SERMON I.
SUR LE
SACRIFICE DU CHRETIEN.
Je vous conjure donc , mes Freres , par les
compassions de Dieu , de lui offrir vos
Corps , comme une victime vivante ,
sainte , agréable à Dieu , comme votre
raisonnable service .
Rom. XII. i.
J'Entreprens aujourd'hui,
M. F., pour la Gloire de Dieu,
pour l'édification de cette Eglise ,
pour satisfaire aux obligations
de mon Ministère ; j'entreprens l'explication
du Chapitre XII. de l'Epitre aux Romains.
J'ai choisi ce Chapitre , parce que
c'est un des plus beaux morceaux de l'Ecriture,
un Recueil de préceptes, où l'Apôtre
prescrit les vertus les plus excellentes
[tes]
& les plus essentielles de la Religion.
Je l'ai expliqué tout entier dans l'Eglise,
où la Providence m'appella
( i ) , lorsqu'il
plût à nos Supérieurs d'assigner à chaque
Eglise ses Pasteurs, & à chaque Pasteur
son Troupeau. Quelques bonnes que fussent
les intentions , je ne sai si le succès y
a bien répondu. Il est malaisé que l'union
naisse du partage, & j'avouerai toujours,
que l'unité de l'Eglise & de Ministère ,
me paroissoit plus propre à entretenir
la paix & la charité. Quoiqu'il en
soit, j'ai expliqué ce Chapitre, & je puis
vous protester en la présence du Seigneur,
que ce n'est point pour diminuer mon travail,
que j'en entreprens de nouveau l'explication.
Il m'est plus pénible de reprendre,
& de rectifier quelques-fois en les reprenant ,
des idées effacées, que d'en concevoir
de nouvelles , qui , plus présentes
[à]
à l'Esprit, soulagent la mémoire , que les
années affoiblissent toûjours. C'est donc
uniquement pour votre édification , que
je rentre dans une carriere que j'ai déjà
fournie , & où je vous prie de me suivre,
& de m'encourager en secondant le zèle
que j'ai de vous instruire & de vous sanctifier ,
par une attention religieuse aux
préceptes importans que l'Apôtre nous
donne , & par une noble émulation à les
observer.
Après avoir traité au long des matières
très difficiles , des Controverses , qui
regardoient proprement les Juifs attachés
à leurs Loix & à leurs Cérémonies, prévenus
qu'ils étoient seuls le Peuple de
Dieu , & que les Gentils ne pouvoient
être sauvés qu'en prenant le joug de Moyse :
Après avoir traité , dis-je, des Questions
difficiles , l'Apôtre commence dans
[le]
le Chap. XII. ces belles & pressantes exhortations ,
par lesquelles il finit ordinairement
toutes ses Epîtres. Il a exposé la
Foi Chrêtienne ; mais à quoi sert la Foi
de J. Christ, sans l'observation de ses
commandemens? La Foi n'est qu'une base
solide, que le Seigneur a posée afin qu'elle
serve de fondement à l'Edifice de la Sainteté
& de la Charité. Il passe donc aux
Devoirs du Chrêtien, & comme la Loi du
Seigneur a deux Tables, comme la Morale
Chrêtienne a deux Parties, le service
de Dieu d'une part , l'exercice de la Justice
& de la Charité de l'autre , l'Apôtre
commence par le prémier. Il expose le
véritable Culte, que nous devons à Dieu,
& conjure les Fidèles de lui présenter ce
Culte. Je vous conjure, M. F., par les
compassions de Dieu, que vous lui offriez
vos Corps en sacrifice , comme une victime
vivante , sainte , agréable à Dieu ;
car c'est là le Culte raisonnable .
En considerant cette Exhortation, j'y
ai vû quatre objets, qui ont attiré mon
attention. Le prémier , est le caractère
de la Personne qui nous parle : c'est S.
Paul. 2. Le Devoir qu'il nous commande,
c'est le Sacrifice de nous-mêmes , comme
[ me ]
d'autant de victimes saintes & vivantes.
3.
