc. xvii.
9.
la Ville
bâtie sur sept montagnes , jusqu'à donner
2 Thess. ii.
3.
leur puissance à cet
Homme de peché , afin
de depouiller leurs semblables de ces droits si
sacrés, quoi qu'ils ne pussent ignorer qu'ils
le mettoient ainsi en pouvoir, de les en
dépouiller eux mêmes à leur tour quand il lui
en prendroit fantaisie ? C'est quelque chose
Rom. xi.
33.
de si impossible à trouver , de si incompréhensible,
qu'on ne peut le regarder, que comme
Apocal. ii.
24.
une de ces
profondeurs de Satan , dont nous
ne saurions découvrir les ressorts.
Revenons à ce que nous disions, que la
Dignité des Rois est dans leurs Etats au
dessus de toute autre. Nous l'avons prouvé
par l'autorité de St. Pierre ; confirmons le
encore par l'autorité de St. Paul, écrivant
Rom. xiii.
1
même aux Fidelles de Rome.
Que toute personne,
leur disoit il, voila une
généralité, ou
plustost une
universalité, qui comprenoit
l'Evêque de cette Capitale du Monde, &
[tout] tout son Clergé, aussi bien que les Laïques
qui vivoient dans son sein ;
Que toute personne
Rom. xiii.
1.
soit sujette aux Puissances superieures ; car
il n'y a point de Puissance, qui ne vienne de Dieu,
& les Puissances qui subsistent, qui éxistent, sont
ordonnées de Dieu. La suite fait voir qu'il veut
parler des Princes, car il les nomme éxpressément.
Pour mettre la pensée de cet Apôtre dans
tout son jour, il ne faut pas se contenter de
dire, que c'est la Sagesse de Dieu, qui fait
règner les Souverains, comme elle même le
déclare, quand elle s'écrie dans le Livre des
Ch. viii. 15.
Proverbes,
C'est par moi que les Rois règnent, &
que les Princes decernent la Justice. Il faut
ajouter, ce qui est beaucoup davantage, que
Dieu les fait règner
en sa Place. C'est ce que
St. Paul dit éxpressément, un peu après ce
que nous venons de citer de son Epitre aux
Romains ;
Le Prince et le Ministre de Dieu-----
ordonné pour faire Justice . Ce titre de
Ministre
de Dieu, il l'employe jusqu'à trois fois
dans cet endroit.
Beni, disoit la Reine de
2 Chron.
ix. 8.
Sceba, en parlant à Salomon, Beni soit l'Eternel
ton Dieu, qui t'a eû pour agréable, & qui
t'a fait asseoir sur son Trone, afin que tu sois
Roi pour l'Eternel ton Dieu ; pour,
en la place de l'Eternel ton Dieu. Que sont donc les
Rois ? des Deputés, des Lieutenants de Dieu,
consideré comme Recteur de ce bas Monde ;
Sap. vi. 4.
des
Ministres de son Royaume , comme parle
l'Auteur du Livre de la
Sagesse. Dieu seul
est proprement le Roi de l'Univers, qui lui
apartient absolument, par un droit de
Domaine & de
Proprieté, aussi bien que de
Regime,
puis qu'il l'a créé & qu'il le conserve.
Ainsi les Rois de la Terre portent ce nom,
[par]
par Députation, par Représentation, entant qu'il
les êtablit, pour éxercer par leur Ministère
son Empire entre les hommes, par raport à
la Societé, soit Civile, soit Religieuse. Ils
sont par cette raison, les Chefs de l'Etat & de
l'Eglise ; Les Protecteurs, les Defenseurs, &
les Exécuteurs des Loix, dans l'un & dans
l'autre ; Distributeurs des recompenses & des
graces ; Dispensateurs des chatimens & des
peines. En un mot ils sont par leur caractère,
les Images vivantes de la Divinité.
Quelle Excellence ; quelle Dignité ! Quel respect
ne faut-il pas avoir pour elle ; & par
conséquent pour la personne sacrée, de ceux
que le Monarque du Monde en a revestus !
Pourrions nous honorer ce Roi suprême de
l'Univers, sans honorer ceux qui sont à nôtre
égard, ses Deputés, ses Lieutenants, ses
Vicerois ?
