SERMON.
Sur la véritable Patrie des François
Réfugiés.
Prèché le Jour de JEUNE, 11 Avril, 1744.
1 SAM. XXIX. 8. David dit à Akis qu'ai-je fait ? et qu'as tu
trouvé en ton serviteur, depuis le Jour que
j'ai été avec toi jusqu'à ce jour ; que
je n'aille pas combattre contre les ennemis
du Roi mon Seigneur ?
MES FRERES,
LE zèle que David exprime dans ces
parolles nous a déterminé dans le
choix que nous en avons fait, plûtôt
que l'occasion particulière qui les lui
fit profèrer. Opprimé dans les lieux que la
Naissance lui avoit donnés pour PATRIE ;
[per-]
persécuté à toute outrance ; ne pouvant vivre
en seureté dans les Etats de Saül ; il avoit été
obligé de chercher un azyle ailleurs. Le
Roi de Gath lui avoit donné retraite à lui
& à ses Gens.
"* David dit en son coeur ;
"certes je perirai un jour par les mains de
"Saül ; Ne vaut-il pas mieux que je me
"sauve au païs des Philistins ? David donc
"se leva, lui et les six cens hommes qui
"étoient avec lui, et passa vers Akis fils de
"Mahoc, Roi de Gath ; & David demeura
"avec Akis à Gath, lui et ses gens
"chacun avec sa famille." Comblés des
bienfaits de ce Prince, David et son monde
regardent comme leur
Patrie le païs de
leur
Réfuge. Ils ne demandent qu'à combattre
ceux là même qui furent autrefois
leurs Compatriotes, dès là qu'ils sont
ennemis de l'Etat dans lequel ils ont
trouvé, ce qui seul a droit d'attacher les
hommes à un païs plûtôt qu'à un autre,
la seureté et la protection. Cette disposition
suppose une maxime que nous avons
dessein d'établir dans la prémiere partie de
ce Discours.
Tout Païs qui reçoit et protege
un Peuple opprimé et persécuté devient
la PATRIE de ce Peuple, et aquiert à
son égard les droits que le nom de PATRIE
suppose, et de plus sacrés encore. [Tels]
Tels sont à nottre égard ces Roïaumes.
C'est un fait que nous déveloperons en
peu de mots dans nottre seconde partie.
Cela étant, que nous convient il de faire
dans les circonstances présentes ? C'est une
question à laquelle nous répondrons dans
notre troisième et dernière partie. Dieu
veuïlle bénir nos Réflexions, afinque sachant
où le nom de PATRIE doit être
placé par rapport à nous, nous demeurions
aussi bien convaincus qu'il ne nous
est pas possible d'être bons Chrétiens sans
être bons Citoïens ! Amen !
PREMIERE PARTIE.
Le nom de PATRIE a toujours paru
respectable ; mais on n'a pas toujours eu
de saines idées de ce qui caractérise la
PATRIE. Les Anciens d'entre les Gentils,
à qui les loix qui concernent l'adoption
rendoient familière l'idée d'un changement
de Père, auroient dû ce semble en
avoir quelcune d'un changement de PATRIE.
Cependant on ne voit point qu'ils
en aïent eu ; et conformément à ce
qu'exige l'intèrest des Tyrans, ils ont constament
regardé le lieu de la naissance, ou
l'origine des Ancêtres, comme fixant la
PATRIE d'une manière irrévocable. David
etoit dans d'autres principes ; et ses
[principes]
principes nous nous faisons d'autant plus
de gloire de les adopter, que leur conformité
avec la droite raison ne nous permet
pas de douter qu'ils n'appartiennent
au Christianisme, puisque cette Religion
nous recommande la pratique de tout ce qui
peut devenir un devoir selon les circonstances
où nous nous trouvons. La maxime
qui regloit le zèle de ce Prince pour le
service d'Akis, se déduit si naturellement
et si nécessairement de tous les principes
sur les quels peuvent être fondés les droits
de la PATRIE, que nous ne concevons
pas comment on peut admettre ces droits
et les révoquer en doute. C'est ce dont
un court examen de ces principes peut
facilement nous convaincre. Je les réduits
à trois.
La reconnoissance des bienfaits reçus est
le prémier principe d'où naissent les droits
de la PATRIE. Les hommes, originairement
égaux et indépendants, ne se doivent
primitivement rien les uns aux autres.
Mais un bienfait reçu détruit, à proportion
de sa valeur, cette égalité et cette
indépendance. Il aquiert au bienfaicteur le
droit d'exiger le retour ; et ce droit subsiste
jusqu'à ce que la dette soit pleinement
acquitée, ou que, par des mauvais
traitemens dont il nétoit point en droit
d'user, le bienfaicteur ait compensé l'obligation
[gation]
qu'on lui avoit, et l'ait anéantie.