L'excellence & les avantages de ce
sacrifice:
C'est un Culte agréable à Dieu,
& digne de l'Homme raisonnable .
4. Enfin
le
motif qui soutient cette Exhortation :
Ce sont
les Miséricordes du Seigneur. Voilà
les quatre objets de notre attention. Je
vai me borner au prémier. Je suis bien
aise de vous faire connoitre S. Paul, ou
plûtôt, de retracer à vos yeux, un des
plus beaux & des plus divins Caractères
du monde. Non pour faire son éloge :
C'est un Juif , qui l'est dans l'intérieur ,
Rom. II.
29.
dans le cœur , qui n'attend sa louange que
de Dieu , & non des Hommes ; mais pour
vous faire sentir la déférence , l'obéïssance ,
que vous devez à ses exhortations.
i. Entre les choses qui donnent de la
force & du poids aux exhortations, il y a
l'Autorité de la Personne qui parle. Cette
autorité se tire, 1°. de ses talens & de ses
vertus. Les talens de l'Esprit , les vertus
du Cœur , donnent à nos égaux même une
autorité sur nous , qui ne peut être méprisée
que par le vice & par la brutalité. 2°.
Elle se tire en second lieu, de la Charge,
de la Dignité, du Pouvoir dont les Personnes
sont revêtuës. 3°. Elle se tire en
[troi-]
troisiéme lieu , de leur exemple. S'ils
font eux-mêmes ce qu'ils commandent,
Matth.
XVI. 24.
si comme J. Christ, ils disent,
Suivez-
moi : comme S. Paul,
Soyez mes imitateurs ,
Philip.
III. 17
ils ôtent à la foiblesse , à la lâcheté ,
le prétexte de la difficulté, de l'impossibilité
à exécuter ce qu'ils commandent.
4°. Elle se tire enfin , de leur zèle & de
leur affection pour les personnes à qui ils
adressent leurs exhortations. La Bonté , la
Douceur , l'Affection, ouvrent aux remontrances
le chemin du cœur. Elles l'attendrissent
& le rendent flexible , pliable en
l'attendrissant. Voilà les quatre sources de
l'Autorité ; Elle sont dans S. Paul , & je
vais vous les marquer. J'en oubliois une
cinquiéme , & je crois que c'est la bonne
opinion que j'ai de vous, M. F., qui me
la faisoit oublier. La voici pourtant.
Je veux parler de certains avantages du
monde, qui en imposent , & qui peuvent
frapper des yeux qui aiment l'éclat , les
apparences, & qui cédent plûtôt au Faste
qu'à la Raison. Je n'ai garde de vous accuser
d'un si mauvais caractère. Cependant
voyons en peu de mots ce qu'étoit S. Paul
du côté de ces avantages , qui font respecter ,
estimer les hommes ; voyons ce
qu'il étoit selon la Chair , avant que de
[voir]
voir ce qu'il étoit
selon l'Esprit : Que dis-
Philip.
III. 3. 4.
je? Je ne veux vous montrer ses avantages ,
sa grandeur selon la Chair , qu'afin
de vous faire voir sa grandeur selon l'Esprit ;
car ce qui l'éleve , n'est pas de les
avoir eûs , c'est de les avoir méprisés , sacrifiés ,
de les avoir joints au sacrifice de
lui-même.
J'ai des raisons de croire , que S. Paul
Act.
XXII.
3. 25.
avoit du bien. Il étoit de Tarse , Capitale
de la Cilicie , & avoit été élevé à Jérusalem
dans l'Ecôle de Gamaliel , célèbre
Docteur de ce tems-là , dans la plus célèbre
Académie des Juifs. Du côté de la
Naissance, il étoit
Hebreu , né d'Hebreu
Philip.
III. 5.
& non de race Prosélyte. Il descendoit
de la Tribu de Benjamin , de cette Tribu
la plus illustre après celle de Juda. Il avoit
de plus l'avantage d'être
Citoyen Romain ,
& c'est , dit-on , à cause de cela , que pendant
que S. Pierre fut mis en croix, comme
une personne vile , S. Paul eût la tête
tranchée. Je ne sai si la Bourgeoisie de S.