Nous nous sommes êtendus à faire voir,
que nous devons honorer nos Souverains,
par nos plus profonds respects éxterieurs &
interieurs, parce que c'est là l'idée que le
terme d'honorer, présente immediatement à
l'esprit, & que dans le fonds c'est la base,
le principe & l'abregé de tous les autres devoirs,
dont nous sommes obligez de nous
aquitter à leur égard. Par éxemple, nos profonds
respects interieurs pour nos Souverains,
n'emportent-ils pas nécessairement, un
ardent amour eux ? Afin de le justifier,
il suffiroit quand nous n'en aurions pas d'autre
preuve, que du moins dans l'esprit des
bons Princes, tout ce que nous pourrions
faire pour eux, ne seroit d'aucun prix,
d'aucune valeur, s'ils pouvoient juger qu'ils
[n'au-]
n'auroient point de part dans nôtre amour.
Les Tyrans ne se soucient point d'être aimez
de leurs Sujets, pourvû qu'ils en soient
craints, & il est aisé d'en trouver la raison ;
c'est que de leur côté ils n'ont aucun amour
pour leurs Sujets. Les bons Rois au contraire,
souhaitent sur tout d'être aimés de leurs
Peuples, parce qu'ils les aiment tendrement.
C'est le propre de l'amour, de ne pouvoir
jamais être content, à moins qu'il ne trouve
pour retour dans son objet, un autre lui même.
D'ailleurs nous devons aimer nos Souverains,
par la même raison que nous sommes
obligés de les respecter ; c'est qu'ils sont
les Deputés & les Lieutenants de Dieu, qui
nous gouverne par leur Ministère, dans le
Monde de la Societé. Dieu n'a-t-'il pas pour
les hommes, les mêmes yeux que les Peres
ont pour leurs enfans ? Encore n'est ce là
qu'une foible image, de l'amour que Dieu
nous porte. Ainsi les Princes pour répondre
au glorieux Caractère, de Ministres & de
Vice-regents de la Divinité, dans le regime
du Monde, doivent être les Peres de leurs
Sujets. Ce tendre nom est fondé sur l'Ecriture,
& il vient si naturellement dans l'esprit,
que les Anciens Poëtes l'ont donné aux
Rois. Il renferme quelque chose de si doux
& de si grand, que les Romains ne croyoient
rien faire, d'aussi honorable pour les Empereurs,
que quand ils les appelloient Peres de
la Patrie. Or où sont les Peuples qui ne desireroient
pas avec ardeur, que les Princes
de qui ils dependent, les aimassent comme
[ leurs ]
leurs enfans ? Par là ne se sentent-ils pas obligés ;
ne se sentent-ils pas animez, à aimer
leurs Princes comme leurs Peres ? C'est la
Loi réciproque de la Nature : c'est la Loi
des Familles particulieres ; & n'est elle pas
applicable à la Societé ? Chaque Etat est
une Famille générale, où le Souverain est
le Pere, & où par conséquent les Sujets sont
les Enfans. Disons donc qu'ici, un honeur
de respect éxterieur & interieur, & un honeur
d'amour, sont deux espèces d'honeur
inséparables, puis que, comme nous venons
de le montrer, l'une & l'autre ont le même
Principe, dans la Dignité des Rois, entant
qu'elle est une image & une représentation
pour nous, de l'autorité suprème du Monarque
de l'Univers.
Plust à Dieu qu'une connexion si juste,
& si conforme aux sentimens de la Nature,
fût profondément gravée dans tous les cœurs !
On n'auroit pas la déchirante douleur, d'avoir
vû depuis près de quarante ans, dans
l'Etat, & même quel prodige ! & même dans
l'Eglise : des Hypocrites, de faux Sujets,
qui pour obtenir des Emplois & des Dignités
Marc. vii.
6.
dans l'un & dans l'autre,
honoroient de
leurs levres, une Teste couronnée, pendant
que leur cœur en étoit éloigné ; Qui lui rendoient
éxtérieurement les plus profonds homages,
pendant qu'ils disoient dans leur ame,
Luc. xix.
14.
Nous ne voudrions point que ce Roi, ou que cette
Reine regnât sur nous ; Bien plus qui lui prêtoient
des Sermens de fidelité, scèllés même
de la participation au Saint Sacrement de
l'Eucharistie, pendant qu'ils êtoient ses ennemis
[nemis]
jurés, jusqu'à chercher & à tenter
des moyens, pour lui ôter la Couronne, falût
il même pour cela lui ôter la vie. Comment
êtoit-il possible, que des gens, qui portoient
le nom de Chrêtiens, tombassent dans
des déguisemens si sacrilèges ; puis qu'il
semble que des Payens, qui auroient le
moindre sentiment de probité, ne pourroient
pas en être capables ? Souverain Maitre
des cœurs, veuille enfin aujourd'hui veuille
faire cesser, de si abominables, de si infernales
pratiques !