La Société au milieu de la quelle on
naît acquiert d'abord ce droit sur chacun
de nous, par les soins de diverses especes
qu'elle prend collectivement pour empêcher
nottre destruction, dans un âge où
l'homme est absolument incapable de
veiller à sa propre sureté. Elle le fortifie
ensuite, par la manutention, et par l'exacte
exécution des loix, sous la protection des
quelles le particulier vit en sureté, et jouit
en paix de ce qui est à lui. Mais si cette
Société, aulieu de me protéger, me tyrannise ;
si, aulieu de me conserver, elle
cherche à me détruire ; si elle m'opprime ;
si elle me persécute ; si elle me ravit l'apui
des loix ; si, au lieu de me procurer la
jouissance paisible de ce qui est à moi,
elle m'en prive sans raison ; que lui dois-
je alors ? De la reconnoissance ? Eh pour
quoi ? Pour m'avoir fait du mal ! Le
prétendre seroit l'effet d'un étrange renversement
d'idées. Mais lors que, forcé de
quiter cette Société pour me soustraire à
ses vexations, je trouve ailleurs cette protection ;
cette sureté ; cet apui ; en un mot
tous les avantages que me refusoit le lieu
qui m'avoit vû naitre ; cet azyle n'a-t-il
pas droit à ma reconnoissance ? N'acquiert-
il pas visiblement, à mon égard, tous les
droits, qu'à titre de bienfaictrice, la Nation
[on]
dans la quelle je suis né eut pu prétendre ;
si, en renonçant au titre, elle ne
fut déchue de toutes les prérogatives qui
y sont attachées ?
Réünissons sous un même Chef, pour
prévenir la longueur, les deux autres principes,
d'où naissent les droits de la PATRIE
sur les Particuliers : L'esperance de
protection pour l'avenir, et la Communeauté
d'intèrest. Je n'ai garde de prétendre
que Dieu nous ait mis sur la terre pour
nous seuls ; mais au fond, nous n'y sommos
pas plus pour autres que les
autres n'y sont pour nous. Cela est réciproque.
Comme Dieu nous a créés avec
le desir insurmontable d'être heureux,
c'est nottre propre bonheur ; c'est nottre
propre avantage qui nous guide, et qui
nous doit guider en tout. C'est parceque
nottre bien être dépend en grande partie
de celui des autres hommes et de nottre
union avec eux, que nous vivons en Société.
Sans cela il vaudroit autant ; il vaudroit mieux
même à certains égards, vivre isolé dans
les Deserts. Mais il résulteroit de cette vie
solitaire des inconvéniens dont les hommes
se guarantissent par la protection et par l'apui
mutuel qu'ils se donnent lorsqu'ils s'unissent
ensemble pour former un corps politique.
Sans l'attente de cette protection, et
[sans]
sans la communeauté d'intèrest dont cette attente
est la base, il n'y auroit point de Société ;
point de Corps Politique ; et parconséquent
point de PATRIE. Il n'y auroit
donc pas non plus de droits de la part d'une
PATRIE qui n'existeroit point ; ny de devoirs
à remplir envers elle. Par là M. F.
vous voïés clairement, qu'un païs ne peut
meriter le nom de PATRIE à nottre égard,
qu'autant que nous avons lieu de nous promettre,
de la part de ses Habitans, la même
protection, le même apui, que nous serions
nous même en état de donner ; proportion
gardée du nombre et du pouvoir d'eux
et de nous ; enfin autant que ses intèrests
et les nôtres sont les mêmes. Mais en tout
cela je n'apperçois rien qui attache les hommes
à un païs, plûtôt qu'à un autre ; si ce
n'est à celui, où ils ont déja trouvé cette
protection et cette bienveillance, qui donnent
lieu d'esperer qu'on sera toujours protégé ;
où, par cette raison, ils se sont fixés,
et qui comprend leur sort aussi bien que
celui des autres Habitans. Ce païs là seul a sur
eux les droits que suppose un nom si doux.
Ces droits même deviennent d'autant plus
sacrés, que les bienfaits ont été plus volontaires,
et plus indépendants du hazard.
Un Peuple, reçu à bras ouverts au milieu
d'un autre Peuple, doit plus à la Nation qui
[le]
le reçoit, que les membres même de cette
Nation ne se doivent les uns aux autres.
Tout païs qui reçoit et protege un Peuple opprimé
et persécuté devient la PATRIE de ce
Peuple ; et acquiert à son égard les droits que
le nom de PATRIE suppose, et de plus sacrés
encore. C'est ce que nous nous étions
proposés de vous faire voir.