Paul , ne venoit point de la Ville de Tarse,
qui, voyant approcher les Romains, leur
envoya des Députés avec des présens, leur
demanda leur amitié , & fut admise à la
Société du Peuple Romain. C'est au moins
[ce] ce qu'a dit Hilaire ,
(2) Diacre de Rome,
Ecrivain du IV. Siècle , dans un Commentaire
sur les Epitres de S. Paul. Ainsi ce
n'est point en parlant de lui-même , que
l'Apôtre a dit,
Que Dieu a choisi les choses
viles , pour confondre les nobles . Il
n'avoit rien de vil en lui. Il méritoit d'être
honoré par ces avantages , dont le
monde fait cas ; par le Bien , par la Naissance,
par l'Education, par la Noblesse
du sang : Mais ce qui l'honore infiniment,
& ce qui m'oblige à vous exposer ces avantages,
c'est le jugement qu'il en a prononcé ,
Philip.
III. 7, 8.
c'est l'usage qu'il en a fait:
Je
les foule aux pieds, dit-il, je les regarde
comme un néant , au prix de la connoissance
de J. Christ, & de la vertu de sa
Resurrection . Je le crois bien, S. Apôtre :
Le sacrifice n'est pas grand. La Résurrection
de J. Christ t'offre bien d'autres
Richesses , d'autres Grandeurs , d'autres
Dignités , que celles que tu foules aux
pieds. Les Bourgeois des Cieux ont bien
d'autres Priviléges , que les Bourgeois de
Rome; & les Enfans de la Résurrection,
un autre Héritage, que celui de Benjamin
& de Juda. Mais voici où est le sacrifice,
[crifice] le sacrifice difficile :
Je les foule
aux pieds, dit-il, je les regarde comme un
néant au prix de la communion des souffrances
de J. Christ , au prix de l'avantage
Philip.
III. 10.
d'être conforme à lui dans sa mort ;
de souffrir pour J. Christ, & avec J.
Christ : La Croix de J.Christ fait
sa Gloire.
A Dieu ne plaise que je me
Gal. VI.
14.
glorifie, sinon dans la Croix de J. Christ,
par laquelle je suis crucifié au monde , &
le monde m'est crucifié . Voilà pourquoi,
M. F. , j'ai bien voulu dire ce qu'étoit S.
Paul selon la chair. Je ne veux point
vous le faire respecter par des avantages
qu'il a méprisés, mais par le mépris qu'il
en a fait. Je passe donc aux quatre sources
d'Autorité que je vous ai indiquées.
1. La prémiere se tire des Talens des
Personnes. Or je dis, & vous en conviendrez,
qu'on ne sauroit voir nulle part
plus de ces qualités sublimes , qui impriment
la vénération , & qui exigent
l'obéïssance , qu'on en voit dans cet Apôtre.
Qu'il est bien nommé
le vase de l'Election
Act. IX.
15.
de Dieu , & comme porte notre
Version,
l'Instrument d'élite! De tous les
Vases de ce Temple spirituel, que la Grace
& l'Esprit de J. Christ ont élevé à
la Gloire de Dieu, je veux parler de l'Eglise,
[glise,] il n'y en a point de plus honorable.
1. Tim.
I. 14
Jugez-en vous mêmes par ces paroles :
La
Grace du Seigneur s'est déployée en moi en
toute abondance , avec la Charité :Saint
Homme ! toûjours modeste , lors-même
qu'il se glorifie, il ne dit pas ce qu'il a
fait, mais ce que le Seigneur a fait pour
lui ; ou comme il parle ailleurs,
Je n'oserois
dire tout ce que le Seigneur a fait par
mon ministère . Et comme il s'exprime
dans un autre endroit ,
ce qu'a operé la
Grace du Seigneur , qui est avec moi .
S. Paul étoit le dernier des Apôtres ,
le dernier en ordre ; mais non certainement
le dernier en mérite , en connoissances,
en travaux, en succès. L'Envie
2. Cor.
XII. 11.
& l'Ingratitude l'ont forcé de le dire :
Je
ne suis en rien inférieur aux plus grands
des Apôtres. J'ai travaillé plus qu'aucun
d'eux . L'oserais-je dire? Les autres ont
été appellés par J. Christ,
pendant sa
conversation en Chair . S. Paul ,
par J.