Nous trouverons une autre grande raison,
d'honorer nos Rois avec amour, si nous réfléchissons
sur les avantages du Gouvernement
en général. Pour les sentir, il ne faut
que penser, aux inconveniens, aux desordres,
que dis-je, aux horribles malheurs d'un
Peuple, qui seroit dans l'Anarchie, qui n'auroit
personne pour le gouverner. Ce seroit
quelque chose de plus affreux, qu'une Troupe
de Brigans. Oui les Brigans eux mêmes,
pour peu qu'ils veuillent vivre en Societé
pour se maintenir, ne peuvent se passer d'avoir
des Chefs qui les commandent, & à
qui ils obeïssent, comme s'ils avoient sur eux
une autorité legitime. Les Romains croyoient,
qu'à moins que de détruire entierement
un Peuple par le fer & par le feu, on ne
pouvoit point le punir avec plus de severité,
qu'en le dépouillant de l'éxercice des
Loix ; de sorte qu'on y pût faire tout ce que
l'on vouloit, sans être retenu par le frein du
Magistrat. Puis donc que c'est par les Princes,
que Dieu fait éxercer la Justice dans
[le]
le Monde n'est-il pas évident, qu'ils doivent
être après Lui, le principal objet de
nôtre amour, pour les avantages inéstimables,
qui nous reviennent du Gouvernement
en géneral ?
N'oublions pas ici, les soins, les peines,
qu'il faut qu'ils se donnent, sans compter les
dangers auxquels ils s'éxposent, pour procurer
la tranquilité & le bonheur de leurs
Sujets. On s'imagine que leur condition
n'a rien que d'agréable & d'heureux. On
se trompe, à moins qu'on n'établisse cette
maxime qui est certaine ; Qu'il n'y a rien
de plus agréable & de plus heureux, aussi
bien que de plus louable & de plus glorieux,
pour des Princes Magnanimes, & qui
ont l'ame veritablement Royale, que de veiller
sans cesse, & de travailler sans relache jour
& nuit, pour faire la félicité de leurs Peuples.
Non leurs Couronnes ne sont pas toutes composées
de fleurs ; il y a sans comparaison
plus d'épines. De tous les fardeaux, c'est le plus
difficile à porter, le plus pesant, le plus accablant.
Si l'on pouvoit mettre dans une
balance, d'un coté tous les plaisirs que les
Princes peuvent se donner ; & de l'autre
leurs travaux, leurs soucis, leurs inquiétudes,
leurs alarmes ; sur tout lors qu'ils veulent
être veritablement Rois, & règnér par
eux mêmes, sans se décharger aveuglement,
des plus importantes fonctions de la Royanté,
sur des Ministres quelquefois negligens,
quelquefois interessés & insatiables, quelquefois
injustes & cruels, quelquefois mal intentionnés
& infidelles ; en un mot lors
[qu'ils]
qu'ils veulent remplir dignement les glorieux
caractères de Rois équitables, & de Peres
de leurs Peuples ; On trouveroit que
pour un plaisir qu'ils peuvent goûter, il
faut qu'ils soient devorés de mille cuisans
chagrins. Quels motifs de réconnoissance
pour eux ! Que peut il y a avoir de plus puissant
& de plus engageant, pour nous les
faire honorer, non seulement par nos respects
les plus profonds, mais encore par nôtre
amour, & par l'amour le plus zèlé, le
plus vif, & le plus ardent ?
La chose du Monde la plus à souhaiter,
ce seroit qu'il ne falût jamais distinguer,
entre la Dignité des Souverains, & leurs
qualités personnelles. Quel bonheur s'ils étoient
tous aussi respectables, aussi dignes
d'amour, par d'éminentes Vertus morales,
que par l'élévation de leur rang, & par leur
autorité ! Le seul qui me paroitroit en approcher,
ce seroit, que tous les Herauts de
l'Evangile, vécussent conformément à la
Doctrine qui est selon la Pieté , puis qu'ils sont
1 Tim. vi. 3.
si obligez à la prêcher, encore plus par une
sainte vie, que par leurs Discours. Mais par
malheur la distinction dont nous parlons,
n'est quelquefois, que par trop nécessaire aux
deux égards que nous venons de toucher.
Quel est donc alors le devoir des Sujets ;
comment rempliront-ils le Précepte qui les
oblige à honorer leurs Souverains ? Il faut
toujours qu'ils respectent & qu'ils aiment
leurs Personnes, nonobstant leurs mauvaises
qualités morales, à cause de l'éxcellence de
leur dignité. Mais pour de l'estime, il n'est pas
[pos-]
possible que les Gens de bien en ayent pour
eux. Le moyen d'estimer, les Sardanapales,
les Tiberes, les Caligulas, les Nerons, les Heliogabales !