Nous sommes ce Peuple M. F. Nous
sommes, ou nos Peres ont été, ce que David
et les siens étoient dans les Etats d'Akis.
Ce Païs est desormais nottre PATRIE. Il
en a acquis à nottre égard tous les droits.
C'est un fait que nous avons promis de déveloper.
Mais en a-t-il besoin ? Qui l'ignore ?
Jusqu'où le bruit de nos malheurs
n'a-t-il point été ? Où n'est pas connuë la
perfidie, dont furent les victimes, vers la
fin du Siècle passé, les Réformés que la
France renfermoit dans son sein ; mais
dont elle refusoit de se montrer la PATRIE ?
Ils vivoient en paix sur la foi des
Traités les plus solemnels. Ils n'aspiroient
point à de nouvaux Privileges. Ils ne
demandoient autre chose que d'être protégés
par des loix faites en leur faveur, et
qu'il s'agissoit simplement d'exécuter. Mais
ces loix on les foula aux pieds. On opprima,
[ma,]
sans les respecter, un Peuple qui les
réclamoit. La foi donnèe, à des hommes que
l'on jugeoit à propos d'appeler Herétiques,
fut comptée pour rien. Les droits communs
à tous les Sujets, et sacrés pour tous
les autres, furent violés à leur égard. Ceux
même de la Conscience ne furent point respectés.
Où étoit alors leur PATRIE ? Ce
seroit abuser des termes, que de prétendre
qu'elle se trouvat dans leur Païs natal. Elle
n'y étoit point en effet. Mais ils la trouvèrent
dans les lieux où la Providence les
conduisit, et en particulier au milieu de la
Nation qui habite ces Roïaumes. Oui ; si
la PATRIE est le Païs au quel on se doit par
reconnoissance ; cet Etat est nottre PATRIE.
C'est lui qui nous a sauvés de la destruction.
C'est lui qui nous a recueïllis dans nottre
naufrage. C'est lui, qui nous faisant participer
aux suites avantageuses de l'heureuse
Révolution qu'il a subie, met en sureté nos
biens ; nottre liberté ; notre vie ; nottre Religion.
Faut-il d'autres motifs pour nous y attacher ?
Si la reconnoissance du passé ne les fournit pas,
nottre intèrest actuel nous les suggère ; et ne
peut manquer de nous y trouver sensibles.
Quelle attente pour l'avenir bon Dieu ! Si
les malheurs dont on a menacé cette Nation
venoient à fondre sur elle ! Si un Homme
élevé dans cette même Cour, d'où sont émanées
[nées]
les loix, dont la cruauté nous a forcés à
abandonner nos biens, nos familles, nos habitudes,
nos liaisons les plus chères ; un
homme affermi, par le long sejour qu'il a
fait à Rome, dans les principes du Despotisme,
de l'Oppression, et de la Persécution :
un homme qui devroit son élévation à une
Puissance qui ne nous a jamais perdus de
vuë, et qui nous considère comme des Sujets
Rebelles et fugitifs : Quelle attente, si Dieu
dans sa colère permettoit qu'un tel homme
montat sur le Thrône de ces Roïaumes !
Mais si Dieu détourne un tel fleau de dessus
cette Nation ; s'il la bénit ; s'il maintient
sur le Thrône, où il l'a placée, une Famille
accoutumée à se faire aimer, plûtôt qu'à
se faire redouter de ses sujets : la protection
dont nous avons joui jusques icy, nous est
guarante que nottre bonheur continuëra.
Incorporés dans la Nation, sa prospèrité ne
peut qu'être la nôtre. Ses Loix sont nos
Loix. Ses Privileges sont nos Privileges.
Sa Liberté n'est point distincte de la nôtre.
Le Païs de notre Refuge est vraïment notre
Patrie. Il n'a point d'intèrests, qui ne
nous soient communs avec lui.
TROISIEME PARTIE.
Qu'il nous Soit permis M. F. d'appliquer
icy, sans profanation, aux hommes, par le
[mini-]
ministère des quels Dieu nous fait du bien,
ce que David disoit à l'égard de Dieu
même.
Que rendrai-je à cette Nation ?*
Tous ses bienfaits sont sur moi .
J'étois devenu
misèrable, et elle m'a sauvé . Par elle
mon
ame a éte retirée de la mort, mes yeux de
pleurs, et mes pieds de trébuchement.