Jean I.
14.
Christ glorifié . S. Jean disoit ,
Nous
avons vû sa Gloire , mais une Gloire comme
du Fils unique du Pére . Il parle de
Jesus transfiguré sur la montagne. C'étoit
comme la Gloire du Fils. Ce n'étoit
encore qu'un essai de sa Gloire ; Mais
S. Paul a vû J. Christ dans toute la
[gloire] Gloire du Fils, à la droite de Dieu , dans
la Gloire magnifique , dans
le troisième
Ciel ! Il ne m'appartient point , il n'appartient
à personne , de régler le rang des
hommes Divins. Mais j'avoüe , qu'il n'y
a point d'Apôtre , qui, lorsqu'il exhorte ,
qu'il conjure , mérite mieux que l'on s'écrie :
Voix de Dieu, & non point d'homme .
Act. XII.
22.
Je lis ses admirables Ecrits. Je les
médite , je tâche de les comprendre , & à
tous momens je m'écrie : c'est le langage ,
ce sont les sentimens de celui qui
a
été ravi au troisiéme Ciel , qui a vû les
II. Cor.
XII. 2. 4.
choses magnifiques & inénarrables .
La Science & la Vertu, M. F. , sont
les deux plus beaux attributs de l'Homme :
Ceux qui l'élevent à la ressemblance de
Dieu. Ils doivent être unis. L'une est
pour l'Esprit, l'autre pour le Cœur. Personne
n'a jamais contesté à S. Paul la
Science.
Le grand savoir t'a mis hors du
Act. XX.
24.
sens : C'est le langage d'un de ces ignorans ,
de ces Hommes charnels & mondains ,
qui n'estiment que ce qu'ils ont ,
& qui méprisent ce qu'ils ne sauroient avoir.
Comme on a dit ingénieusement
dans notre siécle:
Que les Petits se vangent
de la Grandeur que la Fortune leur
refuse , à force d'en médire ; de même les
[igno-] ignorans se vengent de savoir, en mettant
les connoissances au rang des choses
les plus vaines ; parce qu'elles ne procurent
pas ce qu'ils aiment , & ce qu'ils
cherchent. Mais fût-on sur le Thrône ,
on a beau la mépriser , elle n'en est que
trop vengée par les fautes qu'elle voit
faire, à ceux qui la méprisent. La science
de S. Paul étoit vaste. Il a dit lui-
2. Cor.
XI. 6.
même,
que s'il étoit comme un homme du
vulgaire par rapport au langage & à l'éloquence,
il ne l'étoit pas par rapport au
savoir . Mais la science de S. Paul étoit
une véritable science ; nullement fastueuse,
ambitieuse , vaine, pur effet de la curiosité ,
qui ne fait qu'orner l'ame sans la rendre
meilleure. Les lumiéres qu'elle répandoit
dans l'esprit, servoient de guide
à son cœur , pour le conduire au souverain
Bien par le chemin de la Vertu. Aussi
jamais plus de Vertus. Cet homme Divin,
qui a été ravi jusqu'au troisiéme Ciel,
n'en est point descendu. Sa conversation,
sa conduite est
d'un Combourgeois des
Cieux . Du côté de
la Foi, comme un autre Moyse,
il contemple l'Invisible , &
sacrifie tout à l'esperance de la Résurrection.
Du côté de
l'Espérance , c'est dans
le Ciel qu'il a jetté cette
anchre de son
[Ame,] Ame, cette
anchre sûre & ferme , qui le
rend immobile au milieu des tempêtes,
jusqu'à défier les Anges & les Démons , le
présent & l'avenir , la vie & la mort. Du
côté de la
Charité, c'est à lui d'en donner
les leçons , d'en marquer les divins
caractères , comme il l'a fait dans le Chap.