L'estime est un Tribut, qui ne
sauroit estre reéllement payé qu'au seul mérite.
Il ne faut pas rechercher les defauts
des Princes ; mais quand ils éclattent à la
face du Ciel & de la Terre, peut-on s'empècher
de les voir ; peut on n'en pas gémir,
avec une vive douleur, pour peu que l'on
réfléchisse sur les malheurs, qui en peuvent
être les funestes suites, soit par raport aux
Princes mêmes, soit par raport à leurs Peuples ?
Qu'y-a-til de plus contagieux & de
plus pernicieux pour corrompre les Sujets,
que les mauvais Exemples des Souverains ;
& par conséquent, y-a-til rien qui soit plus
capable, d'attirer la malédiction de Dieu, sur
leurs propres personnes & sur leurs Etats ?
A la verité il n'est permis de parler de
leurs défauts, quelque grands & quelque
éclattans qu'ils soient, qu'avec le respect que
des Enfans sont obligés d'observer, lors
qu'ils se trouvent dans la dure necessité, de
parler des vices de leurs parens. Mais pourtant
il est bon, que les Princes puissent apprendre,
ce qu'on en pense & ce qu'on en
dit dans le particulier ; parce que ce peut
être un moyen pour les en faire revenir.
Sur tout il y a des Personnes que la sainteté
de leur caractère, met dans une obligation
indispensable, de leur faire de sages Remonstrances.
Les
Nathans doivent dire aux
Davids coupables de grands crimes ;
vous êtes
2 Sam. xii.
v. 7.
ces hommes là .
Les Jean-Batistes doivent dire
[re] aux Herodes, quand même il devroit leur
en coûter la teste,
Il ne vous est point permis
Marc. vi.
18.
d'avoir la femme de vôtre Frere . Ce n'est point
là manquer, à l'honeur que l'on doit aux Souverains ;
Au contraire, c'est les honorer, &
même de la maniere la plus utile. C'est un
moyen pour les porter à se corriger ; C'est un
moyen pour détourner de dessus leurs Têtes
les Jugemens temporels ; & ce qui est infiniment
davantage, pour leur faire éviter les
tourmens de l'Enfer, lors qu'ils comparoitront,
aussi bien que les derniers de leurs
Sujets, devant le Tribunal de Dieu, qui rendra
à chacun selon ses œuvres, conformément
à cette règle de Jesus Christ,
à celui à
qui il aura été beaucoup donné, il sera aussi
Luc. xii.
48.
beaucoup redemandé.
Enfin, nous devons faire paroitre nôtre
respect & nôtre amour pour les Rois, par
des effets reéls. Reduisons cette réfléxion à
quatre articles, que nous ne ferons qu'indiquer,
parce que le temps nous presse.
Prémiérement nous devons démander à
Dieu, par des priéres ardentes en public &
en particulier, qu'il lui plaise, de couvrir
nos Rois de son invincible protection, & de
les garder chérement
comme la prunelle de son
Deuteron.
xxxii. 10.
œil ; de bénir leurs Personnes & leur Administration,
& de leur donner
ses Jugemens
Psal. lxxii.
& la Justice , afin que règnant pour Dieu,
ils le fassent sur tout règner lui même dans
leurs Etats, en y faisant fleurir la vertu &
la pieté, non seulement par de bonnes Loix,
qu'ils prennent soin de faire éxécuter ; mais
encore par les bons, les attrayans Exemples,
d'une vie Chrêtienne, pure, sainte, édifiante.
[Nous] Nous devons prier pour tous les hommes ;
Mais prémiérement, principalement pour nos
1 Tim. ii.
1, 2.
Rois : C'est ce que S. Paul nous apprend.
En second lieu nous devons contribuer, sans
regret, de bon cœur, avec plaisir, aux subsides
nécessaires, non seulement pour l'entretien
de l'Etat, car au fond ce que nous pouvons
donner à cet égard, nous ne le donnons
que pour nous mêmes ; mais encore
pour soûtenir, & faire paroitre avec éclat la
Dignité de leur Couronne. En troisieme
lieu nous devons faire, tout ce qui dépend
de nous, chacun selon sa condition, pour défendre
leur Personne, & maintenir leur
autorité & leurs Droits personnels, au peril
de nos biens & même de nos vies. En
quatrième & dernier lieu, nous devons obeïr
aux Loix, dont ils ont en main l'éxécution,
avec toute la fidelité & tout le Zèle dont nous
sommes capables, pourvû qu'elles n'ayent
rien de contraire, aux Loix que Dieu nous
a donné dans sa Sainte Parole, pour être
les règles inviolables de la Foi & des moeurs.