Que rendrons nous à cette Nation ? Que
nous convient-il de faire, dans les circonstances
présentes ? Tout ce que l'on doit à
sa PATRIE ; à la PATRIE la plus bienfaisante ;
nous le devons à l'Etat. Nous
lui devons plus encore. Nous lui devons cela
même que nous pouvons l'appeler notre
PATRIE
. Sentés vous bien M. F. jusqu'où
va une telle obligation, et tout ce qu'elle
renferme ? Nous devons la conservation de
tout ce que nous avons ; et en tant que la
vie, la liberté, et les biens nous ont été conservés,
nous pouvons dire que nous les avons
reçus. Soïons donc prets à nous en
désaisir génereusement, si le bien de la PATRIE
l'exige. Après tout ; ces avantages
n'auroient rien qui meritat d'être regretté,
s'ils survivoient au bonheur Public. La
possession, qui nous en seroit peutêtre
laissée, pour quelque tems, si le Gouvernement
présent étoit bouleversé, seroit trop
précaire, pour pouvoir nous flater qu'ils
fussent à nous. Sous un Gouvernement Tyrannique,
[ranni-]
le Sujet n'a rien qui soit véritablement
à lui ; et cela même qu'il semble
avoir, il est sans cesse à la veille de se le voir
enlever. De la conservation du Gouvernement
présent dépend donc la nôtre ; et par
conséquent, à ne consulter que nottre propre
intèrest, il n'y a rien que nous ne deussions
être prets à sacrifier pour sa défense. Fussions-
nous réduits à sacrifier tout, sans exception ;
nous ne perdrions par ce Sacrifice, que
ce qui periroit avec le reste, s'il n'étoit point
défendu : et, en risquant de sacrifier tout,
nous avons toujours l'esperance d'être nous
mêmes ce reste, qui peut être sauvé par le
Sacrifice d'une partie.
Mais, graces à Dieu, nous sommes bien
loin d'en être réduits à cette extrémité.
Tout ce que nous demandons de vous
aujourd'hui, M. F. c'est le Sacrifice, de ce
que vous ne pouriés conserver, sans un danger
manifeste pour vous mêmes en particulier,
aussi bien que pour la Nation dont vous
faites partie. C'est uniquement le Sacrifice
de ces passions corrompuës qui font la guerre
à l'ame , et qui, vous rendant odieux au
Dieu des Batailles, pourroient contribuer à
attirer sa colère sur nos Armées, et sa malédiction
sur nos entreprises. Si le Roi
forme des projets, et fait des préparatifs, convenables
à l'importance de la guerre qui vient
d'être déclarée contre la France, il nous annonce
[nonce]
cependant, qu'il ne regarde ces moïens
de vaincre, que comme subordonnés à la
bénédiction du Ciel, et c'est pour implorer
cette bénédiction sur ses armes, que nous
sommes assemblés par son ordre. Reconnoissons
avec lui, que quelque force
qu'ait l'homme, et de quelque prudence qu'il
soit doué ; le succès dépend de l'Eternel
des Armées. Et s'il est vrai, comme il
n'est que trop certain, que nous avons merité,
par nos péchés, l'indignation de cet Etre
Suprême ; tâchons de le fléchir par un
sincère repentir. Sa misericorde ne s'est
point encore retirée de dessus nous. Nous
l'avons vû, il n'y a que quelques jours, se
déclarer en nottre faveur contre un Ennemi
perfide, qui se disposoit à nous envahir en
pleine paix. Il a fait des vents ses Anges,
et a dissipé l'Orage qui nous menaçoit. Il
a détourné de dessus nos Côtes, et sa main a
englouti, en partie, dans les abymes de la
Mer, une flotte destinée à raporter dans ces
Roïaumes l'Oppression, la Tyrannie, et le
Papisme, qui en ont été chassés. Les hommes
avoient formé le projet de nous conquèrir.
Ils avoient dit en leur cœur ; nous
les subjuguerons. Nous leur donnerons pour
Roi, celui qu'ils ne pourroient aimer sans
se haïr eux mêmes. Dieu a souflé sur leurs
desseins, et leurs projets se sont évanouis.
Dieu est donc pour nous. Eh qui sera contre
[ nous ?]
nous ? à moins que nous même, par notre
endurcissement, nous ne forcions, pour ainsi
dire, Dieu à nous abandonner. Ne soïons
pas si insensés M. F. Assurons nos succès par
nottre conversion. Que chacun dise avec
David ; je veux combattre contre les ennemis
du Roi mon Seigneur ; et, si les circonstances
ne demandent pas que je me serve
des armes matèrielles, je combattrai auprès
de Dieu par mes prières ; je combattrai, en
augmentant le nombre de ces justes, dont un
petit nombre même peut sufire pour détourner,
de dessus une Nation, les plus terribles
effects de la vangeance Divine. Tels
puissent être nos sentimens et nos dispositions !
Dieu nous en fasse à tous la grace ! A
lui Pere Fils et Saint Esprit soit honneur et
gloire à jamais ! Amen !