XIII. de la prémiere Ep. aux Corinthiens.
Il en connoit non-seulement les devoirs,
la perfection ; mais oserois-je le dire? les
emportemens, les excès. Je m'exprime
bien mal. Je devois dire,
les divins transports. Je voudrois, dit-il dans notre Epitre,
Rom. IX.
3.
être anathème de la part de J. Christ
pour mes Freres selon la chair . Je ne parle
point de la Justice & de la Tempérance :
ces vertus communes , ces vertus de
la raison, de l'honnête homme. Je ne
les compte pas dans S. Paul. Il se les
doit à lui-même, plûtôt qu'à J. Christ
& à Dieu ; car on les a vû pratiquer à
des gens, qui ne connoissoient, ni un Dieu
saint & juste , ni un Jesus-Christ.
2. J'insiste sur cette prémiere source
d'autorité , les talens , le savoir , & les
vertus. La seconde est le Pouvoir. J.
Christ revêtit ses Apôtres d'une autorité
toute Divine, & presque semblable à
la sienne. Je vous dispose , leur dit-il
[ le ]
le Royaume , comme mon Pére me l'a disposé .
Il leur donne le pouvoir de chasser
les Démons, de guérir les maladies. Il
Jean
XIV. 13.
les assura, que
tout ce qu'ils demanderoient
au Pére en son nom , il le feroit . Sûr de
leur prudence , de leur modération & de
leur charité, il les revêtit
du pouvoir de remettre
les péchés, & de les retenir ;de les
pardonner & de les punir. Il est vrai,
que leur ministère est un ministère de grace ,
de paix , de réconciliation. Ce n'est
point celui des Princes de la terre. Puisque
Jean
XVIII.
36.
le Royaume de J. Christ n'est point
de ce monde ; il est d'un autre ordre.
Il
2. Cor.
X. 8.
m'a été donné, dit l'Apôtre , non pour détruire,
mais pour édifier . Les Ministres du
Fils de Dieu ne sont point des Ministres
de la colère du Ciel ; & le feu qu'ils en
font descendre par leurs prieres , n'est point
comme celui d'Elie , un feu dévorant. Cependant,
quand cela est nécessaire , Satan,
les Maladies , les Douleurs sont à leur
commandement ; témoin ce qui se passa
à Corinthe. Après une infinité de prodiges
bienfaisans, salutaires , l'Apôtre y donna
un exemple éclattant , & de son pouvoir
& de la sévérité Evangelique. Il assemble
l'Eglise de Corinthe , tout absent
qu'il est. Il y préside par son Esprit , au
[nom]
nom & de la part de J. Christ. Il livre
à Satan un pécheur scandaleux , & fait
de Satan lui-même le Ministre , l'instrument
du châtiment. Ce n'est rien. Il le
fait l'Instrument de la conversion du pécheur.
Le Pouvoir Apostolique , M. F. , étoit
bien étendu & bien redoutable , d'un ordre
tout Divin. J'admire la vanité de
Pilate, qui dit à Jesus,
Tu ne réponds
Jean
XIX. 10.
rien. Ne sais tu pas que j'ai le pouvoir de
te crucifier , & celui de te relâcher? Il est
vrai, Dieu lui avoit donné ce pouvoir.
Mais J. Christ a donné à ses Apôtres
un pouvoir bien supérieur.
Je vous donnerai
Matth.
XVI. 19.
les clefs du Royaume des Cieux , &
tout ce que vous aurez lié sur la Terre ,
sera lié dans le Ciel . Pilate, ceux que tu
crucifies , sont relâchés. Ils sont délivrés
de la prison du Corps. La Mort les enlève
à toute la puissance de la Terre. Elle
brisera leurs chaînes & ils passeront dans
l'éternelle liberté des Enfans de Dieu. Mais
ceux que S. Paul lie , sont liés dans le
Ciel,
liés de chaînes d'obscurité . La Milice
du Gouverneur Romain aussi-bien que
celle d'Egypte, est
Chair, dit un Prophête
& non pas Esprit . Ce sont des hommes
mortels, & non des Esprits immortels ;
[tels ;] mais la Milice de S. Paul est Esprit
2. Cor.
X. 4.
& non pas chair.