S'il y a de l'incompatibilité entre ces Loix de
Dieu, & celles des Souverains, alors il faut
Act. iv. 19.
dire à ces derniers,
Jugés s'il est juste de
vous obeir plustôt qu'à Dieu. Cette sainte maxime
n'est pas seulement fondée, sur l'autorité
du St. Esprit, parlant par l'organe de
St. Pierre. Elle nait si naturellement, des
principes de la droite raison, que Socrate la
fit retentir, presque dans les mêmes termes,
aux Oreilles des Atheniens.
Craignez Dieu,
& Honorez le Roi , dit ici le même Apôtre.
Comme s'il disoit
Craignez Dieu prémiérement
& sur tout. Ensuite, & observez cette
[sub-]
subordination ; ensuite Honorez le Roi , Par
conséquent en voulant Honorer le Roi, prenez
bien garde de ne rien faire, qui choque en
en aucune maniere, la Crainte que vous devez
avoir pour Dieu.
Que dirons nous de ce qu'on appelle Obeissance
Passive, que certaines gens portent à
un si grand éxcès, qu'ils prétendent, que
des Sujets sont indispensablement obligés de
la pratiquer, sous quelque oppression, sous
quelque tyrannie qu'ils puissent gemir ? Elle
n'a aucun solide fondement dans l'Ecriture ;
Elle choque les prémiers Principes de la
droite raison ; Elle est incompatible avec les
vûes les plus essentieles, quil faloit nécessairement,
que les Peuples se fussent proposé,
dans l'établissement des Rois, & qu'ils n'ont
jamais dû ni pû abandonner ; Elle fait revolter
tous les sentimens naturels, & par conséquent
legitimes, du cœur humain ; Elle
n'a jamais été pratiquée par aucun Peuple,
que lors qu'il y a été forcé par la nécessité,
& que la crainte de s'attirer de plus grands
malheurs, l'a detourné de chercher à se tirer
d'esclavage. Qu'on lise l'Histoire de tous
les temps ; on verra que les Peuples qui ont
souffert davantage, que leur Princes usurpassent
sur eux le pouvoir le plus Despotique
& le plus Arbitraire, n'ont pas laissé de se
souvenir qu'ils étoient hommes, & qu'ils ne
devoient être traités qu'en cette qualité,
quand ils ont crû trouver les moyens d'empécher,
que leurs Tyrans ne les traitassent
plus en bêtes. Il faudroit avoir renoncé à
tout sens commun, si l'on condamnoit le Senat
[nat]
de Rome, pour avoir proscrit l'Empereur
Neron. L'admirable, l'heureuse Révolution,
que la bonté Divine opera dans ces
Royaumes, il y a près de trente neuf ans,
par l'organe d'un Prince, d'un Heros d'immortelle
memoire, a êté si bien justifiée contre
ceux qui ont taché de la noircir, qu'il
faut se mettre volontairement, un bandeau
redoublé, d'obstination & d'opiniastreté sur
les yeux, pour ne point voir combien elle
étoit juste & legitime, de même que nécessaire,
pour le bien Spirituel & temporel de cet
Etat. Que nous serions ingrats, si nous ne
la défendions pas de tout nôtre pouvoir, après
les grands avantages, que Dieu nous a
fait la grace d'en retirer, sous les Règnes,
qui l'ont suivie ! C'est ce qui nous conduit
à nôtre seconde Partie, où nous avons dit
que nous ferions des Réflexions, qui se rapporteroient
directement à la circonstance du
temps ; Circonstance si triste, & si rejouissante
tout ensemble.
LA Providence Divine peut être aujourdhui
représentée à nôtre égard, sous l'emblème
Exod. xiv.
23.
de la nuée qui conduisoit les Israëlites,
tenebreuse d'un côté, &
lumineuse de l'autre. Cette
adorable Providence à deux faces, si l'on
peut parler ainsi, nous appelle à pratiquer
le précepte de nôtre Texte de deux manieres
bien differentes ; L'une pour le Roi que
nous n'avons plus, & l'autre pour le Roi
que nous espérons, de la bonté de Dieu
qui nous le donne, qu'elle le conservera
long temps, soit pour nous, soit pour ceux
qui viendront après nous. Disons ici avec
[St.] St. Paul,
Nous sommes serrés de deux cotés .
Phil. i. 23.
La
Tristesse & la
Joye, deux Passions si contraires,
s'emparent tout à la fois de nôtre
ame ; sans se detruire, & même sans
se confondre, elles nous agitent de leurs
mouvemens opposés. L'une nous fait
affliger,
de la mort du Roi que nous avons perdu ;
L'autre nous fait
réjouir, de ce que nous
le retrouvons en la personne d'un Fils, si
digne de lui succèder, & par conséquent si
capable de réparer la perte que nous avons
faite.
Nous avons honoré le feu Roi, tant que
nous avons vécu sous sa douce & heureuse
Domination. Nous l'avons honoré par devoir,
par inclination, & par réconoissance ;
avec un profond respect, avec un ardent
amour, avec une fidelité & un zèle inviolables.
Enfin nous lui rendons nos derniers.
homages, en regrettant vivement & de tout
nôtre cœur, la perte d'un Si Bon Roi. Sans
y penser, sans en avoir osé entreprendre le
dessein, nous avons fait son Eloge, & un des
plus magnifiques. Ce nom, si beau, si glorieux
en lui même, si agréable aux oreilles
des Sujets, si touchant, si ravissant dans leurs
cœurs, n'a jamais été donné à meilleur Titre.
La Bonté étoit le caractère éminent de
GEORGE prémier ; Il la possedoit si bien
par éxcellence, que l'on seroit tenté de croire
qu'il en portoit l'éxercice trop loin. Où
est l'injustice que ses Ennemis, ayent jamais
eu quelque raison de lui reprocher ?
Au lieu que s'il eûst pû avoir trop de Clémence,
la seule chose que l'on pourroit avoir
[du]
du penchant à ne pas goûter dans son Gouvernement,
ce seroit son peu de severité contre
les attentats de la Rebellion, & son éxtrème
facilité, à donner des amnisties & des
Graces à des Rebelles ; Mais qu'un Roi est
bien digne d'éxcuse, quand il n'en a besoin,
que pour des éxcès de bonté, en faveur de
ses ennemis ! Bien loin d'opprimer ses Sujets ;
Jaloux de leurs Libertés, autant qu'ils le
pouvoient être eux mêmes, il s'est fait un
doux plaisir, de les en faire jouir dans toute
leur plénitude, & de leur donner les plus
solides asseurances, qu'elles lui seroient toujours
inviolables & sacrées. Quel soin, quelle
vigilance, pour faire vivre ses Peuples
dans une profonde Paix, nonobstant, malgré
son inclination naturelle, pour le noble
& glorieux Metier de la Guerre, qu'il avoit
apris dans sa premiere Jeunesse, sur tout en
combattant contre les Infidelles, & éxercé
depuis en divers Climats, avec tant de prudence
& de valeur, qu'il étoit reconu pour
un des meilleurs, & des plus consommez Géneraux,
qu'on ait vû depuis long temps en
Europe !
Lors même que par de sages précautions,
il faisoit de grands & de puissans armemens,
pour entrer promptement en Campagne, afin
de prévenir & de confondre les pernicieux
desseins des Ennemis ; ce qu'il desiroit
avec le plus d'ardeur, c'étoit de leur inspirer
assés d'appréhension, & de crainte, pour ne
vouloir pas essuyer l'effort de ses armes, &
pour se reduire à accepter sagement des Propositions
[posi-]
de Paix, qu'il jugeoit plus avantageuses
pour ses Sujets, que n'auroient été
les heureux succès que la Guerre sembloit lui
promettre. Dieu venoit de le faire reüssir,
dans un dessein si génereux, si magnanime.
Comblé de joye, & des Benedictions de ses
Peuples, il étoit parti pour prendre avec les
Alliés, les mesures nécessaires, afin de parvenir
à la consommation de ses souhaits,
par une Paix générale, solide, & durable.
Le Ciel avoit exaucé nos voeux, en le garantissant
des dangers de la Mer, qui avoient
failli à nous être si funestes en sa Personne,
la derniere fois qu'Elle y avoit été éxposée.
Nous n'étions occupez, que du plaisir d'en
rendre à Dieu nos plus vives actions de graces,
& de l'impatient desir d'apprendre à tous
momens, qu'il étoit heureusement arrivé,
au terme de son Voyage. Dans ce plaisir
dans cette douce attente, nous entendons
tout à coup, qu'il a fini sa vie, dans le même
Palais où il l'avoit commencée. Quelle triste,
quelle accablante nouvelle ? Qui n'en a pas été
frappé comme d'un coup de foudre ! Qui est
ce qui n'en a pas encore l'ame toute penétrée !
Helas ! Sa vigoureuse constitution, sembloit
promettre à ses Peuples, qu'ils auroient le
bonheur de le posseder encore plusieurs années,
& jusqu'à la plus grande Vieillesse.
Cependant, O vanité, O néant de toutes les
espérances humaines ! une mort imprevue &
presque subite, nous l'enlève comme un
tourbillon.