Les armes de notre
Guerre, dit-il, ne sont point charnelles ;
mais puissantes de la part de Dieu , pour
le renversement des Forteresses .
3. Troisiéme source d'autorité. S. Paul
fait le prémier ce qu'il demande. Celui
qui nous a dit,
Je vous conjure d'offrir
vos corps en sacrifice à Dieu , a offert à
Dieu son corps en sacrifice. Je ne vois
point dans l'Ecriture de sacrifice plus entier,
que celui que S. Paul a fait de lui-
même à Dieu , plus parfait , plus digne
d'être accepté. Je crains de faire des paralleles
trop hardis ; mais , si je l'osois , je
mettrois presque tous les grands Hommes
aux pieds de S. Paul , comme je le mets
lui-méme aux pieds de J. Christ. Abel,
le prémier des Martyrs , celui qui par la
Foi offrit à Dieu le prémier sacrifice du
monde : Abraham, le Pére des Croyans,
ne l'emportent point sur lui : Ah! qu'il a
bien pratiqué ce commandement du Seigneur,
Matth.
XVI. 24.
Si quelqu'un veut venir après moi,
qu'il renonce à soi-même , qu'il charge sa
croix , & qu'il me suive . 1°. Il a renoncé
à tout ce qu'il avoit d'avantages selon le
monde. Ce n'est point une barque & des
filets , qu'il laisse comme Pierre & André,
[comme]
comme Jaques & Jean. Encore ne les laissoient-
ils que par des esperances mondaines ,
prévenus des illusions du Judaïsme
sur le Messie , & sur son Règne. S. Paul
laisse tout. Il laisse jusqu'à sa Gloire , jusqu'à
sa Justice selon la Loi. Ces biens si
chers , il les laisse pour prendre la Croix
de J. Christ, qui n'étoit plus inconnuë.
2°. Voyez ensuite ses travaux pendant le
cours d'environ trente ans que dura son
Ministère , les périls qu'il a courus , les
outrages qu'il a soufferts , sans-que son zèle
s'épuise , sans qu'il se relâche. Je vois
par tout un courage , une confiance superieure
aux tentations ; mais je n'y vois pas
même l'ombre de cette vaine gloire , qu'on
dit être l'ombre des grandes qualités &
des grandes actions , pour dire qu'elle les
suit par tout & toujours. Il prend toutes
ses forces dans l'amour que J. Christ
lui a témoigné ; dans la Croix de J. Christ ,
dans la Foi de J. Christ. Ce sont elles
qui immolent cette sainte victime , & qui
l'offrent pure à Dieu. Je ne lui prête rien.
Je le peins , comme il s'est peint lui-même.
Je suis, dit-il , crucifié avec J. Christ.
Voilà la victime , & voilà l'immolation ,
l'oblation. Elle est vivante cette victime :
Je vis , poursuit-il. Elle est sainte cette
[victime :]
victime : Je vis dans la foi du Fils de Dieu .
Mais ô Divin Apôtre, quel est le motif de
ce grand sacrifice ? Ce sont , nous répond-
il, les compassions de Dieu. Je vis dans
la foi du Fils de Dieu , qui m'a aimé , &
qui s'est donné lui-même pour moi .
Quatrieme
source
d'autorité
: la
Charité
de
celui qui
parle.4. Je laisse ce Divin motif. Je ne vous
parle à présent que des compassions de S.
Paul, C'est le dernier motif que j'ai observé
dans celui qui parle : son affection ,
son amour pour l'Eglise : sentiment qui
donne tant de force aux exhortations , sur
les ames nobles , généreuses , qui n'ont
rien de bas ni de servile. Celles-ci plient
sous la force de l'autorité , de la colere ,
des menaces ; mais elles plient à regret, &
se révoltent dès que l'autorité cesse de les
forcer. Mais les ames nobles , ne connoissent
point d'empire plus fort que celui de
II. Cor.
V. 14.
l'affection.
La charité de J. Christ me
tient enserré . Elle me lie ; elle m'enchaîne.