Une mort imprévue, & presque subite !
O Dieu tout Bon ! nous esperons de ton infinie
[nie]
Ps. cxvi. 15.
Misericorde, qu'elle aura été
précieuse
devant tes yeux ; que ta Grace qui peut en un
moment deployer toute son efficace dans les
Pecheurs, sans l'usage d'aucun moyen éxterieur,
aura mis son ame, en êtat d'être portée
par tes saints Anges, dans ton Paradis,
dans ton Sein, lavée de la coulpe de tous
ses pechés, par le precieux Sang de ton Fils
Jesus Christ le Redempteur du Monde, purifiée
de toutes ses souillures, par l'Eau sanctifiante
de ton S. Esprit ; & qu'ainsi tu auras
changé la couronne corruptible qu'il
portoit sur la Terre, en une couronne immarcessible
de gloire dans le Ciel.
Conservons chérement sa Glorieuse Memoire,
& le tendre souvenir de ses bien-faits.
Benissons Dieu qui fait vivre & qui fait
mourir, de l'avoir conservé jusqu'à un âge,
où l'on voit parvenir peu d'hommes, & sur
tout un si petit nombre de Rois. Benissons
Dieu, la source & la prémiere cause de
toute sorte de biens, des douceurs générales &
particulieres, qu'il nous a fait trouver à
l'ombre de son
Sceptre d'or, pendant près de
treize années. Et pour profiter saintement
de sa mort, regardons la comme un grand
commentaire, bien sensible & bien touchant,
Iac. iv. 13,
14.
de cette Leçon d'un Apôtre ;
"Vous
"qui dittes ; allons aujourdhui ou demain
"dans un tel Païs, pour y avancer nos affaires ;
"Vous ne savez pas ce qui vous
"arrivera le lendemain. Car qu'est ce que
"vôtre vie ? Certainement ce n'est qu'une
"legere vapeur, qui apparoit pour un peu,
"& puis s'évanouit." Incertitude, fragilité
[gilité] de la vie humaine, ne ferez vous
jamais, d'assés vives, d'assés profondes impressions
dans nos ames, pour nous inspirer
un cœur de sagesse ? Ne ferons nous jamais
Ps. xc. 12.
d'assés serieuses, d'assés durables réflexions,
sur ces verités si humiliantes mais
en même temps si sanctifiantes ;
"Vanité des
Eccles. i. 1.
"Vanités, tout est Vanité. Toute chair est
1 Pier. i.
24.
"comme l'herbe, & toute la gloire des hommes,
"comme la fleur de l'herbe. Le Monde
1 Jean. ii.
27.
"passe & sa convoitise, ses richesses, ses plaisirs,
"ses honeurs, ses Dignités, ses Sceptres,
"ses Couronnes, s'envolent, s'anéantissent.
"Au lieu que ceux qui font la volonté de
"Dieu, demeurent éternellement." C'en est fait, Mes Freres, nous avons
Honoré,
autant que nous l'avons pû selon nôtre
foible portée, le Roi qui n'a plus de respiration.
Il reste que selon l'obligation de
nôtre Ministère, nous vous éxhortions, quoi
que vous y soyés mieux disposés, que nous
ne saurions vous y animer, à
Honorer désormais
le Roi, qui pour parler avec un Prophete,
Lament.
iv. 20.
est à présent le
souffle de nos Narines . Pratiquons
à son égard, avec toute la fidelité,
avec tout le Zèle dont nous sommes capables,
tous les devoirs que nous avons medité dans
nôtre Texte. Beni soit l'Arbitre Souverain
de toutes choses, qui n'a point retiré sa gratuité
de dessus nous. En
faisant la playe, il
Job. v. 18.
l'a bandée en même temps. Si les pleurs
ont fondu le soir sur nous, il nous a fait
Ps. xxx.
6.
entendre le matin des chants de triomphe.
En retirant à soi un Roi selon nôtre cœur,
il nous en a donné un autre, qui le sera de
[même,] même ; que dis je, il l'est dèja. Nous avons
un Salomon en la place de David son Pere.
1 Rois iii.
7.
Non un Salomon
qui soit encore trop jeune, &
qui ne sache ni entrer ni sortir ; Mais un Salomon,
dans sa maturité, dans la force de l'âge,
& qui a déja une si grande portion de sagesse.
Non un Roi à former ; mais un Roi
tout formé pour le Trône. Un Prince qui
pendant douze années, a étudié avec tant
de soin & d'assiduité, la Constitution & les
Loix de ces Puissans Royaumes, pour être
en état d'en tenir glorieusement les Rêsnes,
s'il plaisoit à la Divine Providence, de les
Lui mettre un jour en main, selon le cours
de la Nature.