Aussi l'Apôtre , à l'exemple de J. Christ ,
n'employe les exhortations tendres qu'avec
des ames du prémier caractère. Avec les
autres il employe
la verge , comme il s'exprime.
C'est ainsi que J. Christ en use
avec les Pharisiens , & que S. Jean en avoit
usé avant lui avec cette
race de viperes ,
méchante & superbe .
[Quoiqu'il] Quoiqu'il en soit , S. Paul est un de ces
modeles , d'une tendresse pure , d'une Divine
charité. On diroit qu'il a toûjours
devant les yeux le Seigneur Jesus son
Patron , qui , lorsqu'il l'appelle du Ciel ,
lui dit ,
Saul , Saul , pourquoi me persécutez-
vous ? Comme son Divin Maître , le
Act. IX.
4.
soin de toutes les Eglises le tient assiegé.
Qui souffre ? que je ne souffre avec lui. Qui
II. Cor.
XI. 29.
est scandalisé ? que je n'en sois brulé . L'Evangile
prospere - t - il ? quoiqu'il soit dans
les chaînes , & que des Ouvriers infidèles
ne cherchent qu'à redoubler ses afflictions.
Je m'en réjouïs , dit-il & je m'en réjouïrai.
Vous êtes ma gloire , ma joye , ma
I. Tess. II.
19. 20.
couronne. Je vous porte au milieu de mes
entrailles . Je le vois dans l'Epitre aux Galates,
également pénétré, & de tendresse , &
d'indignation , comme une Mere à qui on
arrache ses enfans. Et que dirai-je ? Il est
pret à repandre son sang pour les fidèles.
Que si mon sang sert d'aspersion sur le sacrifice
Philip. II.
17.
de votre foi , je le répandrai avec
joye .
Voilà celui qui nous parle , qui nous
exhorte , qui nous conjure. Ce qu'il demande
est juste , nécessaire : Nous le verrons.
Le motif est le plus puissant de tous.
Nous l'examinerons. Mais le caractère seul
[de]
de celui qui demande le sacrifice de nous-
mêmes, son caractère , dis-je , nous en impose
II. Cor.
V. 20.
l'obligation. C'est
un Ambassadeur de
Dieu , qui nous parle de sa part. Il en a
la puissance & l'autorité. Il en a les connoissances
& les vertus. Il en donne l'exemple , & il joint
la plus tendre affection à la
plus grande autorité. Je sai qu'il n'en faut
pas tant à de bonnes ames , dont la vie innocente ,
pure , est un perpétuel sacrifice à
Dieu. Leur soin , leur plaisir et de plaire
à Dieu. Mais pour les autres , je ne sai ;
pas moins que S. Paul , mais S. Paul vivant
encore & prêchant lui-même , échouëroit
contre la dureté de leurs cœurs. Il faut les
livrer à leur obstination. Ils n'y renonceront
qu'à la vuë du jugement de Dieu. Tout ce
que j'ai à leur dire aujourd'hui, c'est ce mot
Luc X.
16.
de J. Christ à ses Apôtres :
Qui vous
rejette , il me rejette , & qui me rejette ,
rejette celui qui m'a envoyé . Si le Seigneur
venge le mépris des pauvres , des plus petits
de ses membres : S'il vaudroit mieux
Matth.
XVIII.
6.
n'être jamais né , que de scandaliser un des
foibles & des petits , que sera-ce de ceux
qui méprisent les Apôtres , où son nom
sacré est imprimé , où toutes ses vertus brillent ,
où son martyre même est représenté ?
Tous les traits lancés contre les Ministres
[du]
du Seigneur , passent jusqu'au Seigneur. Je
vous exhorte , moi Ambassadeur de Jesus-
Christ , moi Paul , mais Paul déjà vieux,
à présent Prisonnier pour J. Christ...
Vous resisterez à tous ces motifs. Non ,
nous céderons à ces motifs , & Dieu nous
fera la grace de lui présenter nos corps en
sacrifice , vivant , saint , agréable à Dieu,
car c'est notre sacrifice raisonnable . Amen.