Que ne devons nous pas attendre de son
Règne, quand nous pensons avec quel heureux
succès, avec quel applaudissement, il fit
briller tant d'application, de prudence, &
d'habileté, dans le temps de sa Règence ?
Oh ! si cette joye qui éclatte aujourdhui de
toutes parts, pour son avenement à la Couronne,
& qui se signale en tous lieux avec
tant de Zèle, Oh ! si cette joye si universelle
étoit un asseuré présage, que les Factions
vout finir, qu'il n'y aura plus de Partis, &
que tous ses Sujets à l'envi les uns des autres,
n'auront plus qu'un cœur & qu'une
ame ; pour ses interests & pour son service !
Le Dieu de Paix veuille consommer le bonheur
de ce florissant Etat, en amenant par sa
bonne Providence un si heureux événement !
Hosanna, beni soit le Roi qui vient au nom du
Marc. xii.
9.
Seigneur. Veuille
l'Auteur de toute bonne donation ,
le revestir de sagesse & de force ;
[l'Ani-] l'animer toujours de plus en plus, de sa
crainte & de son amour ; être
son Soleil & son
Ps. Lxxxiv.
Bouclier, lui donner Grace & Gloire, ne lui
épargner aucun bien ! Que le Sceptre qu'il a
en héritage, fleurisse toujours en sa main ;
Qu'il le porte long temps, toujours avec
Plaisir & avec Gloire ! Qu'après une longue
suite d'années, toutes heureuses pour Lui,
& pour la Reine, sa Digne, Son Excellente,
Son Auguste Epouse, ce beau Sceptre passe au
Prince, qui par tant de belles qualités, si dignes
de sa naissance, mais en même tems
si fort au dessus de son âge, fait déjà tant
d'honeur à ses Glorieux Ancestres, & allonge
ainsi à nos yeux, l'agréable Perspective d'un
heureux Avenir ! Enfin, Que ses Couronnes
devenues sur sa Tête sacrée, encore plus
Illustres qu'elles n'ont été dans les Règnes
précédens, soient transmises avec toute leur
Splendeur, à sa Posterité de Fils en Fils,
jusqu'à la derniere génération des hommes.
Ces Actions de Graces, ces Prieres,
nous les poussons tous au Ciel du plus
profond de nôtre cœur. Mais, afin qu'elles
montent heureusement jusqu'au Trône de
Dieu, suffit il qu'elles soient sincères & ardentes ?
Si nous voulons qu'il reçoive favorablement
les unes, & qu'il éxauce les autres,
souvenons nous qu'il faut qu'elles soient
soutenues, & animées d'une vie sainte. Est
ce en vain que l'Ecriture a dit, que le sacrifice
des Mechans, est en abomination à l'Eternel,
Prov. xv.
1
& qu'il ne les éxauce point ? Quelque
Jean ix.
31.
Zèlez que des Sujets puissent être pour
leur Souverain, s'ils manquent de Zèle pour
[Dieu,] Dieu, ils sont Traitres au Roi, & à la Patrie.
Autant qu'il depend d'eux, ils attirent
les malédictions du Ciel en haut & de la terre
en bas, sur sa Personne & sur ses Etats.
Apliquons nous ce que Samuel dit aux Israëlites,
après que par le commandement de
Dieu, il eut oint Saül pour règner sur eux ;
1 Sam. xii.
25.
Si vous perseverez à mal faire, tant vous que vôtre
Roi, vous serez consumez. Au contraire, si
Mat. xxii.
21.
en
Honorant le Roi, nous
craignons Dieu ; si
en
rendant à César ce qui est à César, nous rendons
à Dieu ce qui appartient à Dieu , nous aurons
la joye & le bonheur, de contribuer
par la voye la plus éfficace, à faire descendre
abondamment du Ciel, les plus précieuses bénédictions,
sur le Roi, sur la Reine, sur
leurs Altesses Royales les Princes & les Princesses
leurs Enfans, sur toute la Maison Royale ;
& en même temps sur l'Eglise & sur
l'Etat, sur nos Personnes & sur nos Familles.
Enfin après avoir
Craint Dieu, & Honoré le
Roi sur la terre, nous vivrons, nous règnerons
avec le Roi des Rois, & le Seigneur
des Seigneurs, dans le Palais de sa Gloire
éternelle. Dieu nous en fasse à tous la
Grace ; & à Lui Pere, Fils, & Saint Esprit,
un seul Dieu en trois Personnes, soit Honeur,
Louange, & Gloire dès maintenant
& à jamais.
AMEN.